Vladimir Vernadsky ne s’est pas arrêté à constater le mouvement de la matière vivante et sa dimension transformatrice. Il a également cherché à en présenter les contours généraux.
S’appuyant sur son parcours de chimiste, il a tenté de présenter le cadre de la biosphère comme réalité transformatrice, en disant somme toute : tout est une question de dispersion des atomes, de leur mélange.
Dans L’évolution des espèces et la matière vivante, il dit ainsi :
« Nous appellerons migration des éléments chimiques tout déplacement des éléments chimiques quelle qu’en soit la cause.
La migration dans la biosphère peut être déterminée par des processus chimiques, par exemple, lors des éruptions volcaniques; elle est suscitée par le mouvement des masses liquides, solides, gazeuses dans le cas des évaporations et de la formation des dépôts; elle s’observe à l’occasion du mouvement des fleuves, des courants marins, des vents, des charriages et des déplacements des couches terrestres, etc.
La migration biogène provoquée par l’intervention de la vie compte, envisagée dans son ensemble, parmi les processus les plus grandioses et les plus typiques de la biosphère et constitue le trait essentiel de son mécanisme.
Des quantités innombrables d’atomes se trouvent soumis à l’action d’une migration biogène ininterrompue (…).
Cette migration s’effectue partiellement sous l’influence de l’énergie solaire, de la force de la gravitation et de l’action des parties internes de l’écorce terrestre sur la biosphère.
Tous ces déplacements des éléments, quelle qu’en soit la cause, répondent à divers systèmes d’équilibres mécaniques déterminés; en particulier, dans l’histoire de divers éléments chimiques, ils donnent naissance à des cycles géochimiques fermés, à des tourbillons d’atomes. »
Vladimir Vernadsky dit ainsi : la réalité de la transformation de la biosphère c’est la réalité de l’accroissement de la migration biogène des atomes dans la biosphère.
Ce qu’on appelle évolution correspond à la production de nouvelles formes de vie, qui s’inscrivent dans ce processus de complexification produit par la migration des atomes – et on sait que la vie modifie la structure des molécules, avec les principes de l’asymétrie moléculaire.
Ce qu’on appelle l’expansion de la vie est, selon Vladimir Vernadsky, l’expansion de la richesse des éléments, à la fois quantitativement et qualitativement. Le mouvement de la matière tend à cette expansion.
Il constate, pour donner un exemple, dans L’évolution des espèces et la matière vivante, que :
« Le processus de l’évolution a non seulement élargi le domaine de la vie, il a intensifié et accéléré la migration biogène.
La formation du squelette des vertébrés a modifié et augmenté, en la concentrant, la migration des atomes du fluor et, sans doute, du phosphore et celle de celui des invertébrés aquatiques — la migration des atomes du calcium. »
Cette évolution, selon Vladimir Vernadsky, va toujours à sa manifestation maximale. En 1931, il tint une conférence à la Société des explorateurs de la nature de Leningrad, au sujet d’une Étude du phénomène de la vie et les physiques nouvelles. Il y affirma que :
« L’énergie biogéochimique dans la biosphère a une tendance à sa manifestation maximale. »
Vladimir Vernadsky qualifia cela de « premier principe de la biogéochimie ».
Cela consiste ni plus ni moins à affirmer que la vie a toujours tendance à se développer, à se multiplier. Naturellement, il existe des limites : le temps de la reproduction, les conditions géologiques et plus globalement les conditions relatives à l’environnement.
Néanmoins, la matière vivante ne consiste pas en un équilibre, en quelque chose de statique. De manière dialectique, Vladimir Vernadsky relie cela à la question de l’interaction entre les êtres vivants et l’ensemble de la matière vivante. Le « second principe de la biogéochimie » pose en effet que :
« Dans le processus d’évolution des espèces, la survie appartient à celles capable d’augmenter l’énergie biochimique totale de la biosphère. »
De la même manière que Karl Marx considère que la société a été l’histoire de la lutte des classes, c’est-à-dire du développement du mode de production, la biosphère est l’histoire de l’agencement entre espèces, avec toujours un dépassement vers un meilleur agencement, au sens géobiochimique.
Vladimir Vernadsky donne une définition encore plus poussée de cela en 1940, disant que :
« L’évolution des espèces durant le temps géologique va dans la direction d’une migration biogénique croissante des atomes dans la biosphère. »
Ce que veut dire Vladimir Vernadsky, c’est que le mouvement historique de la biosphère tend à la complexification des cycles biogéochimiques.
L’histoire des espèces et de leur évolution est en rapport avec le mouvement général du rapport de la matière vivante avec elle-même et l’ensemble de la matière comme système.