Vladimir Vernadsky et le rapport de l’humanité à la matière vivante

En raison de sa position empirique-critique, Vladimir Vernadsky n’a pas voulu donner – ou pas étant en mesure de donner – des indications précises quant au positionnement de l’humanité par rapport à sa propre activité transformatrice.

On trouve cependant des traits généraux, des exigences allant de pair avec l’émergence de l’humanité comme force géologique atteignant un certain niveau de développement.

Dans L’autrotrophie de l’humanité, écrit à la fin de sa vie, il avait ainsi constaté ainsi que l’humanité est en train de trouver une voie pour s’extirper du reste de la matière vivante pour exister elle-même. Un être autotrophe, c’est un être capable de générer sa propre matière organique à partir d’éléments minéraux.

Or, si l’on suit le raisonnement, cela signifie que l’humanité cesse d’agir de manière négative à l’encontre de toute la matière vivante. Non seulement l’humanité cesse d’utiliser les animaux, mais elle cesse même l’utilisation des plantes, des arbres, etc.

L’humanité serait une forme de vie cessant d’utiliser la vie elle-même. On a là une lecture que l’on doit interpréter comme un véganisme tellement conséquent qu’il est élargi à l’ensemble de la matière vivante.

Voici comment Vladimir Vernadsky présente la place de l’humanité dans la biosphère, à la fois dedans et dehors à l’avenir :

« Il existe dans l’écorce terrestre une grande force géologique – peut être cosmique – dont l’action planétaire n’est, généralement pas prise en considération dans les concepts du Cosmos, concepts scientifiques ou basés sur la science (…).

Cette force c’est l’entendement humain, la volonté dirigée et réglée de l’homme social.

Sa manifestation dans le milieu ambiant au cours des myriades de siècles est apparue comme une des expressions de l’ensemble des organismes – de la matière vivante – dont l’humanité ne constitue qu’une partie.

Mais voilà plusieurs siècles que la société humaine se dégage de plus en plus par son action sur le milieu ambiant de la matière vivante.

Cette société devient dans la biosphère, c’est-à-dire dans l’enveloppe supérieure de notre planète, un facteur unique, dont la puissance croit avec une grande accélération et change – à elle seule – d’une manière nouvelle avec une rapidité croissante le mécanisme des fondements mêmes de la biosphère.

Elle devient de plus en plus indépendante des autres formes de la Vie et évolue vers une nouvelle manifestation vitale. »

Vladimir Vernadsky, L’autrotrophie de l’humanité

Voici comment, à la suite de cela, il présente sa conception de l’autotrophie de l’humanité :

« La force des marées et des vagues marines, l’énergie atomique radioactive, la chaleur solaire peuvent nous donner toute la puissance voulue.

L’introduction de ces formes d’énergie dans la vie est une question de temps. Elle dépend de problèmes dont la solution ne présente rien d’impossible.

L’énergie ainsi obtenue n’aura pas de limites pratiquement.

En utilisant directement l’énergie du soleil, l’homme se rendra maître de la source d’énergie de la plante verte, de la forme qu’il utilise par l’intermédiaire de cette dernière dans sa nourriture et dans ses combustions.

17. La synthèse des aliments, libérée de l’intermédiaire des êtres organisés, quand elle sera accomplie, changera l’avenir humain (…).

Que signifierait une synthèse pareille des aliments dans la vie humaine et dans la vie de la biosphère ?

Par son accomplissement, l’homme se libérerait de la matière vivante. D’un être social hétérotrophe, il deviendrait un être autotrophe.

La répercussion de ce phénomène dans la biosphère doit être immense. Ce fait signifierait la scission du bloc vivant, la création d’un troisième embranchement indépendant de la matière vivante.

Par ce fait apparaîtrait dans l’écorce terrestre, et pour la première fois dans l’histoire géologique du Globe, un animal autotrophe.

Il nous est aujourd’hui difficile, peut-être impossible de nous représenter les conséquences géologiques de cet événement ; – mais il est clair que ce fait serait le couronnement d’une longue évolution paléontologique, représenterait non une action de la volonté libre humaine, mais la manifestation d’un processus naturel.

L’entendement humain produirait par ce fait non seulement un grand effet social, mais un grand phénomène géologique (…).

Le naturaliste ne peut contempler cette découverte qu’avec une grande tranquillité.

II voit dans son accomplissement l’expression synthétique d’un grand processus naturel qui dure depuis des millions d’années et qui ne présente aucun signe de dissolution. C’est un processus créateur et non anarchique.

De fait, l’avenir de l’homme est toujours formé en grande partie par l’homme lui-même.

La création d’un nouvel être autotrophe lui donnera, des possibilités qui lui ont manqué pour l’accomplissement de ses aspirations morales séculaires elle lui ouvrira les voies d’une vie meilleure. »

Vladimir Vernadsky, L’autrotrophie de l’humanité

Vladimir Vernadsky ne donne pas plus d’indications. Il n’a pas systématisé sa conception. Il souligne l’aspect historique du phénomène en cours, sa très grande ampleur, à l’échelle de la planète elle-même. Mais il ne fournit pas de clefs idéologiques pour saisir, en théorie et en pratique, cette transformation.

Il pose toutefois la base d’une lecture cosmique du mouvement de la matière au Communisme.

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