Vladimir Vernadsky et l’empirio-criticisme

Du point de vue du matérialisme dialectique, la démarche de Vladimir Vernadsky semblait à la fois tout à fait juste, mais avec une dynamique à l’arrière-plan ressemblant farouchement au vitalisme. En fait, Vladimir Vernadsky parlait surtout de cosmologie, de la nature de la matière, cependant il passait par le levier de la chimie et n’hésitait pas qui plus est à utiliser une manière de voir faisant de la « vie » une sorte d’abstraction l’emportant sur tout.

Vladimir Vernadsky, scientifique démocratico-bourgeois, rechignait en fait à formuler une vision du monde en tant que telle et se contenter d’évaluer les expériences. C’était un empiriste criticique et il est flagrant qu’il aurait pu ou du annoncer le réchauffement climatique avec un regard plus approfondi qu’il ne l’a fait, s’il ne s’était contenté d’en rester au niveau des constatations et des spéculations au sujet des constatations.

Critiqué pour tout cela par Abram Déborine, qui joua un rôle actif en faveur du matérialisme dialectique dans les années 1920, Vladimir Vernadsky se définit alors en réponse comme un « sceptique sur le plan de la philosophie », ce qui ne devait évidemment pas arranger les choses avec les institutions soviétiques.

Vladimir Vernadsky affirma notamment que :

« Comme résultat de ses enquêtes, l’académicien Déborine en arrive à la conclusion que je suis un mystique et le fondateur d’un nouveau système religieux-philosophique.

D’autres m’ont défini comme un vitaliste, un néo-vitaliste, un fidéiste, un idéaliste, un mécaniste, un mystique.

Je dois protester précisément et de manière décidée contre toutes ces définitions. Je ne proteste pas parce que je les considère comme insultantes à mon égard, mais parce qu’elles sont fausses en ce qui me concerne et qu’elles sont exprimées trop simplement par des gens parlant au sujet de quelque chose dont ils ne connaissent rien. »

Il est frappant ici de voir ici que, malgré de tels propos, Vladimir Vernadsky fut l’une des plus hautes sommités scientifiques soviétiques. C’est que Vladimir Vernadsky ne comprenait en fait strictement rien à la question posée par les communistes, ni à sa signification.

On a un exemple de développement inégal dans sa pensée qui est tout à fait significatif. Cela était somme toute flagrant et c’est la raison pour laquelle Vladimir Vernadsky pouvait finalement s’intégrer dans les institutions soviétiques.

D’ailleurs, dans sa propre réponse, Abram Déborine réfuta toute « intention diabolique », tout en maintenant le reproche d’une incompréhension complète du matérialisme dialectique par Vladimir Vernadsky. Et effectivement, Vladimir Vernadsky n’y comprit jamais rien en tant que système, tout en assumant un matérialisme très net, très incisif, avec une exigence démocratique de développement de la science particulièrement avancée.

Il était de fait prisonnier des limites historiques des forces productives de son époque, de son parcours bourgeois – démocratique, et ne pouvait, pour beaucoup, qu’être assimilé à un penseur imaginant tel Platon un magma de matière inerte façonnée par un démiurge qui serait, ici, la matière vivante en général, puis l’humanité en particulier.

Les institutions soviétiques étaient forcément frustrées de l’incapacité de Vladimir Vernadsky à faire un saut qualitatif sur le plan idéologique.

Lorsque dans un article au sujet de la biosphère pour l’Académie des sciences en 1937, il critique le matérialisme dialectique comme « dépassé », le philosophe A.A. Maximov lui répondit simplement :

« Dans un article sur les frontières de la biosphère, l’académicien Vernadsky a également touché le statut contemporain de la philosophie en général et en URSS en particulier, une question n’ayant aucun rapport avec la biosphère.

Il est libre d’agir ainsi, mais sa méthode et ses réponses se posent en contradiction flagrante aux méthodes du travail scientifique de Vernadsky lui-même. »

Vladimir Vernadsky ne percevait toutefois pas le rapport entre sa propre activité et le matérialisme dialectique, tellement il était enferré dans ses recherches et leur démarche empirique – critique. A.A. Maximov lui rappela alors ce qui était un simple constat :

« Dans les pays capitalistes, les scientifiques luttent avec les tendances religieuses, mystiques, idéalistes et d’autres pareillement anti-scientifiques. En URSS, à présent, la voie a été ouverte pour la science.

Les bases sociales de la religion et de la philosophie idéaliste ont été balayées. Ainsi, toutes les conditions nécessaires ont été mises en place pour le bourgeonnement complet de la science, et on commence déjà à en voir les débuts.

C’est cela qu’a donné le matérialisme dialectique à la science. »

La démarche de Vladimir Vernadsky était portée par l’URSS, par le cadre historique nouveau, cependant, Vladimir Vernadsky vivait à l’écart, en décalage avec les préoccupations concrètes, tellement il était avancé dans ses recherches, et tellement il se confinait dans son empirisme critique.

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