La question du style de travail communiste au second congrès de l’Internationale Communiste

Le second congrès de l’Internationale Communiste dresse toute une série de constats. Il ne s’agit pas vraiment d’évaluations, celles-ci n’émergeant que par la suite dans les grandes débats des congrès suivants. Le second congrès soupèse la situation et tranche directement, car le contexte n’est pas celui où il faut voir comment fonctionne un appareil communiste pour éventuellement rectifier le tir, mais celui où il faut constituer des Partis Communistes.

Or, il y avait sur ce plan de nombreux soucis. La section suédoise n’avait pas encore pris la dénomination de communiste et tolérait une droite ; la section norvégienne intégrait des sections syndicales entières et acceptait ouvertement les tendances de droite.

La version soviétique de la revue L’Internationale Communiste

En Italie, Filippo Turati paradait en tant que socialiste tout en exprimant ouvertement ses points de vue droitiers, alors qu’officiellement il relevait de l’Internationale Communiste puisque appartenant à sa section italienne. Cette dernière n’a par ailleurs pas encore changé de nom et reculait même devant cette nécessité, cherchant une option « socialiste-communiste ».

En Allemagne, l’USPD sympathisante avait dans ses rangs Karl Kautsky et le souci était non pas tant lui-même, politiquement fini, que le kautskysme comme tendance social-pacifiste convergeant avec l’impérialisme.

Tout cela, somme toute, met les communistes russes hors d’eux, puisqu’ils veulent former des avant-gardes organisés et structurés. Cependant, ils savent que la situation est délicate, car la rupture doit se faire avec un mouvement d’entraînement à la base, en direction du communisme, et sans céder aux courants droitiers qui sont forts, en particulier dans les appareils.

Lénine

Boukharine prend ainsi les parlementaires et s’aperçoit que pour l’USPD allemande, tout comme pour les partis français, italien, norvégien… seule une toute petite minorité est pour l’Internationale Communiste, la majorité étant centriste et l’aile droite étant carrément forte.

C’est là un obstacle dans la rupture avec le style social-démocrate devenu décadent, sans oublier que c’est grave pour l’Italie, puisque le Parti appartient déjà à l’Internationale Communiste.

À ce problème avec la droite s’ajoute le problème avec les gauchistes. Ceux-ci ont une base idéologique de type syndicaliste révolutionnaire, avec comme principaux représentants les syndicalistes britanniques et américains, ainsi que l’Italien Amadeo Bordiga.

Ils refusent catégoriquement le parlement, considérant cette forme sociale comme dépassée et les parlementaires comme l’expression, dans tous les cas, de la contre-révolution. Le Britannique Willie Gallacher cite l’exemple anglais comme typique pour lui de l’impossibilité d’aller au parlement, mentionnant le comportement de John Maclean, qui dans les discours racontent qu’il est bolchevik et veut renverser le parlement, et au parlement qu’il n’est pas bolchevik.

Lénine dénoncera ce qui est pour lui une posture ; il intervient ainsi directement pour critiquer les affirmations d’Amadeo Bordiga :

« Le camarade Bordiga a visiblement voulu défendre ici le point de vue des marxistes italiens, mais il n’a néanmoins répondu à aucun des arguments avancés par d’autres marxistes en faveur de l’action parlementaire.

Il a reconnu que l’expérience historique ne se crée pas artificiellement. Il vient de nous dire qu’il faut reporter lutte dans un autre domaine. Ignorerait-il que toute crise révolutionnaire s’accompagne d’une crise parlementaire ?

Il a dit, c’est vrai, qu’il faut reporter la lutte dans un autre domaine, dans les Soviets. Mais il a reconnu lui-même qu’il n’est pas possible de créer artificiellement des Soviets. L’exemple de la Russie prouve qu’on ne peut les organiser que pendant la révolution ou bien juste à la veille de la révolution.

Du temps de Kérenski, les Soviets (les Soviets menchéviks) étaient organisés d’une telle manière qu’ils ne pouvaient en aucune façon constituer le pouvoir prolétarien.

Le parlement est un produit du développement historique, que nous ne pouvons éliminer tant que nous ne sommes pas suffisamment forts pour dissoudre cette institution bourgeoise.

Ce n’est qu’en en faisant partie que l’on peut, partant des conditions historiques données, lutter contre la société bourgeoise et le parlementarisme. Le moyen dont la bourgeoisie se sert dans la lutte doit être aussi utilisé par le prolétariat, dans des buts tout autres évidemment. Vous ne pouvez pas affirmer qu’il n’en est pas ainsi,et, si vous voulez le contester, vous devez effacer l’expérience de tous les événements révolutionnaires du monde. »

Lénine a en cela le grand soutien des Bulgares. Schablin, délégué du Parti Communiste de Bulgarie, justifie la thèse de Lénine : dans son pays, les communistes ont réussi historiquement à faire dans le Parlement une base d’agitation. En 1914, trois députés opposés à la guerre furent mis en prison, alors que des centaines de militants furent fusillés.

Et entre 1919 et 1920, malgré la terreur, le nombre de députés communistes passa de 47 à 50, soit 120 000 voix en 1919 et 187 000 en 1920. La bourgeoisie fut obligée, afin de trouver une majorité, d’enlever leur mandat de député à 9 communistes. Lénine a donc raison d’exiger une analyse concrète de la situation particulière sur la base de la tendance générale (qui est la révolution mondiale) et de ne pas faire de l’anti-parlementarisme un marqueur identitaire.

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Les complications au second congrès de l’Internationale Communiste

On a un très bon aperçu des complications du second congrès si on porte le regard sur ceux nommés à la présidence du second congrès. Il s’agit de :

– l’Allemand Paul Levi,

– le Français Alfred Rosmer

– l’Italien Giacinto Menotti Serrati,

– les russes Lénine et Zinoviev.

Alfred Rosmer est typique de tout un esprit français pro-communiste après 1918. Il vient de l’anarchisme puis est passé dans le camp du syndicalisme révolutionnaire, voyant en la révolution russe une concrétisation inattendue de ses idéaux. Il finira par rompre au milieu des années 1920 avec le mouvement communiste, pour se tourner vers le trotskysme, dans un esprit syndicaliste révolutionnaire.

Paul Levi fut l’un des fondateurs du mouvement communiste allemand aux côtés de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et il en devint même le dirigeant au moment du second congrès. Mais il capitule très rapidement et rejoint dès 1922 les socialistes, qui pourtant avaient écrasé les spartakistes.

Giacinto Menotti Serrati est une personnalité très différente des deux autres, qui capitulèrent. En effet, il a une véritable réflexion de fond qu’il assume et il y a de très grandes incompréhensions lors des débats.

Giacinto Menotti Serrati

On lui reproche ainsi de tutoyer dans ses messages des dirigeants socialistes d’orientation réformiste, ce à quoi il répond tout simplement qu’en Italie, les socialistes se tutoient tous, n’y voyant donc pas malice, alors que pour les communistes de Russie cela semblait un insupportable copinage.

Un autre exemple est que Giacinto Menotti Serrati considérait que Filippo Turati, aussi réformiste et opportuniste qu’il était, s’était opposé à la première guerre mondiale (en fait seulement jusqu’en 1917), et que par conséquent, il fallait avoir un regard approfondi et circonspect.

On ne sera pas étonné que Lénine lui reprocha par conséquent au congrès un certain sentimentalisme.

La différence complète de style se révèle aussi dans cette anecdote : Giacinto Menotti Serrati expliqua qu’on ne disposait pas de « sincéromètre » pour évaluer la sincérité des partis désireux de rejoindre l’Internationale Communiste. Ce fut pas moins que Lénine qui intervint alors pour lui dire qu’on le trouverait !

La question qu’il y a l’arrière-plan est dans l’évaluation de la situation couplée aux exigences de structuration rapide. Giacinto Menotti Serrati est ici à rebours de l’Internationale Communiste. Pour lui, la prise en considération des conditions concrètes de chaque pays doit être déterminante et prime sur la formation de Partis Communistes à court terme.

À ses yeux, l’USPD allemande a une base de masses dans un pays connaissant des troubles révolutionnaires : on peut en attendre quelque chose. Pour la France et ses socialistes, c’est le contraire.

Pour la même raison, Giacinto Menotti Serrati s’opposera à la formation pour lui trop précoce d’un Parti Communiste en Italie. Le IIIe congrès le considérera pour cette raison comme un renégat – mais lui et ses « maximalistes » socialistes rejoindront bien finalement le Parti Communiste formé en Italie, et il sera même leur délégué au IVe congrès de l’Internationale Communiste.

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Les exigences sur le plan de l’organisation au second congrès de l’Internationale Communiste

Consciente de sa force grandissante relevant d’une tendance de fond, l’Internationale Communiste posait ses exigences. Elle profitait ici du fait d’avoir réussi à se fonder au premier congrès, forçant à une prise de position qui soit nette.

Elle savait cependant qu’un travail gigantesque était à mener. Les choses allaient vite, étaient nombreuses et il n’y avait pas un regard adéquat à ce sujet, sans même parler d’une organisation apte à saisir le mouvement. Zinoviev résuma cet aspect en disant :

« Nous avons maintenant chaque jour, chaque heure des grèves économiques, dont nous ne savons même qu’elles ont eu lieu. D’une telle centrale [dirigeant chaque grève, comme dans la première Internationale], il ne peut être question, justement parce que le mouvement a si énormément grandi. »

Pour cette raison, l’Internationale Communiste fut très attentive à imposer une approche bolchevique, avec un esprit de conséquence à la mesure des exigences de l’époque. Zinoviev donne un exemple significatif de l’approche qu’avaient de nombreux partisans de l’entrée dans l’Internationale Communiste :

« J’ai encore lu certaines affirmations de différents réformistes « de gauche » dans la « Revue » des camarades français, comme par exemple Claude Trèves.

Trèves est pour qu’on rentre tout de suite dans l’Internationale Communiste, mais sous la condition que l’on ait pas le besoin de se lier et qu’il n’y ait pas de mots d’ordre pour les pays en particulier.

Le sens de cela, c’est qu’ils veulent entrer tout de suite, mais sans se lier et avec une telle « autonomie », que ces gens continueraient de faire comme avant.

Le plus fort, c’est monsieur Modigliani, un « aussi-socialiste » italien, qui l’a formulé. Il est maintenant formellement un membre de l’Internationale Communiste, mais il n’est pas un camarade pour nous.

Il était récemment à Paris et voulait amener Longuet à rentrer dans l’Internationale Communiste, et il a motivé cela de la manière suivante : pourquoi ne pas rentrer dans l’Internationale Communiste ? Cela ne nous engage à rien. On doit simplement envoyer une carte postale à l’Exécutif toutes les deux semaines. C’est tout. Pourquoi ne pas le faire ? »

On reconnaît bien ici que, à l’arrière-plan, ce sont les communistes de l’URSS qui donnent le ton et qui fournissent la base idéologique pour la mise en place des institutions de l’Internationale communiste.

D’ailleurs, celle-ci exigeait désormais que chaque Parti envoie un délégué présent de manière permanente auprès du Comité Exécutif. Ce dernier se posait toujours plus comme un véritable état-major de la révolution mondiale, cherchant à structurer les troupes de sympathisants pour en faire une véritable armée. Telle est l’identité fondamentale des débuts de l’Internationale Communiste.

L’introduction du congrès, rédigé par le président du Comité Exécutif, Zinoviev, et son secrétaire, Radek, le soulignait par ailleurs :

« Le premier congrès de l’Internationale Communiste a planté le drapeau du communisme. Aujourd’hui, des millions d’ouvriers conscients se situent déjà sous cette bannière.

Il s’agit maintenant plus de propagande des idées communistes. Ce qui s’ouvre maintenant, c’est l’époque de l’organisation du prolétariat communiste et de la lutte immédiate pour la révolution communiste. »

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La question de la formation des Partis Communistes au second congrès de l’Internationale Communiste

Le grand souci du second congrès de l’Internationale Communiste n’était pas les problèmes d’organisation, bien que ceux-ci aient été très importants.

Ce qui était la vraie problématique de l’Internationale Communiste, c’était son succès. Tout le monde savait bien que pour sa première année d’existence, l’Internationale Communiste n’avait été qu’un outil propagandiste.

La situation était désormais modifiée et le fait de vouloir la rejoindre était devenue une tendance irrépressible dans le mouvement ouvrier. Il ne s’agissait plus de savoir si l’Internationale Communiste allait être rejointe par de très nombreuses organisations, mais comment celle-ci allait gérer toutes les adhésions et ensuite sa propre organisation.

Edition américaine éditée par la section américaine du Manifeste du second congrès

Autant les courants droitiers cherchant à la rejoindre pour gagner en prestige étaient facilement identifiables, autant la situation était plus compliquée avec les courants gauchistes.

Pour ces derniers, à l’activisme il est vrai important, un Parti Communiste n’était rien d’autre qu’un rassemblement des éléments les plus volontaires dans une sorte de super comité révolutionnaire aux contours très lâches et se fondant avec la révolution une fois celle-ci lancée.

On l’aura compris : l’Internationale Communiste faisait face d’un côté à ceux n’ayant pas assez rompu avec la social-démocratie telle qu’elle a existé dans le passé, et ceux ne venant pas de la social-démocratie mais véhiculant des préjugés et illusions de type syndicaliste révolutionnaire, voire anarchiste.

Zinoviev, lors du congrès, résume la situation dans les partis sociaux-démocrates de la manière suivante :

« Nous avons la même division tripartite du mouvement dans chaque pays :

1. une droite expressément opportuniste, qui est maintenant le soutien le plus important de la bourgeoisie ;

2. un milieu plus ou moins affirmé, le marais, le centre, qui est également le soutien de l’ordre bourgeois ;

3. une gauche, qui est plus ou moins clairement communiste ou au moins penche vers le communisme. »

La position n’était toutefois pas de battre la droite en neutralisant le centre, mais d’organiser la fracture à partir de la gauche. Au second congrès de l’Internationale Communiste, il y a encore l’esprit d’urgence par rapport à la vague de la révolution mondiale faisant vaciller les pays capitalistes d’Europe.

Le compte-rendu des débats du second congrès dans son édition américaine

Ainsi, malgré cette situation difficile, la perspective affirmée est triomphaliste. Il est alors considéré que la révolution mondiale engloutirait l’Europe d’ici deux, trois années. Surtout, il était considéré que la révolution d’Octobre avait ébranlé la domination sur les pays coloniaux ou semi-coloniaux, que par conséquent l’Inde et la Chine s’ébranleraient bientôt, faisant pencher – de par leur exigence démocratique – la balance de manière définitive du côté de la révolution mondiale.

Il était considéré par l’Internationale Communiste, et cela de manière très claire, que les rapports économiques entre l’Europe et les colonies étaient devenus la base même du capitalisme.

Cela allait donc également avec la dénonciation de tout l’appareil syndical et politique ouvrier devenu corrompu de par la stabilité capitaliste profitant de ces rapports. L’objectif double de l’Internationale Communiste est alors de :

– former une nouvelle génération de cadres communistes ayant la prise du pouvoir par l’insurrection comme objectif ;

– établir une démarche saine, rompant avec les traditions réformistes se maintenant de par la corruption due à l’exploitation des pays dominés.

Pour ce faire, l’Internationale Communiste mit en place des conditions d’appartenance à sa structure, ce qui rendit le second congrès très célèbre, les 21 conditions se posant comme la ligne de démarcation entre socialistes et communistes.

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La tenue et l’esprit du second congrès de l’Internationale Communiste

Les conditions de la tenue du deuxième congrès de l’Internationale Communiste furent extrêmement difficiles, car la Russie soviétique connaissait un blocus international.

Trouver des traducteurs et des secrétaires pour noter les discours était ardu ; seulement deux dactylos furent trouvés en allemand, un en français, aucun en anglais. Rien que pour déchiffrer les notes du congrès, il fallut deux mois.

Des délégués du second congrès

Les votes effectués concernent les orientations générales, qui sont débattues au congrès avec des intervenants donnant leur point de vue. Ces orientations générales sont :

– travaillées en amont dans des commissions, qui formulent un texte d’orientation servant de base de discussion ;

– retournées aux commissions concernées pour l’écriture d’une version finale.

Les commissions sont composées de délégués de tous les pays ; leurs thématiques sont les suivantes :

– le mouvement syndical :

– le parlementarisme ;

– la question agraire ;

– les tâches de l’Internationale ;

– la question coloniale et nationale ;

– les conditions d’adhésion.

Lénine est lui-même membre de plusieurs commissions : celle sur la question agraire, celle sur les tâches de l’Internationale, celle sur la question coloniale et nationale.

Lénine au second congrès

Le ton est résolument offensif. Zinoviev, qui préside l’Internationale Communiste souligne l’importance d’une structure clandestine, il explique l’importance de combattre les syndicats jaunes, y compris de manière armée, etc.

Dès la première session du congrès, il explique la situation et l’ambition du mouvement :

« L’effondrement de la seconde Internationale [des sociaux-démocrates refusant la révolution russe] reflète l’effondrement de l’ordre bourgeois lui-même. C’est le pivot autour duquel tout se tourne.

Nous avons battu la seconde Internationale, parce que « le crépuscule des dieux » du capitalisme a commencé.

Nous avons battu la IIde Internationale parce que la bourgeoisie ne peut et ne pourra liquider nulle part dans le monde entier le testament de la guerre impérialiste. »

Dans un discours le dernier jour, le 7 août 1920, il dit même que le second congrès qui se termine est le précurseur d’un autre congrès mondial, celui des républiques soviétiques à l’échelle de planète.

Cette vision est clairement urgentiste et sera remise en cause par la suite ; ainsi le IIIe congrès de l’Internationale Communiste n’adoptera pas le point de vue comme quoi la IIde Internationale était totalement écrasée.

Lénine au second congrès de l’Internationale Communiste

Cependant, la clef de l’attitude de l’Internationale Communiste face aux questions, c’est qu’il est considéré qu’il y a une crise générale du capitalisme. Au départ, c’est Eugen Varga qui fut chargé d’établir une analyse approfondie de ce phénomène, avec ses conséquences. L’idée générale, c’est que le capitalisme ne parvient pas à se remettre de la guerre mondiale. Il surmonte certains aspects, mais il reste prisonnier de tels problèmes qu’il va à son effondrement.

Lénine intervient de fait au tout début du congrès, pour faire un long exposé de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme. Il souligne qu’il ne faut pas être unilatéral : il ne s’agit pas de dire que la bourgeoisie n’a plus d’issue, car celle-ci peut forcer le cours des choses sur plusieurs aspects encore.

L’Internationale Communiste se réunit justement, selon Lénine, comme preuve historique que la bourgeoisie ne sera pas en mesure de le faire ; Lénine pose en fait une alternative historique. D’où son exigence que d’authentiques Partis Communistes soient formés, pour profiter de la crise révolutionnaire.

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Le succès dans la mise en place du second congrès de l’Internationale Communiste

Le second congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à Saint-Pétersbourg le 19 juillet, puis à Moscou du 23 juillet au 7 août 1920. C’était là concrétiser le mouvement lancé au premier congrès, ce que l’Internationale Communiste voyait comme un succès total, puisque l’objectif était la formation de Partis Communistes partout dans le monde, sur la base de la rupture avec la IIde Internationale, l’ancienne Internationale des forces social-démocrates, d’où viennent les bolcheviks russes eux-mêmes.

Sur ce point, une véritable dynamique était enclenchée et connaissait des succès. Dans les faits, l’Internationale Communiste se positionnait comme un véritable centre de gravité politique, vers lequel il fallait, d’une manière ou d’une autre, se tourner quand on était lié à la classe ouvrière.

Cela se lit dans une présence de délégués d’origine très variée.

Des délégués du second congrès,
Lénine au premier plan

On a la Corée (1 délégué), la Turquie (3 délégués), le Mexique (2 délégués), la Yougoslavie (1 délégué), la Géorgie (5 délégués), le Danemark (2 délégués), la Belgique (1 délégué), la Chine (2 délégués consultatifs seulement), l’Inde (2 délégués consultatifs seulement), l’Italie (4 délégués ainsi que 5 délégués consultatifs seulement), l’Angleterre (6 délégués), les États-Unis (six délégués), la Pologne (1 délégué), l’Arménie (2 délégués), l’Azerbaïdjan (1 délégué), la Bulgarie (3 délégués), la Suède (2 délégués), l’Australie (2 délégués consultatifs seulement).

On a les Pays-Bas (2 délégués), l’Estonie (2 délégués), la Finlande (6 délégués ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Allemagne (6 délégués du KPD, 7 délégués consultatifs seulement de l’USPD), la France (5 délégués du Comité de la IIIe Internationale, ainsi que 2 délégués de la Jeunesse et 3 délégués consultatifs seulement), l’Irlande (5 délégués), la Lettonie (5 délégués), la Lituanie – Biélorussie (2 délégués), la Suisse (5 délégués), la Norvège (8 délégués).

On a l’Autriche (4 délégués), la Galicie orientale (3 délégués), la Perse (1 délégué ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), l’Espagne (1 délégué), la Tchécoslovaquie (3 délégués, ainsi que 2 délégués consultatifs seulement), la Hongrie (4 délégués et 5 délégués consultatifs seulement), et enfin, bien sûr, la Russie (67 délégués et 4 consultatifs seulement).

C’est là un indéniable succès sur le plan international, comparé au premier congrès. Cela complique évidemment d’autant plus les modalités des votes effectués.

Concrètement, cela donne 167 délégués pouvant voter, 51 dont l’expression n’est que consultative.

Des 167 voix, 124 relèvent de Partis Communistes déjà constitués et 12 d’organisations de jeunesse, soit 31 de structures seulement proches ou très proches du communisme.

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Manifeste du second congrès de l’Internationale communiste

Le monde capitaliste et l’Internationale Communiste

I. — LES RAPPORTS INTERNATIONAUX APRÈS VERSAILLES

C’est avec mélancolie et regret que la bourgeoisie du monde entier se rappelle les jours d’antan. Tous les fondements de la politique internationale ou intérieure sont bouleversés ou ébranlés. Pour le monde des exploiteurs demain est gros d’orages. La guerre impérialiste a achevé de détruire le vieux système des alliances et des assurances mutuelles sur lequel étaient basés l’équilibre international et la paix armée. Aucun équilibre nouveau ne résulte de la paix de Versailles.

La Russie d’abord, ensuite l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne ont été jetées hors de la lice. Ces puissances de premier ordre, qui avaient occupé la première place parmi les pirates de l’impérialisme mondial, sont devenues elles-mêmes les victimes du pillage et ont été livrées au démembrement.

Devant l’impérialisme vainqueur de l’Entente s’est ouvert un champ illimité d’exploitation coloniale, commençant au Rhin, embrassant toute l’Europe centrale et orientale, pour finir à l’Océan Pacifique. Est-ce que le Congo, la Syrie, l’Égypte et le Mexique peuvent entrer en comparaison avec les steppes, les forêts et les montagnes de la Russie, avec les forces ouvrières, avec les ouvriers qualifiés de l’Allemagne ?

Le nouveau programme colonial des vainqueurs était bien simple : renverser la république prolétarienne en Russie, faire main basse sur nos matières premières, accaparer la main-d’œuvre allemande, le charbon allemand, imposer à l’entrepreneur allemand le rôle de garde-chiourme et avoir à leur disposition les marchandises ainsi obtenues ainsi que les revenus des entreprises.

Le projet « d’organiser l’Europe » qui avait été conçu par l’impérialisme allemand à l’époque de ses succès militaires, a été repris par l’Entente victorieuse. En traduisant à la barre des accusés les chenapans de l’empire allemand les gouvernements de l’Entente les considèrent bien comme leurs pairs.

Mais même dans le camp des vainqueurs il y a des vaincus.

Enivrée par son chauvinisme et par ses victoires, la bourgeoisie française se voit déjà maîtresse de l’Europe. En réalité jamais la France n’a été à tous les points de vue dans une dépendance plus servile vis-à-vis de ses rivales plus puissantes, l’Angleterre et l’Amérique.

La France prescrit à la Belgique un programme économique et militaire, et transforme sa faible alliée en province vassale, mais, vis-à-vis de l’Angleterre, elle joue, en plus grand, le rôle de la Belgique. Pour le moment les impérialistes anglais laissent aux usuriers français le soin de se faire justice dans les limites continentales qui leur sont assignées, faisant ainsi retomber sur la France l’indignation des travailleurs de l’Europe et de l’Angleterre même.

La puissance de la France, saignée à blanc et ruinée, n’est qu’apparente et factice ; un jour plus tôt ou plus tard les social-patriotes français seront bien obligés de s’en apercevoir.

L’Italie a encore plus perdu de son poids dans les relations internationales. Manquant de charbon, manquant de pain, manquant de matières premières, absolument déséquilibrée par la guerre, la bourgeoisie italienne, en dépit de toute sa mauvaise volonté, n’est pas capable de réaliser dans la mesure où elle le voudrait, les droits qu’elle croit avoir au pillage et à la violence, même dans les coins de colonies que l’Angleterre a bien voulu lui abandonner.

Le Japon, en proie aux contradictions inhérentes au régime capitaliste dans une société demeurée féodale, est à la veille d’une crise révolutionnaire des plus profondes ; déjà, malgré des circonstances plutôt favorables dans la politique internationale, cette crise a paralysé son élan impérialiste.

Restent seulement deux véritables grandes puissances mondiales, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

L’impérialisme anglais s’est débarrassé de son rival asiatique, le tsarisme, et de la menaçante concurrence allemande. La puissance de la Grande-Bretagne sur les mers atteint son apogée. Elle entoure les continents d’une chaîne de peuples qui lui sont soumis.

Elle a mis la main sur la Finlande, l’Estonie et la Lettonie ; elle enlève à la Suède et à la Norvège les derniers vestiges de leur indépendance ; elle transforme la mer Baltique en un golfe qui appartient aux eaux britanniques. Personne ne lui résiste dans la mer du Nord. Possédant le Cap, l’Égypte, l’Inde, la Perse, l’Afghanistan, elle fait de l’Océan Indien une mer intérieure entièrement soumise à son pouvoir. Étant maîtresse des océans, l’Angleterre contrôle les continents. Souveraine du monde, elle ne trouve des limites à sa puissance que dans la république américaine du dollar et dans la république russe des Soviets.

La guerre mondiale a définitivement obligé les États-Unis à renoncer à leur conservatisme continental. Élargissant son essor, le programme de son capitalisme national, — « l’Amérique aux Américains » (doctrine de Monroe) — a été remplacé par le programme de l’impérialisme : « Le monde entier aux Américains ».

Ne se contentant plus d’exploiter la guerre par le commerce, par l’industrie et par les opérations de Bourse, cherchant d’autres sources de richesse que celles qu’elle tirait du sang européen, lorsqu’elle était neutre, l’Amérique est entrée dans la guerre, a joué un rôle décisif dans la défaite de l’Allemagne et s’est mêlée de résoudre toutes les questions de politique européenne et mondiale.

Sous le drapeau de la Société des Nations, les États-Unis ont tenté de faire passer de l’autre côté de l’océan l’expérience qu’ils avaient déjà faite chez eux d’une association fédérative de grands peuples appartenant à des races diverses ; ils ont voulu enchaîner à leur char triomphal les peuples de l’Europe et des autres parties du monde, en les assujettissant au gouvernement de Washington. La Ligue des Nations ne devait plus être en somme qu’une société jouissant d’un monopole mondial, sous la firme : « Yankee & Co ».

Le Président des États-Unis, le grand prophète des lieux communs, est descendu de son Sinaï pour conquérir l’Europe, apportant avec lui ses quatorze articles. Les boursiers, les ministres, les gens d’affaires de la bourgeoisie ne se sont pas trompés une seule minute sur le véritable sens de la nouvelle révélation.

En revanche, les « socialistes » européens, travaillés par le ferment de Kautsky, ont été saisis d’une extase religieuse et se sont mis à danser, comme le roi David, en accompagnant l’arche sainte de Wilson.

Lorsqu’il a fallu résoudre des questions pratiques, l’apôtre américain a fort bien vu qu’en dépit de la hausse extraordinaire du dollar, la primauté appartenait encore et toujours à la Grande-Bretagne sur toutes les routes maritimes qui réunissent et qui séparent les nations ; car l’Angleterre dispose de la flotte la plus forte, du câble le plus long, et elle a une antique expérience de la piraterie mondiale.

En outre, Wilson s’est heurté à la république soviétique et au communisme. Profondément blessé, le Messie américain a désavoué la Ligue des Nations dont l’Angleterre avait fait une de ses chancelleries diplomatiques, et il a tourné le dos à l’Europe.

Ce serait toutefois un enfantillage de penser qu’après avoir subi un premier échec de la part de l’Angleterre l’impérialisme américain rentrera dans sa coquille, nous voulons dire : se conformera de nouveau à la doctrine de Monroe.

Non, continuant à asservir par des moyens de plus en plus violents le continent américain, transformant en colonies les pays de l’Amérique centrale et méridionale, les États-Unis, représentés par leurs deux partis dirigeants, les démocrates et les républicains, se préparent, pour faire pièce à la Ligue des Nations créée par l’Angleterre, à constituer leur propre Ligue, dans laquelle l’Amérique du Nord jouerait le rôle d’un centre mondial. Pour prendre les choses par le bon bout, ils ont l’intention de faire de leur flotte, dans le courant des trois ou cinq prochaines années, un instrument de lutte plus puissant que n’est la flotte britannique. C’est ce qui oblige l’Angleterre impérialiste à se poser la question : être ou ne pas être ?

À la rivalité furieuse de ces deux géants dans le domaine des constructions navales s’ajoute une lutte non moins furieuse pour la possession du pétrole.

La France qui comptait jouer un rôle d’arbitre entre l’Angleterre et les États-Unis s’est trouvée entraînée dans l’orbite de la Grande-Bretagne, comme un satellite de deuxième grandeur ; la Ligue des Nations est pour elle un fardeau intolérable et elle cherche à s’en défaire en fomentant un antagonisme entre l’Angleterre et l’Amérique du Nord.

Ainsi les forces les plus puissantes travaillent à préparer un nouveau duel mondial.

Le programme de l’émancipation des petites nations, qui avait été mis en avant pendant la guerre, a amené la débâcle complète et l’asservissement absolu des peuples des Balkans, vainqueurs et vaincus, et la balkanisation d’une partie considérable de l’Europe. Les intérêts impérialistes des vainqueurs les ont engagés à détacher des grandes puissances qu’ils avaient battues certains petits États représentants des nationalités distinctes.

Ici il ne saurait être question de ce que l’on appelle le principe des nationalités : l’impérialisme consiste à briser les cadres nationaux, même ceux des grandes puissances. Les petits États bourgeois récemment créés ne sont que les sous-produits de l’impérialisme. En créant, pour y trouver un appui provisoire, toute une série de petites nations, ouvertement opprimées ou officiellement protégées, mais en réalité vassales — l’Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie, la Bohème, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Arménie, la Géorgie, etc… — en les dominant au moyen des banques, des chemins de fer, du monopole des charbons l’impérialisme les condamne à souffrir de difficultés économiques et nationales intolérables, de conflits interminables, de querelles sanglantes.

Quelle monstrueuse raillerie est dans l’histoire ce fait que la restauration de la Pologne, après avoir fait partie du programme de la démocratie révolutionnaire et des premières manifestations du prolétariat international, a été réalisée par l’impérialisme afin de faire obstacle à la Révolution ! La Pologne « démocratique », dont les précurseurs moururent sur les barricades de l’Europe entière, est en ce moment un instrument malpropre et sanglant entre les mains des brigands anglo-français qui attaquent la première république prolétarienne que le monde ait jamais vu.

À côté de la Pologne, la Tchécoslovaquie, « démocratique », vendue au capital français, fournit une garde blanche contre la Russie soviétique, contre la Hongrie soviétique.

La tentative héroïque faite par le prolétariat hongrois pour s’arracher au chaos politique et économique de l’Europe centrale et entrer dans la voie de la fédération soviétique, — qui est vraiment l’unique voie de salut — a été étouffée par la réaction capitaliste coalisée, au moment où, trompé par les partis qui le dirigent, le prolétariat des grandes puissances européennes s’est trouvé incapable de remplir son devoir envers la Hongrie socialiste et envers lui-même.

Le gouvernement soviétique de Budapest a été renversé avec l’aide de social-traîtres qui, après s’être maintenus au pouvoir pendant trois ans et demi, ont été jetés à terre par la canaille contre-révolutionnaire déchaînée, dont les crimes sanglants ont surpassé ceux de Koltchak, de Dénikine, de Wrangel et des autres agents de l’Entente… Mais, même abattue pour un temps, la Hongrie soviétique continue à éclairer, comme un phare splendide, les travailleurs de l’Europe centrale.

Le peuple turc ne veut pas se soumettre à la honteuse paix que lui imposent les tyrans de Londres. Pour faire exécuter les clauses du traité, l’Angleterre a armé et lancé la Grèce contre la Turquie. De cette manière la péninsule balkanique et l’Asie-Mineure, Turcs et Grecs, sont condamnés à une dévastation complète, à des massacres mutuels.

Dans la lutte de l’Entente contre la Turquie, l’Arménie a été inscrite au programme, de même que la Belgique dans la lutte contre l’Allemagne, de même que la Serbie dans la lutte contre l’Autriche-Hongrie. Après que l’Arménie a été constituée — sans frontières définies, sans possibilité d’existence — Wilson a refusé d’accepter le mandat arménien que lui proposait « la Ligue des Nations » : car le sol de l’Arménie ne renferme ni naphte, ni platine. L’Arménie « émancipée » est plus que jamais sans défense.

Presque chacun des États « nationaux » nouvellement créés a son irrédentisme, c’est-à-dire son abcès national latent.

En même temps la lutte nationale, dans les domaines possédés par les vainqueurs, a atteint sa plus haute tension. La bourgeoisie anglaise qui voudrait prendre sous sa tutelle les peuples des quatre parties du monde, est incapable de résoudre d’une manière satisfaisante la question irlandaise qui se pose dans son voisinage immédiat.

La question nationale dans les colonies est encore plus grosse de menaces. L’Égypte, l’Inde, la Perse sont secoués par les insurrections. Les prolétaires avancés de l’Europe et de l’Amérique transmettent aux travailleurs des colonies la devise de la fédération soviétique.

L’Europe officielle, gouvernementale, nationale, civilisée, bourgeoise, — telle qu’elle est sortie de la guerre et de la paix ce Versailles — suggère l’idée d’une maison de fous. Les petits États créés par des moyens artificiels, morcelés, étouffant au point de vue économique dans les bornes qui leur ont été prescrites, se prennent à la gorge et combattent pour s’arracher des ports, des provinces, des petites villes de rien du tout. Ils cherchent la protection des États plus forts, dont l’antagonisme s’accroît de jour en jour. L’Italie garde une attitude hostile à la France et serait disposée à soutenir contre elle l’Allemagne, si celle-ci se trouvait capable de relever la tête.

La France est empoisonnée par l’envie qu’elle porte à l’Angleterre et, pour obtenir qu’on lui paie ses rentes, elle est prête à mettre de nouveau le feu aux quatre coins de l’Europe. L’Angleterre maintient avec l’aide de la France l’Europe dans un état de chaos et d’impuissance qui lui laisse les mains libres pour effectuer ses opérations mondiales, dirigées contre l’Amérique. Les États-Unis laissent le Japon s’enliser dans la Sibérie orientale, pour assurer pendant ce temps à leur flotte la supériorité sur celle de la Grande-Bretagne avant 1925, à moins que l’Angleterre ne se décide à se mesurer avec eux avant cette date.

Pour compléter comme il convient ce tableau, l’oracle militaire de la bourgeoisie française, le maréchal Foch nous prévient que la guerre future aura pour point de départ le point où la guerre précédente s’est arrêtée : on verra d’abord apparaître les avions et les tanks, le fusil automatique et les mitrailleuses au lieu du fusil portatif, la grenade au lieu de la baïonnette.

Ouvriers et paysans de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Australie ! Vous avez sacrifié dix millions de vies, vingt millions de blessés et d’invalides. Maintenant vous savez du moins ce que vous avez obtenu à ce prix !

II. LA SITUATION ÉCONOMIQUE

En même temps l’humanité continue à se ruiner.

La guerre a détruit mécaniquement les liens économiques dont le développement constituait une des plus importantes conquêtes du capitalisme mondial. Depuis 1914, l’Angleterre, la France et l’Italie ont été complètement séparées de l’Europe centrale et du proche Orient, depuis 1917 — de la Russie.

Durant plusieurs années d’une guerre qui a détruit ce qui avait été l’œuvre de plusieurs générations, le travail humain, réduit au minimum, a été appliqué principalement à transformer en marchandises les réserves des matières premières dont on disposait depuis longtemps et dont on a fait surtout des armes et des instruments de destruction.

Dans les domaines économiques où l’homme entre en lutte immédiate avec la nature avare et inerte, en tirant de ses entrailles le combustible et les matières premières, le travail a été progressivement réduit à néant. La victoire de l’Entente et la paix de Versailles n’ont point arrêter la destruction économique et la décadence générale, elles en ont seulement modifié les voies et les formes.

Le blocus de la Russie soviétique et la guerre civile suscitée artificiellement le long de ses fertiles frontières ont causé et causent encore des dommages inappréciables au bien-être de l’humanité toute entière. Si la Russie était soutenue, au point de vue technique, dans une mesure même très modeste, — l’Internationale l’affirme devant le monde entier — elle pourrait, grâce aux formes soviétiques d’économie, donner deux et trois fois plus de produits alimentaires et de matières premières à l’Europe que n’en donnait autrefois la Russie du Tsar. Au lieu de cela, l’impérialisme anglo-français force la République des travailleurs à employer toute son énergie et toutes ses ressources à sa défense.

Pour priver les ouvriers russes de combustible, l’Angleterre a retenu entre ses griffes Bakou dont le pétrole est resté de cette façon à peu près inutilisé, car elle n’a réussi a en importer qu’une infime partie. Le richissime bassin houiller du Don a été dévasté par les bandits blancs aux gages de l’Entente, chaque fois qu’ils ont réussi à prendre l’offensive dans ce secteur. Les ingénieurs et les sapeurs français se sont plus d’une fois appliqués à détruire nos ponts et nos voies ferrés ; et le Japon n’a pas cessé jusqu’ici de piller et de ruiner la Sibérie orientale.

La science industrielle allemande et le taux de production très élevé de la main-d’œuvre allemande, ces deux facteurs d’une extrême importance pour la renaissance de la vie économique européenne, sont paralysés par les clauses de la paix de Versailles encore plus qu’ils ne l’avaient été par la guerre.

L’Entente se trouve devant un dilemme : pour pouvoir exiger le payement il faut donner le moyen de travailler, pour laisser travailler il faut laisser vivre. Et donner à l’Allemagne ruinée, dépecée, exsangue, le moyen de se refaire une vie, c’est lui rendre possible un sursaut de protestation. Foch a peur d’une revanche allemande, et cette crainte transpire dans tout ce qu’il entreprend, par exemple dans la façon de resserrer chaque jour davantage l’étau militaire qui doit empêcher l’Allemagne de se redresser.

Tous manquent de quelque chose, tous sont dans le besoin. Non pas seulement le bilan de l’Allemagne, mais également celui de la France et de l’Angleterre, se signalent exclusivement par leur passif. La dette française s’élève à 300 milliards de francs, dont les deux tiers au moins, selon l’assertion du sénateur réactionnaire Gaudin de Villaine, sont les résultats de toute sorte de déprédations, d’abus et de désordres.

La France a besoin d’or, la France a besoin de charbon. Les bourgeois français en appellent aux tombes innombrables des soldats tombés pendant la guerre pour réclamer les intérêts de ses capitaux. L’Allemagne doit payer : est-ce que le général Foch n’a pas assez de Sénégalais pour occuper les villes allemandes ? La Russie doit payer ! Pour nous en persuader, le gouvernement français dépense à dévaster la Russie, les milliards arrachés aux contribuables pour la reconstitution des départements français.

L’entente financière internationale qui devait alléger le fardeau des impôts français en annulant les dettes de guerre, cette entente n’a pas eu lieu : les États-Unis se sont montrés très peu disposés à faire à l’Europe un cadeau de 10 milliards de livres sterling.

L’émission du papier-monnaie continue, atteignant chaque jour un chiffre plus imposant. En Russie, où il existe une organisation économique unifiée, une répartition systématique des denrées et où le salaire en montée tend de plus en plus à être remplacé par le payement en nature, l’émission continuelle des papier-monnaie et la chute rapide de leur taux ne font que confirmer le délabrement du vieux système financier et commercial. Mais dans les pays de capitalisme la quantité croissante des bons du trésor en cours sont l’indice d’un profond désarroi économique et d’une faillite imminente.

Les conférences convoquées par l’Entente voyagent de place en place, cherchant à s’inspirer de telle ou telle plage à la mode. Chacun réclame les intérêts du sang versé pendant la guerre, une indemnité proportionnelle au nombre de ses tués. Cette manière de bourse ambulante rabâche tous les quinze jours la même question : à savoir, si c’est 50 ou 55 % que la France doit recevoir, d’une contribution que l’Allemagne n’est pas en état de payer. Ces conférences fantasmagoriques sont bien faites pour couronner la fameuse « organisation » de l’Europe, qu’on s’était tant plu à vanter.

La guerre a fait subir au capitalisme une évolution. Le pressurage systématique de la plus-value qui fut jadis pour l’entrepreneur la seule source de revenu, semble à présent une occupation trop fade aux messieurs les bourgeois qui ont pris l’habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l’espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes basées sur le brigandage international.

Le bourgeois a rejeté quelques préjugés qui le gênaient et acquis par contre un certain coup de main qui lui manquait jusqu’ici. La guerre l’a accoutumé, comme aux actes les plus ordinaires, à réduire par le blocus des pays entiers à la famine, à bombarder et incendier des villes et villages pacifiques, à infecter les sources et les rivières en y jetant des cultures du choléra, à transporter de la dynamite dans des valises diplomatiques, à émettre des billets de banque faux imitant ceux de l’ennemi, à employer la corruption, l’espionnage et la contrebande dans des proportions jusque-là inouïes.

Les moyens d’action appliqués à la guerre restèrent en vigueur dans le monde commercial après la conclusion de la paix. Les opérations commerciales de quelque importance s’effectuent sous l’égide de l’État. Ce dernier est devenu semblable à une association de malfaiteurs armés jusqu’aux dents. Le terrain de la production mondiale se rétrécit chaque jour davantage et la mainmise sur la production devient d’autant plus frénétique et revient d’autant plus chère.

Empêcher : voilà le dernier mot de la politique du capitalisme, la devise qui remplace le protectionnisme et le libre-échangisme ! L’agression dont a été victime la Hongrie de la part des chenapans roumains qui y pillèrent tout ce qui leur tomba sous la main, locomotives et bijoux indifféremment, caractérise la philosophie économique de Lloyd George et de Millerand.

Dans sa politique économique intérieur, la bourgeoisie ne sait à quoi s’en tenir entre un système de nationalisation, de réglementation et de contrôle de l’état qui pourrait être des plus efficaces, et, d’autre part, les protestations qui se font entendre contre la mainmise effectuée par l’État sur les affaires économiques.

Le parlement français cherche à trouver un compromis qui lui permettrait de concentrer la direction de toutes les voies ferrées de la république dans des mains uniques sans pour cela léser les intérêts des capitalistes actionnaires dans les compagnies de chemin de fer privées. En même temps, la presse capitaliste mène une campagne enragée contre « l’étatisme » qui est le premier pas de l’intervention de l’État et qui met un frein à l’initiative privée. Les chemins de fer américains, qui, dirigés pendant la guerre par l’État, avaient été désorganisés, sont tombés dans une situation encore plus difficile lorsque le contrôle du gouvernement a été supprimé. Néanmoins, le parti républicain promet dans son programme d’affranchir la vie économique de l’arbitrage gouvernemental.

Le chef des trade-unions américains, Samul Gompers, ce vieux cerbère du Capital, lutte contre la nationalisation des chemins de fer que, de leur côté, les naïfs adeptes les charlatans du réformisme proposent à la France en guise de pensée universelle. En réalité, l’intervention désordonnée de l’état ne serait faite que pour seconder l’activité pernicieuse des spéculateurs, pour achever d’introduire le désarroi le plus complet dans l’économie du capitalisme, à l’heure où celui-ci se trouve dans sa période de décadence. Enlever aux trusts les moyens de production et de transport pour les transmettre à « la nation », c’est-à-dire à l’état bourgeois, c’est-à-dire au plus puissant et au plus avide des trusts capitalistes, ce n’est non pas enrayer le mal, mais en faire une loi commune.

La baisse de prix et la hausse du taux de la monnaie ne sont que des indices trompeurs qui ne peuvent cacher la ruine imminente. Les prix ont beau baisser, cela ne veut pas dire qu’il y ait une augmentation de matières premières ni que le travail soit devenu plus productif.

Après l’épreuve sanglante de la guerre, la masse ouvrière n’est plus capable de travailler avec la même vigueur dans les mêmes conditions.

La destruction au cours de quelques heures de valeurs dont la création avait demandé des années, l’impudent agiotage d’une clique financière avec des enjeux de plusieurs milliards et, à côté de cela, des monceaux d’ossements et de ruines — ces leçons données par l’histoire, étaient peu faites pour soutenir dans la classe ouvrière la discipline automatique inhérente au travail salarié. Les économistes bourgeois et les faiseurs de feuilletons nous parlent d’une « vague de paresse » qui déferlerait, selon eux, sur l’Europe, menaçant son avenir économique.

Les administrateurs cherchent à gagner du temps en accordant certains privilèges aux ouvriers qualifiés. Mais ils perdent leur peine. Pour la reconstitution et le développement de la production au travail, il est nécessaire que la classe ouvrière sache pertinemment que chaque coup de marteau aura pour résultat d’améliorer son sort, de lui rendre plus facile l’instruction et de la rapprocher d’une paix universelle. Or, cette assurance ne peut lui être donnée que par une révolution sociale.

La hausse de prix sur les denrées alimentaires sème le mécontentement et la révolte dans tous les pays. La bourgeoisie de France, d’Italie, d’Allemagne et des autres pays ne trouve que des palliatifs à opposer au fléau de la vie chère et à la vague menaçante des grèves. Pour être en mesure de payer aux agriculteurs ne fut ce qu’une partie de leurs frais de production, l’état, couvert de dettes, s’engage dans des spéculations louches, se dévalise lui-même pour retarder le quart d’heure de Rabelais.

S’il est vrai que certaines catégories d’ouvriers vivent actuellement dans des conditions même meilleures qu’avant la guerre, cela ne signifie rien en réalité quant à ce qui concerne l’état économique des pays capitalistes. On obtient des résultats éphémères en s’adressant à demain pour ouvrir des emprunts de charlatans ; demain amènera la misère et toutes sortes de calamités.

Que dire des États-Unis ? « L’Amérique est l’espoir de l’humanité » : par la bouche de Millerand, le bourgeois français répète cette sentence de Turgot, il espère qu’on lui remettra ses dettes, lui qui ne les remet à personne. Mais les États-Unis ne sont pas capables de tirer l’Europe de l’impasse économique où elle est engagée. Durant les six dernières années ils ont épuisé leur stock de matières premières. L’adaptation du capitalisme, américain aux exigences de la guerre mondiale, a rétréci sa base industrielle.

Les Européens ont cessé d’émigrer en Amérique. Une vague de retour a arraché à l’industrie américaine des centaines de milliers d’Allemands, d’Italiens, Polonais, de Serbes, de Tchèques qu’appelaient en Europe soit la mobilisation, soit le mirage d’une patrie recouvrée. Le manque de matières premières et de forces ouvrières pèse lourdement sur la République transatlantique et engendre une profonde crise économique, par suite de laquelle le prolétariat américain entre dans une nouvelle phase de lutte révolutionnaire. L’Amérique s’européanise rapidement.

Les neutres n’ont pas échappé aux conséquences de la guerre et du blocus. Semblable à un liquide enfermé dans des vases communicants, l’économie des États capitalistes étroitement reliés entre eux, grand ou petits, belligérants ou neutres, vainqueurs ou vaincus, tend à prendre un seul et même niveau — celui de la misère de la famine et du dépérissement.

La Suisse vit au jour le jour, chaque éventualité menace de la jeter hors de tout équilibre. En Scandinavie, une riche importation d’or ne saurait résoudre le problème de l’approvisionnement. On est obligé de demander du charbon à l’Angleterre par petites portions, et cela avec force courbettes. En dépit de la famine en Europe, la pêche en Norvège subit une crise inouïe.

L’Espagne, d’où la France a fait venir des hommes, des chevaux et des vivres, ne peut se tirer de nombre de difficultés, au point de vue du ravitaillement, lesquelles entraînent à leur tour des grèves violentes et des manifestations de la part des masses que la faim oblige à descendre dans la rue.

La bourgeoisie compte fermement sur les campagnes. Ses économistes affirment que le bien-être des paysans a extraordinairement augmenté. C’est une illusion. Il est vrai que les paysans qui apportent leurs produits au marché ont plus ou moins fait fortune, partout, pendant la guerre. Ils ont vendu leurs produits à très haut prix et ont payé d’une monnaie qui leur revient à bon marché les dettes qu’ils avaient faites lorsque l’argent coûtait cher. C’est là pour eux un avantage évident.

Mais, durant la guerre, leurs exploitations sont tombées dans le désordre et leur rendement a faibli. Ils ont besoin d’objets fabriqués. Et le prix de ces objets a augmenté dans la mesure où l’argent est devenu meilleur marché. Les exigences du fisc sont devenues monstrueuses et menacent d’engloutir le paysan avec ses produits et ses terres. Ainsi après une période de relèvement momentané du bien-être, les paysans de la petite classe tombent de plus en plus dans des difficultés irréductibles. Leur mécontentement au sujet des résultats de la guerre ne fera que croître et, représenté par une armée permanente, le paysan prépare à la bourgeoisie pas mal de surprises désagréables.

La restauration économique de l’Europe, dont parlent les ministres qui la gouvernent, est un mensonge. L’Europe se ruine et le monde entier se ruine avec elle.

Sur les bases du capitalisme il n’est point de salut. La politique de l’impérialisme ne saurait éliminer le besoin, elle ne peut que le rendre plus douloureux en favorisant la dilapidation des réserves dont on dispose encore.

La question du combustible et des matières premières est une question internationale que l’on ne peut résoudre que sur la base d’une production réglée sur un plan, mise en commun, socialisée.

Il faut annuler les dettes d’état. Il faut émanciper le travail et ses fruits du tribut monstrueux qu’il paie à la ploutocratie mondiale. Il faut renverser la ploutocratie. Il faut jeter à bas les barrières gouvernementales qui fractionnent l’économie mondiale. Au Conseil Suprême Économique des impérialistes de l’Entente, il faut substituer un Conseil Suprême Économique du prolétariat mondial pour l’exploitation centralisée de toutes les ressources de l’humanité.

Il faut tuer l’impérialisme pour que le genre humain puisse continuer à subsister.

III. — LE RÉGIME BOURGEOIS APRÈS LA GUERRE

Toute l’énergie des classes opulentes est concentrée sur ces deux questions : se maintenir au pouvoir dans la lutte internationale et ne pas permettre au prolétariat de devenir maître du pays.

Conformément à ce programme, les anciens groupes politiques parmi la bourgeoisie en Russie où l’étendard du parti constitutionnel-démocrate (K. D.) est devenu durant la période décisive de la lutte, l’étendard de tous les riches dressés contre la révolution des ouvriers et des paysans, mais aussi dans les pays dont la culture politique est plus ancienne et a des racines plus profondes, les programmes d’autrefois qui séparaient les diverses fractions de la bourgeoisie ont disparu, presque sans laisser de traces, bien avant l’attaque ouverte qui a été menée par le prolétariat révolutionnaire.

Lloyd George se fait le héraut de l’union des conservateurs, des unionistes et des libéraux pour la lutte en commun contre la domination menaçante de la classe ouvrière. Ce vieux démagogue établit à la base de son système la sainte église, qu’il compare à une station centrale d’électricité fournissant un courant égal à tous les partis des classes opulentes.

En France, l’époque si peu lointaine encore et si bruyante de l’anticléricalisme semble n’être plus qu’une vision de l’autre monde : les radicaux, les royalistes et les catholiques constituent actuellement un bloc de l’ordre national contre le prolétariat qui lève la tête. Tendant la main à toutes les forces de la réaction, le gouvernement français soutient le cent-noir Wrangel et renoue ses rapports diplomatiques avec le Vatican.

Le neutre convaincu, le germanophile Giolitti se saisit du gouvernail de l’état italien en qualité de chef commun des interventionnistes, des neutralistes, des cléricaux, des mazzinistes : il est prêt à louvoyer dans les questions secondaires de la politique intérieure et extérieure pour repousser avec d’autant plus d’énergie l’offensive des prolétaires révolutionnaires dans les villes et les villages. Le Gouvernement de Giolitti se considère à bon droit comme le dernier atout de la bourgeoisie italienne.

La politique de tous les gouvernements allemands et des partis gouvernementaux, après la défaite des Hohenzollern, a tendu à établir de concert avec les classes dirigeantes de l’Entente, un terrain commun de haine contre le bolchevisme, c’est-à-dire contre la révolution prolétarienne.

Au moment où le Shylock anglo-français étouffe avec une férocité croissante le peuple allemand, la bourgeoisie allemande, sans distinction de partis, demande à l’ennemi de relâcher le nœud qui l’étrangle juste assez pour pouvoir, de ses propres mains, égorger l’avant-garde du prolétariat allemand.

C’est en somme à cela que reviennent toujours les conférences périodiques qui ont lieu et les conventions que l’on signe au sujet du désarmement et de la livraison des engins de guerre.

En Amérique, on ne fait plus aucune différence entre Républicains et Démocrates. Ces puissantes organisations politiques d’exploiteurs, adaptées au cercle restreint des intérêts américains, ont montré en toute évidence à quel point elles étaient dénuées de consistance lorsque la bourgeoisie américaine est entrée dans la lice du brigandage mondial.

Jamais encore les intrigues des chefs et de leurs bandes — dans l’opposition comme dans les ministères — n’avaient fait preuve d’un semblable cynisme, n’avaient agi aussi ouvertement. Mais en même temps tous les chefs, et leurs cliques, les partis bourgeois de tous les pays, constituent un front commun contre le prolétariat révolutionnaire.

Au moment où les imbéciles de la social-démocratie continuent à opposer le chemin de la démocratie aux violences de la voie dictatoriale, les derniers vestiges de la démocratie sont foulés aux pieds et anéantis dans tous les États du monde.

Après une guerre durant laquelle les chambres de représentants, quoique ne disposant pas du pouvoir, servaient à couvrir par leurs cris patriotiques l’action des bandes dirigeantes impérialistes, les parlements sont tombés dans une complète prostration. Toutes les questions sérieuses se résolvent en dehors des parlements. L’élargissement illusoire des prérogatives parlementaires, solennellement proclamé par les saltimbanques de l’impérialisme en Italie et dans les autres pays, ne change rien à l’état des choses.

Véritables maîtres de la situation, disposant du sort de l’état, lord Rothschild, lord Weir, Morgan et Rockfeller, Schneider et Loucheur, Hugo Stinnes et Felix Deutsch, Rizzello et Agnelli — ces rois de l’or, du charbon, du pétrole et du métal — agissent derrière les coulisses en envoyant aux parlements leurs petits commis pour exécuter leurs travaux.

Le parlement français, qu’amuse encore la procédure des lectures à trois reprises de projets de lois insignifiants, le parlement français plus que tout autre discrédité par l’abus de la rhétorique, par le mensonge, par le cynisme avec lequel il se laisse acheter, apprend tout à coup que les quatre milliards qu’il avait destinés aux réparations dans les régions dévastées de la France ont été dépensées par Clemenceau pour des fins tout autres, et principalement pour poursuivre l’œuvre de dévastation entreprise dans les provinces russes.

L’écrasante majorité des députés du parlement anglais, soi-disant tout-puissant, n’est pas plus renseignée au sujet des véritables intentions de Lloyd George et de Kerson, en ce qui concerne la Russie Soviétique et même la France, que les vieilles femmes dans les villages du Bengale.

Aux États-Unis le parlement est un chœur obéissant ou qui ronchonne quelquefois sous la baguette du président ; celui-ci n’est que le suppôt de la machine électorale qui sert d’appareil politique aux trusts — maintenant, après la guerre, dans une beaucoup plus large mesure qu’auparavant.

Le parlementarisme tardif des Allemands, avorton de la révolution bourgeoise, qui n’est elle-même qu’un avorton de l’histoire, est sujet dès l’enfance à toutes les maladies qui affectent les vieux chiens. Le Reichstag de la République d’Ebert, « le plus démocratique du monde », reste impuissant non seulement devant le bâton de maréchal que brandit Foch, mais aussi devant les machinations de ses boursiers, de ses Stinnes ainsi que devant les complots militaires d’une clique d’officiers. La démocratie parlementaire allemande n’est qu’un vide entre deux dictatures.

Il s’est produit durant la guerre de profondes modifications dans la composition même de la bourgeoisie. En face de l’appauvrissement général du monde entier, la concentration des capitaux a fait tout à coup un grand saut en avant.

On a vu se mettre en vedette des maisons de commerce qui restaient autrefois dans l’ombre. La solidité, l’équilibre, la propension aux compromis « raisonnables », l’observation d’un certain décorum dans l’exploitation comme dans l’utilisation des produits, — tout cela a disparu sous le torrent de l’impérialisme.

Ce sont de nouveaux riches qui ont occupé l’avant-scène : fournisseurs d’armée, spéculateurs de bas étage, parvenus, rastaquouères, maraudeurs, repris de justice couverts de diamants, canaille sans foi ni loi, avide de luxe, prête aux dernières atrocités pour entraver la révolution prolétarienne qui ne peut leur promettre qu’un nœud coulant.

Le régime actuel en tant que domination des riches, se dresse devant les masses dans toute sont impudence. En Amérique, en France, en Angleterre le luxe d’après-guerre a pris un caractère frénétique. Paris, bondé de parasites du patriotisme international, ressemble, d’après l’aveu du Temps, à une Babylone à la veille d’une catastrophe.

C’est au gré de cette bourgeoisie que se rangent la politique, la justice, la presse, l’art, l’Église. Tous les freins, tous les principes sont laissés de côté. Wilson, Clemenceau, Millerand, Lloyd George, Churchill ne s’arrêtent pas devant les plus impudentes tromperies, devant les mensonges les plus grossiers et, lorsque on les surprend à accomplir des actes malhonnêtes, ils poursuivent tranquillement des exploits qui devraient les mener devant la cour d’assises.

Les règles classiques de la perversité politique, telles que les a rédigées le vieux Machiavel, ne sont plus que les innocents aphorismes d’un nigaud de province en comparaison avec les principes sur lesquels se règlent les gouvernants bourgeois d’aujourd’hui. Les tribunaux, qui couvraient autrefois d’un clinquant démocratique leur essence bourgeoise, se sont mis à bafouer ouvertement les prolétaires et accomplissent un travail de provocation contre-révolutionnaire.

Les juges de la 3e République acquittent sans broncher l’assassin de Jaurès. Les tribunaux de l’Allemagne, qui avait été proclamée république socialiste, encouragent les assassins de Liebknecht, de Rosa Luxemburg et de bien d’autres martyrs du prolétariat. Les tribunaux des démocraties bourgeoises servent à légaliser solennellement tous les crimes de la terreur blanche.

La presse bourgeoise se laisse ouvertement acheter, elle porte l’estampille des vendus sur le front, comme une marque de fabrique. Les journaux dirigeants de la bourgeoisie mondiale sont des fabriques monstrueuses de mensonges, de calomnies et de prisons spirituelles.

Les dispositions et les sentiments de la bourgeoisie sont sujets à des hausses et à des baisses nerveuses, comme le prix de ses marchés. Durant les premiers mois qui ont suivi la fin de la guerre, la bourgeoisie internationale, surtout la bourgeoisie française, claquait des dents devant le communisme menaçant. Elle se faisait de l’imminence du danger une idée en rapport avec les crimes sanglants qu’elle avait commis.

Mais elle a su repousser la première attaque. Reliés à elle par les chaînes d’une responsabilité commune, les partis socialistes et les syndicats de la 2e Internationale lui ont rendu un dernier service, en prêtant le dos aux premiers coups portés par la colère des travailleurs. Au prix du naufrage complet de la 2e Internationale, la bourgeoisie a reçu quelque répit. Il a suffi d’un certain nombre de votes contre-révolutionnaires obtenus par Clemenceau aux élections parlementaires, de quelques mois d’équilibre instable, de l’insuccès de la grève de mai pour que la bourgeoisie française envisage avec assurance la solidité inébranlable de son régime. L’orgueil de cette classe a atteint le niveau auquel s’étaient autrefois élevées ses craintes.

La menace est devenue l’argument unique de la bourgeoisie. Elle ne croit pas aux phrases et exige des actes : qu’on arrête, qu’on disperse les manifestations, qu’on confisque, qu’on fusille !

Les ministres bourgeois et les parlementaires tâchent d’en imposer à la bourgeoisie en faisant figure d’hommes bien trempés, d’hommes d’acier. Lloyd George conseille sèchement aux ministres allemands de fusilier leurs communards, comme on l’a fait en France en 1871. Un fonctionnaire de troisième ordre peut compter sur les applaudissements tumultueux de la Chambre s’il sait mettre à la fin d’un pauvre compte rendu quelques menaces à l’adresse des ouvriers.

Tandis que l’administration se transforme en une organisation de plus en plus éhontée, destinée à exercer des répressions sanglantes, à l’égard des classes laborieuses, d’autres organisations contre-révolutionnaires privées, formées sous son égide et mises à sa disposition, travaillent à empêcher par la force les grèves, à commettre des provocations, à donner de faux témoignages, à détruire les organisations révolutionnaires, à s’emparer des institutions communistes, à massacrer et incendier, à assassiner les tribus révolutionnaires, et prennent d’autres mesures à l’avenant pour défendre la propriété privée et la démocratie.

Les fils des gros propriétaires, des gros bourgeois, les petits bourgeois qui ne savent à quoi s’en prendre et en général les éléments déclassés, en premier lieu les ci-devant de diverses catégories émigrées de Russie, forment d’inépuisables cadres de réserve pour les armées irrégulières de la contre-révolution. Des officiers élevés à l’école de la guerre impérialiste sont à leur tête.

Les vingt mille officiers de l’armée de Hohenzollern constituent, surtout après la révolte de Kapp-Lüttwitz, un noyau contre-révolutionnaire solide dont la démocratie allemande ne sera pas à même de venir à bout si le marteau de la dictature du prolétariat ne vient le briser. Cette organisation centralisée des terroristes de l’ancien régime se complète par les détachements de partisans formés par les hauts bourreaux prussiens.

Aux États-Unis, des unions comme la National Security League ou le Knigths of Liberty sont les régiments d’avant-garde du capital et sur leurs flancs agissent ces bandes de brigands que sont les Detective agencies d’espionnage privé.

En France la Ligue Civique n’est autre chose qu’une organisation perfectionnée de « renards » et la Confédération du Travail, d’ailleurs réformiste, est mise hors la loi.

La maffia des officiers blancs de Hongrie qui persiste à avoir une existence clandestine bien que leur gouvernement de bourreaux contre-révolutionnaires subsiste par le bon plaisir de l’Angleterre, a montré au prolétariat du monde entier comment se pratiquent cette civilisation et cette humanité que préconisent Wilson et Lloyd George après avoir maudit le pouvoir des Soviets et les violences révolutionnaires.

Les gouvernements « démocratiques » de la Finlande, de la Géorgie, de la Lettonie et de l’Estonie suent sang et eau pour atteindre le niveau de perfection de leur prototype hongrois. À Barcelone, la police a sous ses ordres une bande d’assassins. Et il en est de même partout.

Même dans un pays vaincu et ruiné comme la Bulgarie, les officiers sans emploi se réunissent en sociétés secrètes qui sont prêtes au premier signe à faire preuve de leur patriotisme au détriment des ouvriers bulgares.

Tel qu’il est mis en pratique dans le régime bourgeois d’après-guerre, le programme d’une conciliation des intérêts contradictoires, d’une collaboration des classes, d’un réformisme parlementaire, d’une socialisation graduelle et d’un accord mutuel au sein de chaque nation, tout cela ne présente qu’une sinistre bouffonnerie.

La bourgeoisie s’est refusée une fois pour toutes à concilier ses propres intérêts et ceux du prolétariat au moyen de simples réformes. Elle corrompt ceux qui ont pris les aumônes de la classe ouvrière et soumet le prolétariat par le fer et le sang à une règle inflexible.

Pas une seule question importante ne se décide à la majorité des voix. Du principe démocratique il n’est resté qu’un souvenir dans les cervelles fumeuses des réformistes. L’état se borne chaque jour davantage à recruter ce qui constitue le nerf essentiel des gouvernements, c’est-à-dire des régiments de soldats.

La bourgeoisie ne perd plus son temps à « compter les poires sur l’arbre », elle compte les fusils, les mitrailleuses et les canons qui seront à sa disposition lorsque l’heure sera venue où la question du pouvoir et de la propriété ne souffrira plus aucun délai.

Qui vient nous parler de collaboration ou de médiation ? Ce qu’il faut pour notre salut, c’est la ruine de la bourgeoisie et seule la révolution prolétarienne peut causer cette ruine.

IV. — LA RUSSIE SOVIÉTISTE

Le chauvinisme, la cupidité, la discorde s’entrechoquent dans une sarabande effrénée et seul à la face du monde le principe du communisme reste vivace et créateur. Bien que le pouvoir des Soviets se soit établi pour commencer dans un pays arriéré, dévasté par la guerre, entouré d’ennemis puissants, il s’est montré doué non seulement d’une ténacité peu commune, mais aussi d’une activité inouïe. Il a prouvé par le fait la force potentielle du communisme. Le développement et le raffermissement du pouvoir soviétique constituent le point culminant de l’histoire du monde depuis la création de l’Internationale Communiste.

La capacité de former une armée a toujours été considérée jusqu’ici comme le critérium de toute activité économique ou politique. La force ou la faiblesse de l’armée sont l’indice qui sert à évaluer la force ou la faiblesse de l’état au point de vue économique.

Le pouvoir des Soviets a créé au bruit du canon une force militaire de premier ordre, et grâce à elle il a battu avec une supériorité indiscutable non seulement les champions de la vieille Russie monarchiste et bourgeoise, les armées de Koltchak, Dénikine, Youdénitch, Wrangel et autres, mais aussi les armées nationales des républiques « démocratiques » qui entrent en ligne pour le bon plaisir de l’impérialisme mondial (Finlande, Estonie, Lettonie, Pologne).

Au point de vue économique c’est déjà un grand miracle que la Russie soviétique ait tenu bon ces trois premières années. Elle a fait mieux, elle s’est développée, parce que, ayant eu l’énergie d’arracher d’entre les mains de la bourgeoisie les instruments d’exploitation, elle en a fait des instruments de production industrielle et les a mis méthodiquement en action. Le fracas des pièces d’artillerie le long du front immense qui encercle la Russie des toutes parts ne l’a pas empêché de prendre des mesures pour rétablir la vie économique et intellectuelle bouleversée.

La monopolisation par l’état socialiste des principales denrées alimentaires et la lutte sans merci contre les spéculateurs ont seules sauvegardé les villes russes d’une famine mortelle et donné la possibilité de ravitailler l’Armée Rouge. La réunion de toutes les usines, des fabriques, des chemins de fer et de la navigation sous l’égide de l’état a seule permis de régulariser la production et d’organiser le transport.

La concentration de l’industrie et du transport entre les mains du gouvernement amène à la simplification des méthodes techniques en créant des modèles uniques pour les diverses pièces, modèles qui servent de prototype à toute production ultérieure. Seul le socialisme rend possible d’évaluer avec précision la quantité de boulons pour locomotives, pour wagons et pour steamers qui sont à produire et à réparer.

De même on peut prévoir périodiquement la production en gros nécessaire des pièces des machines adaptées au prototype, ce qui présente des avantages incalculables pour l’intensification de la production.

Le progrès économique, l’organisation scientifique de l’industrie, la mise en pratique du système Taylor épuré de toutes tendances au « sweating », ne rencontrent plus en Russie soviétique d’autres obstacles que ceux que tâchent de susciter les impérialistes étrangers.

Tandis que les intérêts des nationalités, se heurtant aux prétentions impérialistes, sont une source continuelle de conflits universels, de révoltes et de guerres, la Russie socialiste a montré qu’un gouvernement ouvrier est capable de concilier les besoins nationaux avec les besoins économiques, épurant les premiers de tout chauvinisme et les seconds de tout impérialisme.

Le socialisme a pour but de relier toutes les régions, toutes les provinces, toutes les nationalités par l’unité d’un même système économique. Le centralisme économique n’admettant plus l’exploitation d’une classe par une autre, d’une nation par une autre, et étant par cela même également avantageux pour toutes, ne paralyse en aucune façon le libre développement de l’économie nationale.

L’exemple de la Russie des Soviets permet aux peuples de l’Europe Centrale, du sud-est des Balkans, des possessions coloniales de la Grande-Bretagne, à toutes les nations, à toutes les peuplades opprimées, aux Égyptiens et aux Turcs, aux Hindous et aux Persans, aux Irlandais et aux Bulgares, de se rendre compte que la solidarité de toutes les nationalités du monde n’est réalisable que par une fédération de républiques soviétiques.

La révolution a fait de la Russie la première puissance prolétarienne. Depuis trois ans qu’elle existe, ses frontières n’ont pas cessé de se transformer. Devenues plus étroites sous les coups de boutoir de l’impérialisme mondial, elles reprenaient leur extension lorsque la poussée diminuait d’intensité. La lutte pour les Soviets est devenue la lutte contre le capitalisme mondial.

La question de la Russie des Soviets est devenue une pierre de touche pour toutes les organisations ouvrières. La deuxième et infâme trahison de la social-démocratie allemande après celle du 4 août 1914, c’est que, faisant partie du gouvernement elle a demandé secours à l’impérialisme occidental, au lieu de s’allier à la révolution d’Orient. L’Allemagne soviétique alliée à la Russie soviétique, elles auraient été plus fortes à elles deux que tous les États capitalistes pris ensemble.

L’Internationale Communiste a fait sienne la cause de la Russie soviétique. Le prolétariat international ne remettra son glaive au fourreau que lorsque la Russie soviétique sera devenue l’un des chaînons d’une Fédération de républiques soviétiques embrassant le monde.

V. — LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
ET L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

La guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier. La devise en est : « Le pouvoir aux Soviets ».

Le capitalisme a transformé en prolétariat l’immense majorité de l’humanité. L’impérialisme a tiré les masses de leur inertie et les a incitées au mouvement révolutionnaire. Ce que nous entendons actuellement par le mot « masse » n’est pas ce que nous entendions par là il y a quelques années. Ce qui était la masse à l’époque du parlementarisme et du trade-unionisme est devenu de nos jours l’élite. Des millions et des dizaines de millions d’hommes qui avaient vécu jusqu’ici en dehors de toute politique sont en train de se transformer en une masse révolutionnaire.

La guerre a mis tout le monde sur pied, a éveillé le sens politique des milieux les plus arriérés, leur a donné des illusions et des espérances, et les a toutes déçues. Étroite discipline corporative et, en somme, inertie des prolétaires les plus conscients d’un côté, apathie incurable des masses, de l’autre — ces traits caractéristiques des anciennes formes du mouvement ouvrier, sont tombés dans l’oubli pour toujours. Des millions de nouvelles recrues viennent d’entrer en ligne.

Les femmes qui ont perdu leurs maris et leurs pères et qui ont dû se mettre au travail à leur place, prennent une large part au mouvement révolutionnaire. Les ouvriers de la nouvelle génération, habitués dès l’enfance aux grondements et aux éclairs de la guerre mondiale, ont accueilli la révolution comme leur élément naturel. La lutte passe par des phases différentes suivant le pays, mais cette lutte est la dernière. Il arrive que les vagues révolutionnaires, déferlant contre l’édifice d’une organisation surannée, lui prêtent une nouvelle vie. Des vieilles enseignes, des devises à demi effacées surnagent çà et là à la surface des flots.

Il y a dans les cervelles du trouble, des ténèbres, des préjugés, des illusions. Mais le mouvement dans son ensemble a un caractère profondément révolutionnaire. On ne peut ni l’éteindre ni l’arrêter. Il s’étend, se raffermit, se purifie, rejette tout ce qui a fait son temps. Il ne s’arrêtera pas que le prolétariat mondial ne soit arrivé au pouvoir.

La grève est le moyen d’action le plus habituel au mouvement révolutionnaire. Ce qui la cause le plus souvent, irrésistiblement, c’est la hausse des prix sur les denrées de première nécessité. La grève surgit souvent de conflits régionaux. Elle est le cri de protestation des masses impatientées par le tripotage parlementaire des socialistes. Elle exprime la solidarité entre les exploités d’un même pays ou de pays différents. Ses devises sont de nature à la fois économique et politique.

Souvent des bribes de réformisme s’y entremêlent à des mots d’ordre de révolution sociale. Elle se calme, semble vouloir finir, puis reprend de plus belle, ébranlant la production, menaçant l’appareil gouvernemental. Elle met en fureur la bourgeoisie parce qu’elle profite de toute occasion pour exprimer sa sympathie à la Russie soviétique. Les pressentiments des exploiteurs ne les trompent pas. Cette grève désordonnée n’est autre chose en effet qu’une revue des forces révolutionnaires, un appel aux armes du prolétariat révolutionnaire.

L’étroite dépendance dans laquelle se trouvent tous les pays vis-à-vis les uns des autres et qui s’est révélée d’une façon si catastrophique pendant la guerre, donne une importance particulière aux branches du travail qui relient les pays et place au premier rang les cheminots et les ouvriers du transport en général. Le prolétariat du transport a eu l’occasion de montrer une partie de sa force dans le boycottage de la Hongrie et de la Pologne blanches.

La grève et le boycottage, méthodes que la classe ouvrière mettait en œuvre au début de sa lutte trade-unioniste, c’est-à-dire quand elle n’avait pas encore commencé à utiliser le parlementarisme, ont revêtu de nos jours la même importance et la même signification redoutables que la préparation de l’artillerie avant la dernière attaque.

L’impuissance à laquelle l’individu se trouve de plus en plus réduit devant la poussée aveugle des événements historiques oblige non seulement de nouveaux groupes d’ouvriers et d’ouvrières, mais encore les employés, les fonctionnaires, les intellectuels petits-bourgeois à entrer dans les rangs des organisations syndicales.

Avant que la marche de la révolution prolétarienne oblige à créer des Soviets qui planeront au-dessus de toutes les vieilles organisations ouvrières, les travailleurs se groupent en syndicats, tolèrent en attendant l’ancienne constitution de ces syndicats, leur programme officiel, leur élite dirigeante, mais en apportant dans ces organisations l’énergie révolutionnaire croissante des masses qui ne s’étaient point révélées jusque-là.

Les couches les plus basses, les prolétaires des campagnes, les manœuvres relèvent la tête. En Italie, en Allemagne et dans d’autres pays on observe une croissance magnifique du mouvement révolutionnaire des ouvriers agricoles et leur rapprochement avec le prolétariat des villes.

Les paysans pauvres regardent d’un meilleur œil le socialisme. Si les intrigues des réformistes parlementaires qui cherchent à exploiter les préjugés de propriété du moujik sont restées infructueuses, le mouvement vraiment révolutionnaire du prolétariat, sa lutte indomptable contre les oppresseurs, font naître une lueur d’espérance dans le cœur du travailleur le plus humble, le plus courbé vers la glèbe, le plus miséreux.

L’abîme de la misère humaine et de l’ignorance est insondable. Toute couche qui vient de se redresser en laisse derrière elle une autre qui tente à peine de se soulever. Mais l’avant-garde ne doit pas attendre la masse compacte de l’arrière pour engager le combat. Le soin de réveiller, de stimuler et d’éduquer ses couches les plus arriérées, la classe ouvrière le prendra lorsqu’elle sera parvenue au pouvoir.

Les travailleurs des colonies et des pays à demi coloniaux se sont réveillés. Dans les espaces infinis de l’Inde, de l’Égypte, de la Perse, sur lesquels se dresse l’hydre monstrueuse de l’impérialisme anglais, sur cette mer humaine sans fond, s’accomplit un travail latent ininterrompu, soulevant des vagues qui font trembler dans la City les actions de la Bourse et les cœurs.

Dans le mouvement des peuples coloniaux, l’élément social sous toutes ses formes se mêle à l’élément national, mais tous les deux sont dirigés contre l’impérialisme. Depuis les premières tentatives jusqu’aux formes perfectionnées, le chemin de la lutte se poursuit dans les colonies et dans les pays arriérés en général à marches forcées, sous la pression de l’impérialisme moderne et sous la direction du prolétariat révolutionnaire.

Le rapprochement fécond qui s’opère entre les peuples musulmans et non-musulmans, unis par les chaînes communes de la domination anglaise et de la domination étrangère en général, l’épuration intérieure du mouvement, la diminution constante de l’influence du clergé et de la réaction chauvine, la lutte simultanée menée par les indigènes à la fois contre les envahisseurs et contre leurs propriétaires suzerains, prêtres et usuriers, font de l’armée de l’insurrection coloniale grandissante une force historique de premier ordre, une réserve inépuisable pour le prolétariat mondial.

Les parias se lèvent. Leur pensée qui s’éveille se reporte vers la Russie des Soviets, vers les barricades dressées dans les rues des villes d’Allemagne, vers la lutte désespérée des ouvriers grévistes de l’Angleterre, vers l’Internationale Communiste.

Le socialisme qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des différences de droits entre les hommes de race et de couleur différentes ; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de Ces colonies ; le socialisme anglais qui ne soutient pas de tout son pouvoir l’insurrection de l’Irlande, de l’Égypte et de l’Inde contre la ploutocratie londonienne — ce « socialisme » loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, du moins la marque de l’opprobre.

Or, dans ses efforts pour amener la révolution mondiale, le prolétariat se heurte non seulement aux lignes de fil de fer barbelé à moitié détruites qui se dressent encore entre les pays depuis la guerre, mais surtout à l’égoïsme, au conservatisme, à l’aveuglement et à la trahison des vieilles organisations de partis et des syndicats qui ont vécu de lui à l’époque précédente.

La trahison dont s’est rendue coutumière la social-démocratie internationale n’a rien d’égal dans l’histoire de la lutte contre l’asservissement. C’est en Allemagne que les conséquences en sont les plus terribles. La défaite de l’impérialisme allemand a été en même temps celle du système d’économie capitaliste.

En dehors du prolétariat il n’y avait aucune classe qui pût prétendre au pouvoir d’état. Le perfectionnement de la technique, le nombre et le niveau intellectuel de la classe ouvrière allemande étaient un sur garant du succès de la révolution sociale. Malheureusement la social-démocratie allemande s’est mise en travers de la voie. Grâce à des manœuvres compliquées dans lesquelles la ruse se mêle à la bêtise, elle a paralysé l’énergie du prolétariat pour le détourner de la conquête du pouvoir qui était son but naturel et nécessaire.

La social-démocratie s’était évertuée pendant des dizaines d’années à conquérir la confiance des ouvriers, pour, ensuite, au moment décisif, quand le sort de la société bourgeoise était en jeu, mettre toute son autorité au service des exploiteurs.

La trahison du libéralisme et la faillite de la démocratie bourgeoise sont des épisodes insignifiants en comparaison de la trahison monstrueuse des partis socialistes. Le rôle de l’Église elle-même, cette station électrique centrale du conservatisme, comme l’a définie Lloyd George, pâlit devant le rôle anti-socialiste de la 2e Internationale.

La social-démocratie a voulu justifier sa trahison envers la révolution pendant la guerre par la formule de défense nationale. Elle couvre sa politique contre-révolutionnaire, après la conclusion de la paix, avec la formule de démocratie. Défense nationale et démocratie, voilà les formules solennelles de capitulation du prolétariat devant la volonté de la bourgeoisie.

Mais la chute ne s’arrête pas là. Continuant sa politique de défense du régime capitaliste, la social-démocratie est obligée, à la remorque de la bourgeoise, de fouler aux pieds la « défense nationale » et la « démocratie ». Scheidemann et Ebert baisent les mains de l’impérialisme français dont ils réclament l’appui contre la révolution soviétique. Noske incarne la terreur blanche et la contre-révolution bourgeoise.

Albert Thomas se transforme en commis de la Ligue des Nations, cette honteuse agence de l’impérialisme. Vandervelde, éloquente image de la fragilité de la 2e Internationale dont il était le chef, devient ministre du roi, collègue du calotin Delacrois, défenseur des prêtres catholiques belges et avocat des atrocités capitalistes commises sur les nègres du Congo.

Henderson, qui singe les grands hommes de la bourgeoisie, qui figure à tour de rôle comme ministre du roi et représentant de l’opposition ouvrière de Sa Majesté ; Tom Shaw qui réclame du gouvernement soviétique des preuves irréfutables comme quoi le gouvernement de Londres est composé d’escrocs, de bandits et de parjures, que sont donc tous ces messieurs, sinon les ennemis jurés de la classe ouvrière ?

Renner et Seitz, Niemets et Tousar, Troelstra et Branting, Daszinsky et Tchkéidzé, chacun d’eux traduit, dans la langue de sa petite bourgeoisie malhonnête, la faillite de la 2e Internationale.

Karl Kautsky enfin, ex-théoricien de la 2e Internationale et ex-marxiste, devient le conseiller ânonnant attitré de la presse jaune de tous les pays.

Sous l’impulsion des masses, les éléments plus élastiques du vieux socialisme, sans pour cela changer de nature, changent de tournure et de couleur, rompent ou s’apprêtent à rompre avec la 2e Internationale, battant en retraite comme toujours devant toute action de masse et révolutionnaire et même devant tout prélude sérieux de l’action.

Pour caractériser et, en même temps, pour confondre les acteurs de cette mascarade, il suffit de dire que le parti socialiste polonais qui a pour chef Daszinsky et pour patron Pilsudsky, le parti du cynisme bourgeois et du fanatisme chauvin, déclare se retirer de la 2e Internationale.

L’élite parlementaire dirigeante du parti socialiste français qui vote actuellement contre le budget et contre le traité de Versailles, reste au fond un des piliers de la république bourgeoise. Ses gestes d’opposition vont, de temps en temps juste assez loin pour ne pas ébranler la demi-confiance des milieux les plus conservateurs parmi le prolétariat.

Dans les questions capitales de la lutte de classe, le socialisme parlementaire français continue de tromper la volonté de la classe ouvrière, en lui suggérant que le moment actuel n’est pas propice à la conquête du pouvoir, parce que la France est trop appauvrie de même qu’hier il était défavorable à cause de la guerre, comme à la veille de la guerre c’était la prospérité industrielle qui y faisait obstacle et, auparavant, la crise industrielle. À côté du socialisme parlementaire et sur le même plan siège le syndicalisme bavard et trompeur des Jouhaux et Cie.

La création d’un parti communiste fort et trempé par l’esprit d’unité et de discipline en France est une question de vie ou de mort pour le prolétariat français.

La nouvelle génération des ouvriers allemands fait son éducation et puise sa force dans les grèves et les insurrections.

Son expérience lui coûte d’autant plus de victimes que le Parti Socialiste Indépendant continuera de subir l’influence des conservateurs social-démocrates et des routiniers qui se remémorent la social-démocratie des temps de Bebel, qui ne comprennent rien au caractère de l’époque révolutionnaire actuelle, tremblent devant la guerre civile et la terreur révolutionnaire, se laissent aller au courant des événements, dans l’attente du miracle qui doit venir en aide à leur incapacité.

C’est dans le feu de la lutte que le parti de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht enseigne aux ouvriers allemands où se trouve le bon chemin.

Parmi le mouvement ouvrier anglais la routine est telle qu’on n’a pas encore senti en Angleterre le besoin de changer son fusil d’épaule : les chefs du parti ouvrier britannique s’entêtent à vouloir rester dans les cadres de la 2e Internationale.

Tandis que le cours des événements des dernières années, en rompant la stabilité de la vie économique dans l’Angleterre conservatrice, a rendu les masses travailleuses on ne peut plus aptes à assimiler le programme révolutionnaire, la mécanique officielle de la nation bourgeoise avec son pouvoir royal, sa Chambre des lords, sa Chambre des Communes, son Église, ses trade-unions, son parti ouvrier, George V, l’évêque de Canterbury et Henderson, reste intacte comme un frein automatique puissant contre le développement.

Il n’y a que le parti communiste affranchi de la routine et de l’esprit de secte, intimement lié aux grandes organisations ouvrières qui peut opposer l’élément prolétarien à cette élite officielle.

En Italie, où la bourgeoisie reconnaît franchement que le sort du pays se trouve désormais, en fin de compte, entre les mains du parti socialiste, la politique de l’aile droite représentée par Turati s’efforce de faire rentrer le torrent de la révolution prolétarienne dans l’ornière des réformes parlementaires. C’est dans ce sabotage intérieur que réside actuellement le plus grand danger.

Prolétaires d’Italie, songez à la Hongrie dont l’exemple est entré dans l’histoire pour rappeler malheureusement que dans la lutte pour le pouvoir, comme pendant l’exercice du pouvoir, le prolétariat doit rester intrépide, rejeter tous les éléments équivoques et faire impitoyablement justice de toutes les tentatives de trahison !

Les catastrophes militaires, suivies d’une crise économique redoutable, inaugurent un nouveau chapitre dans le mouvement ouvrier des États-Unis et dans les autres pays du continent américain. La liquidation du charlatanisme et de l’impudence du wilsonisme, c’est la liquidation par le fait même de ce socialisme américain, mélange d’illusions pacifistes et d’activité mercantile, dont le trade-unionisme gauche des Gompers et Cie, est le couronnement.

L’union étroite des partis ouvriers révolutionnaires et des organisations prolétariennes du continent américain, de la presqu’île de l’Alaska au cap Horn, en une section américaine compacte de l’Internationale, en face de l’impérialisme tout puissant et menaçant des États-Unis, voilà le problème qui doit être réalisé dans la lutte contre toutes les forces mobilisées par le dollar pour sa défense.

Les socialistes de gouvernement et leurs consorts de tous les pays ont eu beaucoup de raisons pour accuser les communistes de provoquer, par leur tactique intransigeante, l’activité de la contre-révolution dont ils contribuent à resserrer les rangs. Cette inculpation politique n’est pas autre chose qu’une réédition tardive des plaintes du libéralisme. Ce dernier précisément affirmait que la lutte spontanée du prolétariat pousse les privilégiés dans le camp de la réaction. C’est une vérité incontestable.

Si la classe ouvrière ne s’attaquait pas aux fondements de la domination de la bourgeoisie, celle-ci n’aurait pas besoin de répressions.

L’idée même de contre-révolution n’existerait pas si l’histoire ne connaissait pas de révolution. Si les insurrections du prolétariat entraînent fatalement l’union de la bourgeoisie pour la défense et la contre-attaque, cela ne prouve qu’une chose, c’est que la révolution est la lutte de deux classes irréconciliables qui ne peut aboutir qu’au triomphe définitif de l’une sur l’autre.

Le communisme récuse avec mépris la politique qui consiste à maintenir les masses dans la stagnation, en leur faisant redouter la massue de la contre-révolution.

À l’incohérence et au chaos du monde capitaliste dont les derniers efforts menacent d’engloutir toute la civilisation humaine, l’Internationale Communiste oppose la lutte combinée du prolétariat mondial, pour la destruction de la propriété particulière comme instrument de production, et pour la reconstruction d’une économie nationale et mondiale fondée sur un plan économique unique, établi et réalisé par la société solidaire des producteurs.

En groupant sous le drapeau de la dictature du prolétariat et du système soviétique de l’état les millions de travailleurs de toutes les parties du monde, l’Internationale Communiste lutte obstinément pour organiser et pour purifier ses propres éléments.

L’Internationale Communiste, c’est le parti de l’insurrection du prolétariat mondial révolutionné. Elle rejette toutes les organisations et les partis qui, sous une forme ouverte ou voilée, endorment, démoralisent et énervent le prolétariat, en l’exhortant à s’incliner devant les fétiches dont se pare la dictature de la bourgeoisie : la légalité, la démocratie, la défense nationale, etc…

L’Internationale Communiste ne peut pas non plus tolérer dans ses rangs les organisations qui, tout en inscrivant dans leur programme la dictature du prolétariat, persistent à mener une politique qui s’entête à chercher une solution pacifique à la crise historique. Ce n’est pas résoudre la question que de reconnaître le système soviétique. L’organisation soviétique ne renferme pas une vertu miraculeuse.

Cette vertu révolutionnaire réside dans le prolétariat lui-même. Il faut que celui-ci n’hésite pas à se soulever et à conquérir le pouvoir et alors seulement l’organisation soviétique manifestera ses qualités et restera pour lui l’arme la plus efficace.

L’Internationale Communiste prétend expulser des rangs du mouvement ouvrier tous les chefs qui sont liés directement ou indirectement par une collaboration politique avec la bourgeoisie.

Ce qu’il nous faut, ce sont des chefs qui n’aient pour la société bourgeoise qu’une haine mortelle, qui organisent le prolétariat en vue d’une lutte impitoyable, qui soient prêts à mener au combat l’armée des insurgés, qui ne s’arrêtent pas à mi-chemin quoiqu’il arrive et qui ne craignent pas de recourir à des mesures de répression impitoyables contre tous ceux qui tenteront par la force de les contrecarrer.

L’Internationale Communiste, c’est le parti international de l’insurrection et de la dictature prolétariennes. Pour elle, il n’existe pas d’autres buts ni d’autres problèmes que ceux de la classe ouvrière. Les prétentions des petites sectes dont chacune veut sauver la classe ouvrière à sa manière, sont étrangères et contraires à l’esprit de l’Internationale Communiste.

Elle ne possède pas la panacée universelle, le remède infaillible à tous les maux ; elle tire leçon de l’expérience de la classe ouvrière dans le passé et dans le présent, cette expérience lui sert à réparer ses fautes et ses omissions ; elle en tire un plan général et elle ne reconnaît et n’adopte que les formules révolutionnaires qui sont celles de l’action de masse.

Organisation professionnelle, grève économique et politique, boycottage, élections parlementaires et municipales, tribune parlementaire, propagande légale et illégale, organisations secrètes au sein de l’armée, travail coopératif, barricades, l’Internationale Communiste ne repousse aucune des formes d’organisation ou de lutte créées au cours du développement du mouvement ouvrier, mais aussi elle n’en consacre aucune en qualité de panacée universelle.

Le système des Soviets n’est pas uniquement un principe abstrait que les communistes veulent opposer au système parlementaire. Les Soviets sont un appareil du pouvoir prolétarien qui, après la lutte et seulement par le moyen de cette lutte, doit remplacer le parlementarisme.

Tout en combattant de la façon la plus décidée contre le réformisme des syndicats, contre le carriérisme et le crétinisme des parlements, l’Internationale Communiste ne laisse pas de condamner le fanatisme de ceux qui invitent les prolétaires à quitter les rangs d’organisations syndicales comptant des millions de membres et à tourner le dos aux institutions parlementaires et municipales.

Les communistes en aucune façon ne se détournent des masses dupées et vendues par les réformistes et les patriotes, mais ils acceptent la lutte avec eux, au sein même des organisations de masses et des institutions créées par la société bourgeoise, de façon à pouvoir renverser celle-ci rapidement et à coup sûr.

Pendant que, sous l’égide de la 2e internationale, les systèmes d’organisation de classe et les moyens de lutte presque exclusivement légaux se sont trouvés, en fin de compte, assujettis au contrôle et à la direction de la bourgeoisie et que la classe révolutionnaire a été musclée par les agents réformistes, l’Internationale Communiste tout au contraire arrache d’entre les mains de la bourgeoisie les guides qu’elle avait accaparées, prend sur soi l’organisation du mouvement ouvrier, le rassemble sous un commandement révolutionnaire et, aidée par lui, propose au prolétariat un but unique, à savoir : la prise du pouvoir pour la destruction de l’état bourgeois et la constitution d’une société communiste.

Au cours de toute son activité, qu’il soit instigateur d’une grève de protestation, chef d’une organisation clandestine, secrétaire d’un syndicat, propagandiste dans les meetings ou député au parlement, pionnier de la coopération ou soldat à la barricade, le communiste se doit de rester fidèle, c’est-à-dire qu’il doit être soumis à la discipline du parti, lutteur infatigable, ennemi mortel de la société capitaliste, de ses bases économiques, de ses formes administratives, de son mensonge démocratique, de sa religion et de sa morale ; il doit être le défenseur plein d’abnégation de la révolution prolétarienne et l’infatigable champion de la société nouvelle.

Ouvriers et ouvrières !

Il n’y a sur la terre qu’un seul drapeau qui mérite que l’on combatte et qu’on meure sous ses plis, c’est le drapeau de l’Internationale Communiste !

SIGNÉ :

RUSSIE : N. Lénine, G. Zinoviev, N. Boukharine, L. Trotsky.
ALLEMAGNE : P. Lévi, E. Meyer, Y. Walcher, R. Wolfstein.
FRANCE : Rosmer, Jacques Sadoul, Henri Guilbeaux.
ANGLETERRE : Tom Quelch, Gallacher, Silvya Pankhurst, Mas
AMÉRIQUE (E.-U.) : Fleen, A. Frayna, A. Bilan, J. Reed.
ITALIE : D.M. Serrati, N. Bombacci, Graziadei, A. Bordiga.
NORVÈGE : Frys, Shaefflo, A. Madsen.
SUÈDE : K. Dalstroem, Samuelson, Winberg.
DANEMARK : O. Jorgenson, M. Nilsen.
HOLLANDE : Wijncup, Jansen, Van Leuve.
BELGIQUE : Van Overstraeten.
ESPAGNE : Pestaña.
SUISSE : Herzog, J. Humbert-Droz.
HONGRIE : Racoczy, A. Roudnyansky, Varga.
GALICIE : Levitsky.
POLOGNE : J. Marchlevsky.
LATVIE : Stoutclika, Krastjyn.
LITHUANIE : Mitzkévich-Kapsukas.
TCHÉCOSLOVAQUIE : Vanek, Gula, Zapototsky.
ESTONIE : R. Wakman, G. Poegelman.
FINLANDE : I. Rakhia, Letonmiaky, K. Manner.
BULGARIE : Kabaktchiev, Maximov, Chabline.
YOUGOSLAVIE : Milkitch.
GÉORGIE : M. Tsakiah.
ARMÉNIE : Nazaritian.
TURQUIE : Nichad.
PERSE : Sultan-Zadé.
INDE : Atcharia, Sheffik.
INDES-NÉERLANDAISES : Maring.
CHINE : Laou-Siou-Tchéou.
CORÉE : Pak Djinchoun, Him Houlin.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le Parti Communiste et le parlementarisme

I. — LA NOUVELLE ÉPOQUE
ET LE NOUVEAU PARLEMENTARISME

L’attitude des partis socialistes à l’égard du parlementarisme consistait à l’origine, à l’époque de la Première Internationale, à utiliser les Parlements bourgeois pour l’agitation. On envisageait la participation à l’action parlementaire du point de vue du développement de la conscience de classe, c’est-à-dire de l’éveil de l’hostilité des classes prolétariennes contre les classes dirigeantes. Cette attitude se modifia, non sous l’influence d’une théorie, mais sous celle du progrès politique. Par suite de l’augmentation incessante des forces productrices et de l’élargissement du domaine de l’exploitation capitaliste, le capitalisme et, avec lui, les États parlementaires acquirent une stabilité durable.

De là, l’adaptation de la tactique parlementaire des partis socialistes à l’action législative « organique » des Parlements bourgeois et l’importance toujours croissante de la lutte pour l’introduction des réformes dans les cadres du capitalisme, la prédominance du programme minimum des partis socialistes, la transformation du programme maximum en une plate-forme destinée aux discussions sur un « but final » éloigné. Sur cette base se développèrent l’arrivisme parlementaire, la corruption, la trahison ouverte ou camouflée des intérêts primordiaux de la classe ouvrière.

L’attitude de la 3e Internationale envers le parlementarisme n’est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. À l’époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l’impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d’actes de brigandage, œuvres de l’impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d’esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d’ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses.

Le parlementarisme a perdu sa stabilité de même que toute la société bourgeoise. La transition de la période organique à la période critique crée une nouvelle base à la tactique du prolétariat dans le domaine parlementaire. C’est ainsi que le parti ouvrier russe (le parti bolchevik) détermina déjà les bases du parlementarisme révolutionnaire à l’époque antérieure, la Russie ayant perdu depuis 1905 son équilibre politique et social et étant entrée dès lors dans une période de tourmentes et de bouleversements.

Quand des socialistes, aspirant au communisme, soulignent que l’heure de la révolution n’est pas encore venue dans leurs pays et se refusent à se séparer des opportunistes parlementaires, ils procèdent, au fond, d’une représentation, consciente ou inconsciente, de la période qui s’ouvre, considérée comme une période de stabilité relative de la société impérialiste et pensent pour cette raison qu’une collaboration avec les Turati et les Longuet peut donner sur cette base des résultats pratiques dans la lutte pour les réformes.

Le communisme doit prendre pour point de départ l’étude théorique de notre époque (apogée du capitalisme, tendances de l’impérialisme à sa propre négation et à sa propre destruction, aggravation continue de la guerre civile, etc…). Les formes des relations politiques et des groupements peuvent différer dans les divers pays, mais le fond des choses reste le même partout : il s’agit pour nous de la préparation immédiate, politique et technique, du soulèvement prolétarien qui doit détruire le pouvoir bourgeois et établir le nouveau pouvoir prolétarien.

Pour les communistes, le Parlement ne peut être en aucun cas, à l’heure actuelle, le théâtre d’une lutte pour des réformes et pour l’amélioration de la situation de la classe ouvrière, comme il arriva à certains moments, à l’époque antérieure. Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement définitivement sorti du Parlement. D’autre part, la bourgeoisie est obligée, par ses rapports avec les masses laborieuses et aussi par suite des rapports complexes existant au sein des classes bourgeoises, de faire approuver de diverses façons certaines de ses actions par le Parlement, où les coteries se disputent le pouvoir, manifestent leurs forces et leurs faiblesses, se compromettent, etc…

Aussi le devoir historique immédiat de la classe ouvrière est-il d’arracher ces appareils aux classes dirigeantes, de les briser, de les détruire et de leur substituer les nouveaux organes du pouvoir prolétarien. L’état-major révolutionnaire de la classe ouvrière est d’ailleurs profondément intéressé à avoir dans les institutions parlementaires de la bourgeoisie des éclaireurs qui faciliteront son œuvre de destruction. On voit clairement dès lors la différence essentielle entre la tactique des communistes allant au Parlement à des fins révolutionnaires, et celle du parlementarisme socialiste qui commence par reconnaître la stabilité relative, la durée indéfinie du régime. Le parlementarisme socialiste se donne pour tâche d’obtenir à tout prix des réformes ; il est intéressé à ce que chaque conquête soit mise par les masses au compte du parlementarisme socialiste (Turati, Longuet et Cie).

Le vieux parlementarisme d’adaptation est remplacé par un parlementarisme nouveau, qui est l’un des moyens de détruire le parlementarisme en général. Mais les traditions écœurantes de l’ancienne tactique parlementaire rapprochent certains éléments révolutionnaires des antiparlementaires par principe (les I.W.W., les syndicalistes révolutionnaires, le Parti ouvrier communiste d’Allemagne).

Considérant cette situation, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste arrive aux conclusions suivantes :

II. — LE COMMUNISME,
LA LUTTE POUR LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET « POUR L’UTILISATION » DU PARLEMENT BOURGEOIS

1. Le parlementarisme de gouvernement est devenu la forme « démocratique » de la domination de la bourgeoisie, à laquelle il faut, à un moment donné de son développement, une fiction de représentation populaire exprimant en apparence la « volonté du peuple » et non celle des classes, mais constituant en réalité, aux mains du Capital régnant, un instrument de coercition et d’oppression.

2. Le parlementarisme est une forme déterminée de l’État. Aussi ne convient-il en aucune façon à la société communiste, qui ne connaît ni classes, ni lutte de classes, ni pouvoir gouvernemental d’aucune sorte.

3. Le parlementarisme ne peut pas être non plus la forme du gouvernement « prolétarien » dans la période de transition de la dictature de la bourgeoisie à la dictature du prolétariat. Au moment le plus grave de la lutte de classes, lorsque celle-ci se transforme en guerre civile, le prolétariat doit bâtir inévitablement sa propre organisation gouvernementale, considérée comme une organisation de combat dans laquelle les représentants des anciennes classes dominantes ne seront pas admis ; toute fiction de volonté populaire est, au cours de cette phase, nuisible au prolétariat ; celui-ci n’a nul besoin de la séparation parlementaire des pouvoirs, qui ne pourrait que lui être néfaste ; la République des Soviets est la forme de la dictature du prolétariat.

4. Les Parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’État bourgeois, en général. La tâche du prolétariat consiste à faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie, à la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des Républiques ou celles des monarchies constitutionnelles.

5. Il en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. A la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers.

6. Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future ; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements ; il se donne pour but l’abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu’en vue de leur destruction. C’est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée.

7. Toute lutte de classes est une lutte politique, car elle est, en fin de compte, une lutte pour le pouvoir. Toute grève, étendue à un pays entier, devient une menace pour l’État bourgeois et acquiert par là même un caractère politique. S’efforcer de renverser la bourgeoisie et de détruire l’État bourgeois, c’est soutenir une lutte politique. Nous devons créer un appareil de gouvernement et de coercition prolétarien, de classe, contre la bourgeoisie réfractaire ; c’est, quel que soit cet appareil, conquérir le pouvoir politique.

8. La lutte politique ne se réduit donc nullement à une question d’attitude envers le parlementarisme. Elle embrasse toute la lutte de la classe du prolétariat, pour autant que cette lutte cesse d’être locale et partielle et tend au renversement du régime capitaliste en général.

9. La méthode fondamentale de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, c’est-à-dire contre son pouvoir gouvernemental, est avant tout celle des actions en masse. Ces dernières sont organisées et dirigées par les organisations de masse du prolétariat (syndicats, partis, soviets), sous la conduite générale du Parti communiste, solidement uni, discipliné et centralisé. La guerre civile est une guerre. Dans cette guerre, le prolétariat doit avoir de bons cadres politiques et un bon état-major politique dirigeant toutes les opérations dans tous les domaines de l’action.

10. La lutte des masses constitue tout un système d’actions en voie de développement, qui s’avivent par leur forme même et mènent logiquement à l’insurrection contre l’État capitaliste. Dans cette lutte de masse, appelée à se transformer en guerre civile, le parti dirigeant du prolétariat doit, en règle générale, fortifier toutes ses positions légales, en faire des points d’appui secondaires de son action révolutionnaire et les subordonner au plan de la campagne principale, c’est-à-dire à la lutte des masses.

11. La tribune du Parlement bourgeois est un de ces points d’appui secondaires. On ne peut pas invoquer contre l’action parlementaire, la qualité bourgeoise de l’institution même. Le Parti communiste y entre non pour s’y livrer à une action organique, mais pour saper de l’intérieur la machine gouvernementale et le Parlement (exemples : l’action de Liebknecht en Allemagne, celle des bolcheviks à la Douma du tsar, à la « Conférence démocratique » et au « Pré-parlement » de Kérensky, à l’Assemblée constituante, dans les municipalités ; enfin, l’action des communistes bulgares).

12. Cette action parlementaire, qui consiste surtout à user de la tribune parlementaire à des fins d’agitation révolutionnaire, à dénoncer les manœuvres de l’adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses qui, surtout dans les pays arriérés, considèrent la tribune parlementaire, avec de grandes illusions démocratiques, doit être totalement subordonnée aux buts et aux tâches de la lutte extra-parlementaire des masses.

La participation aux campagnes électorales et la propagande révolutionnaire du haut de la tribune parlementaire ont une signification particulière pour la conquête politique des milieux de la classe ouvrière qui, comme les masses laborieuses rurales, sont demeurés jusqu’à présent à l’écart du mouvement révolutionnaire et de la politique.

13. Les communistes, s’ils obtiennent la majorité dans les municipalités, doivent :

a) former une opposition révolutionnaire à l’égard du pouvoir central de la bourgeoisie ;

b) s’efforcer par tous les moyens de rendre service à la partie la plus pauvre de la population (mesures économiques, création ou tentative de création d’une milice ouvrière armée, etc…) ;

c) révéler en toute occasion les obstacles suscités par l’État bourgeois contre toute réforme radicale ;

d) développer sur cette base une propagande révolutionnaire énergique, sans craindre le conflit avec le pouvoir bourgeois ;

e) remplacer, dans certaines circonstances, les municipalités par des Soviets de députés ouvriers. Toute l’action des communistes dans les municipalités doit donc s’intégrer dans l’œuvre générale de désagrégation du système capitaliste ;

14. La campagne électorale elle-même doit être menée, non dans le sens de l’obtention du maximum de mandats parlementaires, mais dans celui de la mobilisation des masses sous les mots d’ordre de la révolution prolétarienne. La lutte électorale ne doit pas être le fait des seuls dirigeants du Parti, l’ensemble des membres du Parti doit y prendre part ; tout mouvement des masses doit être utilisé (grèves, manifestations, effervescence dans l’armée et la flotte, etc…) ; on établira avec ce mouvement un contact étroit ; l’activité des organisations prolétariennes de masse sera sans cesse stimulée.

15. Ces conditions et celles qui sont indiquées dans une instruction spéciale étant observées, l’action parlementaire se trouve en complète opposition avec l’écœurante petite politique des partis socialistes de tous les pays, dont les députés vont au Parlement pour soutenir cette institution « démocratique », et, dans le meilleur des cas, pour la « conquérir ». Le Parti communiste ne peut admettre que l’utilisation exclusivement révolutionnaire du parlementarisme, à la manière de Karl Liebknecht, de Hoeglund et de bolcheviks.

III. AU PARLEMENT

16. « L’antiparlementarisme » de principe, conçu comme le refus absolu et catégorique de participer aux élections et à l’action parlementaire révolutionnaire, n’est donc qu’une doctrine enfantine et naïve ne résistant pas à la critique, résultat parfois d’une saine aversion pour les politiciens parlementaires, mais qui n’aperçoit pas, par ailleurs, la possibilité du parlementarisme révolutionnaire. Il arrive, de plus, que cette opinion se base sur une notion tout à fait erronée du rôle du Parti, considéré non comme l’avant-garde ouvrière centralisée et organisée pour le combat, mais comme un système décentralisé de groupes mal reliés entre eux.

17. D’un autre côté, la nécessité d’une participation effective à des élections et à des assemblées parlementaires données ne découle nullement de la reconnaissance en principe de l’action révolutionnaire au Parlement. Tout dépend ici d’une série de conditions spécifiques. La sortie des communistes du Parlement peut devenir nécessaire à un moment donné. C’était le cas, lorsque les bolchéviks se retirèrent du Pré-parlement de Kérensky, afin de le torpiller, de le rendre du coup impuissant et de lui opposer plus nettement le Soviet de Pétrograd à la veille de se mettre à la tête de l’insurrection ; c’était le cas, lorsque les bolchéviks reportèrent le centre de gravité des événements politiques au 3e Congrès des Soviets. En d’autres circonstances, le boycottage les élections peut s’imposer, ou l’anéantissement immédiat, par la force, de l’État bourgeois et de la coterie bourgeoise ; ou encore la participation aux élections coïncidant avec le boycottage du Parlement même, etc…

18. Reconnaissant ainsi, en règle générale, la nécessité de participer aux élections parlementaires et municipales et de travailler dans les Parlements et les municipalités, le Parti communiste doit trancher la question selon le cas concret, en s’inspirant des particularités spécifiques de la situation. Le boycottage des élections ou du Parlement, de même que la sortie du Parlement, sont surtout admissibles en présence de conditions permettant le passage immédiat à la lutte armée pour la conquête du pouvoir.

19. Il est indispensable d’avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extra-parlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l’utilisation du parlementarisme.

20. C’est pourquoi l’Internationale communiste affirme de la façon la plus catégorique qu’elle considère comme une faute grave envers le mouvement ouvrier toute scission ou tentative de scission provoquée au sein du Parti communiste par cette question et uniquement par cette question. Le Congrès invite tous les partisans de la lutte de masse pour la dictature du prolétariat, sous la direction d’un parti centralisé sur toutes les organisations de la classe ouvrière, à réaliser l’unité complète des éléments communistes, en dépit des divergences de vues possibles quant à l’utilisation des Parlements bourgeois.

IV. — LA TACTIQUE RÉVOLUTIONNAIRE

Les mesures suivantes s’imposent afin de garantir l’application effective d’une tactique révolutionnaire au Parlement :

1. Le Parti communiste dans son ensemble et son Comité central s’assurent, dès la période préparatoire qui précède les élections, de la sincérité et de la valeur communiste des membres du groupe parlementaire communiste ; il a le droit indiscutable de récuser tout candidat désigné par une organisation, s’il n’a pas la conviction que ce candidat fera une politique véritablement communiste.

Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers : on ne craindra pas de désigner de simples membres du Parti sans grande expérience parlementaire.

Les partis communistes doivent repousser avec un mépris impitoyable les arrivistes qui viennent à eux, à seule fin d’entrer au Parlement. Les Comités centraux ne doivent approuver que les candidatures d’hommes qui, de longues années durant, ont donné des preuves indiscutables de leur dévouement à la classe ouvrière.

2. Les élections achevées, il appartient exclusivement au Comité central du Parti communiste d’organiser le groupe parlementaire, que le Parti soit à ce moment légal ou illégal. Le choix du président et des membres du bureau du groupe parlementaire doit être approuvé par le Comité central. Le Comité central du Parti aura au groupe parlementaire un représentant permanent jouissant du droit de veto. Sur toutes les questions politiques importantes, le groupe parlementaire est tenu de demander les directives préalables du Comité central.

Le Comité central a le droit et le devoir de désigner ou de récuser les orateurs du groupe appelés à intervenir sur des questions importantes et d’exiger que les thèses ou le texte complet de leurs discours, etc…, soient soumis à son approbation. Tout candidat porté sur la liste communiste signe l’engagement officiel de résigner son mandat à la première injonction du Comité central, afin que le Parti ait toujours la possibilité de le remplacer.

3. Dans les pays où des réformistes, des demi-réformistes, voire simplement des arrivistes ont déjà réussi à s’introduire dans le groupe parlementaire communiste (c’est déjà le cas pour plusieurs pays), les Comités centraux des partis communistes sont tenus de procéder à une épuration radicale de ces groupes, en s’inspirant du principe qu’un groupe parlementaire peu nombreux, mais vraiment communiste sert beaucoup mieux les intérêts de la classe ouvrière qu’un groupe nombreux sans ferme politique communiste.

4. Tout député communiste est tenu, sur décision du Comité central, d’unir le travail illégal au travail légal. Dans les pays où les députés communistes bénéficient encore, en vertu des lois bourgeoises, d’une certaine immunité parlementaire, cette immunité doit servir à l’organisation et à la propagande illégale du Parti.

5. Les députés communistes sont tenus de subordonner toute leur activité parlementaire à l’action extra-parlementaire du Parti. Le dépôt régulier de projets de loi purement démonstratifs conçus, non en vue de leur adoption par la majorité bourgeoise, mais pour la propagande, l’agitation et l’organisation, doit avoir lieu sur les indications du Parti et de son Comité central.

6. Le député communiste est tenu de se mettre en tête des masses prolétariennes, au premier rang, bien en vue, dans les manifestations et les actions révolutionnaires.

7. Les députés communistes sont tenus de nouer par tous les moyens (sous le contrôle du Parti) des relations épistolaires et autres avec les ouvriers, les paysans et les travailleurs révolutionnaires de toutes catégories, sans imiter en aucun cas les députés socialistes qui s’efforcent d’entretenir avec leurs électeurs des relations d’affaires. Ils sont à tout moment à la disposition des organisations communistes pour le travail de propagande dans le pays.

8. Tout député communiste au Parlement est tenu de se rappeler qu’il n’est pas un « législateur » cherchant un langage commun avec d’autres législateurs, mais un agitateur du Parti envoyé chez l’ennemi pour appliquer les décisions du Parti. Le député communiste est responsable non devant la masse anonyme des électeurs, mais devant le Parti communiste légal et illégal.

9. Les députés communistes doivent tenir au Parlement un langage intelligible à l’ouvrier, au paysan, à la blanchisseuse, au pâtre, de façon que le Parti puisse éditer leurs discours en tracts et les répandre dans les coins les plus reculés du pays.

10. Les ouvriers communistes du rang doivent, même s’ils n’en sont qu’à leurs débuts parlementaires, aborder sans crainte la tribune des Parlements bourgeois et ne point céder la place à des orateurs plus « expérimentés ». En cas de nécessité, les députés ouvriers liront simplement leurs discours, destinés à être reproduits par la presse et en tracts.

11. Les députés communistes sont tenus d’utiliser la tribune parlementaire pour démasquer non seulement la bourgeoisie et sa valetaille officielle, mais aussi les social-patriotes, les réformistes, les politiciens équivoques du centre et, de façon générale, les adversaires du communisme, et, aussi, en vue de propager largement les idées de la 3e Internationale.

12. Les députés communistes, n’y en aurait-il qu’un ou deux, sont tenus de jeter, par toute leur attitude, le défi au capitalisme et de ne jamais oublier que celui-là seul est digne du nom de communiste qui se révèle, non verbalement, mais par des actes, l’ennemi de la société bourgeoise et de ses serviteurs social-patriotes.

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Thèses sur la question agraire du second congrès de l’Internationale communiste

1. Le prolétariat industriel des villes, dirigé par le Parti communiste, peut seul libérer les masses laborieuses des campagnes du joug des capitalistes et des propriétaires fonciers, de la désorganisation économique et des guerres impérialistes, qui recommenceront inévitablement si le régime capitaliste subsiste. Les masses laborieuses des campagnes ne pourront être libérées qu’à condition de prendre fait et cause pour le prolétariat communiste et de l’aider sans réserve dans sa lutte révolutionnaire pour le renversement du régime d’oppression des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie.

D’un autre côté, le prolétariat industriel ne pourra s’acquitter de sa mission historique mondiale, qui est l’émancipation de l’humanité du joug du capitalisme et des guerres, s’il se renferme dans les limites de ses intérêts particuliers et corporatifs et se borne placidement aux démarches et aux efforts tendant à l’amélioration de sa situation bourgeoise parfois très satisfaisante. C’est ainsi que se passent les choses dans nombre des pays avancés où existe une « aristocratie ouvrière », fondement des partis soi-disant socialistes de la 2e Internationale, mais en réalité ennemis mortels du socialisme, traîtres envers sa doctrine, bourgeois chauvins et agents des capitalistes parmi les travailleurs. Le prolétariat ne pourra jamais être une force révolutionnaire active, une classe agissant dans l’intérêt du socialisme, s’il ne se conduit pas comme une avant-garde du peuple laborieux que l’on exploite, s’il ne se comporte pas comme le chef de guerre à qui incombe la mission de le conduire à l’assaut des exploiteurs ; mais jamais cet assaut ne réussira si les campagnes ne participent à la lutte des classes, si la masse des paysans laborieux ne se joint pas au parti communiste prolétarien des villes et si, enfin, ce dernier ne l’instruit pas.

2. La masse des paysans laborieux que l’on exploite et que le prolétariat des villes doit conduire au combat, ou, tout au moins, gagner à sa cause, est représentée, dans tous les pays capitalistes, par :

1°) Le prolétariat agricole composé de journaliers ou valets de ferme, embauchés à l’année, à terme ou à la journée, et qui gagnent leur vie par leur travail salarié dans les diverses entreprises capitalistes d’économie rurale et industrielle. L’organisation de ce prolétariat en une catégorie distincte et indépendante des autres groupes de la population des campagnes (au point de vue politique, militaire, professionnel, coopératif, etc…), une propagande intense dans ce milieu, destinée à l’amener au pouvoir soviétique et à la dictature du prolétariat, telle est la tâche fondamentale des partis communistes dans tous les pays ;

2°) Les demi-prolétaires ou les paysans, travaillant en qualité d’ouvriers embauchés, dans diverses entreprises agricoles, industrielles ou capitalistes, ou cultivant le lopin de terre qu’ils possèdent ou louent et qui ne leur rapporte que le minimum nécessaire pour assurer l’existence de leur famille. Cette catégorie de travailleurs ruraux est très nombreuse dans les pays capitalistes ; les représentants de la bourgeoisie et les « socialistes » jaunes de la 2e Internationale, cherchent à dissimuler ses conditions d’existence véritables, particulièrement la situation économique ; tantôt en trompant sciemment les ouvriers, tantôt par suite de leur propre aveuglement, qui provient des idées routinières de la bourgeoisie ; ils confondent volontiers ce groupe avec la grande masse des « paysans ». Cette manœuvre, foncièrement bourgeoise, en vue de duper les ouvriers, est surtout pratiquée en Allemagne, en France, en Amérique, et dans quelques autres pays. En organisant bien le travail du Parti communiste, ce groupe social pourra devenir un fidèle soutien du communisme, car la situation de ces demi-prolétaires est très précaire et l’adhésion leur vaudra des avantages énormes et immédiats.

Dans certains pays, il n’existe pas de distinction claire entre ces deux premiers groupes ; il serait donc loisible, suivant les circonstances, de leur donner une organisation commune ;

3°) Les petits propriétaires, les petits fermiers qui possèdent ou louent de petits lopins de terre et peuvent satisfaire aux besoins de leur ménage et de leur famille sans embaucher des travailleurs salariés. Cette catégorie de ruraux a beaucoup à gagner à la victoire du prolétariat ; le triomphe de la classe ouvrière donne aussitôt à chaque représentant de ce groupe les biens et les avantages qui suivent :

a) Non-paiement du prix du bail et abolition du métayage (il en serait ainsi en France, en Italie, etc…) payés jusqu’à présent aux grands propriétaires fonciers ;

b) Abolition des dettes hypothécaires ;

c) Émancipation de l’oppression économique exercée par les grands propriétaires fonciers, laquelle se présente sous les aspects les plus divers (droit d’usage des bois et forêts, de friches, etc…) ;

d) Secours agricole spécial et financier immédiat du pouvoir prolétarien, notamment secours en outillage agricole ; octroi de constructions se trouvant sur le territoire de vastes domaines capitalistes expropriés par le prolétariat, transformation immédiate par le gouvernement prolétarien de toutes les coopératives rurales et des compagnies agricoles, qui n’étaient avantageuses sous le régime capitaliste qu’aux paysans riches et aisés, en organisations économiques ayant pour but de secourir, en premier lieu, la population pauvre, c’est-à-dire les prolétaires, les demi-prolétaires et les paysans pauvres.

Le Parti communiste doit aussi comprendre que pendant la période de transition du capitalisme au communisme, c’est-à-dire pendant la dictature du prolétariat, cette catégorie de la population rurale manifestera des hésitations plus ou moins sensibles et un certain penchant à la liberté du commerce et à la propriété privée ; car, nombre de ceux qui la composent faisant, au moins dans une petite mesure, le commerce des articles de première nécessité, sont déjà démoralisés par la spéculation et par leurs habitudes de propriété. Si, cependant, le gouvernement prolétarien réalise, dans cette question, une politique ferme et inexorable, et si le prolétariat vainqueur écrase sans merci les gros propriétaires fonciers et les paysans aisés, ces hésitations ne sauront être de longue durée et ne pourront modifier ce fait indubitable qu’en fin de compte le groupe dont il s’agit sympathise avec la révolution prolétarienne.

3. Ces trois catégories de la population rurale, prises ensemble, forment, dans tous les pays capitalistes, la majorité de la population. Le succès d’un coup d’État prolétarien, tant dans les villes que dans les villages, peut donc être considéré comme indiscutable et certain. L’opinion opposée est cependant très en faveur dans la société actuelle. En voici les raisons : elle ne se maintient qu’à force d’agissements trompeurs de la science : de la statistique bourgeoise qui cherche à voiler par tous les moyens en son pouvoir l’insondable abîme qui sépare ces classes rurales de leurs exploiteurs, les propriétaires fonciers et les capitalistes, ainsi que les demi-prolétaires et les paysans pauvres des paysans aisés ; cette opinion persiste grâce à la maladresse des héros de la 2e Internationale Jaune et de « l’aristocratie ouvrière » dépravée par les privilèges impérialistes, et à la mauvaise volonté qu’ils mettent à faire, parmi les paysans pauvres, une propagande prolétarienne et révolutionnaire vigoureuse et un bon travail d’organisation ; les opportunistes employaient et emploient toujours leurs efforts à imaginer diverses variétés d’accord pratiques et théoriques avec la bourgeoisie, y compris les paysans riches et aisés, et ne pensent nullement au renversement révolutionnaire du gouvernement bourgeois et de la bourgeoisie elle-même ; enfin, l’opinion dont il s’agit se maintient jusqu’ici grâce à un préjuge opiniâtre et, pour ainsi dire, inébranlable, parce qu’il se trouve étroitement uni à tous les autres préjugés du parlementarisme et de la bourgeoisie démocratique ; ce préjugé consiste dans la non-compréhension d’une vérité parfaitement démontrée par le marxisme théorique et suffisamment prouvée par l’expérience de la révolution prolétarienne russe ; cette vérité est que les trois catégories de la population rurale dont nous avons parlé, abruties, désunies, opprimées et vouées, dans les pays même les plus civilisés, à une existence demi-barbare, ont, par conséquent, un intérêt économique, social et intellectuel à la victoire du socialisme, mais ne peuvent néanmoins appuyer vigoureusement le prolétariat révolutionnaire qu’après la conquête du pouvoir politique, lorsqu’il aura fait justice des gros propriétaires fonciers et capitalistes mettant ainsi les masses rurales dans l’obligation de constater qu’elles ont, en lui, un chef et un défenseur organisé, assez puissant pour les diriger et leur montrer la bonne voie.

4. Les « paysans moyens » sont au point de vue économique de petits propriétaires ruraux qui possèdent ou prennent à terme, eux aussi, des lopins de terre peu considérables sans doute, mais leur permettant quand même, sous le régime capitaliste, non seulement de nourrir leur famille et d’entretenir en bon état leur petite propriété rurale, mais de réaliser encore un excédent de bénéfices, pouvant, tout au moins dans les années de bonne récolte, être transformé en économies relativement importantes ; ces paysans embauchent assez souvent des ouvriers (par exemple, deux ou trois ouvriers par entreprises) dont ils ont besoin pour toutes sortes de travaux. On pourrait citer ici l’exemple concret de « paysans moyens » d’un pays capitaliste avancé : ceux de l’Allemagne. Il y avait, en Allemagne, d’après le recensement de 1907, une catégorie de propriétaires ruraux possédant chacun de cinq à dix hectares, dans les propriétés desquels le nombre des ouvriers embauchés s’élevait presque au tiers du chiffre total des travailleurs des champs.

[Note : voici quelques chiffres exacts : Allemagne : propriétés rurales de 5 à 10 hectares, employant des ouvriers embauchés : 652 798 (sur 5 736 082), ouvriers salariés : 487 764, ouvriers mariés : 2 003 633. Autriche (recensement de 1910) : 383 351 propriétés rurales, dont 126.136 employant des travailleurs embauchés, ouvriers salariés : 146 044, ouvriers mariés : 1 265 969. Le nombre total des fermes en Autriche s’élève à 2 856 349.]

En France, où les cultures spéciales, comme la viticulture, sont plus développées, et où la terre demande beaucoup plus d’effort et de soins, les propriétés rurales de cette catégorie emploient probablement un nombre plus important de travailleurs salariés.

Pour son avenir le plus rapproché et pour toute la première période de sa dictature, le prolétariat révolutionnaire ne peut pas se donner comme tâche la conquête politique de cette catégorie rurale et doit se borner à sa neutralisation, dans la lutte qui se livre entre le prolétariat et la bourgeoisie. Le penchant de cette couche de la population tantôt vers un parti politique, tantôt vers un autre, est inévitable et, probablement, sera-t-il au commencement de la nouvelle époque et dans les pays foncièrement capitalistes, favorable à la bourgeoisie. Tendance d’ailleurs fort naturelle, l’esprit de propriété privée jouant chez elle un rôle prépondérant. Le prolétariat vainqueur améliorera immédiatement la situation économique de cette couche de la population en supprimant le système du bail, les dettes hypothécaires et en introduisant dans l’agriculture l’usage des machines et l’emploi de l’électricité. Cependant, dans la plupart des pays capitalistes, le pouvoir prolétarien ne devra pas abolir sur le champ et complètement le droit de propriété privée, mais il devra affranchir cette classe de toutes les obligations et impositions auxquelles elle est sujette de la part des propriétaires fonciers ; le pouvoir soviétique assurera aux paysans pauvres et d’aisance moyenne la possession de leurs terres, dont il cherchera même à augmenter la superficie, en mettant les paysans en possession de terres qu’ils affermaient autrefois (abolition du fermage).

Toutes ces mesures, suivies d’une lutte sans merci contre la bourgeoisie, assurera le succès complet de la politique de neutralisation. C’est avec la plus grande circonspection que le pouvoir prolétarien doit passer à l’agriculture collectiviste, progressivement, à force d’exemples, et sans la moindre mesure de coercition à l’égard des paysans « moyens ».

5. Les paysans riches et aisés sont les entrepreneurs capitalistes de l’agriculture ; ils cultivent habituellement leurs terres avec le concours des travailleurs salariés et ne sont rattachés à la classe paysanne que par leur développement intellectuel très restreint, par leur vie rustique et par le travail personnel qu’ils font en commun avec les ouvriers qu’ils embauchent. Cette couche de la population rurale est très nombreuse et représente en même temps l’adversaire le plus invétéré du prolétariat révolutionnaire. Aussi, tout le travail politique des partis communistes dans les campagnes doit-il se concentrer dans la lutte contre cet élément, pour émanciper la majorité de la population rurale laborieuse et exploitée, de l’influence morale et politique, si pernicieuse, de ces exploiteurs ruraux.

Il est bien possible que, dès la victoire du prolétariat dans les villes, ces éléments aient recours à des actes de sabotage et même à des prises d’armes, manifestement contre-révolutionnaires. Aussi, le prolétariat révolutionnaire devra-t-il commencer sur-le-champ la préparation intellectuelle et organisatrice de toutes les forces dont il aura besoin pour les désarmer et pour leur porter, tandis qu’il renversera le régime capitaliste et industriel, le coup de grâce. À cet effet, le prolétariat révolutionnaire des villes devra armer ses alliés ruraux et organiser, dans tous les villages des soviets où nul exploiteur ne sera admis et où les prolétaires et les demi-prolétaires seront appelés à jouer le rôle prépondérant. Même dans ce cas cependant, la tâche immédiate du prolétariat vainqueur ne devra pas comporter l’expropriation des grandes propriétés paysannes, parce que à ce moment même les conditions matérielles et, en partie, techniques et sociales, nécessaires à la socialisation des grandes propriétés, ne seront pas encore réalisées. Tout porte à croire que, dans certains cas isolés, des terres affermées ou strictement nécessaires aux paysans pauvres du voisinage seront confisquées ; on accordera également à ces derniers, l’usage gratuit, à certaines conditions toutefois, d’une partie de l’outillage agricole des propriétaires ruraux riches ou aisés. Mais, en règle générale, le pouvoir prolétarien devra laisser leurs terres aux paysans riches et aisés et ne s’en emparer que dans le cas d’une opposition manifeste à la politique et aux prescriptions du pouvoir des travailleurs. Cette ligne de conduite est nécessaire, l’expérience de la révolution prolétarienne russe, où la lutte contre les paysans riches et aisés traîne en longueur dans des conditions très complexes, ayant démontré que ces éléments de la population rurale, douloureusement frappés pour toutes leurs tentatives de résistance, même les moindres, sont pourtant capables de s’acquitter loyalement des travaux que leur confie l’État prolétarien et commencent même, quoique très lentement, à se pénétrer de respect envers le pouvoir qui défend tout travailleur et écrase impitoyablement le riche oisif.

Les conditions spéciales qui ont compliqué et retardé la lutte du prolétariat russe, vainqueur de la bourgeoisie, contre les paysans riches, dérivaient uniquement du fait qu’après l’événement du 25 octobre 1917, la révolution russe avait traversé une phase « démocratique » — c’est-à-dire, au fond, bourgeoise démocratique — de lutte des paysans contre les propriétaires fonciers ; on doit encore ces conditions spéciales à la faiblesse numérique et à l’état arriéré du prolétariat des villes et, enfin, à l’immensité du pays et au délabrement de ses voies de communication. Mais les pays avancés de l’Europe et de l’Amérique ignorent toutes ces causes de retard, et c’est pourquoi leur prolétariat révolutionnaire doit briser plus énergiquement, plus rapidement, avec plus de décision et beaucoup plus de succès, la résistance des paysans riches et aisés et leur ôter, à l’avenir, toute possibilité d’opposition. Cette victoire de la masse des prolétaires, des demi-prolétaires et des paysans, est absolument indispensable, et tant qu’elle n’aura pas été remportée, le pouvoir prolétarien ne pourra se considérer comme une autorité stable et ferme.

6. Le prolétariat révolutionnaire doit confisquer immédiatement et sans réserve toutes les terres appartenant aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire à toutes les personnes exploitant systématiquement, dans les pays capitalistes, que ce soit de façon directe ou par l’entremise de leurs fermiers, les travailleurs salariés, les paysans pauvres et même, assez souvent, les paysans moyens de la région, à tous les propriétaires qui ne participent aucunement au travail physique dans la plupart des cas, descendants des barons féodaux (nobles de Russie, d’Allemagne et de Hongrie, seigneurs restaurés de France, lords anglais, anciens possesseurs d’esclaves en Amérique), magnats de la haute finance ou, enfin, ceux qui sont issus de ces deux catégories d’exploiteurs et de fainéants.

Les partis communistes doivent s’opposer énergiquement à l’idée d’accorder une indemnité aux grands propriétaires fonciers expropriés et lutter contre toute propagande en ce sens ; les partis communistes ne doivent pas oublier que le versement d’une semblable indemnité serait une trahison envers le socialisme et une contribution nouvelle imposée aux masses exploitées, accablées par le fardeau de la guerre qui a multiplié le nombre des millionnaires et a accru leurs fortunes.

Dans les pays capitalistes avancés, l’Internationale Communiste estime qu’il serait bon et pratique de maintenir intactes les grandes propriétés agricoles et de les exploiter de la même façon que les « propriétés soviétiques » russes [Note : il serait bon de favoriser la création de domaines administrés par des collectivités (Communes)].

Quant à la culture des terres enlevées par le prolétariat vainqueur aux grands propriétaires fonciers, en Russie, elles étaient jusqu’à présent partagées entre les paysans ; c’est que le pays est très arriéré au point de vue économique. Dans des cas très rares le gouvernement prolétarien russe a maintenu en son pouvoir des propriétés rurales dites « soviétiques » et que l’État prolétarien exploite lui-même, en transformant les anciens ouvriers salariés en « délégués de travail » ou en membres de soviets.

La conservation des grands domaines sert mieux les intérêts des éléments révolutionnaires de la population, surtout des agriculteurs qui ne possèdent point de terres, des demi-prolétaires et des petits propriétaires qui vivent souvent de leur travail dans les grandes entreprises. En outre, la nationalisation des grands domaines rend la population urbaine moins dépendante à l’égard des campagnes au point de vue du ravitaillement.

Là où subsistent encore des vestiges du système féodal, où les privilèges des propriétaires fonciers engendrent des formes spéciales d’exploitation, où l’on voit encore le « servage » et le « métayage », il est nécessaire de remettre aux paysans une partie du sol des grands domaines.

Dans les pays où les grands domaines sont en nombre insignifiant, où un grand nombre de petits tenanciers demandent des terres, la distribution des grands domaines en lots peut être un moyen sûr pour gagner les paysans à la révolution, alors que la conservation de ces quelques grands domaines ne serait d’aucun intérêt pour les villes, au point de vue du ravitaillement.

La première et la plus importante tâche du prolétariat est de s’assurer une victoire durable. Le prolétariat ne doit pas redouter une baisse de la production, si cela est nécessaire, pour le succès de la révolution. Ce n’est qu’en maintenant la classe moyenne des paysans dans la neutralité et en s’assurant l’appui de la majorité, si ce n’est de la totalité, des prolétaires des campagnes, que l’on pourra assurer au pouvoir prolétarien une existence durable.

Toutes les fois que les terres des grands propriétaires fonciers seront distribuées, les intérêts du prolétariat agricole devront passer avant tout.

Tout l’outillage agricole et technique des grandes propriétés foncières et rurales doit être confisqué et remis à l’État, à condition toutefois, qu’après la distribution de cet outillage, en quantité suffisante, aux grandes propriétés rurales de l’État, les petits paysans puissent en profiter gratuitement, en se conformant aux règlements élaborés à ce sujet par le pouvoir prolétarien.

Si, tout au commencement de la révolution prolétarienne, la confiscation immédiate des grandes propriétés foncières, ainsi que l’expulsion ou l’internement de leurs propriétaires, leaders de la contre-révolution et oppresseurs impitoyables de toute la population rurale, sont absolument nécessaires, le pouvoir prolétarien doit tendre systématiquement, au fur et à mesure de la consolidation de sa position dans les villes et les campagnes, à l’utilisation des forces de cette classe, qui possède une expérience précieuse des connaissances et des capacités organisatrices, pour créer avec son concours, et sous le contrôle de communistes éprouvés, une vaste agriculture soviétique.

7. Le socialisme ne vaincra définitivement le capitalisme et ne sera à jamais affermi qu’au moment où le pouvoir gouvernemental prolétarien, ayant réprimé toute résistance des exploiteurs et assuré son autorité, aura réorganisé toute l’industrie sur la base d’une nouvelle production collectiviste et sur un nouveau fondement technique (application générale de l’énergie électrique dans toutes les branches de l’agriculture et de l’économie rurale). Cette réorganisation seule peut donner aux villes la possibilité d’offrir aux campagnes arriérées une aide technique et sociale susceptible de déterminer un accroissement extraordinaire de la productivité du travail agricole et rural et d’engager, par l’exemple, les petits laboureurs à passer, dans leur propre intérêt, progressivement, à une culture collectiviste mécanique.

C’est précisément dans les campagnes que la possibilité d’une lutte victorieuse pour la cause socialiste exige de la part de tous les partis communistes un effort pour susciter, parmi le prolétariat industriel, le sentiment de la nécessité des sacrifices à consentir pour le renversement de la bourgeoisie et pour la consolidation du pouvoir prolétarien ; chose absolument nécessaire parce que la dictature du prolétariat signifie qu’il sait organiser et conduire les travailleurs exploités et que son avant-garde est toujours prête, pour atteindre ce but, au maximum d’efforts héroïques et de sacrifices ; en outre, pour remporter la victoire définitive, le socialisme exige que les masses laborieuses les plus exploitées des campagnes puissent voir, dès la victoire des ouvriers, leur situation presque immédiatement améliorée aux dépens des exploiteurs ; s’il n’en était pas ainsi, le prolétariat industriel ne pourrait pas compter sur l’appui des campagnes et ne pourrait pas, de ce fait, assurer le ravitaillement des villes.

8. Les difficultés énormes que présentent l’organisation et la préparation à la lutte révolutionnaire de la masse des travailleurs ruraux que le régime capitaliste avait abrutis, éparpillés et asservis, à peu près autant qu’au moyen-âge, exige de la part des partis communistes, la plus grande attention envers le mouvement gréviste rural, l’appui vigoureux et le développement intense des grèves de masses de prolétaires et des demi-prolétaires ruraux. L’expérience des révolutions russes de 1905 et 1917, confirmée et complétée actuellement par celle de la révolution allemande et d’autres pays avancés, prouve que seul le mouvement gréviste, progressant sans cesse (avec la participation, dans certaines conditions, des « petits paysans ») peut tirer les villages de leur léthargie, réveiller chez les paysans la conscience de classe et le sentiment de la nécessité d’une organisation de classe des masses rurales exploitées et montrer clairement aux habitants de la campagne l’importance pratique de leur union avec les travailleurs des villes. À ce point de vue, la création de syndicats ouvriers agricoles et la collaboration des communistes dans les organisations d’ouvriers agricoles et forestiers sont de la plus haute importance. Les communistes doivent particulièrement soutenir les organisations formées par la population agricole étroitement liée au mouvement ouvrier révolutionnaire. Une propagande énergique doit être faite parmi les paysans prolétaires.

Le Congrès de l’Internationale Communiste flétrit et condamne sévèrement les socialistes félons et traîtres que l’on trouve malheureusement, non seulement au sein de la l’Internationale Jaune, mais aussi parmi les trois partis européens les plus importants, sortis de cette Internationale ; le congrès voue à la honte les socialistes capables non seulement de considérer d’un œil indifférent le mouvement gréviste rural, mais encore de lui résister (comme K. Kautsky), de peur qu’il n’en résulte une réduction du ravitaillement. Tous les programmes et toutes les déclarations les plus solennels n’ont aucune valeur, s’il n’est pas possible de prouver pratiquement que les communistes et les leaders ouvriers savent mettre au-dessus de toutes choses le développement de la révolution prolétarienne et sa victoire, qu’ils savent consentir pour elle aux sacrifices les plus pénibles, parce qu’il n’est pas d’autres issues, pas d’autres moyens pour vaincre la famine et la désorganisation économique et pour conjurer de nouvelles guerres impérialistes.

9. Les partis communistes doivent faire tout ce qui dépend d’eux pour commencer au plus tôt l’organisation des soviets dans les campagnes et en premier lieu, des soviets qui représenteraient des travailleurs salariés et les demi-prolétaires. Ce n’est qu’en coopération étroite avec le mouvement gréviste des masses et avec la classe la plus opprimée que les soviets seront à même de s’acquitter de leur mission et deviendront assez forts pour soumettre à leur influence (et les incorporer par la suite) les « petits paysans ». Si cependant le mouvement gréviste n’est pas encore assez développé et la capacité d’organisation du prolétariat rural est encore trop faible, tant à cause de l’oppression des propriétaires fonciers et des paysans riches, que de l’insuffisance de l’appui fourni par les ouvriers industriels et par leurs syndicats, la création des soviets dans les campagnes demande une longue préparation ; elle doit être faite par la création des foyers communistes, par une propagande active, en termes clairs et nets, des aspirations communistes que l’on expliquera à force d’exemples illustrant les diverses méthodes d’exploitation et d’oppression, et enfin au moyen de tournées de propagande systématiques des travailleurs industriels dans les campagnes.

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de l’Internationale communiste

Thèses et additions sur les questions nationale et coloniale du second congrès de l’Internationale communiste

A. — Thèses

1. La position abstraite et formelle de la question de l’égalité — l’égalité des nationalités y étant incluse — est propre à la démocratie bourgeoise sous la forme de l’égalité des personnes, en général ; la démocratie bourgeoise proclame l’égalité formelle ou juridique du prolétaire, de l’exploiteur et de l’exploité, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L’idée d’égalité, qui n’était que le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient, entre les mains de la bourgeoisie, une arme contre l’abolition des classes combattue désormais au nom de l’égalité absolue des personnalités humaines. Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire, elle ne réside que dans la volonté d’abolir les classes.

2. Conformément à son but essentiel — la lutte contre la démocratie bourgeoise, dont il s’agit de démasquer l’hypocrisie — le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat en lutte contre le joug de la bourgeoisie, doit considérer comme formant la clef de voûte de la question nationale, non des principes abstraits et formels, mais :

une notion claire des circonstances historiques et économiques ;

la dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités, par rapport à la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes ;

la division tout aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes, protégées — et oppressives et exploiteuses, jouissant de tous les droits, contrairement à l’hypocrisie bourgeoise et démocratique qui dissimule, avec soin, l’asservissement (propre à l’époque du capital financier de l’impérialisme) par la puissance financière et colonisatrice, de l’immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes.

3. La guerre impérialiste de 1914-1918 a mis en évidence devant toutes les nations et toutes les classes opprimées du monde la duperie des phraséologies démocratiques et bourgeoises — le traité de Versailles, dicté par les fameuses démocraties occidentales, ne faisant que sanctionner, à l’égard des nations faibles, des violences plus lâches et plus cyniques encore que celles des junkers et du kaiser à Brest-Litovsk. La Ligue des Nations et la politique de l’Entente dans leur ensemble ne font que confirmer ce fait et développer l’action révolutionnaire du prolétariat des pays avancés et des masses laborieuses des pays colonisés ou assujettis, hâtant ainsi la banqueroute des illusions nationales de la petite-bourgeoise, quant à la possibilité d’un paisible voisinage et d’une égalité véritable des nations, sous le régime capitaliste.

4. Il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l’Internationale Communiste, dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie. Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme, sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales, ni l’inégalité.

5. La conjoncture politique mondiale actuelle met à l’ordre du jour la dictature du prolétariat ; et tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d’un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d’elle d’une part les mouvements soviétiques des travailleurs avancés de tous les pays, de l’autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu’une expérience amère a convaincues qu’il n’est pas de salut, pour elles, en dehors d’une alliance avec le prolétariat révolutionnaire et avec le pouvoir soviétique victorieux de l’impérialisme mondial.

6. On ne peut donc plus se borner à reconnaître ou proclamer le rapprochement des travailleurs de tous les pays. Il est désormais nécessaire de poursuivre la réalisation de l’union la plus étroite de tous les mouvements émancipateurs nationaux et coloniaux avec la Russie des Soviets, en donnant à cette union des formes correspondantes au degré d’évolution du mouvement prolétarien parmi le prolétariat de chaque pays, ou du mouvement émancipateur démocrate bourgeois parmi les ouvriers et les paysans des pays arriérés ou de nationalités arriérées.

7. Le principe fédératif nous apparaît comme une forme transitoire vers l’unité complète des travailleurs de tous les pays. Le principe fédératif a déjà montré pratiquement sa conformité au but poursuivi, tant au cours des relations entre la République Socialiste Fédérative des Soviets russes et les autres républiques des Soviets (hongroise, finlandaise, lettone, par le passé ; azerbaïdjane et ukrainienne, présentement), qu’au sein même de la République russe, à l’égard de nationalités qui n’avaient auparavant ni État, ni existence autonome (exemple les républiques autonomes des Bashkirs et des Tartares, créées en Russie soviétique en 1919 et 1920).

8. La tâche de l’Internationale Communiste est d’étudier et de vérifier l’expérience (et le développement ultérieur) de ces nouvelles fédérations basées sur la forme soviétique et sur le mouvement soviétique. Considérant la fédération comme une forme transitoire vers l’unité complète, il nous est nécessaire de tendre à une union fédérative de plus en plus étroite, en tenant compte :

1. de l’impossibilité de défendre, sans la plus étroite union entre elles, les républiques soviétiques entourées d’ennemis impérialistes infiniment supérieurs par leur puissance militaire ;

2. de la nécessité d’une étroite union économique des républiques soviétiques, sans laquelle la réédification des forces productrices détruites par l’impérialisme, la sécurité et le bien-être des travailleurs ne peuvent être assurés ;

3. de la tendance à la réalisation d’un plan économique universel dont l’application régulière serait contrôlée par le prolétariat de tous les pays, tendance qui s’est manifestée avec évidence sous le régime capitaliste et doit certainement continuer son développement et arriver à la perfection par le régime socialiste.

9. Dans le domaine des rapports sociaux à l’intérieur des États constitués, l’Internationale Communiste ne peut se borner à la reconnaissance formelle, purement officielle et sans conséquences pratiques, de l’égalité des nations, dont se contentent les démocrates bourgeois qui s’intitulent socialistes.

Il ne suffit pas de dénoncer inlassablement dans toute la propagande et l’agitation des Partis communistes — et du haut de la tribune parlementaire comme en dehors d’elle — les violations constantes du principe de l’égalité des nationalités et des droits des minorités nationales, dans tous les États capitalistes (et en dépit de leurs « constitutions » démocratiques) ; il faut aussi démontrer sans cesse que le gouvernement des Soviets seul peut réaliser l’égalité des nationalités en unissant les prolétaires d’abord, l’ensemble des travailleurs ensuite, dans la lutte contre la bourgeoisie ; il faut aussi démontrer que le régime des Soviets assure un concours direct, par l’intermédiaire du Parti communiste, à tous les mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l’Irlande, les noirs d’Amérique, etc…) et des colonies.

Sans cette condition particulièrement importante de la lutte contre l’oppression des pays asservis ou colonisés, la reconnaissance officielle de leur droit à l’autonomie, n’est qu’une enseigne mensongère, comme nous le voyons par la 2e Internationale.

10. C’est la pratique habituelle non seulement des partis du centre de la 2e Internationale, mais aussi de ceux qui ont abandonné cette Internationale pour reconnaître l’internationalisme en paroles et pour lui substituer en réalité, dans la propagande, l’agitation et la pratique, le nationalisme et le pacifisme des petits-bourgeois. Cela se voit aussi parmi les partis qui s’intitulent maintenant communistes. La lutte contre ce mal et contre les préjugés petits-bourgeois les plus profondément ancrés (se manifestant sous des formes variées, telles que la haine des races, l’antagonisme national et l’antisémitisme) acquiert une importance d’autant plus grande que le problème de la transformation de la dictature prolétarienne nationale (qui n’existe que dans un pays et qui, par conséquent, est incapable d’exercer une influence sur la politique mondiale) en dictature prolétarienne internationale (celle que réaliseraient au moins plusieurs pays avancés et qui seraient capables d’exercer une influence décisive sur la politique mondiale) devient plus actuel. Le nationalisme petit-bourgeois restreint l’internationalisme à la reconnaissance du principe d’égalité des nations et (sans insister davantage sur son caractère purement verbal) conserve intact l’égoïsme national tandis que l’internationalisme prolétarien exige :

1. La subordination des intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays à l’intérêt de cette lutte dans le monde entier ;

2. De la part des nations qui ont vaincu la bourgeoisie, le consentement aux plus grands sacrifices nationaux en vue du renversement du capital international. Dans le pays où le capitalisme atteint déjà son développement complet, où existent les partis ouvriers formant l’avant-garde du prolétariat, la lutte contre les déformations opportunistes et pacifistes de l’internationalisme, par la petite-bourgeoise, est donc un devoir immédiat des plus importants.

11. À l’égard des États et des pays les plus arriérés, où prédominent des institutions féodales ou patriarcales rurales, il convient d’avoir en vue :

1. La nécessité du concours de tous les partis communistes aux mouvements révolutionnaires d’émancipation dans ces pays, concours qui doit être véritablement actif et dont la forme doit être déterminée par le Parti communiste du pays, s’il en existe un. L’obligation de soutenir activement ce mouvement incombe naturellement en premier lieu aux travailleurs de la métropole ou du pays, dans la dépendance financière duquel se trouve le peuple en question ;

2. La nécessité de combattre l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments ;

3. Il est aussi nécessaire de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d’utiliser la lutte émancipatrice contre l’impérialisme européen et américain pour rendre plus fort le pouvoir des impérialistes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc… ;

4. Il est d’une importance toute spéciale de soutenir le mouvement paysan des pays arriérés contre les propriétaires fonciers, contre les survivances ou les manifestations de l’esprit féodal ; on doit avant tout s’efforcer de donner au mouvement paysan un caractère révolutionnaire, d’organiser partout où il est possible. Les paysans et tous les opprimés en Soviets et ainsi de créer une liaison très étroite du prolétariat communiste européen et du mouvement révolutionnaire paysan de l’Orient, des colonies, et des pays arriérés en général ;

5. Il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par des mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires, pour arborer les couleurs communistes ; l’Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu’à la condition que les éléments des plus purs partis communistes — et communistes en fait — soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L’Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ;

6. Il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérées. La duperie organisée par les puissances impérialistes, avec l’aide des classes privilégiées dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d’appeler à l’existence des États politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux — aux points de vue économique, financier et militaire. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l’égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l’impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l’affaire des sionistes en Palestine, où, sous prétexte de créer un État juif, en ce pays où les juifs sont en nombre insignifiant, le sionisme a livré la population indignée des travailleurs arabes à l’exploitation de l’Angleterre. Dans la conjoncture internationale actuelle, il n’y a pas de salut pour les peuples faibles et asservis hors de la fédération des républiques soviétiques.

12. L’opposition séculaire des petites nations et des colonies par les puissances impérialistes a fait naître, chez les masses laborieuses des pays opprimés, non seulement un sentiment de rancune envers les nations qui oppriment en général, mais encore un sentiment de défiance à l’égard du prolétariat des pays oppresseurs. L’infâme trahison des chefs officiels de la majorité socialiste en 1914-1919, alors que le socialisme chauvin qualifiait du nom de « défense nationale » la défense des « droits » de « sa bourgeoisie » à l’asservissement des colonies et à la mise en coupe réglée des pays financièrement dépendants, n’a pu qu’accroître cette défiance bien légitime. Ces préjugés ne pouvant disparaître qu’après la disparition du capitalisme et de l’impérialisme, dans les pays avancés, et après la transformation radicale de la vie économique des pays arriérés, leur extinction ne peut être que très lente, d’où le devoir, pour le prolétariat conscient de tous les pays, de se montrer particulièrement circonspect envers les survivances du sentiment national des pays opprimés depuis un temps très long, et de voir aussi à consentir à certaines concessions utiles en vue de hâter la disparition de ces préjugés et de cette défiance. La victoire sur le capitalisme est conditionnée par la bonne volonté d’entente du prolétariat d’abord et, ensuite, des masses laborieuses de tous les pays du monde et de toutes les nations.

B. — Thèses supplémentaires

1. La fixation exacte des relations de l’Internationale communiste et du mouvement révolutionnaire dans les pays qui sont dominés par l’impérialisme capitaliste, en particulier de la Chine, est une des questions les plus importantes pour le 2e Congrès de l’Internationale Communiste. La révolution mondiale entre dans une période pour laquelle une connaissance exacte de ces relations est nécessaire. La grande guerre européenne et ses résultats ont montré très clairement que les masses des pays assujettis en dehors de l’Europe sont liées d’une façon absolue au mouvement prolétarien d’Europe, et que c’est là une conséquence inévitable du capitalisme mondial centralisé.

2. Les colonies constituent une des principales sources des forces du capitalisme européen.

Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d’exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d’Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps.

L’Angleterre, forteresse de l’impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d’un siècle. Ce n’est qu’en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l’Angleterre a réussi à maintenir, malgré ses charges, son régime capitaliste.

C’est par l’esclavage des centaines de millions d’habitants de l’Asie et de l’Afrique que l’impérialisme anglais est arrivé à maintenir jusqu’à présent le prolétariat britannique sous la domination bourgeoise.

3. La plus-value obtenue par l’exploitation des colonies, est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme.

Grâce à la possibilité d’exploiter intensément la main-d’œuvre et les sources naturelles de matières premières des colonies, les nations capitalistes d’Europe ont cherché, non sans succès, à éviter par ces moyens leur banqueroute imminente.

L’impérialisme européen a réussi dans ses propres pays à faire des concessions toujours plus grandes à l’aristocratie ouvrière. Tout en cherchant d’un côté à maintenir les conditions de vie des ouvriers dans les pays asservis à un niveau très bas, il ne recule devant aucun sacrifice et consent à sacrifier la plus-value dans ses propres pays, celle des colonies lui demeurant.

4. La suppression par la révolution prolétarienne de la puissance coloniale de l’Europe renversera le capitalisme européen. La révolution prolétarienne et la révolution des colonies doivent concourir, dans une certaine mesure, à l’issue victorieuse de la lutte. L’Internationale Communiste doit donc étendre le cercle de son activité. Elle doit nouer des relations avec les forces révolutionnaires qui sont à l’œuvre pour la destruction de l’impérialisme dans les pays économiquement et politiquement dominés.

5. L’Internationale Communiste concentre la volonté du prolétariat révolutionnaire mondial. Sa tâche est d’organiser la classe ouvrière du monde entier pour le renversement de l’ordre capitaliste et l’établissement du communisme.

L’Internationale Communiste est un instrument de lutte qui a pour tâche de grouper toutes les forces révolutionnaires du monde.

La 2e Internationale, dirigée par un groupe de politiciens et pénétrée de conceptions bourgeoises, n’a donné aucune importance à la question coloniale. Le monde n’existait pour elle que dans les limites de l’Europe. Elle n’a pas vu la nécessité de rattacher le mouvement révolutionnaire des autres continents. Au lieu de prêter une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire des colonies, les membres de la 2e Internationale sont eux-mêmes devenus impérialistes.

6. L’impérialisme étranger qui pèse sur les peuples orientaux, les a empêchés de se développer socialement et économiquement, simultanément avec les classes de l’Europe et de l’Amérique.

Grâce à la politique impérialiste qui a entravé le développement industriel des colonies,une classe prolétarienne dans le sens propre de ce mot n’a pas pu y surgir, bien que, dans ces derniers temps, les métiers indigènes aient été détruits par la concurrence des produits des industries centralisées des pays impérialistes.

La conséquence en a été que la grosse majorité du peuple s’est trouvée rejetée dans la campagne et obligée de s’y consacrer au travail agricole et à la production de matières premières pour l’exportation.

La conséquence en a été une rapide concentration de la propriété agraire dans les mains soit des gros propriétaires fonciers, soit du capital financier, soit de l’État. De cette manière s’est créée une masse puissante de paysans sans terre. Et la grande masse de la population a été maintenue dans l’ignorance.

Le résultat de cette politique est que, dans ceux d’entre ces pays où l’esprit révolutionnaire se manifeste, il ne trouve son expression que dans la classe moyenne cultivée.

La domination étrangère entrave le libre développement des forces économiques. C’est pourquoi sa destruction est le premier pas de la révolution dans les colonies et c’est pourquoi l’aide apportée à la destruction de la domination étrangère dans les colonies n’est pas, en réalité, une aide apportée au mouvement nationaliste de la bourgeoisie indigène, mais l’ouverture du chemin pour le prolétariat opprimé lui-même.

7. Il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d’indépendance politique et d’ordre bourgeois ; l’autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d’exploitation.

Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l’Internationale Communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies.

L’une des plus grandes tâches à cette fin est la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l’établissement de la République soviétique.

8. Les forces du mouvement d’émancipation dans les colonies ne sont pas limitées au petit cercle du nationalisme bourgeois démocratique. Dans la plupart des colonies il y a déjà un mouvement social-révolutionnaire ou des partis communistes en relation étroite avec les masses ouvrières. Les relations de l’Internationale Communiste avec le mouvement révolutionnaire des colonies doivent servir ces partis ou ces groupes, car ils sont l’avant-garde de la classe ouvrière. S’ils sont faibles aujourd’hui, ils représentent cependant la volonté des masses et les masses les suivront dans la voie révolutionnaire. Les partis communistes des différents pays impérialistes doivent travailler en contact avec ces partis prolétariens dans les colonies et leur prêter une aide matérielle et morale.

9. La révolution dans les colonies, dans son premier stade, ne peut pas être une révolution communiste, mais si dès son début, la direction est aux mains d’une avant-garde communiste, les masses ne seront pas égarées et dans les différentes périodes du mouvement leur expérience révolutionnaire ne fera que grandir.

Ce serait certainement une grosse erreur que de vouloir appliquer immédiatement dans les pays orientaux à la question agraire, les principes communistes. Dans son premier stade, la révolution dans les colonies doit avoir un programme comportant des réformes petites-bourgeoises, telles que la répartition des terres. Mais il n’en découle pas nécessairement que la direction de la révolution doive être abandonnée à la démocratie bourgeoise. Le parti prolétarien doit au contraire développer une propagande puissante et systématique en faveur des Soviets, et organiser des Soviets de paysans et d’ouvriers. Ces Soviets devront travailler en étroite collaboration avec les républiques soviétiques des pays capitalistes avancés pour atteindre à la victoire finale sur le capitalisme dans le monde entier.

Ainsi les masses des pays arriérés, conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés, arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le mouvement syndical, les comités de fabrique et d’usines

1. Les syndicats créés par la classe ouvrière pendant la période du développement pacifique du capitalisme représentaient des organisations ouvrières destinées à lutter pour la hausse des salaires ouvriers sur le marché du travail et l’amélioration des conditions du travail salarié. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d’entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat, le Parti social-démocrate, afin d’engager une lutte commune pour le Socialisme. Les mêmes raisons qui, à de rares exceptions près, avaient fait de la démocratie socialiste non une arme de la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le renversement du capitalisme, mais une organisation entraînant l’effort révolutionnaire du prolétariat dans l’intérêt de la bourgeoisie, firent que, pendant la guerre, les syndicats se présentèrent le plus souvent en qualité d’éléments de l’appareil militaire de la bourgeoisie ; ils aidèrent cette dernière à exploiter la classe ouvrière avec la plus grande intensité et à faire mener la guerre de la manière la plus énergique, au nom des intérêts du capitalisme. N’englobant que les ouvriers spécialisés les mieux rétribués par les patrons, n’agissant que dans des limites corporatives très étroites, enchaînés par un appareil bureaucratique, complètement étranger aux masses trompées par leurs leaders opportunistes, les syndicats ont non seulement trahi la cause de la Révolution sociale, mais aussi celle de la lutte pour l’amélioration des conditions de la vie des ouvriers qu’ils avaient organisés. Ils ont abandonné le terrain de la lutte professionnelle contre les patrons et l’ont remplacé, coûte que coûte, par un programme de transactions aimables avec les capitalistes. Cette politique a été non seulement celle des Trade-Unions libérales en Angleterre et en Amérique, des syndicats libres, prétendument socialistes d’Allemagne et d’Autriche, mais aussi des Unions syndicales de France.

2. Les conséquences économiques de la guerre, la désorganisation complète du système économique du monde entier, la cherté affolante de la vie, l’exploitation la plus intense du travail des femmes et des enfants, la question de l’habitation, qui vont progressivement de mal en pis, tout cela pousse les masses prolétariennes dans la voie de la lutte contre le capitalisme. Par son caractère et par son envergure se dessinant plus nettement de jour en jour, ce combat devient une grande bataille révolutionnaire détruisant les bases générales du capitalisme. L’augmentation des salaires d’une catégorie quelconque d’ouvriers, arrachée aux patrons au prix d’une lutte économique acharnée, est réduite le lendemain à zéro par la hausse du coût de la vie. Or, la hausse des prix doit continuer, car la classe capitaliste des pays vainqueurs, tout en ruinant par sa politique d’exploitation l’Europe orientale et centrale, n’est pas en état d’organiser le système économique du monde entier ; elle le désorganise au contraire de plus en plus. Pour s’assurer le succès dans la lutte économique, les larges masses ouvrières qui demeuraient jusqu’à présent en dehors des syndicats y affluent maintenant. On constate dans tous les pays capitalistes une croissance prodigieuse des syndicats qui ne représentent plus maintenant l’organisation des seuls éléments avancés du prolétariat, mais celle de toute sa masse. En entrant dans les syndicats, les masses cherchent à en faire leur arme de combat. L’antagonisme des classes devenant toujours de plus en plus aigu force les syndicats à organiser des grèves dont la répercussion se fait sentir dans le monde capitaliste tout entier, en interrompant le processus de la production et de l’échange capitalistes. En augmentant leurs exigences à mesure qu’augmente le prix de la vie et qu’elles-mêmes s’épuisent de plus en plus, les masses ouvrières détruisent par cela même tout calcul capitaliste qui représente le fondement élémentaire d’une économie organisée. Les syndicats, qui étaient devenus pendant la guerre les organes de l’asservissement des masses ouvrières aux intérêts de la bourgeoisie, représentent maintenant les organes de la destruction du capitalisme.

3. Mais la vieille bureaucratie professionnelle et les anciennes formes de l’organisation syndicale entravent de toute manière cette transformation du caractère des syndicats. La vieille bureaucratie professionnelle cherche partout à faire garder aux syndicats leur caractère d’organisations de l’aristocratie ouvrière ; elle cherche à maintenir en vigueur les règles rendant impossible l’entrée des masses ouvrières mal payées dans les syndicats. La vieille bureaucratie syndicale s’efforce encore de remplacer le mouvement gréviste qui revêt chaque jour de plus en plus le caractère d’un conflit révolutionnaire entre la bourgeoisie et le prolétariat par une politique de contrats à long terme qui ont perdu toute signification en présence des variations fantastiques des prix. Elle cherche à imposer aux ouvriers la politique des communes ouvrières, des Conseils réunis de l’industrie (Joint Industrials Councils) et à entraver par la voie légale, grâce àl’aide de l’État capitaliste, l’expansion du mouvement gréviste. Aux moments critiques de la lutte, la bourgeoisie sème la discorde parmi les masses ouvrières militantes et empêche les actions isolées de différentes catégories d’ouvriers de fusionner dans une action de classe générale ; elle est soutenue dans ces tentatives par l’œuvre des anciennes organisations syndicales, morcelant les travailleurs d’une branche d’industrie en groupes professionnels artificiellement isolés, bien qu’ils soient tous rattachés les uns aux autres par le fait même de l’exploitation capitaliste. Elle s’appuie sur le pouvoir de la tradition idéologique de l’ancienne aristocratie ouvrière, bien que cette dernière soit sans cesse affaiblie par l’abolition des privilèges de divers groupes du prolétariat ; cette abolition s’explique par la décomposition générale du capitalisme, le nivellement de la situation de divers éléments de la classe ouvrière, l’égalisation de leurs besoins et leur manque de sécurité.

C’est de cette manière que la bureaucratie syndicale substitue de faibles ruisseaux au puissant courant du mouvement ouvrier, substitue des revendications partielles réformistes aux buts révolutionnaires généraux du mouvement et entrave d’une manière générale la transformation des efforts isolés du prolétariat en une lutte révolutionnaire unique tendant à la destruction du capitalisme.

4. Étant donnée la tendance prononcée des larges masses ouvrières à s’incorporer dans les syndicats, et considérant le caractère objectivement révolutionnaire de la lutte que ces masses soutiennent en dépit de la bureaucratie professionnelle, il importe que les communistes de tous les pays fassent partie des syndicats et travaillent à en faire des organes conscients de lutte pour le renversement du régime capitaliste et le triomphe du Communisme. Ils doivent prendre l’initiative de la création des syndicats partout où ces derniers n’existent pas encore.

Toute désertion volontaire du mouvement professionnel, toute tentative de création artificielle de syndicats qui ne serait pas déterminée par les violences excessives de la bureaucratie professionnelle (dissolution des filiales locales révolutionnaires syndicales par les centres opportunistes) ou par leur étroite politique aristocratique fermant aux grandes masses de travailleurs peu qualifiés l’entrée des organes syndicaux, présente un danger énorme pour le mouvement communiste. Elle écarte de la masse les ouvriers les plus avancés, les plus conscients, et les pousse vers les chefs opportunistes travaillant pour les intérêts de la bourgeoisie… Les hésitations des masses ouvrières, leur indécision politique et l’influence que possèdent sur eux les leaders opportunistes ne pourront être vaincus que par une lutte de plus en plus âpre dans la mesure où les couches profondes du prolétariat apprendront par expérience, par les leçons de leurs victoires et de leurs défaites, que jamais le système économique capitaliste ne leur permettra d’obtenir des conditions de vie humaines et supportables, dans la mesure où les travailleurs communistes avancés apprendront, par l’expérience de leur lutte économique, à être non seulement des propagandistes théoriques de l’idée communiste, mais aussi des meneurs résolus de l’action économique et syndicale. Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible d’écarter des syndicats leurs leaders opportunistes, de mettre des communistes à la tête et d’en faire un organe de la lutte révolutionnaire pour le Communisme. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible d’arrêter la désagrégation des syndicats, de les remplacer par des Unions industrielles, d’écarter la bureaucratie étrangère aux masses et de lui substituer un organe formé par les représentants des ouvriers industriels (Betriebsvertreter) en n’abandonnant aux institutions centrales que les fonctions strictement nécessaires.

5. Comme les communistes attachent plus de prix au but et à la substance des syndicats qu’à leur forme, ils ne doivent pas hésiter devant les scissions qui pourraient se produire au sein des organisations syndicales si, pour les éviter, il était nécessaire d’abandonner le travail révolutionnaire, de se refuser à organiser la partie la plus exploitée du prolétariat. S’il arrive pourtant qu’une scission s’impose comme une nécessité absolue, on ne devra y recourir que possédant la certitude que les communistes réussiront par leur participation économique à convaincre les larges masses ouvrières, que la scission se justifie non par des considérations dictées par un but révolutionnaire encore très éloigné et vague, mais par les intérêts concrets immédiats de la classe ouvrière, correspondant aux nécessités de l’action économique. Dans le cas où une scission deviendrait inévitable, les communistes devraient accorder une grande attention à ce que cette scission ne les isole pas de la masse ouvrière.

6. Partout où la scission entre les tendances syndicales opportunistes et révolutionnaires s’est déjà produite, où il existe, comme en Amérique, des syndicats aux tendances révolutionnaires, sinon communistes, à côté des syndicats opportunistes, les communistes sont dans l’obligation de prêter leur concours à ces syndicats révolutionnaires, de les soutenir, de les aider à se libérer des préjugés syndicalistes et à se placer sur le terrain du Communisme, car ce dernier est l’unique boussole fidèle et sûre dans toutes les questions compliquées de la lutte économique. Partout où se constituent des organisations industrielles (soit sur la base des syndicats, soit en dehors d’eux), tels les Shop Stewards, les Betriebsraete (Conseils de Production), organisations se donnant pour but de lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de la bureaucratie syndicale, il est bien entendu que les communistes sont tenus de les soutenir avec toute l’énergie possible. Mais le concours prêté aux syndicats révolutionnaires ne doit pas signifier la sortie des communistes des syndicats opportunistes en état d’effervescence politique et en évolution vers la lutte de classe. Bien au contraire, c’est en s’efforçant de hâter cette révolution de la masse des syndicats qui se trouvent déjà sur la voie de la lutte révolutionnaire que les communistes pourront jouer le rôle d’un élément unissant moralement et pratiquement les ouvriers organisés pour une lutte commune tendant à la destruction du régime capitaliste.

7. À l’époque où le capitalisme tombe en ruines, la lutte économique du prolétariat se transforme en lutte politique beaucoup plus rapidement qu’à l’époque de développement pacifique du régime capitaliste. Tout conflit économique important peut soulever devant les ouvriers la question de la Révolution. Il est donc du devoir des communistes de faire ressortir devant les ouvriers, dans toutes les phases de la lutte économique, que cette lutte ne saurait être couronnée de succès que lorsque la classe ouvrière aura vaincu la classe capitaliste dans une bataille rangée et se chargera, sa dictature une fois établie, de l’organisation socialiste du pays. C’est en partant de là que les communistes doivent tendre à réaliser, dans la mesure du possible, une union parfaite entre les syndicats et le Parti Communiste, en les subordonnant à ce dernier, avant-garde de la Révolution. Dans ce but, les communistes doivent organiser dans tous ces syndicats et Conseils de Production (Betriebsraeie) des fractions communistes, qui les aideront à s’emparer du mouvement syndical et à le diriger.

II.

1. La lutte économique du prolétariat pour la hausse des salaires et pour l’amélioration générale des conditions de la vie des masses accentue tous les jours son caractère de lutte sans issue. La désorganisation économique qui envahit un pays après l’autre, dans une proportion toujours croissante, démontre, même aux ouvriers les plus arriérés, qu’il ne suffit pas de lutter pour la hausse des salaires et la réduction de la journée de travail, que la classe capitaliste perd de plus en plus la capacité de rétablir la vie économique et de garantir aux ouvriers ne fut ce que les conditions d’existence qu’elle leur assurait avant la guerre. La conscience toujours croissante des masses ouvrières fait naître parmi eux une tendance à créer des organisations capables d’entamer la lutte pour la renaissance économique au moyen du contrôle ouvrier exercé sur l’industrie par les Conseils de Production. Cette tendance à créer des Conseils industriels ouvriers, qui gagne les ouvriers de tous les pays, tire son origine de facteurs différents et multiples (lutte contre la bureaucratie réactionnaire, fatigue causée par les défaites essuyées par les syndicats, tendances à la création d’organisations embrassant tous les travailleurs) et s’inspire en définitive de l’effort fait pour réaliser le contrôle de l’industrie, tâche historique spéciale des Conseils industriels ouvriers. C’est pourquoi on commettrait une erreur en cherchant à ne former ces Conseils que d’ouvriers partisans de la dictature du prolétariat. La tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l’idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant.

2. Le Parti Communiste ne pourra s’acquitter de cette tâche qu’en consolidant dans la conscience des masses la ferme assurance que la restauration de la vie économique sur la base capitaliste est actuellement impossible ; elle signifierait d’ailleurs un nouvel asservissement à la classe capitaliste. L’organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n’est possible que si l’État est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l’abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste.

3. La lutte des Comités de fabriques et d’usines contre le capitalisme a pour but immédiat l’introduction du contrôle ouvrier dans toutes les branches de l’industrie. Les ouvriers de chaque entreprise, indépendamment de leurs professions, souffrent du sabotage des capitalistes qui estiment assez souvent que la suspension de l’activité de telle ou telle industrie leur sera avantageuse, la faim devant contraindre les ouvriers à accepter les conditions les plus dures pour éviter à quelque capitaliste un accroissement de frais. La lutte contre cette sorte de sabotage unit la plupart des ouvriers indépendamment de leurs idées politiques, et fait des Comités d’usines et de fabriques, élus par tous les travailleurs d’une entreprise, de véritables organisations de masse du prolétariat. Mais la désorganisation de l’économie capitaliste est non seulement la conséquence de la volonté consciente des capitalistes, mais aussi et beaucoup plus celle de la décadence irrésistible de leur régime. Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l’industrie et sur son ensemble. Les tentatives d’ouvriers d’exercer leur contrôle non seulement sur l’approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l’industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

4. La propagande en faveur des Conseils industriels doit être menée de manière à ancrer dans la conviction des grandes masses ouvrières, même de celles qui n’appartiennent pas directement au prolétariat industriel, que la responsabilité de la désorganisation économique incombe à la bourgeoisie, et que le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l’organisation de l’industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère. La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l’industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l’ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique.

5. Les Conseils industriels ouvriers ne sauraient remplacer les syndicats. Ils ne peuvent que s’organiser au courant de l’action dans diverses branches de l’industrie et créer peu à peu un appareil général capable de diriger toute la lutte. Déjà, à l’heure qu’il est, les syndicats représentent des organes de combat centralisés, bien qu’ils n’englobent pas des masses ouvrières aussi larges que peuvent embrasser les Conseils industriels ouvriers en leur qualité d’organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières. Le partage de toutes les tâches de la classe ouvrière entre les Comités industriels ouvriers et les syndicats est le résultat du développement historique de la Révolution sociale. Les syndicats ont organisé les masses ouvrières dans le but d’une lutte pour la hausse des salaires et pour la réduction des journées ouvrières et l’ont fait sur une large échelle. Les Conseils ouvriers industriels s’organisent pour le contrôle ouvrier de l’industrie et la lutte contre la désorganisation économique ; ils englobent toutes les entreprises ouvrières, mais la lutte qu’ils soutiennent ne peut revêtir que très lentement un caractère politique général. Ce n’est que dans la mesure où les syndicats arriveront à surmonter les tendances contre-révolutionnaires de leur bureaucratie, ou deviendront des organes conscients de la Révolution, que les communistes auront le devoir de soutenir les Conseils industriels ouvriers dans leurs tendances à devenir des groupes industriels syndicalistes.

6. La tâche des communistes se réduit aux efforts qu’ils doivent faire pour que les syndicats et les Conseils industriels ouvriers se pénètrent du même esprit de résolution combative,de conscience et de compréhension des meilleures méthodes de combat, c’est-à-dire de l’esprit communiste. Pour s’en acquitter, les communistes doivent soumettre, en fait, les syndicats et les Comités ouvriers au Parti Communiste et créer ainsi des organes prolétariens des masses qui serviront de base à un puissant Parti prolétarien centralisé, englobant toutes les organisations prolétariennes et les faisant toutes marcher dans la voie que conduit à la victoire de la classe ouvrière et à la dictature du prolétariat — au Communisme.

7. Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l’établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. Les syndicats, organisés en qualité de piliers de l’industrie, s’appuyant sur les Conseils industriels ouvriers qui représenteront les organisations des fabriques et des usines, enseigneront aux masses ouvrières leur devoir industriel, formeront avec les ouvriers les plus avancés des directeurs d’entreprises, organiseront le contrôle technique des spécialistes ; ils étudieront et exécuteront, de concert avec les représentants du pouvoir ouvrier, les plans de la politique économique socialiste.

III.

Les syndicats manifestaient en temps de paix des tendances à former une Union internationale. Pendant les grèves, les capitalistes recouraient à la main-d’œuvre des pays voisins et aux services des « renards » étrangers. Mais avant la guerre, l’Internationale syndicale n’avait qu’une importance secondaire. Elle s’occupait de l’organisation de secours financiers réciproques et d’un service de statistique concernant la vie ouvrière, mais elle ne cherchait pas à unifier la vie ouvrière parce que les syndicats dirigés par des opportunistes, faisaient leur possible pour se soustraire à toute lutte révolutionnaire internationale. Les leaders opportunistes des syndicats qui, pendant la guerre, furent les serviteurs fidèles de la bourgeoisie dans leurs pays respectifs, cherchent maintenant à restaurer l’Internationale syndicale en se faisant une arme du capitalisme universel international, dirigée contre le prolétariat. Ils créent avec Jouhaux, Gompers, Legien, etc…, un « Bureau de Travail » auprès de la « Ligue des Nations », qui n’est autre chose qu’une organisation de brigandage capitaliste international. Ils tâchent d’étouffer dans tous les pays le mouvement gréviste en faisant décréter l’arbitrage obligatoire des représentants de l’État capitaliste. Ils cherchent partout à obtenir, à force de compromis avec les capitalistes, toutes espèces de faveurs pour les ouvriers capitalistes, afin de briser de cette manière l’union chaque jour plus étroite de la classe ouvrière. L’Internationale syndicale d’Amsterdam est donc la remplaçante de la 2e Internationale de Bruxelles en faillite. Les ouvriers communistes qui font partie des syndicats de tous les pays doivent, au contraire, travailler à la création d’un front syndicaliste international. Il ne s’agit plus de secours pécuniaires en cas de grève ; il faut désormais qu’au moment où le danger menacerait la classe ouvrière d’un pays, les syndicats des autres pays, en qualité d’organisations de masses, prennent sa défense et fassent tout pour empêcher la bourgeoisie de leur pays de venir en aide à celle qui est aux prises avec la classe ouvrière. Dans tous les États, la lutte économique du prolétariat devient de plus en plus révolutionnaire. Aussi les syndicats doivent-ils employer consciemment toute leur énergie à appuyer toute action révolutionnaire, tant dans leur propre pays que dans les autres. Ils doivent s’orienter dans ce but vers la plus grande centralisation de l’action, non seulement dans chaque pays à part, mais aussi dans l’Internationale ; ils le feront en adhérant à l’Internationale Communiste et en y fusionnant en une seule armée les divers éléments engagés dans le combat, afin qu’ils agissent de concert et se prêtent un concours mutuel.

Quand et dans quelles conditions peut-on créer des soviets de députés ouvriers ?

  1. En Russie, les Soviets des députés ouvriers naquirent pour la première fois en 1905, au moment du grand enthousiasme du mouvement révolutionnaire des ouvriers russes. Déjà en 1905, le Soviet pétersbourgeois des députés ouvriers fit d’instinct ses premiers pas vers la conquête du pouvoir. À cette époque, le Soviet de la ville de Pétrograd était aussi fort que le lui permettaient les chances qu’il avait de parvenir au pouvoir politique. Mais, dès que la contre-révolution tsariste se fut raffermie et que le mouvement ouvrier eût diminué d’intensité, après une végétation de courte durée, le Soviet cessa complètement d’exister.
  2. Lorsqu’en 1916, au début d’un nouvel et puissant effort révolutionnaire, l’idée naquit en Russie de créer promptement des Soviets de députés ouvriers, le Parti bolchevik prévint les ouvriers du danger que présentait la formation immédiate des Soviets en leur faisant remarquer qu’ils ne seraient opportuns que le jour où la Révolution aurait commencé, l’heure venue de livrer combat pour le pouvoir.
  3. Au début de la Révolution de février 1917, en Russie, les Soviets des députés ouvriers se transformèrent en Soviets de députés ouvriers et soldats. Bientôt ils entraînèrent dans la sphère de leur influence les plus vastes milieux des masses populaires, obtenant ainsi une autorité prépondérante, car la force réelle était de leur côté et entre leurs mains. Mais, lorsque la bourgeoisie libérale se remît de la surprise du premier choc de la Révolution, et que les traîtres socialistes-révolutionnaires et mencheviks facilitèrent à la bourgeoisie russe l’obtention du pouvoir, l’importance des Soviets ne tarda pas à baisser. Ce n’est qu’après les journées de juillet et l’insuccès de l’attentat contre-révolutionnaire de Kornilov, que les grandes masses populaires se mirent en branle et que se produisit le krach du gouvernement contre-révolutionnaire des bourgeois-conciliateurs, que les Soviets des députés ouvriers s’épanouirent à nouveau et gagnèrent dans le pays une influence exclusive.
  4. L’histoire des révolutions allemande et autrichienne l’a prouvé de même. Lorsque les masses de la population se soulevèrent et que le flot de la révolution ébranla les remparts de la monarchie des Hohenzollern et des Habsbourg, des Soviets de députés ouvriers et soldats se formèrent spontanément en Allemagne et en Autriche. Les premiers temps, la force fut de leur côté, et ils furent à la veille de prendre le pouvoir en fait. Mais, à peine le pouvoir eut-il penché, grâce à un enchaînement de circonstances historiques, vers la bourgeoisie et les social- démocrates contre-révolutionnaires que l’on vit les Soviets dépérir, et peu à peu disparaître. Lors de l’infructueuse tentative contre-révolutionnaire de Kapp-Lüttwitz, en Allemagne, des Soviets se reformèrent pour quelques jours ; mais sitôt la lutte terminée par une nouvelle victoire de la bourgeoisie et des traîtres-socialistes, ces Soviets qui venaient de dresser la tête, disparurent à nouveau.
  5. Les faits précités prouvent que des prémisses déterminées sont nécessaires pour créer les Soviets. On ne pourra donc organiser des Soviets de députés ouvriers, et les transformer en Soviets de députés ouvriers et soldats, que lorsque seront réunies trois conditions précises, à savoir :
    1. Enthousiasme révolutionnaire général dans les milieux les plus vastes composés d’ouvriers et d’ouvrières, de soldats et de toute la population laborieuse ;
    2. Crise économique et politique poussée au point où le pouvoir échappe peu à peu des mains du gouvernement précédent ;
    3. Lorsque dans les rangs des masses de travailleurs et, avant tout, dans ceux du Parti Communiste a mûri la ferme résolution d’engager une lutte décisive, systématique et d’après un plan arrêté, pour la conquête du pouvoir.
  6. Au cas où ces conditions ne sont pas remplies, les communistes peuvent et doivent propager systématiquement et opiniâtrement l’idée des Soviets, la vulgariser dans les masse, démontrer aux plus profondes couches de la population que les Soviets constituent la seule forme gouvernementale correspondant aux besoins de la période de transition au communisme intégral. Mais, les conditions mentionnées n’étant pas remplies, il est impossible de procéder à l’organisation immédiate des Soviets.
  7. Les tentatives des social-traîtres allemands de faire entrer les Soviets dans l’engrenage constitutionnel démocrate-bourgeois constituent, au point de vue objectif, une trahison de la cause ouvrière. Les Soviets ne sont possibles que comme des organisations gouvernementales, qui se substituent à la démocratie bourgeoise, la brisent et la remplacent par la dictature ouvrière.
  8. La propagande dirigée par les chefs Indépendants de la droite, tels que Hilferding, Kautsky et d’autres, en vue de prouver la compatibilité du système des Soviets avec l’Assemblée Constituante bourgeoise, témoigne d’une incompréhension totale des principes du développement de la révolution prolétarienne, ou bien du désir de tromper sciemment la classe laborieuse. Les Soviets signifient la dictature prolétarienne, et l’Assemblée Constituante, celle de la bourgeoisie. Accorder et concilier la dictature des ouvriers avec celle des bourgeois est une chose impossible.
  9. La propagande de quelques militants isolés de la gauche des indépendants allemands, proposant aux travailleurs un plan livresque et prématuré de « Système Soviétiste » non rattaché au cours de la guerre civile, est le fait de doctrinaires qui ne font que distraire les travailleurs de la lutte authentique pour le pouvoir.
  10. Les tentatives de groupes communistes isolés en France, en Italie, en Amérique et en Angleterre, pour fonder des Soviets n’embrassant pas les grandes masses ouvrières et ne pouvant pas les embrasser dans une lutte immédiate pour le pouvoir, ne font que nuire à la préparation efficace de la révolution soviétiste. Ces Soviets artificiels, ces « fleurs de serre » se transforment, tout au plus, en petites sociétés ; au pis-aller, ils ne peuvent que compromettre, aux yeux des vastes cercles de la population, l’autorité des Soviets.
  11. Une situation spéciale s’est créée en Autriche, où la classe ouvrière a réussi à conserver des Soviets embrassant de grandes masses ouvrières. Cette situation rappelle celle de la Russie de février à octobre 1917. Les Soviets autrichiens constituent un facteur politique important et l’embryon d’un pouvoir nouveau. Il va de soi que, dans cette situation, les communistes doivent participer au travail des Soviets, les aider à s’intéresser à toute la vie économique et politique du pays, y créer des fractions communistes et concourir de toutes façons à leur développement.
  12. Sans révolution, les Soviets ne sont pas possibles. Sans révolution prolétarienne, les Soviets dégénèrent en parodie. Les Soviets authentiques des masses constituent une forme de dictature prolétarienne indiquée par l’Histoire même. Tous les partisans sérieux et sincères du pouvoir soviétiste doivent appliquer prudemment l’idée soviétiste ; en la propageant parmi les masses, ils ne devront procéder à la création immédiate des Soviets que lorsque les conditions mentionnées plus haut seront réunies.

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de l’Internationale communiste

Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne

Le prolétariat mondial est à la veille d’une lutte décisive. L’époque à laquelle nous vivons est une époque d’action directe contre la bourgeoisie. L’heure décisive approche. Bientôt, dans tous les pays où il y a un mouvement ouvrier conscient, la classe ouvrière aura à livrer une série de combats acharnés, les armes à la main. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d’une solide organisation. Infatigablement la classe ouvrière doit désormais se préparer à cette lutte, sans perdre une seule heure d’un temps précieux.

Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871) avait eu un Parti Communiste solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l’héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. Les batailles que le prolétariat aura maintenant à livrer, dans des conjonctures historiques toutes différentes, auront des résultats beaucoup plus graves qu’en 1871.

Le 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste signale donc aux ouvriers révolutionnaires du monde entier l’importance de ce qui suit :

1. Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu’en ce qu’il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière et s’efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.

2. Tant que le pouvoir gouvernemental n’est pas conquis par le prolétariat et tant que ce dernier n’a pas affermi, une fois pour toutes, sa domination et prévenu toute tentative de restauration bourgeoise, le Parti Communiste n’englobera dans ses rangs organisés qu’une minorité ouvrière. Jusqu’à la prise du pouvoir et dans l’époque de transition, le Parti Communiste peut, grâce à des circonstances favorables, exercer une influence idéologique et politique incontestable sur toutes les couches prolétariennes et à demi-prolétariennes de la population, mais il ne peut les réunir organisées, dans ses rangs. Ce n’est que lorsque la dictature prolétarienne aura privé la bourgeoisie de moyens d’action aussi puissants que la presse, l’école, le Parlement, l’Église, l’administration, etc…, ce n’est que lorsque la défaite définitive du régime bourgeois sera devenue évidente aux yeux de tous, que tous les ouvriers, ou du moins la plupart, commenceront à entrer dans les rangs du Parti Communiste.

3. Les notions de parti et de classe doivent être distinguées avec le plus grand soin. Les membres des syndicats « chrétiens » et libéraux d’Allemagne, d’Angleterre et d’autres pays, appartiennent indubitablement à la classe ouvrière. Les groupements ouvriers plus ou moins considérables qui se rangent encore à la suite de Scheidemann, de Gompers et consorts lui appartiennent aussi. Dans de telles conditions historiques, il est très possible que de nombreuses tendances réactionnaires se fassent jour dans la classe ouvrière. La tâche du communisme n’est pas de s’adapter à ces éléments arriérés de la classe ouvrière mais d’élever toute la classe ouvrière au niveau de l’avant-garde communiste. La confusion entre ces deux notions de parti et de classe peut conduire aux fautes et aux malentendus les plus graves. Il est, par exemple, évident que les Partis ouvriers devaient, en dépit des préjugés et de l’état d’esprit d’une portion de la classe ouvrière pendant la guerre impérialiste, s’insurger à tout prix contre ces préjugés et cet état d’esprit, au nom des intérêts historiques du prolétariat qui mettaient son Parti dans l’obligation de déclarer la guerre à la guerre.

C’est ainsi, par exemple, qu’au début de la guerre impérialiste de 1914, les Partis socialistes de tous les pays, soutenant « leurs » bourgeoisies respectives, ne manquaient pas de justifier leur conduite en invoquant la volonté de la classe ouvrière. Ils oubliaient, ce faisant, que si même il en avait été ainsi, c’eut été plutôt la tâche du Parti prolétarien de réagir contre la mentalité ouvrière générale et de défendre envers et contre tous les intérêts historiques du prolétariat. C’est ainsi qu’au commencement du xxe siècle les mencheviks russes (qui se nommaient alors économistes) répudiaient la lutte ouverte contre le tsarisme parce que, disaient-ils, la classe ouvrière dans son ensemble, n’était pas encore en état de comprendre la nécessité de la lutte politique.

C’est ainsi que les indépendants de droite en Allemagne ont justifié toujours leurs demi-mesures en disant qu’il fallait comprendre avant tout les désirs des masses, et ne comprenaient pas eux-mêmes que le Parti est destiné à marcher en avant des masses et à leur montrer le chemin.

4. L’internationale Communiste est absolument convaincue que la faillite des anciens Partis « social-démocrates » de la 2e Internationale ne peut, en aucun cas, être considérée comme la faillite des Partis prolétariens en général. L’époque de la lutte directe en vue de la dictature du prolétariat suscite un nouveau Parti prolétarien mondial — le Parti Communiste.

5. L’internationale Communiste répudie de la façon la plus catégorique l’opinion suivant laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans avoir son Parti politique. Toute lutte de classes est une lutte politique. Le but de cette lutte, qui tend à se transformer inévitablement en guerre civile, est la conquête du pouvoir politique. C’est pourquoi le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé que par tel ou tel Parti politique. Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un Parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis, et possédant un programme d’action susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat.

La même lutte des classes exige aussi la centralisation et la direction unique des diverses formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, comités d’usines, enseignement, élections, etc…). Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu’un Parti politique. Se refuser à le créer et à l’affermir, se refuser à s’y soumettre équivaut à répudier le commandement unique des contingents du prolétariat agissant sur des points différents. La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d’un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l’attention du prolétariat sur les tâches qui l’intéressent dans son entier. Cela ne peut être réalisé sans un appareil politique centralisé, c’est-à-dire en dehors d’un Parti politique.

La propagande de certains syndicalistes révolutionnaires et des adhérents du mouvement industrialiste du monde entier (I.W.W.) contre la nécessité d’un Parti politique se suffisant à lui-même n’a aidé et n’aide, à parler objectivement, que la bourgeoisie et les « social-démocrates » contre-révolutionnaires. Dans leur propagande contre un Parti Communiste qu’ils voudraient remplacer par des syndicats ou par des unions ouvrières de formes peu définies et trop vastes, les syndicalistes et les industrialistes ont des points de contact avec des opportunistes avérés.

Après la défaite de la révolution de 1905, les mencheviks russes propagèrent pendant quelques années l’idée d’un Congrès ouvrier (ainsi le nommaient-ils) qui devait remplacer le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière ; les « travaillistes jaunes » de toutes sortes en Angleterre et en Amérique veulent remplacer le Parti politique par d’informes unions ouvrières, et ils inventent en même temps une tactique politique absolument bourgeoise. Les syndicalistes révolutionnaires et industrialistes veulent combattre la dictature de la bourgeoisie, mais ils ne savent comment s’y prendre. Ils ne remarquent pas qu’une classe ouvrière sans Parti politique est un corps sans tête. Le syndicalisme révolutionnaire et l’industrialisme ne marquent un pas fait en avant que par rapport à l’ancienne idéologie inerte et contre-révolutionnaire de la 2e Internationale. Par rapport au marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire au communisme, le syndicalisme et l’industrialisme marquent un pas en arrière. La déclaration des communistes « de la gauche allemande K.A.P.D. » (programme élaboré par leur Congrès constituant d’avril dernier) disant qu’ils forment un Parti, mais « non pas un Parti dans le sens courant du mot » (keine Partei im überlieferten Sinne) est une capitulation devant l’opinion syndicaliste et industrialiste, qui est un fait réactionnaire.

Mais ce n’est pas par la grève générale, par la tactique des bras croisés que la classe ouvrière peut remporter la victoire sur la bourgeoisie. Le prolétariat doit en venir à l’insurrection armée. Celui qui a compris cela doit aussi comprendre qu’un Parti politique organisé est nécessaire et que d’informes unions ouvrières ne peuvent pas en tenir lieu.

Les syndicalistes révolutionnaires parlent souvent du grand rôle que doit jouer une minorité révolutionnaire résolue. Or, en fait, cette minorité résolue de la classe ouvrière que l’on demande, cette minorité qui est communiste et qui a un programme, qui veut organiser la lutte des masses, c’est bien le Parti Communiste.

6. La tâche la plus importante d’un Parti réellement communiste est de rester toujours en contact avec les organisations prolétariennes les plus larges. Pour arriver à cela, les communistes peuvent et doivent prendre part à des groupes qui, sans être des groupes du Parti, englobent de grandes masses prolétariennes. Tels sont par exemple ceux que l’on connaît sous le nom d’organisation d’invalides dans divers pays, de sociétés « Ne touchez pas à la Russie » (Hands off Russia) en Angleterre, les unions prolétariennes de locataires, etc… Nous avons ici l’exemple russe des conférences d’ouvriers et de paysans qui se déclarent « étrangers » aux Partis (bezpartinii). Des associations de ce genre seront bientôt organisées dans chaque ville, dans chaque quartier ouvrier et aussi dans les campagnes. A ces associations prennent part les plus larges masses comprenant même des travailleurs arriérés. On mettra à l’ordre du jour les questions les plus intéressantes : approvisionnement, habitation, questions militaires, enseignement, tâche politique du moment présent, etc… Les communistes doivent avoir de l’influence dans ces associations et cela aura les résultats les plus importants pour le Parti.

Les communistes considèrent comme leur tâche principale un travail systématique d’éducation et d’organisation au sein de ces organisations. Mais précisément pour que ce travail soit fécond, pour que les ennemis du prolétariat révolutionnaire ne puissent s’emparer de ces organisations, les travailleurs avancés, communistes, doivent avoir leur Parti d’action organisée, sachant défendre le communisme dans toutes les conjonctures et en présence de toutes les éventualités.

7. Les communistes ne s’écartent jamais des organisations ouvrières politiquement neutres, même quand elles revêtent un caractère évidemment réactionnaire (unions jaunes, unions chrétiennes, etc…). Au sein de ces organisations, le Parti Communiste poursuit constamment son œuvre propre, démontrant infatigablement aux ouvriers que la neutralité politique est sciemment cultivée parmi eux par la bourgeoisie et par ses agents afin de détourner le prolétariat de la lutte organisée pour le socialisme.

8. L’ancienne subdivision classique du mouvement ouvrier en trois formes (Partis, syndicats, coopératives) a fait son temps. La révolution prolétarienne en Russie a suscité la forme essentielle de la dictature prolétarienne, les Soviets. La nouvelle division que nous mettons partout en valeur est celle-ci : 1° le Parti, 2° le Soviet, 3° le Syndicat.

Mais le travail dans les Soviets de même que dans les syndicats d’industrie devenus révolutionnaires doit être invariablement et systématiquement dirigé par le Parti du prolétariat, c’est-à-dire par le Parti Communiste. Avant-garde organisée de la classe ouvrière, le Parti Communiste répond également aux besoins économiques, politiques et spirituels de la classe ouvrière toute entière. Il doit être l’âme des syndicats et des Soviets ainsi que de toutes les autres formes d’organisation prolétarienne.

L’apparition des Soviets, forme historique principale de la dictature du prolétariat, ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne. Quand les communistes allemands de « gauche » (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par « le Parti ouvrier communiste allemand ») déclarent que « le Parti doit, lui aussi, s’adapter de plus en plus à l’idée soviétique et se prolétariser » (Kommunistische Arbeiterzeitung, N° 54) nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti Communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer.

Cette idée est profondément erronée et réactionnaire.

L’histoire de la révolution russe nous montre à un certain moment, les Soviets allant à l’encontre du Parti prolétarien et soutenant les agents de la bourgeoisie. On a pu observer la même chose en Allemagne. Et cela est aussi possible dans les autres pays.

Pour que les Soviets puissent remplir leur mission historique, l’existence d’un Parti Communiste assez fort pour ne pas « s’adapter » aux Soviets mais pour exercer sur eux une influence décisive, les contraindre à « ne pas s’adapter » à la bourgeoisie et à la social-démocratie officielle, les conduire par le moyen de cette fraction communiste, est au contraire nécessaire.

9. Le Parti Communiste n’est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête, du pouvoir, mais encore après celle-ci. L’histoire du Parti Communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti Communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.

10. Au jour de la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti du prolétariat ne constitue pourtant qu’une fraction de la classe des travailleurs. Mais c’est la fraction qui a organisé la victoire. Pendant vingt ans, comme nous l’avons vu en Russie depuis une suite d’années, comme nous l’avons vu en Allemagne, le Parti Communiste lutte non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre ceux d’entre les socialistes qui ne font en réalité que manifester l’influence des idées bourgeoises sur le prolétariat ; le Parti Communiste s’est assimilé les militants les plus stoïques, les plus clairvoyants, les plus avancés de la classe ouvrière. Et l’existence d’une semblable organisation prolétarienne permet de surmonter toutes les difficultés auxquelles se heurte le Parti Communiste dès le lendemain de sa victoire. L’organisation d’une nouvelle Armée Rouge prolétarienne, l’abolition effective du mécanisme gouvernemental bourgeois et la création des premiers linéaments de l’appareil gouvernemental prolétarien, la lutte contre les tendances corporatistes de certains groupements ouvriers, la lutte contre le patriotisme régional et l’esprit de clocher, les efforts en vue de susciter une nouvelle discipline du travail, — autant de domaines où le Parti Communiste, dont les membres entraînent par leur vivant exemple les masses ouvrières, doit dire le mot décisif.

11. La nécessité d’un Parti politique du prolétariat ne disparaît qu’avec les classes sociales. Dans la marche du communisme vers la victoire définitive il est possible que le rapport spécifique qui existe entre les trois formes essentielles de l’organisation prolétarienne contemporaine (Partis, Soviets, Syndicats d’industrie) soit modifié et qu’un type unique, synthétique, d’organisation ouvrière se cristallise peu à peu. Mais le Parti Communiste ne se dissoudra complètement au sein de la classe ouvrière que lorsque le communisme cessera d’être l’enjeu de la lutte sociale, lorsque la classe ouvrière sera, toute entière, devenue communiste.

12. Le 2° Congrès de l’Internationale Communiste doit non seulement confirmer le Parti dans sa mission historique, mais encore indiquer au prolétariat international tout au moins les lignes essentielles du Parti qui nous est nécessaire.

13. L’Internationale Communiste est d’avis que, surtout à l’époque de la dictature du prolétariat, le Parti Communiste doit être basé sur une inébranlable centralisation prolétarienne. Pour diriger efficacement la classe ouvrière dans la guerre civile longue et opiniâtre, devenue imminente, le Parti Communiste doit établir en son sein une discipline de fer, une discipline militaire. L’expérience du Parti Communiste russe qui a pendant trois ans dirigé avec succès la classe ouvrière à travers les péripéties de la guerre civile, a montré que sans la plus forte discipline, sans une centralisation achevée, sans une confiance absolue des adhérents envers le centre directeur du Parti, la victoire des travailleurs est impossible.

14. Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution par voie d’élection des comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui leur est supérieur et l’existence d’un centre muni de pleins pouvoirs, dont l’autorité ne peut, dans l’intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne, tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique.

15. Toute une série de Partis Communistes en Europe et en Amérique sont rejetés par l’état de siège en dehors de la légalité. Il convient de se rappeler que le principe électif peut avoir à souffrir, dans ces conditions, quelques atteintes et qu’il peut être nécessaire d’accorder aux organes directeurs du Parti le droit de coopter des membres nouveaux. Il en fut ainsi naguère en Russie. Durant l’état de siège le Parti Communiste ne peut évidemment pas avoir recours au référendum démocratique, toutes les fois qu’une question grave se pose (comme l’aurait voulu un groupe de communistes américains) ; il doit au contraire donner à son centre dirigeant la possibilité et le droit de décider promptement au moment opportun, pour tous les membres du Parti.

16. La revendication d’une large « autonomie » pour les groupes locaux du Parti ne peut en ce moment qu’affaiblir les rangs du Parti Communiste, diminuer sa capacité d’action et favoriser le développement des tendances anarchistes et petites-bourgeoises contraires à la centralisation.

17. Dans les pays où le pouvoir est encore détenu par la bourgeoisie ou par la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Partis communistes doivent apprendre à juxtaposer systématiquement l’action légale et l’action clandestine. Cette dernière doit toujours contrôler effectivement la première. Les groupes parlementaires communistes de même que les fractions communistes opérant au sein des diverses institutions de l’Etat, tant centrales que locales, doivent être entièrement subordonnées au Parti Communiste — quelle que soit la situation, légale ou non, du Parti. Les mandataires qui d’une façon ou d’une autre ne se soumettent pas au Parti doivent en être exclus. La presse légale (journaux, éditions diverses) doit dépendre en tout et pour tout de l’ensemble du Parti et de son comité central.

18. Dans toute action organisatrice du Parti et des communistes la pierre angulaire doit être posée par l’organisation d’un noyau communiste partout où l’on trouve quelques prolétaires et quelques demi-prolétaires. Dans tout Soviet, dans tout syndicat, dans toute coopérative, dans tout atelier, dans tout comité de locataires, dans toute institution où trois personnes sympathisent avec le communisme, un noyau communiste doit être immédiatement organisé. L’organisation communiste est la seule porte permettant à l’avant-garde de la classe ouvrière d’entraîner derrière elle toute la classe ouvrière. Tous les noyaux communistes agissant parmi les organisations politiquement neutres sont absolument subordonnés au Parti dans son ensemble, que l’action du Parti soit légale ou clandestine. Les noyaux communistes doivent être classés dans une stricte dépendance réciproque, à établir de la façon la plus précise.

19. Le Parti Communiste naît presque toujours dans les grands centres, parmi les travailleurs de l’industrie urbaine. Pour assurer à la classe ouvrière la victoire la plus facile et la plus rapide, il est indispensable que le Parti Communiste ne soit pas exclusivement un Parti urbain. Il doit s’étendre aussi dans les campagnes et, à cette fin, se consacrer à la propagande et à l’organisation des journaliers agricoles, des paysans pauvres et moyens. Le Parti communiste doit poursuivre avec un soin particulier l’organisation de noyaux communistes dans les villages.

L’organisation internationale du prolétariat ne peut être forte que si cette façon d’envisager le rôle du Parti Communiste est admise dans tous les pays où vivent et luttent des communistes. L’Internationale Communiste invite tous les syndicats acceptant les principes de la 3e Internationale à rompre avec l’Internationale Jaune. L’Internationale organisera une section internationale des syndicats rouges qui se placent sur le terrain du communisme. L’Internationale Communiste ne refusera pas le concours de toute organisation ouvrière politiquement neutre désireuse de combattre la bourgeoisie. Mais l’Internationale Communiste ne cessera, ce faisant, de prouver aux prolétaires du monde :

1° que le Parti communiste est l’arme principale, essentielle, de l’émancipation du prolétariat ; nous devons avoir maintenant dans tous les pays, non plus des groupes et des tendances, mais un Parti Communiste ;

2° qu’il ne doit y avoir dans chaque pays qu’un seul et unique Parti Communiste ;

3° que le Parti Communiste doit être fondé sur le principe de la plus stricte centralisation et doit instituer en son sein, à l’époque de la guerre civile, une discipline militaire ;

4° que partout où il n’y a ne fut-ce qu’une dizaine de prolétaires ou de demi-prolétaires, le Parti Communiste doit avoir son noyau organisé ;

5° que dans toute organisation apolitique il doit y avoir un noyau communiste strictement subordonné au Parti dans son entier ;

6° que défendant inébranlablement et avec un absolu dévouement le programme et la tactique révolutionnaire du Communisme, le Parti doit rester toujours en relations étroites avec les organisations des grandes masses ouvrières et doit se garder du sectarisme autant que du manque de principes.

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de l’Internationale communiste

Les tâches principales de l’Internationale Communiste décidées au second congrès

1. Le moment actuel du développement du mouvement communiste international est caractérisé par le fait que, dans tous les pays capitalistes, les meilleurs représentants du mouvement prolétarien ont parfaitement compris les principes fondamentaux de l’Internationale Communiste, c’est-à-dire : la dictature du prolétariat et le gouvernement des Soviets, et se sont rangés à ses côtés avec un dévouement enthousiaste. Plus important encore est le fait que les plus larges masses du prolétariat des villes et des travailleurs avancés des campagnes manifestent leur sympathie sans réserve pour ces principes essentiels. C’est là un grand pas en avant.

D’autre part, deux fautes ou deux faiblesses du mouvement communiste international, qui croît avec une rapidité extraordinaire, se sont fait remarquer. L’une, très grave et qui présente un grand danger immédiat pour la cause de la libération du prolétariat, consiste en ce que certains anciens leaders, certains vieux partis de la 2e Internationale, en partie inconsciemment sous la pression des masses, en partie consciemment — et alors les trompant pour conserver leur ancienne situation d’agents et d’auxiliaires de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier — annoncent leur adhésion conditionnelle ou sans réserve à la 3e Internationale, tout en restant, en fait, dans tout leur travail pratique quotidien, au niveau de la 2e Internationale. Cet état de choses est absolument inadmissible. Il introduit parmi les masses un élément de corruption, il empêche la formation ou le développement d’un Parti Communiste fort, il met en cause le respect dû à la 3e Internationale en la menaçant du recommencement de trahisons semblables à celle des social-démocrates hongrois hâtivement travestis en Communistes. Une autre faute, beaucoup moins importante et qui est bien plutôt une maladie de croissance du mouvement, est la tendance « à gauche » qui conduit à une appréciation erronée du rôle et de la mission du Parti par rapport à la classe ouvrière et à la masse, et de l’obligation pour les révolutionnaires communistes de militer dans les parlements bourgeois et dans les syndicats réactionnaires.

Le devoir des Communistes n’est pas de taire les faiblesses de leur mouvement, mais d’en faire ouvertement la critique afin de s’en débarrasser promptement et radicalement. À cette fin, il importe tout d’abord de définir, selon notre expérience pratique, le contenu des notions de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets ;en second lieu, en quoi peut et doit consister dans tous les pays le travail préparatoire, immédiat et systématique, en vue de la réalisation de ces mots d’ordre ; et en troisième lieu, quels voies et moyens nous permettent de guérir notre mouvement de ses faiblesses.

1. — L’essence de la dictature du prolétariat et du pouvoir des Soviets.

2. La victoire du socialisme (première étape du Communisme) sur le capitalisme exige l’accomplissement par le prolétariat, seule classe réellement révolutionnaire, des trois tâches suivantes :

La première consiste à renverser les exploiteurs et, en premier lieu, la bourgeoisie, leur représentant économique et politique principal ; il s’agit de leur infliger une défaite totale, de briser leur résistance, de rendre impossible de leur part toute tentative de restauration du capital et de l’esclavage salarié.

La deuxième consiste à entraîner à la suite de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire, de son Parti Communiste, non seulement tout le prolétariat, mais aussi toute la masse des travailleurs exploités par le capital, à les éclairer, à les organiser, à les éduquer, à les discipliner au cours même de la lutte impitoyable et téméraire contre les exploiteurs, — à arracher dans tous les pays capitalistes cette écrasante majorité de la population à la bourgeoisie, à lui inspirer pratiquement confiance dans le rôle de directeur du prolétariat de son avant-garde révolutionnaire.

La troisième, de neutraliser ou de réduire à l’impuissance les inévitables hésitants entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la démocratie bourgeoise et le pouvoir des Soviets, de la classe de petits propriétaires ruraux, industriels et négociants, encore assez nombreux bien que ne formant qu’une minorité de la population et des catégories d’intellectuels, d’employés, etc…, gravitant autour de cette classe.

La première et la deuxième tâche exigent chacune des méthodes d’action particulières à l’égard des exploités et des exploiteurs. La troisième découle des deux premières ; elle n’exige qu’une application habile, souple et opportune des méthodes appliquées aux premières et qu’il s’agit d’adapter aux circonstances concrètes.

3. Dans la conjoncture actuelle, créée dans le monde entier, et surtout dans les pays capitalistes les plus avancés, les plus puissants, les plus éclairés, les plus libres, par le militarisme, l’impérialisme, l’oppression des colonies et des pays faibles, la tuerie impérialiste mondiale et la « paix » de Versailles, la pensée d’une paisible soumission de la majorité des exploités aux capitalistes et d’une évolution pacifique vers le socialisme, n’est pas seulement un signe de médiocrité petite-bourgeoise : c’est aussi une duperie, la dissimulation de l’esclavage du salariat, la déformation de la vérité aux yeux des travailleurs. La vérité est que la bourgeoisie la plus éclairée, la plus démocratique, ne recule pas devant le massacre de millions d’ouvriers et de paysans à seule fin de sauver la propriété privée des moyens de production. Le renversement de la bourgeoisie par la violence, la confiscation de ses propriétés, la destruction de son mécanisme d’État, parlementaire, judiciaire, militaire, bureaucratique, administratif, municipal, etc… jusqu’à l’exil ou l’internement de tous les exploiteurs les plus dangereux et les plus obstinés, sans exception, l’exercice sur leurs milieux d’une stricte surveillance pour la répression des tentatives qu’ils ne manqueront pas de faire dans l’espoir de restaurer l’esclavage capitaliste, telles sont les mesures qui peuvent seules assurer la soumission réelle de la classe entière des exploiteurs.

D’autre part, l’idée coutumière aux vieux partis et aux vieux leaders de la 2e Internationale, que la majorité des travailleurs et des exploités peut, en régime capitaliste, sous le joug esclavagiste de la bourgeoisie — qui revêt des formes infiniment variées, d’autant plus raffinées et à la fois plus cruelles et plus impitoyables que le pays capitaliste est plus cultivé — acquérir une pleine conscience socialiste, la fermeté socialiste, des convictions et du caractère, cette idée, disons-nous, trompe aussi les travailleurs. En fait, ce n’est qu’après que l’avant-garde prolétarienne, soutenue par la seule classe révolutionnaire ou par sa majorité, aura renversé les exploiteurs, les aura brisés, aura libéré les exploités de leurs servitudes et immédiatement amélioré leurs conditions d’existence au détriment des capitalistes expropriés — ce n’est qu’alors, et au prix de la plus âpre guerre civile, que l’éducation, l’instruction, l’organisation des plus grandes masses exploitées pourra se faire autour du prolétariat, sous son influence et sa direction, et qu’il sera possible de vaincre leur égoïsme, leurs vices, leurs faiblesses, leur manque de cohésion, entretenus par le régime de la propriété privée, et de les transformer en une vaste association de libres travailleurs.

4. Le succès de la lutte contre le capitalisme exige un juste rapport des forces entre le Parti Communiste comme guide, le prolétariat, la classe révolutionnaire et la masse, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs et des exploités. Le Parti Communiste, s’il est véritablement l’avant-garde de la classe révolutionnaire, s’il s’assimile tous ses meilleurs représentants, s’il est composé de Communistes conscients et dévoués, éclairés et éprouvés par l’expérience d’une longue lutte révolutionnaire, s’il a su se lier indissolublement à toute l’existence de la classe ouvrière et par son intermédiaire à celle de toute la masse exploitée et leur inspirer une pleine confiance, ce Parti seul est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale, la plus acharnée, contre toutes les forces du capitalisme. Et ce n’est que sous la direction d’un Parti semblable que le prolétariat peut annihiler l’apathie et la résistance de la petite aristocratie ouvrière, composée des leaders du mouvement syndical et corporatif corrompus par le capitalisme, et développer toutes ses énergies, infiniment plus grandes que sa force numérique parmi la population, par suite de la structure économique du capitalisme lui-même. Enfin, ce n’est que libérée effectivement du joug du capital et de l’appareil gouvernemental de l’État, ce n’est qu’après avoir obtenu la possibilité d’agir librement que la masse, c’est-à-dire la totalité des travailleurs et des exploités organisés dans les Soviets, pourra développer, pour la première fois dans l’histoire, l’initiative et l’énergie de dizaines de millions d’hommes étouffés par le capitalisme. Ce n’est que lorsque les Soviets seront devenus l’unique mécanisme de l’État, que pourra être assurée la participation effective des masses autrefois exploitées à toute l’administration du pays, participation qui, dans les démocraties bourgeoises les plus éclairées et les plus libres, était impossible quatre-vingt-quinze fois sur cent. Dans les Soviets, la masse des exploités commence à apprendre, non des livres, mais de son expérience pratique, ce qu’est l’édification socialiste, la création d’une nouvelle discipline sociale et la libre association des travailleurs libres.

2. — EN QUOI DOIT CONSISTER LA PRÉPARATION
IMMÉDIATE DE LA DICTATURE PROLÉTARIENNE

5. Le développement actuel du mouvement communiste international est caractérisé par ce fait que dans nombre de pays capitalistes, le travail de préparation du prolétariat à l’exercice de la dictature n’est pas achevé et très souvent n’a pas encore été commencé de façon systématique. Il ne s’ensuit pas que la révolution prolétarienne soit impossible dans un avenir très prochain ; elle est, au contraire, tout ce qu’il y a de plus possible, la situation politique et économique étant extraordinairement riche en matières inflammables et en causes susceptibles de provoquer leur embrasement inopiné ; un autre facteur de la révolution, en dehors de l’état de préparation du prolétariat, est notamment la crise générale en présence de laquelle se trouvent tous les partis gouvernants et tous les partis bourgeois. Mais il résulte de ce qui a été dit que la tâche actuelle des Partis Communistes consiste à hâter la révolution, sans toutefois la provoquer artificiellement avant une préparation suffisante ; la préparation du prolétariat à la révolution doit être intensifiée par l’action. D’autre part, les cas signalés plus haut dans l’histoire de beaucoup de partis socialistes, obligent de bien veiller à ce que la reconnaissance de la dictature du prolétariat ne puisse pas rester purement verbale.

Pour ces raisons, la tâche principale du Parti Communiste, du point de vue du mouvement international prolétarien, est à l’heure présente le groupement de toutes les forces communistes éparses, la formation dans chaque pays d’un Parti Communiste unique (ou le renforcement et le renouvellement des partis déjà existants) afin de décupler le travail de préparation du prolétariat à la conquête du pouvoir sous forme de dictature du prolétariat. L’action socialiste habituelle des groupes et des partis qui reconnaissent la dictature du prolétariat, est loin d’avoir subi cette modification fondamentale, ce renouvellement radical, qui est nécessaire, pour qu’on en reconnaisse l’action comme étant bien communiste et comme correspondant aux tâches de la veille de la dictature prolétarienne.

6. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat n’interrompt pas la lutte de classe de celui-ci contre la bourgeoisie, mais au contraire, ne fait que la rendre plus large, plus acerbe, plus impitoyable. Tous les groupes, partis, militants du mouvement ouvrier qui adoptent en totalité ou en partie le point de vue du réformisme, du « centre », etc…, se placeront inévitablement, par suite de l’extrême exacerbation de la lutte, soit du côté de la bourgeoisie, soit du côté des hésitants ou (ce qui est plus dangereux) tomberont dans le nombre des amis indésirables du prolétariat victorieux. C’est pourquoi la préparation de la dictature du prolétariat exige non seulement le renforcement de la lutte contre la tendance des réformistes et des « centristes », mais aussi la modification du caractère de cette lutte. Celle-ci ne peut pas se limiter à la démonstration du caractère erroné de ces tendances, mais elle doit aussi démasquer inlassablement et impitoyablement tout militant du mouvement ouvrier qui manifestera ces tendances, le prolétariat ne pouvant pas savoir sans cela avec qui il marche à la lutte finale contre la bourgeoisie. Cette lutte est telle, qu’elle peut changer à tout instant et transformer, comme l’a déjà démontré l’expérience, l’arme de la critique en critique par les armes. Tout manque d’esprit de suite, ou toute faiblesse dans la lutte contre ceux qui se conduisent comme des réformistes ou des « centristes », a pour conséquence un accroissement direct du danger de renversement du pouvoir du prolétariat par la bourgeoisie, qui utilisera demain pour la contre-révolution ce qui ne paraît aux bornés qu’un « désaccord théorique » d’aujourd’hui.

7. Il est impossible de se limiter à la négation habituelle de principe de toute collaboration avec la bourgeoisie, de tout « coalitionnisme ». Une simple défense de la « liberté » et de « l’égalité » avec le maintien de la propriété privée des moyens de production, se transforme dans les conditions de la dictature du prolétariat, qui ne sera jamais en état d’abolir d’un coup la propriété privée en entier, en « collaboration » avec la bourgeoisie qui sapera directement le pouvoir de la classe ouvrière. Car la dictature du prolétariat signifie l’affermissement gouvernemental et la défense, par tout le système d’État, non pas de « la liberté » pour les exploiteurs de continuer leur œuvre d’oppression et d’exploitation, non pas de « l’égalité » du propriétaire (c’est-à-dire de celui qui conserve pour sa jouissance personnelle certains moyens de production créés par le travail de la collectivité) et du pauvre. Ce qui nous paraît jusqu’à la victoire du prolétariat n’être qu’un désaccord sur la question de la « démocratie » deviendra inévitablement demain, après la victoire, une question qu’il faudra trancher par les armes. Sans transformation radicale de tout le caractère de la lutte contre les « centristes » et les « défenseurs de la démocratie » la préparation même préalable des masses à la réalisation de la dictature du prolétariat est donc impossible.

8. La dictature du prolétariat est la forme la plus décisive et la plus révolutionnaire de la lutte de classes du prolétariat et de la bourgeoisie. Pareille lutte ne peut être victorieuse que lorsque l’avant-garde la plus révolutionnaire du prolétariat entraîne derrière elle l’écrasante majorité ouvrière. La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d’organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d’éducation, etc…

Plus la domination de la démocratie bourgeoise a été longue et ferme, dans un pays donné, plus la bourgeoisie a réussi a amener aux postes importants du mouvement ouvrier des hommes éduqués par elle, par ses conceptions, par ses préjugés, très souvent directement ou indirectement achetés par elle. Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu’on ne l’a fait jusqu’ici, de remplacer ces représentants de l’aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse.

9. La dictature du prolétariat est la réalisation la plus complète de la domination de tous les travailleurs et de tous les exploités, opprimés, abrutis, terrorisés, éparpillés, trompés par la classe capitaliste, mais conduits par la seule classe sociale préparée à cette mission dirigeante par toute l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi la préparation de la dictature prolétarienne doit être partout et immédiatement commencée, entre autres par les moyens que voici :

Dans toutes les organisations sans exception, — syndicats, unions, etc… — prolétariennes d’abord et ensuite non-prolétariennes, des masses laborieuses exploitées (qu’elles soient politiques, syndicales, militaires, coopératives, postscolaires, sportives, etc…), des groupes ou des noyaux communistes doivent être formés, de préférence ouvertement, mais, s’il le faut, clandestinement — ce qui devient obligatoire toutes les fois que leur mise hors la loi et l’arrestation de leurs membres sont à craindre ; ces groupes, rattachés les uns aux autres et rattachés au centre du Parti, échangeant le résultat de leur expérience, s’occupant d’agitation, de propagande et d’organisation s’adaptent à tous les domaines de la vie sociale, à tous les aspects et à toutes les catégories de la masse laborieuse, doivent procéder par leur travail multiple à leur propre éducation, à celle du Parti, de la classe ouvrière et de la masse.

Il est, cependant, de la plus haute importance d’élaborer pratiquement, — dans leur développement nécessaire — des méthodes d’action, d’une part, à l’égard des leaders ou des représentants autorisés des organisations, complètement corrompus par les préjugés impérialistes et petits-bourgeois (ces leaders, il faut impitoyablement les démasquer et les exclure du mouvement ouvrier) et, d’autre part, à l’égard des masses qui, surtout depuis la tuerie impérialiste, sont disposées à prêter l’oreille à l’enseignement de la nécessité de suivre le prolétariat, seul capable de les tirer de l’esclavage capitaliste. Il convient de savoir aborder les masses avec patience et circonspection, afin de comprendre les particularités psychologiques de chaque profession, de chaque groupe au sein de cette masse.

10. Il est un groupe ou fraction de Communistes qui mérite tout particulièrement l’attention et la surveillance du Parti : c’est la fraction parlementaire, autrement dit, le groupe des membres du parti élus au Parlement (ou aux municipalités, etc…). D’une part, ces tribunes sont, aux yeux des couches profondes de la classe laborieuse retardataire ou farcie de préjugés petits-bourgeois, d’une importance capitale ; c’est d’ailleurs la raison qui fait que les Communistes doivent, du haut de ces tribunes, mener une action de propagande, d’agitation, d’organisation, et expliquer aux masses pourquoi était nécessaire en Russie (comme il le sera, le cas échéant, dans tous les pays) la dissolution du Parlement bourgeois par le congrès panrusse de Soviets. D’autre part, toute l’histoire de la démocratie bourgeoise a fait de la tribune parlementaire, notamment dans les pays avancés, la principale ou l’une des principales arènes des duperies financières et politique, de l’arrivisme, de l’hypocrisie, de l’oppression des travailleurs. C’est pourquoi la haine vivace nourrie à l’égard des parlements par les meilleurs représentants du prolétariat est pleinement justifiée. C’est pourquoi les Partis Communistes et tous les partis adhérents à la 3e Internationale (dans les cas surtout où ces partis n’ont pas été créés par suite d’une scission des anciens partis après une lutte longue et acharnée, mais se sont formés par l’adoption souvent nominale d’une nouvelle position par les anciens partis) doivent observer une attitude très rigoureuse à l’égard de leurs fractions parlementaires, c’est-à-dire exiger : leur subordination complète au Comité Central du Parti ; l’introduction de préférence dans leur composition d’ouvriers révolutionnaires ; l’analyse la plus attentive dans la presse du Parti et aux réunions de celui-ci, des discours des parlementaires du point de vue de leur attitude communiste ; la désignation des parlementaires pour l’action de propagande parmi les masses, l’exclusion immédiate de tous ceux qui manifesteraient une tendance vers la 2e Internationale, etc…

11. Un des obstacles les plus graves au mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes développés dérive du fait que grâce aux possessions coloniales et à la plus-value du capital financier, etc…, le capital a réussi à y créer une petite aristocratie ouvrière relativement imposante et stable. Elle bénéficie des meilleures conditions de rétribution ; elle est, par-dessus tout, pénétrée d’un esprit de corporatisme étroit, de petite bourgeoisie et de préjugés capitalistes. Elle constitue le véritable « point d’appui » social de la 2e Internationale des réformistes et des « centristes », et elle est bien près, à l’heure actuelle, d’être le point d’appui principal de la bourgeoisie. Aucune préparation, même préalable, du prolétariat au renversement de la bourgeoisie n’est possible sans une lutte directe, systématique, large, déclarée, avec cette petite minorité, qui, sans aucun doute (comme l’a pleinement prouvé l’expérience) donnera nombre des siens à la garde blanche de la bourgeoisie après la victoire du prolétariat. Tous les partis adhérant à la 3e Internationale doivent, coûte que coûte, donner corps dans la vie à ce mot d’ordre, « plus profondément dans les masses », en comprenant par masse tout l’ensemble des travailleurs et des exploités par le capital, et surtout les moins organisés et les moins éclairés, les plus opprimés et les moins accessibles à l’organisation.

Le prolétariat ne devient révolutionnaire qu’autant qu’il ne s’enferme pas dans les cadres d’un étroit corporatisme et pour autant qu’il agit dans toutes les manifestations et tous les domaines de la vie sociale, comme le chef de toute la masse laborieuse et exploitée. La réalisation de sa dictature est impossible sans préparation et sans la résolution de consentir aux pertes les plus grandes au nom de la victoire sur la bourgeoisie. Et sous ce rapport, l’expérience de la Russie a une importance pratique de principe. Le prolétariat russe n’aurait pas pu réaliser sa dictature, n’aurait pas pu conquérir la sympathie et la confiance générales de toute la masse ouvrière, s’il n’avait pas fait preuve de plus d’esprit de sacrifice et s’il n’avait pas plus profondément souffert de la faim que toutes les autres couches de cette masse, aux heures les plus difficiles des attaques, des guerres, du blocus de la bourgeoisie mondiale.

L’appui le plus complet et le plus dévoué du Parti Communiste et du prolétariat d’avant-garde est tout particulièrement nécessaire à l’égard de tout mouvement gréviste large, violent, considérable, qui est seul en état, sous l’oppression du capital, de réveiller véritablement, d’ébranler et d’organiser les masses, de leur inspirer une confiance pleine et entière en le rôle directeur du prolétariat révolutionnaire. Sans une semblable préparation, aucune dictature du prolétariat n’est possible, et les hommes capables de prendre fait et cause contre les grèves comme le font Kautsky en Allemagne et Turati en Italie, ne doivent pas être tolérés au sein des partis qui se rattachent à la 3e Internationale. Ceci concerne certainement plus encore les leaders parlementaires et trade-unionistes qui, à tout moment, trahissent les ouvriers, en leur enseignant par la grève le réformisme et non la révolution (exemples : Jouhaux en France, Gompers en Amérique, G.-H. Thomas en Angleterre).

12. Pour tous les pays, même pour les plus « libres », les plus « légaux », les plus « pacifiques » au sens de la plus faible exacerbation de la lutte de classe, le moment est venu où il est d’une nécessité absolue pour tout Parti communiste, d’unir l’action légale et illégale, l’organisation légale et l’organisation clandestine. Car dans les pays les plus cultivés et les plus libres, ceux du régime bourgeois-démocratique le plus « stable », les gouvernements, en dépit de leurs déclarations mensongères et cyniques, établissent déjà de secrètes listes noires de communistes, violent à tout instant leur propre constitution en soutenant plus ou moins secrètement les gardes-blancs et l’assassinat des communistes dans tous les pays, préparent dans l’ombre les arrestations des communistes, introduisent parmi eux des provocateurs, etc…

Il n’est que le plus réactionnaire esprit petit-bourgeois, quelle que soit la beauté des phrases « démocratiques » et pacifiques dont il se pare, qui puisse nier ce fait et la conclusion obligatoire qui en découle : la formation immédiate par tous les partis communistes légaux d’organisations clandestines en vue de l’action illégale, organisations qui seront prête pour le jour où la bourgeoisie se mettra à traquer les communistes. Une action illégale dans l’armée, dans la flotte, dans la police est de la plus haute importance ; depuis la grande guerre impérialiste tous les gouvernements du monde ont pris peur de l’armée populaire et ont eu recours à tous les procédés imaginables pour constituer spécialement des unités militaires avec des éléments spécialement triés parmi la bourgeoisie et armés des engins meurtriers les plus perfectionnés.

Il est d’autre part également nécessaire dans tous les cas, sans exception, de ne pas se borner à une action illégale, mais aussi de poursuivre l’action légale en surmontant à cet effet toutes les difficultés, en fondant des journaux légaux et des organisations légales sous les désignations les plus différentes, et le cas échéant en changeant fréquemment leurs dénominations. Ainsi agissent les partis communistes illégaux en Finlande, en Hongrie, en Allemagne et dans une certaine mesure, en Pologne, Lituanie, etc… Ainsi doivent agir les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) en Amérique, et devront agir tous les autres partis communistes légaux, au cas où il plairait aux procureurs de leur intenter des poursuites pour la seule acceptation des résolutions des Congrès de l’Internationale Communiste, etc…

L’absolue nécessité d’unir l’action légale et illégale n’est pas déterminée en principe par l’ensemble des conditions de l’époque que nous traversons, période de veille de dictature prolétarienne, mais par le besoin de montrer à la bourgeoisie qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir de domaines et de champs d’action, que n’aient pas conquis les communistes, et aussi parce qu’il existe encore partout de profondes couches du prolétariat, et dans des proportions plus vastes encore une masse laborieuse et exploitée non prolétarienne, qui font toujours confiance à la légalité bourgeoise démocratique, et qu’il est très important pour nous de dissuader.

13. L’état de la presse ouvrière dans les pays capitalistes les plus avancés montre de façon éclatante le mensonge de la liberté et de l’égalité en démocratie bourgeoise, de même que la nécessité d’unir systématiquement l’action légale et illégale. Tant dans l’Allemagne vaincue que dans l’Amérique victorieuse, toutes les forces de l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie et toute l’astuce des rois de l’or sont mises en mouvement pour dépouiller les ouvriers de leur presse : poursuites judiciaires et arrestations (ou assassinats commis par des spadassins) des rédacteurs, confiscation des envois postaux, confiscation du papier, etc… Et tout ce qui est nécessaire à un journal quotidien en fait d’information se trouve entre les mains des agences télégraphiques bourgeoises, les annonces sans lesquelles un grand journal ne peut pas couvrir ses frais sont à la « libre » disposition des capitalistes. En résumé, la bourgeoisie, par le mensonge, par la pression du capital et de l’État bourgeois dépouille le prolétariat révolutionnaire de sa presse.

Pour lutter contre cet état de choses, les Partis Communistes doivent créer un nouveau type de presse périodique destiné à la diffusion en masse parmi les ouvriers, comportant :

1° des publications légales qui apprendraient, sans se déclarer communistes et sans parler de leur dépendance du Parti, à tirer parti des moindres possibilités légales, comme les bolcheviks l’ont fait sous le tsarisme après 1905 ;

2° des tracts illégaux, ne fût-ce que d’un format minime, paraissant irrégulièrement, mais imprimés par les ouvriers dans un grand nombre de typographies (clandestinement, ou si le mouvement s’est renforcé, par la mainmise sur les typographes) donnant au prolétariat une information libre, révolutionnaire, et des mots d’ordre révolutionnaires.

Sans une bataille révolutionnaire, qui entraînera les masses, pour la liberté de la presse communiste, la préparation de la dictature du prolétariat est impossible.

3. — MODIFICATION DE LA LIGNE DE CONDUITE,
ET PARTIELLEMENT, DE LA COMPOSITION SOCIALE
DES PARTIS ADHÉRANT OU DÉSIREUX D’ADHÉRER
À L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

14. Le degré de préparation du prolétariat des pays les plus importants, au point de vue de l’économie et de la politique mondiales, à la réalisation de la dictature ouvrière se caractérise avec le plus d’objectivité et d’exactitude, par le fait que les partis les plus influents de la 2e Internationale, tels que le Parti Socialiste Français, le Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand, le Parti Ouvrier Indépendant Anglais, le Parti Socialiste Américain sont sortis de cette Internationale Jaune et ont décidé, sous condition, d’adhérer à la 3e Internationale. Il est ainsi prouvé que l’avant-garde n’est pas seule, que la majorité du prolétariat révolutionnaire a commencé, persuadée par toute la marche des événements, à passer de notre côté. L’essentiel maintenant est de savoir achever ce passage et solidement affermir par l’organisation ce qui a été obtenu, afin qu’il soit possible d’aller de l’avant sur toute la ligne sans la moindre hésitation.

15. Toute l’activité des partis précités (auxquels il faut encore ajouter le Parti Socialiste Suisse si le télégramme nous informant de sa décision d’adhésion à la 3e Internationale est exact) prouve (et n’importe quelle publication de ces partis le confirme indubitablement), qu’elle n’est pas encore communiste et va fréquemment à l’encontre des principes fondamentaux de la 3e Internationale en reconnaissant la démocratie bourgeoise au lieu de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique.

Pour ces raisons le 2e Congrès de l’Internationale Communiste déclare qu’il ne considère pas comme possible de reconnaître immédiatement ces partis ; qu’il confirme la réponse faite par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste aux indépendants allemands ; qu’il confirme son consentement d’entrer en pourparlers avec tout parti qui sortira de la 2e Internationale et qui exprimera le désir de se rapprocher de la 3e Internationale ; qu’il accorde voix consultative aux délégués de ces partis à tous ses Congrès et Conférences ; qu’il pose les conditions suivantes pour l’union complète de ces partis (et partis similaires) avec l’Internationale Communiste.

1. Publication de toutes les décisions de tous les Congrès de l’Internationale Communiste et du Comité Exécutif dans toutes les éditions périodiques du Parti ;

2. Examen de ces dernières à des réunions spéciales de toutes les organisations locales du Parti ;

3. Convocation, après cet examen, d’un Congrès spécial du Parti afin d’en exclure les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale. Ce Congrès devra être convoqué aussi vite que possible dans un délai maximum de quatre mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste ;

4. Expulsion du Parti de tous les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale ;

5. Passage de tous les organes périodiques du Parti aux mains de rédacteurs exclusivement communistes ;

6. Les partis qui voudraient adhérer maintenant à la 3e Internationale mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent préalablement veiller à ce que les deux tiers des membres de leur comité central et des institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades qui, déjà avant le 2e Congrès, s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve aussi le droit de faire des exceptions en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste mentionnés au paragraphe 7 ;

7. Les membres du Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

16. En ce qui concerne l’attitude des communistes qui forment la minorité actuelle parmi les militants responsables des Partis précités et similaires, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que par suite de l’allure rapide du développement actuel de l’esprit révolutionnaire des masses la sortie des communistes de ces Partis n’est pas désirable, aussi longtemps qu’ils auront la possibilité d’y mener une action dans le sens de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique, de critiquer les opportunistes et les centristes qui y demeurent encore.

Toutefois lorsque l’aile gauche d’un parti centriste aura acquis une force suffisante elle pourra, si elle le juge utile au développement du communisme, quitter le Parti en bloc et former un parti communiste.

En même temps le 2e Congrès de la 3e Internationale approuve également l’adhésion des groupes et organisations communistes ou sympathisant au communisme au Labour Party anglais, bien que ce dernier ne soit pas encore sorti de la 2e Internationale. Aussi longtemps que ce Parti laissera à ses organisations leur liberté actuelle de critique, d’action, de propagande, d’agitation et d’organisation pour la dictature du prolétariat et pour le pouvoir soviétique, aussi longtemps qu’il conservera son caractère d’union de toutes les organisations syndicales de la classe ouvrière, les communistes doivent faire toutes les tentatives et aller jusqu’à certains compromis afin d’avoir la possibilité d’exercer une influence sur les grandes masses des travailleurs, de dénoncer leurs chefs opportunistes du haut des tribunes en vue des masses, de hâter le passage du pouvoir politique des mains des représentants directs de la bourgeoisie aux mains des lieutenants ouvriers de la classe ouvrière pour délivrer au plus tôt les masses des dernières illusions a ce sujet.

17. En ce qui concerne le Parti Socialiste Italien, le 2e Congrès de la 3e Internationale, reconnaissant que la révision du programme voté l’année dernière par ce Parti dans son Congrès de Bologne marque une étape très importante dans sa transformation vers le communisme, et que les propositions présentées par la Section de Turin au conseil général du Parti publiées dans le journal l’Ordine Nuovo du 8 mai 1920 correspondent à tous les principes fondamentaux de la 3e Internationale, prie le Parti Socialiste Italien d’examiner, dans le prochain Congrès qui doit être convoqué en vertu des statuts du Parti et des dispositions générales sur l’admission à la 3e Internationale, les susdites propositions et toutes les décisions des deux Congrès de l’Internationale Communiste, particulièrement au sujet de la fraction parlementaire, des Syndicats et des éléments non communistes du Parti.

18. Le 2e Congrès de la 3e Internationale considère comme inadéquates les conceptions sur les rapports du Parti avec la classe ouvrière et avec la masse, sur la participation facultative des Partis Communistes à l’action parlementaire et à l’action des syndicats réactionnaires, qui ont été amplement réfutées dans les résolutions spéciales du présent Congrès, après avoir été surtout défendues par « le Parti Ouvrier Communiste Allemand », et quelque peu par le « Parti Communiste Suisse », par l’organe du bureau viennois de l’Internationale Communiste pour l’Europe Orientale, Kommunismus, par quelques camarades hollandais, par certaines organisations communistes d’Angleterre (dont la « Fédération Ouvrière Socialiste »), etc…, ainsi que par les « I.W.W. » d’Amérique et par les « Shop Stewards Committees » d’Angleterre, etc…, etc…

Néanmoins le 2e Congrès de la 3e Internationale croit possible et désirable la réunion à la 3e Internationale de celles de ces organisations qui n’y ont pas encore officiellement adhéré, car dans le cas présent, et surtout à l’égard des « Shop Stewards Committees » anglais, nous nous trouvons en présence d’un profond mouvement prolétarien, qui se tient en fait sur le terrain des principes fondamentaux de l’Internationale Communiste. Dans de telles organisations, les conceptions erronées sur la participation à l’action des Parlements bourgeois s’expliquent moins par le rôle des éléments issus de la bourgeoisie qui apportent leurs conceptions, d’un esprit au fond petit-bourgeois, telles que le sont souvent celles des anarchistes, que par l’inexpérience politique des prolétaires vraiment révolutionnaires et liés avec la masse.

Le 2e Congrès de la 3e Internationale prie pour ces raisons toutes les organisations et tous les groupes communistes des pays anglo-saxons de poursuivre même au cas où les « I.W.W. » et les « Shop Stewards Committees » ne se rattacheraient pas immédiatement à la 3e Internationale, une politique de relations plus amicales avec ces organisations, de rapprochement avec elles et avec les masses qui sympathisent avec elles, en leur faisant comprendre amicalement du point de vue de l’expérience de toutes les révolutions russes du xxe siècle, le caractère erroné de leurs conceptions, et en réitérant les tentatives de fusion avec ces organisations dans un Parti Communiste unique.

19. Le Congrès attire l’attention de tous les camarades, surtout des pays romans et anglo-saxons, sur ce fait : depuis la guerre une profonde division d’idées se produit parmi les anarchistes du monde entier au sujet de l’attitude à observer vis-à-vis de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique. Dans ces conditions, parmi les éléments prolétariens qui on souvent été poussés à l’anarchisme par la haine pleinement justifiée de l’opportunisme et du réformisme de la 2e Internationale, on observe une compréhension particulièrement exacte de ces principes, et qui ne fait que s’étendre davantage au fur et à mesure que l’expérience de la Russie, de la Finlande, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Pologne et de l’Allemagne est mieux connue.

Pour ces raisons le Congrès croit du devoir de tous les camarades de soutenir par tous les moyens le passage de tous les éléments prolétariens de masses de l’anarchisme à la 3e Internationale.

Le Congrès considère que le succès de l’action des Partis vraiment communistes doit être apprécié entre autres, dans la mesure où ils auront réussi à attirer à eux tous les éléments vraiment prolétariens de l’anarchisme.

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de l’Internationale communiste

Conditions d’admission des partis dans l’Internationale Communiste décidées au second congrès

Le premier Congrès constituant de l’Internationale Communiste n’a pas élaboré les conditions précises de l’admission des Partis dans la 3e Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n’y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

Le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la 2e Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l’Internationale Communiste s’adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La 2e Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s’efforcent de s’appuyer sur l’Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la 3e Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la 2e Internationale.

En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la 2e Internationale.

Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

C’est pourquoi le 2e Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

Le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que les conditions d’admission dans l’Internationale sont les suivantes :

1. La propagande et l’agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la 3e Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d’une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d’éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l’autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la 3e Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

2. Toute organisation désireuse d’adhérer à l’Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, — sans craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

3. Dans presque tous les pays de l’Europe et de l’Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l’organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège ou de lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l’action légale et de l’action illégale est indubitablement nécessaire.

4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l’affiliation à la 3e internationale.

5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n’est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n’a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L’action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l’accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c’est renoncer à la révolution prolétarienne.

6. Tout Parti désireux d’appartenir à la 3e Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s’agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l’humanité des guerres impérialistes.

7. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d’une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L’action communiste conséquente n’est possible qu’à ce prix.

L’Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L’Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, MacDonald et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la 3e Internationale, et qu’ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la 3e Internationale à la 2e.

8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

9. Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti.

10. Tout Parti appartenant à l’Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l’« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l’idée de la nécessité de la rupture avec l’Internationale Jaune d’Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l’union internationale des syndicats rouges adhérant à l’Internationale Communiste.

11. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d’en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d’exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l’agitation.

12. Les Partis appartenant à l’Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d’en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

14. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

15. Les Partis qui conservent jusqu’à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l’Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale Communiste.

16. Toutes les décisions des Congrès de l’Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l’Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l’Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l’Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d’adhérer à l’Internationale Communiste doit s’intituler Parti Communiste de… (section de la 3e Internationale Communiste). Cette question d’appellation n’est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L’Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d’imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

19. Tous les Partis appartenant à l’Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2e Congrès de l’Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la 3e Internationale, mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2e Congrès s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

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Statuts de l’Internationale Communiste au second congrès de l’Internationale communiste

En 1864, fut fondée, à Londres, la première Association Internationale des Travailleurs : la Première Internationale. Les statuts de cette Association portaient :

Considérant :

Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être obtenue par la classe ouvrière seule ;

Que la lutte pour cette émancipation ne signifie aucunement une lutte pour la création de nouveaux privilèges de classe et de monopoles, mais pour l’établissement de l’égalité des droits et des devoirs et pour la suppression de toute domination de classe ;

Que la soumission économique de l’homme au travail sous le régime des possesseurs des moyens de production (c’est-à-dire de toutes les sources de la vie) et l’esclavage sous toutes ses formes, sont les causes principales de la misère sociale, de la dégradation morale et de la dépendance politique ;

Que l’émancipation économique de la classe ouvrière est partout le but essentiel auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;

Que tous les efforts en vue d’atteindre ce grand but ont échoué par suite de manque de solidarité entre les travailleurs des différentes branches du travail dans chaque pays et d’alliance fraternelle entre les travailleurs des pays différents ;

Que l’émancipation n’est point un problème local ou national, mais un problème social embrassant tous les pays où le régime social moderne existe, et dont la solution dépend de la collaboration théorique et pratique des pays les plus avancés ; que la rénovation actuelle simultanée du mouvement ouvrier dans les pays industriels de l’Europe éveille en nous d’un côté de nouveaux espoirs, mais de l’autre, nous donne un avertissement solennel de ne pas retomber dans les anciennes erreurs, et nous appelle à la coordination immédiate du mouvement qui jusqu’à présent n’avait point de cohérence. »

La 2e Internationale, fondée en 1889, à Paris, s’était engagée à continuer l’œuvre de la Première Internationale. Mais en 1914, au début de la guerre mondiale, elle a subi un krach complet. La 2e Internationale a péri, minée par l’opportunisme et terrassée par la trahison de ses chefs, passés dans le camp de la bourgeoisie.

La 3e Internationale Communiste, fondée en mars 1919, dans la capitale de la République Socialiste Fédérative des Soviets, à Moscou, a déclaré solennellement à la face du monde qu’elle se chargeait de poursuivre et d’achever la grande œuvre entreprise par la Première Internationale des Travailleurs.

La 3e Internationale Communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-1918, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies.

Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale Communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable !

L’Internationale Communiste se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république internationale des soviets, première étape dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental. L’Internationale Communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme. Et l’Internationale Communiste considère le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature du prolétariat qu’impose l’histoire.

La guerre impérialiste a créé un lien particulièrement étroit entre les destinées des travailleurs d’un pays et celles du prolétariat de tous les autres pays.

La guerre impérialiste a confirmé une fois de plus la véracité de ce qu’on pouvait lire dans les statuts de la Première Internationale : l’émancipation des travailleurs n’est pas une tâche locale, ni nationale, mais bien une tâche sociale et internationale.

L’Internationale Communiste rompt pour tout jamais avec la tradition de la 2e Internationale pour laquelle n’existaient en fait que les peuples de race blanche. L’Internationale Communiste fraternise avec les hommes de race blanche, jaune, noire, les travailleurs de toute la terre.

L’Internationale Communiste soutient, intégralement et sans réserves, les conquêtes de la grande révolution prolétarienne en Russie, de la première révolution socialiste, dans l’histoire, qui ait été victorieuse et invite les prolétaires du monde à marcher dans la même voie. L’Internationale Communiste s’engage à soutenir par tous les moyens qui seront en son pouvoir toute république socialiste qui serait créée en quelque lieu que ce soit.

L’Internationale Communiste n’ignore pas que, pour hâter la victoire, l’Association Internationale des Travailleurs, qui combat pour l’abolition du capitalisme et l’instauration du communisme, doit avoir une organisation fortement centralisée. Le mécanisme organisé de l’Internationale Communiste doit assurer aux travailleurs de chaque pays la possibilité de recevoir, à tout moment, de la part des travailleurs organisés des autres pays, tout le secours possible.

Tout cela considéré, l’Internationale Communiste adopte les statuts que voici :

Art. 1. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs est fondée dans le but d’organiser une action d’ensemble du prolétariat des différents pays, tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l’établissement de la dictature du prolétariat et d’une république internationale des soviets qui permettront d’abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme, premier degré de la société communiste.

Art. 2. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs adopte le titre d’Internationale Communiste.

Art. 3. — Tout les partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste portent le nom de Parti Communiste de tel ou tel pays (section de l’Internationale Communiste).

Art. 4. — L’instance suprême de l’Internationale Communiste n’est autre que le Congrès mondial de tous les partis et organisations qui y sont affiliés. Le Congrès mondial sanctionne les programmes des différents partis qui adhèrent à l’Internationale Communiste. Il examine et résout les questions essentielles de programme et de tactique ayant trait à l’activité de l’Internationale Communiste. Le nombre de voix délibératives qui, dans le Congrès mondial, appartiendront à chaque parti ou organisation, sera fixé par une décision spéciale du Congrès ; il est, en outre, indispensable de s’efforcer de fixer, le plus tôt possible, les normes de représentation, en se basant sur le nombre effectif des membres de chaque organisation, et en tenant compte de l’influence réelle du Parti.

Art. 5. — Le Congrès international élit un Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, qui devient l’instance suprême de l’Internationale Communiste durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.

Art. 6. — Le siège du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est désigné, à chaque nouvelle session, par le Congrès mondial.

Art. 7. — Un Congrès mondial extraordinaire de l’Internationale Communiste peut être convoqué soit par décision du Comité Exécutif soit sur la demande de la moitié du nombre total des Partis affiliés lors du dernier Congrès mondial.

Art. 8. — Le travail principal et la grande responsabilité, au sein du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste incombent principalement au Parti Communiste du pays où le Congrès mondial a fixé le siège du Comité Exécutif. Le Parti Communiste de ce pays fait entrer dans le Comité Exécutif au moins cinq représentants ayant voix délibérative. Outre cela, chacun des 12 partis communistes les plus importants fait entrer dans le Comité Exécutif un représentant, avec voix délibérative. La liste de ces partis est sanctionnée par le Congrès mondial. Les autres partis ou organisations ont le droit de déléguer auprès du Comité des représentants (à raison d’un par organisation) avec voix consultative.

Art. 9. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste dirige dans l’intervalle qui sépare les sessions des Congrès, tous les travaux de l’Internationale Communiste, publie, en quatre langues au moins, un organe central (la revue : l’Internationale Communiste),publie les manifestes qu’il juge indispensables au nom de l’Internationale Communiste et donne à tous les Partis et organisations affiliés des instructions qui ont force de loi. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit d’exiger des Partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne ; il peut exiger l’exclusion des Partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial. Ces Partis ont le droit d’en appeler au Congrès mondial. En cas de nécessité le Comité Exécutif organise, dans différents pays, des bureaux auxiliaires techniques et autres qui lui sont entièrement subordonnés.

Art. 10. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit de coopter, en leur accordant voix consultative, les représentants des organisations et des Partis non admis dans l’Internationale Communiste, mais sympathisant avec le communisme.

Art. 11. — Les organes de la presse de tous les Partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste, ou sympathisant avec elle, doivent publier tous les documents officiels de l’Internationale Communiste et de son Comité Exécutif.

Art. 12. — La situation générale en Europe et en Amérique impose aux communistes l’obligation de créer, parallèlement à leurs organisations légales, des organisations secrètes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le devoir de veiller à l’observation de cet article des Statuts.

Art. 13. — Il est de règle que toutes les relations politiques présentant une certaine importance entre les différents Partis affiliés à l’Internationale Communiste aient pour intermédiaire le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. En cas de nécessité urgente, ces relations peuvent être directes à la condition que le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste en soit informé.

Art. 14. — Les Syndicats qui se placent sur le terrain du communisme et qui forment des groupes internationaux sous le contrôle du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, constituent une section syndicale de l’Internationale Communiste. Les Syndicats communistes envoient leurs représentants au Congrès mondial de l’Internationale Communiste, par l’intermédiaire du Parti Communiste de leur pays. La section syndicale de l’Internationale Communiste délègue un de ses membres auprès du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif a le droit de déléguer, auprès de la section syndicale de l’Internationale Communiste, un représentant qui a voix délibérative.

Art. 15. — L’Union Internationale de la Jeunesse Communiste est subordonnée à l’Internationale Communiste et à son Comité Exécutif. Elle délègue un représentant de son Comité Exécutif au Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a la faculté de déléguer auprès du Comité Exécutif de l’Union de la Jeunesse, un représentant, qui a voix délibérative. Les rapports mutuels qui existent entre l’Union de la Jeunesse et le Parti Communiste, en tant qu’organisations, dans chaque pays, sont basés sur le même principe.

Art. 16. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste sanctionne la nomination d’un secrétaire du mouvement féminin international et organise une section des Femmes Communistes de l’Internationale.

Art. 17. — Tout membre de l’Internationale Communiste qui se rend d’un pays à un autre, y est fraternellement accueilli par les membres de la 3e Internationale.

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