Pendant la seconde guerre mondiale, Henri Dorgères a été un cadre paysan du pétainisme, tout en aidant de nombreux prisonniers de guerre à s’évader. Il est condamné à dix ans d’indignité nationale mais immédiatement amnistié pour services rendus à la Résistance.
Aux élections législatives de janvier 1956, il est élu député d’Ille-et-Vilaine dans le cadre du mouvement de Pierre Poujade, l’équivalent de Henri Dorgères pour les commerçants et à la tête depuis 1953 d’une Union de défense des commerçants et artisans.
Jean-Marie Le Pen est alors un cadre poujadiste et le plus jeune député de France à 27 ans ; il faut mentionner également Jean Dides, autre cadre poujadiste élu et jouant un rôle du plus haut niveau dans l’appareil policier.
Le journal du MRAP Droit et Liberté écrit dans un article du 20 janvier 1956 intitulé « Dorgères : antiparlementaire de naissance » :
« condamné à une peine dérisoire après la Libération, il reprend peu à peu ses activités. Il mène dans les milieux agricoles une propagande démagogique parallèle à celle de Poujade parmi les commerçants. Ses agents et ceux de Poujade coopèrent à maintes occasions dans l’Ouest »
Au cours de l’été et l’automne 1955, les troupes poujadistes, accompagnés de certains fidèles de Henri Dorgères, mènent l’action directe anti-fiscale. En août 1955, la perception de Léoville en Charente-Maritime est pillée et saccagée ; le 21 septembre ce sont de violentes émeutes à Chartres, avec le pillage quelques jours plus tard des perceptions à Aigrefeuille et Pont l’Abbée-d’Arnoult.
Dans certaines de ces manifestations, les orateurs fustigent « une colonisation de la France en des termes que le décret Marchandeau interdit de rapporter ». Édicté en avril 1939, le décret Marchandeau modifie la loi sur la liberté de la presse de 1881 afin d’autoriser des sanctions pénales vis-à-vis des propos antisémites ou « haineux ».
Mais pour Henri Dorgères, le cycle historique était fini. Le terrain social et culturel qui l’avait fait naître et l’avait développé s’asséchait toujours plus vite : à partir des années 1960, la paysannerie n’était plus le lieu névralgique de la contestation petite-bourgeoise.
L’intergroupe parlementaire qu’il fonde en 1957, réunissant une partie des poujadistes, et une partie des indépendants comme Paul Antier dans le l’inter-groupe « Rassemblement Paysan » ne pouvait qu’échouer.
La paysannerie était dorénavant plus homogène et solidement encadrée par la FNSEA qui puisait dans les notables de la Corporation paysanne de Vichy, gérant l’agriculture en « cogestion » avec l’État, dans le cadre de la modernisation capitaliste passant par l’intégration de l’agriculture dans le marché commun européen.
La pression des monopoles et la menace de prolétarisation allait toucher essentiellement l’artisanat et le petit commerce avec l’arrivée des grands supermarchés, rappelant ainsi les débuts politiques d’Henri Dorgères dans la « Ligue des contribuables ».
C’est le sens de l’Union de défense des commerçants et artisans e Pierre Poujade, mais aussi, dans les années 1970, de Gérard Nicoud et son Comité d’Information et de Défense, qui devint la Confédération intersyndicale de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants.
Il n’empêche qu’Henri Dorgères a permis de diffuser dans les campagnes ce qui s’avère être une tradition politico-culturelle : l’action directe antiparlementaire visant à s’opposer à la prolétarisation de la petite-bourgeoisie. Il y a, dans cette tradition, un socle commun composé des valeurs suivantes :
- antiparlementarisme ;
- apolitisme et incapacité organisationnelle durable ;
- admiration-répulsion pour la Gauche ouvrière comme modèle et contre-modèle ;
- populisme ;
- romantisme anti-État ;
- discours anti-fiscal accompagné de demandes de soutien étatique.
Le dorgérisme est ainsi une préfiguration de nombreux mouvements de la contestation française, comme partie intégrante de l’histoire de la France : poujadisme, bonnets rouges, gilets jaunes, etc.
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Henri Dorgères et les chemises vertes