Staline : Le marxisme et les problèmes de linguistique

L’article de J. Staline : Le Marxisme et les problèmes de linguistique paru le 20 juin 1950 dans La Pravda, à la suite d’un débat qui s’y déroula sur les problèmes de linguistique en Union soviétique, constitue une réponse aux questions que lui posa à ce sujet un groupe d’étudiants soviétiques et aux essais publiés dans les colonnes du journal, dont les principaux titres sont : « Sur la voie de la linguistique matérialiste » de Boulakhovski, membre de l’Académie des Sciences d’Ukraine, « L’Histoire de la linguistique en Russie et la théorie de Marr » de Nikiforov, « Du caractère de classe de la langue » de Koudriavtsev.

Un groupe de jeunes camarades m’a demandé d’exposer dans la presse mon opinion sur les problèmes de linguistique, notamment en ce qui concerne le marxisme en linguistique. N’étant pas linguiste, je ne puis évidemment pas donner pleine satisfaction aux camarades. Quant au marxisme en linguistique, comme dans les autres sciences sociales, c’est une question dont je peux parler en connaissance de cause. C’est pourquoi j’ai accepté de répondre à une série de questions posées par les camarades.

QUESTION : Est-il vrai que la langue soit une superstructure au-dessus de la base ?

RÉPONSE : Non, c’est faux.

La base est le régime économique de la société à une étape donnée de son développement. La superstructure, ce sont les vues politiques, juridiques, religieuses, artistiques, philosophiques de la société et les institutions politiques, juridiques et autres qui leur correspondent.

Toute base a sa propre superstructure, qui loi correspond. La base du régime féodal a s a superstructure, ses vues politiques, juridiques et autres, avec les institutions qui leur correspondent ; la base capitaliste a sa superstructure à elle, et la base socialiste la sienne. Lorsque la base est modifiée ou liquidée. sa superstructure est, à sa suite, modifiée ou liquidée ; et lorsqu’une base nouvelle prend naissance, à sa suite prend naissance une superstructure qui lui correspond.

La langue, à cet égard, diffère radicalement de la superstructure. Prenons, par exemple, la société russe et la langue russe. Au cours des trente dernières années, l’ancienne base, la base capitaliste, a été liquidée en Russie, et il a été construit une base nouvelle, socialiste.

En conséquence, la superstructure de la base capitaliste a été liquidée, et il a été créé une nouvelle superstructure correspondant à la base socialiste. Aux anciennes institutions politiques, juridiques et autres se sont donc substituées des institutions nouvelles, socialistes. Mais en dépit de cela, la langue russe est demeurée, pour l’essentiel, ce qu’elle était avant la Révolution d’Octobre.

Qu’y a-t-il de changé depuis lors dans la langue russe ?

Le vocabulaire de la langue russe a changé en une certaine mesure ; il a changé dans ce sens qu’il s’est enrichi d’un nombre considérable de mots nouveaux et d’expressions nouvelles qui ont surgi avec l’apparition de la nouvelle production socialiste, avec l’apparition d’un nouvel Etat, d’une nouvelle culture socialiste, d’un nouveau milieu social, d’une nouvelle morale et, enfin, avec le progrès de la technique et de la science ; quantité de mots et d’expressions ont changé de sens et acquis une signification nouvelle ; un certain nombre de mots surannés ont disparu du vocabulaire.

En ce qui concerne le fonds essentiel du vocabulaire et le système grammatical de la langue russe, qui en constituent le fondement, loin d’avoir été liquidés et remplacés, après la liquidation de la base capitaliste, par un nouveau fonds essentiel du vocabulaire et un nouveau système grammatical de la langue, ils se sont au contraire conservés intacts et ont survécu sans aucune modification un peu sérieuse ; ils se sont conservés précisément comme fondement de la langue russe d’aujourd’hui.

Poursuivons. La superstructure est engendrée par la base, mais cela ne veut point dire qu’elle se borne à refléter la base, qu’elle soit passive, neutre, qu’elle se montre indifférente au sort de la base, au sort des classes, au caractère du régime.

Au contraire, une fois en existence, elle devient une immense force active, elle aide activement sa base à se cristalliser et à s’affermir ; elle met tout en oeuvre pour aider le nouveau régime à achever la destruction de la vieille base et des vieilles classes, et à les liquider.

Il ne saurait en être autrement. La superstructure est justement engendrée par la base pour servir celle-ci, pour l’aider activement à se cristalliser et à s’affermir, pour lutter activement en vue de liquider la vieille base périmée avec sa vieille superstructure.

Il suffit que la superstructure se refuse à jouer ce rôle d’instrument, il suffit qu’elle passe de la position de défense active de s a base à une attitude indifférente à son égard, à une attitude identique envers toutes les classes, pour qu’elle perde sa qualité et cesse d’être une superstructure.

La langue à cet égard diffère radicalement de la superstructure. La langue est engendrée non pas par telle ou telle base, vieille ou nouvelle, au sein d’une société donnée, mais par toute la marche de l’histoire de la société et de l’histoire des bases au cours des siècles.

Elle est l’oeuvre non pas d’une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société, des efforts des générations et des générations. Elle est créée pour les besoins non pas d’une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société.

C’est pour cette raison précisément qu’elle est créée en tant que langue du peuple tout entier, unique pour toute la société et commune à tous les membres de la société.

Par suite, le rôle d’instrument que joue la langue comme moyen de communication entre les hommes ne consiste pas à servir une classe au détriment des autres classes, mais à servir indifféremment toute la société, toutes les classes de la société. C’est là précisément la raison pour laquelle la langue peut servir l’ancien régime agonisant aussi bien que le nouveau régime ascendant, l’ancienne base aussi bien que la nouvelle, les exploiteurs aussi bien que les exploités.

Ce n’est un secret pour personne que la langue russe a aussi bien servi le capitalisme russe et la culture bourgeoise russe avant la Révolution d’octobre qu’elle sert actuellement le régime socialiste et la culture socialiste de la société russe.

Il faut en dire autant des langues ukrainienne, biélorusse, ouzbèque, kazakhe, géorgienne, arménienne, estonienne, lettone, lituanienne, moldave, tatare, azerbaïdjanaise, bachkire, turkmène et autres langues des nations soviétiques, qui ont aussi bien servi l’ancien régime bourgeois de ces nations qu’elles servent le régime nouveau, socialiste.

Il ne saurait en être autrement. La langue existe, la langue a été créée précisément pour servir la société comme un tout, en tant que moyen de communication entre les hommes, pour être commune aux membres de la société et unique pour la société, pour servir au même titre les membres de la société indépendamment de la classe à laquelle ils appartiennent.

Il suffit que la langue quitte cette position d’instrument commun à tout le peuple, il suffit qu’elle prenne une position tendant à préférer, à soutenir un groupe social quelconque au détriment des autres groupes sociaux pour qu’elle perde sa qualité, pour qu’elle cesse d’être un moyen de communication entre les hommes dans la société, pour qu’elle devienne le jargon d’un groupe social quelconque, pour qu’elle déchoie et se voue à la disparition.

Sous ce rapport, la langue, qui diffère par principe de la superstructure, ne se distingue cependant pas des instruments de production, des machines par exemple, qui, indifférents à l’égard des classes comme l’est la langue, peuvent servir également le régime capitaliste et le régime socialiste.

Ensuite, la superstructure est le produit d’une époque au cours de laquelle exista et fonctionne une base économique donnée.

C’est pourquoi la vie de la superstructure n’est pas d’une longue durée : celle-ci est liquidée et disparaît avec la liquidation et la disparition de la base donnée.

La langue, au contraire, est le produit de toute une série d’époques au cours desquelles elle se cristallise, s’enrichit, se développe et s’affine.

C’est pourquoi la vie d’une langue est infiniment plus longue que celle d’une base quelconque, que celle d’une superstructure quelconque.

C’est ce qui explique justement que la naissance et la liquidation, non seulement d’une base et de sa superstructure, mais de plusieurs bases et des superstructures qui leur correspondent, ne conduisent pas dans l’histoire à la liquidation d’une langue donnée, à la liquidation de sa structure et à la naissance d’une langue nouvelle avec un nouveau vocabulaire et un nouveau système grammatical.

Plus de cent ans se sont écoulés depuis la mort de Pouchkine. Durant ce temps, les régimes féodal et capitaliste furent liquidés en Russie, et il en a surgi un troisième, le régime socialiste. Par conséquent, deux bases avec leurs superstructures ont été liquidées, et il en est apparu une nouvelle, la base socialiste, avec sa nouvelle superstructure. Mais si l’on prend par exemple la langue russe, on constate que, pendant ce long intervalle de temps, elle n’a subi aucune refonte et que, par sa structure, la langue russe de nos jours diffère peu de celle de Pouchkine.

Qu’y a-t-il eu de changé pendant ce temps dans la langue russe ?

Son vocabulaire s’est, pendant ce temps, notablement enrichi ; un grand nombre de mots surannés ont disparu du lexique ; le sens d’une quantité importante de mots s’est modifié ; le système grammatical de la langue s’est amélioré. Quant à la structure de la langue de Pouchkine avec son système grammatical et le fonds essentiel de son lexique, elle s’est conservée dans ses grandes lignes comme fondement de la langue russe d’aujourd’hui.

Cela se conçoit fort bien. En effet, pourquoi serait-il nécessaire qu’après chaque révolution la structure existante de la langue, son système grammatical et le fonds essentiel de son lexique soient détruits et remplacés par de nouveaux, comme cela a lieu ordinairement pour la superstructure ?

A quoi servirait-il que « eau », « terre », « montagne », « forêt », « poisson », « homme », « marcher », « faire », « produire », « commercer », etc. ne s’appellent plus eau, terre, montagne, etc., mais autrement ?

A quoi servirait-il que les changements des mots dans la langue et la combinaison des mots dans la proposition aient lieu, non pas d’après la grammaire existante, mais d’après une grammaire tout autre ?

Quelle utilité la révolution retirerait-elle de ce bouleversement dans la langue ? L’histoire en général ne fait rien d’essentiel sans que la nécessité ne s’en impose tout spécialement.

On se demande quelle serait la nécessité de ce bouleversement linguistique, lorsqu’il a été prouvé que la langue existante, avec sa structure, est, dans ses grandes lignes, parfaitement apte à satisfaire aux besoins du nouveau régime !

On peut, on doit détruire la vieille superstructure et lui en substituer une nouvelle en quelques années, afin de donner libre cours au développement des forces productives de la société, mais comment détruire la langue existante et établir à sa place une langue nouvelle en quelques années, sans apporter l’anarchie dans la vie sociale, sans créer la menace d’une désagrégation de la société ?

Qui donc, sinon quelque Don Quichotte, pourrait s’assigner une tâche pareille ?

Enfin, il y a encore une différence radicale entre la superstructure et la langue. La superstructure n’est pas liée directement à la production, à l’activité productrice de l’homme. Elle n’est liée à la production que de façon indirecte, par l’intermédiaire de l’économie, par l’intermédiaire de la base.

Aussi la superstructure ne reflète-t-elle pas les changements survenus au niveau du développement des forces productives d’une façon immédiate et directe, mais à la suite des changements dans la base, à travers le prisme des changements intervenus dans la base par suite des changements dans la production. C’est dire que la sphère d’action de la superstructure est étroite et limitée.

La langue, au contraire, est liée directement à l’activité productrice de l’homme, et pas seulement à l’activité productrice, mais à toutes les autres activités de l’homme dans toutes les sphères de son travail, depuis la production jusqu’à la base, depuis la base jusqu’à la superstructure.

C’est pourquoi la langue reflète les changements dans la production d’une façon immédiate et directe, sans attendre les changements dans la base. C’est pourquoi la sphère d’action de la langue, qui embrasse tous les domaines de l’activité de l’homme, est beaucoup plus large et plus variée que la sphère d’action de la superstructure. Bien plus, elle est pratiquement illimitée.

Voilà la raison essentielle pour laquelle la langue, plus précisément son vocabulaire, est dans un état de changement à peu près ininterrompu.

Le développement ininterrompu de l’industrie et de l’agriculture, du commerce et des transports, de la technique et de la science exige de la langue qu’elle enrichisse son vocabulaire de nouveaux mots et de nouvelles expressions nécessaires à cet essor. Et la langue, qui reflète directement ces besoins, enrichit en effet son vocabulaire de nouveaux mots et perfectionne son système grammatical.

Ainsi :

a) Un marxiste ne peut considérer la langue comme une superstructure au-dessus de la base ;

b) Confondre la langue avec une superstructure, c’est commettre une grave erreur.

QUESTION : Est-il vrai que la langue ait toujours eu et garde un caractère de classe, qu’il n’existe pas de langue commune et unique pour la société, de langue qui n’ait pas un caractère de classe, mais qui soit celle du peuple tout entier ?

RÉPONSE : Non, c’est faux.

Il n’est pas difficile de comprendre que dans une société sans classes il ne saurait être question d’une langue de classe.

Le régime de la communauté primitive, le régime des clans, ignorait les classes et, par conséquent, il ne pouvait y avoir de langue de classe ; la langue y était commune, unique pour toute la collectivité. L’objection suivant laquelle il faut entendre par classe toute collectivité humaine, y compris celle de la communauté primitive, n’est pas une objection, mais un jeu de mots qui ne mérite pas d’être réfuté.

En ce qui concerne le développement ultérieur, des langues de clans aux langues de tribus, des langues de tribus aux langues de nationalités, et des langues de nationalités aux langues nationales, – partout, à toutes les phases du développement, la langue comme moyen de communication entre les hommes dans la société a été commune et unique pour la société, a servi au même titre les membres de la société indépendamment de leur condition sociale.

Je ne parle pas ici des empires des périodes esclavagiste ou médiévale, par exemple, des empires de Cyrus ou d’Alexandre le Grand, de César ou de Charlemagne, qui étaient dépourvus d’une base économique propre et représentaient des formations militaires et administratives éphémères et peu solides. Ces empires n’avaient ni ne pouvaient avoir de langue unique pour tout l’empire et intelligible pour tous ses membres.

Ils représentaient un conglomérat de tribus et de nationalités qui vivaient de leur propre vie et possédaient leurs langues propres.

Il ne s’agit donc pas de ces empires et d’autres semblables, mais des tribus et des nationalités qui faisaient partie de l’empire, possédaient une base économique propre et avaient des langues formées d’ancienne date. L’histoire nous apprend que les langues de ces tribus et nationalités ne portaient pas un caractère de classe, mais étaient des langues communes aux populations, aux tribus et aux nationalités et comprises par tous leurs membres.

Certes, il existait parallèlement des dialectes, des parlers locaux, mais la langue unique et commune de la tribu ou de la nationalité prévalait sur ces parlers et se les subordonnait.

Par la suite, avec l’apparition du capitalisme, avec la liquidation du morcellement féodal et la formation d’un marché national, des nationalités se développèrent en nations, et les langues des nationalités en langues nationales.

L’histoire nous apprend qu’une langue nationale n’est pas une langue de classe, mais une langue commune à l’ensemble du peuple, commune aux membres de la nation et unique pour la nation.

Il a été dit plus haut que la langue comme moyen de communication entre les hommes dans la société sert également toutes les classes de la société et manifeste à cet égard une sorte d’indifférence envers les classes.

Mais les hommes, les divers groupes sociaux et les classes sont loin d’être indifférents envers la langue. Ils s’attachent à l’utiliser dans leur intérêt, à lui imposer leur vocabulaire particulier, leurs termes particuliers, leurs expressions particulières. Sous ce rapport, se distinguent particulièrement les couches supérieures des classes possédantes qui se sont détachées du peuple et qui le haïssent : l’aristocratie nobiliaire et les couches supérieures de la bourgeoisie.

Il se forme des dialectes et jargons « de classe », des « langues » de salon. En littérature, ces dialectes et jargons sont souvent qualifiés à tort de langues : la « langue noble », la « langue bourgeoise », par opposition à la « langue prolétarienne », à la « langue paysanne ». C’est pour cette raison que certains de nos camarades, si étrange que cela puisse paraître, en arrivent à conclure que la langue nationale est une fiction, qu’il n’existe en réalité que des langues de classe.

Je pense qu’il n’y a rien de plus erroné que cette conclusion. Peut-on regarder ces dialectes et ces jargons comme des langues ?

Non, c’est impossible. Impossible d’abord, parce que ces dialectes et ces jargons n’ont pas de système grammatical ni de fonds de vocabulaire propres, – ils les empruntent à la langue nationale. Impossible ensuite, parce que les dialectes et les jargons ont une sphère étroite de circulation parmi les couches supérieures de telle ou telle classe, et ne conviennent nullement, comme moyen de communication entre les hommes, à la société dans son ensemble.

Qu’est-ce qu’on y trouve donc ? On y trouve un choix de mots spécifiques qui reflètent les goûts spécifiques de l’aristocratie ou des couches supérieures de la bourgeoisie ; un certain nombre d’expressions et de tournures qui se distinguent par leur raffinement et leur galanterie, et qui ne comportent pas les expressions et tournures « grossières » de la langue nationale ; on y trouve enfin un certain nombre de mots étrangers.

L’essentiel cependant, c’est-à-dire l’immense majorité des mots et le système grammatical, est emprunté à la langue nationale commune à toue le peuple. Par conséquent, les dialectes et les jargons constituent des rameaux de la langue nationale commune à tout le peuple, privés de toute indépendance linguistique et condamnés à végéter. Penser que dialectes et jargons puissent devenir des langues distinctes, capables d’évincer et de remplacer la langue nationale, c’est perdre la perspective historique et abandonner les positions du marxisme.

On se réfère à Marx, on cite un passage de son article « Saint Max », où il est dit que le bourgeois a « sa langue », que cette langue « est un produit de la bourgeoisie » [1], qu’elle est pénétrée de l’esprit de mercantilisme et de marchandage.

Certains camarades veulent démontrer par cette citation que Marx aurait admis le « caractère de classe » de la langue, qu’il niait l’existence d’une langue nationale unique. Si ces camarades avaient fait preuve d’objectivité dans cette question, ils auraient dû citer encore un autre passage du même article « Saint Max », où Marx, traitant des voies de formation d’une langue nationale unique, parle de « la concentration des dialectes en une langue nationale unique, en fonction de la concentration économique et politique » [2].

Par conséquent, Marx reconnaissait la nécessité d’une langue nationale unique, en tant que forme supérieure à laquelle sont subordonnés les dialectes en tant que formes inférieures.

Dès lors, qu’est-ce donc que la langue du bourgeois, qui, d’après Marx, « est un produit de la bourgeoisie » ? Marx la considérait-il comme une langue telle que la langue nationale avec sa structure linguistique propre ? Pouvait-il la considérer comme une telle langue ? Évidemment non ! Marx voulait dire simplement que les bourgeois avaient souillé la langue nationale unique avec leur vocabulaire de mercantis, que les bourgeois avaient donc leur jargon de mercantis.

Il s’ensuit que ces camarades ont déformé la position de Marx. Et ils l’ont déformée parce qu’ils ont cité Marx non en marxistes, mais en scolastiques, sans aller au fond des choses.

On se réfère à Engels, on cite de son oeuvre : La Situation de la classe laborieuse en Angleterre les passages où il dit que « … la classe ouvrière anglaise est devenue à la longue un peuple tout autre que la bourgeoisie anglaise » ; que « les ouvriers parlent un autre dialecte, ont d’autres idées et d’autres conceptions, d’autres mœurs et d’autres principes moraux, une autre religion et une autre politique que la bourgeoisie » [3].

Forts de cette citation, certains camarades en viennent à conclure qu’Engels a nié la nécessité d’une langue nationale commune à tout le peuple, qu’il affirmait, par conséquent, le « caractère de classe » de la langue. Engels, il est vrai, ne parle pas ici de la langue, mais du dialecte ; il comprend fort bien que le dialecte en tant que rameau de la langue nationale ne peut remplacer celle-ci. Mais ces camarades, visiblement, ne se montrent guère sensibles à la différence entre langue et dialecte…

Il est évident que la citation est faite mal à propos, car Engels ne parle pas ici de « langues de classe », mais principalement des idées, des conceptions, des mœurs, des principes moraux, de la religion, de la politique de classe. Il est tout à fait juste que les idées, les conceptions, les mœurs, les principes moraux, la religion et la politique sont directement opposés chez les bourgeois et les prolétaires. Mais que vient faire ici la langue nationale ou le « caractère de classe » de la langue ?

Est-ce que l’existence des contradictions de classe dans la société peut servir d’argument en faveur du « caractère de classe » de la langue ou contre la nécessité d’une langue nationale unique ? Le marxisme dit que la communauté de langue est un des caractères les plus importants de la nation, tout en sachant parfaitement qu’il y a des contradictions de classe à l’intérieur de la nation. Les camarades en question reconnaissent-ils cette thèse marxiste ?

On se réfère à Lafargue [4] en rappelant que, dans sa brochure : La Langue française avant et après la Révolution, il reconnaît le « caractère de classe » de la langue et qu’il nie, dit-on, la nécessité d’une langue nationale commune à tout le peuple. C’est faux. Lafargue parle effectivement de la langue « noble » ou « aristocratique » et des « jargons » des diverses couches de la société.

Mais ces camarades oublient que Lafargue, qui ne s’intéresse pas à la différence qui existe entre la langue et le jargon, et qui qualifie les dialectes, soit de « langue artificielle », soit de « jargon », déclare explicitement dans sa brochure que « la langue artificielle qui distinguait l’aristocratie… était extraite de la vulgaire, parlée par le bourgeois et l’artisan, la ville et la campagne ».

Lafargue reconnaît donc l’existence et la nécessité d’une langue commune à tout le peuple, et comprend fort bien le caractère subordonné et la dépendance de la « langue aristocratique » et des autres dialectes et jargons par rapport à la langue commune à tout le peuple.

Il s’ensuit que la référence à Lafargue manque son but.

On se réfère au fait qu’à une époque donnée, en Angleterre, les féodaux anglais ont parlé le français « durant des siècles », alors que le peuple anglais parlait la langue anglaise, et l’on voudrait en faire un argument en faveur du « caractère de classe » de la langue et contre la nécessité d’une langue commune à tout le peuple. Mais ce n’est point là un argument, c’est plutôt une anecdote.

Premièrement, à cette époque, tous les féodaux ne parlaient pas le français, mais seulement un nombre insignifiant de grands féodaux anglais à la cour du roi et dans les comtés.

Deuxièmement, ils ne parlaient pas une « langue de classes quelconque, mais la langue française ordinaire, commune à tout le peuple français.

Troisièmement, on sait que cet engouement de ceux qui s’amusaient à parler la langue française a disparu ensuite sans laisser de trace, faisant place à la langue anglaise commune à tout le peuple.

Ces camarades pensent-ils que les féodaux anglais et le peuple anglais se sont « durant des siècles » expliqués au moyen d’interprètes, que les féodaux anglais ne se servaient pas de la langue anglaise, qu’il n’existait pas alors de langue anglaise commune à tout le peuple, que la langue française était alors en Angleterre quelque chose de plus qu’une langue de salon, uniquement employée dans le cercle étroit de la haute aristocratie anglaise ? Comment peut-on, sur la base de tels « arguments » anecdotiques, nier l’existence et la nécessité d’une langue commune à tout le peuple ?

Les aristocrates russes se sont également amusés un certain temps à parler français à la cour des tsars et dans les salons. Ils se vantaient de ce qu’en parlant le russe ils y mêlaient souvent du français et de ce qu’ils ne savaient parler le russe qu’avec un accent français.

Est-ce à dire qu’il n’existait pas alors en Russie une langue russe commune à tout le peuple, que la langue commune au peuple entier était une fiction, que les « langues de classe » constituaient une réalité ?

Nos camarades commettent ici, pour le moins, deux erreurs.

La première erreur est qu’ils confondent la langue avec la superstructure. Ils pensent que si la superstructure a un caractère de classe, la langue de même ne doit pas être commune à tout le peuple, mais doit porter un caractère de classe. J’ai déjà dit plus haut que la langue et la superstructure sont deux notions différentes. et qu’il n’est pas permis à un marxiste de les confondre.

La seconde erreur est que ces camarades conçoivent l’opposition des intérêts de la bourgeoisie et du prolétariat, leur lutte de classes acharnée, comme une désagrégation de la société, comme une rupture de tous les liens entre les classes hostiles.

Ils estiment que, puisque la société s’est désagrégée et qu’il n’existe plus de société unique, mais seulement des classes, il n’est plus besoin d’une langue unique pour la société, il n’est plus besoin d’une langue nationale. Que reste-t-il donc si la société s’est désagrégée et s’il n’y a plus de langue nationale, commune à tout le peuple ?

Restent les classes et les « langues de classe ». Il va de soi que chaque « langue de classe » aura sa grammaire « de classe », grammaire « prolétarienne », grammaire « bourgeoise)). Il est vrai que ces grammaires n’existent pas en réalité ; mais cela n’embarrasse guère ces camarades : ils sont persuadés que ces grammaires verront le jour.

Il y avait chez nous, à un moment donné, des « marxistes » qui prétendaient que les chemins de fer restés dans notre pays après la Révolution d’octobre étaient des chemins de fer bourgeois ; qu’il ne nous seyait pan, à nous marxistes, de nous en servir ; qu’il fallait les démonter et en construire de nouveaux, des chemins de fer « prolétariens ». Cela leur valut le surnom de « troglodytes »…

Il va de soi que ces vues d’un anarchisme primitif sur la société, sur les classes, sur la langue n’ont rien de commun avec le marxisme. Mais elles existent incontestablement et continuent d’habiter les cerveaux de certains de nos camarades aux idées confuses.

Il est évidemment faux que, par suite d’une lutte de classes acharnée, la société se soit désagrégée en classes qui économiquement ne sont plus liées les unes aux autres au sein d’une société unique. Au contraire, aussi longtemps que le capitalisme existe, bourgeois et prolétaires seront attachés ensemble par tous les liens de la vie économique, en tant que parties constitutives d’une société capitaliste unique.

Les bourgeois ne peuvent vivre et s’enrichir s’ils n’ont pas à leur disposition des ouvriers salariés ; les prolétaires ne peuvent subsister s’ils ne s’embauchent pas chez les capitalistes. La rupture de tous liens économiques entre eux signifie la cessation de toute production ; or, la cessation de toute production conduit à la mort de la société, à la mort des classes elles-mêmes.

On conçoit qu’aucune classe ne veuille se vouer à l’autodestruction. C’est pourquoi la lutte de classes, si aiguë soit-elle, ne peut conduire à la désagrégation de la société. Seules l’ignorance en matière de marxisme et l’incompréhension totale de la nature de la langue ont pu suggérer à certains de nos camarades cette fable sur la désagrégation de la société, sur les langues « de classe », sur les grammaires « de classer.

On se réfère ensuite à Lénine, et l’on rappelle que Lénine reconnaissait l’existence en régime capitaliste de deux cultures, bourgeoise et prolétarienne ; que le mot d’ordre de culture nationale, sous le capitalisme, est un mot d’ordre nationaliste.

Tout cela est juste, et Lénine sur ce point a tout à fait raison.

Mais que vient faire ici le « caractère de classe » de la langue ? En invoquant les paroles de Lénine sur les deux cultures en régime capitaliste, ces camarades veulent apparemment donner à entendre au lecteur que l’existence dans la société de deux cultures, bourgeoise et prolétarienne, signifie qu’il doit y avoir également deux langues, la langue étant liée à la culture ; c’est dire que Lénine nie la nécessité d’une langue nationale unique, c’est dire que Lénine reconnaît l’existence des langues « de classer. L’erreur de ces camarades consiste ici à identifier et à confondre la langue avec la culture.

Or la culture et la langue sont deux choses différentes. La culture peut être bourgeoise ou socialiste, tandis que la langue, comme moyen de communication entre les hommes, est toujours commune à tout le peuple ; elle peut servir et la culture bourgeoise et la culture socialiste.

N’est-ce pas un fait que les langues russe, ukrainienne, ouzbèque servent actuellement la culture socialiste de ces nations tout aussi’ bien qu’elles servaient leur culture bourgeoise avant la Révolution d’octobre ? Par conséquent, ces camarades se trompent gravement en affirmant que l’existence de deux cultures différentes mène à la formation de deux langues différentes et à la négation de la nécessité d’une langue unique.

En parlant de deux cultures, Lénine partait justement de cette thèse que l’existence de deux cultures ne peut conduire à la négation d’une langue unique et à la formation de deux langues, que la langue doit être unique.

Lorsque les bundistes [5] accusèrent Lénine de nier la nécessité de la langue nationale et de regarder la culture comme étant « sans appartenance nationale », Lénine, on le sait, protesta vivement contre cette accusation et déclara qu’il combattait la culture bourgeoise et non la langue nationale dont il considérait la nécessité comme incontestable. Il est étrange de voir certains de nos camarades marcher sur les traces des bundistes.

En ce qui concerne la langue unique, dont Lénine aurait soi-disant nié la nécessité, il conviendrait d’entendre les paroles suivantes de Lénine :

« La langue est le plus important des moyens de communication entre les hommes. L’unité de la langue et le libre développement sont parmi les conditions les plus importantes d’un commerce vraiment libre, vraiment large et correspondant au capitalisme moderne, du groupement libre et large de la population dans chaque classe prise en particuliers » [6].

Il s’ensuit donc que nos honorables camarades ont déformé les opinions de Lénine.

On se réfère enfin à Staline.

On cite de Staline le passage suivant : « La bourgeoisie et ses partis nationalistes ont été et demeurent, en cette période, la principale force directrice de ces nations. » [7] Tout cela est juste. La bourgeoisie et son parti nationaliste dirigent effectivement la culture bourgeoise, de même que le prolétariat et son parti internationaliste dirigent la culture prolétarienne. Mais que vient faire ici le « caractère de classe » de la langue ?

Ces camarades ne savent-ils pas que la langue nationale est une forme de la culture nationale, que la langue nationale peut servir la culture bourgeoise comme la culture socialiste ? Est-ce que nos camarades ignoreraient la formule bien connue des marxistes, suivant laquelle les cultures actuelles russe, ukrainienne, biélorusse et autres sont socialistes par le contenu et nationales par la forme, c’est-à-dire par la langue ? Sont-ils d’accord avec cette formule marxiste ?

L’erreur de nos camarades est qu’ils ne voient pas de différence entre la culture et la langue, et ne comprennent pas que la culture change de contenu à chaque nouvelle période de développement de la société, tandis que la langue reste, pour l’essentiel, la même pendant plusieurs périodes et sert aussi bien la nouvelle culture que l’ancienne.

Ainsi :

a) La langue, comme moyen de communication, a toujours été et reste une langue unique pour la société et commune à tous ses membres ;

b) L’existence des dialectes et des jargons, loin d’infirmer, confirme l’existence d’une langue commune au peuple entier, langue dont ils constituent les rameaux et à laquelle ils sont subordonnés ;

c) La formulation « caractère de classe » de la langue relève d’une thèse erronée, non marxiste.

QUESTION : Quels sont les traits caractéristiques de la langue ?

REPONSE : La langue compte parmi les phénomènes sociaux qui agissent pendant toute la durée de l’existence de la société. Elle naît et se développe en même temps que naît et se développe la société.

Elle meurt en même temps que la société.

Pas de langue en dehors de la société.

C’est pourquoi l’on ne peut comprendre la langue et les lois de son développement que si l’on étudie la langue en relation étroite avec l’histoire de la société, avec l’histoire du peuple auquel appartient la langue étudiée et qui en est le créateur et le dépositaire.

La langue est un moyen, un instrument à l’aide duquel les hommes communiquent entre eux, échangent leurs idées et arrivent à se faire comprendre. Directement liée à la pensée, la langue enregistre et fixe, dans les mots et les combinaisons de mots formant des propositions, les résultats du travail de’ la pensée, les progrès du travail de l’homme pour étendre ses connaissances, et rend ainsi possible l’échange des idées dans la société humaine.

L’échange des idées est une nécessité constante et vitale, car, sans cela, il serait impossible d’organiser l’action commune des hommes dans la lutte contre les forces de la nature, dans la lutte pour la production des biens matériels nécessaires, sans cela, impossible de réaliser des progrès dans l’activité productrice de la société, impossible, par conséquent, qu’exista même la production sociale.

Il s’ensuit que, sans une langue intelligible pour la société et commune à ses membres, la société s’arrête de produire, se désagrège et cesse d’exister en tant que société. Dans ce sens, la langue, instrument de communication, est en même temps un instrument de lutte et de développement de la société.

Comme on sait, l’ensemble de tous les mots existant dans une langue forment ce qu’on appelle son vocabulaire. Le principal dans le vocabulaire d’une langue, c’est le fonds lexique essentiel, dont le noyau est constitué par les radicaux. Ce noyau est beaucoup moins étendu que le vocabulaire de la langue, mais il vit très longtemps, durant des siècles, et fournit à la langue une base pour la formation de mots nouveaux.

Le vocabulaire reflète l’état de la langue : plus le vocabulaire est riche et varié, plus riche et évoluée est la langue.

Cependant, le vocabulaire pris en lui-même ne constitue pas encore la langue, – il est plutôt le matériau nécessaire pour construire la langue. De même que les matériaux de construction dans le bâtiment ne sont pas l’édifice, encore qu’il soit impossible, sans eux, de bâtir l’édifice, de même le vocabulaire d’une langue ne constitue pas la langue elle-même, encore que sans lui toute langue soit impossible.

Mais le vocabulaire d’une langue prend une énorme importance quand il est mis à la disposition de la grammaire de cette langue ; la grammaire définit les règles qui président à la modification des mots. à la combinaison des mots dans le corps d’une proposition, et donne ainsi à la langue un caractère harmonieux et logique.

La grammaire (morphologie et syntaxe) est un recueil de règles sur la modification des mots et leur combinaison dans le corps d’une proposition. Par conséquent, c’est précisément grâce à la grammaire que la langue a la possibilité de revêtir la pensée humaine d’une enveloppe matérielle, linguistique.

Le trait distinctif de la grammaire est qu’elle fournit les règles de modification des mots, en considérant, non pas des mots concrets, mais des mots en général, vidés de tout caractère concret ; elle donne les règles de la formation des propositions en considérant, non pas des propositions concrètes, par exemple on sujet concret, un prédicat concret, etc., mais d’une façon générale toutes les propositions indépendamment de la forme concrète de telle ou telle proposition.

Par conséquent, faisant abstraction du particulier et du concret, aussi bien dans les mots que dans les propositions, la grammaire prend ce qu’il y a de général à la base des modifications des mots et de la combinaison des mots au sein d’une proposition, et elle en tire les règles grammaticales, les lois grammaticales. La grammaire est le résultat d’un travail prolongé d’abstraction de la pensée humaine, l’indice d’immenses progrès de la pensée.

A cet égard, la grammaire rappelle la géométrie qui énonce ses lois en faisant abstraction des objets concrets, en considérant ceux-ci comme des corps dépourvus de caractère concret et en définissant les rapports entre eux, non point comme des rapports concrets entre tels ou tels objets concrets, mais comme des rapports entre les corps en général, dépourvus de tout caractère concret.

A la différence de la superstructure qui n’est pas liée à la production directement, mais par l’intermédiaire de l’économie, la langue est directement liée à l’activité productrice de l’homme, de même qu’à toutes ses autres activités dans toutes les sphères de son travail, sans exception.

Aussi le vocabulaire d’une langue, étant le plus susceptible de changement, se trouve-t-il dans un état de transformation à peu près ininterrompue ; en même temps, à la différence de la superstructure, la langue n’a pas à attendre la liquidation de la base, elle apporte des changements à son vocabulaire avant la liquidation de la base et indépendamment de l’état de la base.

Cependant, le vocabulaire de la langue change, non pas comme la superstructure, en abolissant ce qui est ancien et en construisant du nouveau, mais en enrichissant le vocabulaire existant de mots nouveaux engendrés par les changements survenus dans le régime social, par le développement de la production, le progrès de la culture, de la science, etc.

En même temps, bien qu’un certain nombre de mots surannés disparaissent en général du vocabulaire de la langue, il s’y agrège un nombre bien plus considérable de mots nouveaux. Quant au fonds essentiel du vocabulaire, il se conserve dans ses grandes lignes, et est employé comme base du vocabulaire de la langue.

Cela se conçoit. Point n’est besoin de détruire le fonds essentiel du vocabulaire, alors qu’il peut être employé avec succès pendant plusieurs périodes historiques, sans compter que la destruction du fonds essentiel du vocabulaire accumulé pendant des siècles amènerait, vu l’impossibilité d’en constituer un nouveau à bref délai, la paralysie de la langue et la désorganisation totale des relations des hommes entre eux.

Le système grammatical de la langue change avec encore plus de lenteur que le fonds essentiel du vocabulaire.

Élabore au long de plusieurs époques et faisant corps avec la langue, le système grammatical change encore plus lentement que le fonds essentiel du vocabulaire. Bien entendu, il subit à la longue des changements, il se perfectionne, il améliore et précise ses règles, s’enrichit de règles nouvelles ; mais les bases du système grammatical subsistent pendant une très longue période, étant donné, comme le montre l’histoire, qu’elles peuvent servir avec succès la société pendant plusieurs époques.

Ainsi, le système grammatical de la langue et le fonds essentiel du vocabulaire constituent la base de la langue, l’essence de son caractère spécifique.

L’histoire atteste l’extrême stabilité et la résistance énorme de la langue à une assimilation forcée. Certains historiens, au lieu d’expliquer ce phénomène, se bornent à marquer leur étonnement. Mais il n’y a là aucun sujet d’étonnement. La stabilité de la langue s’explique par la stabilité de son système grammatical et du fonds essentiel de son vocabulaire.

Durant des siècles, les assimilateurs turcs se sont attachés à mutiler, à détruire et à anéantir les langues des peuples balkaniques. Au cours de cette période, le vocabulaire des langues balkaniques a subi de sérieuses transformations, bon nombre de mots et d’expressions turcs furent adoptés, il y eut des « convergences » et des « divergences », mais les langues balkaniques ont résisté et survécu. Pourquoi ? Parce que le système grammatical et le fonds du vocabulaire de ces langues se sont pour l’essentiel conservés.

De tout cela il ressort que la langue et sa structure ne sauraient être considérées comme le produit d’une époque quelconque. La structure de la langue, son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire sont le produit d’une suite d’époques.

Il est probable que les éléments de la langue moderne ont été créés dès la plus haute antiquité, avant l’époque de l’esclavage. C’était une langue peu complexe, avec un vocabulaire très pauvre, possédant toutefois un système grammatical à elle, primitif il est vrai, mais qui était cependant un système grammatical.

Le développement ultérieur de la production, l’apparition des classes, l’apparition de l’écriture, la naissance d’un Etat, qui avait besoin, pour son administration, d’une correspondance plus ou moins ordonnée, le développement du commerce, qui avait encore plus besoin d’une correspondance ordonnée, l’apparition de la presse à imprimer, les progrès de la littérature, tous ces faits apportèrent de grands changements dans l’évolution de la langue.

Pendant ce temps, les tribus et les nationalités se fragmentaient et se dispersaient, se mêlaient et se croisaient ; l’on vit apparaître ensuite des langues nationales et des Etats nationaux, il y eut des révolutions, les anciens régimes sociaux firent place à d’autres.

Tous ces faits apportèrent plus de changements encore dans la langue et dans son évolution.

Cependant, ce serait une grave erreur de croire que la langue s’est développée de la même manière que se développait la superstructure, c’est-à-dire en détruisant ce qui existait et en édifiant du nouveau. En réalité, la langue s’est développée, non pas en détruisant la langue existante et en en constituant une nouvelle, mais en développant et perfectionnant les éléments essentiels de la langue existante.

Et le passage d’une qualité de la langue à une autre qualité ne se faisait point par explosion, en détruisant d’un seul coup tout l’ancien et en construisant du nouveau, mais par la lente accumulation, pendant une longue période, des éléments de la nouvelle qualité, de la nouvelle structure de la langue, et par dépérissement progressif des éléments de l’ancienne qualité.

On dit que la théorie de l’évolution de la langue par stades est une théorie marxiste, car elle reconnaît la nécessité de brusques explosions comme condition du passage de la langue de l’ancienne qualité à une qualité nouvelle. C’est faux, évidemment, car il est difficile de trouver quoi que ce soit de marxiste dans cette théorie. Et si la théorie de l’évolution par stades reconnaît effectivement de brusques explosions dans l’histoire du développement de la langue, tant pis pour la théorie.

Le marxisme ne reconnaît pas les brusques explosions dans le développement de la langue, la brusque disparition de la langue existante et la brusque constitution d’une langue nouvelle. Lafargue avait tort lorsqu’il parlait de « la brusque révolution linguistique qui s’accomplit de 1789 à 1794 » en France (voir la brochure de Lafargue : La Langue française avant et après la Révolution).

A cette époque, il n’y a eu en France aucune révolution linguistique, et encore moins une brusque révolution. Bien entendu, durant cette période, le vocabulaire de la langue française s’est enrichi de mots nouveaux et d’expressions nouvelles ; des mots surannés ont disparu, le sens de certains mots a changé, mais c’est tout.

Or, de tels changements ne décident aucunement des destinées d’une langue.

Le principal dans une langue, c’est le système grammatical et le fonds essentiel du vocabulaire. Mais, loin de disparaître au cours de la révolution bourgeoise française, le système grammatical et le fonds essentiel du vocabulaire de la langue française se sont conservés sans subir de changements notables ; et pas seulement conservés, ils continuent d’exister dans la langue française actuelle.

Sans compter que, pour liquider une langue existante et constituer une nouvelle langue nationale (« brusque révolution linguistique » !), un délai de cinq à six ans est ridiculement bref, – il faut pour cela des siècles.

Le marxisme estime que le passage de la langue d’une qualité ancienne à une qualité nouvelle ne se produit pas par explosion ni par destruction de la langue existante et constitution d’une nouvelle, mais par accumulation graduelle des éléments de la nouvelle qualité, et donc par l’extinction graduelle des éléments de la qualité ancienne.

Il faut dire en général, à l’intention des camarades qui se passionnent pour les explosions, que la loi qui préside au passage de la qualité ancienne à une qualité nouvelle au moyen d’explosions n’est pas seulement inapplicable à l’histoire du développement de la langue, mais qu’on ne saurait non plus l’appliquer toujours à d’autres phénomènes sociaux qui concernent la base ou la superstructure.

Ce processus est obligatoire pour une société divisée en classes hostiles. Mais il ne l’est pas du tout pour une société qui ne comporte pas de classes hostiles.

En l’espace de huit à dix ans, nous avons réalisé, dans l’agriculture de notre pays, le passage du régime bourgeois de l’exploitation paysanne individuelle au régime socialiste, kolkhozien. Ce fut une révolution qui a liquidé l’ancien régime économique bourgeois à la campagne et créé un régime nouveau, socialiste. Cependant, cette transformation radicale ne s’est pas faite par voie d’explosion, c’est-à-dire par le renversement do pouvoir existant et la création d’un pouvoir nouveau, mais par le passage graduel de l’ancien régime bourgeois dans les campagnes à un régime nouveau. On a pu le faire parce que c’était une révolution par en haut, parce que la transformation radicale a été réalisée sur l’initiative du pouvoir existant, avec l’appui de la masse essentielle de la paysannerie.

On dit que les nombreux cas de croisement de langues qui se sont produits dans l’histoire donnent lieu de supposer que, lors du croisement, il se constitue une langue nouvelle par voie d’explosion, par le brusque passage de la qualité ancienne à une qualité nouvelle.

C’est absolument faux.

On ne saurait considérer le croisement des langues comme un acte unique, un coup décisif donnant des résultats en quelques années. Le croisement des langues est un long processus qui s’échelonne sur des siècles. Il ne saurait donc être question ici d’aucune explosion.

Poursuivons. Il serait absolument faux de croire que le croisement de deux langues, par exemple, en produit une nouvelle, une troisième, qui ne ressemble à aucune des langues croisées et se distingue qualitativement de chacune d’elles. En réalité, l’une des langues sort généralement victorieuse du croisement, conserve son système grammatical, conserve le fonds essentiel de son vocabulaire et continue d’évoluer suivant les lois internes de son développement, tandis que l’autre langue perd peu à peu sa qualité et s’éteint graduellement.

Par conséquent, le croisement ne produit pas une langue nouvelle, une troisième langue, mais conserve l’une des langues ; son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire, et lui permet donc d’évoluer suivant les lois internes de son développement.

Il est vrai qu’il se produit alors un certain enrichissement du vocabulaire de la langue victorieuse aux dépens de la langue vaincue, mais cela, loin de l’affaiblir, la fortifie.

Il en fut ainsi, par exemple, de la langue russe, avec laquelle se sont croisées, a u cours du développement historique, des langues d’autres peuples, et qui est toujours demeurée victorieuse.

Evidemment, le vocabulaire de la langue russe s’est élargi alors par assimilation du vocabulaire des autres langues, mais ce processus, loin d’affaiblir la langue russe, l’a, a u contraire, enrichie et fortifiée.

Quant à l’originalité nationale de la langue russe, elle n’a pas subi la moindre atteinte, car en conservant son système grammatical et le fonds essentiel de son vocabulaire, la langue russe a continué d’évoluer et de se perfectionner suivant les lois internes de son développement.

Il est hors de doute que la théorie du croisement ne peut rien apporter de sérieux à la linguistique soviétique. S’il est vrai que l’étude des lois internes du développement de la langue constitue la tâche principale de la linguistique, il faut reconnaître que la théorie du croisement ne peut accomplir cette tâche ; bien plus, elle ne l’envisage même pas ; tout simplement, elle ne la remarque pas, ou bien ne la comprend pas.

QUESTION : La Pravda a-t-elle eu raison d’ouvrir un débat libre sur les problèmes de linguistique ?

RÉPONSE : Oui, elle a eu raison.

C’est au terme du débat que le sens dans lequel seront résolus les problèmes de la linguistique apparaîtra clairement. Mais, dès à présent, il est permis de dire que le débat a été très utile.

Le débat a établi avant tout que dans les institutions de linguistique, au centre comme dans les Républiques, il régnait un régime incompatible avec la science et la qualité d’hommes de science.

La moindre critique de la situation dans la linguistique soviétique, même les tentatives les plus timides pour critiquer la « doctrine nouvelle » en linguistique, étaient poursuivies et étouffées par les milieux dirigeants de la linguistique.

Pour une attitude critique à l’égard de l’héritage de N. Marr, pour la moindre désapprobation de la doctrine de N. Marr, des travailleurs et chercheurs de valeur en linguistique étaient relevés de leurs postes ou rétrogradés. Des linguistes étaient appelés à des postes dirigeants, non pour leurs mérites, mais parce qu’ils acceptaient inconditionnellement la doctrine de N. Marr.

Il est universellement reconnu qu’il n’est point de science qui puisse se développer et s’épanouir sans une lutte d’opinions, sans la liberté de critique.

Mais cette règle universellement reconnue était ignorée et foulée aux pieds sans façon. Il s’est constitué un groupe restreint de dirigeants infaillibles qui, après s’être prémunis contre toute possibilité de critique, ont sombré dans le bon plaisir et l’arbitraire.

Voici un exemple : le Cours de Bakou (conférences faites dans cette ville par N. Marr), considéré comme défectueux et dont la réimpression avait été interdite par son auteur même, a été cependant, sur l’ordre de la caste des dirigeants (le camarade Mechtchaninov les appelle les « disciples » de N. Marr), réimprimé et inclus parmi les manuels recommandés aux étudiants sans réserve d’aucune sorte.

C’est dire qu’on a trompé les étudiants en leur présentant un cours reconnu défectueux pour un manuel de valeur. Si je n’étais pas convaincu de la probité du camarade Mechtchaninov et des autres spécialistes de la linguistique, je dirais qu’une pareille conduite équivaut à du sabotage.

Comment cela a-t-il pu se produire ? Cela s’est produit parce que le régime à la Araktchéev [8], institué dans la linguistique, cultive l’esprit d’irresponsabilité et favorise de tels excès.

Le débat s’est révélé fort utile avant tout parce qu’il a tiré au grand jour ce régime à la Araktchéev et l’a démoli à fond.

Mais là ne se borne pas l’utilité du débat. Il n’a pas seulement démoli l’ancien régime dans la linguistique, il a montré aussi l’incroyable confusion d’idées qui règne sur les problèmes les plus importants de la linguistique, dans les milieux dirigeants de ce domaine de la science. Jusqu’à ce que le débat fût engagé, ils se taisaient et passaient sous silence le fait que cela n’allait pas bien dans la linguistique.

Mais le débat une fois ouvert, il n’était plus possible de garder le silence, ils durent exposer leur opinion dans la presse.

Et alors ? Il s’est avéré que la doctrine de N. Marr comporte nombre de lacunes, d’erreurs, de problèmes non précisés, de thèses insuffisamment élaborées. La question se pose : pourquoi les « disciples » de N. Marr se sont-ils mis à parler seulement maintenant, après l’ouverture du débat ?

Pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt ?

Pourquoi ne l’ont-ils pas dit en temps opportun, ouvertement et en toute franchise, comme il sied à des hommes de science ?

Après avoir reconnu « certaines » erreurs de N. Marr, les « disciples » de celui-ci pensent, paraît-il, qu’on ne peut développer plus avant la linguistique soviétique que sur la base d’une version « corrigée » de la théorie de N. Marr, qu’ils considèrent comme marxiste. Eh bien non, faites-nous grâce du « marxisme » de N. Marr. Effectivement, N. Marr voulait être marxiste, et il s’y est efforcé, mais n’a su le devenir. Il n’a fait que simplifier et banaliser le marxisme, dans le genre des membres du « Proletkult » ou du R.A.P.P.

N. Marr a introduit dans la linguistique la thèse erronée, non marxiste, de la langue considérée comme une superstructure, il s’y est empêtré lui-même et y a empêtré la linguistique.

Il est impossible de développer la linguistique soviétique sur la base d’une thèse erronée.

N. Marr a introduit dans la linguistique cette autre thèse, également erronée et non marxiste, du « caractère de classe » de la langue, il s’y est empêtré et y a empêtré la linguistique.

Il est impossible de développer la linguistique soviétique sur la base d’une thèse erronée qui est en contradiction avec toute la marche de l’histoire des peuples et des langues.

N. Marr a introduit dans la linguistique un ton d’immodestie, de vantardise et d’arrogance, incompatible avec le marxisme et conduisant à nier gratuitement et à la légère tout ce qu’il y avait dans la linguistique avant N. Marc.

N. Marr dénigre tapageusement la méthode historique comparée qu’il qualifie d’ »idéaliste ». Disons que la méthode historique comparée, malgré ses défauts graves, vaut cependant mieux que l’analyse à quatre éléments, véritablement idéaliste, elle, de N. Marr [9], car la première pousse au travail, à l’étude des langues, tandis que la seconde ne pousse qu’à rester couché sur le flanc et à lire dans le marc de café le mystère de ces fameux quatre éléments.

N. Marr rejette avec hauteur toute tentative d’étudier les groupes (familles) de langues, comme une manifestation de la théorie de la « langue-mère » [10].

Or, on ne saurait nier que la parenté linguistique de nations telles que les nations slaves, par exemple, ne fait aucun doute ; que l’étude de la parenté linguistique de ces nations pourrait être d’une grande utilité quant à l’étude des lois de développement de la langue.

Sans compter que la théorie de la « langue-mère » n’a rien à voir ici.

A entendre N. Marr et surtout ses « disciples », on croirait qu’avant Marr, il n’existait aucune linguistique ; que la linguistique a commencé avec l’apparition de la « doctrine nouvelle » de N. Marr. Marx et Engels étaient bien plus modestes ; ils estimaient que leur matérialisme dialectique était le produit du développement des sciences, y compris la philosophie, durant la période antérieure.

Ainsi, le débat a été également utile en ce sens qu’il a mis à jour les lacunes idéologiques de la linguistique soviétique.

Je pense que plus tôt notre linguistique se débarrassera des erreurs de N. Marr, plus rapidement on pourra la sortir de la crise qu’elle traverse à l’heure actuelle.

Liquider le régime à la Araktchéev dans la linguistique, renoncer aux erreurs de N. Marr, introduire le marxisme dans la linguistique, telle est, à mon avis, la voie qui permettra de donner une base saine à la linguistique soviétique.

Pravda, 20 juin 1950.

A PROPOS DE QUELQUES PROBLÈMES DE LINGUISTIQUE – RÉPONSE A LA CAMARADE E. KRACHENINNIKOVA

Camarade Kracheninnikova,

Je réponds à vos questions.

1. QUESTION : Dans votre article, vous montrez de façon convaincante que la langue n’est ni une base, ni une superstructure. Serait-on en droit de considérer la langue comme un phénomène propre et à la base et à la superstructure, ou serait-il plus juste de considérer la langue comme un phénomène intermédiaire ?

REPONSE : Il est évident que l’élément commun présent dans tous les phénomènes sociaux, y compris la base et la superstructure, est également propre à la langue en tant que phénomène social, c’est-à-dire qu’elle est au service de la société comme tous les autres phénomènes sociaux, y compris la base et la superstructure.

Mais c’est à cela précisément que s’arrête l’élément commun présent dans tous les phénomènes sociaux, Ensuite, les phénomènes sociaux commencent à se différencier sérieusement.

Le fait est qu’à part cet élément commun, les phénomènes sociaux ont leurs particularités spécifiques qui les distinguent les uns des autres et qui ont pour la science une importance primordiale.

Les particularités spécifiques de la base résident dans le fait qu’elle est au service de la société du point de vue économique. Les particularités spécifiques de la superstructure résident dans le fait qu’elle met au service de la société les idées politiques, juridiques, esthétiques et autres, et crée pour la société les institutions politiques, juridiques et autres correspondantes.

En quoi consistent les particularités spécifiques de la langue qui la distinguent des autres phénomènes sociaux ?

En ceci que la langue est au service de la société en tant que moyen pour les hommes de communiquer entre eux, en tant que moyen d’échange des idées dans la société, en tant que moyen permettant aux hommes de se comprendre entre eux et de mettre au point un travail commun dans toutes les sphères de l’activité humaine, aussi bien dans le domaine de la production que dans celui des rapports économiques, dans le domaine de la politique que dans celui de la culture, dans le domaine de la vie sociale que dans celui de la vie de tons les jours.

Ces particularités ne sont propres qu’à la langue et c’est justement parce qu’elles ne sont propres qu’à la langue que la langue fait l’objet de l’étude d’une science indépendante : la linguistique. Sans ces particularités de la langue, la linguistique perdrait son droit à une existence indépendante.

En bref, on ne peut ranger la langue ni dans la catégorie des bases, ni dans celle des superstructures.

On ne peut non plus la ranger dans la catégorie des phénomènes « intermédiaires » entre la base et la superstructure, étant donné qu’il n’existe pas de phénomènes « intermédiaires » de ce genre.

Mais peut-être pourrait-on ranger la langue dans la catégorie des forces productives de la société, dans celle, disons, des instruments de production ? Il est vrai qu’entre la langue et les instruments de production, il existe une certaine analogie : les instruments de production, tout comme la langue, manifestent une espèce d’indifférence à l’égard des classes et peuvent servir de la même manière les différentes classes de la société, les anciennes comme les nouvelles.

Cette circonstance nous autorise-t-elle à ranger la langue dans la catégorie des instruments de production ?

Nullement.

Il fut un temps où, voyant que sa formule *la langue est une superstructure au-dessus de la base » rencontrait des objections, N. Marr a décidé de changer de système et a déclaré que « la langue est un instrument de production)). N. Marr avait-il raison de ranger la langue dans la catégorie des instruments de production ? Non, il avait absolument tort.

Le fait est que la similitude entre la langue et les instruments de production s’arrête à l’analogie dont je viens de parler.

Mais, par ailleurs, il existe une différence radicale entre la langue et les moyens de production.

Cette différence réside dans le fait que les instruments de production produisent des biens matériels, tandis que la langue ne produit rien du tout, ou encore ne « produit » que des mots. Pour être plus précis, les hommes qui ont des instruments de production peuvent produire des biens matériels ; cependant, les mêmes hommes ayant la langue, mais n’ayant pas d’instruments de production, ne peuvent pas produire de biens matériels.

Il n’est pas difficile de comprendre que si la langue pouvait produire des biens matériels, les bavards seraient les gens les plus riches de la terre.

2. QUESTION : Marx et Engels définissent la langue comme la « réalité immédiate de la pensée », comme la « conscience réelle… pratique ». « Les idées, dit Marx ;, n’existent pas en dehors de la langue. » Dans quelle mesure, à votre avis, la linguistique doit-elle s’occuper du sens de la langue, de la sémantique, de la sémasiologie historique et de la stylistique, ou bien la linguistique ne doit-elle avoir que la forme pour objet ?

REPONSE : La sémantique (sémasiologie) est une des parties importantes de la linguistique. L’aspect sémantique des mots et des expressions a une importance sérieuse dans l’étude de la langue.

C’est pourquoi la sémantique (sémasiologie) doit recevoir, dans la linguistique, la place qui lui convient.

Cependant, quand on étudie les questions de la sémantique et qu’on en utilise les données, il ne faut en aucun cas surestimer son importance, et encore bien moins en abuser.

J’ai en vue certains linguistes qui ont une passion exagérée pour la sémantique et négligent la langue en tant que « réalité immédiate de la pensées, indissolublement liée à la pensée, qui détachent la pensée de la langue et affirment que la langue arrive au terme de son existence, que l’on peut se passer d’elle.

Voyez ce que dit N. Marr : La langue n’existe que dans la mesure où elle s’exprime dans les sens ; l’opération de la pensée se produit aussi sans s’exprimer. Le langage (phonétique) a commencé dès aujourd’hui à transmettre ses fonctions aux inventions modernes qui triomphent sans réserve dans l’espace, tandis que la pensée, partant de ce que le langage a accumulé dans le passé sans s’en servir, et de ce qu’il a acquis récemment, marche vers les sommets, étant appelée à destituer et à remplacer complètement le langage. La langue de l’avenir, c’est la pensée grandissant dans une technique libérée de la matière naturelle. Aucun langage ne pourra lui résister, même le langage phonétique, cependant lié aux règles de la nature (Cf. N. Marr : Œuvres choisies).

Si l’on traduit en langage simple ce grimoire « magique », on peut conclure que :

a) N. Marr détache la pensée de la langue ;

b) N. Marr estime que les hommes peuvent communiquer entre eux sans l’usage de la langue, à l’aide de la pensée même, libérée de la « matière naturelle », libérée des « règles de la nature » ;

c) En détachant la pensée du langage et en la « libérant » de sa « matière naturelle », le langage, N. Marr tombe dans le marais de l’idéalisme.

On dit que les pensées viennent à l’esprit de l’homme avant de s’exprimer dans le discours, qu’elles naissent sans le matériau de la langue, sans l’enveloppe de la langue, nues pour ainsi dire.

Mais c’est absolument faux.

Quelles que soient les pensées qui viennent à l’esprit de l’homme et quel que soit le moment où ces pensées apparaissent, elles ne peuvent naître et exister que sur la base du matériau de la langue, que sur la base des termes et des phrases de la langue.

Il n’y a pas de pensées nues, libérées des matériaux du langage, libérées de la ((matière naturelle » qu’est le langage. « La langue est la réalité immédiate de la pensée » (Marx). La réalité de la pensée se manifeste dans la langue. Seuls des idéalistes peuvent parler d’une pensée détachée de la « matière naturelle », le langage, d’une pensée sans langage.

En bref, parce qu’il a surestimé la sémantique et en a fait abus, N. Marr en est arrivé à l’idéalisme.

Par conséquent, si l’on préserve la sémantique (sémasiologie) des exagérations et des abus du genre de ceux que commettent N. Marr et certains de ses « disciples », elle peut être d’un grand profit pour la linguistique.

3. QUESTION : Vous dites, avec pleine raison, que les idées, les notions, les mœurs et les principes moraux du bourgeois et du prolétaire sont directement opposés. Le caractère de classe de ces phénomènes s’est incontestablement reflété dans l’aspect sémantique de la langue (et parfois aussi dans sa morphologie, dans son vocabulaire, ainsi que cela est justement indiqué dans votre article).

Quand on analyse un matériau linguistique concret et, en premier lieu, l’aspect sémantique d’une langue, peut-on parler de l’essence de classe des conceptions qu’elle exprime, principalement quand il s’agit de l’expression par la langue, non seulement de la pensée de l’homme, mais aussi de son attitude à l’égard de la réalité, attitude où son appartenance de classe se manifeste avec une netteté particulière ?

REPONSE : En bref, vous voulez savoir si les classes influent sur la langue, si elles apportent dans la langue leurs mots et expressions spécifiques, s’il est des cas où les hommes donnent à un seul et même mot, à une seule et même expression une signification différente selon leur appartenance de classe.

Oui, les classes influent sur la langue, apportent dans la langue leurs mots et expressions spécifiques et comprennent parfois différemment un seul et même mot, une seule et même expression. Cela ne fait pas de doute.

Cependant, il ne s’ensuit pas que les mots et expressions spécifiques, de même que les différences dans la sémantique, puissent avoir une importance sérieuse pour le développement d’une langue unique, commune à tout le peuple, qu’ils soient capables d’affaiblir son importance ou de modifier son caractère.

Premièrement, il y a, dans une langue, si peu de ces mots et expressions spécifiques, si peu de ces cas de différences sémantiques qu’ils constituent à peine un pour cent de tout le matériau de la langue. Par conséquent, toute la grande masse des mots et expressions restants. ainsi que leur sémantique, sont communs à toutes les classes de la société.

Deuxièmement, les mots et expressions spécifiques qui ont une nuance de classe ne sont pas utilisés dans le discours selon les règles de je ne sais quelle grammaire « de classe », qui n’existe pas dans la réalité, mais d’après les règles de la grammaire de la langue existante, commune à tout le peuple.

Donc, l’existence de mots et d’expressions spécifiques, ainsi que de différences dans la sémantique d’une langue, n’infirme pas, mais confirme, au contraire, l’existence et la nécessité d’une langue unique, commune à tout le peuple.

4. QUESTION : Dans votre article, vous donnez une appréciation tout à fait juste de Marr, comme quelqu’un qui a banalisé le marxisme. Cela veut-il dire que les linguistes, et parmi eux nous, les jeunes, nous devions rejeter tout l’héritage linguistique de Marr dans lequel il y a cependant une série de recherches linguistiques de valeur (dont ont parlé les camarades Tchikobava, Sanjéïev et d’autres au cours du débat) ? Pouvons-nous, en ayant une attitude critique à l’égard de Marr, prendre cependant chez lui ce qu’il y a d’utile et ce qui a de la valeur ?

REPONSE : Evidemment, les oeuvres de N. Marr ne contiennent pas que des erreurs. N. Marr a commis des erreurs grossières quand il introduit dans la linguistique des éléments du marxisme en les déformant, quand il a essayé de créer une théorie indépendante de la langue.

Mais il y a chez N. Marr quelques bons ouvrages, écrits avec talent, où, oubliant ses prétentions théoriques, il étudie consciencieusement et avec habileté, il faut le dire, certaines langues.

Dans ces ouvrages-là, on peut trouver un assez grand nombre de choses de valeur et instructives. Il est clair qu’il faut prendre ces choses chez N. Marr et les utiliser.

5. QUESTION : Beaucoup de linguistes considèrent que le formalisme est une des principales causes de la stagnation dans la linguistique soviétique.

Je voudrais bien savoir en quoi, à votre avis, consiste le formalisme en linguistique et comment le vaincre ?

REPONSE : N. Marr et ses « disciples » taxent de « formalisme » tous les linguistes qui ne partagent pas la « doctrine nouvelle » de N. Marr. Evidemment, ce n’est pas sérieux et ce n’est pas raisonnable.

N. Marr estimait que la grammaire était une « chose de pure forme » et que les gens qui considéraient la structure grammaticale comme la base de la langue étaient des formalistes.

C’est pure sottise.

Je crois que le « formalisme » a été inventé par les auteurs de la « doctrine nouvelle » pour faciliter leur lutte contre leurs adversaires en linguistique.

La cause de la stagnation dans la linguistique soviétique, ce n’est pas le « formalisme » inventé par N. Marr et ses « disciples », mais le régime à la Araktchéev et les lacunes théoriques en linguistique. Ce sont les « disciples » de N. Marr qui ont instauré le régime à la Araktchéev.

La confusion théorique a été apportée dans la linguistique par N. Marr et ses plus proches compagnons d’armes. Pour qu’il n’y ait plus de stagnation, il faut faire disparaître l’un et l’autre : La disparition de ces plaies assainira la linguistique soviétique, lui ouvrira de larges perspectives et lui permettra de prendre la première place dans la linguistique mondiale.

29 juin 1950.

Pravda, 4 juillet 1950.

RÉPONSE AUX CAMARADES

AU CAMARADE SANJEIEV

Estimé Camarade Sanjéïev,

Je réponds à votre lettre avec un grand retard, car c’est seulement hier qu’elle m’a été transmise par les services du Comité central.

L’interprétation que vous donnez de ma position dans la question des dialectes est incontestablement juste.

Les dialectes « de classe », qu’il serait plus exact d’appeler des jargons, servent non pas les masses populaires. mais une mince couche au sommet de la hiérarchie sociale. De plus, ils n’ont ni système grammatical, ni fonds essentiel de vocabulaire propres. De ce fait, ils ne peuvent aucunement se transformer en langues indépendantes.

Les dialectes locaux (*régionaux »), au contraire, servent les masses populaires et ont leur système grammatical et leur fonds essentiel de vocabulaire. C’est pourquoi certains dialectes locaux, dans le processus de formation des nations, peuvent devenir la base des langues nationales et se transformer en langues nationales indépendantes.

C’est ce qui est arrivé, par exemple, avec le dialecte de Koursk-Orel (« parler » de Koursk-Orel) de la langue russe qui a constitué la base de la langue nationale russe.

On doit en dire autant du dialecte de Poltava-Kiev de la langue ukrainienne qui est devenu la base de la langue nationale ukrainienne. En ce qui concerne les autres dialectes de ces langues, ils perdent leur originalité, se fondent dans ces langues et disparaissent en elles.

Des processus inverses peuvent se produire, quand la langue unique d’un peuple, qui n’est pas encore devenu une nation à cause de l’absence des conditions économiques nécessaires à son développement, meurt par suite de la désagrégation de ce peuple en tant qu’Etat, et quand les dialectes locaux, qui n’ont pas encore eu le temps de se brasser en une langue unique, revivent et sont à l’origine de la formation de langues indépendantes.

Il se peut qu’il en ait été justement ainsi, par exemple, avec la langue mongole unique.

11 juillet 1950.

Pravda, 2 août 1950.

AUX CAMARADES D. BELKINE ET S. FOURER

J’ai reçu vos lettres.

Votre erreur est d’avoir confondu deux choses différentes et substitué à l’objet examiné dans ma réponse à la camarade Kracheninnikova un autre objet.

1. Dans cette réponse, je critique N. Marr qui, parlant du langage (phonétique) et de la pensée, détache la langue de la pensée et tombe ainsi dans l’idéalisme. Il s’agit donc, dans ma réponse, de gens normaux jouissant de la faculté de parler. J’affirme que chez de telles gens les pensées ne peuvent surgir que sur la base du matériau de la langue, que des pensées dénudées, sans liaison avec le matériau de la langue, n’existent pas chez eux.

Au lieu d’adopter ou de rejeter cette thèse, vous introduisez des gens présentant des anomalies, des gens incapables de parler, des sourds-muets qui ne jouissent pas de la faculté de parler et dont les pensées, évidemment, ne peuvent surgir sur la base du matériau de la langue. Comme vous voyez, c’est un tout autre sujet, que je n’ai pas abordé et que je ne pouvais pas aborder, car la linguistique s’occupe de gens normaux, capables de parler, et non de gens présentant des anomalies, de sourds-muets, qui ne peuvent parler.

Vous avez substitué au thème discuté un autre thème qui n’a pas été mis en discussion.

Il ressort de la lettre du camarade Belkine qu’il met sur un même plan le « langage parlé » (langage phonétique) et le « langage des gestes » (langage « des mains », d’après N. Marr).

Il pense visiblement que le langage des gestes et le langage parlé sont équivalents, qu’il fut une époque où la société humaine n’avait pas de langage parlé, que le langage « des mains » remplaçait alors le langage parlé venu plus tard.

Mais si le camarade Belkine pense véritablement ainsi, il commet une grave erreur.

Le langage phonétique ou langage parlé a toujours été l’unique langage de la société humaine capable d’être un moyen pleinement valable de communication entre les hommes.

L’histoire ne connaît aucune société humaine, aussi arriérée soit-elle, qui ne possède son langage phonétique. L’ethnographie ne connaît aucun petit peuple arriéré – fut-il aussi ou encore plus primitif que, par exemple, les Australiens ou les habitants de la Terre de Feu au siècle dernier – qui ne possède son langage phonétique.

Le langage phonétique est, dans l’histoire de l’humanité, une des forces qui ont aidé les hommes à se distinguer du monde animal, à se rassembler en sociétés, à développer leur faculté de penser, à organiser la production sociale, à mener avec succès la lutte contre les forces de la nature et à arriver au progrès que nous connaissons aujourd’hui.

Sous ce rapport, l’importance du langage dit des gestes est insignifiante, du fait de son extrême pauvreté et de son caractère limité.

A proprement parler, ce n’est pas un langage, ce n’est même pas un ersatz de langage pouvant, d’une façon ou d’une autre, remplacer le langage phonétique, mais un moyen auxiliaire, aux possibilités très limitées, dont use parfois l’homme pour souligner tel ou tel moment de son discours. On ne peut pas plus comparer le langage des gestes au langage phonétique qu’on ne peut comparer la houe de bois primitive au tracteur moderne à chenilles avec sa charrue à cinq socs ou son semoir tracté.

3. Ainsi, vous vous intéressez d’abord aux sourds-muets et ensuite seulement aux problèmes de la linguistique. Il est clair que c’est cette circonstance même qui vous a conduits à me poser une série de questions. Eh bien, si vous insistez, je suis prêt à satisfaire à votre demande. Alors, comment la chose se présente-t-elle avec les sourds-muets ?

Possèdent-ils la faculté de penser ?

Ont-ils des pensées ?

Oui, ils possèdent la faculté de penser, ils ont des pensées.

Il est clair que, puisque les sourds-muets sont incapables de parler, leurs pensées ne peuvent se former sur la base du matériau de la langue. Cela veut-il dire que les pensées des sourds-muets sont dénudées, sans lien avec les « règles de la nature » (l’expression est de N. Marr) ?

Non, les pensées des sourds-muets ne se forment et ne peuvent exister que sur la base des images, des perceptions, des représentations qui surgissent chez eux dans la vie courante à propos des objets du monde extérieur et des rapports de ces objets entre eux grâce aux sens de la vue, du toucher, du goût et de l’odorat.

En dehors de ces images, perceptions, représentations, la pensée est vide, elle est dépourvue de tout contenu, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas.

22 juillet 1950.

Pravda, 2 août 1950

AU CAMARADE A. KHOLOPOV

J’ai reçu votre lettre.

J’ai tardé un peu à répondre parce que j’ai été surchargé de travail.

Votre lettre procède implicitement de deux suppositions : de la supposition qu’il est permis d’extraire une citation des ouvrages de tel ou tel auteur en la détachant de la période historique traitée dans la citation, et, deuxièmement, de la supposition que telles ou telles conclusions et formules du marxisme tirées de l’étude d’une des périodes du développement historique sont justes pour toutes les périodes du développement et doivent, par conséquent, rester immuables.

Je dois dire que ces deux suppositions sont profondément erronées.

Je veux en donner quelques exemples.

1. Dans les années 40 du siècle dernier, lorsqu’il n’y avait pas encore de capitalisme monopoliste, lorsque le capitalisme se développait d’une façon plus ou moins régulière, en suivant une ligne ascendante et en s’étendant à de nouveaux territoires encore inoccupés par lui, et lorsque la loi sur le développement inégal ne pouvait encore se manifester avec pleine vigueur, Marx et Engels sont arrivés à la conclusion que la révolution socialiste ne pouvait triompher dans un pays quelconque pris à part, qu’elle ne pouvait être victorieuse qu’à la suite d’un assaut général déclenché dans tous les pays civilisés ou dans la plupart d’entre eux.

Cette conclusion est devenue ensuite un principe directeur pour tous les marxistes.

Cependant, au début du XX° siècle, surtout dans la période de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il est devenu clair pour tous que le capitalisme prémonopoliste s’était manifestement transformé en capitalisme monopoliste, lorsque le capitalisme ascendant se fut transformé en capitalisme agonisant, lorsque la guerre eut mis à nu les faiblesses incurables du front impérialiste mondial et lorsque la loi du développement inégal eut prédéterminé la révolution prolétarienne à mûrir à des époques différentes dans les différents pays, Lénine, partant de la théorie marxiste, est arrivé à la conclusion que, dans les conditions nouvelles du développement, la révolution socialiste pouvait très bien être victorieuse dans un seul pays pris séparément, que la victoire simultanée de la révolution socialiste dans tous les pays ou dans la plupart des pays civilisés était impossible par suite du mûrissement inégal de la révolution dans ces pays, que la vieille formule de Marx et d’Engels ne correspondait plus aux nouvelles conditions historiques.

Comme on le voit, nous avons ici deux conclusions différentes sur la question de la victoire du socialisme, conclusions qui non seulement se contredisent, mais encore s’excluent mutuellement.

Des clercs et des talmudistes, qui, sans aller au fond des choses, font mécaniquement des citations en les détachant des conditions historiques, peuvent dire que l’une de ces conclusions doit être rejetée comme absolument erronée et que l’autre doit être étendue, comme absolument juste, à toutes les périodes du développement.

Mais les marxistes ne peuvent pas ne pas savoir que les clercs et les talmudistes se trompent, ils ne peuvent pas ne pas savoir que ces deux conclusions sont justes, mais non pas de façon absolue, que chacune d’elles est juste pour son temps : la conclusion de Marx et d’Engels pour la période du capitalisme prémonopoliste, et la conclusion de Lénine pour la période du capitalisme monopoliste.

2. Engels a dit dans son Anti-Dühring qu’après la victoire de la révolution socialiste, l’Etat doit dépérir. C’est pour cette raison qu’après la victoire de la révolution socialiste dans notre pays, les clercs et les talmudistes dans notre Parti ont commencé à exiger que le Parti prenne des mesures pour faire dépérir au plus vite notre Etat, pour dissoudre les organismes d’Etat et renoncer à une armée permanente.

Cependant, sur la base de l’étude de la situation mondiale de notre époque, les marxistes soviétiques sont arrivés à la conclusion qu’étant donné l’encerclement capitaliste, alors que la victoire de la révolution socialiste n’a eu lieu que dans un seul pays et que le capitalisme domine dans tous les autres, le pays de la révolution victorieuse doit non pas affaiblir, mais consolider par tous les moyens son Etat, les organismes d’Etat, les services de renseignements, l’armée, si ce pays ne veut pas être écrasé par l’encerclement capitaliste.

Les marxistes russes sont arrivés à la conclusion que la formule d’Engels a en vue la victoire du socialisme dans tous les pays ou dans la plupart des pays, qu’elle est inapplicable dans le cas où le socialisme triomphe dans un seul pays pris séparément, alors que le capitalisme domine dans tous les autres pays.

Comme on le voit, nous avons ici deux formules différentes, qui s’excluent mutuellement, en ce qui concerne les destinées de l’Etat socialiste.

Les clercs et les talmudistes peuvent dire que cette circonstance crée une situation intolérable, qu’il faut rejeter l’une des formules comme absolument erronée et étendre l’autre, comme absolument juste, à toutes les périodes du développement de l’Etat socialiste.

Mais les marxistes ne peuvent pas ne pas savoir que les clercs et les talmudistes se trompent, car ces deux formules sont justes, mais non pas de façon absolue, chacune d’elles est juste pour son époque : la formule des marxistes soviétiques pour la période de la victoire du socialisme dans un ou plusieurs pays, et la formule d’Engels pour la période où la victoire successive du socialisme dans des pays isolés conduira à la victoire du socialisme dans la plupart des pays et où seront créées ainsi les conditions nécessaires à l’application de la formule d’Engels.

On pourrait multiplier de tels exemples.

Il faut dire la même chose des deux formules différentes à propos du problème de la langue, extraites d’ouvrages différents de Staline et citées par le camarade Kholopov dans sa lettre.

Le camarade Kholopov se réfère à l’ouvrage de Staline A propos du marxisme en linguistique, où se trouve la conclusion qu’à la suite du croisement de deux langues, par exemple, l’une d’elles est généralement victorieuse et l’autre dépérit, et que, par conséquent, le croisement ne donne pas une nouvelle langue, une troisième langue, mais conserve l’une des langues.

Il se réfère ensuite à une autre conclusion tirée du rapport de Staline au XVI° Congrès du Parti communiste (b.) de l’U.R.S.S. où il est dit que dans la période de la victoire du socialisme à l’échelle mondiale, lorsque le socialisme se consolidera et entrera dans la vie courante, les langues nationales doivent inévitablement fusionner en une langue commune qui ne sera certainement ni le russe, ni l’allemand, mais quelque chose de nouveau. En confrontant ces deux formules et en voyant que non seulement elles ne coïncident pas, mais s’excluent l’une l’autre, le camarade Kholopov est pris de désespoir. « D’après votre article, écrit-il dans sa lettre, j’ai compris qu’à la suite du croisement des langues, il ne peut jamais se former une nouvelle langue, tandis qu’avant cet article j’étais fermement convaincu, conformément à votre intervention au XVI° Congrès du Parti communiste (b.) de l’U.R.S.S., que sous le communisme les langues se fondraient en une seule langue commune. »

Visiblement, le camarade Kholopov, après avoir découvert une contradiction entre ces deux formules, profondément convaincu que cette contradiction doit être liquidée, estime nécessaire de rejeter l’une des formules comme erronée et de se cramponner à l’autre formule comme juste pour tous les temps et pour tous les pays.

Mais à quelle formule se cramponner, il ne sait trop. Il en résulte une sorte de situation sans issue. Le camarade Kholopov n’a même pas l’idée que les deux formules peuvent être justes, chacune pour son époque.

Cela arrive toujours avec les clercs et les talmudistes qui, sans aller au fond des choses, citant de façon mécanique, sans égard aux conditions historiques auxquelles se rapportent les citations, tombent toujours dans une situation sans issue.

Et cependant, si l’on examine le fond de la question, il n’y a aucune raison de considérer la situation comme étant sans issue. Le fait est que l’opuscule de Staline : A propos du marxisme en linguistique et l’intervention de Staline au XVI° Congrès du Parti ont en vue deux époques tout à fait différentes et que, par conséquent, il s’ensuit des formules différentes.

La formule donnée par Staline dans son opuscule, là où il est question du croisement des langues, a en vue l’époque antérieure à la victoire du socialisme à l’échelle mondiale, lorsque les classes exploiteuses sont la force dominante dans le monde, que l’oppression nationale et coloniale demeure très forte, que l’isolement national et la méfiance mutuelle des nations sont consacrés par les différences d’ordre étatique, lorsqu’il n’y a pas encore d’égalité en droits des nations, que le croisement des langues s’effectue au cours d’une lutte pour la domination de l’une des langues, qu’il n’existe pas encore les conditions nécessaires à la collaboration pacifique et amicale des nations et des langues, lorsque ce ne sont pas la collaboration et l’enrichissement mutuel des langues qui sont à l’ordre du jour, mais l’assimilation de certaines langues et la victoire des autres.

On comprend que dans ces conditions il ne peut y avoir que des langues victorieuses et des langues vaincues.

La formule de Staline a précisément en vue ces conditions lorsqu’elle dit que le croisement de deux langues, par exemple, n’aboutit pas à la formation d’une nouvelle langue, mais à la victoire d’une des langues et à la défaite de l’autre.

Quant à l’autre formule de Staline, tirée de son intervention au XVI° Congrès du Parti, là où il est question de la fusion des langues en une seule langue commune, elle a en vue une autre époque et, précisément, l’époque postérieure à ta victoire du socialisme à l’échelle mondiale, lorsque l’impérialisme mondial n’existera plus, que les classes exploiteuses seront renversées, l’oppression nationale et coloniale liquidée, l’isolement national et la méfiance mutuelle des nations remplacés par la confiance mutuelle et le rapprochement des nations, l’égalité en droits des nations traduite dans la vie, lorsque la politique d’oppression et d’assimilation des langues sera liquidée, lorsque sera organisée la collaboration des nations et que les langues nationales auront la possibilité, dans leur collaboration, de s’enrichir mutuellement en toute liberté.

On comprend que dans ces conditions il ne pourra être question de l’oppression et de la défaite de certaines langues et de la victoire d’autres langues.

Nous n’aurons pas ici affaire à deux langues dont l’une subira une défaite tandis que l’autre sortira victorieuse de la lutte, mais à des centaines de langues nationales desquelles, par suite d’une longue collaboration économique, politique et culturelle des nations, se détacheront d’abord les langues zonales uniques les plus enrichies, ensuite les langues zonales fusionneront en une seule langue internationale commune, qui ne sera naturellement ni l’allemand, ni le russe, ni l’anglais, mais une langue nouvelle qui aura absorbé les meilleurs éléments des langues nationales et zonales.

Par conséquent, ces deux formules différentes correspondent à deux époques différentes du développement de la société et, précisément parce qu’elles leur correspondent, les deux formules sont justes, chacune pour son époque.

Exiger que ces formules ne se contredisent pas et ne s’excluent pas est aussi absurde que d’exiger que l’époque de la domination du capitalisme ne soit pas en contradiction avec l’époque de la domination du socialisme, que le socialisme et le capitalisme ne s’excluent pas.

Les clercs et les talmudistes considèrent le marxisme, les différentes conclusions et formules du marxisme comme un assemblage de dogmes qui ne changent « jamais » même lorsque changent les conditions du développement de la société.

Ils pensent que s’ils apprennent par cœur ces conclusions et ces formules et se mettent à les citer à tort et à travers, ils seront en mesure de résoudre n’importe quelle question, escomptant que les conclusions et les formules apprises leur serviront pour tous les temps et pour tous les pays, pour toutes les circonstances de la vie.

Or, seuls peuvent penser ainsi les gens qui ne voient du marxisme que la lettre, mais n’en voient pas l’essence, qui apprennent par coeur les textes des conclusions et des formules du marxisme, mais n’en comprennent pas le contenu.

Le marxisme est la science des lois du développement de la nature et de la société, la science de la révolution des masses opprimées et exploitées, la science de la victoire du socialisme dans tous les pays, la science de l’édification de la société communiste.

Le marxisme en tant que science ne peut rester stationnaire : il se développe et se perfectionne.

Dans son développement, le marxisme ne peut manquer de s’enrichir d’expériences nouvelles et de connaissances nouvelles ; par conséquent, certaines de ses formules et de ses conclusions ne peuvent manquer de changer avec le temps, ne peuvent manquer d’être remplacées par des formules et des conclusions nouvelles qui correspondent aux nouvelles tâches historiques.

Le marxisme n’admet pas de conclusions et de formules immuables, obligatoires pour toutes les époques et toutes les périodes. Le marxisme est l’ennemi de tout dogmatisme.

28 juillet 1950.

Pravda, 2 août 1950.

NOTES

[1] Oeuvres complètes de K. Marx et F. Engels, tome 3.

[2] Ibidem , tome 3.

[3] Ibidem , tome 2.

[4] Paul Lafargue (1842-1911), militant bien connu du mouvement ouvrier français et du mouvement ouvrier international, éminent propagandiste et publiciste marxiste. Il fut un des fondateurs du Parti ouvrier français, disciple et compagnon d’armes de Man et d’Engels, et époux de La fille de Marx, Laura.

[5] Bundistes, membres du Bund, c’est-à-dire de l’Union générale des Ouvriers juifs de Lituanie. de Pologne et de Russie. Le Bund était une organisation opportuniste petite-bourgeoise juive fondée à un congrès tenu à Vilna en octobre 1897 ; il menait ses activités principalement parmi Les artisans juifs. Au 1er Congrès du P.O.S.D.R. (1898), il adhéra au Parti « en qualité d’organisation autonome dom la compétence propre se Limite aux questions concernant exclusivement le prolétariat juif. » Cependant, après son adhésion au Parti. il propagea le nationalisme et le séparatisme au sein du mouvement ouvrier russe. Sa position relevant du nationalisme bourgeois fut sévèrement critiquée par l’Iskra, journal fondé par Lénine.

[6] V. I. Lénine : « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes », Oeuvres, tome 20.

[7] J. Staline : « La Question nationale et le léninisme », Oeuvres, tome II

[8] Le régime à la Araktchéev, régime auquel le nom du politicien réactionnaire, le comte Alexis Araktchéev, reste attaché, était une dictature policière sans frein instaurée en Russie dans le premier quart du XIX° siècle, dictature sous laquelle l’arbitraire militariste et la violence sévissaient. Staline fait allusion ici à la domination absolue de Marr dans les milieux linguistiques soviétiques.

[9] A l’origine de toutes les langues, N. Marr prétendait retrouver quatre éléments primitifs, les quatre sons suivants (transcrits en lettres latines) : sal-ber-roch-ion.

[10] La théorie de la « langue-mère » – la doctrine de l’école indo-européenne, qui soutient qu’une famille de langues consiste en un groupe de patois (dialectes), provenant de la division d’une langue-mère primitive commune.

Par exemple, l’italien, le français, l’espagnol, le portugais et le roumain modernes sont des langues soeurs dérivées du latin, et n’étaient à l’origine que des parois différents. Toutefois, comme il n’existe pas de documents pour prouver l’existence d’une langue-mère pour la plupart des dialectes ou langues modernes, les savants de l’école indo-européenne ont élaboré une langue-mère hypothétique, principalement pour des commodités d’explication des règles des changements phonétiques, mais rien ne prouve jusqu’à quel point tout cela est vrai.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Entretien avec H.-G. Wells

« Bolchevik », n° 17, 23 juillet 1934

Journaliste et romancier anglais, H.-G. Wells est plus connu aujourd’hui comme auteur de romans d’anticipation que comme penseur politique. Sa grande idée, de 1926 à sa mort (1946) fut l’instauration d’une république du monde.

Wells. − Je vous suis très reconnaissant, monsieur Staline, d’avoir bien voulu me recevoir. Il n’y a pas longtemps je suis allé aux États-Unis, j’ai eu un entretien prolongé avec le président Roosevelt et j’ai essayé de savoir en quoi consistait ses idées directrices.

Maintenant je suis venu vous voir afin de vous questionner sur ce que vous faites pour changer le monde.

Staline. − Ma foi, pas tant que ça…

Wells. − J’erre parfois à travers le monde et, comme un homme ordinaire, je regarde ce qui se passe autour de moi.

Staline. − Les personnalités éminentes comme vous ne sont pas des « hommes ordinaires ». Évidemment, l’histoire seule pourra montrer combien fut importante telle ou telle personnalité éminente, mais, en tout cas, vous ne regardez pas le monde en « homme ordinaire ».

Wells. − Je n’ai point l’intention de jouer au modeste. Je veux dire que je cherche à voir le monde avec les yeux d’un homme ordinaire, et non pas avec ceux d’un homme politique de parti ou d’un homme d’État responsable.

Mon voyage aux États-Unis a produit sur moi une impression saisissante. Le vieux monde de la finance croule, la vie économique du pays se reconstruit sur un mode nouveau. En son temps Lénine a dit qu’il fallait « apprendre à faire le commerce », qu’il fallait l’apprendre chez les capitalistes.

Aujourd’hui les capitalistes doivent apprendre chez vous, saisir l’esprit du socialisme. Il me semble qu’aux États-Unis il s’agit d’une profonde réorganisation, de la création d’une économie planifiée, c’est-à-dire socialiste. Vous et Roosevelt partez de deux points de vue différents. Mais n’y a-t-il pas une liaison d’idées, une parenté d’idées entre Washington et Moscou ?

Par exemple, ce qui m’a sauté aux yeux à Washington, c’est ce qui se passe ici également : extension de l’appareil de direction, création d’une série de nouveaux organismes régulateurs d’État, organisation d’un service public universel. Et de même que dans votre pays, il leur manque du savoir-faire dans la direction.

Staline. − Les États-Unis ont un autre but que nous, en URSS. Le but que poursuivent les Américains a surgi sur le terrain du désarroi économique, de la crise économique.

Les Américains veulent se défaire de la crise sur la base de l’activité capitaliste privée, sans changer la base économique. Ils s’efforcent de réduire au minimum le délabrement, le préjudice causé par le système économique existant.

Chez nous, au contraire, comme vous le savez, à la place de la vieille base économique détruite, il en a été créé une tout autre, une nouvelle base économique.

Si même les Américains dont vous parlez touchent partiellement à leur but, c’est-à-dire s’ils réduisent au minimum ce préjudice, même dans ce cas-là ils ne détruiront pas les racines de l’anarchie qui est propre au système capitaliste existant. Ils conservent le régime économique qui doit forcément amener, qui ne peut pas ne pas mener à l’anarchie dans la production.

De cette façon, dans le meilleur des cas, il s’agira non pas de la reconstruction de la société, non pas de l’abolition de l’ancien régime social, engendrant l’anarchie et les crises, mais de la limitation de certains de ses côtés négatifs, de la limitation de certains de ses excès.

Subjectivement, peut-être ces Américains aussi croient-ils reconstruire la société, mais objectivement, la base actuelle de la société demeure chez eux. C’est pourquoi, objectivement, il n’en résultera aucune reconstruction de la société.

Il n’y aura point non plus d’économie planifiée. Car qu’est-ce que l’économie planifiée ? Quels sont certains de ses indices ? L’économie planifiée vise à supprimer le chômage.

Admettons que l’on réussisse, en conservant le régime capitaliste, à réduire le chômage à un certain minimum. Pourtant aucun capitaliste ne consentira jamais, et pour rien au monde, à la liquidation complète du chômage, à la suppression de l’armée de réserve constituée par les chômeurs et dont le rôle est de peser sur le marché du travail, d’assurer une main-d’œuvre à meilleur marché.

Vous voyez là une première faille à l’ « économie planifiée » de la société bourgeoise. L’économie planifiée suppose ensuite que la production s’intensifie dans les branches de l’industrie dont les produits sont particulièrement nécessaires aux masses populaires.

Or vous savez que l’extension de la production, en régime capitaliste, a lieu pour des motifs tout à fait autres, que le capital se précipite vers les branches de l’économie où le taux de profit est plus élevé. Jamais vous n’obligerez un capitaliste à se faire tort lui-même et à accepter un taux de profit moindre, pour satisfaire aux besoins du peuple.

Sans vous être affranchi des capitalistes, sans vous être défait du principe de la propriété privée des moyens de production, vous ne créerez pas d’économie planifiée.

Wells. − Je suis d’accord avec vous sur de nombreux points.

Mais je voudrais souligner que si le pays, dans son ensemble, accepte le principe de l’économie planifiée, si le gouvernement, peu à peu, pas à pas, commence à appliquer de façon conséquente ce principe, l’oligarchie financière sera en fin de compte abolie, et le socialisme, tel qu’on le conçoit dans le monde anglo-saxon, s’instituera.

Les mots d’ordre de Roosevelt relatifs à l’ « ordre nouveau » ont un effet prodigieux et, à mon avis, sont des mots d’ordre socialistes. Il me semble qu’au lieu de souligner l’antagonisme entre les deux mondes, il faudrait, dans la situation actuelle, chercher à établir une communauté de langage entre toutes les forces constructrices.

Staline. − Quand je parle de l’impossibilité de réaliser les principes de l’économie planifiée en conservant la base économique du capitalisme, je ne veux, ce faisant, diminuer en aucune mesure les éminentes qualités personnelles de Roosevelt, son initiative, son courage, sa résolution.

Sans aucun doute, de tous les capitaines du monde capitaliste moderne Roosevelt est la plus forte figure.

C’est pourquoi je voudrais souligner encore une fois que ma conviction de l’impossibilité d’une économie planifiée, dans les conditions du capitalisme, ne signifie pas du tout que je doute des capacités personnelles, du talent et du courage du président Roosevelt.

Mais le capitaine le plus talentueux, si la situation ne lui est pas favorable, ne pourra atteindre le but dont vous parlez.

En théorie, évidemment, il n’est pas exclu que l’on puisse, dans les conditions du capitalisme, peu à peu, pas à pas, marcher au but que vous appelez le socialisme dans l’acception anglo-saxonne de ce mot. Mais que signifiera ce « socialisme » ?

Dans le meilleur des cas, un certain refrènement pour les représentants les plus effrénés du profit capitaliste, un certain renforcement du principe régulateur dans l’économie nationale. Tout cela est bien.

Mais, dès que Roosevelt ou quelque autre capitaine du monde bourgeois moderne voudra entreprendre quelque chose de sérieux contre les fondements du capitalisme, il essuiera inévitablement un échec complet. Car les banques ne sont pas à Roosevelt, car l’industrie n’est pas à lui, car les grandes entreprises, les grandes exploitations agricoles ne sont pas à lui.

Car tout cela est propriété privée. Et aussi les chemins de fer, et la marine marchande, tout cela est entre les mains des propriétaires privés.

Enfin, l’armée du travail qualifié, les ingénieurs, les techniciens, eux aussi, ne dépendent pas de Roosevelt, mais d’intérêts privés ; ils travaillent pour eux. Il ne faut pas oublier les fonctions de l’État du pays, de l’organisation de la défense dans le monde bourgeois.

C’est l’institution de l’organisation de la défense de l’ « ordre », un appareil pour la perception des impôts. Quant à l’économie proprement dite, elle concerne peu l’État capitaliste, elle n’est pas entre ses mains. Au contraire, c’est l’État qui se trouve entre les mains de l’économie capitaliste.

C’est pourquoi je crains que Roosevelt, malgré toute son énergie et ses capacités, n’arrive pas au but dont vous parlez, si tant est qu’il vise à ce but. Peut-être d’ici quelques générations pourrait-on quelque peu se rapprocher de ce but, mais cela aussi je le considère, pour ma part, comme peu probable.

Wells. − Je crois peut-être encore plus que vous à l’interprétation économique de la politique. Grâce aux inventions et à la science moderne, des forces énormes ont été mises en action, conduisant vers une meilleure organisation, vers un meilleur fonctionnement de la collectivité humaine, c’est-à-dire vers le socialisme.

L’organisation et la régulation des actions individuelles sont devenus une nécessité mécanique, indépendamment des théories sociales. Si l’on commence par le contrôle de l’État sur les banques, pour passer ensuite au contrôle des transports, de l’industrie lourde, de l’industrie en général, du commerce, etc., un tel contrôle universel équivaudra à la propriété de l’État sur toutes les branches de l’économie nationale.

Ce sera là justement un processus de socialisation. Car le socialisme, d’une part, et l’individualisme, de l’autre, ne sont pas aux antipodes comme le noir et le blanc.

Il existe entre eux beaucoup de stades intermédiaires. Il y a individualisme touchant au banditisme, et il y a esprit de discipline et esprit d’organisation équivalant au socialisme.

La réalisation de l’économie planifiée dépend à un degré considérable des organisateurs de l’économie, des intellectuels techniciens qualifiés que l’on peut, pas à pas, gagner aux principes socialistes de l’organisation.

Et c’est là l’essentiel. Car, d’abord l’organisation, ensuite le socialisme. L’organisation est le facteur le plus important. Sans organisation, l’idée du socialisme n’est en somme qu’une idée.

Staline. − Entre l’individu et la collectivité, entre les intérêts d’un particulier et les intérêts de la collectivité, il n’est pas et il ne doit pas y avoir de contraste inconciliable.

Il ne doit pas y en avoir, puisque le collectivisme, le socialisme ne nie pas, mais combine les intérêts individuels avec les intérêts de la collectivité. Le socialisme ne peut pas s’abstraire des intérêts individuels. Seule la société socialiste peut assurer la satisfaction la plus complète de ces intérêts personnels.

Bien plus, la société socialiste offre l’unique garantie solide de la défense des intérêts de l’individu.

Dans ce sens, il n’y a point de contraste inconciliable entre l’ « individualisme » et le socialisme. Mais peut-on nier le contraste entre les classes, entre la classe des possédants, la classe des capitalistes, et la classe des travailleurs, la classe des prolétaires ?

D’un côté, la classe des possédants qui détiennent les banques, les usines, les mines, les transports, les plantations dans les colonies. Ces gens ne voient rien que leur intérêt, que le profit auquel ils aspirent. Ils ne se soumettent pas à la volonté de la collectivité, ils cherchent à soumettre toute collectivité à leur volonté.

D’un autre côté, la classe des pauvres, la classe des exploités qui n’ont ni fabriques, ni usines, ni banques, qui sont contraints de vivre de la vente de leur force de travail aux capitalistes, et sont privés de la possibilité de satisfaire à leurs besoins les plus élémentaires. Comment peut-on concilier des intérêts et des aspirations aussi opposés ?

Autant que je sache, Roosevelt n’a pas pu trouver le moyen de concilier ces intérêts. Cela est d’ailleurs impossible, comme l’atteste l’expérience.

Au reste, vous connaissez la situation des États-Unis mieux que moi, car je n’ai jamais été aux États-Unis et je suis les affaires américaines surtout d’après ce qu’on en écrit.

Mais j’ai quelque expérience en matière de lutte pour le socialisme, et cette expérience me dit : Si Roosevelt essaie de satisfaire vraiment les intérêts de la classe des prolétaires aux dépens de la classe des capitalistes, ces derniers le remplaceront par un autre président.

Les capitalistes diront : les présidents viennent et s’en vont, tandis que nous, capitalistes, demeurons ; si tel ou tel président ne défend pas nos intérêts, nous en trouverons un autre. Qu’est-ce que le président peut opposer à la volonté de la classe des capitalistes ?

Wells. − Je m’élève contre cette classification simpliste de l’humanité en pauvres et riches. Évidemment, il est une catégorie de gens qui aspirent exclusivement au profit. Mais ces gens-là ne sont-ils pas considérés, de même qu’ici, comme un obstacle ?

Est-ce qu’en Occident il y a peu de gens pour lesquels le profit n’est pas un but, qui possèdent certaines ressources, veulent les investir, en tirent profit, mais ne voient nullement là le but de leur activité ?

Ces gens considèrent l’investissement de fonds comme une nécessité incommode. Y a-t-il peu d’ingénieurs, d’organisateurs de l’économie, talentueux et dévoués, dont l’activité est mue par des stimulants tout autres que le lucre ?

A mon avis, il existe une classe nombreuse de gens simplement capables, ayant conscience du caractère peu satisfaisant du système actuel et qui sont appelés à jouer un grand rôle dans la société future, socialiste.

J’ai beaucoup étudié ces dernières années, et j’ai beaucoup réfléchi à la nécessité de propager les idées du socialisme et du cosmopolitisme dans les larges cercles d’ingénieurs, d’aviateurs, dans les cercles de techniciens militaires, etc.

Il est inutile d’aborder ces cercles avec la propagande directe de la lutte de classes. Ces cercles comprennent la situation où se trouve le monde, qui se transforme en un marais sanglant, mais ces cercles tiennent votre antagonisme primitif de la lutte de classes pour un non-sens.

Staline. − Vous vous élevez contre la classification simpliste des gens en riches et pauvres. Évidemment, il y a des couches moyennes, il y a aussi ces intellectuels techniciens dont vous parlez et parmi lesquels il existe des gens très braves et très honnêtes. Il existe aussi dans ce milieu des hommes malhonnêtes, des hommes mauvais.

Il y en a de tout genre. Mais, avant tout, la société humaine se divise en riches et pauvres, en possédants et exploités, et s’abstraire de cette division fondamentale et de la contradiction entre pauvres et riches, c’est s’abstraire du fait fondamental.

Je ne nie pas l’existence de couches moyennes intermédiaires qui, ou bien se placent aux côtés de l’une de ces deux classes en lutte entre elles, ou bien occupent dans cette lutte une position neutre ou semi-neutre.

Mais, je le répète, s’abstraire de cette division fondamentale de la société et de cette lutte fondamentale entre les deux classes fondamentales, c’est méconnaître les faits. Cette lutte se poursuit et se poursuivra. L’issue de cette lutte, c’est la classe des prolétaires, la classe des travailleurs qui en décide.

Wells. − Mais y a-t-il peu de gens non pauvres, qui travaillent, et travaillent avec fruit ?

Staline. − Évidemment, il y a aussi des petits propriétaires terriens, des artisans, des petits commerçants. Seulement ce ne sont pas ces gens-là qui décident des destinées des pays, mais les masses travailleuses qui produisent tout ce qui est indispensable à la société.

Wells. − Mais les capitalistes diffèrent beaucoup entre eux. Il en est qui ne pensent qu’au profit, qu’au lucre ; il en est aussi qui sont prêts à des sacrifices. Par exemple, le vieux Morgan : celui-là ne pensait qu’au lucre ; il était simplement un parasite sur le corps de la société, il ne faisait qu’accumuler les richesses dans ses mains.

Mais prenez Rockefeller : c’est un brillant organisateur, il a donné un exemple de l’organisation de l’écoulement du pétrole, digne d’être imité. Ou bien Ford : évidemment, Ford a son idée, il est égoïste ; mais n’est-il pas l’organisateur passionné de la production rationnelle, des leçons duquel vous profitez, vous aussi ?

Je voudrais souligner que depuis quelques temps, dans les pays anglo-saxons, un revirement sérieux s’est opéré dans l’opinion publique à l’égard de l’URSS. Cela tient, tout d’abord, à la position prise par le Japon et aux événements en Allemagne. Mais il est encore d’autres raisons, qui ne découlent pas de la seule politique internationale.

Il existe une raison plus profonde : la conscience qu’ont prise des milieux de plus en plus larges du fait que le système reposant sur le profit privé croule. Et dans ces conditions, il me semble qu’il ne faut pas faire ressortir l’antagonisme entre les deux mondes, mais s’efforcer de combiner tous les mouvements constructifs, toutes les forces constructives, dans la mesure du possible.

Il me semble que je suis plus à gauche que vous, monsieur Staline, que je considère que le monde s’est déjà approché de plus près de la fin du vieux système.

Staline. − Lorsque je parle des capitalistes qui ne visent qu’au profit, qu’au lucre, je ne veux point dire par là qu’ils sont les derniers des hommes, incapables de quoi que ce soit d’autre. Beaucoup d’entre eux ont, indéniablement, de grandes capacités d’organisation que je ne songe même pas à nier. Nous, soviétiques, nous apprenons beaucoup des capitalistes. Et Morgan même, auquel vous donnez une caractéristique aussi négative, était à coup sûr un bon organisateur, un organisateur capable.

Mais si vous parlez des hommes prêts à reconstruire le monde, il est évident qu’on ne peut les trouver parmi ceux qui servent le lucre avec foi et amour. Nous et ces gens-là, nous nous trouvons à des pôles opposés. Vous parlez de Ford. Évidemment, c’est un organisateur capable de la production.

Mais ne connaissez-vous pas son attitude à l’égard de la classe ouvrière ? Ignorez-vous combien d’ouvriers il jette inutilement à la rue ? Le capitaliste est enchaîné au profit, aucune force ne peut l’en arracher. Et le capitalisme sera anéanti, non par les « organisateurs » de la production, non par les intellectuels techniciens, puisque cette couche ne joue pas un rôle indépendant, mais par la classe ouvrière.

Car l’ingénieur, l’organisateur de la production ne travaille pas comme il le voudrait, mais comme on le lui ordonne, comme le commande l’intérêt du patron. Il existe, évidemment, des exceptions ; il existe des gens appartenant à cette couche, qui se sont libérés de l’opium capitaliste. Les intellectuels techniciens peuvent, dans des conditions déterminées, faire des « miracles », être pour le genre humain d’une immense utilité.

Mais ils peuvent aussi lui causer un grand préjudice. Nous, soviétiques, nous avons notre expérience, qui n’est pas mince, des intellectuels techniciens.

Après la Révolution d’Octobre, une partie déterminée d’intellectuels techniciens refusa de participer à l’édification de la société nouvelle, s’opposa à cette édification, la sabota. Nous avons cherché par tous les moyens à entraîner les intellectuels techniciens vers cette édification, nous les avons sollicités de toutes les façons.

Bien du temps s’est écoulé avant que nos intellectuels techniciens ne se soient engagés dans la voie d’un concours actif au nouveau régime. Aujourd’hui la meilleure partie est aux premiers rangs de l’édification de la société socialiste.

Forts de cette expérience, nous sommes loin de sous-estimer les côtés tant positifs que négatifs des intellectuels techniciens, et nous savons qu’ils peuvent aussi bien nuire que faire des « miracles ».

Certes, les choses en iraient autrement si l’on pouvait d’un seul coup arracher moralement les intellectuels techniciens au monde capitaliste.

Mais c’est là une utopie. Se trouvera-t-il beaucoup d’hommes parmi les intellectuels techniciens qui se résoudront à rompre avec le monde bourgeois et à s’atteler à la reconstruction de la société ?

A votre avis, y a-t-il beaucoup de ces gens-là, disons, en Angleterre, en France ? Non, il se trouvera peu d’amateurs pour rompre avec leurs patrons et commencer la reconstruction du monde !

En outre, peut-on perdre de vue que pour refaire le monde, il faut avoir le pouvoir ? Il me semble, monsieur Wells, que vous sous-estimez fort la question du pouvoir ; que, d’une façon générale, elle n’entre pas dans votre conception.

Car, que peuvent faire des gens, eussent-ils les meilleures intentions du monde, s’ils ne sont pas capables de poser la question de la prise du pouvoir et s’ils n’ont pas en main le pouvoir ?

Ils peuvent, dans le meilleur des cas, prêter concours à la nouvelle classe qui prendra le pouvoir, mais ne peuvent eux-mêmes retourner le monde.

Pour cela il faut une grande classe, qui remplace la classe des capitalistes et devienne un maître tout aussi puissant qu’elle. La classe ouvrière est cette classe-là.

Certes, il faut accepter l’aide des intellectuels techniciens et il faut, à son tour, lui prêter aide. Mais il ne faut pas penser que les intellectuels techniciens pourront, eux, jouer un rôle historique indépendant. La refonte du monde est un vaste processus complexe et douloureux. Pour cette grande entreprise, il faut une grande classe. Aux grands navires les grands voyages.

Wells. − Oui, mais pour un grand voyage il faut un capitaine et un navigateur.

Staline. − C’est juste, mais pour un grand voyage il faut avant tout un grand navire. Qu’est-ce qu’un navigateur sans navire ? Un homme sans occupation.

Wells. − Le grand navire c’est l’humanité, et non une classe.

Staline. −Vous partez, visiblement, monsieur Wells, de la prémisse que tous les hommes sont bons. Et moi, je n’oublie pas qu’il y a beaucoup d’hommes méchants. Je ne crois pas à la bonté de la bourgeoisie.

Wells. − Je me souviens de ce qu’étaient les intellectuels techniciens il y a quelque dizaine d’années. Les intellectuels techniciens étaient alors peu nombreux ; par contre, il y avait beaucoup à faire et chaque ingénieur, technicien, intellectuel trouvait une application à ses connaissances. C’est pourquoi ils étaient la classe la moins révolutionnaire.

Or, aujourd’hui, on observe un excédent d’intellectuels techniciens, et leur état d’esprit a changé radicalement. L’intellectuel qualifié qui, auparavant, n’aurait pas même prêté l’oreille aux propos révolutionnaires, s’y intéresse beaucoup maintenant.

Récemment, j’ai été invité à un dîner de la Société royale, notre plus grande société scientifique anglaise. Le discours du président fut un discours en faveur de la planification sociale et de la gestion scientifique. Il y a une trentaine d’années, on n’aurait même pas écouté ce que je dis.

Et maintenant, cette société est dirigée par un homme aux conceptions révolutionnaires, qui insiste sur la réorganisation scientifique de la société humaine. Votre propagande de lutte de classes n’a pas tenu compte de ces faits. L’état d’esprit change.

Staline. − Oui, je le sais ; et cela s’explique par le fait que la société capitaliste est acculée actuellement dans une impasse.

Les capitalistes cherchent et ne peuvent trouver une issue à cette impasse, qui soit compatible avec la dignité de cette classe, avec les intérêts de cette classe. Ils peuvent partiellement se tirer de la crise en rampant à quatre pattes, mais ils ne peuvent trouver une issue qui leur permette de sortir la tête haute, qui n’atteigne pas à la racine les intérêts du capitalisme.

Ceci, évidemment les larges cercles d’intellectuels techniciens le sentent. Une partie considérable de ces derniers commence à prendre conscience de la communauté de leurs intérêts avec ceux de la classe capable de trouver une issue à cette impasse.

Wells. − Vous savez, monsieur Staline, mieux que quiconque, ce que c’est que la révolution, et encore dans la pratique. Les masses se soulèvent-elles jamais d’elles-mêmes ? Ne considérez-vous pas comme une vérité établie le fait que toutes les révolutions se font par la minorité ?

Staline. − Pour la révolution il faut une minorité révolutionnaire dirigeante ; mais la minorité la plus capable, la plus dévouée et la plus énergique sera impuissante, si elle ne s’appuie pas, ne serait-ce que sur le soutien passif de millions d’hommes.

Wells. − Ce soutien n’est-il que passif ? ou aussi subconscient ?

Staline. – Disons semi-instinctif et semi-conscient, mais sans le soutien de millions d’hommes, la meilleure minorité est impuissante.

Wells. − Je suis de près la propagande communiste en Occident, et il me semble que cette propagande, dans les conditions actuelles, agit de façon très démodée, car elle est la propagande d’actes de violence.

Cette propagande du renversement par la violence du régime social, était de mise alors qu’il s’agissait de la domination sans partage de telle ou telle tyrannie. Mais dans les conditions actuelles, alors que le système dominant croule de toutes façons et se décompose de lui-même, il faudrait porter l’accent non pas sur l’insurrection, mais sur l’efficacité, sur la compétence, sur la productivité.

La note insurrectionnelle me paraît vieillie. De l’avis des hommes à la manière de pensée constructive, la propagande communiste en Occident constitue un obstacle.

Staline. − Évidemment, le vieux système croule, se décompose. C’est exact. Mais il est également exact que de nouveaux efforts sont faits pour défendre, pour sauver ce système en perdition, par d’autres méthodes, par tous les moyens.

D’une constatation juste vous tirez une déduction erronée. Vous constatez avec raison que le vieux monde croule. Mais vous avez tort lorsque vous pensez qu’il croule de lui-même. Non, le remplacement d’un ordre social par un autre ordre social est un processus révolutionnaire complexe et de longue haleine.

Ce n’est pas simplement un processus spontané ; c’est une lutte, c’est un processus qui implique la collision des classes. Le capitalisme est pourri, mais on ne saurait le comparer simplement à un arbre qui pourrit au point qu’il doit de lui-même tomber par terre. Non, la révolution, le remplacement d’un régime social par un autre, a toujours été une lutte, une lutte douloureuse et atroce, une lutte à mort.

Et chaque fois que les hommes du monde nouveau arrivaient au pouvoir, il leur a fallu se défendre contre les tentatives du vieux monde pour ramener par la force l’ancien ordre de choses ; les hommes du nouveau monde, eux, ont toujours dû se tenir sur leurs gardes, être prêts à riposter aux attentats du vieux monde contre l’ordre nouveau.

Oui, vous avez raison, quand vous dites que le vieil ordre social croule, mais il ne s’écroulera pas de lui-même. Par exemple, à ne prendre que le fascisme. Le fascisme est une force réactionnaire qui tente de maintenir le vieux monde par la violence.

Qu’allez-vous faire des fascistes ? Leur faire entendre raison ? Les convaincre ? Mais cela n’agira sur eux d’aucune manière. Les communistes n’idéalisent pas du tout la méthode de la violence.

Mais les communistes ne veulent pas, eux, se trouver pris au dépourvu, ils ne peuvent compter que le vieux monde quittera de lui-même la scène ; ils voient que le vieux régime se défend par la force, et c’est pourquoi les communistes disent à la classe ouvrière : préparez-vous à répondre à la force par la force, faites tout pour que le vieux régime périssant ne vous écrase pas, ne lui permettez pas de mettre les fers à ces mains avec lesquelles vous renverserez ce régime.

Comme vous voyez, le processus de remplacement d’un ordre social par un autre n’est pas pour les communistes un processus simplement spontané et pacifique, mais un processus compliqué, durable et violent. Les communistes ne peuvent pas ne pas compter avec les faits.

Wells. − Mais regardez de plus près ce qui se passe actuellement dans le monde capitaliste. Car ce n’est pas simplement l’écroulement d’un régime. C’est une explosion de la violence réactionnaire, qui dégénère en un franc gangstérisme.

Et il me semble que lorsqu’il est question de conflits avec ces oppresseurs réactionnaires et inintelligents, les socialistes doivent en appeler à la loi et, au lieu de considérer la police comme un ennemi, la soutenir dans la lutte contre les réactionnaires. Il me semble que l’on ne peut pas agir simplement par les méthodes du vieux socialisme insurrectionnel et sans souplesse.

Staline. − Les communistes partent de la riche expérience historique, qui enseigne que les classes ayant fait leur temps ne quittent pas volontairement la scène historique. Rappelez-vous l’histoire de l’Angleterre du XVIIe siècle. N’étaient-ils pas nombreux ceux qui disaient que le vieil ordre social était pourri ? Néanmoins, n’a-t-il pas fallu un Cromwell pour l’achever par la force ?

Wells. − Cromwell agissait en s’appuyant sur la Constitution et au nom de l’ordre constitutionnel.

Staline. − Au nom de la Constitution il recourait à la violence, il a exécuté le roi, il a dissous le Parlement, il arrêtait les uns, il décapitait les autres !

Mais empruntons un exemple à notre histoire. N’était-il pas clair, durant une longue période de temps, que l’ordre tsariste pourrissait, qu’il croulait ? Et cependant combien de sang a-t-il fallu pour le renverser !

Et la Révolution d’Octobre ? Étaient-ils peu nombreux les gens qui savaient que nous seuls, bolcheviks, indiquions la seule issue juste ?

Ne comprenait-on pas que le capitalisme russe était pourri ? Mais vous savez combien la résistance fut grande, combien de sang fut versé pour défendre la Révolution d’Octobre contre tous les ennemis, intérieurs et extérieurs ?

Ou bien prenons la France de la fin du XVIIIe siècle. Longtemps avant 1789, nombreux étaient ceux qui voyaient clairement à quel point étaient pourris le pouvoir royal, l’ordre féodal. Mais on n’a pu se passer, on ne pouvait se passer d’un soulèvement populaire, d’une collision des classes.

Qu’est-ce à dire ? C’est que les classes qui doivent quitter la scène historique, sont les dernières à se convaincre que leur rôle est fini.

Il est impossible de les en convaincre. Il leur semble que l’on peut boucher les crevasses de l’édifice pourri du vieux régime, que l’on peut réparer et sauver l’édifice croulant de l’ancien ordre de choses. C’est pourquoi les classes périssantes prennent les armes et commencent à défendre par tous les moyens leur existence de classe dominante.

Wells. − Mais à la tête de la Grande Révolution française, il y avait bon nombre d’avocats.

Staline. − Est-ce que vous niez le rôle des intellectuels dans les mouvements révolutionnaires ? Est-ce que la Grande Révolution française a été une révolution d’avocats, et non une révolution populaire qui a vaincu après avoir soulevé d’énormes masses populaires contre le féodalisme, et en défendant les intérêts du tiers état ?

Les avocats parmi les chefs de la Grande Révolution française agissaient-ils selon les lois de l’Ancien Régime ? N’ont-ils pas institué une légalité nouvelle, la légalité révolutionnaire bourgeoise ?

La riche expérience historique enseigne que jusqu’à présent, pas une classe n’a cédé volontairement le chemin à une autre classe. L’histoire mondiale ne connaît pas de tel précédent. Et les communistes se sont assimilé cette expérience historique. Les communistes salueraient le départ volontaire de la bourgeoisie.

Mais, comme l’atteste l’expérience, il n’est pas croyable que les choses prennent une telle tournure. C’est pourquoi les communistes veulent être prêts au pire et appellent la classe ouvrière à la vigilance, à se tenir préparée au combat.

Qui a besoin d’un capitaine qui émousse la vigilance de son armée, qui ne comprend pas que l’adversaire ne se rendra pas, qu’il faut l’abattre ? Être un tel capitaine, c’est tromper, trahir la classe ouvrière. Voilà pourquoi je pense que ce qui vous paraît démodé est, en réalité, une mesure d’utilité révolutionnaire pour la classe ouvrière.

Wells. − Je ne nie pas du tout la nécessité de la violence, mais j’estime que les formes de lutte doivent se rapprocher au maximum des possibilités qu’offrent les lois existantes, qu’il s’agit de défendre contre les attentats réactionnaires.

Il ne faut pas désorganiser le vieux régime, ne serait-ce que pour la raison qu’il se désorganise de lui-même dans une mesure suffisante. Précisément pour cette raison, il me semble que la lutte contre l’ordre, contre la loi, est quelque chose de désuet, de démodé.

Au reste, j’exagère à dessein pour mieux mettre en lumière la vérité. Je puis formuler mon point de vue de la façon suivante : premièrement, je suis pour l’ordre ; deuxièmement, j’attaque le système existant parce qu’il n’assure pas l’ordre ; troisièmement, j’estime que la propagande des idées de la lutte de classes peut isoler du socialisme justement les cercles instruits qui sont nécessaires au socialisme.

Staline. − Pour accomplir une grande, une sérieuse œuvre sociale, il faut qu’il y ait une force principale, un appui, une classe révolutionnaire. Il faut ensuite que l’aide à cette force principale soit organisée par la force auxiliaire, en l’occurrence le Parti, dans lequel entrent aussi les meilleures forces parmi les intellectuels. Vous venez de parler des « cercles instruits ».

Mais quels hommes instruits aviez-vous en vue ? Y avait-il peu d’hommes instruits du côté de l’Ancien Régime, et au XVIIe siècle en Angleterre, et à la fin du XVIIIe siècle en France, et à l’époque de la Révolution d’Octobre en Russie ?

Le vieux régime avait de son côté, à son service, beaucoup d’hommes hautement instruits, qui défendaient le vieux régime, qui marchaient contre le régime nouveau.

Car l’instruction est une arme dont l’efficacité dépend de savoir qui la détient, et qui est celui que l’on veut frapper avec cette arme. Évidemment, les hommes hautement instruits sont nécessaires au prolétariat, au socialisme.

Car il est clair que ce ne sont pas les sots qui peuvent aider le prolétariat à lutter pour le socialisme, à bâtir la nouvelle société. Je ne sous-estime pas le rôle des intellectuels ; au contraire, je souligne leur rôle. La question est simplement de savoir de quels intellectuels il s’agit, car il y a intellectuels et intellectuels.

Wells. − II ne peut y avoir de révolution sans un changement radical du système de l’instruction publique. Il suffit de citer deux exemples : l’exemple de la République allemande, qui n’a pas touché à l’ancien système d’instruction et qui, pour cette raison, n’est jamais devenue une République, et l’exemple du Labour Party anglais, qui manque de décision pour insister sur le changement radical de l’instruction publique.

Staline. − Cette remarque est juste.

Permettez-moi maintenant de répondre à vos trois points.

Premièrement, l’essentiel pour la révolution, c’est l’existence d’un appui social. Cet appui pour la révolution est la classe ouvrière.

Deuxièmement, une force auxiliaire, ce qui chez les communistes s’appelle le Parti, est indispensable.

Ici seront compris et les ouvriers intellectuels, et ceux des intellectuels techniciens qui sont étroitement liés à la classe ouvrière. Les intellectuels ne peuvent être forts que s’ils s’unissent à la classe ouvrière. S’ils marchent contre la classe ouvrière, ils deviennent néant.

Troisièmement, il faut le pouvoir, comme levier de transformation. Le nouveau pouvoir crée une nouvelle légalité, un nouvel ordre qui est l’ordre révolutionnaire.

Je ne suis pas pour n’importe quel ordre. Je suis pour un ordre correspondant aux intérêts de la classe ouvrière.

Et si certaines lois de l’Ancien Régime peuvent être utilisées dans l’intérêt de la lutte pour l’ordre nouveau, il convient d’utiliser aussi la vieille législation. Contre votre thèse suivant laquelle il faut attaquer le système existant, pour autant qu’il n’assure pas l’ordre nécessaire au peuple, je ne puis rien objecter.

Et, enfin, vous avez tort si vous pensez que les communistes sont épris de violence. Ils renonceraient avec plaisir à la méthode de la violence si les classes dominantes consentaient à céder la place à la classe ouvrière. Mais l’expérience de l’histoire témoigne contre une telle hypothèse.

Wells. − L’histoire de l’Angleterre, cependant, connaît un exemple de transmission volontaire du pouvoir par une classe à une autre. Dans la période comprise entre 1830 et 1870, s’est opéré, sans aucune lutte acharnée, le passage volontaire du pouvoir de l’aristocratie, dont l’influence à la fin du XVIIIe siècle était encore très grande, à la bourgeoisie qui était le soutien sentimental de la monarchie. Ce passage du pouvoir a abouti, par la suite, à l’instauration de la domination de l’oligarchie financière.

Staline. − Mais vous voici passé imperceptiblement des problèmes de la révolution aux problèmes de réforme. Ce n’est pas la même chose. Ne pensez-vous pas que le mouvement chartiste a joué un grand rôle dans le domaine des réformes en Angleterre, au XIXe siècle ?

Wells. − Les chartistes n’ont pas fait grand’chose et ont disparu sans laisser de trace.

Staline. − Je ne suis pas d’accord avec vous. Les chartistes et le mouvement gréviste organisé par eux ont joué un grand rôle ; ils ont contraint les classes dominantes à faire une série de concessions dans le domaine du système électoral, dans le domaine de la liquidation de ce qu’on appelait les « bourgs pourris », de la réalisation de certains points de la « Charte ».

Le chartisme n’a pas joué un mince rôle historique : il a incité une partie des classes dominantes à faire certaines concessions, des réformes, afin d’éviter de grandes perturbations.

En général, il faut dire que de toutes les classes dominantes, les classes dominantes d’Angleterre, et l’aristocratie, et la bourgeoisie, se sont montrées les plus intelligentes, les plus souples du point de vue de leurs intérêts de classes, du point de vue de la conservation de leur pouvoir. Ainsi, prenons un exemple tiré de l’histoire moderne : la grève générale de 1926 en Angleterre.

N’importe quelle bourgeoisie, en face de ces événements, alors que le Conseil général des Trades-Unions avait lancé un appel à la grève, aurait avant tout fait arrêter les leaders des Trades-Unions. La bourgeoisie anglaise ne l’a pas fait, elle a fait preuve d’intelligence du point de vue de ses intérêts.

Ni aux États-Unis, ni en Allemagne, ni en France, je ne vois une stratégie de classe aussi souple de la part de la bourgeoisie. Dans l’intérêt de la consolidation de leur domination, les classes dominantes d’Angleterre ne se sont jamais interdit les petites concessions, les réformes. Mais ce serait une erreur de croire que ces réformes représentent la révolution.

Wells. − Vous avez des classes dominantes de mon pays une plus haute opinion que moi. Mais la différence est-elle grande, en général, entre une petite révolution et une grande réforme ? Les réformes ne sont-elles pas une petite révolution ?

Staline. − Sous l’effet d’une poussée venant d’en bas, d’une poussée des masses, la bourgeoisie peut parfois consentir telles ou telles réformes partielles, tout en restant sur la base du régime économique et social existant. Agissant ainsi, elle estime que ses concessions sont indispensables dans l’intérêt de la conservation de sa domination de classe.

C’est là l’essence des réformes. Quant à la révolution, elle signifie le passage du pouvoir d’une classe à une autre. C’est pourquoi l’on ne peut appeler une réforme quelconque une révolution. Voilà pourquoi l’on ne saurait espérer que la succession des régimes sociaux puisse s’opérer par le passage insensible d’un régime à l’autre au moyen de réformes, au moyen de concessions faite par la classe dominante.

Wells. − Je vous suis très reconnaissant de cet entretien qui a pour moi une importance énorme. En me donnant vos explications, vous vous êtes à coup sûr souvenu du temps où, dans les cercles clandestins d’avant la révolution, il vous fallait expliquer les principes du socialisme.

A l’heure actuelle, il n’existe dans le monde entier que deux personnalités à l’opinion, à chaque parole desquelles des millions d’hommes prêtent l’oreille : vous et Roosevelt.

Les autres peuvent prêcher autant qu’il leur plaira, on ne les imprimera pas, on ne les écoutera pas. Je ne puis encore apprécier ce qui a été fait dans votre pays, où je ne suis arrivé qu’hier.

Mais j’ai déjà vu les visages heureux d’hommes bien portants et je sais qu’il se fait chez vous quelque chose de très significatif. Le contraste avec l’année 1920 est frappant. 

Staline. − On aurait pu faire encore plus si nous, bolcheviks, étions plus intelligents. 

Wells. − Non, si, en général, les êtres humains étaient plus intelligents. On ne ferait pas mal si l’on inventait un plan quinquennal pour la reconstruction du cerveau humain, qui manque manifestement de nombreuses parcelles nécessaires à l’ordre social parfait. (Rires.)

Staline. − N’avez-vous pas l’intention d’assister au Congrès de l’Union des écrivains soviétiques ?

Wells. − Malheureusement, j’ai diverses obligations et je ne puis rester en URSS qu’une semaine. Je suis venu pour vous rencontrer, et je suis profondément satisfait de notre entretien.

Mais j’ai l’intention de parler avec les écrivains soviétiques que je pourrai rencontrer pour envisager la possibilité de leur adhésion au Pen-Club. C’est une organisation internationale d’écrivains, fondée par Galsworthy auquel, après sa mort, j’ai succédé comme président.

Cette organisation est encore faible, mais néanmoins elle possède des sections dans de nombreux pays et, ce qui est encore plus important, les interventions de ses membres sont largement commentées dans la presse.

Cette organisation défend le droit de la libre expression de toutes les opinions, y compris celles de l’opposition. Je compte parler à ce sujet avec Maxime Gorki. Toutefois, je ne sais si une aussi large liberté peut être accordée ici.

Staline. − Cela s’appelle chez nous, bolcheviks, l’ « autocritique ». Elle est largement appliquée en URSS. Si vous désirez quelque chose, je vous aiderai volontiers.

Wells. − Je vous remercie.

Staline. − Je vous remercie pour l’entretien.

=>Oeuvres de Staline

Staline, Molotov : Falsificateurs de l’Histoire

Texte intégral de la notice historique datant de 1948 du Bureau d’Information Soviétique auprès du Conseil des Ministres de l’U.R.S.S., sous la direction de J. V. Staline et de V. M. Molotov.

INTRODUCTION

À la fin de janvier le Département d’État des U.S.A. a publié, en collaboration avec les Ministères des Affaires Étrangères de l’Angleterre et de la France, un recueil de rapports et de différents extraits des notes du journal des fonctionnaires diplomatiques hitlériens et a donné à ce recueil le titre mystérieux de « Relations soviéto-nazies au cours des années 1939-1941 ».

Comme il ressort de la préface de ce recueil, les gouvernements des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France sont tombés d’accord, dès l’été 1946, de publier les documents des archives du Ministère des Affaires Étrangères de l’Allemagne pour les années 1918-45, qui ont été saisis en Allemagne par les autorités militaires américaines et anglaises.

Il est à noter que dans le recueil publié n’ont été incorporés que les matériaux se rapportant aux années 1939-41, tandis que les matériaux ayant trait aux années précédentes et, en particulier, à la période de Munich, n’ont pas été inclus dans ce recueil par le Département d’État et sont par conséquent ignorés de l’opinion publique mondiale.

Ce fait n’est certes pas accidentel et poursuit des buts qui n’ont rien de commun avec la manière de traiter objectivement et consciencieusement la vérité historique.

Pour justifier d’une façon quelconque aux yeux de l’opinion la publication unilatérale de ce recueil de notes des fonctionnaires hitlériens, non vérifiées et choisies au hasard, la presse anglo-américaine a lancé une explication inventée disant que :

« Les Russes ont repoussé la proposition de l’Occident de publier en commun un rapport complet de la diplomatie nazie. »

Cette déclaration des milieux anglo-américains ne répond pas à la réalité.

En fait, les choses se sont bien passées comme suit : étant donné les communications parues dans la presse étrangère en été 1945 sur la préparation de la publication en Angleterre des documents pris en Allemagne, le Gouvernement Soviétique s’est adressé au Gouvernement de la Grande-Bretagne en insistant pour que les experts soviétiques prennent part à l’examen commun des matériaux allemands saisis par les troupes anglo-américaines.

Le Gouvernement Soviétique estimait inadmissible de publier de tels documents sans s’être concerté et, en même temps, il ne pouvait assumer la responsabilité de la publication de ces documents sans procéder à une vérification minutieuse, puisque, sans ces conditions élémentaires, la publication des matériaux en question pouvait aboutir à une aggravation des relations entre les États-membres de la coalition anti-hitlérienne.

Mais le Ministère des Affaires Étrangères de l’Angleterre a décliné la proposition soviétique en alléguant que la question posée par le Gouvernement Soviétique au sujet d’un échange des copies saisies de documents hitlériens était prématurée.

On sait que le 6 septembre 1945 la délégation américaine auprès du Directoire Politique du Conseil de Contrôle en Allemagne a présenté son projet d’instructions en ce qui concerne la façon de procéder avec les archives et documents allemands.

Ce projet prévoyait l’établissement d’une procédure unique pour toute l’Allemagne pour la collection et la conservation des archives, ainsi que le droit d’accéder à celles-ci pour les représentants des États-membres de l’Organisation des Nations Unies. La possibilité de prendre des copies des documents et de les publier a été également prévue. Cette proposition a été examinée au cours de quatre séances du Directoire Politique.

Mais elle a été ajournée à la demande des Anglais et des Américains, sous prétexte qu’ils n’avaient pas d’instructions ; ensuite, après la déclaration du représentant américain disant que le Gouvernement des États-Unis préparait une nouvelle proposition et priait de considérer le projet présenté comme nul, cette question a été retirée de l’ordre du jour du Directoire Politique.

Ainsi la déclaration d’après laquelle le Gouvernement Soviétique aurait refusé de prendre part à la préparation de la publication des matériaux d’archives allemandes est fausse.

Simultanément avec la publication du recueil mentionné, une nouvelle vague d’attaques et une campagne effrénée de calomnies au sujet du Pacte de non-agression conclu en 1939 entre l’U.R.S.S. et l’Allemagne, dirigé soi-disant contre les puissances occidentales, a commencé, comme par un coup de baguette magique, aux États-Unis et dans les pays qui en dépendent.

Ainsi le vrai but de la publication, aux Etats-Unis, du recueil sur les relations entre l’U.R.S.S. et l’Allemagne en 1939-40 ne saurait susciter aucun doute. Le but de ce recueil n’est pas de présenter un exposé objectif des événements historiques, mais d’altérer le tableau réel des événements, de dénigrer l’Union Soviétique, de la calomnier, d’affaiblir l’influence internationale de l’Union Soviétique en tant que champion véritablement démocratique et ferme, face aux forces agressives et antidémocratiques.

Cette attitude perfide correspond à la conception des relations interalliées typique pour les milieux dirigeants des pays anglo-américains, conception qui, au lieu de relations honnêtes et sincères entre les alliés, au lieu de l’appui et la confiance mutuelle, consiste à poursuivre une politique qui utilise toutes les possibilités, jusques et y compris la calomnie, pour affaiblir son allié, l’utiliser dans ses intérêts égoïstes et renforcer sa position à ses dépens.

On ne saurait également perdre de vue le désir des milieux dirigeants des États-Unis de saper par leur campagne de calomnie contre l’U.R.S.S., l’influence des éléments progressistes de leur pays, qui préconisent l’amélioration des relations avec l’U.R.S.S.

Le coup que l’on porte aux éléments progressistes des États-Unis a certainement pour but d’affaiblir leur influence, en prévision des élections présidentielles aux États-Unis, qui auront lieu en automne 1948.

Le recueil contient un grand nombre de documents fabriqués par les fonctionnaires diplomatiques hitlériens dans le labyrinthe des chancelleries diplomatiques allemandes.

Ce fait à lui seul, devrait mettre en garde contre l’utilisation et la publication unilatérales des documents qui se distinguent par leur caractère unilatéral et tendancieux, exposant les événements du point de vue du Gouvernement hitlérien, dans le but de présenter ces événements sous un jour favorable pour les hitlériens.

C’est pour cette raison que le Gouvernement Soviétique a été, en son temps, contre la publication unilatérale de documents allemands pris à l’ennemi, avant de les avoir vérifiés au préalable en commun et d’une façon minutieuse. Même l’agence gouvernementale France-Presse s’est vue obligée de reconnaître que la procédure de la publication des matériaux rendus publics par les trois gouvernements, à l’insu de l’Union Soviétique, « n’est pas tout à fait conforme à la procédure diplomatique normale ».

Néanmoins, le Gouvernement anglais n’a pas été de cet avis. Les gouvernements français, anglais et américain ont procédé à la publication unilatérale des documents allemands sans reculer devant la falsification de l’histoire et en essayant de calomnier l’Union Soviétique, qui a supporté la charge principale de la lutte contre l’agression hitlérienne.

Ces gouvernements ont assumé par la même toute la responsabilité des conséquences de cet acte unilatéral.

Tenant compte de ce fait, le Gouvernement Soviétique se croit en droit de publier, à son tour, les documents secrets concernant les relations entre l’Allemagne hitlérienne et les gouvernements de l’Angleterre, de la France et des États-Unis, documents qui sont tombés aux mains du Gouvernement Soviétique et que ces gouvernements ont caché à l’opinion publique. Ils ont caché ces documents, ils ne veulent pas les publier.

Mais nous estimons que, après ce qui s’est passé, ils doivent être rendus publics afin qu’on puisse rétablir la vérité historique.

Le Gouvernement Soviétique dispose d’une documentation importante saisie par les troupes soviétiques lors de la défaite de l’Allemagne hitlérienne, et la publication de ces documents permettra de présenter sous son vrai jour le cours réel de la préparation et du développement de l’agression hitlérienne et de la Deuxième Guerre mondiale.

C’est le but que poursuit la note historique Falsificateurs de l’histoire publiée actuellement par le Bureau d’informations soviétique auprès du Conseil des Ministres de l’U.R.S.S.

Les documents secrets ayant trait à cette question seront publiés prochainement.

I. COMMENT A COMMENCÉ
LA PRÉPARATION DE L’AGRESSION ALLEMANDE ?

Les falsificateurs américains et leurs complices anglo-français essayent de créer l’impression que les préparatifs de l’agression allemande, qui ont abouti à la Deuxième Guerre mondiale, ont commencés en automne 1939.

Mais qui, de nos jours, sauf les gens tout à fait naïfs disposés à croire à toute nouvelle sensationnelle non fondée, peut s’y laisser prendre ? Qui donc ignore que l’Allemagne a commencé la préparation de la guerre dès l’accession d’Hitler au pouvoir ? Qui ne sait également que le régime hitlérien a été créé par les milieux monopolistes allemands avec approbation pleine et entière du camp gouvernant de l’Angleterre, de la France et des États-Unis ?

Afin de se préparer à la guerre et de s’assurer l’armement moderne, l’Allemagne devait rétablir et développer son industrie lourde, et, en premier lieu, la métallurgie et l’industrie de guerre de la Ruhr. Après sa défaite à la suite de la Première Guerre impérialiste, l’Allemagne, étant sous le joug du Traité de Versailles, ne pouvait le faire, par ses propres moyens en un court laps de temps. L’impérialisme allemand a bénéficié, sous ce rapport, d’un appui puissant de la part des États-Unis d’Amérique.

En est-il qui ignorent que les banques et trusts américains, agissant en plein accord avec le gouvernement, au cours de la période d’après Versailles, ont investi dans l’économie allemande et accordé à l’Allemagne des crédits s’élevant à des milliards de dollars, qui ont été utilisés pour le rétablissement et le développement du potentiel de l’industrie de guerre allemande ?

On sait que la période d’après Versailles a été marquée, en ce qui concerne l’Allemagne, par tout un système de mesures ayant pour but de rétablir son industrie lourde et en particulier le potentiel de l’industrie de guerre allemande.

Le « plan de réparation Dawes » prévu pour l’Allemagne a joué également un grand rôle sous ce rapport. À l’aide de ce plan, les États-Unis et l’Angleterre comptaient placer l’industrie allemande sous la dépendance des monopoles américains et britanniques.

Le plan Dawes a frayé la voie à un afflux intense et à la pénétration dans l’industrie allemande de capitaux étrangers, surtout américains. En conséquence, dès 1925, commençait le redressement de l’économie allemande, du fait d’un processus actif de rééquipement de son appareil de production.

En même temps, les exportations allemandes augmentaient brusquement pour atteindre, en 1927, le niveau de 1913 ; en ce qui concerne les produits manufacturés, elle a même dépassé ce niveau de 12 % (au prix de 1913). Au cours de 6 années, de 1924 à 1929, l’afflux de capitaux étrangers en Allemagne a été de 10-15 milliards de marks en investissements à long terme et de plus de 6 milliards à court terme. Selon certaines sources, le volume des investissements de capitaux a été beaucoup plus considérable. Cela a énormément renforcé le potentiel économique et, en particulier, le potentiel de guerre allemand. Sous ce rapport, le rôle prépondérant revient aux investissements de capitaux américains, qui représentaient 70 % au minimum du total des emprunts à long terme.

On connaît bien le rôle joué par les monopoles américains, avec en tête les familles Dupont, Morgan, Rockeffeller, Lamont et autres magnats industriels des États-Unis, dans le financement de l’industrie lourde allemande, dans l’établissement et le développement de liens les plus étroits entre l’industrie américaine et l’industrie allemande.

Les monopoles américains les plus importants se sont trouvés liés de la manière la plus étroite avec l’industrie lourde, les consortiums de guerre et les banques allemandes.

Le grand consortium chimique américain Du Pont de Nemours, qui était un des plus gros actionnaires du trust de l’automobile General Motors, et le trust chimique britannique Imperial Chemical Industries étaient en relations industrielles étroites avec le consortium chimique allemand I. G. Farbenindustrie, avec lequel ils avaient conclu, en 1926, un accord de cartel sur le partage des marchés mondiaux pour la vente de la poudre.

Le président du conseil d’administration de la maison Röhm & Haas, à Philadelphie (U.S.A.), était avant le guerre l’associé du chef de cette même maison à Darmstadt (Allemagne).

Notons à ce propos que l’ancien directeur de ce consortium, Rudolph Müller, déploie actuellement son activité dans la bi-zone et joue un rôle important dans les milieux dirigeants de l’Union chrétienne-démocrate.

Entre 1931 et 1939, le capitaliste allemand Schmitz, président du consortium I. B. Farbenindustrie et membre du conseil de la Deutsche Bank, avait le contrôle de la Société américaine General Dyestuffs Corporation.

Après la conférence de Munich (1938), le trust américain Standard Oil a conclu avec la I.B. Farbenindustrie un accord aux termes duquel cette dernière obtenait une part aux bénéfices sur l’essence d’aviation produite aux États-Unis en renonçant facilement, en contre-partie, à exporter d’Allemagne l’essence synthétique dont elle accumulait alors des stocks pour les buts de guerre.

Des liens de ce genre sont caractéristiques, non seulement pour les monopoles capitalistes américains. Des relations économiques très étroites, d’importance non seulement commerciale, mais militaire aussi, existaient par exemple à la veille de la guerre entre la Fédération des industries britanniques et le groupe industriel du Reich.

Les représentants de ces deux groupements monopolistes ont publié à Dusseldorf, en 1939, une déclaration commune, où il était dit, entre autres, que :

« Cet accord vise d’assurer la collaboration la plus complète possible entre les systèmes industriels de leurs pays. »

Cela se passait aux jours où l’Allemagne hitlérienne avait englouti la Tchécoslovaquie ! Rien d’étonnant que la revue londonienne Economist écrivait à ce propos :

« N’y a-t-il pas dans l’atmosphère de Düsseldorf quelque chose qui puisse faire perdre la raison aux hommes de bon sens ? [1] »

La Banque Schröder, bien connue, où prédominaient le trust allemand de l’acier Vereinigte Stahlwerke, fondée par Stinnes, Thyssen et autres magnats industriels de la Ruhr, avec sièges à New York et à Londres, fournit un exemple caractéristique de l’interpénétration du Capital américain, allemand et anglais.

Allan Dulles, directeur des maisons de Londres, Cologne et Hambourg de la Henry G. Schröder Banking Corporation à New York, qui représentait les intérêts des Schröder de Londres, Cologne et Hambourg, y a joué un rôle de premier plan.

La fameuse maison de contentieux Sullivan and Cromwel a joué un rôle éminent au siège de New York de la Banque Schröder. La maison Sullivan and Cromwel est dirigée par John Foster Dulles, qui est actuellement le principal conseiller de M. Marshall.

Sa maison est étroitement liée avec le trust mondial du pétrole, la Standard Oil des Rockefeller, et aussi avec la plus puissante banque des États-Unis, la Chase National Bank, qui a investi d’immenses capitaux dans l’industrie allemande.

En 1947 paraissait à New York un livre de R. Sasuly qui souligna qu’après Versailles, aussitôt que l’inflation fut arrêtée en Allemagne et le mark consolidé, l’Allemagne fut littéralement inondée d’emprunts étrangers. Ainsi, entre 1924 et 1930, la dette extérieure de l’Allemagne augmenta de plus de 30 milliards de marks.

L’industrie allemande, et tout particulièrement les Vereinigte Stahlwerke (firme allemande), fut largement reconstruite et modernisée avec l’aide du capital étranger, américain surtout. Certains emprunts étaient directement accordés aux firmes qui ont joué le premier rôle dans le réarmement [2].

Une des plus grandes banques new-yorkaises, la banque Dillon, Read and Company, dont l’actuel ministre de la défense Forrestal [3] a été l’un des directeurs pendant un certain nombre d’années, a joué un rôle des plus importants dans le financement du trust allemand de l’acier Vereinigte Stahlwerke, en même temps que la banque anglo-germano-américaine Schröder.

C’est cette pluie d’or qui a fécondé l’industrie lourde de l’Allemagne hitlérienne et, en particulier, l’industrie de guerre. Ce sont ces milliards de dollars américains, investis dans l’économie de guerre de l’Allemagne hitlérienne par les monopoles d’Outre-Atlantique qui ont rétabli le potentiel de guerre allemand et qui ont mis entre les mains du régime hitlérien l’arme nécessaire pour son agression.

En peu de temps, profitant de l’appui financier, principalement de la part des monopoles américains, l’Allemagne a rétabli une industrie de guerre puissante, capable de produire, en quantités formidables, des armements de premier ordre, des milliers de chars d’assaut, d’avions, de canons, de navires de guerre modernes et autres types d’armements.

C’est ce que voudraient faire oublier les falsificateurs de l’histoire, qui s’efforcent de se soustraire à la responsabilité leur incombant du fait de leur politique, qui a armé l’agression hitlérienne, déchaîné la Deuxième Guerre mondiale et conduit à une catastrophe militaire sans précédent dans l’histoire et qui a coûté à l’humanité des millions de victimes.

On ne peut donc oublier que la première et la plus importante prémisse de l’agression hitlérienne était de rétablir et de rénover l’industrie lourde et l’industrie de guerre allemandes, ce qui n’est devenu possible qu’à la suite d’une aide financière directe et amie de la part des milieux dirigeants des États-Unis d’Amérique.

Mais ce n’est pas tout.

Un autre facteur décisif qui a contribué au déclenchement de l’agression hitlérienne était la politique des milieux dirigeants de l’Angleterre et de la France, politique connue comme politique d’« apaisement » de l’Allemagne hitlérienne, politique renonçant à la sécurité collective.

Actuellement il doit être clair à tout le monde que c’est cette politique des milieux gouvernants anglo-français, politique de renonciation à la Sécurité collective, de non résistance à l’agression allemande et d’encouragement des prétentions agressives de l’Allemagne hitlérienne, qui a abouti à la Deuxième Guerre mondiale.

Passons aux faits :

Peu de temps après l’accession d’Hitler au pouvoir, à la suite des efforts des gouvernements anglais et français, en 1933, « le Pacte d’entente et de collaboration » des quatre puissances — Grande-Bretagne, Allemagne, France et Italie — fut signé à Rome. Ce Pacte signifiait une collusion entre les gouvernements anglais et français d’une part et, d’autre part, le fascisme allemand et italien, qui, déjà, ne dissimulait pas ses visées agressives.

En même temps, ce Pacte conclu avec les États fascistes signifiait la renonciation à la politique de renforcement du front des puissances pacifiques contre les États agressifs. En traitant avec l’Allemagne et l’Italie et en laissant de côté les autres Puissances — membres de la Conférence de désarmement, qui siégeait alors et qui examinait la proposition soviétique de conclure un Pacte de non-agression et un Pacte en vue de déterminer l’agresseur —, la Grande-Bretagne et la France ont porté un coup à l’œuvre entreprise pour assurer la paix et la sécurité des nations.

Après cela, en 1934, l’Angleterre et la France ont aidé Hitler à profiter de l’attitude hostile, à l’égard de l’U.R.S.S., de la Pologne nobiliaire, leur alliée, ce qui a eu pour résultat la conclusion du Pacte germano-polonais de non-agression, qui fut une des étapes importantes des préparatifs de l’agression allemande.

Hitler avait besoin de ce Pacte pour désorganiser les rangs des partisans de la sécurité collective et de démontrer ainsi que l’Europe avait besoin, non pas d’une sécurité collective, mais d’accords bilatéraux.

Cela permettait aux agresseurs allemands de décider eux-mêmes avec qui et à quel moment des accords devaient être conclu, et qui et à quel moment devait être attaqué. Nul doute que le Pacte germano-polonais ne constituât la première brèche importante dans la structure de la sécurité collective.

S’enhardissant, Hitler prit nombre de mesures pour reconstituer ouvertement les forces armées de l’Allemagne, ce qui ne provoqua aucune résistance de la part des gouvernants anglais et français.

Au contraire, peu de temps après, en 1935, à Londres, où Ribbentrop était arrivé à cette fin, un Accord naval anglo-allemand était conclu, aux termes duquel la Grande-Bretagne consentait au rétablissement des forces navales allemandes dans une proportion qui les rendait presque égales à celles de la flotte de guerre française.

Hitler obtenait, en outre, le droit de construire des sous-marins d’un tonnage global de 45 % de la flotte sous-marine britannique. C’est également à cette période que se rapportent les actes unilatéraux de l’Allemagne hitlérienne qui avaient pour but de supprimer toutes les autres restrictions relatives à l’augmentation des forces armées de l’Allemagne, restrictions établies par le Traité de Versailles, ces actes n’ayant provoqué aucune résistance de la part de l’Angleterre, de la France et des États-Unis.

Les appétits des agresseurs fascistes augmentaient de jour en jour, les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne et la France faisant preuve d’une tolérance évidente. Certes, ce n’est pas par hasard qu’à cette époque, les interventions militaires de l’Allemagne et de l’Italie en Éthiopie et en Espagne ne leur créaient guère d’ennuis.

Seule l’Union Soviétique poursuivait d’une manière ferme et conséquente sa politique de paix, défendant le principe de droits égaux et de l’indépendance de l’Éthiopie, qui était d’ailleurs un des membres de la Société des Nations ainsi que le droit du Gouvernement républicain légitime d’Espagne de recevoir un appui de la part des pays démocratiques dans sa lutte contre l’intervention germano-italienne.

En parlant de l’agression italienne contre l’Éthiopie à la session du 10 janvier 1936 du Comité Exécutif Central de l’U.R.S.S., V. M. Molotov disait :

« L’Union Soviétique a démontré au sein de la Société des Nations, sur l’exemple d’un petit pays, l’Éthiopie, qu’elle était fidèle à ce principe, au principe de l’indépendance de tous les États et de leur égalité en droits, en tant que nations.

L’Union Soviétique a également profité de sa participation à la Société des Nations pour mettre en pratique sa ligne de conduite à l’égard de l’agresseur impérialiste. [4] »

V. Molotov avait dit alors :

« La guerre italo-éthiopienne montre que la menace d’une guerre mondiale augmente et s’appesantit de plus en plus sur l’Europe. [5] »

Que faisaient, pendant ce temps, les gouvernements des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, sous les yeux desquels les brigands fascistes, d’une manière toujours plus impudente, sévissaient contre leurs victimes ?

Ils ne firent absolument rien pour mater les agresseurs allemands et italiens, pour prendre la défense des droits des peuples, foulés aux pieds, pour sauvegarder la paix et enrayer la menace imminente de la Deuxième Guerre mondiale.

L’Union Soviétique seule faisait tout son possible pour barrer la voie aux agresseurs fascistes. L’Union Soviétique s’est faite l’initiateur et le champion de la sécurité collective.

Dès le 6 février 1933, au sein de la Commission générale du désarmement, M. Litvinov, représentant de l’Union Soviétique, avait proposé de faire une déclaration définissant les termes d’agression et d’agresseur.

En proposant de définir le terme d’agresseur, l’Union Soviétique partait de la nécessité de définir de la façon la plus précise, dans l’intérêt de la sécurité générale et pour faciliter un accord au sujet d’une réduction maxima des armements, le terme d’« agression », cela afin d’« écarter tout prétexte tendant à la justifier ». Toutefois cette proposition a été repoussée par la conférence, qui, sous la direction de l’Angleterre et de la France, agissait en faveur de l’agression allemande.

Tout le monde sait la lutte opiniâtre et prolongée de l’Union Soviétique et de sa délégation, présidée par M. Litvinov, à la Société des Nations en faveur du maintien et du renforcement de la sécurité collective. Au cours de toute la période d’avant-guerre la délégation soviétique auprès de la Société des Nations défendait le principe de la sécurité collective, en élevant sa voix en faveur de ce principe presqu’à toutes les séances et dans presque toutes les Commissions de la Société des Nations.

Mais, comme on sait, la voix de l’Union Soviétique restait une voix criant dans le désert. Tout le monde connaît les propositions de la délégation soviétique au sujet des mesures à prendre pour renforcer la sécurité collective, propositions adressées conformément aux instructions du Gouvernement Soviétique, à M. Avenol, Secrétaire général de la Société des Nations, en date du 30 août 1936, avec la demande de les examiner au sein de la Société des Nations. Mais on sait également que ces propositions ont été ensevelies dans les archives de la Société des Nations et qu’il ne leur a pas été donné suite.

Il était évident que l’Angleterre et la France, qui, à ce moment jouaient le premier rôle à la Société des Nations, renonçaient à résister collectivement à l’agression allemande. Elles renonçaient à la sécurité collective, puisque celle-ci les empêchait de poursuivre leur nouvelle politique d’« apaisement » de l’agression allemande, la politique de concessions à l’agression hitlérienne.

Certes, une pareille politique ne pouvait que renforcer l’agression allemande. Mais les milieux dirigeants anglo-français croyaient que cela n’était pas dangereux, puisque, donnant satisfaction aux agresseurs allemands par des concessions dans l’Ouest, on pourrait la diriger plus tard du côté de l’Est et en faire une arme dirigée contre l’U.R.S.S.

Dans le rapport présenté au cours du XVIIIe Congrès du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. au mois de mars 1939, J. Staline, en exposant les raisons du renforcement de l’agression hitlérienne, disait :

« Le motif principal, c’est que la majorité des pays non-agresseurs, et avant tout l’Angleterre et la France, ont renoncé à la politique de la sécurité collective, à la politique de résistance collective aux agresseurs, et ont adopté une attitude de non-intervention, une attitude de neutralité. [6] »

Pour désorienter le lecteur et, en même temps, calomnier le Gouvernement Soviétique, le correspondant américain Neal Stanford affirme que le Gouvernement Soviétique s’opposait à la sécurité collective ; que M. Litvinov fut écarté de son poste de Commissaire du Peuple aux Affaires Étrangères et remplacé par V. Molotov, parce qu’il poursuivait une politique visant à renforcer la sécurité collective.

Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus stupide que cette affirmation fantastique. Il est évident que M. Litvinov poursuivait, non pas sa politique personnelle, mais celle du Gouvernement Soviétique. D’autre part, la lutte que ce gouvernement et ses représentants, M. Litvinov y compris, ont poursuivie en faveur de la sécurité collective au cours de toute la période d’avant-guerre, est connue du monde entier.

Quant à la nomination de V. Molotov au poste de Commissaire du Peuple aux Affaires Étrangères, il est évident que, dans une situation compliquée, alors que les agresseurs fascistes préparaient la Deuxième Guerre mondiale et que la Grande-Bretagne et la France avec, derrière elles, les États-Unis, les laissaient directement faire et les encourageaient dans leurs plans de guerre contre l’U.R.S.S., il était nécessaire d’avoir à un poste aussi responsable que celui du Commissaire du Peuple aux Affaires Étrangères, un homme d’État plus expérimenté et jouissant dans le pays d’une plus grande popularité que M. Litvinov.

Ce n’est pas par hasard que les Puissances Occidentales ont renoncé au Pacte de la sécurité collective.

Au cours de cette période une lutte entre deux lignes suivies dans la politique internationale s’était engagée. L’une consistait à lutter pour la paix, pour l’organisation de la sécurité collective et visait à résister à l’agression par les efforts unis des peuples pacifiques.

Cette ligne politique était celle de l’Union Soviétique, qui défendait d’une manière conséquente et ferme les intérêts de tous les peuples pacifiques, grands et petits. L’autre ligne était celle de la renonciation à l’organisation de la sécurité collective et à la résistance à l’agression ce qui encourageait nécessairement les pays fascistes à renforcer leur action agressive et, de ce fait, contribuer au déclenchement d’une nouvelle guerre.

Tout cela montre que la vérité historique est que l’agression hitlérienne est devenue possible premièrement, du fait que les États-Unis d’Amérique ont aidé les Allemands à créer en peu de temps la base économique et militaire de l’agression allemande et ont ainsi fourni les armes à cette agression, et deuxièmement, parce que la renonciation des milieux gouvernants anglo-français à la sécurité collective a désorganisé les rangs des pays pacifiques, dissocié le front unique de ces pays face à l’agression, frayé la voie à l’agression allemande, et aidé Hitler à déclencher la Deuxième Guerre mondiale.

Que serait-il advenu si les États-Unis n’avaient pas financé l’industrie lourde de l’Allemagne hitlérienne et si l’Angleterre et la France n’avaient pas renoncé à la sécurité collective, mais, au contraire, avaient organisé en commun avec l’Union Soviétique la riposte collective à l’agression allemande ?

L’agression allemande aurait été privée d’un armement suffisant. La politique hitlérienne de conquête se serait trouvée prise dans les tenailles du régime de la sécurité collective. Les chances que les hitlériens auraient eues de pouvoir déclencher avec succès une deuxième guerre mondiale auraient été réduites au minimum.

Et si les hitlériens, en dépit de ces conditions défavorables, avaient néanmoins osé déclencher une deuxième guerre mondiale, ils auraient été battus dès la première année de guerre.

Malheureusement, tel ne fut pas le cas, et cela à cause de la politique funeste des États-Unis d’Amérique, de l’Angleterre et de la France au cours de la période d’avant-guerre.

Voilà qui est coupable de ce que les hitlériens ont pu, non sans succès, déclencher la Deuxième Guerre mondiale, qui a duré presque six ans et qui a fait des millions de victimes.

II. NON PAS LUTTE CONTRE L’AGRESSION ALLEMANDE, MAIS POLITIQUE D’ISOLEMENT DE L’U.R.S.S.

La suite des évènements montre encore plus nettement que les milieux gouvernants d’Angleterre et de France ne faisaient qu’encourager l’Allemagne et la pousser dans la voie des conquêtes en accordant des concessions et des faveurs aux États fascistes qui s’étaient groupés en 1936 en un bloc militaire et politique connu sous le nom d’« Axe Berlin-Rome ».

Repoussant la politique de sécurité collective, l’Angleterre et la France avaient adopté l’attitude d’une prétendue non-intervention, au sujet de laquelle Joseph Staline disait :

« La politique de non-intervention peut être caractérisée comme suit : « Que chaque pays se défende contre les agresseurs comme il veut et comme il peut, cela ne nous regarde pas ; nous allons commercer aussi bien avec les agresseurs qu’avec leurs victimes. » Mais en réalité, la politique de non-intervention signifie encourager l’agression, donner libre cours à la guerre et donc, la transformer en une guerre mondiale. [7] »

Staline ajoutait que :

« Le jeu politique vaste et dangereux commencé par les tenants de la politique de non-intervention pourrait finir pour eux par un fiasco grave. [8] »

Dès 1937, il était parfaitement clair qu’on s’acheminait à une grande guerre machinée par Hitler, qui profitait de ce que la Grande-Bretagne et la France le laissaient faire.

Les documents du Ministère allemand des Affaires Étrangères saisis par les troupes soviétiques après la débâcle de l’Allemagne dévoilent la vraie nature de la politique extérieure de la Grande-Bretagne et de la France pendant cette période.

Ces documents montrent que le fond de la politique anglo-française ne consistait pas à grouper les forces des États pacifiques pour une lutte commune contre l’agression, mais à isoler l’U.R.S.S. et à diriger l’agression hitlérienne vers l’Est, contre l’Union Soviétique, en faisant d’Hitler l’instrument de leurs buts.

Ce faisant les gouvernants d’Angleterre et de France connaissaient fort bien l’orientation principale de la politique extérieure hitlérienne qu’Hitler avait définie comme suit :

« Nous autres, nationaux-socialistes, nous mettons sciemment le point final à l’orientation de notre politique extérieure d’avant-guerre. Nous commençons là où nous nous sommes arrêtés il y a six siècles.

Nous abandonnons le perpétuel désir d’expansion vers le Sud et l’Ouest de l’Europe, et tournons nos regards vers les terres de l’Est. Nous rompons enfin avec la politique coloniale et commerciale d’avant-guerre et passons à la politique territoriale de l’avenir.

Mais lorsque nous parlons aujourd’hui en Europe de terres nouvelles nous ne pouvons songer en premier lieu qu’à la Russie et aux États limitrophes qui lui sont subordonnés. Il semble que le sort lui-même nous montre le chemin. [9] »

On avait généralement pensé jusqu’à ces temps derniers que toute la responsabilité de la politique de trahison de Munich incombait aux milieux gouvernants d’Angleterre et de France, aux gouvernements de Chamberlain et de Daladier.

Le fait que le Gouvernement américain s’est chargé de publier les documents des archives allemands en excluant du recueil ceux relatifs à l’accord de Munich montre que ce gouvernement est intéressé à disculper les héros de la trahison de Munich et à essayer de rejeter la faute sur l’U.R.S.S.

Autrefois aussi, le fond de la politique munichoise de l’Angleterre et de la France, était suffisamment clair. Cependant, les documents des archives du Ministère allemand des Affaires Étrangères qui sont aux mains du Gouvernement Soviétique apportent de nombreuses données complémentaires qui dévoilent le vrai sens de la diplomatie des puissances occidentales dans la période d’avant-guerre ; ils montrent comment on a joué avec les destinées des nations, avec quelle impudence on trafiquait des territoires d’autrui, comme on retaillait secrètement la carte du monde, comment on encourageait l’agression hitlérienne et quels efforts on faisait pour orienter cette agression vers l’Est, contre l’Union Soviétique.

Cela est éloquemment attesté, par exemple, par le document allemand qui contient le texte d’un entretien qui eut lieu le 19 novembre 1937, à Obersalzberg, entre Hitler et le ministre anglais Halifax en présence du ministre allemand des Affaires Étrangères von Neurath.

Halifax déclara que :

« Lui

[lord Halifax]

et les autres membres du Gouvernement anglais étaient convaincus que le Führer avait obtenu de grands résultats non seulement en Allemagne, mais que, en détruisant le communisme dans son pays, il lui avait barré le chemin de l’Europe occidentale et que, pour cette raison, l’Allemagne pouvait être considérée à bon droit comme le bastion de l’Occident contre le bolchevisme. [10] »

Au nom du Premier ministre britannique Chamberlain, Halifax déclarait qu’il y avait pleine possibilité de résoudre même les problèmes difficiles, pourvu que l’Allemagne et l’Angleterre réussissent à s’entendre aussi avec la France et l’Italie.

Halifax disait :

« Il ne faut pas qu’on ait l’impression que l’ »Axe Berlin-Rome » ou les bonnes relations entre Londres et Paris auraient à souffrir d’un rapprochement germano-britannique.

Une fois que, grâce au rapprochement germano-britannique, le terrain se trouvera préparé, les quatre grandes puissances d’Europe occidentale [11] devront créer en commun la base sur laquelle on pourra établir en Europe une paix durable.

Aucune des quatre puissances ne doit en aucun cas rester en marge de cette collaboration ; sinon, on ne pourra mettre un terme à l’instabilité actuelle. [12] »

C’est ainsi que dès 1937, au nom du Gouvernement anglais, Halifax proposait à Hitler l’adhésion de l’Angleterre et, en même temps, de la France, à l’« Axe Berlin-Rome ».

Toutefois, Hitler répondit à cette proposition en déclarant qu’un tel accord entre les quatre puissances lui semblait très facile à réaliser pour autant qu’il s’agissait de bonne volonté et courtoisie réciproque, mais que les choses se compliqueraient si l’Allemagne n’était pas considérée « comme un État ne portant plus le stigmate moral ou matériel du Traité de Versailles ».

Selon le texte noté de l’entretien :

« Halifax répondit que les Anglais sont des réalistes et, plus que quiconque peut-être, sont-ils convaincus que les erreurs du dictat de Versailles doivent être corrigées. Autrefois aussi, l’Angleterre a toujours exercé son influence dans ce sens réaliste.

Halifax signala le rôle joué par l’Angleterre lors de l’évacuation avant terme de la Rhénanie, lors du règlement de la question des réparations, et lors de la réoccupation de la Rhénanie. [13] »

La suite du texte de l’entretien Hitler-Halifax montre que le Gouvernement anglais avait adopté une attitude favorable aux plans hitlériens de l’« acquisition » de Dantzig, de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. Après avoir examiné avec Hitler les questions du désarmement et de la S.D.N. et observé que ces problèmes avaient besoin d’être encore discutés, Halifax déclara encore :

« On peut dire de toutes les autres questions qu’elles concernent des changements de l’ordre européen qui selon toute probabilité s’accompliront tôt ou tard. Au nombre de ces questions figurent Dantzig, l’Autriche et la Tchécoslovaquie.

L’Angleterre n’est intéressée qu’à une chose : que ces changements se fassent par une évolution pacifique et que l’on puisse éviter les méthodes susceptibles d’entraîner de nouveaux bouleversements, que ne souhaiteraient ni le Führer, ni les autres pays. [14] »

On le voit : cet entretien n’était pas un simple sondage, une façon de tâter l’interlocuteur, ce qui est parfois une nécessité politique, mais une collusion, un accord secret entre le Gouvernement anglais et Hitler, en vue de satisfaire l’appétit de conquête de celui-ci aux dépens de tiers pays.

Il convient de noter à ce propos la déclaration faite au parlement, le 21 février 1938, par le ministre anglais Simon, qui a dit que la Grande-Bretagne n’avait jamais donné de garantie spéciale de l’indépendance de l’Autriche. C’était un mensonge manifeste, puisque de telles garanties se trouvaient dans les traités de Versailles et de Saint-Germain.

À la même époque, le Premier ministre britannique Chamberlain déclara que l’Autriche ne pouvait compter sur aucune défense de la part de la Société des Nations.

« Nous ne devons pas essayer — a dit Chamberlain — de nous induire nous-mêmes en erreur et encore moins devons-nous tromper les nations petites et faibles en leur faisant espérer qu’elles seront défendues par la S.D.N. contre l’agression et que l’on pourra agir en conséquence, car nous savons que rien de tel ne peut être entrepris. [15] »

C’est ainsi que les dirigeants de la politique britannique encourageaient Hitler à entreprendre des actes d’agression.

Les archives allemandes saisies par les troupes soviétiques à Berlin contiennent aussi le texte d’un entretien entre Hitler et l’ambassadeur britannique en Allemagne, Henderson, qui eut lieu en présence de Ribbentrop, le 3 mars 1938 [16].

Dès le début de cet entretien, Henderson en souligna le caractère confidentiel, en stipulant que la teneur de l’entretien ne serait communiquée ni aux Français, ni aux Belges, ni aux Portugais, ni aux Italiens, auxquels on se bornerait à dire que cet entretien faisait suite aux pourparlers Halifax-Hitler et qu’il avait été consacré à des questions concernant l’Allemagne et l’Angleterre.

Au cours de cet entretien, parlant au nom du Gouvernement anglais, Henderson souligna que :

« Il ne s’agit pas d’une transaction commerciale, mais d’une tentative d’établir les bases d’une amitié vraie et cordiale avec l’Allemagne, en commençant par améliorer la situation et en finissant par créer un esprit nouveau de compréhension amicale. [17] »

N’élevant pas d’objection contre l’exigence d’Hitler de « grouper l’Europe sans la Russie », Henderson rappela que Halifax, devenu entre-temps ministre des Affaires Étrangères, avait déjà accepté les changements territoriaux que l’Allemagne se disposait à faire en Europe, et que :

« Le but de la proposition anglaise est de prendre part à ce règlement raisonnable [18] ».

Ainsi qu’il est stipulé dans le texte noté de ce même entretien, Henderson déclara que :

« [Chamberlain] fit preuve d’un grand courage lorsque, malgré tout, il arracha le masque des phrases internationales telles que la sécurité collective, etc… »

Et c’est pourquoi — ajoutait Henderson — l’Angleterre se déclare prête à écarter toutes les difficultés et demande à l’Allemagne si elle est disposée, à son tour, à en faire autant. [19] »

Lorsque Ribbentrop se mêla à la conversation en faisant remarquer à Henderson que le ministre d’Angleterre à Vienne avait fait « sous une forme dramatique » une déclaration à von Papen à propos des événements d’Autriche, Henderson s’empressa de se désolidariser de la déclaration de son collègue en disant que « lui-même, Neville Henderson, s’était souvent prononcé pour l’Anschluss ».

Tel était le langage tenu par la diplomatie anglaise dans la période d’avant-guerre.

Après cette entente, dès le 12 mars 1938, Hitler s’empara de l’Autriche sans se heurter à aucune résistance de l’Angleterre et de la France. L’Union Soviétique fut seule à ce moment à jeter un cri d’alarme et à lancer un nouvel appel à l’organisation de la défense collective de l’indépendance des pays menacés par l’agression. Dès le 17 mars 1938, le Gouvernement Soviétique avait adressé aux puissances une note, se déclarant :

« Prêt à entreprendre avec les autres puissances, dans la S.D.N. ou en marge de celle-ci, l’examen de mesures pratiques [qui] seraient destinées à enrayer le développement de l’agression et à supprimer le danger devenu plus pressant, d’un nouveau carnage mondial. [20] »

La réponse du Gouvernement anglais à la note soviétique montrait que le dit gouvernement ne voulait pas contrecarrer ces plans d’agression hitlérienne. Il y était dit que :

« Une conférence pour l’adoption d’actions concertées contre l’agression n’exercerait pas nécessairement, de l’avis du Gouvernement de Sa Majesté, une influence favorable sur les perspectives de la paix européenne. [21] »

L’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne fut le maillon suivant dans la chaîne de l’agression allemande et de la préparation de la guerre en Europe. Et ce pas on ne peut plus important vers le déchaînement de la guerre en Europe ne put être fait par Hitler qu’avec l’appui direct de l’Angleterre et de la France.

Dès le 10 juillet 1938 l’ambassadeur d’Allemagne à Londres, Dircksen, communiquait à Berlin que :

« Le Gouvernement anglais avait fait de la recherche d’un compromis avec l’Allemagne un des points essentiels de son programme. »

Et que :

« Le dit Gouvernement manifeste pour l’Allemagne le maximum de compréhension que pourrait manifester une quelconque des équipes possibles de politiques anglais. [22] »

Dircksen écrivait que :

« Le Gouvernement anglais s’était rapproché de la compréhension des points les plus essentiels des revendications fondamentales de l’Allemagne en ce qui concerne l’élimination de l’Union Soviétique du règlement du sort de l’Europe, l’évincement, en ce sens, de la S.D.N. également et l’opportunité de négociations et de traités bilatéraux. [23] »

Dircksen mandait également à Berlin que le Gouvernement anglais était prêt à faire de grands sacrifices pour « satisfaire les autres justes revendications de l’Allemagne [24] ».

De ce fait une entente allant loin et concernant les plans de politique extérieure était réellement intervenue entre le Gouvernement anglais et Hitler, ce que Dircksen notait avec une grande force d’expression, dans son rapport adressé à Berlin.

Il n’est guère besoin de rappeler les faits patents se rapportant cette fois directement à la transaction de Munich. Il ne faut cependant pas oublier que le 19 septembre 1938, c’est-à-dire quatre jours après l’entrevue Hitler-Chamberlain (ce dernier s’était rendu à cette fin en avion à la résidence hitlérienne de Berchtesgaden), les représentants des gouvernements britannique et français exigèrent du Gouvernement tchécoslovaque le transfert à l’Allemagne des régions de Tchécoslovaquie principalement peuplées d’Allemands des Sudètes.

Ils déclaraient, pour justifier cette exigence, que sans cela il serait soi-disant impossible de maintenir la paix et d’assurer les intérêts vitaux de la Tchécoslovaquie. Les protecteurs anglo-français de l’agression hitlérienne tentèrent de couvrir leur trahison par la promesse d’une garantie internationale des nouvelles frontières de l’État tchécoslovaque comme « contribution à l’œuvre d’apaisement de l’Europe [25] ».

Le 20 septembre le Gouvernement tchécoslovaque répondait aux propositions anglo-françaises. Il déclarait que :

« L’adoption des telles propositions équivaudrait à une mutilation volontaire et complète de l’État sous tous les rapports. »

Le Gouvernement tchécoslovaque attirait l’attention des gouvernements anglais et français sur le fait que :

« La paralysie de la Tchécoslovaquie aurait pour conséquence des changements politiques profonds dans toute l’Europe centrale et du sud-est. »

Dans sa réponse le Gouvernement tchécoslovaque déclarait :

« L’équilibre des forces dans l’Europe centrale et dans l’Europe en général serait détruit, ce qui entraînerait de graves conséquences pour tous les autres États, pour la France tout particulièrement. »

Le Gouvernement tchécoslovaque lançait un « ultime appel » aux gouvernements d’Angleterre et de France, leur demandant de revenir sur leur point de vue et soulignant que cela était non seulement dans l’intérêt de la Tchécoslovaquie, mais de ses amis aussi, dans l’intérêt « de toute la cause de la paix et d’un développement normal de l’Europe ».

Les gouvernants anglo-français restèrent inébranlables.

Le lendemain le Gouvernement anglais adressait sa réponse au Gouvernement tchécoslovaque. Dans cette note, il lui proposait de retirer sa réponse aux propositions initiales anglo-françaises et de « peser d’urgence et sérieusement » le pour et le contre avant de créer une situation dont le Gouvernement anglais ne saurait assumer la responsabilité. En conclusion, le Gouvernement anglais soulignait qu’il ne pouvait croire que le projet tchécoslovaque d’arbitrage fût acceptable à l’heure actuelle. La note anglaise faisait remarquer que :

« Le Gouvernement anglais ne pouvait supposer que le Gouvernement allemand considère la situation comme susceptible d’être résolue par voie d’arbitrage, comme le propose le Gouvernement tchécoslovaque. »

En conclusion, la note anglaise mettait en garde le Gouvernement tchécoslovaque et déclarait sur un ton menaçant que, dans le cas ou le conseil donné par l’Angleterre serait décliné, le Gouvernement tchécoslovaque « devait être libre de recourir à toutes actions qu’il jugerait conformes à la situation pouvant exister plus tard ».

La Conférence de Munich qui a eu lieu les 29-30 septembre 1938 entre Hitler, Chamberlain, Mussolini et Daladier fut le couronnement de la honteuse transaction pleinement concertée au préalable entre les principaux participants du complot contre la paix.

Le sort de la Tchécoslovaquie fut décidé sans qu’elle y participât dans aucune mesure. Les représentants de la Tchécoslovaquie ne furent invités à Munich que pour y attendre humblement les résultats de l’entente avec les impérialistes.

Toute l’attitude de l’Angleterre et de la France ne laissait d’ailleurs aucun doute sur ce point que l’acte inouï de trahison commis par les gouvernements anglais et français à l’égard du peuple tchécoslovaque et de sa république n’était nullement un épisode fortuit dans la politique de ces États, mais un élément important de la politique dont le but était d’orienter l’agression hitlérienne contre l’Union Soviétique.

Le véritable sens de l’entente de Munich fut dénoncé à cette époque par Joseph Staline, disant que :

« On a livré aux Allemands des régions de la Tchécoslovaquie comme prix de leur engagement de déclencher la guerre contre l’Union Soviétique. [26] »

L’essence de toute la politique des milieux gouvernants anglo-français dans cette période fut révélée dans les paroles suivantes de Joseph Staline au XVIIIe Congrès du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., en mars 1939 :

« La politique de non-intervention —disait J. Staline — signifie encourager l’agression, déchaîner la guerre et par conséquent la transformer en guerre mondiale.

La politique de non-intervention trahit la volonté, le désir de ne pas gêner les agresseurs d’accomplir leur œuvre ténébreuse, de ne pas empêcher, notamment, le Japon de s’embourber dans une guerre avec la Chine, et mieux encore, avec l’Union Soviétique ; de ne pas empêcher l’Allemagne de s’enliser dans les affaires européennes, de s’empêtrer dans une guerre avec l’Union Soviétique, de permettre à tous les belligérants de s’enfoncer jusqu’au cou dans la vase de la guerre ; de les y encourager sournoisement ; de les laisser s’affaiblir et s’épuiser mutuellement, et, ensuite lorsqu’ils seront suffisamment affaiblis, de paraître sur la scène avec des forces fraîches, d’intervenir, naturellement, « dans l’intérêt de la paix » et de dicter ses conditions aux belligérants affaiblis. [27] »

L’accord de Munich fut accueilli avec indignation et par un blâme résolu dans les milieux démocratiques des divers pays, y compris ceux des États-Unis d’Amérique, de Grande-Bretagne et de France.

On peut juger de l’attitude de ces milieux vis-à-vis de la trahison munichoise des gouvernants anglo-français ne fut-ce que par les commentaires comme ceux qu’on trouvait, par exemple, dans le livre publié aux États-Unis par M. Sayers et Kahn sous le titre de La Grande conspiration contre la Russie.

Voici ce que les auteurs de ce livre écrivaient au sujet de Munich :

« Les gouvernements de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste, d’Angleterre et de France ont signé l’accord de Munich.

Le rêve de la « Sainte Alliance » antisoviétique caressé par la réaction mondiale depuis 1918 s’était enfin réalisé.

Cet accord laissait la Russie sans alliés. Le Pacte franco-soviétique, pierre angulaire de la sécurité collective en Europe, était enterré. Les Sudètes tchèques devenaient une partie de l’Allemagne nazie. Les portes de l’Est s’ouvraient largement devant les hordes hitlériennes. [28] »

De toutes les grandes puissances, l’Union Soviétique a été la seule qui ait pris une part active à toutes les étapes de la tragédie tchécoslovaque, à la défense de l’indépendance et des droits nationaux de la Tchécoslovaquie.

Dans leurs tentatives pour se justifier aux yeux de l’opinion publique, les gouvernements d’Angleterre et de France déclarèrent hypocritement ignorer soi-disant si l’Union Soviétique allait remplir vis-à-vis de la Tchécoslovaquie les engagements découlant du Traité d’assistance mutuelle. Ils affirmaient ainsi une chose qu’ils savaient fausse, car le Gouvernement Soviétique s’était publiquement déclaré prêt à intervenir en faveur de la Tchécoslovaquie contre l’Allemagne, conformément aux clauses de ce Traité, qui stipulaient l’intervention simultanée de la France pour la défense de la Tchécoslovaquie. Mais la France refusa de remplir son devoir.

Néanmoins, le Gouvernement Soviétique déclara de nouveau, à la veille de la transaction de Munich, se prononcer pour la convocation d’une conférence internationale, afin d’apporter une aide pratique à la Tchécoslovaquie et de prendre des mesures pratiques pour maintenir la paix.

Lorsque l’occupation de la Tchécoslovaquie devint un fait, et que les gouvernements des pays impérialistes eurent, l’un après l’autre, déclaré reconnaître le fait accompli, le Gouvernement Soviétique flétrit, dans sa note du 18 mars, la mainmise sur la Tchécoslovaquie, perpétrée par l’Allemagne hitlérienne avec la complicité de l’Angleterre et de la France, comme acte arbitraire de violence et d’agression. Dans cette même note, le Gouvernement Soviétique soulignait que, les actes de l’Allemagne

« créaient et renforçaient la menace à la paix universelle, troublaient la stabilité politique en Europe centrale, multipliaient les éléments de l’état d’alarme existant déjà en Europe et portaient une nouvelle atteinte au sentiment de sécurité des peuples [29] ».

Mais on ne se borna pas à livrer la Tchécoslovaquie à Hitler. Les gouvernements de l’Angleterre et de la France se hâtèrent à qui mieux mieux de signer de larges accords politiques avec l’Allemagne hitlérienne. Le 30 septembre 1938, fut signée à Munich, par Chamberlain et Hitler, une déclaration anglo-allemande où il était dit :

« Nous avons poursuivi aujourd’hui notre entretien et sommes arrivés unanimement à la conviction que la question des rapports germano-anglais a une importance de tout premier ordre pour les deux pays et pour l’Europe.

Nous considérons l’accord signé hier soir, ainsi que l’accord naval germano-anglais. comme le symbole du désir de nos deux peuples de ne plus jamais se faire la guerre. Nous sommes fermement résolus à examiner également les autres questions intéressant nos deux pays, par voie de consultations, et de nous efforcer d’écarter à l’avenir tous motifs de différends, afin de contribuer à assurer la paix en Europe. [30] »

C’était, de la part de l’Angleterre et de l’Allemagne, une déclaration de non-agression mutuelle.

Le 6 décembre 1938 fut signé une déclaration franco-allemande de Bonnet-Ribbentrop, analogue à la déclaration anglo-allemande.

Il y était dit que les gouvernements allemand et français étaient arrivés tous deux à la conviction que les rapports pacifiques et de bon voisinage entre l’Allemagne et la France constituaient l’une des prémisses essentielles de consolidation des relations européennes et de sauvegarde de la paix universelle et que les deux gouvernements feraient tous leurs efforts pour assurer le maintien de rapports de cette nature entre leurs pays.

La déclaration constatait qu’il n’existait plus, entre la France et l’Allemagne, de questions litigieuses d’ordre territorial et que la frontière, entre leurs pays, était définitive. En conclusion, la déclaration disait que les deux gouvernements étaient fermement résolus, sous réserve de leurs rapports particuliers avec de tierces puissances, à demeurer en contact mutuel pour toutes les questions concernant leurs deux pays et à se consulter mutuellement au cas où ces questions pourraient, dans leur évolution ultérieure, conduire à des complications internationales.

C’était, de la part de la France et de l’Allemagne, une déclaration de non-agression entre ces deux pays.

Au fond, la conclusion de ces accords signifiait que l’Angleterre et la France avaient signé avec Hitler des pactes de non-agression.

On voit se dessiner, en toute clarté, dans ces accords avec l’Allemagne hitlérienne, le désir des gouvernements anglais et français d’écarter d’eux la menace de l’agression hitlérienne, dans l’idée que l’accord de Munich et autres conventions analogues avaient déjà ouvert les portes à l’agression hitlérienne dans l’Est, du côté de l’Union Soviétique.

C’est ainsi qu’étaient créées les conditions politiques nécessaires à « l’Union de l’Europe sans la Russie ».

On allait à l’isolement total de l’Union Soviétique.

III. ISOLEMENT DE L’UNION SOVIÉTIQUE.
PACTE DE NON-AGRESSION SOVIÉTO-ALLEMAND

Après l’occupation de la Tchécoslovaquie, l’Allemagne fasciste commença à préparer la guerre tout à fait ouvertement, sous les yeux du monde entier. Hitler, encouragé par l’Angleterre et la France, ne se gêna plus et cessa de se poser en partisan d’un règlement pacifique des problèmes européens. Les mois les plus dramatiques de la période d’avant-guerre commençaient.

À ce moment déjà, il était évident que chaque jour qui passait rapprochait l’humanité d’une catastrophe militaire sans précédent.

Quelle était donc alors, la politique de l’Union Soviétique d’une part, et, d’autre part, de la Grande-Bretagne et de la France ?

La tentative d’éluder la réponse à cette question, tentative entreprise par les falsificateurs de l’histoire aux États-Unis, montre seulement que ceux-ci n’ont pas la conscience tranquille.

La vérité est que l’Angleterre et la France, soutenues par les milieux dirigeants des États-Unis, dans cette période fatale du printemps et de l’été 1939, quand la guerre frappait à la porte, suivaient toujours l’ancienne ligne de leur politique.

C’était une politique de provocation poussant l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique.

Pour donner le change, on voilait cette politique, non seulement par des phrases hypocrites, où l’on se déclarait prêt à coopérer avec l’U.R.S.S., mais par certaines manœuvres diplomatiques peu compliquées qui devaient cacher à l’opinion des peuples le caractère réel de la ligne politique suivie.

Ces manœuvres consistaient avant tout dans les pourparlers de 1939, que l’Angleterre et la France avaient décidé d’engager avec l’Union Soviétique.

Pour tromper l’opinion publique, les milieux dirigeants anglo-français essayèrent de présenter ces pourparlers comme une sérieuse tentative d’empêcher les progrès de l’agression hitlérienne.

Mais, à la lumière de tout le cours ultérieur des événements, il devenait absolument manifeste que, pour les anglo-français, ces pourparlers n’étaient, dès le début, qu’un nouveau coup dans leur double jeu.

Cela était également clair aux dirigeants de l’Allemagne hitlérienne, pour qui le sens des pourparlers entamés par les gouvernements de l’Angleterre et de la France avec l’Union Soviétique, n’était naturellement pas un secret.

Voici, par exemple, ce qu’écrivait à ce propos Dircksen, ambassadeur d’Allemagne à Londres, dans son rapport daté du 3 août 1939, adressé au Ministère allemand des Affaires Étrangères, comme le montrent les documents saisis par l’armée soviétique lors de la défaite de l’Allemagne hitlérienne :

« L’impression prédominait ici que les liens qui se sont établis au cours des derniers mois avec d’autres États ne sont qu’un moyen de réserve en vue d’une véritable réconciliation avec l’Allemagne et que ces liens disparaîtront aussitôt qu’on aura atteint le seul but important et digne d’efforts : l’accord avec l’Allemagne. »

Tous les diplomates allemands qui ont observé la situation à Londres partageaient entièrement cette opinion.

Dans un autre rapport secret envoyé à Berlin, Dircksen écrivait :

« Par ses armements et en acquérant des alliés, l’Angleterre veut accroître sa puissance et se mettre au niveau de l’Axe. Elle veut en même temps essayer d’aboutir à un accord avec l’Allemagne par la voie de négociations. [31] »

Les calomniateurs et falsificateurs de l’histoire voudraient cacher ces documents car ils projettent une lumière crue sur la situation qui a régné dans les derniers mois d’avant-guerre.

Or, sans apprécier d’une façon juste cette situation, il est impossible de comprendre la vraie préhistoire de la guerre. En entamant des pourparlers avec l’Union Soviétique et en accordant des garanties à la Pologne, à la Roumanie et à certains autres États, l’Angleterre et la France, avec l’appui des milieux gouvernants des États-Unis, jouaient un double jeu en vue de conclure un accord avec l’Allemagne hitlérienne et d’orienter son agression vers l’Est, contre l’Union Soviétique.

Les négociations entre l’Angleterre et la France, d’une part, et l’Union Soviétique, de l’autre, ont commencé en mars 1939 et ont duré près de 4 mois.

Toute la marche de ces pourparlers a fait ressortir avec évidence que, tandis que l’Union Soviétique voulait aboutir à un accord, sur un pied d’égalité avec les puissances occidentales, accord qui puisse empêcher l’Allemagne, ne fût-ce qu’au dernier moment, de déchaîner la guerre en Europe, les gouvernements de l’Angleterre et de la France, forts de l’appui des États-Unis, se proposaient de tout autres buts.

Les milieux gouvernants anglo-français, habitués à faire tirer les marrons du feu par d’autres, avaient, une fois de plus, tenté d’imposer à l’Union Soviétique des engagements en vertu desquels l’U.R.S.S. devait assumer tout le poids des sacrifices que coûterait la riposte à l’agression hitlérienne éventuelle, tandis que ni l’Angleterre, ni la France, ne prenaient la moindre obligation envers l’Union Soviétique.

Si cette manœuvre avait réussi aux gouvernants anglo-français, ils se seraient fort rapprochés de la réalisation de leur principal objectif, qui était de jeter le plus tôt possible, l’une contre l’autre, l’Allemagne et l’Union Soviétique.

Cependant, ce plan fut deviné par le Gouvernement Soviétique qui, à toutes les phases des négociations, opposa aux manœuvres diplomatiques et aux subterfuges des puissances occidentales ses propositions franches et nettes, dont le seul but était défendre la cause de la paix en Europe.

Point n’est besoin d’évoquer toutes les péripéties de ces pourparlers. Il convient seulement d’en rappeler certaines phases particulièrement importantes.

Il suffit de se remémorer les conditions que le Gouvernement Soviétique formula au cours des négociations : signature entre l’Angleterre, la France et l’U.R.S.S. d’un pacte efficace d’assistance mutuelle contre l’agression ; garantie donnée par l’Angleterre, la France et l’U.R.S.S. aux États de l’Europe centrale et orientale, y compris tous les pays européens, sans exception, limitrophes de l’U.R.S.S. ; signature d’une convention militaire concrète entre l’Angleterre, la France et l’U.R.S.S. sur les formes et les proportions de l’assistance immédiate et efficace que ces puissances se prêteraient réciproquement, ainsi qu’aux États bénéficiaires de la garantie en cas d’agression [32] .

À la troisième session du Soviet Suprême de l’U.R.S.S., le 31 mai 1939, V. Molotov a fait remarquer que le principe élémentaire de la réciprocité et de l’égalité des obligations, éléments nécessaires de tous accords conclus sur une base d’égalité, faisait défaut dans certaines propositions anglo-françaises formulées au cours de ces négociations.

« Se garantissant — a dit V. Molotov — contre une attaque directe de la part d’agresseurs par des pactes d’assistance mutuelle entre eux et avec la Pologne, et s’assurant le concours de l’U.R.S.S. en cas d’attaque de la part d’agresseurs contre la Pologne et la Roumanie, les Anglais et Français laissaient pendante la question de savoir si l’U.R.S.S. pouvait à son tour compter sur une aide de leur part en cas d’attaque directe de la part d’agresseurs contre elle.

De même ils laissaient ouverte la question de savoir s’ils pouvaient participer à la garantie des petits États limitrophes de l’U.R.S.S. et couvrant sa frontière nord-ouest au cas où ceux-ci seraient impuissants à défendre leur neutralité contre une attaque de la part d’agresseurs. La situation était donc inégale pour l’U.R.S.S. [33] »

Même lorsque les représentants anglo-français commencèrent à accepter, en paroles, le principe de l’assistance mutuelle entre l’Angleterre, la France et l’U.R.S.S. à titre de réciprocité en cas d’attaque directe de la part d’agresseurs, ils firent nombre de réserves qui rendaient cet accord fictif.

En outre, les propositions anglo-françaises prévoyaient l’assistance de l’U.R.S.S. pour les pays auxquels les Anglais et les Français avaient fait des promesses de garantie sans rien dire de leur assistance aux pays situés aux frontières nord-ouest de l’U.R.S.S., c’est-à-dire aux États baltes, au cas où ceux-ci seraient victimes d’une attaque de la part de l’agresseur.

Partant des considérations énoncées plus haut, V. Molotov déclarait que l’Union Soviétique ne pouvait assumer d’engagements à l’égard de certains pays sans que des garanties analogues soient accordées aux pays situés aux frontières nord-ouest de l’Union Soviétique.

Rappelons d’autre part que, lorsque l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou, Seeds, s’informa le 18 mars 1939 auprès du Commissaire du Peuple aux Affaires Étrangères de l’attitude de l’Union Soviétique en cas d’agression hitlérienne contre la Roumanie, agression sur les préparatifs de laquelle les Anglais étaient renseignés, et lorsqu’il fut demandé du côté soviétique quelle serait l’attitude de l’Angleterre dans cette éventualité, Seeds se déroba, en faisant remarquer qu’au point de vue géographique, la Roumanie est plus près de l’Union Soviétique que de l’Angleterre.

Ainsi, dès le premier pas, apparut nettement le désir des milieux dirigeants anglais à lier l’Union Soviétique par des engagements déterminés en restant eux-mêmes à l’écart. Ce procédé, plutôt simpliste, se répéta ensuite systématiquement à maintes reprises, au cours de toute la marche des pourparlers.

En réponse à la demande anglaise, le Gouvernement Soviétique proposa de convoquer une conférence des représentants des États les plus intéressés, et notamment de la Grande-Bretagne, de la France, de la Roumanie, de la Pologne, de la Turquie et de l’Union Soviétique.

De l’avis du Gouvernement Soviétique, cette conférence aurait offert le plus de possibilités de tirer au clair la situation réelle et de déterminer les positions de tous ses participants. Cependant, le Gouvernement britannique répondit qu’il estimait prématurée la proposition soviétique.

Au lieu de réunir une conférence qui aurait permis de s’entendre au sujet des mesures concrètes de lutte contre l’agression, le Gouvernement anglais proposa au Gouvernement Soviétique, le 21 mars 1939, de signer conjointement avec lui, ainsi qu’avec la France et la Pologne, une déclaration dans laquelle les gouvernements signataires s’engageraient « à se consulter sur les mesures à prendre en vue d’une résistance commune », au cas où « l’indépendance d’un État quelconque se trouverait menacée ».

L’ambassadeur de la Grande-Bretagne, cherchant à démontrer l’admissibilité de sa proposition, insistait particulièrement sur cette circonstance que la déclaration était rédigée en termes qui n’obligeaient que fort peu.

Il était de toute évidence que cette déclaration ne pouvait contribuer sérieusement à la lutte contre une menace imminente de la part de l’agresseur. Présumant, cependant, que cette déclaration, malgré le peu d’espoir qu’elle offrait, pouvait marquer ne fût-ce qu’un certain pas en avant dans le refrènement de l’agresseur, le Gouvernement Soviétique consentit à adopter la proposition anglaise.

Mais déjà, le 1er avril 1939, l’ambassadeur de la Grande-Bretagne à Moscou communiquait que l’Angleterre considérait comme abandonnée la question d’une déclaration commune.

Après deux nouvelles semaines d’atermoiements, le Ministre des Affaires Étrangères anglais Halifax fit au Gouvernement Soviétique, par l’intermédiaire de l’ambassadeur de la Grande-Bretagne à Moscou, une nouvelle proposition consistant en ce que le Gouvernement Soviétique ferait une déclaration, selon laquelle :

« En cas d’un acte d’agression contre un voisin européen quelconque de l’Union Soviétique, lequel opposerait résistance, on pourrait compter sur l’assistance du Gouvernement Soviétique, si cette assistance était désirable. »

Le sens principal de cette proposition consistait en ce que, au cas d’un acte d’agression de l’Allemagne contre la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Finlande, l’Union Soviétique était obligée de leur accorder son assistance sans aucune obligation de la part de l’Angleterre d’accorder la sienne, c’est-à-dire de s’engager seul à seul dans une guerre avec l’Allemagne.

En ce qui concerne la Pologne et la Roumanie, auxquelles l’Angleterre avait donné sa garantie, l’Union Soviétique devait dans ce cas également leur prêter assistance contre l’agresseur.

Mais même dans ce cas, l’Angleterre ne voulait assumer aucune obligation, quelle qu’elle fût, en commun avec l’Union Soviétique, en se réservant les mains et le champ libres pour toute manœuvre, sans compter que conformément à cette proposition la Pologne et la Roumanie, ainsi que les États baltes, ne s’engageaient à rien à l’égard de l’U.R.S.S.

Le Gouvernement Soviétique ne voulait pas cependant laisser échapper une seule possibilité d’arriver à un accord avec les autres puissances sur la lutte commune contre l’agression hitlérienne. Il présenta sans le moindre retard au Gouvernement britannique une contre-proposition.

Cette proposition consistait en ceci : premièrement, l’Union Soviétique, l’Angleterre et la France s’engageaient mutuellement à se prêter les uns aux autres toute assistance immédiate, y compris l’assistance militaire, au cas où l’un de ces états serait victime d’une agression ; deuxièmement, l’Union Soviétique, l’Angleterre et la France s’engageaient à accorder toute assistance, y compris l’assistance militaire, aux États de l’Europe de l’Est, situés entre la mer Baltique et la mer Noire et limitrophes de l’Union Soviétique en cas d’agression contre ces États ; enfin, troisièmement, l’Union Soviétique, l’Angleterre et la France devaient s’engager à établir à bref délai les proportions et les formes de l’assistance militaire, devant être accordées à chacun de ces États dans les deux cas mentionnés plus haut.

Tels étaient les points les plus essentiels de la proposition soviétique. Il n’est pas difficile de voir la différence radicale qui existait entre les propositions soviétiques et britanniques pour autant que la proposition soviétique renfermait en elle-même des mesures réellement efficaces de résistance conjointe à l’agression.

Au cours de trois semaines aucune réponse ne fut donnée à cette proposition par le Gouvernement britannique. Ce silence provoqua même en Angleterre une inquiétude croissante, si bien que le Gouvernement anglais dut, en fin de compte, recourir à une nouvelle manœuvre pour duper l’opinion publique.

Le 8 mai, la réponse anglaise parvint à Moscou ; il serait plus juste de dire les contre-propositions anglaises ; il était suggéré de nouveau au Gouvernement Soviétique de faire une déclaration unilatérale, par laquelle :

« Il s’engagerait, au cas où la Grande-Bretagne ou la France seraient entraînées dans les opérations militaires en exécution des engagements pris par elles [envers la Belgique, la Pologne, la Roumanie, la Grèce et la Turquie] de leur prêter immédiatement son concours si ce dernier s’avérait désirable, la nature de ce concours et les conditions auxquelles il serait prêté devant être l’objet d’un accord. »

De nouveau, dans cette proposition, il s’agissait d’obligations unilatérales de l’Union Soviétique.

Elle devait s’engager à prêter assistance à l’Angleterre et à la France, qui, de leur côté, ne prenaient absolument aucune obligation à l’égard de l’Union Soviétique concernant les Républiques Baltes. De cette façon, l’Angleterre proposait de placer l’U.R.S.S. dans une situation d’inégalité inadmissible pour tout État indépendant, et indigne de lui.

Il est facile de comprendre que, de fait, la proposition anglaise s’adressait moins à Moscou, qu’à Berlin. Les Allemands étaient invités à attaquer l’Union Soviétique et on leur donnait à entendre que l’Angleterre et la France resteraient neutres, pourvu seulement que l’agression allemande ait lieu à travers les pays Baltes.

Le 11 mai une nouvelle complication intervint dans les pourparlers entre l’Union Soviétique, l’Angleterre et la France par suite de la déclaration de l’ambassadeur de Pologne à Moscou, Grzybowski, qui communiqua que :

« La Pologne n’estime pas possible de conclure un pacte d’assistance mutuelle avec l’U.R.S.S. »

Il va de soi que cette déclaration du représentant polonais n’avait pu être faite qu’à la connaissance et avec l’approbation des milieux dirigeants d’Angleterre et de France.

La conduite des représentants britanniques et français dans les pourparlers de Moscou portait un caractère si nettement provocateur, que même dans le camp dirigeant des puissances occidentales, il se trouva des personnes pour critiquer âprement un jeu aussi grossier.

Ainsi, en été 1939, Lloyd George publia dans le journal français Ce Soir un article virulent, dans lequel il s’attaquait aux dirigeants de la politique anglaise. Parlant des raisons des atermoiements interminables, dans lesquels s’étaient enlisés les pourparlers entre l’Angleterre et la France d’une part et l’Union Soviétique d’autre part, Lloyd George écrivait qu’à cette question il ne pouvait y avoir qu’une seule réponse :

« Neville Chamberlain, Halifax et John Simon ne veulent aucun accord avec la Russie. »

Il va de soi que ce qui était clair pour Lloyd George, ne l’était pas moins pour les meneurs de l’Allemagne hitlérienne, qui se rendaient parfaitement compte que les puissances occidentales ne pensaient à aucun accord sérieux avec l’Union Soviétique, mais poursuivaient un tout autre but.

Ce but consistait à pousser Hitler à attaquer le plus tôt possible l’Union Soviétique, en lui assurant, pour ainsi dire, une prime pour cette agression du fait que l’Union Soviétique était placée dans les conditions les moins favorables en cas de guerre avec l’Allemagne.

En outre, les puissances occidentales faisaient traîner indéfiniment en longueur les pourparlers avec l’Union Soviétique, en s’efforçant de noyer les questions essentielles dans la bourbe des mesquins amendements et des variantes innombrables.

Chaque fois que la question tombait sur des engagements réels quelconques, les représentants de ces puissances faisaient mine de ne pas comprendre ce dont il s’agissait.

Vers la fin de mai, l’Angleterre et la France déposèrent de nouvelles propositions améliorant quelque peu la variante précédente, mais qui, cependant, laissaient toujours pendante la question essentiellement importante pour l’Union Soviétique de la garantie des trois Républiques baltes, situées sur sa frontière Nord-Ouest.

Ainsi tout en consentant à certaines concessions verbales, sous la pression de l’opinion publique de leurs pays, les gouvernants de l’Angleterre et de la France continuaient à suivre obstinément leur première ligne en entourant leurs propositions de réserves qui les rendaient notoirement inacceptables à l’Union Soviétique.

La conduite des représentants anglo-français pendant les pourparlers à Moscou était devenue à ce point intolérable, que V. Molotov se vit obligé, le 27 mai 1939, de déclarer à l’ambassadeur d’Angleterre Seeds et au chargé d’Affaires de France Payart, que le projet d’accord présenté par eux au sujet de la résistance commune à l’agresseur en Europe ne prévoyait aucun plan d’organisation d’assistance mutuelle efficace et même ne témoignait pas d’un sérieux intérêt des gouvernements anglais et français pour un pacte correspondant avec l’Union Soviétique.

En même temps, il était directement déclaré que la proposition anglo-française portait à penser que les gouvernements d’Angleterre et de France tenaient moins au pacte lui-même qu’aux pourparlers autour du pacte. Peut-être ces conversations étaient-elles nécessaires à l’Angleterre et à la France pour certains buts. Mais ces buts étaient inconnus du Gouvernement Soviétique.

Ce dernier était intéressé non pas aux pourparlers au sujet du pacte, mais à l’organisation d’une assistance mutuelle effective entre l’U.R.S.S., l’Angleterre et la France, contre l’agression en Europe. Les représentants anglo-français étaient prévenus que le Gouvernement Soviétique n’avait pas l’intention de participer aux pourparlers au sujet d’un pacte dont les buts étaient inconnus de l’U.R.S.S. et que les gouvernements anglais et français pouvaient mener ces pourparlers avec des partenaires faisant mieux l’affaire que l’U.R.S.S.

Les pourparlers de Moscou traînaient interminablement. Les causes de ce retard inadmissible furent révélées par le Times de Londres qui écrivait :

« Une alliance rapide et résolue avec la Russie peut empêcher d’autres pourparlers… [34] »

Par « autres pourparlers » le Times entendait sans doute les négociations de Robert Hudson, ministre du commerce d’outre-mer, avec le docteur Hellmut Wohltat, conseiller économique d’Hitler, au sujet des possibilités d’un prêt britannique fort considérable à l’Allemagne hitlérienne, ce dont il sera question plus loin.

En outre, comme l’on sait, le jour où l’armée hitlérienne fit son entrée à Prague, une délégation de la Fédération de l’industrie anglaise négociait à Düsseldorf, selon une information de presse, la conclusion d’un accord de vaste envergure avec la grande industrie allemande.

Ce qui attirait également l’attention, c’était le fait que des personnalités de deuxième rang avaient été chargées de mener les pourparlers au nom de la Grande-Bretagne, à Moscou, tandis que Chamberlain lui-même était allé d’Angleterre en Allemagne, et plus d’une fois, pour négocier avec Hitler.

Il importe également de noter que le délégué anglais Strang, pour les négociations avec l’U.R.S.S., n’était pas muni de pouvoirs pour signer quelque accord que ce soit avec l’Union Soviétique.

L’U.R.S.S. demandant de passer à des pourparlers concrets au sujet des mesures de lutte contre un agresseur éventuel, les gouvernements d’Angleterre et de France durent consentir à envoyer leurs missions militaires a Moscou. Mais celles-ci mirent plus de temps que de raison à atteindre Moscou.

Et lorsqu’elles y arrivèrent, il se trouva qu’elles étaient composées de personnalités secondaires, qui, de plus, n’étaient pas munies de pouvoirs pour signer quelque accord que ce soit. Dans ces conditions, les pourparlers militaires s’avérèrent aussi infructueux que les négociations politiques.

Les missions militaires des puissances occidentales montrèrent d’emblée qu’elles ne désiraient pas débattre sérieusement les moyens d’assistance mutuelle en cas d’agression de l’Allemagne.

La mission militaire soviétique partait du fait que, si la guerre éclatait, l’U.R.S.S. n’ayant pas de frontière commune avec l’Allemagne, pouvait aider l’Angleterre, la France, la Pologne seulement à la condition qu’on laissait les troupes soviétiques traverser le territoire polonais. Mais le Gouvernement de la Pologne déclara qu’il n’acceptait pas l’aide militaire de l’U.R.S.S., montrant ainsi qu’il craignait le renforcement de l’Union Soviétique plus que l’agression hitlérienne. Les missions anglaise et française appuyèrent cette attitude de la Pologne.

Dans le cours des pourparlers militaires, on posa également la question de l’effectif des forces armées que les participants de l’accord devaient faire entrer en ligne immédiatement, en cas d’agression.

Alors les Anglais mentionnèrent un chiffre dérisoire, déclarant pouvoir mettre en ligne 5 divisions d’infanterie et une division motorisée.

Les Anglais proposaient cela au moment où l’Union Soviétique se déclarait prête à envoyer au front, contre l’agresseur, 136 divisions, 5 mille canons, moyens et lourds, environ 10.000 tanks et tanquettes, plus de 5 mille avions de combat, etc. Cela montre combien peu sérieuse fut l’attitude du Gouvernement anglais à l’égard des pourparlers sur la conclusion d’un accord militaire avec l’U.R.S.S.

Les données mentionnées ci-dessus suffisent à confirmer la conclusion que se présente tout naturellement à l’esprit. Voici cette conclusion :

1. Le Gouvernement Soviétique, dans tout le cours des pourparlers, s’est efforcé, avec une patience extraordinaire, d’assurer une entente avec l’Angleterre et la France au sujet de l’assistance mutuelle contre l’agresseur sur la base de l’égalité et à la condition que cette assistance fût réellement efficace, c’est-à-dire que la conclusion du traité politique s’accompagnât de la signature d’une convention militaire établissant les proportions, les formes et les délais de l’assistance. Car toute la marche antérieure des événements avait montré d’une façon suffisamment nette que seul un accord pareil pourrait être efficace et capable de mettre à la raison l’agresseur hitlérien, gâté par de longues années d’impunité totale et de laisser-faire de la part des puissances occidentales.

2. La conduite de l’Angleterre et de la France au cours des pourparlers avec l’Union Soviétique confirma pleinement qu’elles ne songeaient même pas à un accord sérieux avec celle-ci. Car la politique anglaise et française s’inspirait de buts autres, n’ayant rien à voir avec les intérêts de la paix et de la lutte contre l’agression.

3. Le dessein perfide de la politique anglo-française était de donner à entendre à Hitler que l’U.R.S.S. n’avait pas d’alliés, que l’U.R.S.S. était isolée, qu’Hitler pouvait attaquer l’U.R.S.S. sans risquer de se heurter à une résistance de la part de l’Angleterre et de la France.

Dans ces conditions, on ne doit pas s’étonner que les pourparlers anglo-franco-soviétiques aient fait fiasco. Cet échec n’était certes pas fortuit.

Il devenait de plus en plus évident que les représentants des puissances occidentales, dans leur double jeu, s’étaient proposés d’avance de faire échouer ces pourparlers. Le fait est que parallèlement aux négociations avec l’U.R.S.S. publiquement conduites, les Anglais menaient dans les coulisses des pourparlers avec l’Allemagne, auxquels ils attachaient une importance infiniment plus grande.

Si, par leurs pourparlers de Moscou, les milieux dirigeants des puissances occidentales cherchaient avant tout à assoupir la vigilance de l’opinion publique de leurs pays, à tromper les peuples qu’on entraînait dans la guerre, les négociations avec les hitlériens étaient d’une autre nature.

Le programme des pourparlers anglo-allemands était formulé en termes suffisamment clairs par Halifax, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, qui adressait à l’Allemagne hitlérienne des appels non équivoques au moment même ou ses fonctionnaires poursuivaient leurs négociations à Moscou.

Prenant la parole au cours d’un banquet à l’Institut Royal des relations internationales, le 29 juin 1939, Halifax se déclarait prêt à s’entendre avec l’Allemagne sur toutes les questions « qui angoissent le monde ». Il disait notamment :

« Dans une pareille atmosphère nouvelle nous pourrions examiner le problème colonial, le problème des matières premières, celui des barrières s’opposant au commerce, de l’ »espace vital », de la limitation des armements, et tous autres problèmes qui intéressent les Européens. [35] »

Si l’on se souvient de la manière dont le journal conservateur Daily Mail, lié à Halifax, traitait dès 1933 le problème de l’« espace vital », en proposant aux hitlériens de s’en tailler un en U.R.S.S., on n’aura plus aucun doute sur la portée réelle de la déclaration de Halifax.

C’était là une franche proposition faite à l’Allemagne hitlérienne de s’entendre sur le partage du monde et des sphères d’influence, de résoudre tous les problèmes sans l’Union Soviétique et surtout à ses dépens.

Dès le mois de juin 1939, les représentants de l’Angleterre engageaient dans le plus grand secret des pourparlers avec l’Allemagne, par l’entremise de Wohltat venu à Londres en qualité de délégué d’Hitler pour le plan quadriennal. Hudson, ministre anglais du Commerce d’outre-mer, et G. Wilson, conseiller intime de Chamberlain, s’entretinrent avec lui.

Le sujet des pourparlers de juin est encore entouré du mystère des archives diplomatiques. Mais en juillet Wohltat revenait à Londres et les pourparlers étaient repris. Le sujet de ce deuxième tour des négociations est maintenant connu grâce aux documents saisis en Allemagne qui sont entre les mains du Gouvernement Soviétique et qui seront prochainement publiés.

Hudson et G. Wilson ont proposé à Wohltat puis à Dircksen, ambassadeur d’Allemagne à Londres, d’entamer des pourparlers secrets pour la conclusion d’un accord de grande envergure qui comprendrait un accord sur le partage des sphères d’influence à l’échelle mondiale et pour mettre fin à la « concurrence mortelle sur des marchés communs ».

Il était prévu que l’Allemagne obtiendrait dans le sud-est de l’Europe une influence prépondérante. Dans son rapport au Ministère allemand des Affaires Étrangères, daté du 21 juillet 1939, Dircksen faisait remarquer que le programme discuté par Wohltat et Wilson embrassait des questions politiques, militaires et économiques.

Parmi les questions politiques une place particulière était réservée parallèlement au Pacte de non-agression, à un Pacte de non-intervention, qui devait comprendre

« la délimitation des espaces vitaux entre les grandes puissances, surtout entre l’Angleterre et l’Allemagne [36] ».

Lors de l’examen des problèmes relatifs à la conclusion de ces deux pactes, les représentants anglais avaient promis qu’en cas de signature des dits pactes l’Angleterre renoncerait aux garanties qu’elle venait d’accorder à la Pologne.

Dans le cas d’un accord anglo-germanique, les Anglais étaient prêts laisser les Allemands régler seuls à seuls avec la Pologne le problème de Dantzig et celui du corridor polonais, s’engageant à ne pas intervenir dans ce règlement.

De plus, Wilson confirma, ainsi que le prouvent documentairement les rapports de Dircksen qui seront bientôt publiés, qu’en cas de signature, par l’Angleterre et l’Allemagne, des pactes susmentionnés, la politique anglaise des garanties serait abandonnée en fait.

« Dans ce cas la Pologne — écrit Dircksen dans son rapport — restera pour ainsi dire face à face avec l’Allemagne. »

Tout cela signifiait que les gouvernants de l’Angleterre étaient prêts à livrer la Pologne en pâture à Hitler alors que l’encre avec laquelle venaient d’être signés les garanties anglaises à la Pologne n’avait pas encore séché.

En même temps, en cas de conclusion d’un accord anglo-allemand, le but que se proposaient l’Angleterre et la France lorsqu’elles entamèrent les pourparlers avec l’Union Soviétique aurait été atteint et il aurait été plus facile de précipiter le conflit entre l’Allemagne et l’U.R.S.S.

Enfin, on envisageait de compléter l’accord politique entre l’Angleterre et l’Allemagne par un accord économique comprenant une transaction secrète sur les questions coloniales, sur la répartition des matières premières, le partage des marchés, etc., et aussi sur un prêt anglais important à l’Allemagne.

Ainsi donc, les gouvernants de l’Angleterre entrevoyaient le tableau attrayant d’un accord solide avec l’Allemagne et ce qu’on appelle la « canalisation » de l’agression allemande vers l’Est, contre la Pologne, à laquelle ils venaient de donner des « garanties » et contre l’Union Soviétique.

Quoi d’étonnant que les calomniateurs et les falsificateurs de l’histoire passent soigneusement sous silence, s’efforçant de dissimuler ces faits d’importance capitale pour bien comprendre la situation dans laquelle la guerre devenait ainsi inévitable.

Aucun doute ne pouvait subsister, à ce moment-là, que l’Angleterre et la France, loin d’avoir l’intention d’entreprendre quoi que ce soit de sérieux pour empêcher l’Allemagne hitlérienne de déchaîner la guerre, ont au contraire fait tout ce qui était en leur pouvoir pour exciter l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique au moyen de tractations et de marchés secrets, en se livrant à toutes les provocations possibles.

Les falsificateurs quels qu’ils soient ne réussiront pas à effacer de l’histoire ni de la conscience des peuples le fait décisif que, dans ces conditions, l’Union Soviétique était placée devant cette alternative :

— ou bien accepter, dans un but d’autodéfense, la proposition faite par l’Allemagne de signer un Pacte de non-agression et d’assurer, par là même, à l’Union Soviétique la prolongation de la paix pour un certain laps de temps, que l’État Soviétique utiliserait pour mieux préparer ses forces en vue de la riposte à l’attaque éventuelle de l’agresseur ;

— ou bien décliner la proposition de l’Allemagne sur le Pacte de non-agression et permettre de ce fait aux provocateurs de guerre du camp des puissances occidentales d’entraîner immédiatement l’Union Soviétique dans un conflit armé avec l’Allemagne, cela dans une situation tout à fait défavorable, à l’Union Soviétique dans les conditions de son isolement complet.

Dans ces conditions, le Gouvernement Soviétique s’est vu obligé de faire son choix et de signer un Pacte de non-agression avec l’Allemagne.

Ce choix a été un acte sagace et clairvoyant de la politique extérieure soviétique dans la situation qui existait alors. Cet acte du Gouvernement Soviétique a déterminé, dans une très grande mesure, l’issue favorable, pour l’Union Soviétique et pour tous les peuples épris de liberté, de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce serait une grossière calomnie que d’affirmer que la conclusion d’un pacte avec les hitlériens eût fait partie du plan de la politique extérieure de l’U.R.S.S.

Au contraire, l’U.R.S.S. s’est toujours efforcée d’arriver à un accord avec les états occidentaux non-agressifs contre les agresseurs germano-italiens, dans le but d’assurer la sécurité collective sur les bases de l’égalité. Mais l’accord est un acte fondé sur la réciprocité.

Alors que l’U.R.S.S. s’efforçait d’arriver à un accord sur la lutte contre l’agression, l’Angleterre et la France le repoussaient systématiquement et préféraient mener la politique visant à l’isolement de l’U.R.S.S., la politique de concessions aux agresseurs, la politique de l’orientation de l’agression vers l’Est, contre l’U.R.S.S. Les États-Unis d’Amérique, loin de s’opposer à cette politique funeste, la soutenaient au contraire par tous les moyens.

En ce qui concerne les milliardaires américains, ils continuaient d’investir leurs capitaux dans l’industrie lourde allemande, aidaient les Allemands à développer leur industrie de guerre et armaient ainsi l’agression allemande, comme s’ils voulaient dire :

« Guerroyez, Messieurs les Européens, à votre aise, guerroyez avec l’aide de Dieu, tandis que nous, modestes milliardaires américains, nous nous enrichirons à votre guerre, en accaparant des centaines de millions de dollars de surprofits ! »

On comprend que, vu l’état de choses en Europe, il ne restait à l’Union Soviétique qu’une issue : accepter la proposition des Allemands au sujet de la conclusion d’un pacte. C’était, malgré tout, la meilleure de toutes les issues possibles.

De même qu’en 1918, par suite de la politique hostile des puissances occidentales, l’Union Soviétioue s’était trouvée forcée de conclure la paix de Brest avec les Allemands, de même, en 1939, 20 ans après la paix de Brest, l’Union Soviétique se voyait contrainte de conclure un pacte avec les Allemands par suite de la même politique hostile de l’Angleterre et de la France.

Les conversations de calomniateurs de toute espèce prétendant que l’U.R.S.S. ne devait pourtant pas aller jusqu’à un pacte avec les Allemands, ne sauraient être considérées autrement que comme risibles.

Si la Pologne. ayant pour alliés l’Angleterre et la France, avait pu aller jusqu’à un Pacte de non-agression avec les Allemands en 1934, pourquoi l’U.R.S.S., qui se trouvait dans des conditions moins favorables, ne pouvait-elle pas se permettre ce même pacte en 1939 ?

Pourquoi l’Angleterre et la France, qui représentaient la force dominante en Europe, avaient-elles pu faire en 1938, en commun avec les Allemands, une déclaration de non-agression alors que l’Union Soviétique, isolée grâce à la politique hostile de l’Angleterre et de la France ne pouvait aller jusqu’à un pacte avec les Allemands ?

N’est-ce pas un fait que, de toutes les grandes puissances non-agressives de l’Europe, l’Union Soviétique a été la dernière à se décider à un pacte avec les Allemands ?

Naturellement, les falsificateurs de l’histoire et autres réactionnaires ne sont pas contents de ce que l’Union Soviétique ait réussi à utiliser habilement le Pacte soviéto-allemand aux fins d’affermir sa défense ; qu’elle ait réussi à déplacer ses frontières loin vers l’Ouest et à barrer la route à l’avance non contrariée de l’agression allemande vers l’Est ; que les troupes hitlériennes aient été obligées de commencer leur offensive vers l’Est, non pas de la ligne Narva-Minsk-Kiev, mais d’une ligne passant à des centaines de kilomètres plus à l’Ouest ; que l’U.R.S.S. n’ait pas été vidée de son sang par la guerre nationale, mais qu’elle fût sortie victorieuse de la guerre. Toutefois ce mécontentement rentre déjà dans le domaine de la fureur impuissante de politiciens faillis.

Le mécontentement furibond de ces messieurs ne peut être considéré que comme la démonstration de ce fait incontestable, que la politique de l’Union Soviétique a été et reste juste.

IV. CONSTITUTION DU FRONT « EST ». L’AGRESSION DE L’ALLEMAGNE CONTRE L’U.R.S.S. LA COALITION ANTI-HITLÉRIENNE. LE PROBLÈME DES OBLIGATIONS INTERALLIÉES.

En signant le Pacte soviéto-allemand de non-agression au mois d’août 1939, l’Union Soviétique ne doutait pas un seul instant que tôt ou tard Hitler attaquerait l’U.R.S.S. Cette certitude de l’Union Soviétique découlait des principes fondamentaux politiques et militaires dont s’inspiraient les hitlériens. Elle était confirmée par l’activité pratique du Gouvernement hitlérien dans toute la période d’avant-guerre.

C’est pourquoi la première tâche du Gouvernement Soviétique consistait à créer un front « Est » contre l’agression hitlérienne, à établir une ligne de défense aux frontières occidentales des terres biélorusses et ukrainiennes, à organiser de cette manière une barrière pour faire obstacle à l’avance des troupes allemandes vers l’Est.

Il fallait pour cela réunir à la Biélorussie et à l’Ukraine soviétiques, la Biélorussie et l’Ukraine occidentales dont la Pologne seigneuriale s’était emparée en 1920, et y faire avancer les troupes soviétiques. Il fallait faire diligence car les troupes polonaises mal équipées s’avéraient peu solides, le commandement et le Gouvernement polonais avaient déjà pris la fuite et les troupes hitlériennes qui ne rencontraient pas d’obstacles sérieux, pouvaient occuper les terres biélorusses et ukrainiennes avant l’arrivée des troupes soviétiques.

Le 17 septembre 1939, sur l’ordre du Gouvernement Soviétique, les troupes soviétiques franchirent la frontière soviéto-polonaise d’avant-guerre, occupèrent la Biélorussie occidentale et l’Ukraine occidentale et se mirent à organiser la défense le long de la ligne occidentale des terres ukrainiennes et biélorusses. C’était dans l’essentiel la ligne connue dans l’histoire sous le nom de ligne « Curzon » établie à la Conférence des alliés à Versailles.

Quelques jours après, le Gouvernement Soviétique signa des pactes d’assistance mutuelle avec les États Baltes, pactes qui prévoyaient le cantonnement sur le territoire de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, de garnisons de l’armée soviétique, l’organisation d’aérodromes soviétiques et l’établissement de bases navales.

Ainsi fut constitué le fondement du front « Est ».

Il n’était guère difficile de comprendre que la constitution d’un front « Est » était non seulement une contribution importante à l’œuvre d’organisation de la sécurité de l’U.R.S.S., mais aussi un apport sérieux à la cause commune des États pacifiques qui menaient la lutte contre l’agression hitlérienne.

Néanmoins, les milieux anglo-franco-américains ont dans leur écrasante majorité répondu par une campagne antisoviétique haineuse à cette action du Gouvernement Soviétique, la qualifiant d’agression.

Il se trouva, d’ailleurs, des hommes politiques qui se montrèrent assez perspicaces pour saisir le sens de la politique soviétique et pour reconnaître la justesse de la création d’un front « Est ». Parmi eux, la première place appartient à M. Churchill, alors ministre de la Marine. Dans son allocution radiodiffusée du 1er octobre 1939, après plusieurs sorties inamicales contre l’Union Soviétique, il déclarait :

« Néanmoins, il est de toute évidence que les Russes devaient forcément monter la garde sur cette ligne, afin de garantir leur pays contre la menace nazie. Quoiqu’il en soit, cette ligne existe, l’établissement d’un front oriental est désormais un fait accompli et ce front, l’Allemagne nazie n’ose s’y attaquer. Lorsque M. von Ribbentrop fut convoqué à Moscou la semaine dernière, c’était pour apprendre le fait — pour y accepter le fait — que les Nazis devront renoncer entièrement et immédiatement à leurs visées sur les États Baltes et sur l’Ukraine. »

Alors que sur les frontières occidentales de l’U.R.S.S., fort éloignées de Moscou, de Minsk et de Kiev, la situation était plus ou moins satisfaisante pour la sécurité de l’U.R.S.S., on ne pouvait en dire autant de la frontière septentrionale de l’Union Soviétique.

Là, à 32 kilomètres à peine de Leningrad, se tenaient les troupes finnoises donc le commandement s’orientait dans sa majorité sus l’Allemagne hitlérienne. Le Gouvernement Soviétique savait parfaitement que les éléments fascistes des milieux dirigeants de la Finlande, étroitement liés aux hitlériens et dont l’influence était grande dans l’armée finnoise, visaient à s’emparer de Leningrad. On ne pouvait considérer comme fortuit le fait que le chef de l’état-major général de l’armée hitlérienne, Halder, s’était rendis dès l’été 1939 en Finlande pour donner des instructions aux chefs supérieurs de l’armée finnoise.

Il était difficile de douter que les milieux dirigeants finnois fussent alliés aux hitlériens et qu’ils voulussent faire de la Finlande une place d’armes pour l’agression de l’Allemagne hitlérienne contre l’U.R.S.S.

Donc, rien d’étonnant si toutes les tentatives faites par l’U.R.S.S. pour trouver un terrain d’entente avec le Gouvernement finlandais afin d’améliorer les relations entre les deux pays, sont restées vaines.

Le Gouvernement de la Finlande déclina, l’une après autre, toutes les propositions amicales du Gouvernement Soviétique qui visaient à assurer la sécurité de l’U.R.S.S. et, en particulier, celle de Leningrad, bien que l’Union Soviétique allât au-devant des vœux de la Finlande en vue de satisfaire les intérêts légitimes de cette dernière.

Le Gouvernement finlandais déclina la proposition faite par l’U.R.S.S. de reporter la frontière finnoise dans l’isthme de Carélie à quelques dizaines de kilomètres, bien que le Gouvernement Soviétique consentît à céder en échange à la Finlande un territoire deux fois plus grand de la Carélie Soviétique.

Le Gouvernement finlandais rejeta également la proposition de l’U.R.S.S. relative à la conclusion d’un Pacte d’assistance mutuelle prouvant ainsi que du côté de la Finlande la sécurité de l’U.R.S.S. n’était pas assurée.

Par ces actes hostiles et d’autres analogues, par ses provocations à la frontière soviéto-finnoise, la Finlande déchaîna la guerre contre l’Union Soviétique.

On connaît les résultats de la guerre soviéto-finnoise. Les frontières de l’U.R.S.S. au Nord-Ouest, et notamment dans la région de Leningrad, furent reportées en avant et la sécurité de l’U.R.S.S. consolidée.

Ceci joua un rôle important dans la défense de l’Union Soviétique contre l’agression hitlérienne, pour autant que l’Allemagne hitlérienne et ses complices finnois durent déclencher leur offensive au Nord-Ouest de l’U.R.S.S. non pas devant Leningrad même, mais en partant d’une ligne située à près de 150 kilomètres au Nord-Ouest.

Dans son discours prononcé le 29 mars à la session du Soviet Suprême de l’U.R.S.S., V. Molotov a déclaré :

« L’Union Soviétique, ayant écrasé l’armée finnoise et ayant l’entière liberté d’occuper toute la Finlande, ne l’a pas fait et n’a exigé aucune contribution à titre de compensation pour ses dépenses de guerre, comme l’aurait fait toute autre puissance. Elle a limité ses desiderata au minimum.

Dans le traité de paix nous ne nous posions d’autre but que celui d’assurer la sécurité de Leningrad, de Mourmansk et du chemin de ter de Mourmansk. »

Il faut noter que, bien que, par toute leur politique a l’égard de l’U.R.S.S., les milieux gouvernants finnois fissent le jeu de l’Allemagne hitlérienne, les dirigeants anglo-français de la S.D.N. prirent immédiatement le parti du Gouvernement finlandais, par le truchement de la S.D.N., ils qualifièrent l’U.R.S.S. d’« agresseur », approuvant ainsi ouvertement et appuyant la guerre commencée par les gouvernants finnois contre l’Union Soviétique.

La S.D.N., qui s’était compromise en tolérant et en encourageant les agresseurs nippons et italo-allemands, vota docilement, sur l’ordre des dirigeants anglo-français, une résolution dirigée contre l’Union Soviétique et prononça démonstrativement l’« exclusion » de l’U.R.S.S.

Bien plus, dans la guerre déchaînée par les réactionnaires finnois contre l’Union Soviétique, l’Angleterre et la France ont apporté l’aide la plus large aux militaristes finnois. Les milieux dirigeants anglo-français n’ont cessé d’inciter le Gouvernement finlandais à poursuivre les hostilités.

Les gouvernants anglo-français ont systématiquement ravitaillé la Finlande en armes, ils préparaient énergiquement l’envoi en Finlande d’un corps expéditionnaire de 100.000 hommes.

Selon la déclaration de Chamberlain à la Chambre des Communes, le 19 mars 1940, trois mois après le début de la guerre, l’Angleterre avait fourni à la Finlande 101 avions, plus de 200 canons, des centaines de milliers d’obus, de bombes d’aviation et de mines anti-chars. À la même époque Daladier annonçait à la Chambre des Députés que la France avait livré à la Finlande 175 avions, environ 500 canons, plus de 5.000 mitrailleuses, un million d’obus et de grenades à main et autre matériel de guerre.

On peut se faire une idée complète des plans des gouvernements britannique et français de l’époque d’après l’aide-mémoire remis par les Anglais aux Suédois, le 2 mars 1940, où il était dit notamment :

« Les gouvernements alliés comprennent que la situation militaire de la Finlande devient désespérée. Après un examen minutieux de toutes les possibilités, ils ont abouti à la conclusion que l’unique moyen d’apporter une aide efficace à la Finlande est l’envoi de troupes alliées, et ils sont prêts à envoyer ces troupes en réponse à une demande finnoise. [37] »

À cette époque, comme le déclarait Chamberlain au Parlement anglais, le 19 mars :

« On procédait avec le maximum de diligence aux préparatifs en vue de l’envoi de troupes expéditionnaires et l’armée expéditionnaire était prête à partir au début de mars… deux mois avant la date fixée par le feldmaréchal Mannerheim pour leur arrivée. »

Chamberlain ajoutait que l’effectif de ces troupes se montait à 100.000 hommes.

Simultanément, le Gouvernement français préparait, lui aussi, un corps expéditionnaire de 50.000 hommes, comme premier contingent qui devait être dirigé sur la Finlande par Narvik.

Et les gouvernements anglo-français déployaient cette activité belliqueuse au moment où sur le front contre l’Allemagne hitlérienne, l’Angleterre et la France ne manifestaient aucune activité, et qu’avait lieu la « drôle de guerre ».

Mais l’aide militaire à la Finlande contre l’Union Soviétique ne constituait qu’un élément du plan beaucoup plus vaste des impérialistes anglo-français.

On trouve dans le Livre blanc susmentionné du Ministère suédois des Affaires Étrangères un document qui a pour auteur le ministre suédois des Affaires Étrangères, Gunter. Il y est dit que :

« l’envoi de ce contingent de troupes faisait partie du plan général d’agression contre l’Union Soviétique »,

et que :

« [ce plan] entrera en action contre Bakou à partir du 15 mars, et encore plus tôt par la Finlande. [38] »

Voici en quels termes Henri de Kerillis parle de ce plan dans son livre De Gaulle, dictateur :

« Selon ce plan, dont M. Paul Reynaud [39] m’a résumé les lignes générales dans une brève lettre que j’ai conservée, un corps expéditionnaire motorisé débarquant en Finlande à travers la Norvège aurait tôt fait de bousculer les hordes désorganisées de la Russie et de marcher sur Leningrad. [40] »

Ce plan avait été élaboré en France par De Gaulle et le général Weygand, qui commandait alors l’armée de Syrie et qui se vantait

« qu’avec quelques renforts et deux cents avions, il s’emparerait du Caucase et rentrerait en Russie comme dans du beurre ».

On connaît également le plan des opérations militaires des Anglo-Français contre l’U.R.S.S., plan élaboré en 1940 par le général Gamelin, où une attention toute particulière était accordée au bombardement de Bakou et Batoumi.

Les préparatifs des gouvernants anglo-français en vue d’une attaque contre l’U.R.S.S. étaient poussés à fond. On travaillait avec zèle dans les états-majors généraux de l’Angleterre et de la France pour mettre au point les plans de cette attaque. Au lieu de faire la guerre à l’Allemagne hitlérienne, ces messieurs voulaient déclencher la guerre contre l’Union Soviétique.

Mais ces plans ne devaient pas se réaliser. La Finlande fut, à cette époque, écrasée par les troupes soviétiques et contrainte de capituler malgré tout les efforts faits par l’Angleterre et la France pour l’en empêcher.

Le Traité de paix soviéto-finnois était signé le 12 mars 1940.

C’est ainsi que la défense de l’U.R.S.S. contre l’agression hitlérienne fut également améliorée dans le Nord, dans la région de Leningrad, du fait que la ligne de défense fut reportée à 150 kilomètres au Nord de Leningrad, jusqu’à Vyborg, inclusivement.

Mais cela ne signifiait pas encore que le front « Est », de la mer Baltique à la mer Noire, était entièrement formé. Des pactes avaient été conclus avec les États Baltes, mais il n’y avait pas encore là-bas de troupes soviétiques pouvant tenir la défense.

La Moldavie et la Bukovine étaient officiellement réunies à l’U.R.S.S., mais là, non plus, il n’y avait pas encore de troupes soviétiques pouvant y tenir la défense. À la mi-juin 1940, les troupes soviétiques pénétrèrent en Lettonie, en Estonie, en Lituanie. Le 27 juin de la même année, les troupes soviétiques entraient en Bukovine et en Moldavie, que la Roumanie avait arrachées à l’U.R.S.S. après la Révolution d’Octobre.

C’est ainsi que fut parachevée la formation du front « Est » contre l’agression hitlérienne de la mer Baltique à la mer Noire.

Les milieux dirigeants anglo-français, qui continuaient à traiter l’U.R.S.S. d’agresseur parce qu’elle avait formé un front « Est », ne se rendaient apparemment pas compte que l’apparition de ce front signifiait un tournant radical dans le développement de la guerre contre la tyrannie hitlérienne, en faveur de la victoire de la démocratie.

Ils ne comprenaient pas qu’il s’agissait non d’empiéter ou de ne pas empiéter sur les droits nationaux de la Finlande, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne, mais, en organisant la victoire sur les nazis, d’empêcher la transformation de ces pays en colonies entièrement soumises à l’Allemagne hitlérienne.

Ils ne comprenaient pas qu’il s’agissait de dresser un barrage à l’avance des troupes allemandes dans toutes les régions où cela était possible, d’organiser une défense solide pour passer ensuite à la contre-offensive, battre les troupes hitlériennes et créer ainsi la possibilité d’un libre développement de ces pays.

Ils ne comprenaient pas qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’assurer la victoire sur l’agression hitlérienne.

Le Gouvernement anglais a-t-il bien agi en cantonnant ses troupes pendant la guerre en Égypte malgré la protestation des Égyptiens et même malgré la résistance de certains éléments en Égypte ?

Oui, incontestablement ! C’était un moyen extrêmement important de barrer la route à l’agression hitlérienne en direction du canal de Suez, de préserver l’Égypte des atteintes de Hitler, d’organiser la victoire sur Hitler et d’empêcher de ce fait la transformation de l’Égypte en une colonie hitlérienne. Seuls des ennemis de la démocratie ou des fous peuvent affirmer que les actes du Gouvernement anglais pouvaient en l’occurrence être qualifiés d’agression.

Le Gouvernement des États-Unis d’Amérique a-t-il bien fait de débarquer ses troupes à Casablanca, malgré les protestations des Marocains et la résistance armée directe du Gouvernement Pétain en France, dont l’autorité s’étendait sur le Maroc ? Oui, incontestablement !

C’était un moyen extrêmement important de créer une base pour contrecarrer l’agression allemande dans le voisinage immédiat de l’Europe occidentale, pour organiser la victoire sur les troupes hitlériennes et créer ainsi la possibilité de libérer la France du joug colonial hitlérien. Seuls les ennemis de la démocratie ou des fous pouvaient qualifier d’agressions ces actions des troupes américaines.

Mais il faut en dire autant des actions du Gouvernement Soviétique qui, pour l’été 1940, avait organisé un front « Est » contre l’agression hitlérienne, et cantonné ses troupes le plus loin possible à l’Ouest de Leningrad, de Moscou et de Kiev. C’était l’unique moyen d’empêcher les troupes allemandes d’avancer sans obstacles vers l’Est, de constituer une défense solide afin de passer ensuite à la contre-offensive pour écraser, conjointement avec les alliés, l’armée hitlérienne, et empêcher ainsi la transformation des pays pacifiques de l’Europe, y compris la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, en colonies hitlériennes. Seuls des ennemis de la démocratie ou des fous pouvaient qualifier d’agressions ces actions du Gouvernement Soviétique.

Mais il s’ensuit que Chamberlain, Daladier et leur entourage, qui ont qualifié d’agression cette politique du Gouvernement Soviétique et qui ont organisé l’exclusion de l’Union Soviétique de la S.D.N. ont agi en ennemis de la démocratie ou comme des fous.

Il s’ensuit encore que les calomniateurs et les falsificateurs de l’histoire, qui font aujourd’hui leur besogne de concert avec MM. Bevin et Bidault et qualifient d’agression la formation du front « Est » contre Hitler, agissent de même en ennemis de la démocratie ou comme des fous.

Que serait-il arrivé si l’U.R.S.S. n’avait pas créé avant l’agression de l’Allemagne, le front « Est », passant bien plus à l’Ouest des anciennes frontières de l’U.R.S.S., si ce front ne suivait la ligne. Vyborg-Kaunas-Biélostock-Brest-Lvov, mais longeait l’ancienne frontière Leningrad-Narva-Minsk-Kiev ?

Cela aurait permis aux troupes d’Hitler de gagner un espace s’étendant sur des centaines de kilomètres, ce qui aurait rapproché le front allemand de 200-300 km de Leningrad-Moscou-Minsk-Kiev, précipité l’avance allemande vers l’intérieur de l’U.R.S.S., accéléré la chute de Kiev et de l’Ukraine, et abouti à la prise de Moscou par les Allemands et la prise de Leningrad par les forces réunies des Allemands et des Finlandais ; l’U.R.S.S. se serait vue contrainte de passer à la défensive pour un temps prolongé, ce qui aurait permis aux Allemands de libérer à l’Est une cinquantaine de divisions en vue de leur débarquement dans les Îles britanniques et pour renforcer le front germano-italien dans la zone de l’Égypte. Il est fort probable que le Gouvernement anglais aurait dû s’exiler au Canada, et que l’Égypte et que le canal de Suez seraient tombés sous la domination d’Hitler.

Mais ce n’est pas tout. L’U.R.S.S. se serait vue obligée de transférer au front « Est » une grande partie de ses troupes de la frontière mandchourienne afin de renforcer sa défense, ce qui aurait permis aux Japonais de libérer jusqu’aux 30 divisions en Mandchourie et de les diriger contre la Chine, les Philippines, le Sud-Est de l’Asie en général, et en fin de compte contre les forces américaines de l’Extrême-Orient.

Tout cela aurait prolongé la guerre de deux ans au moins, et la Deuxième Guerre mondiale aurait fini, non pas en 1945, mais en 1947 ou même un peu plus tard.

Telle était la situation en ce qui concerne le front « Est ».

Cependant les événements à l’Ouest suivaient leur cours. En avril 1940, les Allemands occupaient le Danemark et la Norvège. Au milieu de mai les troupes allemandes envahissaient la Hollande, la Belgique et le Luxembourg.

Le 21 mai, les Allemands atteignirent la Manche et isolèrent les alliés en Flandre. À la fin de mai les troupes anglaises évacuèrent Dunkerque, quittèrent la France et se dirigèrent en Angleterre. Au milieu de juin, Paris tombait et, le 22 juin, la France capitulait devant l’Allemagne.

Ainsi Hitler a foulé aux pieds toutes les déclarations de non-agression, quelles qu’elles fussent, signées avec la France et l’Angleterre.

C’était un échec complet de la politique de renonciation à la sécurité collective, de la politique visant à isoler l’U.R.S.S.

Il devint évident qu’en isolant l’U.R.S.S., la France et l’Angleterre avaient anéanti le front unique des peuples épris de liberté, s’étaient affaiblies et s’étaient trouvées elles-mêmes isolées.

Le 1er mars 1941, les Allemands occupèrent la Bulgarie.

Le 5 avril, l’U.R.S.S. signa le Pacte de non-agression avec la Yougoslavie.

Le 22 juin de la même année, l’Allemagne attaqua l’U.R.S.S.

L’Italie, la Roumanie, la Hongrie et la Finlande entrèrent en guerre contre l’Union Soviétique aux côtés de l’Allemagne.

L’Union Soviétique commença la guerre de libération contre l’Allemagne hitlérienne.

La réaction de différents milieux de l’Europe et de l’Amérique à l’égard de cet événement fut différente.

Les peuples asservis par Hitler respirèrent plus librement, certains que Hitler se casserait le cou entre les deux fronts, « Ouest » et « Est ».

Les milieux gouvernants de France éprouvaient une joie mauvaise, car ils ne doutaient pas que la « Russie serait battue » en un très court laps de temps.

M. Truman, membre marquant du Sénat des États-Unis, actuellement Président des U.S.A., déclarait au lendemain de l’agression allemande contre l’U.R.S.S. :

« Si nous voyons l’Allemagne prendre le dessus, nous devrons aider la Russie, et si les chances sont du côté de la Russie, nous devrons aider l’Allemagne, afin qu’elles tuent le plus possible. [41] »

Une déclaration analogue a été faite en Grande-Bretagne en 1941, par Moore-Brabazon, en ce temps-là ministre de l’Industrie Aéronautique, qui avait déclaré que la meilleure issue de la lutte sur le front « Est », en ce qui concerne la Grande-Bretagne, serait l’épuisement réciproque de l’Allemagne et de l’U.R.S.S., ce qui permettrait à l’Angleterre de s’assurer une position dominante.

Ces déclarations exprimaient, sans aucun doute, l’attitude des milieux réactionnaires des U.S.A. et de la Grande-Bretagne.

Mais l’immense majorité des peuples anglais et américains était disposée en faveur de l’U.R.S.S. et exigeait une action commune avec l’Union Soviétique en vue de mener avec succès la lutte contre l’Allemagne hitlérienne.

Il faut croire que la déclaration du Premier Ministre britannique, M. Churchill, en date du 22 juin 1941, reflétait cet état d’esprit lorsqu’il disait que :

« Le danger qui menace la Russie constitue un danger pour nous et pour les États-Unis, de même que la cause de chaque Russe luttant pour sa terre et sa maison est celle des gens libres et des nations libres dans n’importe quelle partie du globe. »

La même attitude à l’égard de l’U.R.S.S. fut adoptée par le Gouvernement de Roosevelt aux États-Unis.

On posait ainsi la première pierre de la coalition anglo-soviéto-américaine contre l’Allemagne hitlérienne.

La coalition anti-hitlérienne s’était posée comme but l’anéantissement complet du régime hitlérien et le libération des nations asservies par l’Allemagne hitlérienne. En dépit des différences idéologiques et du système économique des différents États alliés, la coalition anglo-soviéto-américaine devint une puissante alliance des peuples qui avaient uni leurs efforts dans la lutte libératrice contre l’hitlérisme.

Certes, en ce temps-là aussi, au cours de la guerre, il existait au sujet de certaines questions des divergences de vues entre les alliés. On sait, par exemple, combien importantes étaient les divergences sur des questions aussi essentielles que l’ouverture du deuxième front, les obligations des alliés, leur devoir moral réciproque.

En évoquant ces divergences, les falsificateurs de l’histoire et les calomniateurs de tout genre s’efforcent de « prouver », contre l’évidence, que l’U.R.S.S. n’était et ne pouvait être une alliée fidèle et sincère dans la lutte contre l’agression hitlérienne.

Mais comme la lutte commune contre l’Allemagne hitlérienne et la conduite de l’U.R.S.S. au cours de cette lutte ne donnent pas matière à de pareilles accusations, ils se tournent vers le passé, vers la période d’avant-guerre, en affirmant que, pendant les « pourparlers » avec Hitler à Berlin, en 1940, les représentants de l’Union Soviétique se sont conduits perfidement et non en alliés.

Ils assurent, que durant les « pourparlers » de Berlin, on a examiné et adopté de perfides « plans de démembrement de l’Europe », des prétentions territoriales de l’U.R.S.S. « au Sud de l’Union Soviétique dans la direction de l’Océan Indien », des « plans » relatifs à la Turquie, à l’Iran, à la Bulgarie et autres « problèmes ».

Les calomniateurs utilisent dans ce but les rapports d’ambassadeurs allemands et d’autres fonctionnaires hitlériens, des notes de tout genre, des projets allemands d’on ne sait quels « protocoles » et autres « documents » semblables.

Qu’est-ce qui s’est passé en réalité à Berlin ? Il faut dire que les soi-disant « pourparlers de Berlin », en 1940, ne furent en fait qu’une visite de V. Molotov, en réponse à deux voyages de Ribbentrop à Moscou. Les entretiens qui eurent lieu concernaient principalement les rapports soviéto-allemands.

Hitler s’efforçait d’en faire la base d’un accord de grande envergure entre l’Allemagne et l’U.R.S.S. L’Union Soviétique, au contraire, utilisait ces entretiens pour sonder, tâter les positions allemandes, sans avoir aucunement l’intention de conclure quelque accord que ce fût avec les Allemands. Au cours de ces entretiens, Hitler estimait que l’Union Soviétique devrait acquérir un débouché sur le Golfe Persique, en occupant l’Iran de l’Ouest et les exploitations pétrolières des Anglais dans ce pays.

Il disait ensuite que l’Allemagne pourrait aider l’U.R.S.S. à régler la question des prétentions soviétiques à l’égard de la Turquie, allant jusqu’à modifier le Traité de Montreux sur les Détroits. Sans tenir aucun compte des intérêts de l’Iran, il défendait avec soin les intérêts de la Turquie, la considérant manifestement comme son alliée présente ou, en tout cas, future. En ce qui concerne les pays balkaniques et la Turquie, Hitler les considérait comme entrant dans la sphère d’influence de l’Allemagne et de l’Italie.

Le Gouvernement Soviétique a tiré de ces entretiens les conclusions suivantes : l’Allemagne n’est pas liée et n’a pas l’intention de se lier avec l’Iran ; l’Allemagne n’est pas liée et n’a pas l’intention de se lier avec l’Angleterre ; donc l’Union Soviétique peut avoir en la personne de l’Angleterre un allié sûr contre l’Allemagne hitlérienne ; les États balkaniques sont soit déjà achetés et transformés en satellites de l’Allemagne (Bulgarie, Roumanie, Hongrie), soit asservis, comme la Tchécoslovaquie ; ou bien sont en voie de l’être, comme la Grèce ; la Yougoslavie est l’unique pays balkanique sur lequel on peut compter comme future alliée du camp anti-hitlérien ; la Turquie est, dès a présent, étroitement liée à l’Allemagne hitlérienne, ou bien elle a l’intention de se lier à elle.

Après avoir tiré ces conclusions utiles, le Gouvernement Soviétique ne renouvela plus les entretiens sur les questions énoncées, malgré les rappels réitérés de Ribbentrop.

Comme l’on voit, c’était un sondage des positions du Gouvernement hitlérien de la part du Gouvernement Soviétique, sondage qui n’a pas abouti et ne pouvait aboutir à un accord quel qu’il soit.

Un pareil sondage des positions de l’adversaire de la part d’États pacifiques est-il admissible ? Oui, certainement. Cela est non seulement admissible, mais est parfois une nécessité politique directe. Il faut seulement que le sondage ait lieu au su et avec le consentement des alliés et que le résultat en soit porté à leur connaissance.

Mais l’Union Soviétique n’avait pas d’alliés à cette époque, elle était isolée et ne pouvait malheureusement pas leur faire part des résultats du sondage.

Il convient de noter qu’un sondage analogue, bien qu’assez suspect, des positions de l’Allemagne hitlérienne a été fait par des représentants de l’Angleterre et des États-Unis d’Amérique même pendant la guerre, après l’organisation de la coalition anti-hitlérienne Angleterre-États-Unis d’Amérique-U.R.S.S. Ce fait ressort de documents capturés par les troupes soviétiques en Allemagne.

Ces documents montrent qu’en automne 1941, ainsi qu’en 1942 et 1943, des pourparlers ont eu lieu à Lisbonne et en Suisse, à l’insu de l’U.R.S.S., entre les représentants de l’Angleterre et de l’Allemagne, puis entre les représentants des États-Unis et de l’Allemagne.

Un de ces documents, annexé au rapport de Weizsäcker, secrétaire d’État aux Affaires Étrangères d’Allemagne, expose la marche de ces pourparlers à Lisbonne en septembre 1941.

Il ressort de ce document qu’une entrevue a eu lieu le 13 septembre entre le fils de lord Beaverbrook, Aitken, officier de l’armée anglaise, par la suite membre du Parlement britannique, qui représentait l’Angleterre, et le Hongrois Gustave von Koever, agissant sur les instructions du ministre allemand des Affaires Étrangères, comme on peut en juger par la lettre adressée par Krauel, consul général d’Allemagne à Genève, à Weizsäcker, secrétaire d’État aux Affaires Étrangères d’Allemagne.

Au cours de ces pourparlers Aitken a directement posé la question :

« Ne pourrait-on pas profiter de l’hiver qui vient et du printemps pour examiner dans la coulisse les possibilités de paix ? »

D’autres documents relatent les pourparlers qui se sont déroulés en Suisse entre les représentants des gouvernements des États-Unis et de l’Allemagne, en février 1943. Allen Dulles (frère de John Foster Dulles), délégué spécial du Gouvernement des États-Unis, a mené ces négociations de la part des États-Unis. Allen Dulles figurait sous le pseudonyme de « Bull ».

Il était chargé d’une « mission directe » et muni de pouvoirs conférés par la Maison Blanche. Du côté allemand, son partenaire était le prince M. Hohenlohe, proche des milieux gouvernants de l’Allemagne hitlérienne et qui agissait en qualité de représentant hitlérien sous le pseudonyme de « Pauls ». Le document qui contient l’exposé de ces pourparlers appartenait au service de sécurité hitlérien (S.D.).

Comme il ressort de ce document, d’importantes questions furent traitées au cours de l’entretien, concernant l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie, et, surtout, la signature de la paix avec l’Allemagne.

Au cours de cet entretien A. Dulles (Bull) déclara :

« Des nations comme l’Allemagne ne doivent plus être réduites par la misère et l’injustice à des expériences désespérées et à l’héroïsme. L’État allemand doit subsister en tant que facteur d’ordre et de redressement. Il ne saurait être question de la partager, ni d’en détacher l’Autriche. [42] »

En ce qui concerne la Pologne, Dulles (Bull) déclara

« … qu’il convenait d’appuyer la création d’un cordon sanitaire contre le bolchevisme et le panslavisme en agrandissant la Pologne à l’Est, en conservant la Roumanie et une Hongrie forte. [43] »

Le document note ensuite que :

« Bull est plus ou moins d’accord avec l’organisation étatique et industrielle de l’Europe sur la base de vastes espaces, présumant qu’une Grande Allemagne fédérative (semblable aux États-Unis), avec une confédération danubienne y adhérant, sera la meilleure garantie d’ordre et de relèvement pour l’Europe centrale et orientale. [44] »

Dulles (Bull) déclarait également qu’il reconnaissait pleinement les prétentions de l’industrie allemande à un rôle prépondérant en Europe.

On ne saurait passer sous silence le fait que les Anglais et les Américains ont procédé à ce sondage à l’insu et sans le consentement de leur alliée, l’Union Soviétique, et qu’il n’a rien été communiqué au Gouvernement Soviétique des résultats de ce sondage, même à titre d’information post-factum.

Cela pouvait signifier que les gouvernements des États-Unis et de l’Angleterre avaient, en l’occurrence, tenté de s’engager dans la voie des pourparlers avec Hitler pour une paix séparée.

Il est clair qu’une telle attitude des gouvernements de l’Angleterre et des États-Unis ne peut être considérée que comme une violation des exigences les plus élémentaires des devoirs et des obligations d’alliés.

Il s’ensuit qu’en accusant l’U.R.S.S. de « manquer de sincérité » les falsificateurs de l’histoire veulent faire retomber leur propre faute sur d’autres.

Il ne peut faire aucun doute que ces documents sont connus des falsificateurs de l’histoire et autres calomniateurs. Et s’ils les dissimulent à l’opinion publique, s’ils les passent sous silence dans leur campagne de calomnie contre l’U.R.S.S., c’est parce qu’ils craignent la vérité historique comme la peste.

Quant aux divergences de vues sur la question de l’ouverture du deuxième front, elles traduisent des façons différentes de comprendre les obligations réciproques des alliés.

Les citoyens soviétiques sont d’avis que lorsqu’un allié se trouve dans une situation difficile il faut lui venir en aide par tous les moyens possibles ; il faut le considérer non pas comme un compagnon de route temporaire, mais comme un ami, se réjouissant de ses succès, se réjouissant lorsqu’il devient plus fort. Les représentants des Anglais et des Américains ne sont pas d’accord là-dessus et taxent cette morale de naïveté.

Ils partent de ce point de vue qu’un allié fort est dangereux, qu’il n’est pas dans leurs intérêts que cet allié devienne plus fort, que mieux vaut un allié faible plutôt que fort et que s’il devient quand même plus fort il faut prendre des mesures pour l’affaiblir.

Chacun sait que par le communiqué anglo-soviétique, aussi bien que par le communiqué soviéto-américain de juin 1942, les Anglo-Américains s’étaient engagés à ouvrir un deuxième front en Europe dès 1942.

C’était là une promesse formelle, un serment, si vous voulez, qui devait être tenu à la date prévue afin d’alléger la situation des troupes de l’Union Soviétique qui avaient assumé, dans la première phase de la guerre, tout le fardeau de la riposte au fascisme allemand.

Mais l’on sait également que cette promesse ne fut tenue ni en 1942, ni en 1943, bien que le Gouvernement Soviétique ait à maintes reprises déclaré que l’Union Soviétique ne pouvait prendre son parti de l’ajournement du second front.

La politique d’ajournement du deuxième front n’était nullement fortuite. Elle s’inspirait des visées des milieux réactionnaires d’Angleterre et des États-Unis qui dans la guerre contre l’Allemagne poursuivaient leurs buts particuliers, lesquels n’avaient rien de commun avec les objectifs de la lutte libératrice contre le fascisme allemand.

Il n’entrait pas dans leurs plans d’écraser entièrement le fascisme allemand. S’inspirant de buts purement égoïstes, ils avaient intérêt à saper la puissance de l’Allemagne et, surtout à évincer celle-ci, comme concurrent dangereux sur le marché mondial.

Mais il n’entrait nullement dans leurs intentions de libérer l’Allemagne et les autres pays de la domination des forces réactionnaires, qui, toujours, portent en elles l’agression impérialiste et le fascisme, pas plus que de réaliser des réformes démocratiques radicales.

D’autre part, ils tablaient sur l’affaiblissement de l’U.R.S.S., ils comptaient que l’Union Soviétique serait saignée à blanc et que, à l’issue d’une guerre épuisante, elle perdrait pour longtemps son rôle de grande et forte puissance ; qu’elle tomberait, après la guerre, sous la coupe des États-Unis d’Amérique et de la Grande-Bretagne.

On comprend que l’Union Soviétique ne puisse tenir pour normale une pareille attitude à l’égard d’un allié.

La politique pratiquée par l’U.R.S.S. dans les rapports interalliés est l’antipode de cette politique. Ce qui la caractérise, c’est que toujours elle s’acquitte d’une manière désintéressée, conséquente et loyale, des engagements assumés ; qu’elle est toujours disposée à prêter une aide fraternelle à son allié.

Au cours de la dernière guerre, l’Union Soviétique a donné des exemples de cette attitude d’alliée véritable à l’égard des autres pays, compagnons d’armes dans la lutte contre l’ennemi commun.

Voici un de ces exemples :

On sait que, fin décembre 1944, les troupes hitlériennes déclenchèrent une offensive sur le front « Ouest » dans la région des Ardennes, percèrent le front et mirent les troupes anglo-américaines dans une situation difficile.

Les alliés affirmaient que les Allemands voulaient, en attaquant en direction de Liège, écraser la Première Armée américaine, déboucher sur Anvers, isoler la Neuvième Armée américaine, la Deuxième Armée anglaise, la Première Armée canadienne et infliger aux alliés un nouveau Dunkerque pour mettre la Grande-Bretagne hors combat.

Le 6 janvier 1945, W. Churchill adressa dans ces circonstances le message suivant à J. Staline :

« Des combats très pénibles se livrent en Occident et le commandement suprême peut être forcé à tout moment de prendre de graves décisions.

Vous savez vous-même par votre propre expérience, combien alarmante est une situation, lorsqu’il faut défendre un très large front, après avoir perdu temporairement l’initiative.

Le général Eisenhower a le plus grand désir et éprouve le besoin de savoir dans les lignes essentielles ce que vous proposez de faire, car cela aura naturellement une répercussion sur toutes les importantes décisions tant de son côté que du nôtre.

Conformément à la communication reçue, notre émissaire, le maréchal en chef d’aviation Tedder, se trouvait hier soir au Caire où il était retenu par les conditions atmosphériques.

Son voyage s’est trouvé fortement prolongé non pas par votre faute.

S’il n’est pas encore arrivé auprès de vous, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me communiquer si nous pouvons compter sur une grande offensive russe sur le front de la Vistule ou quelque part, à un autre endroit, au cours de janvier, ou toutes autres informations qu’il vous plaira peut-être d’indiquer.

Je ne communiquerai à personne cette information rigoureusement confidentielle à l’exception du feldmaréchal Brook et du général Eisenhower et à la condition de la tenir dans le secret le plus strict. J’estime cette affaire urgente. »

Le 7 janvier 1945, J. Staline adressait à Winston Churchill la réponse suivante :

« J’ai reçu dans la soirée du 7 janvier votre message du 6 janvier 1945. Malheureusement, le maréchal en chef d’aviation M. Tedder n’est pas encore arrivé à Moscou. Il importe beaucoup d’utiliser contre les Allemands notre supériorité en artillerie et en aviation.

Il faut à cet effet un temps clair pour l’aviation et l’absence d’une basse nébulosité qui empêche l’artillerie de mener un tir réglé. Nous nous préparons à l’offensive, mais actuellement le temps ne la favorise pas.

Cependant, prenant en considération la situation de nos alliés sur le front ouest le Grand Quartier Général du Commandement Suprême a décidé d’achever les préparatifs à un rythme accéléré, et, sans tenir compte des conditions atmosphériques, de déclencher de larges opérations offensives contre les Allemands sur tout le front central, dans la deuxième moitié de janvier au plus tard. Vous pouvez être sûr que nous ferons tout le possible pour aider nos glorieuses troupes alliées. »

Dans sa réponse à J. Staline, W. Churchill écrivait le 9 janvier :

« Je vous suis très reconnaissant de votre émouvant message. Je l’ai envoyé au général Eisenhower pour qu’il en prenne seul connaissance. Qu’un succès complet couronne votre noble entreprise ! »

Désireux d’aider au plus vite les troupes alliées à l’Ouest, le Commandement Suprême des troupes soviétiques décide d’avancer la date de l’offensive contre les Allemands sur le front soviéto-allemand du 20 au 12 janvier.

Le 12 janvier une grande offensive des troupes soviétiques commença sur un large front, de la mer Baltique aux Carpathes. 150 divisions soviétiques, pourvues d’une grande quantité d’artillerie et d’aviation entrèrent en action, enfoncèrent le front allemand et ramenèrent les troupes allemandes à des centaines de kilomètres en arrière.

Le 12 janvier sur le front ouest les troupes allemandes y compris les 5e et 6e armées blindées qui se préparaient à porter un nouveau coup, interrompirent leur offensive et dans les 5 à 6 jours furent retirées du front et transférées dans l’Est contre les troupes soviétiques qui avançaient. L’offensive des troupes allemandes dans l’Ouest était mise en échec.

Le 17 janvier 1945, W. Churchill écrivait à J. Staline :

« Je vous suis très reconnaissant de votre message et je suis heureux que le maréchal d’aviation Tedder ait produit sur vous une impression si favorable.

Au nom du Gouvernement de sa Majesté et de toute mon âme, je tiens à vous exprimer notre gratitude et nos félicitations à l’occasion de l’offensive gigantesque que vous avez commencée sur le front Est.

Vous êtes maintenant, sans aucun doute, au courant des plans du général Eisenhower et vous savez jusqu’à quel point leur réalisation a été retenue et dérangée par l’offensive de Rundstedt.

Je suis persuadé que des combats vont se livrer sans interruption sur tout notre front. Le 21e groupe d’armée britannique, sous le commandement du feldmaréchal Montgomery, a commencé aujourd’hui l’offensive dans la zone au Sud de Roermund. »

Dans son ordre du jour aux troupes soviétiques en date de février 1945, J. Staline disait au sujet de cette offensive des troupes soviétiques :

« En janvier dernier de l’année courante, l’Armée Rouge a asséné à l’ennemi un coup d’une vigueur sans précédent sur tout le front, de la Baltique aux Carpathes. Elle a brisé sur une longueur de 1.200 kilomètres le puissant système de défense que les Allemands avaient mis plusieurs années à construire.

Au cours de son offensive l’Armée Rouge a, par ses actions rapides et habiles, refoulé l’ennemi loin à l’Ouest.

« Les succès de notre offensive d’hiver ont eu avant tout pour résultat de faire échouer l’offensive d’hiver entreprise par les Allemands à l’Ouest, et qui avait pour but de s’emparer de la Belgique et de l’Alsace, et ils ont permis aux armées de nos alliés de passer, à leur tour, à l’offensive contre les Allemands, et d’associer ainsi leurs opérations offensives à l’ouest aux opérations offensives de l’Armée Rouge à l’est. »

Ainsi agissait J. Staline.

Ainsi agissent les véritables alliés dans une lutte commune.

* * *

Tels sont les faits.

Les falsificateurs de l’histoire et les calomniateurs sont appelés falsificateurs et calomniateurs précisément parce qu’ils ne respectent pas les faits. Ils préfèrent avoir recours aux ragots, à la calomnie. Mais il est hors de doute que ces messieurs seront finalement contraints de reconnaître cette vérité bien connue, que leurs ragots et la calomnie passent, mais que les faits restent.

Bureau d’Informations Soviétique.

[1] Corvin D. Edward, Les cartels internationaux dans l’économie et la politique, 1944.

[2] Richard Sasuly, I. G. Farben, Boni and Gaer, NewYork, 1947, p. 80.

[3] Stock Exchange Year Book, London, 1925. Who’s Who in America ; Who’s Who in American Finance, Banking and Insurance ; Moody’s Manual of Railroads and Corporation Securities ; Poor’s Manual. 1924-1939.

[4] V. M. Molotov, Articles et discours, 1935-36, p. 176.

[5] Ibidem., p. 176.

[6] J. V. Staline, « Rapport présenté au XVIIIe Congrès du Parti sur l’activité du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. », in Questions du Léninisme, p. 591.

[7] Ibidem., p. 593.

[8] Ibidem., p. 593.

[9] A. Hitler, Mein Kampf, Munich, 1936, p. 742.

[10] « Texte d’un entretien entre le Führer chancelier du Reich et lord Halifax, en présence de M. le ministre des Affaires Étrangères du Reich à Obersalzberg, 19-XI-1937. » (Archives du Ministère allemand des Affaires Étrangères.)

[11] On a en vue la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie.

[12] Voir le texte de l’entretien déjà cité.

[13] Idem.

[14] Voir le texte de l’entretien déjà cité.

[15] Times du 23 février 1938, p. 8.

[16] « Texte de l’entretien entre le Führer (le chancelier du Reich) et l’ambassadeur royal britannique qui eut lieu en présence de M. von Ribbentrop, Ministre des Affaires étrangères du Reich, le 3 mars 1938, à Berlin. » (Archives du Ministère allemand des Affaires Étrangères.)

[17] Ibidem.

[18] Ibidem.

[19] Ibidem.

[20] Izvestia du 18 mars 1938.

[21] Note du Ministère britannique des Affaires Étrangères du 24 mars 1938.

[22] « Rapport politique, Londres, 10 juillet 1938, faisant suite au rapport A No 2589 du 10 juin de l’année courante », tiré des Archives du Ministère allemand des Affaires Étrangères.

[23] Ibidem.

[24] Ibidem.

[25] Correspondance respecting Czechoslovakia, septembre 1938, London ctd 5847, p. 8-9.

[26] J. V. Staline, « Rapport présenté au XVIIIe Congrès du Parti sur l’activité du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. », in Questions du Léninisme, p. 593.

[27] Ibidem., p. 592.

[28] Sayers & Kahn, The Great Conspiracy, Boston, 1946, pp. 324-325.

[29] Izvestia, 20 mars 1939.

[30] Archiv für Aussenpolitik und Länderkunde, septembre 1938, S. 483.

[31] Rapport de Dircksen « Sur le développement des relations politiques entre l’Allemagne et l’Angleterre pendant ma mission à Londres », rédigé en septembre 1939.

[32] Voir rapport de V. Molotov à la IIIe session du Soviet Suprême de l’U.R.S.S. en date du 31 mai 1939, p. 8.

[33] Ibidem.

[34] Sayers and Kahn, The Great Conspiracy. The Secret War Against Soviet Russia, p. 329.

[35] « Discours de lord Halifax sur la politique internationale », Oxford. Londres, 1940, p. 296.

[36] Rapport de Dircksen, ambassadeur d’Allemagne en Angleterre, en date du 21 juillet 1939, Archives du Ministère allemand des Affaires Étrangères.

[37] Note de la Légation britannique en date du 2 mars 1940, Livre blanc du Ministère des Affaires Étrangères de Suède, Stockholm, 1947, p. 120.

[38] Notes de Gunter pour mémoire du 2 mars 1940. Livre blanc du Ministère suédois de Affaires Étrangères. Stockholm, p. 119.

[39] Alors membre du Gouvernement français.

[40] Henri de Kerillis, De Gaulle, dictateur, pp. 363-364, Éditions Beauchemin, Montréal, 1945.

[41] New York Times, 24 juin 1941.

[42] « L’entretien Pauls-Mr Bull » (les documents des archives allemandes).

[43] Idem.

[44] Idem.

=>Oeuvres de Staline