L’irruption de l’humanité comme facteur géologique implique une nouvelle étape dans l’histoire planétaire et cela va avec une vision cosmique totalement nouvelle.
Vladimir Vernadsky avait tout à fait conscience que la planète était à un tournant.
Dans L’étude de la vie et la nouvelle physique, une conférence faite aux Sociétés des Naturalistes de Moscou et de Leningrad, en 1930, Vladimir Vernadsky posa ainsi les choses :
« En réalité l’explication de la vie donnée par les schémas de la conception dominante de l’univers scientifique n’a pas fait de progrès dans le cours de tous les siècles passés.
Le même abîme se dresse entre la matière vivante et non vivante, la matière brute, que dans les temps de Newton.
Les schémas et les constructions des systèmes physico-chimiques du Cosmos de Newton n’ont jusqu’ici pas réussi à expliquer scientifiquement la conscience, l’intelligence et la pensée logique.
Le savant devait chercher une issue de ces contradictions soit dans la pensée philosophique ou religieuse, soit dans la reconstruction de l’Univers scientifique, dans laquelle les phénomènes de la vie exprimés dans les faits scientifiques et les généralisations empiriques, devaient être inclus, de front avec d’autres manifestations de la réalité (…).
En présence de l’unité de tout ce qui vit, de la vie, on ne peut savoir où s’arrêtera la pénétration du Cosmos scientifiquement construit par les phénomènes liés avec la vie. L’avenir y est probablement gros de grandes surprises (…).
Nous nous rapprochons d’une époque très responsable — de celle du changement radical de notre conception de l’Univers scientifique.
Ce changement ne sera par ses suites probablement pas moins important que le fut à son temps la création du Cosmos, qui reposait sur la gravitation universelle, et le temps et l’espace infinis, Cosmos pénétré de matière et d’énergie.
Ce changement permettra de surmonter la contradiction existant entre la vie et la création scientifique d’une part, et le Cosmos construit scientifiquement de l’autre, contradiction qui s’est manifestée précisément aux XVIe -XIXe siècles, époque de la création et du développement du concept de l’Univers newtonien.
Ce fut d’ailleurs la conception de l’Univers de Newton sans Newton, qui y avait introduit les corrections d’un chrétien croyant (…).
Il n’est pas douteux que la vie dans le tableau scientifique de l’Univers nous apparaîtra sous une forme inattendue. Tous les phénomènes étudiés dans la physique et dans la chimie s’y manifestent sous une autre forme que celle sous laquelle ils se présentent devant nos organes des sens (…).
On peut noter un grand nombre de manifestations de la vie dans ce domaine dignes d’attention, dont une partie qui revêt un caractère planétaire, est lié avec la Terre, tandis que l’autre dépasse évidemment les limites de l’existence planétaire, indique la situation plus générale de la vie dans le Cosmos.
Parmi les propriétés planétaires de la vie sont à noter :
1. La matière vivante est créée et maintenue sur notre planète par l’énergie cosmique du Soleil. Elle y forme une partie intégrante de la géosphère supérieure, la biosphère, une partie indissoluble de son mécanisme.
2. L’énergie du Soleil est graduellement transportée par l’intermédiaire de la matière vivante dans les parties plus profondes de la planète, de son écorce.
3. La quantité de matière dans la biosphère pénétrée par la vie est une grandeur constante ou presque permanente à travers les temps géologiques.
4. La matière vivante entre dans le cours de tous les temps géologiques de façon uniforme dans les cycles géochimiques des éléments chimiques, dans l’écorce terrestre, en y jouant un rôle très important. Par cette voie, la matière vivante apporte dans la migration des éléments chimiques terrestres une énergie géochimique déterminée, dont la source première émane principalement du Soleil.
5. La matière vivante se trouve en un échange chimique continuel avec le milieu cosmique qui l’entoure, mais n’y est jamais spontanément engendrée. Cette matière vivante représente dans le cours de tous les temps géologiques un bloc unique, génétiquement lié, nettement séparé du milieu cosmique.
6. L’énergie géochimique biogène tend à sa manifestation maximum dans la biosphère (premier principe biogéochimique).
7. Lors de l’évolution des espèces, ce sont les organismes augmentant par leur vie l’énergie géochimique biogène qui survivent (second principe biogéochimique).
8. Lors de l’évolution des espèces la composition chimique de la matière vivante demeure constante, mais l’énergie géochimique biogène apportée par la matière vivante dans le milieu cosmique accroît.
9. Avec l’apparition de l’homme dans la biosphère conformément au second principe biogéochimique l’action de la vie sur notre planète se développe et change tellement par l’effet de son intelligence, qu’il devient possible de parler d’une époque psychozoïque spéciale dans l’histoire de notre planète, analogue à d’autres époques géologiques par le changement effectué dans la nature vivante de la Terre, aux époques cambrienne ou oligocène par exemple.
Avec l’apparition d’un être vivant doué d’intelligence sur notre planète, celle-ci passe à un autre stade de son histoire. »