Charu Mazumdar: Poursuivre la lutte contre le révisionnisme moderne (1965)

Quotidiennement, nous devrons poursuivre la lutte contre le révisionnisme, en adoptant la tactique de la prise du pouvoir à l’échelon régional. Certaines idées révisionnistes sont profondément enracinées à l’intérieur du parti. Nous devrons continuer la lutte contre celles-ci. Ici, nous examinons quelques questions.

1. La question qui a pris de l’importance aujourd’hui dans la lutte contre le révisionnisme est le soutien total donné par les dirigeants soviétiques à la classe dirigeante réactionnaire de l’Inde. Ils ont annoncé qu’ils donneront à l’Inde une aide de 6 milliards de roupies au cours du quatrième plan quinquennal.

L’idée selon laquelle l’aide soviétique renforce l’indépendance de l’Inde est extrêmement erronée. Car il n’y a aucune analyse de classe derrière ceci. Nous devrons placer clairement devant le peuple nos opinions contre ce soutien.

Alors que le gouvernement de l’Inde suit la voie de la coopération avec l’impérialisme et le féodalisme, si un soutien lui est apporté, c’est la classe réactionnaire qui est consolidée. Par conséquent, l’aide soviétique ne renforce pas le mouvement démocratique de l’Inde, mais elle augmente la puissance des forces réactionnaires en coopération avec l’impérialisme dirigé par les Etats-Unis et avec les Soviétiques.

C’est la coopération américano-soviétique de révisionnisme moderne que nous observons en Inde − une association démoniaque contre les luttes de libération populaires à l’avenir. D’après notre expérience en Inde, nous voyons que la dominance des gros monopolistes existe sur la production des grosses industries qui se sont agrandies dans le secteur public avec l’aide soviétique.

Donc, l’état ne sera pas en mesure de maîtriser le pouvoir des patrons monopolistes par l’intermédiaire des industries du secteur public.

Ce sont les patrons monopolistes qui dominent la production des industries du secteur public. Notre expérience est la même dans les deux cas de l’acier et du pétrole.

2. La question qui est devenue importante pour nous aujourd’hui est le nationalisme bourgeois. Ce nationalisme est extrêmement borné et c’est le nationalisme borné qui est aujourd’hui l’arme la plus importante de la classe dirigeante. Elle ne se sert pas seulement de cette arme dans le cas de la Chine, mais également sur n’importe quelle question telle que le Pakistan, etc. En évoquant le slogan de l’unité nationale et d’autres slogans, elle veut préserver l’exploitation du capital monopoliste.

Nous ne devons pas oublier que le sentiment d’unité de l’Inde est survenu en conséquence du mouvement anti-impérialiste.

Alors que le gouvernement indien continue à se compromettre avec l’impérialisme, ce sentiment d’unité est frappé à la racine. Il n’y a qu’un seul but à l’origine du slogan d’unité donné par la classe dirigeante actuelle et c’est l’unité pour l’exploitation par le capital monopoliste.

Donc, ce slogan d’unité est réactionnaire et les marxistes doivent s’opposer à ce slogan. Le slogan – « Le Cachemire est une partie inaliénable de l’Inde » − est donné par la classe dirigeante dans l’intérêt du pillage. Aucun marxiste ne peut soutenir ce slogan.

C’est un devoir fondamental des marxistes d’accepter le droit à l’autodétermination de chaque nationalité. Sur les questions du Cachemire, des Nagas, … il faut que les marxistes manifestent leur soutien en faveur des combattants.

La conscience d’une nouvelle unité viendra au cours de la lutte même contre ce gouvernement indien de l’impérialisme, du féodalisme et des gros monopolistes, et c’est dans l’intérêt de la révolution qu’il sera alors nécessaire de garder l’Inde unie. Cette unité sera une unité solide.

C’est à partir de cette conscience de nationalité qu’il y a eu des luttes en Asie du Sud contre l’imposition du hindi et que 60 personnes ont perdu la vie au cours de cette année 1965. Donc si l’importance de cette lutte est dépréciée, la classe ouvrière s’isolera des luttes des larges masses. C’est dans l’intérêt de la classe ouvrière qu’il faut soutenir les efforts pour le développement de ces nationalités.

3. « Instaurer l’analyse de classe dans le mouvement des paysans ». Au stade actuel de la révolution, la paysannerie tout entière est l’alliée de la classe ouvrière, et cette paysannerie est la plus grande force de la révolution démocratique populaire de l’Inde. C’est en gardant ceci à l’esprit que nous devrons aller de l’avant dans le mouvement de la paysannerie.

Mais tous les paysans n’appartiennent pas à la même classe. Il y a principalement quatre classes parmi les paysans − riche, moyen, pauvre, sans terre − et il y a la classe des artisans ruraux.

Il y a des différences dans leur conscience révolutionnaire et dans leur capacité à travailler selon les circonstances. Par conséquent, les marxistes doivent toujours essayer d’asseoir le leadership des paysans pauvres et sans terre sur tout le mouvement paysan. On fait souvent l’erreur, en analysant la classe des paysans, de la déterminer sur base des titres de propriété de terres. C’est une erreur dangereuse.

Elle doit être analysée sur base de leur salaire et de leur niveau de vie. Le mouvement paysan deviendra militant dans la mesure où nous établirons le leadership des paysans pauvres et sans terre sur le mouvement paysan tout entier. Il ne faut pas oublier que quelle que soit la tactique de combat acceptée sur base du soutien de la large paysannerie, cela ne peut jamais, dans aucune mesure, être de l’aventurisme.

Il faut se rappeler que toutes ces années, nous basant sur le soutien au non-paysans, nous avons recherché le caractère étriqué du mouvement paysan, et que chaque fois que se produisait une répression, nous pensions qu’il devait y avoir eu de l’aventurisme. Il ne faut pas oublier qu’aucun mouvement des paysans basé sur des revendications fondamentales ne suivra une voie pacifique.

Pour une analyse de classe de l’organisation paysanne et pour asseoir le leadership des paysans pauvres et sans terre, il faut dire en termes clairs aux paysans qu’aucun de leur problème fondamental ne peut être résolu à l’aide de quelque loi de ce gouvernement réactionnaire.

Mais ceci ne signifie pas que nous ne devons profiter d’aucun mouvement légal. Le travail des associations paysannes publiques sera principalement d’organiser des mouvements pour obtenir des avantages juridiques et pour des changements légaux.

Donc parmi les masses paysannes, la tâche principale et la plus urgente sera de créer des groupes du parti et d’expliquer le programme de la révolution agraire et la tactique de la prise du pouvoir à l’échelon régional. Par l’intermédiaire de ce programme, les paysans pauvres et sans terre seront placés à la direction du mouvement paysan.

4. A partir de 1959, le gouvernement a de plus en plus souvent déclenché de violents attaques contre chaque mouvement démocratique d’Inde. Nous n’avons dirigé aucun mouvement de résistance active contre ces violentes attaques.

Nous avons lancé un appel à la résistance passive face à ces attaques, tel, entre autre exemple, le cortège funèbre après le mouvement pour la nourriture. Nous devons nous souvenir des enseignements de Mao Zedong – « Une simple résistance passive contre la répression creuse un fossé dans l’unité combattante des masses et conduit invariablement vers la voie de la capitulation ».

Par conséquent, à l’époque actuelle, au cours de tout mouvement de masse, un mouvement de résistance active devra être organisé. Le programme de résistance active est devenu une absolue nécessité avant tout mouvement de masse.

Organiser un mouvement de masse aujourd’hui sans ce programme signifie plonger les masses dans le découragement. Par suite de la résistance passive de 1959, il ne fut possible d’organiser aucun rassemblement de masse pour exiger de la nourriture à Calcutta dans les années 1960-61. Cette organisation de résistance active suscitera une nouvelle confiance dans les esprits des masses et la vague de lutte s’élèvera.

Que voulons-nous dire par résistance active ? Premièrement, sauvegarde des cadres. Pour cette sauvegarde des cadres, des abris et un système de communication convenables sont nécessaires.

Deuxièmement, apprendre au peuple les techniques de résistance, comme s’allonger devant les tirs, ou se servir de barrière robuste, former des barricades, etc. Troisièmement, des efforts pour venger chaque attaque avec l’aide de groupes de cadres actifs, qui ont été décrits par le camarade Mao Zedong comme « la lutte de représailles ».

Dans un premier temps, en proportion de leurs attaques, nous ne serons capables de venger que quelques attaques. Mais si même un petit succès est obtenu dans un cas, la large propagande créera un nouvel enthousiasme parmi les masses. Ces luttes de résistance active sont possibles dans les villes et dans les campagnes, partout. Cette vérité fut vérifiée dans le mouvement de résistance noire en Amérique.

5. Il n’y a pas d’idée précise dans le parti au sujet de l’organisation clandestine. Une organisation secrète ne se forme pas simplement si quelques dirigeants restent dans la clandestinité. Au contraire, ces mêmes dirigeants font face au danger de se faire isoler des rangs du parti.

Si les dirigeants du parti entrent dans la clandestinité et travaillent comme des dirigeants d’organisations publiques de masse, ils se feront invariablement arrêter. Donc la direction clandestine devra aller de l’avant dans le travail de construction d’un parti secret.

Ce n’est donc pas un fait que la tâche de former un parti secret soit uniquement celle des dirigeants clandestins ; il faut que chaque membre du parti travaille pour l’organisation secrète et c’est grâce à ces nouveaux cadres du parti que les relations du parti avec les masses se noueront.

Alors seulement les dirigeants clandestins seront en mesure de travailler en tant que dirigeants. Par conséquent, à l’époque actuelle, l’appel principal auquel le parti fait face est − chaque membre du parti devra créer un Groupe Militant du parti.

Ces Groupes Militants devront être enthousiasmés par la politique révolutionnaire. Cette tâche consistant à créer des Groupes Militants sera la tâche principale pour tous les membres du parti de tous les fronts. La rapidité avec laquelle nous pourrons élever ces militants en membres du parti dépendra du nombre de nouveaux militants que ces militants seront capables de rassembler.

Ce n’est qu’alors que nous pourrons avoir un grand nombre de cadres du parti inconnus de la police et que toutes les difficultés des dirigeants clandestins à entretenir des liens avec les rangs du parti disparaîtront.

Certaines idées révisionnistes chez nous, concernant des questions politiques et organisationnelles, les organisations de masse, etc ont été indiquées ici. Aujourd’hui, les membres du parti devront repenser chaque mouvement de masse.

Le révisionnisme a bâti son nid dans le style de notre mouvement, dans notre pensée organisationnelle, en d’autres termes, dans presque toutes les sphères de nos vies. Tant que nous ne serons pas capables de le déraciner, on ne pourra pas construire le nouveau parti révolutionnaire, les perspectives révolutionnaires de l’Inde seront entravées. L’histoire ne nous pardonnera pas.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le véritable Parti révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme (1965)

Décembre 1965

Après une longue incarcération, les dirigeants du parti ont, après le congrès du parti, pour la première fois, eu une session du comité central au complet. La direction centrale du parti qui avait été formée par l’intermédiaire des luttes contre le révisionnisme, a adopté une résolution idéologique et a déclaré sans ménagement que toutes les critiques énoncées contre le gouvernement indien par le grand parti chinois étaient erronées.

En même temps, elle a affirmé dans la résolution que la critique des dirigeants révisionnistes soviétiques ne devait pas être rendue publique maintenant, car sinon la confiance du peuple dans le socialisme s’affaiblirait. C’est-à-dire que le masque de la tentative effectuée par la direction révisionniste soviétique en collaboration avec l’impérialisme américain pour mettre en place l’hégémonie mondiale ne doit pas être ôté.

Le dirigeant de la grande révolution chinoise, le Parti Communiste de Chine, et son leader le camarade Mao Zedong sont aujourd’hui à la tête du prolétariat et des luttes révolutionnaires du monde.

Après Lénine, le camarade Mao Zedong a aujourd’hui pris la position de Lénine. Donc, la lutte contre le révisionnisme ne peut pas être mise en œuvre en s’opposant au parti chinois et au camarade Mao Zedong. La pureté du marxisme-léninisme ne peut pas être conservée.

En s’opposant au Parti chinois, les dirigeants du Parti indien ont abandonné la voie révolutionnaire du marxisme-léninisme. Ils essayent de faire passer le révisionnisme en le glissant dans une nouvelle bouteille. Donc, il faut que les membres du parti comprennent clairement aujourd’hui que dans la lutte contre le révisionnisme, ces dirigeants du parti ne sont pas du tout nos compagnons d’armes, pas même des associés.

Les dirigeants révisionnistes soviétiques, en collaboration avec l’impérialisme américain, essayent aujourd’hui d’obtenir l’hégémonie mondiale. Ils agissent aujourd’hui comme des ennemis de tous les mouvements de libération nationale. Ils tentent d’instaurer le leadership révisionniste en divisant les partis révolutionnaires et jouent sans vergogne les agents de l’impérialisme américain.

Ils sont aujourd’hui les ennemis des luttes de libération populaires dans tous les pays, les ennemis des luttes révolutionnaires, les ennemis de la Chine révolutionnaire, même les ennemis du peuple soviétique.

Par conséquent, on ne peut mener aucune lutte contre l’impérialisme américain sans conduire une lutte ouverte contre cette direction révisionniste soviétique. Il est impossible de diriger la lutte anti-impérialiste si on ne se rend pas compte que les dirigeants révisionnistes soviétiques ne sont pas des partenaires dans la lutte anti-impérialiste.

La direction du parti, loin de suivre cette voie, essaye plutôt de convaincre la population par l’intermédiaire de divers écrits que les dirigeants soviétiques, malgré quelques erreurs, s’opposent fondamentalement à la politique du gouvernement indien et avancent toujours le long du chemin du socialisme.

C’est-à-dire qu’elle tente de dissimuler de manière rusée le fait que les dirigeants soviétiques soient en train de progressivement transformer l’état socialiste soviétique en un état capitaliste et que la collaboration américano-soviétique elle-même en est la raison.

Par conséquent, dans l’analyse politique et organisationnelle de l’Inde au cours des deux dernières années, il n’est fait aucune mention de l’ingérence impérialiste, notamment de l’ingérence impérialiste américaine, bien que de Johnson à Humphrey, tous les représentants de l’impérialisme américain ont à plusieurs reprises déclaré qu’ils se serviront de l’Inde comme base contre la Chine.

Une question si importante n’a pas du tout été portée à la connaissance du Comité central. Donc, dans la résolution politique et organisationnelle, aucun conseil de prudence n’a été prononcé pour les membres du parti vis à vis de la contre-offensive impérialiste.

Au contraire, après avoir lu la résolution toute entière, il apparait qu’il n’y a eu aucun changement particulier dans la situation ; que dans certains cas, les rigueurs se sont développées et qu’elles peuvent être combattues grâce à des mouvements ordinaires. La direction du parti reste absolument muette au sujet de la nouvelle particularité dans les luttes au cours de ces deux dernières années − la manifestation d’une violence révolutionnaire contre la violence contre-révolutionnaire − cette nouvelle tendance émergente des mouvements de masse.

Elle a posé les questions du mouvement de masse d’une telle manière que la simple conclusion qui en découle est que notre but principal au cours des prochaines élections sera de constituer un gouvernement démocratique non-congressiste. Dans aucune partie de leur résolution il n’était mentionné que ces élections étaient organisées pour cacher l’exploitation et la gestion indirecte de l’impérialisme.

Par l’intermédiaire de ces élections, le gouvernement réactionnaire de l’Inde souhaite propager l’illusion constitutionnelle et derrière cela, veut selon des consignes impérialistes, édifier notre pays en tant que base contre-révolutionnaire en Asie du Sud-est et veut endiguer la résistance de la population par de violentes attaques contre les sections révolutionnaires des masses.

L’expérience en Indonésie nous a appris combien l’impérialisme mourant peut devenir violent aujourd’hui. C’était à la direction du parti de préparer les membres du parti à faire face à cette situation et de soutenir clairement que la seule solution est la violence révolutionnaire et d’organiser le parti tout entier sur cette base.

Les dirigeants du parti indien n’ont non seulement pas fait ce travail, mais ils ont également rendu illégale toute discussion au sujet de la résistance révolutionnaire à l’intérieur du parti.

La direction du parti soulève la clameur du révisionnisme chaque fois qu’elle entend parler de « résistance révolutionnaire » ou de « lutte armée ».

Mais en même temps, elle utilise sans discernement les mots « dispersion des stocks », « gherao » [harcèlement qui consiste à encercler une personne ou un groupe afin de les contraindre à répondre aux revendications, ndlr], « grève continue », etc.

Mais quand il y a des discussions concernant la résistance à la répression qui résulte invariablement de ces tactiques de lutte, elle les considère comme de l’aventurisme.

Le slogan de « grève continue dans tout l’état » n’est rien d’autre qu’un slogan ultra-gauchiste de type petit-bourgeois. D’une part ce slogan ultra-gauchiste et d’autre part, pour ce qui concerne la question politique, un désir désespéré de forger un accord dans le domaine électoral, ce qui signifie servir d’appendice à la bourgeoisie.

Par conséquent, ces dirigeants de parti se refusent à assumer la responsabilité de la révolution démocratique de l’Inde et des suites de cela, ils ont recours à l’astucieuse tactique du révisionnisme moderne, c’est-à-dire la voie selon laquelle ils sont révolutionnaires dans les mots et un appendice de la bourgeoisie dans les faits.

Donc, le parti révolutionnaire ne peut naître que par la destruction du système du parti actuel et de sa structure « démocratique ». Donc rester fidèle à la prétendue « forme » ou « structure constitutionnelle » de ce parti signifie rendre les marxistes-léninistes inefficaces et collaborer avec les dirigeants révisionnistes.

Par conséquent, depuis les dirigeants du parti jusqu’aux travailleurs ordinaires, tous ceux qui croient au marxisme-léninisme doivent se présenter devant les membres du parti avec les opinions révolutionnaires du marxisme-léninisme.

Alors seulement, nous pourrons commencer à travailler à la construction du parti révolutionnaire. Le gouvernement indien a été contraint de battre en retraite face à l’explosion massive dans toute l’Inde. L’ampleur du mouvement démocratique a en conséquence augmenté dans la période précédant les élections. Au cours de cette période, le gouvernement organise les forces contre-révolutionnaires.

Les forces révolutionnaires devront également profiter pleinement de cette atmosphère en apparence démocratique.

Les tactiques de combat adoptées par les masses au cours des récents mouvements de masse n’étaient que des luttes « de partisans » d’un stade primaire. Donc les forces révolutionnaires doivent diriger ces luttes « de partisans » de manière organisée et avant que ne commence la massive offensive contre-révolutionnaire, les membres du parti doivent être bien formés à la tactique de ces luttes grâce aux théories et à l’application concrète.

Le sens des Groupes Militants du Parti est aujourd’hui qu’ils seront des « unités de combat ». Leur responsabilité principale sera de mener une campagne de propagande politique et de frapper les forces contre-révolutionnaires. Il faut que nous gardions toujours à l’esprit l’enseignement de Mao Zedong – « Les attaques ne se font pas simplement pour le plaisir d’attaquer, les attaques visent à liquider ».

Ceux qui devraient être attaqués sont principalement : (1) les représentants de l’appareil étatique comme les policiers, les officiers, les militaires ; (2) la bureaucratie détestée ; (3) les ennemis de classe. Le but de ces attaques doit également être la collecte d’armes. A l’heure actuelle, ces attaques peuvent être déclenchées partout, dans les villes et à la campagne. Il faut que nous prêtions une attention toute particulière aux régions paysannes.

Dans la période post-électorale, lorsque l’offensive contre-révolutionnaire prendra un caractère massif, notre base principale devra être établie dans les régions paysannes.

Nous devons donc clairement présenter immédiatement devant notre organisation ce point de vue selon lequel, grâce au développement du sens de la responsabilité de la classe ouvrière et des cadres petits-bourgeois révolutionnaires, ils devront directement aller dans les villages. Par conséquent, avec l’accroissement du sens de la responsabilité parmi la classe ouvrière et les cadres petits-bourgeois, ils devront être envoyés dans les villages.

Dans la période d’offensive contre-révolutionnaire, notre principale tactique de lutte sera celle de la grande Chine, la tactique d’encerclement des villes par les campagnes. La vitesse à laquelle nous pourrons réduire l’offensive contre-révolutionnaire au silence dépend de la rapidité avec laquelle nous pourrons développer les forces armées populaires.

Il est vrai qu’au début, nous pourrons obtenir certains résultats, mais devant l’offensive contre-révolutionnaire massive, nous devons user de représailles dans le seul intérêt de l’auto-préservation.

A travers cette interminable et difficile lutte, l’Armée Révolutionnaire du Peuple se développera − l’armée motivée par une conscience politique, et rendue robuste grâce aux mouvements de campagne politique et aux rencontres. Sans ce type d’armée, il n’est pas possible de faire de cette révolution un succès, il n’est pas possible de protéger les intérêts des masses.

Camarades, plutôt que de courir derrière les mouvements spontanés, des luttes de partisans devront aujourd’hui être développées de manière organisée. Il ne reste même pas six mois. Si nous ne pouvons pas déclencher cette lutte dans ce délai, nous devrons affronter la difficile tâche de nous organiser face aux attaques impérialistes.

Parti Communiste d’Inde − Centre Maoïste

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Charu Mazumdar: Faire de la révolution démocratique populaire un succès en luttant contre le révisionnisme (1965)

Étant donné que les opinions révisionnistes étaient nichées dans le parti depuis longtemps, nous n’avons pas pu bâtir un parti révolutionnaire correct. Notre tâche principale aujourd’hui est de créer un parti révolutionnaire correct luttant résolument contre ces opinions révisionnistes.

1) Parmi les opinions révisionnistes, la première est de considérer les « Krishak Sabha » (organisation de paysans) et les syndicats comme l’unique activité du parti. Les camarades du parti confondent souvent le travail de l’organisation de paysans et des syndicats avec le travail politique du parti. Ils ne se rendent pas compte que les tâches politiques du parti ne peuvent pas être effectuées par l’intermédiaire de l’organisation de paysans et du syndicat.

Mais en même temps, il ne faut pas oublier que le syndicat et l’organisation de paysans constituent une des nombreuses armes pouvant servir notre objectif. D’autre part, considérer le travail de l’organisation de paysans et du syndicat comme le seul travail du parti ne peut que signifier de plonger le parti dans le bourbier de l’économisme.

On ne peut pas faire de la révolution prolétarienne un succès sans une lutte sans complaisance contre cet économisme. C’est la leçon que le camarade Lénine nous a donné.

2) Certains camarades pensent, et pensent toujours aujourd’hui, que notre tâche politique s’achève avec le lancement de quelques mouvements basés sur des revendications, et ils considèrent une seule victoire par l’intermédiaire de ces mouvements comme une victoire politique du parti.

Ce n’est pas tout, ces camarades cherchent à confiner la responsabilité de l’exécution des tâches politiques du parti dans les limites de ces mouvements seulement.

Mais nous, les véritables marxistes, savons qu’appliquer la responsabilité politique du parti signifie que le but ultime de toute la propagande, de tous les mouvements et de toutes les organisations du parti est d’asseoir fermement le pouvoir politique du prolétariat. Il faut toujours se rappeler que si les mots « Prise du pouvoir politique » sont oubliés, le parti ne demeure plus un parti révolutionnaire. Même s’il restera alors un parti révolutionnaire de nom, il sera en fait réduit à un parti réformiste de la bourgeoisie.

Lorsqu’ils parlent de prise du pouvoir politique, certains entendent le centre. Ils pensent qu’avec l’expansion progressive des limites du mouvement, notre unique but sera de nous emparer du pouvoir du centre. Cette pensée n’est pas seulement erronée ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste.

Au congrès du World Trade Union en 1953, l’éprouvé et bien établi dirigeant marxiste de la Chine, membre du comité central du Parti Communiste de Chine, a affirmé avec fermeté qu’à l’avenir, la tactique et la stratégie de la révolution inachevée de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique Latine suivrait les traces de la Chine. En d’autres termes, la stratégie et la tactique de ces luttes sera la prise du pouvoir à l’échelon régional.

Ce camarade et membre du comité central du parti chinois n’est pas le seul à l’avoir mentionné, mais le camarade Lénine a également mentionné la prise du pouvoir à l’échelon régional dans ses écrits. Par-dessus tout, la classe ouvrière en Russie a donné une preuve concrète de la conclusion de Lénine lorsqu’elle a gardé la ville de Kronstadt sous saisie pendant trois jours.

A l’ère du socialisme, tous les éléments de la prise du pouvoir à l’échelon régional sont présents dans notre structure.

Un exemple fervent du fait que ceci est possible est la révolte des Nagas. La condition principale de cette prise du pouvoir à l’échelon régional sont les armes dans les mains des forces révolutionnaires. Penser s’emparer du pouvoir sans armes n’est rien d’autre qu’un rêve vain.

Notre parti a une très longue histoire de luttes. Nous avons donné la direction aux mouvements des paysans et des travailleurs dans la campagne étendue du North Bengal. Naturellement, nous devrons examiner et analyser les mouvements du passé et en tirer les leçons, et nous devrons de nouveau avancer dans l’actuelle période révolutionnaire.

Analyse des événements et des expériences concrètes du mouvement de Tebhaga en 1946 et 1947

Les paysans participants à ce mouvement étaient au nombre d’environ six millions. Il ne faut pas oublier que dans le mouvement paysan tout entier, ceci fut un âge d’or. Dans l’ampleur du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans la manifestation de haine de classe, ce mouvement fut le stade le plus élevé de la lutte de classe.

Pour aider à comprendre ce stade, je cite quelques exemples inspirateurs de ce mouvement.

Un événement :

Je vivais alors dans la clandestinité dans l’intérêt du mouvement. J’ai personnellement été le témoin de la vague du mouvement révolutionnaire. J’ai vu comment un simple petit mot faisait venir en courant comme un fou un homme se trouvant à dix mille.

D’autre part, j’ai également vu, debout à côté de son mari, une jeune femme musulmane mariée soumise à l’assaut démoniaque et barbare d’un ennemi de classe. J’ai entendu la supplication désespérée de ce mari non armé – camarade, ne peux-tu pas te venger ? L’instant d’après, j’ai vu la haine intense de l’exploité contre l’exploiteur, j’ai vu le spectacle atroce du meurtre de sang-froid d’un homme vivant en lui tordant le COU.

Camarades, les incidents mentionnés ci-dessus exigent une analyse de notre part.
Premièrement, quelle était la raison historique en conséquence de laquelle la forme massive de ce mouvement à l’époque a pu créer une haine intense contre l’ennemi de classe ?

Deuxièmement, quelles furent de nouveau les causes qui ont transformé ce vaste mouvement en échec ?

D’abord, c’est le slogan de la prise du pouvoir politique qui a suscité la forme massive de ce mouvement à l’époque et qui a créé cette haine intense contre l’ennemi de classe.

D’un autre côté, c’est ce slogan qui a forcé l’ennemi à adopter ce rôle de classe. C’est l’expression de celui-ci que nous trouvons dans le viol barbare de la jeune femme paysanne et la brutale attaque violente pour écraser le mouvement. D’autre part, les paysans n’ont pas non plus hésité à attaquer l’ennemi de classe.

Ceci soulève la question. Pourquoi n’a-t-on pas pu s’emparer du pouvoir même après ceci ? Il n’a pas pu être pris pour une seule raison – c’est parce que les combattants de l’époque se tournaient vers le centre pour les armes ; nous avons alors perdu confiance en la voie indiquée par Lénine. A l’époque, nous avons hésité à accepter cette déclaration osée de Lénine de faire avancer la révolution en amassant les armes localement et en s’emparant du pouvoir à l’échelon régional.

En conséquence, les paysans non armés n’ont pas pu se mettre debout et résister face aux armes. Même ceux qui se sont battus en bravant la mort ont finalement dû battre en retraite. La leçon qui doit être tirée des erreurs de cette époque est que la responsabilité de rassembler les armes appartient à l’organisation locale, pas au centre.

Donc la question de la collecte des armes devra être présentée devant chaque Groupes Militants à partir de maintenant. « Dao », couteaux, bâtons – tous ceux-ci sont des armes, et avec leur aide au moment opportun, des armes à feu devront être saisies.

Les événements décrits ci-dessus sont des manifestations d’opinions révisionnistes sous leur aspect théorique.

Maintenant, d’un point de vue organisationnel, ces erreurs, qui furent des obstacles sur le chemin d’une direction correcte des vastes mouvements de l’époque, devront être démasquées afin qu’elles ne puissent pas de nouveau trouver un nid dans le parti révolutionnaire.

Pour détruire toutes ces erreurs dans le parti, le parti devra d’abord aujourd’hui instaurer son leadership sur les organisations de masse.

Car un examen de l’histoire du parti sur une longue période révélerait qu’en conséquence de la pensée révisionniste consistant à considérer les dirigeants des syndicats et des organisations de paysans [krishak sabha] comme les véritables représentants du peuple, le parti fut réduit à un parti de quelques individus.

En raison de cette pensée, les activités politiques du parti se sont éteintes, et le prolétariat a également commencé à être privé d’une direction révolutionnaire correcte. Tous les mouvements se sont fait enfermer à l’intérieur des chaînes des mouvements basés sur des revendications.

En conséquence, les membres du parti s’enthousiasmaient d’une simple victoire et se décourageaient d’une simple défaite. Deuxièmement, en conséquence d’une surestimation de l’importance de cette organisation, un autre genre de régionalisme est né.

Les camarades pensent que le parti subira une lourde perte si un quelconque camarade est muté de sa région, et ils considèrent ceci comme une perte pour le leadership personnel. Un autre type d’opportunisme se développe à partir de ce régionalisme.

Les camarades pensent que leur région est la plus révolutionnaire. Naturellement, rien ne devrait être fait ici de sorte qu’il y ait une persécution policière. A cause de ce point de vue, ils n’analysent pas la situation politique du pays tout entier.

Résultat : le commandisme se développe et le travail organisationnel et de propagande quotidienne souffre.

En conséquence, lorsqu’il y a un appel à la lutte, ils affirment qu’ils ne feront pas n’importe quel petit travail et s’engagent dans l’aventurisme. Naturellement, la question se pose : quelles sont les méthodes qui aident à surmonter ces déviations ? Quelles sont ces directives marxistes qui deviennent les tâches essentielles pour la création d’un parti révolutionnaire ?

Premièrement, tous les travaux d’organisation dans le futur devront être effectués en étant complémentaires au parti. En d’autres termes, les organisations de masse devront être utilisées comme un élément au service du but principal du parti. Pour cette raison, naturellement, il faudra asseoir le leadership du parti sur les organisations.

Deuxièmement, immédiatement, dès maintenant, l’effort tout entier du parti devra être consacré au recrutement de nouveaux cadres et à la création d’innombrables Groupes Militants composés par eux. Il ne faut pas oublier que dans la période de luttes à venir, les masses devront être éduquées par l’intermédiaire de l’appareil illégal.

Donc, à partir de maintenant, il faudra accoutumer chaque membre du parti au travail illégal. Pour s’habituer au travail illégal, une tâche essentielle pour chaque Groupes militants est de coller des affiches illégales.

Ce n’est qu’à travers ce processus qu’ils seront capables de faire office de noyau audacieux pour mener les luttes durant la période de luttes.

Autrement, la révolution se réduira à un vain rêve petit-bourgeois.

Troisièmement, ce sera par l’intermédiaire de ces organisations actives que le parti sera en mesure d’établir son leadership sur les organisations de masse. Donc, nous devons dès à présent aider les membres des Groupes Militants afin qu’ils puissent courageusement critiquer les dirigeants des organisations de masse et leur travail.

Quatrièmement, le travail des organisations de masse devra être discuté et décidé dans le parti avant d’être mis en œuvre dans les organisations de masse. Il faut se rappeler ici que, pendant très longtemps, la politique des organisations de masse a été mal appliquée. Organiser des discussions sur les décisions du parti ne s’appelle pas le centralisme démocratique. Cette pensée n’est pas conforme au marxisme.

Et à partir de toute cette réflexion, il faut tirer la conclusion que le programme du parti sera adopté d’en bas. Mais s’il est adopté à partir du niveau inférieur, alors la voie marxiste correcte n’est pas appliquée ; dans toutes ces activités, il y a inévitablement des déviations bourgeoises.

La vérité marxiste du centralisme démocratique est que la directive du parti en provenance de dirigeants supérieurs doit être exécutée. Parce que le plus haut dirigeant du parti est celui qui s’est fermement imposé comme marxiste pendant une longue période de mouvements et de débats théoriques.

Nous avons le droit de critiquer les décisions du parti ; mais une fois qu’une décision a été prise, si quelqu’un la critique sans la mettre en œuvre, ou entrave le travail, ou hésite à l’exécuter, il sera coupable du grave délit de ne pas respecter la discipline du parti.

En conséquence de cette façon de penser la démocratie de parti comme une société de conférences, la voie est grande ouverte pour l’espionnage à l’intérieur du parti. Naturellement, la direction révolutionnaire du parti fait alors faillite et la classe ouvrière est privée d’une direction révolutionnaire correcte.

Cette façon de penser petite-bourgeoise au sein du parti mène le parti au bord de la destruction. Et ceci est la manifestation d’opinions petites-bourgeoises à l’intérieur du parti. Leur vie et leur attitude confortable de critique indisciplinée réduit le parti à une simple société de conférences.

Ces opinions deviennent un obstacle sur le chemin de la création d’un parti du prolétariat – aussi robuste que du fer.

Cinquièmement, la vie indisciplinée de la petite-bourgeoisie l’attire vers la critique indisciplinée ; c’est-à-dire qu’elle ne veut pas critiquer dans les limites de l’organisation.

Pour se défaire de cette déviation, il faut que nous restions conscients du point de vue marxiste en ce qui concerne la critique. Les caractéristiques de la critique marxiste sont :

1) les critiques doivent être faites au sein de l’organisation du parti, c’est-à-dire à la réunion du parti.

2) il faut que le but de la critique soit constructif. C’est-à-dire que le but de la critique est de faire progresser le parti du point de vue des principes et de l’organisation, et nous devons toujours être vigilants pour qu’il n’y ait aucune critique peu scrupuleuse à l’intérieur du parti.

Rejoignez-nous, camarades, dans l’actuelle période révolutionnaire, terminons la Révolution Démocratique Populaire en luttant résolument contre le révisionnisme.

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Charu Mazumdar: Nos tâches dans la situation actuelle (janvier 1965)

8 janvier 1965

Le gouvernement du Congrès a arrêté un millier de communistes ce dernier mois.

La majorité de la direction centrale et provinciale est aujourd’hui en prison.

Gulzarilal Nanda a annoncé qu’il n’accepterait pas le verdict des urnes (et il ne l’a pas fait), et a commencé à débiter des absurdités à propos de la guérilla.

Cette offensive contre la démocratie a démarré à cause de la crise interne et internationale du capitalisme.

Le gouvernement indien est progressivement devenu le partenaire politique principal dans l’expansion de l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

Le principal objectif de l’impérialisme américain est de consacrer l’Inde comme la principale base réactionnaire en Asie du Sud-Est.

La bourgeoisie indienne est incapable de trouver quelque voie que ce soit pour résoudre sa crise interne.

La crise alimentaire endémique, les prix toujours plus élevés, créent des obstacles au plan quinquennal, et comme conséquence, il n’y a plus d’autre solution pour la bourgeoisie indienne pour sortir de la crise que d’importer toujours plus de capital impérialiste anglo-américain.

Comme conséquence de cette dépendance à l’égard de l’impérialisme, la crise interne du capitalisme augmente jour après jour.

La bourgeoisie indienne n’a pas été capable de trouver d’autre moyen, à part liquider la démocratie, confrontée aux exigences de l’impérialisme américain et de sa propre crise interne.

Il y avait des exigences impérialistes derrière ces arrestations, puisque le chef de la police américaine Macbright était à Delhi pendant l’arrestation des communistes, et qu’elle a partout eu lieu seulement après des discussions avec lui.

En liquidant la démocratie, il ne peut y avoir de solution à cette crise, et la bourgeoisie indienne sera aussi incapable de la résoudre.

Au plus le gouvernement dépendra de l’impérialisme, au plus il faillira dans la solution de sa crise interne.

Chaque jour qui passera, le mécontentement du peuple augmentera, et la contradiction interne de la bourgeoisie augmentera.

Le capital impérialiste exige l’arrestation des communistes comme un préalable aux investissements ; il veut aussi une solution temporaire à la pénurie alimentaire.

Pour résoudre cette pénurie alimentaire, des mesures pour arrêter la spéculation dans l’alimentation sont nécessaires, et c’est pour cela que le contrôle est nécessaire.

Dans un pays à l’économie arriérée comme l’Inde, ce contrôle fait invariablement face à une opposition d’un large secteur.

Cette contradiction de la bourgeoisie n’est pas principalement un conflit entre les capitalistes monopolistes et la bourgeoisie nationale.

Ce conflit est essentiellement entre les commerçants et les industriels monopolistes.

Dans un pays à l’économie arriérée, les commerce dans l’alimentation et les denrées de première nécessité est inévitable pour la création de capital, et le contrôle crée des obstacles dans la création de ce capital, et comme conséquence, la contradiction interne prend la forme d’une crise interne.

L’Inde est un pays vaste.

Il n’est pas possible de diriger 450 millions d’habitants en suivant une politique de répression.

Il n’est pas possible, pour quelque pays impérialiste, de prendre une telle responsabilité. L’impérialisme américain est pris de convulsions en gardant ses engagements envers les pays auxquels il a promis son aide.

Pendant ce temps, une crise industrielle se développe aux États-Unis.

Cela se voit dans la déclaration même du Président Johnson selon laquelle le nombre de chômeurs augmente dans le pays.

Selon le communiqué officiel, quatre millions de personnes sont absolument au chômage ; 35 millions de personnes sont en chômage partiel, et dans les usines aussi, le chômage partiel continue. Le gouvernement indien échouera donc à contenir le mécontentent toujours croissant du peuple.

Cette attaque contre la démocratie transformera inévitablement le mécontentement populaire en luttes.

Des indications sur les formes de lutte de demain sont disponibles dans le mouvement linguistique de Madras.

L’ère à venir n’est donc pas seulement une ère de grandes luttes mais aussi de grandes victoires.

Par conséquent, le Parti Communiste devra prendre la responsabilité de diriger les luttes révolutionnaires du peuple dans l’ère à venir, et nous serons capables de mener cette tâche à bien seulement quand nous serons capables d’édifier l’organisation du parti comme une organisation révolutionnaire.

Quelle est la base principale pour édifier l’organisation révolutionnaire ?

Le camarade Staline a dit : « La base principale dans l’édification de l’organisation révolutionnaire est le cadre révolutionnaire. »

Qui est ce cadre révolutionnaire ?

Le cadre révolutionnaire est celui qui peut analyser la situation de sa propre initiative et peut adopter une politique en fonction.

Il n’attend l’aide de personne.

Nos Slogans Organisationnels :

1. Chaque membre du Parti doit former au moins un Groupe de cinq militant. Il instruit les cadres de ce Groupe Militant en éducation politique.

2. Chaque membre du Parti doit veiller à ce qu’aucun camarade ne soit exposé à la police.

3. Il doit y avoir un local clandestin pour les réunions de chaque Groupe Militant. Si nécessaire, des abris pour en garder un ou deux dans la clandestinité doivent être mis en place.

4. Chaque Groupe Militant doit déterminer une personne pour les contacts.

5. Un endroit doit être mis en place pour cacher les documents secrets.

6. Un membre du Groupe Militant doit devenir membre du Parti dès qu’il devient expert en éducation et travail politiques.

7. Après être devenu membre du Parti, le Groupe Militant doit couper tout contact avec.

On doit adhérer fermement à ce style organisationnel.

Cette organisation elle-même prendra dans le futur la responsabilité de l’organisation révolutionnaire.

Quelle sera l’éducation politique ?

La base principale de la révolution en Inde est la révolution agraire.

Le slogan principal de la campagne de propagande politique sera donc « réussir la révolution agraire ».

C’est seulement dans la mesure où nous serons capables de répandre le programme de la révolution agraire parmi les ouvriers et la petite-bourgeoisie et de les éduquer ainsi, qu’ils seront formés dans l’éducation politique. Chaque Groupe Militant doit discuter de l’analyse de classe parmi la paysannerie, de la propagande pour le programme de la révolution agraire.

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Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

C’est l’une des questions les plus importantes dans le monde aujourd’hui. Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ? La révolution indienne, dans les années 1960, a-t-elle produit une pensée guide, par un dirigeant révolutionnaire ayant compris la nature de la société indienne ?

De nos jours, les révolutionnaires indiens disent que non, étant donné qu’ils rejettent le principe lui-même depensée guide. Est-ce correct ? Regardons cela, comme c’est, ce 21 septembre, le dixième anniversaire de la fondation du Parti Communiste d’Inde (Maoïste).

Charu Mazumdar

Charu Mazumdar et le PCI (ML)

La date choisie pour la fondation du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) – PCI (ML) fut le 22 avril 1969, parce que Lénine était né le 22 avril 1870.

Le PCI (ML) était pratiquement né directement de la lutte de Charu Mazumdar dans le Parti Communiste d’Inde (Marxiste), donnant naissance à la « Comité pan-indien de coordination des révolutionnaires communistes » et ensuite au PCI (ML).

Dans cette lutte, Charu Mazumdar écrivit de nombreux documents pour proposer une ligne révolutionnaire, dont l’expression fut principalement l’organe révolutionnaire « Liberation ».

Comment une pensée guide doit-elle être définie ?

Pour comprendre s’il y a une Pensée Charu Mazumdar, nous devons définir le critère d’une telle pensée guide.

Une pensée guide est produite par un dirigeant révolutionnaire comprenant la situation sociale de son pays et promouvant une lutte authentiquement révolutionnaire – par un Parti -, sur une base scientifique et sans compromis avec le révisionnisme.

Cela signifie qu’un révolutionnaire, dans un pays donné, participe à la lutte des classes et par les travaux scientifiques, comprend les contradictions sociales, qu’il explique, organisant l’avant-garde sur ces conceptions, pavant la voie pour la guerre populaire.

L’Inde en lutte et Charu Mazumdar

Comme le révolutionnaire formant la pensée guide participe à la lutte de classe, nous devons voir quelles luttes Charu Mazumdar connaissait. De fait, nous le trouvons dans le mouvement paysan Tebhaga en 1946 et bien entendu de manière plus connue la révolte paysanne de Naxalbari en 1967.

Parlant au sujet du mouvement Tebhaga, Charu Mazumdar nous dit, alors qu’il était un témoin actif depuis la clandestinité :

« Les paysans participant à ce mouvement étaient au nombre d’environ six millions. Il faut se souvenir ici que pour l’ensemble du mouvement paysan c’était l’âge d’or. Dans le caractère massif du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans l’expression de la haine de classe, ce mouvement était le plus haut niveau de la lutte de classes. »

Parlant au sujet du mouvement Naxalbari, Charu Mazumdar explique :

« Si la lutte paysanne de Naxalbari a une leçon quelconque pour nous, c’est : les luttes militantes doivent être menées non pas pour la terre, pour les récoltes, etc., mais pour la prise du pouvoir d’Etat. C’est précisément cela qui donne son caractère unique à la lutte de Naxalbari. »

Les « naxals » et les huit documents historiques

La participation a conduit Charu Mazumdar à former l’arrière-plan théorique de ce qui sera connu comme le mouvement « naxalite ». Il a organisé la rupture avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste) qui était devenu révisionniste.

Ainsi, Charu Mazumdar a théorisé ce qu’il a pensé comme étant la voie nécessaire pour la révolution indienne, notamment ce qui est connu comme les « huit documents historiques » : « Nos tâches dans la situation actuelle », « Faire de la Révolution Démocratique Populaire un succès en luttant contre le révisionnisme », « Quelle est la source de l’éruption révolutionnaire spontanée en Inde », « Continuer la lutte contre le révisionnisme moderne », « Quelle possibilité indique l’année 1965 ? » ; « La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le Parti vraiment révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme », «Prendre cette opportunité », « Continuer en avant la lutte paysanne en combattant le révisionnisme ».

Charu Mazumdar

La nature des écrits de Charu Mazumdar

Le contenu des écrits de Charu Mazumdar à analyser doit être divisé en quatre types :

* d’un côté :

– ceux traitant de la lutte armée, dans l’esprit de la révolte de Naxalbari,

– ceux traitant de la construction du Parti ;

* de l’autre côté :

– ceux traitant de la société indienne,

– ceux traitant de l’idéologie comme guide révolutionnaire.

Le premier aspect est lié à la forme de la lutte, le second à l’infrastructure du pays.

L’Inde comme pays semi-féodal semi-colonial

Charu Mazumdar défend le point de vue du matérialisme dialectique au sujet de l’Inde. Selon lui :

« Le système social qui existe en Inde est semi-féodal et semi-colonial. Ainsi, la révolution démocratique dans ce pays signifie la révolution agraire. Tous les problèmes de l’Inde sont liés à cette tâche. »

C’est la position correcte expliquant que l’Inde a besoin d’une Révolution de Nouvelle Démocratie.

« Venez, camarades, que tous les travailleurs se préparent de manière unie pour la lutte armée contre ce gouvernement, sous la direction de la classe ouvrière, sur la base du programme de la révolution agraire. D’autre part, posons la fondation de l’Inde de nouvelle démocratie populaire en construisant des zones paysannes libérées par des révoltes paysannes. »

La révolution agraire

La question est ici : est-ce que Charu Mazumdar a formulé la voie pour la révolution agraire ? Oui, il l’a fait. Il a analysé la société indienne et proposé une voie à suivre. Voici comment il l’explique :

« La révolution agraire est la tâche de ce moment précis ; cette tâche ne peut pas être laissée non réalisée, et sans la réaliser, rien de bien ne peut être fait pour les paysans.

Mais avant de mener la révolution agraire, la destruction du pouvoir d’État est nécessaire. Faire des efforts pour la révolution agraire sans la destruction du pouvoir d’Etat, cela revient à un révisionnisme complet. Par conséquent, la destruction du pouvoir d’Etat est aujourd’hui la première et principale tâche du mouvement paysan.

Si cela ne peut pas être fait sur une base à l’échelle de tout le pays, de tout l’Etat, les paysans attendront-ils silencieusement ? Non, le marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong nous a enseigné que si dans une zone les paysans peuvent être soulevés politiquement, alors on doit aller de l’avant avec la tâche de détruire le pouvoir d’État dans cette zone. C’est ce qui est appelé comme une zone libérée de paysans.

La lutte pour construire cette zone libérée est la tâche la plus urgente du mouvement paysan aujourd’hui, un tâche du moment. Que devons-nous appeler une zone libérée ? Nous devons appeler cette zone paysanne libérée là où nous avons été capable de renverser les ennemis de classe. Pour construire cette zone libérée, nous avons besoin de la force armée des paysans. Lorsque nous parlons de force armée, nous avons à l’esprit les armes faites par les paysans. Ainsi, nous voulons également des armes. »

La lutte armée comme tâche centrale

Comme la révolution agraire nécessite la destruction de l’Etat, alors la position de Charu Mazumdar est, en elle-même, celle de la lutte armée. Pour lui, il est clair que :

« Nous sommes encore incapable de réaliser que dans l’époque présente, nous ne pouvons pas construire des mouvements de masse pacifiquement. Car la classe dominante ne nous donnera pas et ne nous donne pas non plus une telle opportunité. »

Et malgré cela :

« Il y a quelques camarades qui prennent peur lorsque les luttes armées sont mentionnées, et continuent d’y voir le spectre de l’aventurisme. »

Selon Charu Mazumdar, la seule conséquence logique de tout cela est que :

« Si nous prenons conscience de la vérité comme quoi la révolution indienne prendra invariablement la forme de la guerre civile, alors la tactique de la prise du pouvoir par zone est la seule tactique. La tactique de la prise du pouvoir en Chine est la seule tactique. La tactique qui a été adopté par le grand dirigeant de la Chine Mao Zedong – la même tactique doit être adoptée par les marxistes indiens. »

L’anéantissement

Ce n’est pas tout. La position clef de Charu Mazumdar dans son affirmation de la lutte armée est la politique de l’anéantissement. Cela lui est très particulier ; au début des années 1970, la politique de l’anéantissement était la pensée de Charu Mazumdar en elle-même.

Voici comment il explique sa conception :

« Tous les types de mouvement doivent être portés à toutes les époques, mais la forme du mouvement principal dépend de la classe dominante.

La caractéristique présente de notre époque est que le gouvernement combat tout mouvement par de violentes attaques. Ainsi, pour le peuple, le mouvement de résistance armée est apparu comme la nécessité la plus importante.

Ainsi, dans l’intérêt des mouvements de masse, l’appel doit être donné à la classe ouvrière, la paysannerie combattante et chaque personne combattante : (1) prendre les armes ; (2) former des unités armées pour la confrontation ; (3) éduquer politiquement chaque unité armée.

Ne pas donner cet appel signifie pousser sans considération les masses désarmées à la mort. La classe dominante veut cela, car de cette manière ils peuvent briser la force de l’esprit des masses combattantes. Les masses agitées aujourd’hui attaquent des stations de train, des commissariats, etc. D’innombrables agitations éclatent contre les bâtiments gouvernementaux, ou les bus, les trams et les trains.

C’est comme l’agitation des Luddites contre les machines. Les révolutionnaires doivent apporter la direction consciente, frapper les bureaucrates haïs, les employés de la police, les officiers militaires ; le peuple doit se voir enseigner que la répression n’est pas faite par les commissariats, mais par les officiers en charge de ceux-ci, les attaques ne visent pas les bâtiments gouvernementaux ou les transports, mais les hommes de la machine répressive du gouvernement, et c’est contre ceux-ci que nos attaques sont dirigées.

La classe ouvrière et les masses révolutionnaires doivent se voir enseigner qu’elles ne doivent pas attaquer simplement pour attaquer, mais doivent finir la personne qu’elles attaquent. Car, si elles attaquent seulement, la machinerie réactionnaire se vengera. Mais si elles anéantissent, chaque élément de la machinerie répressive basculera dans la panique. »

La bataille de l’anéantissement

L’anéantissement n’est pas seulement une tactique décisive, c’est la stratégie, la pensée de Charu Mazumdar en elle-même. L’anéantissement est considérée comme le principe en lui-même de la lutte de classe. Charu Mazumdar dit :

« Sans la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – l’initiative des masses paysannes pauvres ne peut pas être lancée, la conscience politique des combattants ne peut pas être élevée, l’humain nouveau ne peut pas émerger, l’armée du peuple ne peut pas être créé.

Ce n’est qu’en menant la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – que l’humain nouveau sera créé, l’humain nouveau qui défiera la mort et sera libre de toutes les pensées d’intérêt personnel.

Et avec cet esprit défiant la mort, il se rapprochera de l’ennemi, volera son fusil, vengera les martyrs et l’armée du peuple émergera.

Se rapprocher de l’ennemi est nécessaire pour conquérir toute pensée de soi. Et cela ne peut être achevé que par le sang des martyrs. Qui inspire et crée des humains nouveaux à partir des combattants, les remplit avec la haine de classe et les fait aller proche de l’ennemi et lui arracher à mains nues son fusil. »

Et c’est universel :

« L’anéantissement de la classe ennemie – cette arme dans nos mains – est le plus grand danger des réactionnaires et des révisionnistes dans le monde entier. »

Charu Mazumdar

Le Parti militarisé

La conséquence de la conception de Charu Mazumdar est que le PCI (ML) fut un Parti militarisé opérant depuis la clandestinité. La tâche primaire des cadres était la lutte armée.

Charu Mazumdar explique ici :

« La signification des Groupes Activistes du Parti aujourd’hui est qu’ils seront des « unités combattantes ». Leur devoir principal sera la campagne de propagande politique et de frapper les forces contre-révolutionnaires.

Nous devons toujours garder à l’esprit que l’enseignement de Mao Zedong – « les attaques ne sont pas menées dans l’intention d’attaquer simplement, les attaques sont seulement pour l’anéantissement ». Ceux qui doivent être attaqués sont principalement : (1) les représentants de la machinerie d’Etat comme la police, les officiers militaires ; (2) la bureaucratie haïe ; (3) les ennemis de classe.

L’objectif de ces attaques doit également être l’obtention d’armes. A l’époque présente, ces attaques peuvent être menées partout, dans les villes et dans les campagnes. Notre attention particulière doit être donnée spécialement dans les zones paysannes. »

Le volontarisme

Pour Charu Mazumdar, l’époque entière était marquée par la lutte armée ; il parle de « l’époque de la lutte armée », il dit : « Aujourd’hui, dans l’époque du soulèvement révolutionnaire ». En raison de cela, il appelle au volontarisme, à l’esprit de sacrifice :

« Encore et encore, l’agitation parmi les paysans a éclaté. Ils ont de manière répétée recherchée une orientation de la part du Parti Communiste. Nous ne leur avons pas dit que la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte des armes constituent la seule voie. Cette voie est la voie de la classe ouvrière, la voie de la libération, la voie de l’établissement d’une société libre de l’exploitation.

Dans chaque État de l’Inde, les paysans sont aujourd’hui dans un état d’agitation, les communistes doivent leur montrer la voie. La voie est celle de la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte d’armes. Nous devons porter de manière ferme cette seule et unique voie de la libération.

La grande révolution culturelle de la Chine a déclaré la guerre à tous les types d’égoïsme, de mentalité de groupe, de révisionnisme, de suivisme de la bourgeoisie, d’éloge de l’idéologie bourgeoise – l’impact étincelant de cette révolution a également atteint l’Inde.

L’appel de cette révolution est : « Sois préparé à faire de manière résolue toutes les sortes de sacrifice, à balayer tous les obstacles le long de la voie, un par un, la victoire sera à nous. » 

Aussi terrible que soit l’apparence de l’impérialisme, aussi horrible que soit le piège posé par le révisionnisme, les jours des forces réactionnaires sont comptés, les brillants rayons du soleil du marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong effaceront toute obscurité. »

La lutte armée comme ligne de démarcation

La conséquence de la position de Charu Mazumdar fut le rejet du révisionnisme du PCI (Marxiste), parce que ce parti prétendait lancer la révolution un jour, mais ne s’engageait pas dans la lutte armée.

Ainsi, la lutte armée devint le critère, la ligne de démarcation :

« Il faut toujours rappeler que si les mots « Prise du Pouvoir Politique » sont abandonnés, le Parti ne reste plus un Parti révolutionnaire. Bien qu’il reste un Parti révolutionnaire sur le plan du nom, il sera réduit en fait en un parti réformiste de la bourgeoisie.

Lorsqu’ils parlent de la prise du pouvoir politique, certains pensent au centre [du pouvoir]. Ils pensent qu’avec l’expansion graduelle des limites du mouvement, notre seul objectif est de capturer le pouvoir centralement. Cette pensée n’est pas seulement fausse ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste. »

L’aide idéologique de la Chine

La position de Charu Mazumdar était bien connue par la Chine Rouge, qui la soutenait. C’est ce que veut dire Charu Mazumdar quand il dit :

« C’est pourquoi la direction internationale nous a encore et encore rappelé de l’importance de construire un Parti. »

De fait, le Parti Communiste de Chine a saluté fraternellement à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar. Construire le Parti était une tâche devant arriver rapidement ; Charu Mazumdar dit :

« Nous devons immédiatement prendre en main la tâche de construire un tel parti. Ce n’est peut-être pas possible, juste maintenant, de construire un tel Parti sur une base pan-indienne, mais cela ne doit pas nous décourager.

Nous devons commencer notre travail où que ce soit où nous pouvons construire un tel parti, quelle que soit la petitesse d’une zone. Nous devons mettre de côté les peurs d’être une minorité, et avancer avec une foi inébranlable dans la pensée du Président [Mao Zedong]. »

Le Parti comme condition d’une étape supérieure de la révolution

La révolution indienne a de fait réalisé un grand saut avec la naissance du PCI (ML), parce que sans cela, les luttes auraient été isolées. D’un manière correcte, dans une position qui est celle de la social-démocratie historiquement, lorsqu’elle était révolutionnaire, le Parti est nécessaire pour amener le mouvement à une étape supérieure :

« L’autorité révolutionnaire ne peut pas grandir si nous dépendons seulement des initiatives locales pour développer toutes ces luttes sur la même voie et à une étape supérieure. Comme résultat, ces luttes échoueront à aller à une étape supérieure.

Pour amener ces luttes plus avant, il est nécessaire de construire un Parti dans toute l’Inde et un centre reconnu par tous les révolutionnaires. La discipline auto-imposée est essentielle pour construire ce centre. »

Et ainsi, toutes les tâches étaient inter-reliées :

« La tâche principale de notre politique sera d’établir consciemment cette lutte armée sur une base de masse. Les trois points élémentaires sont : (1) l’unité ouvrière-paysanne sous la direction de la classe ouvrière, (2) l’établissement conscient de la lutte armée sur une base de masse et (3) le ferme établissement de la direction du Parti Communiste.

Il est impératif de ne pas mettre de côté une seule de ces trois tâches. »

La construction du Parti comme clef

La conclusion de l’interconnexion  de ces tâches est que la construction du Parti est l’aspect principal pour évaluer le niveau de la révolution indienne.

« Le futur de la révolution dépend d’à quelle vitesse nous pouvons construire durant cette période les organisations du Parti parmi les classes. De cela dépendra si nous sommes capables de diriger ce soulèvement révolutionnaire ou pas.

Il est possible que ce soulèvement prendra place durant la lutte arrivant pour saisir les récoltes. Faisons que les intellectuels révolutionnaires aillent de l’avant et aident à construire le parti révolutionnaire en répandant et en propageant la pensée du Président Mao parmi les ouvriers et les paysans. »

Et :

« Nos tâches cardinales, ainsi, sont de construire le Parti et de l’avoir enraciné parmi les sans-terres et les paysans pauvres. La construction du Parti signifie le développement de la lutte de classe armée. Et sans lutte de classe armée, le Parti ne peut pas être développé et ne peut pas s’enraciner dans les masses. »

La pensée de Charu Mazumdar considérée comme reflet de la Pensée Mao Zedong

Quand il expliquait tout cela, Charu Mazumdar considérait seulement qu’il était en train de redire la conception de Mao Zedong. Charu Mazumdar essaie d’être l’activiste le plus discipliné et il met en avant la pensée Mao Zedong comme pensée à suivre :

« Nous devons sans cesse propager la politique de la révolution agraire et la pensée du président Mao parmi la classe ouvrière. »

« Les citations de la Guerre Populaire publiées par les Comité Central du grand Parti Communiste de Chine sont maintenant disponibles pour nous, une traduction en bangla ayant déjà été publiée. Ce libre est fait à l’intention des ouvriers et paysans révolutionnaires. Nous devons faire de celles-ci notre propagande et notre matériel d’agitation.

Si un ouvrier est révolutionnaire ou non sera jugé sur la base du nombre d’ouvriers et de paysans à qui il a lu et expliqué ce livre. »

« L’organisation politique de la jeunesse et des étudiants doit nécessairement être une organisation Garde Rouge, et ils doivent entreprendre la tâche de répandre les citations du Président Mao de manière aussi large que possible dans différentes zones. »

Reconnaissance du maoïsme

Ici, nous trouvons la clef. Charu Mazumdar reconnaissait l’aspect universel des contributions de Mao Zedong. Il était en fait à la fois faisant cela, et formant une pensée – une pensée qu’il pensait être celle de Mao Zedong, et non pas la sienne.

C’est pourquoi il peut dire :

« La Révolution Démocratique du Peuple dans notre pays peut être amenée à une fin victorieuse seulement sur la base de la pensée du Président Mao. La mesure dans laquelle quelqu’un assimile et applique la pensée du Président détermine si c’est un révolutionnaire ou pas.

Qui plus est, la mesure du soulèvement révolutionnaire dépendra d’à quel point nous pouvons diffuser et propager la pensée du Président parmi les paysans et les ouvriers. Cela, parce que la pensée du Président n’est pas simplement le marxisme-léninisme de notre époque présente : le Président a fait progresser le marxisme-léninisme lui-même jusqu’à une étape complètement nouvelle.

C’est pourquoi l’époque présente est devenu l’époque de la pensée du Président. »

Les pensées Charu Mazumdar et Mao Zedong – unies de manière abstraite

La conséquence de la non-compréhension par Charu Mazumdar des deux côtés de la question – sa pensée comme expression nationale indienne et en tant qu’application du maoïsme universel, a amené une confusion idéologique, tous ces aspects étant mélangés.

Cela est clair quand Charu Mazumdar dit :

« Dans l’époque présente, la pensée du Président Mao est le plus haut développement du marxisme-léninisme. Le président Mao n’a pas seulement appliqué créativement le marxisme-léninisme, mais a enrichi le marxisme-léninisme et l’a développé jusqu’à une nouvelle étape. La pensée de Mao Zedong peut être appelé le marxisme-léninisme de notre époque où l’impérialisme va à son effondrement complet et où le socialisme avance vers la victoire à l’échelle mondiale.

Le Président Mao nous a enseigné que dans un pays semi-féodal, semi-colonial, les paysans constituent la majorité de la population et que la paysannerie est exploitée et gouvernée par trois montagnes, à savoir l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique.

C’est pourquoi les paysans sont extrêmement désireux de faire la révolution. Ainsi, le prolétariat doit s’appuyer sur les paysans, afin d’achever la victoire par la Guerre Populaire.

Le Président Mao nous a enseigné que les paysans sont la principale force de la révolution, et la victoire de la révolution dépend de l’éveil et de l’armement des masses paysannes. C’est le devoir du parti révolutionnaire du prolétariat d’aller aux masses paysannes et d’assidûment travailler parmi elles pour une longue période, avec en perspective la construction de zones de lutte armée dans les campagnes.

Le manque à réaliser l’importance de cette question paysanne aboutit à la formation au sein du parti de déviations de « gauche » et de droite. Et la révolution démocratique est de manière primaire une révolution agraire. Par conséquent, c’est la responsabilité du prolétariat de fournir la direction à cette révolution agraire. »

C’est à la fois universel et indien.

La Pensée Charu Mazumdar existe : la synthèse

Par conséquent, nous devons dire qu’il y a une pensée Charu Mazumdar, synthétisée dans la position suivante:

« En Inde, qui est maintenant comme un volcan, la révolte des masses paysannes peut être victorieuse seulement en appliquant avec succès la pensée du Président Mao, c’est-à-dire en enthousiasmant les masses paysannes avec la politique de la prise du pouvoir et ainsi leur rendant possible, sous la direction des ouvriers et des paysans pauvres et sans-terres, de participer activement à mener plus avant la révolution agraire ; en chassant les ennemis de classe des campagnes au moyen de la lutte de guérilla, en étendant de telles zones et en établissant des zones libérées, en construisant une armée du peuple à partir des groupes armés de guérilla et en encerclant les villes parles campagnes pour finalement les capturer.

Ce n’est qu’ainsi que l’Inde peut être libérée. Par conséquent, les masses rebelles de chaque zone doivent suivre cette voie pour réaliser la victoire. »

Les manques de la Pensée de Charu Mazumdar

Il y a bien entendu une conséquence mauvaise dans la non-compréhension du double aspect de Charu Mazumdar, qui était d’un côté Plékhanov apportant le marxisme et Lénine le formulant dans un pays donné.

Il était facile, de fait, pour le gauchisme de bouger dans le sens d’appliquer un modèle chinois, s’éloignant de la société indienne. C’est ce qui est en partie arrivé, l’Inde étant considéré comme la Chine d’avant de 1949 et puis voilà.

Nous devons noter ici que, malheureusement, il n’y a pas de documents de Charu Mazumdar en tant que tel traitant de la superstructure du pays.

Nous ne trouvons pas, dans les documents de Charu Mazumdar, d’explication matérialiste de l’hindouisme, de la littérature et des films indiens, ou de la poésie, dont l’histoire est si riche, etc.

Cela provient d’une non-compréhension des deux aspects de sa pensée, et malheureusement la confusion a amené le militarisme, un gigantesque mouvement de masse de la jeunesse bengalie tentant d’être des « gardes rouges » avant d’être écrasée par la violence à une échelle massive, et enfin l’effondrement entier du PCI (ML).

L’héritage de Charu Mazumdar

Charu Mazumdar lui-même fut arrêté le 16 juillet 1972, torturé pendant dix jours, isolé du monde, avant de mourir le 28 juillet 1972. Le PCI (ML) s’effondra bientôt après, avec de nombreux groupes scissionnistes apparaissant.

La question de l’héritage de Charu Mazumdar fut bien entendu centrale, avec le principe de l’anéantissement comme débat principal. Dans les années 1960-1970, être pour l’anéantissement signifiait être avec Charu Mazumdar, le rejeter signifiait le rejeter lui, soit comme dirigeant du PCI (ML), soit, en étant en-dehors de ce dernier, en rejetant à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar.

Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, il y a de nombreux courants prétendant soutenir le PCI (ML) des années 1970 d’une manière ou d’une autre, mais rejetant la ligne de Charu Mazumdar comme « gauchiste ». Ces gens disent que la lutte armée était séparée du mouvement de masse, que c’était militariste, gauchiste, une copie aveugle de la révolution démocratique chinoise, etc.

Déjà à l’époque de Charu Mazumdar, certaines personnes autour de Kanhai Chatterji formèrent le Centre Communiste Maoïste, rejetant l’anéantissement sous le même prétexte de séparation de la lutte paysanne.

Aujourd’hui, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) soutient à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji.

La pensée de Charu Mazumdar et l’Inde

Mais il n’est pas possible de mettre en avant à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji, sur le même plan. Si à leur époque, deux partis existaient, c’était pour une bonne raison, il n’est pas possible d’évacuer cette question. Cependant, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) n’a pas de position à ce sujet.

La raison de cela est que la conclusion logique censée se produire est de reconnaître la pensée Charu Mazumdar et de séparer l’aspect universel des aspects indiens.

Cela permettrait de comprendre le processus réel de la naissance du PCI (ML), pour voir comment Charu Mazumdar a réactivé le matérialisme dialectique en Inde.

Au lieu de cela, le « gauchisme » de Charu Mazumdar est oublié, comme son exigence d’avoir une perspective depuis en haut, et par conséquent les aspects nationaux sont effacés : aussi ahurissant que cela puisse sembler, les maoïstes indiens n’ont pas d’études sur l’hindouisme, l’Islam et Bollywood. La culture indienne n’est pas un thème – et c’est l’aspect manquant qui a permis à la propagande fasciste de Narendra Modi d’avoir un tel terrible succès en Inde.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Georges Sand, Procope le grand (1869)


« Ils troublent et confondent tous les droits humains, en disant qu’il ne faut point obéir aux rois, que tous les biens doivent être communs, et que tous les hommes sont égaux. » (Lettre du pape Martin V au roi de Pologne.)

Nous avons promis à nos lecteurs, en terminant l’abrégé de l’histoire de Jean Ziska, un récit succinct de la vie de Procope, son élève dans l’art de la guerre, et son successeur dans le commandement de l’armée Taborite.

On lit peu aujourd’hui l’histoire des sectes qui ont précédé la Réforme de Luther. Nous croyons pourtant cette étude fort curieuse, fort utile et intimement liée à la solution des problèmes qui agitent les peuples d’aujourd’hui. Nous nous promettons de l’approfondir et de la développer ailleurs. L’esquisse rapide que nous allons tracer ne doit être considérée que comme un fragment d’une œuvre plus complète.

Ziska, Procope, sont deux soldats glorieux d’une cause glorieuse. Il faudrait expliquer Ziska et Procope par les doctrines qu’ils ont soutenues de leur épée, et pour lesquelles ils moururent.

Comprendrait-on nos guerres de la Révolution ; si on n’avait aucune lumière sur les principes de cette Révolution ? Ne faut-il pas Voltaire et Rousseau pour expliquer la Convention, Danton et Robespierre ?

Les figures de Jean Huss, de Jérôme de Prague, de Wicklef, devraient donc précéder celles de Ziska et de Procope. Mais les réformateurs au quinzième siècle avaient eu leurs devanciers au treizième et au quatorzième. D’ailleurs toute cette cause se rattachait à l’Évangile, au Christ. Voilà donc en première ligne le Christ et l’Évangile ; là est la lumière qui devrait éclairer le sujet tout entier.

On le voit, nous sentons bien, du moins, l’immense difficulté d’une pareille tâche ; et on nous pardonnera si, dans cette biographie comme dans la précédente, il s’agit plus des événements que de leur cause, plus d’histoire proprement dite que de théologie. Nous resserrons notre point de vue, pour pouvoir le remplir et pour être utile.

Avant de commencer, pourtant, nous prierons le lecteur de remarquer notre épigraphe ; car, à défaut de mieux, elle explique, quant à présent, ce que nous avons tenté déjà de faire reconnaître et toucher au doigt dans l’histoire de Ziska.

Voici, dans son entier, le fragment authentique où nous avons puisé cette épigraphe. C’est un passage d’une lettre écrite par le pape Martin V au roi de Pologne, en 1430, pour l’engager à se joindre à la croisade contre les hérétiques de Bohême.

Ce prince lituanien (Wladislas IV), très-récemment converti à la loi chrétienne, n’était probablement pas très-rompu aux subtilités théologiques. Aussi, le pape, jugeant à propos de lui parler clair et de ne pas équivoquer sur les mots, afin qu’il comprit l’importance de son alliance avec le saint-siége et l’Empire, s’exprimait en ces termes : « Ce n’est pas seulement l’altération de la religion qui doit animer contre eux un roi catholique : la prudence le veut aussi. Par les dogmes de ces gens-là, toute police est renversée ; l’autorité des rois est foulée aux pieds ; ils troublent et confondent tous les droits humains, en disant qu’il ne faut obéir à aucune puissance, pas même aux rois, que tous les biens doivent être communs, et que tous les hommes sont égaux ! »

Voilà donc la dispute théologique qui a paru si embrouillée, si ridicule et si méprisable aux écoles philosophiques du siècle dernier, résumée, jugée et condamnée par le pape, en deux mots.

Qu’on ne dise donc plus que les hommes du passé se sont émus et ont lutté pour de vaines subtilités. Jean Huss et Jérôme de Prague ne sont pas les victimes volontaires d’un fol orgueil de rhéteurs, comme les écrivains orthodoxes ont osé le dire : ils sont les martyrs de la Liberté, de la Fraternité et de l’Égalité.

Oui, nos pères, qui eux aussi avaient cette devise, portaient la sainte doctrine éternelle dans leur sein ; et la guerre des Hussites est, non-seulement dans ses détails, mais dans son essence, très-semblable à la Révolution française. Oui, comme nous l’avons déjà dit bien des fois, ce cri de révolte : la coupe au peuple ! était un grand et impérissable symbole.

Oui, les saintes hérésies du moyen âge malgré tout le sang qu’elles ont fait couler, comme notre glorieuse Révolution malgré tout le sang qu’elle a versé, sont les hautes révélations de l’Esprit de Dieu, répandues sur tout un peuple. Il faut avoir le courage de le dire et de le proclamer.

Ce sang fatalement sacrifié, ces excès, ces délires, ces vertiges, ces crimes d’une nécessité mal comprise, tout ce mal qui vient ternir la gloire de ces révolutions et en souiller les triomphes, ce mal n’est point dans leur principe : c’est un effet déplorable d’une cause à jamais sacrée.

Mais d’où vient-il ce mal dont on accuse sans distinction et ceux qui le provoquent et ceux qui le rendent ? Il vient de la lutte obstinée, des hostilités, des provocations iniques des ennemis de la lumière et de la Vérité divine.

Plus profondément, sans doute, il vient de l’épouvantable antagonisme des deux principes, le bien, et le mal. C’est peut-être ainsi que l’entendaient, dans leur origine, ces religions qui admettaient une lutte formidable entre le bon et le mauvais Esprit.

Moins diaboliques que le Christianisme perverti, elles annonçaient la conversion et la réhabilitation de l’Esprit du mal ; elles le réconciliaient, à la fin des siècles, avec le Dieu bon ; elles prophétisaient peut-être ainsi sans le savoir la réconciliation de l’Humanité universelle, le triomphe miséricordieux de l’Égalité, la conversion et la réhabilitation des individus aujourd’hui rois, princes, pontifes, riches et nobles, esclaves de Satan, avec les peuples émancipés.

Et si nous ne croyons pas un peu nous-mêmes à ce miracle de l’éternelle sagesse, de quel côté se tourneront nos espérances ? Retournerons-nous aux fureurs du Taborisme, à la Jacquerie, aux persécutions, à l’holocauste effroyable de toute une caste, à la guillotine, qu’au lendemain de la Révolution nous aurions dû briser pour ne la relever jamais, même pour les plus grands criminels ? Non.

Ces fureurs, quelques légitimes qu’elles aient pu sembler, dans les siècles d’ignorance et dans les jours de désespoir, n’ont point profité à nos pères. L’Église de Rome a longtemps expié les supplices des hérétiques. Les hérétiques, à leur tour, ont expié de farouches représailles. Et nous ; qui avons frappé par le glaive, nous sommes gouvernés par le glaive !

Nous n’étions pas mûrs pour faire régner une vérité sans tache : on ne nous juge pas dignes d’être gouvernés par la vérité. On nous enferme dans des murailles, on nous entoure de canons et de forteresses. Nous n’avons donc pas vaincu !

Et dire que tous les hommes sont égaux, que tous les biens doivent être communs à tous, en ce sens qu’ils doivent profiter à la communion universelle, et par cette communion, à chacun individuellement, est encore une hérésie condamnable et punissable, au nom du pape et du roi.

La doctrine de l’Église, comme la doctrine du trône, est encore ce qu’elle était au temps de Martin V et de Sigismond ; et il y a encore des croisades toutes prêtes à se former contre nous, quand nous voudrons donner la coupe à tout le monde.

Hâtons donc le triomphe de la Vérité, et faisons avancer la loi de Dieu par les moyens conformes à la lumière de notre siècle et au respect de l’Humanité, telle qu’il nous est enfin accordé de la comprendre et de la connaître, après tant de siècles d’erreur et de misère. Admirons, dans le passé, la foi de nos pères les hérétiques, jointe à tant d’audace et de force ; mais enseignons à nos fils, avec la foi, le courage et la force, la douceur et la mansuétude.

La mission pacifique du Christ a porté de plus beaux fruits et transformé le monde plus profondément que les missions sanguinaires entreprises depuis en son nom. Les grands guerriers, les nobles champions de l’hérésie ont laissé des œuvres incomplètes, parce qu’ils ont versé le sang. L’Église est tombée au dernier rang dans l’esprit des peuples, parce qu’elle a versé le sang. L’Église n’est plus représentée que par des processions et des cathédrales, comme la royauté n’est plus représentée que par des citadelles et par des soldats.

Mais l’Évangile, la doctrine de l’Égalité et de la Fraternité, est toujours et plus que jamais vivant dans l’âme du peuple. Et voyez le crucifié, il est toujours debout au sommet de nos édifices, il est toujours le drapeau de l’Église !

Il est là sur son gibet, ce Galiléen, cet esclave, ce lépreux, ce paria, cette misère, cette pauvreté, cette faiblesse, cette protestation incarnées ! Il est là-haut, non pas, comme ils le disent, dans les cieux inaccessibles, mais sur la terre, et comme planant au-dessus d’elle, au sommet des temples, et sur la coupole des hauts lieux réservés à la prière et à la méditation.

Sa prophétie s’est accomplie : il est remonté dans le Ciel, parce qu’il est rentré dans l’Idéal. Et de l’Idéal il redescendra pour se manifester sur la terre, pour apparaître dans le réel. Et voilà pourquoi, depuis dix-huit siècles, il plane adoré sur nos têtes.

Étrange vicissitude de ta longue royauté, ô Christ ! ô le plus petit, le plus pauvre, le plus humble, le plus méprisé et le plus méconnu des enfants du peuple ! La tyrannie des papes, la tyrannie des empereurs et des rois, celle de la noblesse, celle de l’hypocrisie, toutes les tyrannies ont conservé ton symbole, comme une protestation invincible des petits et des pauvres contre l’orgueil et la dureté des puissants et des riches.

On traîne à l’échafaud un misérable que la brutalité de l’ignorance et le désespoir furieux de la misère ont poussé au crime ; les lois religieuses et civiles le condamnent, la foule le contemple sans émotion, les gendarmes le lient, et le bourreau s’en empare. Un prêtre l’accompagne à l’échafaud, et lui présente un emblème. C’est une croix, c’est la figure d’un gibet !

La société tue ce misérable, qu’elle a abandonné au mal, et qu’elle ne sait ni ne veut convertir.

Et si une voix puissante comme celle du Christ s’élevait dans la foule pour crier que cet homme est moins coupable que la société, et que, par conséquent, la société n’a pas le droit de l’immoler ; si le peuple, ému de cette parole, se soulevait ; s’il renversait l’échafaud, s’il repoussait la soldatesque, s’il courait vers la demeure du souverain pour lui demander la grâce des criminels et les moyens d’empêcher de nouveaux crimes, du pain et de l’instruction pour tous, au nom de l’Égalité, au nom de l’Évangile, au nom du Christ… la soldatesque reviendrait plus nombreuse et mieux armée, elle disperserait l’émeute, elle saisirait ceux qui ne voudraient pas fuir, elle les remettrait à des geôliers ; et ils comparaîtraient devant des juges, et ils seraient accusés comme révolutionnaires, comme criminels de lèse-société. Et s’ils voulaient plaider leur cause, l’Évangile à la main, ils seraient condamnés à la prison, à l’exil, à la mort peut-être.

Et là, sur l’échafaud, un prêtre viendrait encore leur montrer le gibet, l’instrument du supplice de cet homme divin qui crut à l’Égalité, et qui fut condamné et immolé pour n’avoir pas ménagé les puissances de son temps, pour n’avoir pas redouté Caïphe et Pilate.

Ô société inique et absurde ! où est donc ta force, puisque toi-même tu courbes le front et plies le genou devant l’image du représentant et du révélateur de cette Doctrine que tu condamnes !

Ô Révélation de l’Égalité ! quelle n’est donc pas ta puissance, puisque tu triomphes encore dans ton symbole, puisque tu protestes toujours contre le mensonge qui se pare de ton nom, puisque tu es toujours parmi nous sous la figure d’une croix rayonnante, pour proclamer au monde que ton règne, après deux mille ans, ne l’ait encore que de commencer !

Procope était, comme Ziska, un gentilhomme bohème de médiocre fortune. Élevé et adopté par un oncle qui le destinait à l’état ecclésiastique, il voyagea en France, en Italie, en Espagne, et jusque dans la Terre-Sainte. À son retour, rasé et ordonné prêtre malgré lui, il quitta bientôt la soutane pour l’épée, et s’élança sous les étendards de Ziska.

On l’a déjà vu se distinguer en Moravie contre les Autrichiens et Jean, l’évêque de fer. À la mort du redoutable aveugle, il fut élu chef des Taborites. Ziska, comme nous l’avons vu dans le précédent récit, mourut en 1424, désignant lui-même pour son successeur Procope, surnommé Rase, ou le Rasé, à cause de la circonstance que nous venons de mentionner.

Quant au surnom de Grand, peut-être ne fut-il donné d’abord à Procope qu’à cause de sa taille et pour le distinguer d’un autre Procope surnommé le Petit, un des chefs des Orphelins. Toutefois l’historien Jacques Lenfant, qui a étudié et résumé les chroniques relatives à cette époque, affirme positivement que ce furent ses exploits militaires qui lui firent donner le nom de Grand.

Procope commença sa nouvelle carrière par une course en Autriche et par la prise de plusieurs places, entre autres celle de Hraditz qui était extrêmement forte, et où le combat fut acharné. La ville fut brûlée, et les habitants massacrés.

Dans le même temps les Hussites firent une course dans la Misnie, avec quatre mille lances, c’est-à-dire seize à vingt mille hommes, et prirent une autre place forte avec la même fureur et les mêmes scènes de carnage. Harcelés de tous côtés, anathématisés par le concile de Sienne et menacés d’une nouvelle croisade, les Bohémiens obéissaient à la nécessité de poursuivre le terrible système de Ziska.

Martin V fit jouer tous les ressorts de la politique pour réunir tous les rois, tous les princes et tous les évêques de l’Allemagne et des pays slaves du nom chrétien, contre les Hussites, pour extirper l’infâme hérésie, et pour exterminer tous les hérétiques. Il autorisa les princes de l’Église à lever des impôts extraordinaires pour les frais de la guerre sainte.

Il écrivit à Sigismond qu’il devait, en cette circonstance, justifier sa qualité d’empereur, c’est-à-dire celle de défenseur de l’Église, que cette dignité lui impose. Enfin, il exhorta tous les souverains à oublier leurs propres querelles, et à se réconcilier pour l’amour de Dieu et pour l’extinction de l’hérésie.

À ces menaces, les Bohémiens répondirent « qu’on les attaquait contre tout droit divin et humain ; qu’on les diffamait sans preuve, et sans avoir voulu les entendre ; qu’on ne pouvait, avec vérité, leur reprocher de croire à autre chose qu’à la parole de Dieu, et aux symboles de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse, et de Chalcédoine ; qu’ils étaient résolus de défendre cette foi, au péril de leurs biens et de leurs vies ; qu’il n’y avait rien de plus contraire à l’esprit du Christianisme que de vouloir les exterminer au gré du pape et de l’Empereur.

Enfin, que si on les attaquait encore, appuyés qu’ils se croyaient du secours de Dieu, ils repousseraient la force par la force, et que tout le monde, femmes et enfants, ils feraient une résistance qui serait admirable à tout l’univers. »

Les Bohémiens tinrent leur promesse, et cette résistance qu’ils annonçaient fut admirable en effet. Mais ils devaient être vaincus un jour par la ruse des souverains, par leur propre lassitude, et surtout par leurs divisions de croyances et d’intérêts.

On n’a pas oublié que plusieurs sectes s’agitaient dans le sein du Hussitisme. Les armées de Ziska n’étaient pas, comme celles de tous les souverains de cette époque, des troupes d’aventuriers mercenaires ayant pour unique but le pillage, et ne connaissant en campagne ni amis ni ennemis.

Ces armées étaient de véritables sectes religieuses, qui considéraient la violence et la cruauté comme des devoirs sacrés, et le pillage comme l’unique moyen de pourvoir aux frais de la guerre nationale.

S’il y avait du fanatisme et de la férocité dans cette doctrine militaire, il y avait du moins un sentiment élevé de la mission du guerrier chrétien. Dans ces époques de lutte ardente, les hommes ne peuvent être grands que par la révolte et par la guerre. Jeanne d’Arc elle-même, cette figure angélique qui eût pu se placer à côté de celle de Marie dans la divine épopée de Jésus, apparaît au moyen âge sous la cuirasse et sous le casque, comme l’archange Michel, et c’est l’épée à la main qu’elle accomplit sa prédication sublime[1].

Mais les sectes de Tabor étaient grandes et austères, il s’en fallait de beaucoup qu’elles fussent toutes suffisamment éclairées pour demeurer d’accord. Elles étaient parties en apparence de Wicklef et de Jean Huss, mais quelques-unes de leurs doctrines remontaient jusqu’à Pierre Valde et à Bérenger.

Nous avons vu Ziska, en grand général et en politique habile, pactiser tantôt avec les Calixtins, tantôt avec les Catholiques, poursuivre les Picards ou prétendus tels, et ensuite les tolérer ou se faire tolérer par eux. L’espèce de scission qui s’opéra dans son armée, au lendemain de sa mort, montre bien la différence des opinions qu’il avait réussi à tenir unies pour l’action, grâce au prestige de sa gloire et à l’ascendant de sa parole concise, énergique et vaillante.

Mais on ne doit pas oublier qu’il se souciait plus de la guerre que de la foi, et qu’il se sentit, vers la fin, dépassé dans le mal apparent par l’ardeur sauvage de ses troupes, dans le bien réel par l’enthousiasme religieux qui les animait.

Il était mort, laissant la paix jurée, grâce à son habileté et aussi à sa clémence, entre toutes les branches du Hussitisme. Cette union ne pouvait durer.

Les Orphelins, les Orébites, et les Taborites, en se constituant en trois corps et en se choisissant des chefs différents, avaient semblé prévoir qu’ils ne marcheraient pas d’accord, s’ils ne se séparaient dans le repos pour se retrouver sur la brèche et s’entraider à l’heure du péril. Procope le Grand sentit qu’il fallait permettre cette division, et que sa mission était de cimenter au moins une alliance durable entre toutes ces forces de la résistance nationale.

Il y travailla toute sa vie ; mais, plus religieux et peut-être plus sincère que Ziska, il n’abjura jamais sa croyance personnelle, et resta franc Picard envers et contre tous. Ce fut sa gloire et la cause de sa perte.

Il eut bientôt à continuer l’œuvre de Ziska dans le maintien d’une alliance plus difficile encore. Je veux parler de l’espèce de paix qui, en présence de l’ennemi commun, soit le pape, soit l’Empereur, ou les princes soulevés par eux, réunissait les différentes sectes exaltées du Hussitisme au juste-milieu nobiliaire et bourgeois du temps.

Les Orphelins ne tardèrent pas à rompre l’union avec ceux de Prague, c’est-à-dire avec les Calixtins.

Fidèles au principe de faire avancer la loi de Dieu, et obéissant à la nécessité de constituer et de formuler leurs doctrines, tous les Hussites étaient d’accord sur un point admirable, mais dangereux dans la circonstance : c’était d’employer en discussions sur les matières de foi, en assemblées de docteurs et en synodes généraux ou particuliers, tout le temps qui n’était pas employé à la défense du pays et aux travaux de la guerre. Pendant que le concile de Sienne mettait à prix le sang de la Bohême, on débattait en Bohême les plus hautes questions théologiques.

Ce peuple qu’on traitait de barbare, de sanguinaire, d’impie et de débauché, offrait aux yeux du monde étonné le spectacle d’une Église nouvelle qui cherchait à réformer l’ancienne plus radicalement que les conciles œcuméniques, et qui, au milieu des mines, et sous le feu de vingt puissances ennemies, s’efforçait de formuler et d’organiser les bases et la législation de la véritable religion évangélique.

Le pape écrivait à l’Empereur qu’il ne concevait pas qu’il ne pût venir à bout d’une hérésie réfugiée dans un petit coin du monde.

Ce petit coin était plus grand alors que le monde tout entier ; et la vaste Réforme de Luther était là en germe, avec bien d’autres Réformes encore que l’Humanité accomplira sans aucun doute, et peut-être sans violence, dans un avenir plus ou moins prochain.

Il arriva donc que les docteurs Orphelins, maître Jean Przibram, et maître Pierre de Mladowitz, ami de Jean Huss, se trouvèrent en dissidence sur les matières de foi avec le savant Wickléfite Pierre Payne, dit l’Anglais, et maître Jean de Rockisane, celui qui avait conclu la paix entre les Pragois et Ziska, et qui devait jouer encore un grand et fâcheux rôle dans cette révolution.

On verra ailleurs quel était le fond de la dispute, et combien, sous ses formes ardues et mystérieuses en apparence, elle devait intéresser la religion et la politique de la nation.

Les docteurs Orphelins furent mis en prison, puis élargis à la sollicitation de Rockisane ; et la décision de l’assemblée fut que Payne et Przibram, chacun de leur côté, ne parleraient de l’Eucharistie que dans les termes de l’Écriture et des Pères : conclusion fort vague, car la discussion roulait sur ces textes mêmes et sur l’interprétation qu’on devait leur donner. On essaya de calmer les esprits par une mesure de haute tolérance, en défendant aux deux docteurs de se traiter mutuellement d’hérétiques, non plus que Jean Wicklef, Jean Huss, et Jacobel.

Mais si les Calixtins de Prague prenaient prudemment leur parti dans ces sortes de conflits dangereux, les Orphelins n’étaient pas d’humeur à transiger avec leurs doctrines ardentes et leur enthousiasme révolutionnaire.

Leurs docteurs quittèrent Prague fort irrités, avec ceux des Pragois qui partageaient leurs sentiments, et ils allèrent trouver l’armée Orpheline dans son campement de chariots, ces villes ambulantes dont ils ne sortaient même pas pour se battre, ayant frappé d’interdit toutes les cités habitées par les autres hommes, on ne nous dit pas en vertu de quel préjugé fanatique ou de quelle protestation austère.

Aussitôt les Orphelins se mettent en campagne, ayant à leur tête Welichs et Procope le Petit, vaillant homme de guerre. Ils livrent de terribles assauts à la ville pragoise de Litomils avec tant de furie, qu’on eût dit des démons sortis de l’enfer. La ville est emportée, ravagée, et arrosée de sang après une vigoureuse résistance.

Plusieurs autres villes éprouvèrent le même sort. Ensuite s’étant réunis à ceux des villes de Launi et de Zatec, ils allèrent se joindre à leurs frères les Taborites, qui étaient aux prises devant une ville autrichienne avec l’archiduc Albert. La ville fut prise et brûlée, mais le combat n’en fut que plus acharné avec les Autrichiens. Les Taborites y perdirent leurs chariots, et cependant ils en sortirent vainqueurs, après quoi, étant rentrés en Bohême malgré le grand froid (décembre 1425) ils allèrent tous ensemble tenter un coup de main sur Prague.

Mais les Pragois agirent avec Procope le Grand comme ils avaient fait avec Ziska ; ils lui confièrent le salut de la patrie ; et Procope, apaisant les fureurs de son armée, conclut une paix éternelle entre toutes les sectes ennemies.

De là, il alla avec les siens prendre ses quartiers d’hiver à Klattau ; mais il n’y fut pas longtemps oisif. Dès le printemps, et tandis que les princes allemands rassemblaient leurs forces pour une attaque décisive, il alla aux frontières de la Misnie châtier deux généraux de l’électeur de Saxe, qui exerçaient d’horribles cruautés sur les Bohémiens dans ces parages. Il reprit plusieurs places, puis courut au secours des Pragois, qui venaient d’éprouver un échec considérable devant Aussig.

Enfin, au mois de juin 1426, arriva une armée allemande de cent mille hommes, commandée par plusieurs princes de l’Empire et burgraves considérables. Les Hussites, ayant à leur tête un Podiebrad[2], un seigneur de Waldstein et Procope le Grand, se retranchèrent, pour attendre le combat, dans une enceinte de cinq cents chariots liés ensemble de doubles chaînes. Les Allemands passèrent tout un jour de chaleur excessive à briser ces chaînes avec des haches à deux tranchants dont on les avait munis à cet effet pour la première fois.

Les Bohémiens, à couvert derrière leurs grands boucliers fichés en terre, les laissèrent s’épuiser à ce travail ; et dès que la cavalerie se présenta, ils la renversèrent avec leurs machines de guerre. Leurs fantassins étaient en outre armés d’une lance crochue de nouvelle invention, avec laquelle ils désarçonnaient les cavaliers.

Le combat fut acharné, et les Hussites y perdirent trois mille hommes, perte considérable vu leur petit nombre ; mais cinquante mille Allemands périrent, dit-on, en Bohême, dans cette bataille et dans les diverses escarmouches qui harcelèrent leur fuite. La fleur de leur noblesse y demeura et fut ensevelie à Tœplitz sous des poiriers sauvages, qui, selon la tradition, ne portèrent jamais plus de fruit depuis ce temps-là. La même nuit qui vit cette déroute immense des Allemands, ceux des Taborites qui étaient restés occupés au siége d’Aussig emportèrent la place, la brûlèrent, et n’y laissèrent pas un être vivant.

Après la bataille, l’armée Hussite, qui semblait ne pas connaître le repos et se fortifier dans les fatigues et les combats, fit encore d’autres exploits, et enleva d’autres places aux Catholiques. En général, les assiégés se défendaient en désespérés, sachant bien que les Taborites ne faisaient pas quartier aux vaincus.

Mais, par exception, la ville de Mise se rendit à dix hommes commandés par un chef Taborite appelé Przibik Klenowky, et surnommé le héros invincible. En réponse aux reproches de couardise de leurs voisins de Pilsen, Ce chef, dirent ceux de Mise, avait une si longue épée, qu’elle pouvait atteindre d’une porte à l’autre.

Pendant que les Taborites étaient occupés dans l’intérieur du pays, on ravageait leurs frontières. L’archiduc d’Autriche assiégeait une place de Moravie dans laquelle Procope avait mis garnison ; mais en apprenant l’approche du rasé, il s’en retira précipitamment, et Procope lui prit d’autres forteresses.

Une seule fut opiniâtrement défendue par une jeune fille dont le père venait de mourir en lui confiant la garde de sa forteresse, jusqu’à l’arrivée d’un secours qu’on attendait des Catholiques. Le secours n’arriva point, les Taborites le détruisirent en chemin ; mais l’héroïne résista quinze jours encore aux menaces et aux promesses de Procope.

Lorsqu’elle vit tous ses murs démantelés, elle accepta une capitulation honorable, et se retira avec une partie des siens, sous l’escorte d’un des capitaines assiégeants, abandonnant toutefois les vivres et les munitions de guerre.

Les Allemands étaient encore une fois vaincus ; la discorde malheureusement reparut bientôt en Bohême.

On se rappelle Koribut, ce parent du roi de Pologne dont les Calixtins de Prague et les Catholiques de la Bohême avaient voulu faire un roi avant la mort de Ziska. Wladislas le leur avait envoyé dans un moment de dépit contre l’Empereur. Puis, s’étant réconcilié avec ce dernier, il l’avait rappelé.

Mais Koribut, soit qu’il eût pris sincèrement parti pour cette nation héroïque, soit qu’il n’eût pas renoncé à l’espoir de régner, était rentré en Bohême avec quelques troupes ; et après avoir communié sous les deux espèces avec son monde, il faisait la guerre aux Allemands comme chef bohémien.

Il accompagna les deux Procope dans une expédition qu’ils firent en Autriche, et d’où, après avoir ravagé le pays jusqu’aux bords du Danube, après avoir promené le fer et la flamme dans l’Autriche, la Hongrie, la Lusace et la Silésie, les Taborites et les Orphelins rapportèrent tant de butin que la Bohême se trouva un instant riche et l’armée pourvue de tout. Le bétail enlevé sur les terres ennemies était si considérable, qu’on achetait à cette époque en Bohême quinze bœufs pour deux écus.

Mais Koribut était tombé dans la disgrâce de ces Calixtins qui l’avaient appelé quelques années auparavant contre le gré des Taborites.

On ne sait pas bien les causes véritables de cette inconstance, mais on peut présumer que Koribut, qui était un rude soldat fort aimé désormais des Taborites, avait plutôt abandonné que repris ses projets de royauté, et que les Calixtins lui en faisaient un crime et une honte. S’il en est ainsi, leur conduite à son égard fut hypocritement odieuse. Ils l’accusèrent d’avoir négocié sa réconciliation avec Martin V, et de vouloir trahir la Bohême pour s’en faire le souverain catholique et absolu.

En conséquence, ils publieront que ses mœurs brutales et ses intrigues criminelles avec Rome le rendaient incapable et indigne de gouverner ; et l’ayant affublé par dérision d’un capuchon de moine, ils l’enfermèrent dans un couvent et ensuite dans la grande tour du château de Prague.

Ce coup d’État souleva une grande indignation parmi les seigneurs catholiques qui voulaient qu’on respectât le sang royal, et qui regardaient peut-être la monarchie tempérée de Koribut comme un contre-poids bientôt nécessaire au despotisme du juste-milieu Calixtin.

Cette guerre de religion était aussi une guerre de castes. L’opinion calixtine réunissait le plus grand nombre de gentilshommes, caste qui occupait entre les seigneurs et le peuple une place analogue à celle de la bourgeoisie dans nos dernières révolutions.

Cette opinion eut ses savants et ses martyrs, ses doctrinaires et ses girondins ; mais en général elle n’eut pas le plus beau rôle dans toute cette guerre ; elle fit avorter tous les grands desseins de Ziska ; elle ne sut pas profiter de ses exploits. Brave et sanguinaire aussi quand elle défendait ses intérêts, elle devenait pusillanime, ingrate et rusée dès qu’elle les voyait menacés.

Ces rigueurs envers Koribut irritèrent aussi les Taborites et les Orphelins, qui l’avaient vu combattre hardiment avec eux contre las ennemis du pays et s’exposer, pour la cause bohémienne, à la disgrâce de son parent le roi de Pologne, aux anathèmes du pape et aux fureurs de l’Autriche. On vit alors une de ces monstrueuses alliances qui s’opèrent dans les grandes crises politiques entre deux minorités désespérées.

L’extrême gauche et l’extrême droite de la nation, les Catholiques et les Taborites de Prague se liguèrent pour délivrer Keribut et s’emparer de la métropole. Un coup de main fut tenté pendant la nuit, et jeta l’alarme dans la ville. La paix éternelle jurée par Procope n’avait pas duré plus que l’apparition des Allemands en Bohème.

Mais Procope fut étranger à cette conspiration ; et, d’ailleurs, les Calixtins avaient violé le pacte les premiers en violant le droit des gens dans la personne de Koribut, sans consulter la nation. Les bourgeois de Prague tendirent les chaînes des rues et repoussèrent l’attaque avec fureur ; plusieurs seigneurs catholiques y périrent.

Un d’entre eux, Hiacko de Waldstein, le même qui commandait avec Procope dans la grande bataille contre les Allemands, fut assassiné et pendu au gibet par un scélérat qu’il avait résolument sauvé de la corde. Les Orphelins et les Taborites de Prague furent si horriblement massacrés, qu’il ne s’en sauva pas vingt.

Le parti calixtin préludait, par ces dates de rigueur et de haine, à la grande hécatombe de jacobins et de montagnards qu’elle devait bientôt offrir à l’Allemagne pour rentrer en grâce auprès d’elle.

Le lendemain, tandis qu’on procédait à l’exécution des citoyens soupçonnés d’avoir pris part à la conspiration, on força Koribut à signer son abdication, et on le renvoya secrètement nous bonne escorte jusqu’aux frontières de la Pologne.

Cependant la conduite ultérieure de ce prince nous démontre la sincérité de ses intentions. Il appela auprès de lui les principaux d’entre les Orphelins et les Taborites, et alla trouver le roi de Pologne, non pour rentrer en grâce avec lui et le saint-siège, mais pour lui demander hardiment secours et protection pour les libertés de la Bohême.

Wladislas, qui ne se souciait plus de s’attaquer à l’Empereur et au pape, affecta un grand zèle pour la religion, et traita Koribut et ses adhérents comme des impies et des insensés.

Tout ce qu’ils obtinrent de lui, ce fut de nouvelles promesses de les recommander à la miséricorde de Dieu et du saint-siège, s’ils voulaient se convertir. Koribut ne fléchit point, et s’emporta même jusqu’à menacer en termes peu diplomatiques le roi, les évêques, les églises de Pologne et jusqu’à saint Stanislas, patron du royaume, de la fureur des Taborites. Après cette sortie non équivoque, il fut forcé de quitter la Pologne, où l’interdit et les menaces le poursuivaient de ville en ville, et il rentra en Bohême avec ses jacobins pour se joindre à l’armée taborite.

Étrange destinée d’un prince qui était venu chercher le pouvoir au milieu de cette révolution, qui avait combattu le peuple pour s’emparer de la couronne, et qui maintenant se jetait dans les bras de ce même peuple, calomnié et persécuté par ses premiers partisans, pour avoir passé à la république.

La guerre civile recommença donc avec fureur entre les modérés et les enthousiastes. Taborites, Orébites et Orphelins reprirent plusieurs villes sur le juste-milieu, ravagèrent tout le district de Pilsen, et marchèrent sur Prague pour l’assiéger de nouveau.

Mais la publication d’une nouvelle croisade de Martin V et l’approche d’une nouvelle armée allemande engagèrent, comme de coutume, les Pragois à demander la paix. Ils le firent, cette fois, par l’intermédiaire du prêtre taborite Coranda. Comme de coutume, les Taborites laissèrent apaiser leur ressentiment, et, en sauvant encore une fois la patrie, ils augmentèrent ce trésor d’ingratitude qu’on amassait contre eux.

Au milieu de juin 1427, l’armée allemande vint mettre le siége devant Mise. Elle n’était composée cette fois que de quatre-vingt mille hommes. Pour vaincre une armée de dix-huit à vingt mille Bohémiens, c’était peu ; mais le pape comptait sur l’énergie, l’habileté et le zèle du cardinal de Winchester son légat, qui avait levé lui-même les troupes en Angleterre, en Saxe, Franconie, Thuringe, Bavière, Carinthie, etc.

L’électeur de Brandebourg commandait un des corps d’armée, et le cardinal en personne dirigeait le plus considérable. Sigismond ni aucun membre de sa famille ne se joignirent à cette seconde croisade ; ils avaient agi de même à l’égard de la précédente.

D’une part, l’Empereur n’était pas fort bien réconcilié avec le saint-siège ; de l’autre, il ne voulait plus se compromettre en personne contre ses futurs sujets. En avançant en âge, l’Empereur, qui s’était imaginé d’abord ne rencontrer qu’une poignée de mutins et n’avoir qu’à montrer sa belle personne, son épaisse barbe blonde et ses longs cheveux bouclés, ceints de la couronne de Charlemagne, pour faire tomber à genoux les porte-fléaux et les cordonniers de la Bohême, avait fait bien des réflexions et profité de ses rudes désastres.

Il comprenait enfin que l’intrigue et la désunion pouvaient seules corrompre ou paralyser ces fiers courages. Les prêtres taborites, peu touchés de sa beauté, l’avaient surnommé le Cheval roux de l’Apocalypse, comme ils appelaient le pape simoniaque l’Antechrist.

L’Antechrist, en homme médiocre, se flattait toujours de réduire l’hérésie par la force des armes, et d’inaugurer les bûchers de l’inquisition sous les tilleuls de la Bohême.

Mais le Cheval roux, meilleur politique, disait, sans s’émouvoir au récit des exploits de son peuple révolté : « Les Bohémiens ne seront vaincus que par les Bohémiens. »

Amère et froide sentence, triste parole prophétique ! Il se tenait donc désormais à l’écart, et laissait faire ; sachant bien que son jour viendrait, et qu’avec de la ruse il ferait oublier ce que ses commencements avaient eu d’impopulaire et d’odieux ; même il affectait de blâmer les croisades du pape et les ravages des gens de guerre, qui lui gâtaient et lui ruinaient à plaisir sa pauvre, sa chère Bohême.

Dès que ceux de Prague eurent avis de l’arrivée des Allemands, il s’envoyèrent en toute hâte demander secours à Procope le Grand et à toute sa bande de héros. Soit qu’en effet la marche des Taborites vers l’ennemi les contraignit de traverser Prague, soit que ces fières cohortes voulussent tirer une vengeance courtoise de leurs adversaires réconciliés, ils demandèrent le passage à travers la ville.

On le leur accorda en tremblant, et en les conjurant de ne pas s’arrêter et de passer en bon ordre, sans commettre aucun acte de vengeance. Ils le promirent, et défilèrent lentement avec leurs chariots. Procope vint le dernier avec sa cavalerie et les chariots d’élite.

On avait en lui une telle confiance, qu’on le retint et le logea dans la ville avec son monde durant quelques jours. Plusieurs seigneurs catholiques, des grands de Bohême et de Moravie, se joignirent même à lui pour combattre l’ennemi commun. Ils eussent été moins hardis et moins patriotes s’il se fût agi, comme du temps de Ziska, d’aller à la rencontre de Sigismond. Mais cette armée de mercenaires, commandée par un légat, représentait à leurs yeux un ennemi moins redoutable, un maître moins légitime, le pape. L’Europe, la Germanie surtout, tendait à se séculariser, à s’affranchir du joug de Rome, ouvertement ou indirectement.

Ce récit est monotone à force de présenter durant quatorze ans les mêmes circonstances merveilleuses.

C’est la sixième fois, et non la dernière, que la vieille société germanique vient battre de toutes ses forces ces murailles vivantes qui défendent la coupe, le mystérieux symbole des libertés de la Bohême ; et cette fois encore ce petit coin du monde, si méprisé par le pape, sera la grande nation qui repoussera toutes les nations étrangères. Bien des siècles auparavant, les moines poëtes de l’ancienne chevalerie avaient rêvé les légendes du saint Graal, la coupe eucharistique que les preux devaient chercher au fond des déserts, à travers tous les dangers, et voir une fois dans leur vie pour conquérir la gloire dans l’éternité.

Mais au temps de la guerre des Hussites, l’esprit chevaleresque n’était plus dans les castes féodales. Le saint Graal était bien en Bohême, les Taborites en étaient bien les Templistes jaloux, les austères défenseurs ; mais les chevaliers de d’ancien monde ne savaient même plus vaincre les mécréants. Les Turcs menaçaient la Chrétienté, et la Chrétienté ne songeait qu’à lutter mollement contre une hérésie sortie de son sein. Il est vrai que la Chrétienté officielle, c’était la vieille société des castes, prête à se dissoudre, et que l’hérésie, la nouvelle Jérusalem, le nouveau saint Graal, c’était le Peuple, son esprit, son symbole, son avenir et ses destinées.

Cette sixième déroute des Allemands est plus fabuleuse que les précédentes. Les historiens l’ont comparée à celle de Crassus chez les Parthes, de Vexoris et de Darius chez les Scythes, et de Xerxès chez les Grecs.

Les Bohémiens n’eurent qu’à se montrer inopinément sur la rive opposée de la rivière de Mise, où était établi le camp des Allemands occupés au siége de la ville. Une terreur panique s’empara de ceux-ci, et tout prit la fuite à leur seul aspect sans coup férir, entraînant les chefs indignés et furieux, l’électeur de Brandebourg, celui de Trèves, et le cardinal de Winchester lui-même, qui faisait de vains efforts pour ranimer leur courage.

Un immense butin abandonné fut la proie du vainqueur. Il n’y eut si petit serviteur de la cause qui n’en tirât sa bonne part. « De l’aveu de plusieurs gentilshommes catholiques dont les familles sont à présent fort distinguées, dit l’historien dont nous suivons le récit[3], ce fut là le commencement de leur fortune. Les fuyards crurent s’être mis à couvert en gagnant la forêt de Tausch.

Les vainqueurs les battirent en queue, et les paysans en assommèrent un bon nombre ; les Bohémiens n’y perdirent que peu de gens. Quand on eut cette bonne nouvelle à Prague, on y chanta un Te Deum en grande solennité. Cependant l’armée victorieuse assiégea et prit après seize jours de siége Tausch, ou s’était retiré le reste des fuyards. On y passa tout au fil de l’épée. » D’après ces récits, il ne serait rien échappé de cette armée de quatre-vingt mille hommes.

« Nous avons appris avec une sensible douleur la fuite honteuse des fidèles qui étaient allée en Bohême, écrivit le pape au légat consterné ; mais il faut se raidir avec plus de courage que jamais contre la disgrâce. Prenez des mesures pour lever cet opprobre de dessus l’Église. »

Peu de temps après, le pape écrivait à ceux de Pilsen et de Carlstein (où la religion catholique prévalait) :

« Nous avons appris par les lettres de notre cher fils Jean, cardinal-prêtre de Saint-Cyriaque (c’est l’évêque de fer), que vous avez fait trêve avec les perfides et détestables hérétiques, et qu’à Noël prochain il se trouvera des gens de part et d’autre pour entrer en conférence sur la loi et sur l’Écriture sainte à l’occasion de leurs erreurs.
Nous ne doutons point que vous ne l’ayez fait de bonne foi et à bonne intention ; mais il faut se conduire avec beaucoup de précaution à l’égard de ces serpents rusés et imbus du venin de Satan. Ce qu’ils en font n’est pas dans le dessein de se convertir, mais de vous pervertir par leurs sophismes et fourberies. Ils ont la peau de l’agneau, mais ils ont les dents du loup.
C’est pourquoi nous vous prions, sans pourtant vous rien enjoindre, que vous évitiez un pas si glissant, de peur que vous ne tombiez. Évitez une telle entrevue et des disputes qui ne peuvent aboutir qu’à la destruction de vos âmes.
La foi catholique est bien assez appuyée et confirmée par le sang des martyrs ; elle a été d’ailleurs éclaircie par tant de conciles, par tant de décrets des saints papes et d’écrits des saints docteurs, qu’il serait superflu d’en disputer davantage. Il est bien plus salutaire de s’en tenir à ce qu’ils en ont décidé. Fuyez donc, encore une fois, cette conférence où vous ne pouvez rien gagner et pouvez beaucoup perdre. »

Ainsi toute la foi, toute la force de l’Église catholique en était réduite à ce point, que le pape suppliait les fidèles de ne point disputer, pour n’être pas vaincus ! Voilà l’extrémité où une poignée de plébéiens inspirés avaient amené la religion officielle !

Et ce n’est pas la crainte de leurs armes qui fait reculer le pape dans ce duel de l’esprit avec les Hussites ; car il poursuit son plan d’extermination, et promet les secours de la force matérielle aux croyants, faute de pouvoir leur fournir les armes de l’intelligence, les forces vives de la doctrine !

« Soyez assurés, leur dit-il en terminant sa lettre, que nous vous assisterons d’une telle manière, que l’orgueil des méchants sera brisé, et que non-seulement vous pourrez résister à leurs efforts, mais encore devenir victorieux. »

Martin V en écrivit aussi à Jean de Fer, qui s’efforça d’empêcher la conférence, en faisant valoir ouvertement les mêmes raisons.

Il publia un mandement dans son diocèse de Moravie pour ordonner de croire « le purgatoire, la vénération des reliques, le culte des images, les indulgences et les ordres ; et pour défendre, sous peine d’excommunication, de lire les livres de Jean Huss, de Wieklef et de Jacobel, qui ont été traduits en bohémien, de chanter les chansons défendues comme étant ineptes, scandaleuses et séditieuses, et surtout celles qui ont été faites contre le concile de Constance, à la louange de Jean Huss et de Jérôme de Prague. »

L’archiduc, de son côté, menaça de peines sévères ceux de ses sujets qui chanteraient lesdites chansons dans les places, dans les tavernes, et jusque dans les maisons particulières. Nous regrettons bien de n’avoir pas quelques-unes de ces chansons ineptes, pour savoir à quoi nous en tenir sur le goût littéraire du cardinal et de l’archiduc.

La conférence eut lieu, malgré toutes les prières et les défenses de l’Église. Un historien catholique, qui déclare qu’elle n’aboutit qu’à une division plus profonde dans les esprits, semble confesser pourtant que plusieurs Moraves s’y rendirent, et qu’ils y furent convertis au hussitisme, car il prend soin de dire que ce furent de pauvres gens, de ceux, par conséquent, qui se vendent au plus offrant.

Il assure qu’aucun grand de Moravie ne daigna s’y rendre, d’où il s’ensuit apparemment que la foi catholique fut sauvée en cette occurrence. De quel poids pourrait être, en effet, la conversion des pauvres gens ? Les députés de Pilsen ne furent sans doute pus bien féroces, car ils obtinrent une nouvelle trêve.

Procope, après avoir séjourné quelque temps à Prague, pour y pacifier toutes choses autant qu’il put, alla assiéger Kolin, avec ceux de Prague. Mais la défense fut si vigoureuse, qu’il fallut appeler les Taborites et les Orphelins. Ils finirent par s’en rendre maîtres, mais non sans beaucoup de pertes et de revers. Procope y fut blessé d’une balle de plomb.

Au commencement de l’an 1423, il y eut en Bohême une nouvelle conférence pour pacifier les démêlés de religion, et formuler les dogmes hussitiques. Tout cet enfantement d’une nouvelle Église était laborieux et ne devait aboutir qu’à une immense élaboration de matériaux pour l’avenir. Les Orphelins, les Taborites et les Calixtins formaient à cette époque trois partis bien tranchés.

On connait et on apprécie les dissentiments des deux dernières sectes, mais on ne sait pas quelles idées séparaient les Taborites des Orphelins. La partie la plus importante de cette révolution est encore enveloppée de nuages, les historiens s’étant beaucoup plus occupés des effets que des causes.

À la guerre, ils nous montrent constamment les Orphelins entreprenant les choses les plus téméraires, et sans doute avec moins de science et de tactique que les Taborites ; car ils échouent souvent, éprouvent des pertes terribles, et sont même raillés par les Taborites, qui, les voyant écrasés par leur faute au siége de Kolin, leur demandent s’ils ont eu une bonne Saint-Martin.

Mais, en toute rencontre, ces mêmes Taborites volent à leur secours, et achèvent glorieusement ce qu’ils ont audacieusement commencé. Les Orphelins jouent là le rôle que les troupes régulières de Marie-Thérèse laissaient aux Pandoures de la Croatie, dans les guerres contre Frédéric le Grand. Ce sont eux qui tentent les coups les plus insensés, qui se jettent dans l’eau, dans le feu, dans la glace, et qui, par leur fanatique mépris de la vie, rendent possible ce que la raison eût repoussé.

Il est vrai que, sans Procope et sa cohorte invincible, à la fois prudente et acharnée, ces enthousiastes eussent été martyrs plus souvent que vainqueurs. Expliquera-t-on leurs querelles en temps de paix par la différence de leurs tempéraments et de leur conduite en temps de guerre ?

Ce serait expliquer le fait par le fait, et il est évident pour nous que cette fureur aveugle qui les poussait à sacrifier leurs vies, sans égard pour les dangers formidables qu’ils attiraient sur le reste de l’armée, était le résultat de quelque croyance particulière, peut-être celle de la résurrection immédiate dans de nouveaux corps, qui avait été prêchée à couvert durant les dernières années de Ziska.

Quoi qu’il en soit, la conférence de Béraune[4] remua chaudement la question du dogme de la transsubstantiation, et celle du libre arbitre, de la justification et de la prédestination. On ne nous dit pas quelle part y eurent les uns ou les autres. On nous montre Procope soutenant, sans défaillance et sans variation, la croyance des Picards Taborites, qu’on pourrait appeler aussi croyances Bérengariennes.

Comme, depuis le commencement de la révolution, ces doctrines s’étaient puissamment élaborées dans les fortes intelligences des prêtres taborites, Coranda, Jacobel, Biscupec et autres, et qu’ils firent encore des progrès dans la suite, nous les expliquerons en leur lieu, et nous suivrons rapidement les événements de la guerre.

Les Orphelins attaquant toujours, et les Taborites accourant toujours pour les sauver, l’armée révolutionnaire fit des expéditions formidables en Silésie et en Moravie. Douze villes furent brûlées, et le pays ravagé. La terreur fut portée jusqu’à Breslau. Après Neissa, Bruna fut assiégée, et Procope y soutint un de ces terribles combats où l’engageait trop souvent la confiance fanatique des Orphelins. De là il retourna porter la désolation et l’épouvante jusqu’aux portes de Vienne.

Mais, à son retour, il trouva une de ses meilleures places enlevée et rasée par la garnison allemande de Bechin. Il assiégea cette dernière place, et y éprouva une grande douleur. Jaroslas, son intime ami, l’unique frère de Ziska, fut tué à ses côtés. Enfin il enleva Bechin, et y mit garnison. Tabor, qui était située dans le voisinage, avait couru de grands dangers durant cette campagne. De leur côté, après un long siége et de grandes pertes, les Orphelins prirent Lichtenberg, et pénétrant dans le district de Glatz, y mirent tout à feu et à sang.

Ils y soutinrent une bataille dans laquelle ils eussent succombé, sans l’arrivée du grand Procope, qui avait hérité de Ziska le don de porter toujours des coups décisifs. Mais, en somme, ces campagnes en Silésie et en Moravie furent presque aussi désastreuses qu’avantageuses aux Hussites. Ces races slaves, aux prises les unes contre les autres, ne pouvaient s’étreindre mollement.

Ce n’étaient pas là les timides croisés de Martin V, ces mercenaires allemands, qui fuyaient à la seule vue du bouclier hussitique. La famille slave eût conquis le monde à cette époque, si elle eût été unie par une même foi. Le temps de Hunniade et de Scanderbeg approchait. Quelle croisade contre les Turcs, si Procope et Ziska l’eussent commencée !

Sigismond profita de l’hiver, qui ramenait et concentrait en Bohême tous les partis, pour envoyer une ambassade et proposer la paix. Procope reçut une députation à Tabor, et se flatta de négocier une réconciliation honorable. Il obtint un sauf-conduit, et alla trouver l’empereur en Autriche. Mais Sigismond ne voulut point se départir de son autorité, et Procope n’était pas homme à transiger avec la foi et l’honneur de sa patrie. Il revint irrité de l’obstination et de la folie de l’Empereur.

Cependant les deux villes de Prague (la vieille Prague et la nouvelle) exerçant de mortelles inimitiés l’une contre l’autre, Procope jugea bientôt qu’il devait faire tous ses efforts pour procurer la paix. Il proposa de recevoir Sigismond, à condition que lui et tous ses Hongrois voulussent suivre l’Écriture sainte, communier sous les deux espèces, et accorder aux Bohémiens toutes les grâces qu’ils lui demanderaient. Procope n’était pas l’homme des concessions, et ses bonnes intentions ne pouvaient combler un abîme.

On accusait les Orphelins et les Taborites de rejeter tous les accommodements, pour perpétuer une guerre de rapines qui ne profitait qu’à eux. Ces accusations étaient amères au noble cœur de Procope. Il envoya faire de nouvelles offres à l’Empereur, et ce dernier assembla une diète à Presbourg, où Procope se rendit à la tête de la députation des grands de Bohême et des seigneurs de Prague. Mais la timide politique des Calixtins voulait déborder la fière et loyale contenance du rasé.

Pendant les conférences de la diète, les États de Prague s’assemblèrent, et résolurent d’envoyer à l’Empereur des propositions qui sans doute n’eussent pas été du goût de Procope ; car les Orphelins et une partie des Taborites s’opposèrent à cette résolution, et proclamèrent avec une sainte fureur qu’un peuple libre n’avait pas besoin d’un roi.

Les hostilités entre les partis des deux villes de Prague recommencèrent. Les négociations furent rompues, et Procope, averti sans doute de l’espèce de trahison qui tendait à le compromettre, revint à Prague sans rien conclure avec l’Empereur.

Il rétablit la paix dans la capitale, et se joignant aux Orphelins avec son armée, il résolut, pendant que les Orébites iraient fourrager les districts de Glatz, de faire irruption dans la Misnie. Il harangua ses soldats en les appelant, comme faisait Ziska, ses très-chers frères, et les ayant enflammés de l’ardeur qui le remplissait, il passa l’Elbe et alla s’emparer de la vieille ville de Dresde. Repoussés par une surprise nocturne, les Bohémiens allèrent le long de l’Elbe, brûlant en chemin les pressoirs, dégâtant les vignes et pillant les villages.

Ils entrèrent dans Meissen, et emprisonnèrent l’évêque Jean Hoffmann, qui avait voté la mort de Jean Huss à Constance. Ils remplirent de terre les puits et les fosses métalliques de Scharffenberg, et bouchèrent les veines et canaux des mines. Après quoi ils continuèrent à remonter l’Elbe, pillant et brûlant tout, jusqu’à Torgau et à Magdebourg.

De là, ils jetèrent un pont sur le fleuve, passèrent dans la Lusace et dans la marche de Brandebourg, réduisirent Gouben en cendres, assiégèrent Gorlitz, et Bautschen, qui se défendit vigoureusement et finit par se racheter pour une forte somme. Ils rentrèrent en Bohême à l’époque de Noël, avec de riches provisions ; dès le commencement de 1430, ils s’apprêtèrent à de nouvelles excursions. Ils se partagèrent en diverses bandes dont chacune prit un nom particulier, collecteurs, petits chapeaux, petits cousins, troupes de loups, petits hommes chaussés, etc.

Un renfort de Hussites de Moravie vint les rejoindre après avoir enlevé la ville épiscopale de Jean de Fer et ravagé sa province. Ces bandes terribles réunies formaient une année de vingt mille chevaux, et de trente mille hommes de pied, avec trois mille chariots attelés de six, de huit, et même de quatorze chevaux.

Ils étaient commandés par Procope le Rasé, Guillaume de Kostka[5] et Jean Zmrzlik. Ils firent une nouvelle irruption sur la Misnie, et retournèrent jusqu’au delà de Dresde. À Grimme et à Coldilz près de Leipsick, ils battirent l’électeur de Brandebourg et repoussèrent une armée de confédérés, commandée par plusieurs princes et prélats qui venaient au secours de leur voisin.

Mais la division était parmi ces seigneurs ; l’empire germanique était en pleine dissolution, et la race allemande ne pouvait lutter contre les Bohémiens.

L’ivresse fanatique des Hussites augmentait avec leurs victoires. Ils prirent Altenbourg, ville impériale de la Misnie, et y exercèrent d’effrayantes représailles des bûchers de Jean et de Jérôme. La ville entière, avec la noblesse et les moines, fut à son tour un vaste bûcher. Parmi les vaincus, il y avait un bouffon qui s’écria : « Nous avons cuit l’oie, mais les Bohémiens nous donnent la sauce. » Allusion au nom de Huss, qui signifie oie[6].

Dans le Voigtland, après avoir brûlé quatre villes, ils assiégèrent Plaven et la traitèrent comme Altenbourg.

Enfin, après avoir ravagé la Saxe et le duché de Cobourg, brûlé Culmbach, Bareith, forcé l’évêque de Bamberg à racheter sa ville pour neuf mille ducats d’or, arraché les mêmes actes de capitulation à l’électeur de Brandebourg, au duc de Bavière, au marquis d’Anspach, à l’évêque de Salzbourg, etc., ils exigèrent dix mille ducats d’or de Nuremberg pour l’épargner, et rentrèrent en Bohême au milieu de l’hiver.

On compte « plus de cent places, tant forts que villes, qui furent détruits dans cette expédition. »

1429 et 1430 virent mourir deux des héros de cette histoire : le premier fut Jacobel ou Jacques de Mise, l’ami de Jean Huss et le principal instigateur de la révolution de Bohême, homme éminent sous tous les rapports, et théologien redoutable à l’église romaine.

Le second fut le cardinal évêque d’Olmutz, ce Jean de Prague ou Jean de Fer, prélat aux inclinations martiales, au courage de lion, mais dont la vaillante épée ne put servir la cause de Rome en proportion du mal que lui firent les écrits et les prédications de son compatriote Jacobel.

L’Empereur, épouvanté des progrès des Hussites, se rendit à Nuremberg, et y convoqua une diète qui dura huit mois. Presque tous les prélats et princes de l’Empire s’y rendirent, et il fut résolu une nouvelle expédition, que les historiens comptent pour la sixième, bien qu’elle soit effectivement la septième contre les Bohémiens. Le pape y envoya son légat pour prêcher en personne la croisade.

La bulle de Martin contenait ces chefs principaux :

« On accorde cent jours d’indulgences à ceux qui assisteront aux prédications du légat. — Indulgence plénière tant à ceux qui se croiseront et qui iront à la sainte guerre, soit qu’ils y arrivent heureusement, soit qu’ils meurent en chemin, qu’à ceux qui, n’étant pas en état d’y aller eux-mêmes, y enverront à leurs dépens ou aux dépens d’autrui. — On remet soixante jours de pénitence aux personnes de l’un et de l’autre sexe qui, pendant l’expédition, feront des prières et jeûneront pour son heureux succès. — On ordonne de fournir des confesseurs aux croisés, soit séculiers, soit réguliers, pour entendre leurs confessions et leur donner l’absolution, quand même ils auraient usé de violence contre des clercs ou des religieux, quand ils auraient brûlé des églises ou commis d’autres sacriléges, et même dans les cas réservés au siége apostolique. On défend aux confesseurs de prendre des croisés au delà d’un demi-gros de Bohème, pour la confession, et cela quand on l’offrira et sans l’exiger. — On dispense de leurs vœux ceux qui en auraient fait pour quelque pèlerinage, comme à Rome ou à Saint-Jacques de Compostelle, à condition que l’argent qu’ils auraient pu dépenser en ces voyages sera employé à la croisade. »

Ce fut là le dernier acte de Martin. Il mourut d’une attaque d’apoplexie, le 30 janvier 1434. On l’ensevelit dans un mausolée d’airain, avec ces paroles pour épitaphe : « Il fut la félicité de son temps, » ironie sanglante à la destinée de ces temps malheureux !

Dès le 6 mars, quatorze cardinaux élurent Eugène IV, en lui imposant des conditions de soumission qu’il ne tint pas mieux que son prédécesseur. Le cardinal Julien fut confirmé dans la charge de légat en Allemagne pour la réduction des Bohémiens, et envoya des lettres et mandements d’un langage si haineux et si fanatique, qu’on les croirait aussi bien émanés de Tabor ou du camp des Orphelins que de la chaire pontificale.

Les damnables hérétiques y sont comparés à l’aspic, aux bêtes farouches, etc. ; et au milieu de l’énergie d’expression que comportait une époque si tragique, ces pièces ont une éloquence ampoulée qui est aussi un des traits caractéristiques de l’école apostolique et romaine au quinzième siècle.

Pendant les préparatifs de la guerre, Sigismond s’avança jusqu’à Egra, et envoya deux seigneurs à Prague pour faire une nouvelle tentative d’accommodement.

Il comptait sur la lassitude et la démoralisation du juste-milieu. Il savait que le Hussitisme s’était effacé autant que possible dans l’esprit des gentilshommes de Bohême, sorte de bourgeoisie noble attachée à ses intérêts plus qu’à ses doctrines. Cependant il connaissait mal l’espèce de résistance sourde et tenace dont est capable une bourgeoisie en train de s’affranchir.

Les quatre articles des Calixtins étaient moins pour eux, comme nous l’avons dit souvent, des articles de foi, que des droits politiques, et il n’était pas si facile de les leur enlever qu’on se l’imaginait. Les Taborites, plus courageux et plus croyants, consentaient à reconnaître Sigismond, à la condition qu’il observerait lesdits articles, non-seulement quant à la forme, mais quant au fond, et qu’il les entendrait dans les sens politique et religieux. Ils s’obstinaient donc à le faire communier à leur façon, lui et toute sa grandesse hongroise et catholique.

Quant aux Orphelins, inflexibles dans leur austère jacobinisme, ils ne voulaient aucune composition, et s’indignaient des illusions généreuses du candide Procope. Une députation à laquelle on adjoignit un prêtre taborite alla toutefois discuter avec l’Empereur pendant quinze jours ; mais Sigismond avait besoin de nouvelles leçons pour s’amender et se convaincre de la nécessité des concessions.

Il n’accordait rien, et pendant ce temps ses plénipotentiaires intriguaient à Prague pour semer la division et lui faire des créatures. Et pendant ce temps aussi, ou prêchait la croisade, et on armait tout l’Empire contre la Bohême. Les Orphelins s’écrièrent que les lenteurs de la conférence étaient un piége de Sigismond pour les endormir et pour fondre sur eux à l’improviste. La méfiance et la peur relevèrent le courage des Calixtins.

Les députés furent rappelés, et quittèrent Sigismond avec cette protestation : « qu’on ne pouvait plus désormais reprocher aux Bohémiens de ne vouloir pas terminer par une paix loyale une guerre si désastreuse, puisqu’il était notoire que c’était la faute des autres, et non la leur. »

Lorsqu’ils firent leur rapport à Prague, les seigneurs, consternés, appelèrent le peuple aux armes, et proclamèrent le danger de la patrie pendant la procession de la Fête-Dieu.

Le peuple entra en fureur, et le Cheval roux fut chargé de mille malédictions nouvelles. Le juste-milieu envoya avertir les troupes de loups, les petits cousins et toutes les bandes les plus effroyables des Taborites, des Orébites et des Orphelins.

Elles s’étaient dispersées, sans s’inquiéter du résultat de la diète, dans de nouvelles expéditions à l’extérieur et aux frontières. Tous revinrent, et « mirent sous leurs pieds leurs inimitiés et leurs discordes, pour ne penser plus qu’au salut de leur patrie. Les grands de Bohême et de Moravie s’unirent étroitement dans la même vue, les villes renouvelèrent leurs confédérations. Petits et grands, on vit tout le monde s’armer avec une allégresse commune.

De sorte qu’en fort peu de temps il se trouva, à la revue qui fut faite dans le cercle de Pilsen, cinquante mille hommes d’infanterie et sept mille chevaux sous les armes, avec trois mille six cents chariots. D’autre côté, on prit soin de garder les avenues. Les districts de Zatec et de Launi, celui de Gratz et plusieurs villes frontières avaient l’œil sur la Moravie et sur l’Autriche, pour fermer l’entrée à l’archiduc ou au capitaine de Moravie. Pendant que ces choses se passaient en Bohême, le cardinal Julien se donnait tous les mouvements imaginables pour animer le flegme des Allemands[7]. »

C’était une entreprise difficile, comme le fait très-bien pressentir notre naïf historien, dont le vieux style est agréable quand il n’est pas trop obscur. L’Allemagne embrassait froidement la querelle de Sigismond, et les terribles courses des hérétiques au cœur de ses plus riches provinces l’avaient frappée d’épouvante. C’était, parmi les troupes des divers États, à qui n’entrerait pas la première en Bohême.

L’archiduc devait faire une diversion par la Moravie, pour forcer l’ennemi à dégarnir ses autres frontières ; mais Albert voulait que le cardinal vînt le joindre, et le cardinal n’y alla pas. Chacun voulait rester chez soi pour se défendre, trouvant que c’était bien assez d’embarras, comme dirait notre auteur, sans aller chercher le danger au foyer de l’enfer.

D’ailleurs plusieurs princes de l’Empire étaient occupés à se faire la guerre, et laissaient le légat prêcher cette morale : « Au nom du Christ qui vous a enseigné la charité, ô mes frères ! armez-vous et unissez-vous ; car il y a du sang à verser en Bohême, et les hommes qui osent défendre leurs autels et leurs foyers attendent de votre mansuétude la mort et la damnation éternelles. »

Cette doctrine est pleinement développée dans toutes les lettres du savant et disert cardinal Julien.

Il écrit aux Bohémiens au moment d’entrer en campagne, non pour leur promettre de n’y point entrer s’ils se réconcilient, mais pour les exhorter tendrement à se laisser convertir et persuader par une armée de cent trente mille hommes :

— « Revenez donc à l’Église, votre mère, et ne l’affligez pas plus longtemps. Elle gémit, elle fond en larmes, elle jette des cris perçants. Revenez à nous, chers cœurs, nous irons au-devant de vous ; nous nous jetterons à vos cous, nous vous donnerons des vêtements nouveaux, nous tuerons le veau gras, nous inviterons nos voisins et nos amis (les cent trente mille mercenaires) pour se réjouir avec nous du retour de nos enfants. Au fond, pourquoi feriez-vous difficulté de revenir à nous ? Ne sommes-nous pas nés d’une même mère ? N’avons-nous pas la même foi chrétienne, la même parole, les mêmes sacrements ? Ne recevons-nous pas la même Écriture sainte ? Qu’est-ce donc qui vous éloigne de nous ?… Nous vous le protestons la larme à l’œil, ce n’est qu’à notre grand regret et par la plus cruelle nécessité que nous nous armons contre vous. Nous y sommes portés par l’amour de nos prochains, persécutés, dépouillés, massacrés inhumainement par les Bohémiens. »

C’est à eux qu’il écrit ainsi à la seconde et à la troisième personne en même temps. Massacrés par vous eût été trop impoli, apparemment… « Si vous rejetez nos offres et nos invitations, ne nous imputez pas les malheurs de la guerre, et ne vous en prenez qu’au refus des gens qui veulent être plus sages qu’il ne faut.

Croyez-vous que ces gens-là en sachent plus que l’ancienne Église et celle d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que peuvent vous apprendre des gens de guerre, des paysans, des bourgeois grossiers ?

Des gens sans lettres sont-ils plus habiles que tant de docteurs, que tant d’académies où avaient fleuri les saintes lettres ? Écoutez saint Augustin qui vous dit qu’il n’aurait pas cru à l’Évangile sans le témoignage de l’Église, etc., etc. »

Autant la lettre du cardinal, dit Jacques Lenfant, est pathétique, insinuante et artificieuse (il aurait pu ajouter aristocratique), autant la réponse des Bohémiens est libre, ferme et même assez dure, mais nette et précise. La voici :

« Il est impossible, révérend père en Christ (c’est le titre qu’on donnait à un simple prêtre), qu’une personne d’un aussi grand esprit et d’une aussi grande autorité ignore que le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant sa vie sur la terre, non-seulement a donné aux hommes divers préceptes très-salutaires, mais qu’il les a pratiqués lui-même ; entre lesquels ces quatre sont les principaux : 1º que le vénérable sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ doit être administré sous les deux espèces ;que la parole de Dieu doit ce prêcher librement et selon la vérité ;qu’il faut punir les péchés publics, commis sous prétexte de religion ;qu’il faut ôter l’administration de la république aux ecclésiastiques[8].

Ces quatre articles se prouvent clairement par les Évangiles, par les Apôtres, et par tous les saints Pères… Ils ont été reçus dans l’Église chrétienne, et gardés fidèlement pendant quelques siècles, comme cela paraît par les commentateurs et docteurs vraiment catholiques.

Mais ils ont été violés et supprimés par nous ne savons quels petits prêtres, qui, dégénérant de la piété de leurs prédécesseurs, se sont éloignés de la règle de l’ancienne Église, s’ingérant dans les affaires du siècle, engagés dans les embarras et les épines des richesses mondaines, et, ce qui est plus déplorable et plus cuisant encore, croupissant dans la mollesse et dans l’oisiveté, au grand et irréparable dommage des âmes fidèles.

« C’est pour cela que, tout indignes que nous sommes, mais appuyés des secours de Dieu, nous avons toujours travaillé, depuis plusieurs années, à les remettre sur pied, à les rétablir, à les éclaircir et à les faire observer et respecter, selon leur poids et leur mérite.

Combien n’avons-nous point souffert d’inimitiés, d’injures, fait de dépenses, enduré de fatigues, encouru de périls pour les soutenir, sans même épargner nos vies ? Nous avons même demandé plusieurs fois avec instance d’être admis et écoutés publiquement, dans un concile libre, paisible et sûr ; mais tout cela inutilement jusqu’ici.

Qui peut s’empêcher d’admirer la diligence et l’exactitude de vos pères, tant vantés, de vos prélats, et de l’Église romaine, à remédier aux maux de la chrétienté ? Au lieu d’empêcher que les vérités salutaires, annoncées et reçues avec tant d’éclat dans le monde, ne fussent ensevelies dans l’oubli, vous avez été les premiers à les négliger, surtout l’article de l’Eucharistie, où, depuis tant d’années, par le plus grand des sacrilèges, vous avez retranché le calice au peuple, à qui jésus-christ l’a donné.

Comment avez-vous souffert cet abus ? comment ne l’avez-vous pas vengé, pendant que vous étiez si soigneux de recevoir vos dîmes et vos impôts ? Mais, sans parler ici de l’intérêt qu’a toute l’Église à ce rétablissement, pourquoi nous l’avez-vous refusé si opiniâtrement, il nous qui l’avons demandé avec tant d’instance, et à qui même vous l’auriez dû accorder, quand nous ne l’aurions pas demandé, pour prévenir tant d’illusion de sang ? Nous ne saurions nous empêcher de croire qu’il y a là-dessous quelque dessein caché.

« Considérez la chose de près. Ne valait-il pas mieux rétablir une institution si utile, si nécessaire à l’Église, que d’assembler, au péril de leurs vies, de leurs États et de leurs âmes, et avec des frais immenses, tant de rois, de princes et de peuples de diverses nations et de diverses langues ? Et pourquoi ? Pour amener le royaume de Bohême à la religion romaine et a ses usages, rites et constitutions ecclésiastiques.

Mais vous avez beau faire, ce royaume persistera dans la foi, et se reposera, comme il fait, dans le sein de la Sainte Mère Église orthodoxe, dont Jésus-Christ est le chef. Mais vous-mêmes, tous tant que vous êtes, vous rendriez un grand service à l’Église catholique, si vous vouliez embrasser ces vérités salutaires. Car, ni vous, mon très-cher père, ni vos adjudants, ne pourrez, selon le droit et la raison, être juges de cette cause.

Cette sainte et éternelle loi dont Dieu lui-même est l’auteur, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a confirmée par sa vie et par sa mort, est très-juste par elle-même ; et il n’y a rien de plus indigne que de prétendre l’assujettir au jugement arbitraire des hommes, sujets à la mort et au péché, puisque saint Paul a dit : Anathème même à un ange du ciel qui annoncerait un autre Évangile que celui que Jésus-Christ a enseigné.

Le cœur de l’homme abandonne souvent la vérité immuable pour suivre la direction d’une raison qui peut s’égarer, et qui s’égare en effet souvent. Nous n’avons donc garde de commettre le jugement de notre cause à des gens qui, ayant renoncé à la piété, regardent cette vérité comme une erreur manifeste, en traitant d’hérétiques damnables ceux qui s’y attachent, et qui, outre cela, sont nos ennemis déclarés.

Pour nous, nous sommes dans ce sentiment, que, dans un concile, il ne doit y avoir d’autre autorité que celle de l’Écriture sainte, qui est une règle très-certaine et le juge équitable que Dieu a laissé au monde, qui n’est point trompé et ne trompe point ; y joignant le témoignage des saints docteurs, quand ils sont conformes à cette règle divine ; et quand l’Église l’aura reçue sur ce pied-là, nous serons tous réunis ensemble. Alors, toute l’Église militante, purgée de son mauvais levain, reprendra sa première splendeur ; la foi germera, la paix fleurira, l’amour et la concorde régneront.

« Mais c’est ce qui n’arrivera pas par votre nouvelle méthode, inconnue comme nous croyons aux Apôtres, de venir contre nous avec tant de milliers de soldats à qui les épées, les flèches et toutes sortes d’instruments de guerre tiennent lieu de l’Écriture et du raisonnement. Sont-ce là des armes dont un père se sert pour gagner ses enfants, comme vous nous appelez ?

Mais puisque vous avez choisi ces armes, nous en avons aussi de même trempe, et nous sommes prêts à en venir à un combat décisif. Si vous étiez entrés chez nous comme saint Pierre entra chez Corneille, vous y auriez sans doute fait de grands fruits, et vous auriez réjoui les Pères de l’Église chrétienne ; et au lieu d’un veau ils auraient tué un bœuf gras, et invité leurs voisins à se réjouir avec eux.

Toutes ces choses bien pesées, on voit assez ce qui nous sépare les uns des autres, quoique nous ayons le même baptême. C’est que nous autres non-seulement nous professons de bouche la religion, mais nous la pratiquons et l’exerçons en effet. Ainsi, nous vous prions de nous écouter fraternellement, parce que la fin du monde approche, de vous joindre avec nous et de marcher avec ardeur sur les traces de Jésus-Christ et de ses disciples. C’est par ce moyen que le peuple de Christ reposera paisiblement dans les tabernacles de l’espérance et obtiendra le salut éternel. « À Prague, au mois de juillet 1431. »

En même temps parut un Manifeste adressé, de la part des États de Bohême et de Moravie, à tous les rois, princes, comtes, marquis, etc., orthodoxes, où les quatre articles de foi religieuse et politique sont expliqués avec d’amples développements, et où, après avoir rappelé qu’on a toujours refusé de les entendre et de les discuter avec eux, les Bohémiens concluent ainsi :

« Jugez vous-mêmes si, après un refus si obstiné, nous devons reconnaître de tels juges, principalement les ecclésiastiques, qui, comme des écailles, se tiennent serrés auprès de l’Empereur de peur que la vérité ne pénètre.

Cette obstination ne leur vient que de leur orgueils et de leur arrogance. Oubliant l’humilité de leur profession, ils ne pensent, ils n’agissent que dans la vue d’envahir tous les empires et tous les biens de la chrétienté. Pour y réussir, ils tournent à tous vents, et font de la foi chrétienne une boule qui roule du côté que l’on veut.

Au lieu d’imiter Jésus-Christ et les Apôtres, ils nagent dans les délices et dans les voluptés de la chair. Comme des pourceaux, ils foulent les choses saintes aux pieds ; ils deviennent les temples du Diable. Comme les sergents de l’Ante-Christ, ils traitent d’hérésie les vérités chrétiennes, et il ne tient pas à eux que Jésus-Christ lui-même ne soit hérétique.

Quoique non plus qu’aux Juifs il ne leur soit permis de faire mourir personne, ils assassinent par les traits empoisonnés de leurs langues ; ils le font à la lettre par cette croisade sanguinaire, et ils vous ont engagé contre nous, ô rois et princes ! comme si vous étiez leurs vassaux ou plutôt leurs satellites et leurs bourreaux. C’est pour vous y amorcer qu’ils vous promettent la rémission de vos péchés qu’ils n’ont pas pour eux-mêmes, beaucoup moins peuvent-ils donner le salut éternel dont ils vous bercent dans leurs diplômes mêlés de fiel et de miel. »

Ce manifeste se termine par cette fière déclaration : « Si donc séduits par les artifices de vos petits prêtres, vous faites irruption chez nous, les armes à la main, appuyés sur le secours de celui dont nous défendons la cause, nous repousserons la force par la force, et nous nous vengeront des injures qui ne sont pas tant faites à nous qu’à Dieu. Pour vous, la chair est votre bras ; mais le nôtre, c’est le Dieu des armées qui combat pour nous. À lui soient gloire et louanges dans tous les siècles ! »

Enfin la septième armée pénétra en Bohême, sous les ordres du cardinal Julien et de l’électeur de Brandebourg, qui avait reçu en grande solennité, à Nuremberg, l’étendard bénit des mains de ce prélat. Frédéric le Belliqueux, électeur de Saxe, ainsi que plusieurs autres princes et évêques, venaient après eux, avec des renforts considérables.

C’était la plus grosse armée qu’on eût encore envoyée contre les Hussites ; mais on grossissait en vain le nombre des hommes, le courage allait diminuant toujours. La Bohême était regardée superstitieusement comme le tombeau de l’Allemagne, et, au son du tambour des Taborites, on croyait voir apparaître le spectre exterminateur de Ziska.

On entra donc timidement sur cette terre glorieuse, en détachant force espions en avant, et on s’enfonça en tremblant dans ces montagnes du Bœhmerwald où l’en s’attendait à mille embuscades. Procope, irrité de vaincre ces grandes armées sans les combattre, désirait les attirer à l’intérieur et les voir se réunir sous sa main terrible.

Il s’avisa à cet effet d’un stratagème. Ce fut de tromper les espions, en leur faisant croire que la division s’était mise parmi les Hussites, que Prague abandonnait les Taborites, et que les Taborites, à leur tour, se séparaient des Orphelins.

À cet effet, il fit faire aux divers corps de l’armée bohémienne diverses marches et contre-marches, qui semblaient annoncer l’incertitude et la désertion. En peu de jours les Impériaux furent persuadés qu’ils pouvaient hasarder leurs forces a découvert, et qu’ils n’avaient à combattre que de paysans et des ouvriers mal armés et mal dirigés. Sur ces fausses nouvelles, l’armée hâta sa marche, chantant le triomphe avant la victoire.

Après avoir traversé la forêt de Bohême, les Allemands allèrent assiéger Taschau sur la Mise. On les laissa s’y agglomérer et s’y installer ; puis, tout à coup, Procope fondit sur eux avec ses Taborites et les Orphelins. Ce fut le signal de la déroute la plus complète. Les Allemands épouvantés se répandirent au hasard dans le pays, ravageant tout sur leur passage, et se vengeant de leur honte par mille cruautés.

Enfin, s’étant ralliés vers Taus (Tusta), dans le district de Pilsen, ils allèrent camper à Riesenherg, château situé sur une haute montagne. Procope se dirigeait sur eux à grandes journées ; mais dès qu’ils en eurent avis et dès qu’ils apprirent le bon accord qui régnait parmi les Bohémiens pour les expulser, ils furent saisis d’une terreur panique et s’enfuirent vers la forêt, sans qu’il fût possible à leurs chefs de les rallier.

C’est en vain que le cardinal leur adressa une harangue en beau style ; c’est en vain qu’il s’écria : « Ô Allemagne ! ô Allemagne ! que diraient les Arioviste, les Tuiscon et les Arminius, s’ils voyaient fuir ainsi leurs descendants au seul nom de l’ennemi ? Ô honte ! ô infamie ! nous fuyons la Bohême, mais la Bohême nous poursuivra et nous exterminera dans les lieux de nos retraites.

Où seront les murailles qui pourront nous mettre à couvert ? Non, non, ce se sont pas les murailles qui défendent les hommes, c’est la bravoure et l’honneur ![9] »

La voix éloquente du prélat se perdit dans les profondeurs du Bœhmerwald, et lui-même, entraîné par les fuyards, perdit sur les chemins la bulle du pape, son chapeau et son habit de cardinal, sa croix et sa clochette. Ces insignes furent ramassés et portés à Taus, où ils restèrent longtemps dans les archives de la ville.

L’épouvante fut si grande, qu’ayant oublié par où ils étaient venus, et assourdis par le bruit de cent cinquante gros canons qu’ils avaient abandonnés, et que les Bohémiens s’amusaient à faire partir pour augmenter leur terreur, ils s’enfoncèrent pêle-mêle dans les chemins tortueux de la montagne, courant à toute bride ; les chariots se croisant, se heurtant, les cavaliers s’abattant de tous côtés.

C’était une confusion, des cris, un désordre dont rien ne peut donner l’idée, un spectacle lamentable à voir. Onze mille hommes périrent, pour ainsi dire, en courant. Sept cents tombèrent aux mains de l’ennemi. Toutes les munitions de guerre et de bouche, deux cent quarante chariots remplis les uns de vin, les autres d’or et d’argent, furent abandonnés.

L’armée en déroute arriva à Ratisbonne dans un état déplorable, et y apporta le désespoir. Cette ville s’était épuisée pour les frais de la croisade, et il fallait qu’elle s’imposât à la hâte de nouveaux sacrifices pour se fortifier, car on attendait l’ennemi et sa vengeance. Mais le cardinal l’avait dit : « Ce ne sont pas les murailles qui défendent les hommes. »

« Qui l’aurait cru, s’écrie à cette occasion l’historien Cochlée, qu’une armée de quarante mille chevaux eût pu prendre la fuite si soudainement ? Le Turc, lui-même, ce tyran si puissant par un si grand nombre de royaumes et de provinces, n’oserait pas combattre une telle armée. »

Sans doute personne n’eût voulu le prévoir, cet ascendant irrésistible de la bonne cause sur la mauvaise ; et bien que l’histoire soit pleine de pareilles leçons, les hommes sans croyance et sans enthousiasme s’en étonneront toujours. Mais la vie de l’Humanité est semée de miracles : malheur aux puissants qui ne les comprennent pas !

De son côté l’archiduc Albert profitait de cette diversion pour réduire son duché de Moravie et pour en extirper l’hérésie[10]. Il y prit plusieurs villes qu’il livra au pillage de ses soldats, et y brûla cinq cents villages.

Mais il ne les convertit pas, et fut forcé de fuir devant Procope le Petit et ses Orphelins, qui, ayant ravagé le territoire catholique, allèrent brûler les faubourgs d’Olmutz et dévaster l’Autriche jusqu’aux rives du Danube.

Procope le Grand fit une nouvelle course en Silésie ; puis, s’étant réuni à Procope le Petit, il pénétra au cœur de le Hongrie.

Mais certaines dissensions, qu’on ne nous explique pas, ayant forcé les Orphelins et les Taborites de se séparer, Procope le Rasé entra en Moravie ; et Procope le Petit, bien qu’il se défendit comme un lion, tomba dans une embuscade, et y éprouva de grandes pertes.

Les Orphelins avaient hérité de l’intrépidité de Ziska, mais non de sa ruse et de sa prudence. Ils furent mis en déroute par les montagnards valaques, au milieu des glaces de l’hiver, et rentrèrent en Bohême, horriblement maltraités.

Le cardinal Julien, de retour à Nuremberg, fit à l’Empereur de grandes plaintes de la lâcheté des princes allemands. Le concile de Bâle venait de se rassembler. Il fut résolu d’y appeler ces terribles hérétiques, contre lesquels les armes ne pouvaient rien, et de tâcher de les gagner par composition.

Il avait fallu bien des leçons pour ramener ainsi les choses à leur point de départ, et le supplice de Jean et de Jérôme était suffisamment vengé. En conséquence, l’Empereur écrivit aux Bohémiens une lettre fort gracieuse, mais un peu tardive. « Nous avons appris, disait-il, qu’il s’est répandu des bruits en Bohême ; qu’étant à Egra, nous avions commandé à notre armée d’entrer incessamment dans ce royaume, et d’y mettre tout à feu et à sang, sans distinction d’âge ni de sexe. Mais il faut que vous sachiez qu’une telle pensée ne nous est jamais venue dans l’esprit, non pas même en dormant… Nous souhaitons que vous n’ajoutiez pas foi à ces faux bruits. Nous vous exhortons et vous conseillons de revenir à l’Église romaine, et de comparaître au concile. Là, vous trouverez le révérend père en Dieu, le seigneur cardinal-légat du pape, avec notre lieutenant, le très-illustre et sérénissime marquis de Brandebourg, que nous avons chargé de protéger tous ceux qui viendront de Bohême pour expliquer leur foi, de les aider, de les soutenir, de confirmer tout ce dont on sera convenu, et de vous faire connaître combien votre roi et seigneur héréditaire est disposé à vous gratifier en toutes choses et avancer vos intérêts » (octobre 1431).

Immédiatement les Bohémiens répondirent en ces termes : « Nous, les seigneurs, les chevaliers, les villes et les États séculiers et ecclésiastiques de Bohême, faisons savoir à Votre auguste Majesté que, par nos députés envoyés à Egra et par les propres lettres de Votre Majesté, nous avons appris et compris que, mal instruite par des ecclésiastiques contre lesquels nous nous défendons avec vigueur et constance, Votre Majesté est portée à empêcher la divine vérité que nous proposons d’être annoncée à qui que ce soit, et qu’elle n’a point d’autre vue que de nous en détacher pour nous unir à l’Église romaine.

C’est ce qui fit retirer nos députés, et ce qui nous a empêchés d’entendre à aucune négociation ; car les lois divines et humaines nous défendent d’accepter ce parti. Que Votre auguste Majesté ne soit donc pas surprise que nous refusions de déférer ni à Votre auguste Majesté elle-même, ni à l’Église de Rome ; puisque, vous opposant à la volonté de Dieu, vous ne voulez pas nous procurer une audience légitime, selon le désir que nous avons de rendre raison de notre foi.

Ce n’est pas de notre propre mouvement que nous nous trouvons réduits à cette honnête désobéissance. C’est par ordre de saint Pierre lui-même, qui nous apprend à obéir plus à Dieu qu’aux hommes. C’est pourquoi nous notifions à tous et à chacun que, puisqu’à la sollicitation des ecclésiastiques qui préfèrent leur volonté à celle de Dieu, on veut nous contraindre à une obéissance illégitime, nous sommes résolus de nous défendre, appuyés sur le secours de Dieu » (octobre 1431).

En même temps que l’Empereur, le cardinal Julien écrivait de son côté : « Il vous sera permis de dire librement vos sentiments sur la religion, de consulter et de proposer des expédients… Nous avons appris que vous vous êtes souvent plaints de ne point obtenir d’audience. Ce sujet de plainte cessera désormais. On vous entendra, à l’avenir, publiquement et autant de temps que vous le souhaiterez.

C’est pourquoi nous vous prions et supplions de tout notre cœur de ne point différer à entrer par cette belle et grande porte qui vous est ouverte, et de venir en toute confiance au concile. De peur que vous ne soyez retenus par quelque méfiance, nous sommes prêts à vous donner un sauf-conduit plein et suffisant pour venir, pour demeurer, pour vous en retourner ; et nous vous accorderons, au nom de l’Église universelle, tout ce qui pourra contribuer à la liberté et à la sûreté de vos députés. Nous vous prions, au reste, de les bien choisir, et d’envoyer des gens pieux, doux, consciencieux, humbles de cœur, pacifiques, désintéressés, chérissant la gloire de Jésus-Christ, et non la leur. »

Il y a loin de cet humble et pacifique appel au bref que, trois ans auparavant, le pape adressait aux habitants de Pilsen, pour les détourner de discuter avec ces serpents rusés, à la peau d’agneau et aux dents de loup. L’Église, consternée de ses désastres, s’efforce enfin de revêtir elle-même cette peau d’agneau ; et, au risque de la perdition des âmes, elle consent à la discussion tant repoussée et tant redoutée.

Les Bohémiens s’émurent peu de tant de courtoisie. L’expérience les avait rendus méfiants, et leurs députés répondirent fièrement à Sigismond, dans une conférence convoquée par lui à Presbourg, « que toute petite qu’était la province de Bohême, elle était assez puissante pour rendre le double à ses ennemis. »

Sigismond, au moment d’aller en Italie pour son couronnement, leur écrivit encore « qu’aucune nation ne lui était plus chère que la leur, que par ses soins ils seraient favorablement reçus au concile, pourvu qu’ils ne prétendissent pas être plus sages que l’Église romaine ; enfin qu’il ne prétendait pas les gouverner autrement que les autres rois chrétiens. » Nonobstant ces airs de douceur, remarque l’historien J. Lenfant, il y avait toujours dans les lettres de Sigismond quelques traits ambigus qui donnaient de la défiance aux Bohémiens, tels que la soumission au concile, et l’offre ou plutôt la menace de les gouverner comme les autres, c’est-à-dire de les mettre sous le joug de l’Église romaine. C’est ce que les obligea à demander une conférence à Egra, « pour mieux savoir sur quel pied ils seraient entendus à Bâle. »

Dans cette conférence, ils demandèrent entre autres « choses que le concile fût de telle nature que toutes sortes de gens et de peuple y puissent venir ; et que le pape n’eût pas la suprême autorité sur le concile, mais qu’il fût tenu de s’y soumettre. »

Toutes leurs réclamations furent à peu de choses près les mêmes que firent les protestants au concile de Trente en 1554. Le sauf-conduit accorda tout, déclarant que le concile prenait sous sa protection non-seulement tous les ecclésiastiques et seigneurs, mais encore tous ceux du peuple de Bohême et de Moravie, de quelque condition qu’ils fussent.

Les sûretés garanties pour leur indépendance et sécurité attestent minutieusement, et honteusement pour l’Église, les méfiances qu’elle avait à surmonter, en expiation de son crime envers Jean Huss et Jérôme, immolée en violation de la foi jurée. On délibéra à Prague sur la valeur de ces garanties. Les Taborites, Orébites et Orphelins, le peuple, en un mot, se refusait aux accommodements proposés ; les Calixtins et la noblesse voulaient tenter tous les moyens de conciliation, sauf la vérité, c’est-à-dire sauf le sacrifice des articles de foi.

Durant ces démarches et ces discussions, les Taborites et les Orphelins, jugeant avec raison que plus ils se rendraient redoutables, meilleures seraient les conditions de la paix, recommencèrent leurs courses dans l’intérieur du pays contre les Catholiques qui n’avaient pas voulu traiter avec eux, dans le Voigtland, dans la Misnie, dans la Silésie, le duché de Breslau, dans la marche de Brandebourg jusqu’à Custrin, puis à Francfort sur l’Oder, dans la Basse-Lusace, à Kœnigsberg, dans la Nouvelle-Marche, à Bernaw, à Augermunde, où ils se fortifièrent et demeurèrent quelque temps, ce qui fit donner à cette ville le nom d’Augermunde l’Hérétique ; puis en Moravie, aux rives du Danube, etc.

Dans toutes ces campagnes, quoique les Orphelins fussent souvent repoussés avec perte, l’armée bohémienne remporta de grands avantages, maintint l’épouvante chez ses voisins, fit des prodiges d’audace, de valeur et de cruauté, et revint, comme à l’ordinaire, chargée de butin.

Nous ne manquons pas de détails sur ces divers événements ; mais ils ne peuvent avoir, pour ceux qui lisent aujourd’hui l’histoire, qu’un intérêt de localité, et nous n’en citerons qu’un trait relatif à Procope.

« Fumant de colère de la perte de Sternberg qui lui appartenait, il pardonna cependant à celui qui avait livré cette place à l’ennemi, et dont il voulait d’abord faire un exemple : mais ce fut à la condition qu’il le suivrait, et qu’il effacerait par quelque belle action la note d’infamie qu’il avait encourue dans cette occasion. » Il y a quelque chose d’antique et de chevaleresque dans cette justice de Procope le Grand.

Dans cette même année (1432), les Bohémiens envoyèrent une ambassade au roi de Pologne dont les Calixtins eussent préféré la protection, et la royauté au besoin, à celles de l’empereur Sigismond.

Outre leur sympathie pour un prince de leur langue, c’est-à-dire de la famille slave, ils sentaient bien que ce prince, récemment converti à la foi chrétienne, serait moins chatouilleux qu’un prince du Saint-Empire sur les articles de la foi. Ils donnèrent donc pour prétexte à leur ambassade la réconciliation de Koribut, et l’offre de secourir la Pologne contre le Prusse, les Lithuaniens révoltés, les Chevaliers teutoniques, les Valaques et les Tartares qui la menaçaient de tous côtés.

Le Polonais écouta favorablement leurs députés, et défendit à ses prélats de prononcer contre eux l’interdit, cette insultante prohibition du service divin dans les lieux souillés par leur présence, qui jusqu’alors les avait accompagnés et irrités dans tous leurs voyages à l’étranger. Wladislas regardait le secours d’une armée taborite comme une grande chance de salut, et il motiva sa tolérance envers l’hérésie sur le sauf-conduit du concile qui révoquait l’interdit et les admettait à réconciliation.

Mais il y avait à Cracovie un évêque nommé Sbinko, homme d’une orthodoxie farouche et d’un caractère héroïque, qui résista au roi, brava ses menaces, lui tint les discours les plus hardis, et fulmina l’interdit avec toute l’audace de la primitive Église.

Ce débat eut de longues et remarquables conséquences. Le roi penchait à coup sûr vers le hussidisme ; car cette doctrine faisait de grands progrès dans le monde, et Wladislas souffrait qu’un prêtre bohémien prêchât les idées de Wicklef en sa présence.

Une chaude querelle s’engagea entre l’université de Cracovie et le roi de Pologne ; et, l’avis de Sbinko ayant triomphé, le monarque slave irrité résolut de faire assassiner Sbinko. Bien que ce fait nous écarte un peu de la scène principale, comme il ressort de notre sujet, et qu’il montre une belle figure historique dans l’Église romaine, à cette époque où elles y sont fort rares, nous ne l’omettrons pas.

« Il y eut des gens qui persuadèrent le roi de faire mourir l’évêque de Cracovie. Les bourreaux étaient déjà tout prêts pour l’exécution la nuit, lorsque le palatin de Cracovie en avertit le prélat.

« Je vous suis fort obligé de l’avis charitable que vous me donnez, répondit celui-ci, mais je ne veux point fuir, ni rien changer dans ma conduite. Je me tiendrai tranquille dans le lit où j’ai accoutumé de coucher, sans avoir personne qui me garde. J’entrerai dans l’église à minuit pour célébrer les louanges de Dieu, avec un prêtre et un homme de chambre, et je ne détournerai pas ma tête de la main du bourreau. Je souhaite seulement que cette victime soit agréable à Dieu. »

Cependant l’exécution se fit point, quoique Sbinko ne prît aucune précaution. Ce Sbinko était guerrier aussi, comme l’évêque de fer. Il avait marché plusieurs fois contre Koribut, lorsqu’il se permettait des excursions sur la frontière de Pologne, et en toute occasion il s’opposa à la réconciliation de ce prince, qui eût probablement entraîné Wladislas dans les intérêts de la Bohême hussite.

Si l’Église romaine n’eût été composée que de membres aussi sincères et d’un caractère aussi noblement trempé, les vengeances de l’hérésie n’eussent peut-être pas ensanglanté les provinces slaves et germaniques. Mais il s’en fallait de beaucoup que le concile eût dans son sein de pareils éléments de grandeur.

L’Église romaine entrait en pleine dissolution, une corruption effroyable régnait parmi ses membres : la débauche, la simonie, la cupidité, le mensonge, l’intrigue, y trônaient effrontément. Le pape sentait sa puissance prête à lui échapper ; et, dans ce grand conflit du pontife cherchant à poursuivre, sans grandeur et sans idéal, l’œuvre de Grégoire VII, et de l’Église essayant de faire alliance avec les puissances du siècle pour secouer la domination du pape, il était également impossible que la papauté recouvrât sa splendeur, et que l’Église reconquit noblement ses antiques libertés républicaines.

Il y avait donc une lutte acharnée entre les conciles, pour se constituer, et le pape, pour dissoudre les conciles. Les Hussites se trouvaient d’accord avec les évêques sur un seul point, celui de soumettre les décisions du pape à celles du concile.

La vie de Martin V avait été employée à corrompre et à désunir ces assemblées ; Eugène IV continuait ce travail, mais avec moins d’habileté, et déjà il avait prononcé la dissolution du concile de Bâle, sous le prétexte que la moitié de la population de cette ville était hérétique, et que les doctrines de Wicklel et de Huss y trouveraient trop d’appui, Mais ce pontife rencontrait, dans son légat Julien, une résistance énergique, et, dans l’empereur Sigismond, un ennemi mal réconcilié, qui venait lui demander le couronne, le glaive à la main.

« Quand vous devriez, écrivait Julien au saint-père, perdre la vie à l’occasion de ce concile, il vaudrait mieux mourir que de souffrir sur vous une tache ineffaçable, et de donner lieu à des scandales dont vous rendrez compte à Dieu. » Eugène IV voyait sa puissance ébranlée, et se flattait de la rétablir par l’intrigue, en gagnant du temps.

D’un côté, il demandait au concile délai sur délai avant de répondre à la sommation d’y comparaître ou de s’y faire représenter ; de l’autre, il retardait le couronnement de Sigismond, et suscitait contre lui les princes italiens, ses auxiliaires, pour l’empêcher d’entrer en Italie.

L’Empereur, attaqué près de Milan par les Florentins et les Vénitiens réunis, fut plus heureux contre eux que contre les Bohémiens. Il les battit dos et ventre, dit notre auteur.

Les Vénitiens tentèrent de l’empoisonner ; mais, étant sorti vainqueur de tous ces périls, il traversa l’Italie avec ses Allemands et ses Hongrois, que les Italiens traitaient de barbares, et alla attendre à Sienne le bon plaisir du pape, qui céda enfin au bout de six mois, et le couronna Auguste, c’est-à-dire empereur, selon l’institution de Grégoire V. Jusque-là Sigismond n’était que César, ou roi des Romains. Néanmoins les Allemands et les Slaves lui donnaient le titre d’empereur par anticipation.

Durant toute l’année 1432, le concile ne put s’occuper des Hussites, absorbé qu’on était par la difficulté de se constituer œcuméniquement sans le concours du pape. Le pape excommuniait et demandait grâce tour à tour, sous forme de pardon. Le concile formulait et ajournait tour à tour la déchéance du pape. Ce ne fut qu’en novembre 1433 que, grâce à l’intervention de l’empereur et à un nouveau délai de quatre-vingt-dix jours obtenu par lui pour le pape, on put s’entendre provisoirement, en attendant une nouvelle rupture.

Mais, pour ne pas anticiper sur les événements, nous rétrograderons vers le commencement de 1433, époque à laquelle les députés de la Bohême arrivèrent au concile, et y jouèrent un rôle.

Ils arrivèrent à Bâle au nombre de trois cents, ayant à leur tête Procope le Grand, Jean de Rockisane, Pierre Payne, dit l’Anglais, Nicolas Biscupec, prêtre des Taborites, Ulric, prêtre des Orphelins, Kostska, guerrier célèbre par ses courses déprédatrices, etc. « Leur arrivée parut un phénomène si nouveau, que tout le peuple, dit Ænéas Sylvius, présent au spectacle, se répandit dans la ville et hors de la ville pour les voir entrer. Il se trouvait même parmi la foule plusieurs membres du concile, attirés par la réputation d’une nation si belliqueuse.

Hommes, femmes, enfants, gens de tout âge et de toute condition, étaient dans les places publiques, ou aux portes et aux fenêtres, et même sur les toits pour les attendre. Les uns montraient l’un au doigt, les autres un autre. On était surpris de voir des habits étrangers et jusqu’alors inconnus, des visages terribles, et des yeux pleins de fureur.

En un mot, on trouvait que la renommée n’avait point exagéré leur caractère[11]. Surtout on avait les yeux sur Procope : « C’est celui-là, disait-on, qui, tant de lois, a mis en fuite les armées des fidèles, qui a renversé tant de villes, qui a massacré tant de milliers d’hommes ; aussi redoutable à ses propres gens qu’à ses ennemis, capitaine invincible, hardi, intrépide et infatigable. »

Ne croirait-on pas, d’après ce récit du pape Pie II, voir l’Église retranchée, comme le vieux Priam, derrière les murailles troyennes du concile, faire le dénombrement des Grecs, et s’arrêter, avec une complaisante terreur, sur Procope, comme sur l’indomptable Achille ?

Ce devait être en effet un spectacle effrayant et bizarre que celui de ces représentants du peuple, ces guerriers implacables et ces prêtres austères, sans ornements et sans luxe, escortés d’hommes farouches, de sans-culottes terribles, traversant la foule brillante et corrompue des princes et des prélats épouvantés.

Dès la première audience, le cardinal Julien leur fit un discours emphatique et caressant, pour leur faire entendre, à l’aide de toutes les métaphores à la mode dans l’éloquence religieuse officielle de ce temps-là, qu’ils n’avaient qu’à se justifier, à se faire absoudre, et à rentrer aveuglément dans le sein de la sainte mère Église, l’arche sainte, le jardin fermé, la fontaine cachetée, dont l’eau guérit à jamais de la soif… de la connaissance, apparemment, etc., etc. ; enfin, que, pourvu qu’ils reconnussent l’infaillibilité du concile, ils pouvaient compter sur leur pardon.

Ce n’était point là ce que les Bohémiens étaient venus chercher. Ils répondirent qu’ils ne méprisaient pas les conciles, mais qu’ils se fondaient avant tout sur les saintes Lettres, les Pères de l’Église, et l’Évangile, « qu’ils demandaient une audience publique à laquelle les Laïques assistassent. » Rockisane parla avec éloquence, habileté et fermeté. L’audience publique leur fut accordée.

Ils y proposèrent leurs quatre articles, à la grande surprise du concile, qui s’attendait à leur voir soutenir, outre les doctrines Calixtines, les doctrines plus hardies des Taborites et des Orphelins.

Mais, au fond, les quatre articles bien entendus et bien interprétés contenaient la formule de toutes les libertés civiles, politiques et religieuses que réclamaient toutes les sectes hussites. Le légat eût voulu forcer les députés à se compromettre davantage, et il anima, par des questions insidieuses, Procope, qui invoqua avec impatience l’autorité des Prophètes et de Jésus-Christ contre les modernes institutions de l’Église, comme des inventions du Diable et des œuvres de ténèbres.

Le candide Procope ne savait point à quels sceptiques il avait affaire, et son impétuosité fut accueillie d’un immense éclat de rire. Cette insultants hilarité resta comme un outrage ineffaçable sur le cœur des Taborites. Le légat sentit la faute du concile, et s’efforça de répondre, d’un ton conciliant que l’Église, assistée du Saint-Esprit, pouvait aller au delà de la lettre des Prophètes et de l’Évangile.

Les conférences suivantes furent employées à la défense des quatre articles ; et chacun de ces articles fut défendu trois jours ou au moins deux jours durant, par un des docteurs élus à cet effet.

Le Calixtin Rockisane démontra la nécessité de la communion sous les deux espèces ; le Taborite Nicolas, la répression des péchés publics selon la raison et la loi de Dieu ; l’orphelin Ulric, la libre prédication ; le Wickléfite Payne, la négation du droit de possession des biens séculiers et temporels par les ecclésiastiques.

Le concile nomma quatre docteurs pour leur répondre. Jean de Raguse, général des dominicains, parla pendant huit jours sur la motion de Rockisane, et comme il appliquait souvent aux Bohémiens les mots d’hérétiques et d’hérésie, Procope, perdant patience, s’en plaignit hautement.

« Cet homme, qui est notre compatriote, dit-il, nous injurie en nous traitant d’hérétiques ! — C’est parce que je suis votre compatriote de langue et de nation, répondit le dominicain, que j’ai d’autant plus de passion de vous ramener. »

Les Bohémiens irrités voulurent sortir du concile. On eut beaucoup de peine à les apaiser. Gille Chartier employa quatre jours à répondre à la seconde proposition ; Kalteisen de Constance parla trois jours contre la troisième, et Polemar trois autres jours contre la quatrième.

Les Bohémiens paraissaient fort ennuyés de l’éloquence prolixe, fleurie et creuse de leurs adversaires.

Ils les réfutèrent avec obstination. « On trouve bien les discours des docteurs catholiques dans les actes du concile de Bâle, mais je ne sais par quelle raison on n’y a point inséré ceux des docteurs de Bohême. »

Notre historien est bien bon de s’en étonner. On sait de reste, que ce fut la conduite constante de l’Église, en pareilles occasions, d’anéantir les écrits de ses adversaires, ce qui ne prouverait point qu’elle comptât sur l’infaillibilité de ses propres réfutations.

Aussi ce sera un grand et difficile travail que de reconstruire, sur des lambeaux épars et sauvés à grand’peine, les importantes doctrines d’émancipation sociale que, jusqu’au dix-huitième siècle, on a essayé de flétrir du nom désormais glorieux d’hérésies.

Le pouvoir laïque, représenté par le duc de Bavière, protecteur du concile, était plus pressé d’arriver à la paix avec les Bohémiens qu’à la victoire des dogmes catholiques.

Il représenta au concile que ces longues discussions ne servaient qu’à aigrir les esprits de part et d’autre ; et le concile, partageant ses vues politiques, fit aux Bohémiens l’étrange proposition de s’unir par avance par quelque traité, dans l’espérance que l’union faciliterait la discussion. Mais les Bohémiens étaient venus chercher l’union religieuse avant l’union politique, et ils répondirent, en bons croyants et en bons logiciens, que l’une ne pouvait être que l’effet de l’autre.

Axiome si simple et si vrai, qu’on s’étonne de voir encore aujourd’hui tant de gens demander des bouleversements politiques avant de songer à établir des doctrines religieuses et sociales. Le légat, forcé d’admettre ce principe irréfutable, retomba dans ses métaphores accoutumées, nommant le concile le creuset du Saint-Esprit, où la rouille doit être séparée de l’or et de l’argent ; et, croyant trouver un moyen d’enlacer adroitement les Hussites, en les forçant à se condamner ou à s’absoudre eux-mêmes, il les accusa de s’être montrés Wickléfites dans leurs discours, et les somma de renier ou d’adopter Jean Huss, Jérôme et Wicklef dans certains articles sur l’Eucharistie et les autres sacrements.

Il leur fit donc une série de questions délicates qu’on leur donnerait par écrit, afin qu’ils pussent répondre chacun, à chaque article, ces seuls mots, nous croyons, ou nous ne croyons pas cela. Les Bohémiens sentirent le piège ; ils voulaient s’expliquer sur toutes ces propositions prétendues hérétiques, et les discuter en les développant, en les appuyant des textes sacrés et de l’autorité de la primitive Église.

Les accepter par oui ou par non, c’était se soumettre à une condamnation formulée à priori et odieusement consacrée d’avance par les décrets du concile de Constance contre Wicklef, Jean et Jérôme. Ils répondirent que leur mandat ne les autorisait pas à discuter autre chose que leurs quatre articles ; et ils quittèrent Bâle au mois d’avril 1433, sans avoir rien conclu, mais sans avoir cédé un pouce de terrain.

Le concile courut, en quelque sorte, après eux. Trois évêques, accompagnés de huit ou dix docteurs, des députés de plusieurs prélats et communautés, diverses ambassades des princes de l’Empire, du duc de Savoie, des électeurs et des villes libres, enfin une immense et imposante députation de diplomates choisis se rendit à Prague, en apparence pour y continuer la discussion et y offrir des accommodements ; mais, dans le fait, pour les diviser, les corrompre, détacher d’eux les seigneurs catholiques qui avaient fait en politique cause commune avec eux, séduire et flatter les ambitieux, en un mot triompher par l’intrigue, à défaut de mieux. Ceci n’est point une conjecture. Leurs ordres secrets portaient ces instructions.

Les plus beaux discours furent échangés à Prague, et Rockisane ne céda pas la palme de l’éloquence aux beaux esprits du concile. Un chanoine de Magdebourg fit au nom de l’Église une allocution ampoulée à la vanité des Pragois.

« Je te revois, s’écria-t-il, ô Prague, métropole de Bohême, ville magnifique, respectable à tous les rois et à tous les princes, pendant le temps de ta paix et de ton union au Seigneur !

Ô cité de Dieu, souviens-toi de ton ancienne dignité ! Nous sommes touchés d’une tendre compassion à la vue de ton état présent ! Qu’est devenue cette ville si célèbre et qui avait à peine son égale ? Tu as été comptée parmi les plus florissantes, et tu sais, et tu vois ce que tu es à présent, etc. »

La grande vérité que le style c’est l’homme est devenue proverbiale. Dans l’éloquence de tous les diplomates ecclésiastiques romains de cette époque, on voit percer l’enflure, la ruse et la vanité.

Chez Rockisane, dont nous regrettons de ne pouvoir donner un échantillon de style, vu la nécessité de nous borner dans nos citations, on verrait aisément percer l’ambition et la personnalité. Mais chez Procope on ne trouve que force, droiture, religion et simplicité. « Cependant, répondit-il, il est arrivé un grand bien de cette guerre ! Plusieurs adversaires de nos salutaires vérités, s’étant joints à nous pour la défense de la patrie, en sont venus à les reconnaître et à les embrasser.

Les victoires que nous avons remportées y ont affermi le peuple, qui aurait été contraint de les abandonner par la violence de vos armes. Enfin, c’est cette guerre qui a obligé le concile de donner audience aux Bohémiens et de faire connaître nos saintes vérités à l’univers ! Ne vous attendez donc point à voir la fin de ces troubles que la vérité ne soit reçue d’un commun consentement. »

Nous abrégerons, malgré l’intérêt que nous présentent ces longues négociations. La ruse et l’intrigue l’emportaient. Les compliments et les promesses qui ramenèrent aisément les Catholiques rebelles, ébranlèrent peu à peu les Calixtins.

Le juste-milieu était las de la guerre, et se retranchait principalement derrière le premier article (la communion sous les deux espèces), comme sous le bouclier de son point d’honneur. Les trois autres articles, qui tendaient à débarrasser temporellement la Bohême laïque du joug ecclésiastique, subiront des modifications apparentes de part et d’autre.

Mais, dans le fait, l’adroite et artificieuse rédaction du concile de Bâle ruina le fond de ces importantes protestations, et, feignant de céder sur l’article de la communion, donna une conclusion vague et d’une exécution éventuelle. On permettait la libre prédication, à condition que les prédicateurs seraient approuvés par le pape.

On prononçait que les ecclésiastiques doivent administrer fidèlement les biens de l’Église et selon l’institution des saints Pères ; mais, en déclarant que ces biens ne pouvaient être usurpés sans sacrilège par les laïques, on faisait assez pressentir pour l’avenir une mesure analogue à ce que serait chez nous aujourd’hui la restitution des biens nationaux.

Enfin, sur l’article de la communion, tout en prononçant que l’Église a tout pouvoir sur une pareille question, et que les récentes institutions sont articles de foi comme les anciennes, « on accorde pour un temps aux Bohémiens la permission de communier sous les deux espèces, par autorité de l’Église, pourvu qu’ils se réunissent à elle, » et qu’ils croient sans examen au dogme de la présence réelle, tel qu’il est enseigné par l’Église catholique, apostolique et romaine.

Les Calixtins, influencés par Rockisane, qui songeait à ses propres affaires, comme le prouve la suite de sa vie, envoyèrent, non plus trois cents, mais seulement trois députés à Bâle, pour notifier l’acceptation de cet arrangement hypocrite. Le concile, ravi de joie, dressa ce fameux traité de paix connu dans l’histoire sous le nom de Compactata. La Bohême signait son arrêt par la main du juste-milieu.

L’Église et l’Empire allaient triompher sinon des libertés bourgeoises[12], du moins des grandes luttes et des inspirations infinies du peuple.

Mais Procope était encore debout au milieu de ses fiers Taborites ; Procope protestait contre ce lâche traité, et il fallait que Procope tombât, pour que Rome et l’Empereur pussent entrer à Prague sur le cadavre du prolétariat. Pendant le séjour de Procope à Bâle, il avait donné le commandement des Taborites à Pardus de Horka, lui recommandant de tenir ses troupes en haleine, afin d’intimider sans relâche le concile et le parti catholique.

Horka avait encore une fois ravagé la Hongrie, et pris nombre de villes et de forteresses jusqu’aux frontières de la Pologne, avec tant de rapidité que les Hongrois n’avaient pas même songé à se défendre. De leur côté, les Orphelins, chargés de cimenter l’alliance avec le roi de Pologne avaient été l’aider à réduire les Chevaliers Teutoniques.

Ils pénétrèrent en vainqueurs jusqu’à Dantzick, dont ils détruisirent le port et où ils remplirent des flacons d’eau de la mer pour porter de signe de lointaine victoire à leurs compatriotes. Après une bataille gagnée sur le grand maître des Chevaliers, ils firent prisonniers des mercenaires de Bohême, qu’il s’était attachés. Ils les traitèrent comme renégats et les jetèrent dans les flammes.

Enfin, ayant forcé l’Ordre à capituler avec le roi de Pologne, ils reçurent de ce dernier de grands honneurs et de riches présents, et vinrent joindre Procope qui brûlait de rompre le honteux traité de Bâle.

Les deux Procope assiégèrent donc Pilsen, qui, malgré la victoire des Hussites dans tout ce district, était restée catholique et fidèle à l’Empereur. Ce siége fut long et opiniâtre. De fâcheuses diversions le firent interrompre. Un gros de Taborites s’était jeté sur la Bavière, et, surpris dans une embuscade, y avait été complètement écrasé.

Les mêmes plaintes qui s’étaient élevées contre Ziska, vers la fin de sa laborieuse carrière, vinrent troubler le cœur magnanime de Procope. Dans ces moments de lutte désespérée, la foi au succès, surexcitée par l’impatience, se dévore et se détruit elle-même.

Les Taborites se trouvaient, nomme au temps des dernières conquêtes du redoutable aveugle, dans une situation effroyable. Ils voyaient les Calixtins et les Catholiques se liguer de nouveau ensemble et les abandonner. Le salut de la cause ne reposerait bientôt plus que sur eux, et ils éprouvaient cette profonde et douloureuse terreur qui s’empare du plus ardent fanatisme lui-même, quand l’heure de la guerre civile recommence à sonner.

Jusqu’alors les catholiques, fidèles au parti de Sigismond, avaient été considérés par eux comme des ennemis naturels, comme des étrangers.

Mais ces Catholiques réconciliés, mais ces Calixtins qui avaient presque toujours marché avec eux contre l’étranger, et qui avaient défendu comme eux la révolution autant que le sol national, ils s’étaient habitués à les regarder, malgré leurs fréquentes ruptures, comme des frères de race et de religion. Au moment de leur livrer un duel à mort, leurs consciences étaient bouleversées ; et, au moindre échec, transportés de rage, ils étaient prêts à accuser leurs chefs.

Procope fut soupçonné par eux, comme autrefois Ziska, de céder à des ressentiments personnels. Plusieurs opinions se partageaient les esprits. On disait que lorsque les chefs taborites étaient rassemblés à une même table, ils se jetaient les vases et les gobelets à la tête.

Procope éprouva un instant d’insurmontables dégoûts, et quitta l’armée. Les Taborites coururent après lui, et le ramenèrent vaincu par leurs instances et leurs larmes.

Les Pragois eux-mêmes, soit qu’ils ne se trouvassent pas prêts à se passer de lui, soit qu’ils voulussent le forcer à séparer sa cause de la leur, l’engagèrent à retourner au camp.

Le siége de Pilsen fut donc repris avec ardeur ; mais le concile fit passer de l’argent aux habitants, et les Calixtins (honteuse trahison) réussirent à y introduire des vivres.

Dans une sortie, les assiégés prirent sur les Orphelins un chameau qu’ils avaient pris en Presse sur les Chevaliers Teutoniques, et qu’ils promenaient avec amour-propre à travers la Bohême. Cette perte les affligea puérilement, et ils jurèrent de périr devant la ville, plutôt que de ne pas reconquérir leur étrange trophée.

Cependant Pilsen le conserva ; et, par la suite, Sigismond lui donna le chameau pour armes, au lieu du limaçon qu’elle portait auparavant.

Sur ces entrefaites, les députés de Bohême et ceux du concile arrivèrent à Prague, où l’on assembla sur-le-champ les États pour la signature du concordat.

Les Taborites, les Orphelins et les Orébites, qui formaient un parti dans cette capitale, s’y opposèrent avec indignation, accusèrent ouvertement Rockisane d’avoir vendu la patrie pour satisfaire ses desseins ambitieux, et déclarèrent le traité infâme, impie et frauduleux. Les députés du concile profitèrent de cette désunion pour animer la noblesse bohémienne contre les Taborites ; et alors fut résolu cet holocauste, abominable à Dieu, de tout le parti républicain, de toute la force, de toute la gloire, de toute la foi, de toute la vie de cette révolution, qui comptait, grâce à lui, quatorze années de triomphe sur le monde !

On vit reparaître alors les grands traîtres qui avaient traversé les dernières années de Ziska : les Rosenberg, les Maison-Neuve, et un certain Riesenberg, qui jurèrent la perte des Taborites. Ils se jetèrent sur la nouvelle ville, où commandaient les Orphelins et les Taborites, et les taillèrent en pièces. Quinze à vingt mille hommes de ce parti périrent dans cette horrible journée[13].

Procope le Petit, qui y était venu combattre le concordat, échappe à grand’peine à ce désastre, et alla rejoindre Procope le Grand devant Pilsen. Cette nouvelle releva le courage des assiégés, qui insultaient Procope du haut de leurs murailles, et lui conseillaient ironiquement d’aller secourir les siens au lieu d’attaquer les autres. C’était le jour de Saint-Stanislas, une grande fête pour toute la Bohême, et qui sembla néfaste aux Taborites.

Ils levèrent le siège précipitamment, et marchèrent sur Prague, dont ils ravagèrent les environs ; puis ils coururent à Cuttenberg, d’où Procope écrivit à ses confédérés, aux villes de son parti, à tous les corps épars d’Orphelins et d’Orébites, de venir à lui, pour mourir avec lui ou recouvrer Prague sur le parti des traîtres.

Les seigneurs de leur côté, écrivirent aux villes de leur parti que le moment était venu d’écraser le parti des exaltés et des furieux ; et les deux armées se trouvèrent en présence à quatre milles de Prague.

Procope n’avait pas résolu de compromettre toutes ses forces dans un combat si soudain. Il eût voulu aller droit à Prague, certain qu’il n’aurait qu’à se montrer pour s’en faire ouvrir les portes.

Les seigneurs le savaient bien, et étaient résolus de ne point l’y laisser arriver. Ils fondirent sur ses retranchements à l’improviste, et les enfoncèrent. C’était la première fois que les Taborites voyaient la cavalerie se faire passage au travers de leurs redoutables chariots. Ils reculèrent émus et comme frappée de la révélation de leur destinée.

Procope, à la tête de sa phalange d’élite, se jeta au milieu des ennemis et leur disputa la victoire, moins vaincu que las de vaincre, dit Ænéas Sylvius. Mais enveloppé par la cavalerie, il tomba frappé mortellement, sans qu’on ait su d’où partait le coup.

On en accusa un chef de sa propre armée, gagné par l’argent ou les promesses de l’autre parti ; ce traître lui-même s’en vanta à tort ou à raison par la suite. La corruption triomphait donc jusque sur les champs de bataille. Czapeck, chef taborite qui s’était distingué en Prusse, fit aussi défection.

Ô patriciens, chefs d’armée ou hommes d’État, c’est par vous que se font, dans l’histoire, ces hideuses transactions par lesquelles votre cause périt, en même temps que votre fortune s’élève ou se préserve. Procope le Petit tomba aussi percé de coups en se défendant vaillamment. Les traîtres prirent la fuite, et ne furent point poursuivis. Les fidèles périrent.

« Telle fut la fin de ses redoutables chefs et des Taborites jusqu’alors invincibles. Ainsi arriva ne que Sigismond avait prédit : que les Bohémiens ne pouvaient être vaincus que par les Bohémiens. »

Après la victoire, le seigneur de Maison-Neuve choisit les meilleurs et les plus aguerris parmi les prisonniers, les fidèles compagnons de Ziska et de Procope, et les ayant fait entrer dans une grange, où il leur promettait de les gracier et de les enrôler pour la guerre contre Sigismond, il mit le feu à ce bâtiment et les fit tous brûler.

Les troupes catholiques de Pilsen, qui avaient pris part à la bataille, égorgèrent leurs prisonniers, au nombre de mille. Ceux de Prague épargnèrent, dit-on, les leurs, pensant, comme Frédéric le Grand des Jésuites, qu’il était fort utile d’en garder pour la graine. Par la suite, ils eurent à se repentir de n’en avoir pas gardé davantage,

Ænéas Sylvius, en racontant ces événements, fait ainsi le portrait des victimes : « C’étaient des hommes noirs, endurcis au vent et au soleil, et nourris à la fumée des camps. Ils avaient l’aspect terrible et affreux, les yeux d’aigle, les cheveux hérissés, une longue barbe, des corps d’une hauteur prodigieuse, des membres tout velue, et la peau si dure qu’on eût dit qu’elle aurait résisté au fer comme une cuirasse. »

Ne dirait-on pas d’une race de sauvages importée en Bohême du fond de l’Océanie ? ou bien ces hommes intrépides, couchés dans le sang et dans la poussière, faisaient-ils encore peur au secrétaire intrigant de Sigismond, à l’écrivain hypocrite, athée et fanatique en même temps, à ce lâche des lâches qui fut pape sous le nom de Pie II ?

Mais si l’habitude de la guerre et le farouche exercice de ses droits les plus implacables avaient le don de transformer ainsi en bêtes immondes ces effrayants soldats de la liberté, n’est-il pas à craindre que l’évêque de fer, l’énergique Sbinko, le cardinal de Winchester et le légat Julien lui-même, avec bien d’autres prélats et saints pères du concile, n’eussent aussi l’œil d’aigle, la peau noire, velue et dure comme l’acier ?

Il y avait encore quelques Taborites retranchés à Lomnety et sur le Tabor. Ils firent une tentative pour se réunir avec leurs armes et leurs chariots ; ils voulaient lutter encore, ils juraient de venger la mort de Procope. Mais Ulric Rosenberg les intercepta, et livra un combat à ceux de Tabor, où, malgré leur petit nombre, ils se défendirent comme des lions, depuis midi jusqu’à minuit.

Ils n’étaient que trois cents, comme aux Thermopyles ! Enfin ils furent égorgés dans les ténèbres ! on entendit leurs cris d’un grand mille de Bohême. Ils protestaient, en succombant, contre la tyrannie qui s’apprêtait à les venger. Les échos de la Bohême répétèrent ce cri terrible de vallée en vallée. C’était le dernier cri de la liberté.

L’histoire de Tabor n’est pourtant pas finie. Il restait quelques prêtres et des fidèles dispersés et désespérés. Sigismond allait revenir, la main sur son cœur, la cocarde calixtine au chapeau, et la Marseillaise bohémienne sur les lèvres, en attendant qu’il relevât les forteresses de Prague et qu’il mît le concordat dans sa poche.

Mais les docteurs de la loi taborite conservaient dans leurs âmes comme un dépôt sacré la grande doctrine de l’égalité, formulée sous le symbole de la coupe.

Cette doctrine, élaborée par eux, continue une lutte religieuse et philosophique, tout aussi importante dans l’histoire de la révolution hussite que les combats et les victoires de Ziska et de Procope. Nous reverrons à Tabor même ces vieux et augustes débris de la loi aux prises avec l’éloquence fallacieuse d’un pape. Nous regrettons que l’espace nous manque ici pour transcrire ces précieux documents et d’autres, qui jettent un grand jour sur les doctrines de l’Église et de l’hérésie.

Nous y reviendrons dans un travail plus étendu et plus complet. Nous n’avons fait ici qu’extraire à la hâte, pour la commodité des lectrices, un livre difficile à lire, et un peu pâle de sentiments et d’opinions, en ne craignant pas d’y suppléer parfois, selon notre inspiration et notre conscience.

NOTES

1. Puisque le nom de Jeanne d’Arc se rencontre ici à propos des Hussites je rappellerai un fait intéressant et fort peu connu. Il existe quelques lignes écrites par Jeanne, où elle se montre émue et fort courroucée de l’hérésie de Bohème. Je voulais citer ces paroles textuellement. Un de mes amis, qui s’est donné de la peine à ce sujet, m’écrit : « J’ai vraiment du malheur pour cette introuvable lettre : on n’a jamais pu me la découvrir à la Bibliothèque, quoique j’en eusse l’indication exacte. Je suis réduit à rappeler mes souvenirs sur le sens des quelques lignes écrites par Jeanne. Elle annonce aux Hussites qu’après avoir chassé les Anglais du royaume de France, elle ira les guerroyer, s’ils ne se réunissent à la Sainte Mère Église. La lettre est du 3 mars 1430 ; elle a été publiée par le baron de Hormayr, dans l’Annuaire Historique de Munich (1834). Je suis désolé de l’inutilité de mes recherches. Il est étrange qu’à la Bibliothèque Nationale, qui devrait être un dépôt, non pas seulement européen, mais universel, on ne puisse se procurer les publications historiques de l’Allemagne. »

Ainsi Jeanne voulait guerroyer les Hussites, s’ils ne se réunissaient à la Sainte Mère Église ! L’Église catholique avait brûlé Jean et Jérôme, et Jeanne l’inspirée tenait pour cette Église ! Et bientôt cette même Église fit brûler Jeanne elle-même comme hérétique et comme sorcière !

Quelle conclusion le scepticisme prétendait-il tirer de là ? Jean et Jérôme, les brûlés de Constance, étaient divinement inspirés ; Jeanne, la brûlée de Rouen, l’était aussi. Et il est beau que Jeanne, qui ne pouvait connaître les faits qui se passaient en Bohème, ait tenu pour la Sainte Mère Église, c’est-à-dire pour la communion universelle du genre humain.

Elle ne se trompait pas dans son sentiment ; elle se trompait seulement en ayant la bonne foi de prendre l’Église catholique, épiscopale ou papale, pour ce qu’elle se donnait. Qui ne sent dans son cœur que si Jeanne eût vu le jour en Bohème, elle aurait été une de ces intrépides femmes de Tabor qui mouraient pour leur foi en Dieu et en l’Humanité ?

2. Boczko Podiebradski. Ce seigneur de Podiebrad était Hussite, et prit vaillamment parti contre l’armée allemande. Mais il eut bientôt après à se défendre contre les Taborites. Il avait fait des prisonniers sur eux, et ne voulait pas les rendre. Ils allèrent attaquer sa citadelle de Podiebrad, défendue par une forte garnison. Ils y perdirent huit cents hommes dès le premier assaut. On rapporte qu’il n’y avait pas de seigneur en Bohême qui fût pourvu d’une meilleure artillerie et de plus habiles bombardiers. Les Taborites se réfugièrent dans une ville voisine. Podiebrad, à son tour, alla les assiéger.

Mais ayant attaqué la place avec trop de confiance, il y fut tué. Nous mentionnons ces faits, parce que c’est de cette maison que sortit le roi George, qui gouverna la Bohême trente ans plus tard. Il était neveu de ce Boczko de Podiebrad.

3. Jacques Lenfant. Histoire de la guerre des Hussites et du concile de Bâle.

4. Ville royale de Bohême sur la Mise, dans le district de Podwester.

5. Qui fut député au concile de Bâle, et dont Ænéas Sylvius dit « qu’il était moins célèbre par sa noblesse que par le pillage des églises. » Il fut accusé plus tard d’avoir abandonné et même assassiné Procope dans la bataille où celui-ci périt.

6. C’était un nom tiré de celui de son village natal, Hussinciz.

7. Jacques Lenfant.

8. Les quatre articles sont énoncés ici plus clairement qu’ailleurs et résument fort bien les libertés que réclamait la Bohême ; liberté du culte, liberté de conscience, liberté politique, liberté civile.

9. C’est le rhéteur Æneas Sylvius (Hist. Bohem., c. 48) qui prête ce discours au cardinal. Il prétend que cette harangue ne fit nulle impression sur le soldat épouvanté.

10. Outre les progrès du Hussitisme, une nouvelle secte venait de paraître en Moravie sous le nom de médiocres.

« Ils soutenaient qu’il ne fallait donner aux seigneurs que le revenu de leurs terres, que les sujets ne devaient point porter d’autres charges, et qu’on n’avait aucun droit de les y contraindre.

Ils s’étaient réunis jusqu’à quatre mille, renforcés pas les paysans, qui se plaignaient des charges, des corvées et des contributions que leurs maîtres exigeaient d’eux. » Ils commencèrent une Jacquerie sur les terres des gentilshommes. L’archiduc les dispersa, et en extermina plusieurs. « Les autres se retirèrent dans les bois ou dans certaines villes qui leur étaient favorables. »

11. C’était un proverbe en Allemagne que dans un seul soldat bohémien y avait cent démons. (Balbin.)

12. Il semble qu’il y ait ici contradiction. Mais si nous tracions la suite de cette histoire après la restauration de Sigismond, on verrait que les Calixtins ouvrirent bientôt les yeux sur la faute qu’ils avaient faite, et qu’ils luttèrent longtemps avec succès pour la réparer. Le règne du Calixtin George Podiebrad est un triomphe assez grand de la bourgeoisie.

13. 6 mai 1434.

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Le Manifeste de Prague de Thomas Müntzer

Moi, Thomas Müntzer, natif de Stolberg et résidant à Prague, la ville du saint et valeureux combattant Jean Huss

J’ai l’intention d’emplir d’un chant nouveau à la louange de l’Esprit- Saint les trompettes éclatantes qui sonneront le mouvement.

De tout mon coeur j’apporte témoignage et adresse de pitoyables plaintes à toute l’Église des Elus ainsi qu’au monde entier, partout où cette missive pourra parvenir.

Le Christ et tous les Élus qui m’ont connu depuis mes jeunes années attesteront ce projet: Je déclare et assure par ce que j’ai de plus précieux que je me suis appliqué de toutes mes forces à reconnaître mieux et plus profondément que quiconque quels sont les fondements de la sainte et invincible foi chrétienne.

Et je suis assez hardi pour dire en vérité qu’il n’est pas un seul prêtre oint, de poix, pas un seul moine cagot qui aient jamais été capables de dire la moindre chose sur ce fondement de la foi.

De même, bien des gens ont déploré avec moi avoir été véritablement l’objet d’une intolérable tromperie, sans que leur soit apporté aucun réconfort qui leur eût permis de conduire avec prudence tous leurs désirs et toutes leurs actions selon la foi et de surmonter par eux-mêmes tous les obstacles.

Et ils n’ont pas pu nom plus et ne pourront au grand jamais dé couvrir les épreuves salutaires, ni combien est profitable l’abîme d’une âme prédestinée qui a fait le vide en elle.

Car l’esprit de la crainte de Dieu ne les a pas possédés, lequel se présente inébranlablement comme unique but aux Élus submergés et noyés dans ces ondes que le monde ne peut supporter. Bref, tout homme doit avoir reçu l’Esprit-Saint sept fois, faute de quoi il ne peut entendre ni concevoir le Dieu vivant.

Je déclare sincèrement et avec force que je n’ai jamais entendu un seul de ces docteurs (qui ne valent pas un pet d’âne) murmurer, à plus forte raison énoncer. à haute et intelligible voix un seul petit mot et sur le moindre point au sujet de l’Ordre qui réside en Dieu et dans les créatures.

Même ceux qui ont le premier rang parmi les chrétiens (c’est aux prêtres suppôts de l’enfer que je pense) n’ont jamais flairé une seule fois ce qu’est le Tout, ou Perfection non divisée, qui est la mesure égale de toutes les parties et supérieure à ce qui est partiel, I Corinthiens 13, Luc 3, Ephésiens 4, Actes 2, 15, 1 7. Bien souvent, je les ai entendus citer l’Écriture, et rien de plus qu’ils ont sournoisement dérobée dans la Bible avec la fourberie des voleurs et la cruauté des meurtriers.

Pour ce vol, Dieu les maudit lui-même, qui dit par la bouche de Jérémie 23, 16 : «Écoutez ! J’ai dit au sujet des prophètes : chacun de ceux-là. vole mes paroles chez son prochain, car ils trompent mon peuple. Je ne leur ai pas parlé une seule fois, et ils usurpent mes paroles pour les pourrir sur leurs lèvres fétides et dans leurs gosiers de prostitués. Car ils nient que mon Esprit parle aux hommes».

Pleins de sarcasmes et de raillerie hautaine, ils mettent en avant leur qualité de moines en prétendant que le Saint-Esprit leur a donné un témoignage irréfutable qu ‘ils sont les enfants de Dieu, Romains 8 et Psaume 142.

Il n’est pas du tout étonnant que ces hommes damnés soient hostiles à ces paroles, car Jérémie, au chapitre cité plus haut, dit à leur sujet : «Mais qui donc a assisté au conseil du Seigneur ? Qui a vu et entendu la parole de Dieu ? Qui a observé, ou qui peut dire qu ‘il a entendu Dieu parler ?»

C ‘est sur ces hommes orgueilleux, endurcis comme des billes de chêne et insensibles à tout bien, Tite chapitre 7, que Dieu va en ce temps déverser son invincible colère parce qu’ils nient le fondement du salut et de la foi, eux qui, au contraire, devraient, plus que tout autre, se jeter en avant pour former une muraille d’airain (Jérémie 1,18) afin de défendre les Élus contre les attaques des blasphémateurs, ainsi que dit Ezéchiel au chapitre 3, etc.

Mais ils sont ainsi parce qu’il n ‘est rien qui sorte de leur coeur, de leur cervelle ou de leur bouche si ce n ‘est pour tourner cette parole en dérision. Qui donc parmi les hommes pourrait dire que ce sont là les vrais serviteurs de Dieu, aptes à témoigner de la parole divine ?

Et qu’ils sont les prédicateurs intrépides de la grâce divine, alors que c’est le pape, vrai Nemrod, qui les a oints du chrême du pécheur, Psaume 140, lequel leur dégouline de la tête aux pieds en souillant et en empoisonnant la chrétienté tout entière.

Pour tout dire -.c’est le Diable qui est à leur origine, qui a corrompu leur coeur jusqu’au tréfonds, ainsi qu’il est écrit au Psaume 5; car ils sont tout sauf possesseurs de l’Esprit-Saint. Ils ont été consacrés par le Diable, qui est leur véritable père et qui, comme eux, ne veut pas entendre la vraie parole vivante de Dieu, Jean 8, Esaïe 24, Osée 4.

De même, Esaïe, au chapitre 11 chapitre 3, dit que ce sont des idoles et des épouvantails. Bref, pour résumer en un mot ; ils sont, damnés, et jugés depuis longtemps.

Oui, ce ne sont pas des coquins de petite envergure, mais de damnés scélérats de haute taille, qui étaient là dès le commencement du monde et qui ont été institués comme un fléau du pauvre peuple, lequel, de ce fait, reste bien grossier.

Ils n’ont aucun droit, ni devant Dieu ni devant les hommes, ainsi que le dit suffisamment Paul aux Galates, quand il décrit deux sortes d’hommes.

C’est pourquoi, aussi longtemps que le ciel et la terre existeront, ces fourbes et scélérats de prêtres ne pourront être de la moindre utilité à l’Église , car ils renient la voix de l’Époux, ce qui est le signe sûr et certain qu’ils ne sont que des diables.

Comment pourraient-ils donc être les serviteurs de Dieu et les porteurs de Sa parole alors que de leur front de prostitués ils la renient honteusement, ? Car il faut que tous les prêtres véritables aient des révélations afin d’être sûrs de leur fait, I Corinthiens 14.

Mais de leur coeur endurci ils disent que c’est impossible.- C’est donc à juste titre — eux qui prétendent avoir ingurgité l’Écriture tout entière – qu’ils devraient être sur le champ abattus et comme foudroyés par les paroles de saint Paul aux Corinthiens, seconde épître, chapitre trois, lorsqu’il établit une différence entre les Élus et les damnés.

Pour certains, l’Évangile et l’Écriture tout entière sont fermés à clé, Esaïe 29 et 22, par la clé de David et celle du livre scellé de l’Apocalypse, chapitre 5. Ézéchiel a ouvert ce qui était fermé. Le Christ dit. Luc 11, que les prêtres volent la clé de ce livre qui est fermé à clé et qu’ils ferment à clé l’Écriture en prétendant que Dieu ne peut parler en personne aux hommes.

C’est quand la semence tombe sur le champ fertile, c’est-à-dire dans les coeurs emplis de la crainte de Dieu, c’est là que sont le papier et le parchemin sur lesquels Dieu inscrit non pas avec de l’encre, mais de Son doigt vivant, la véritable Écriture sainte dont la Bible extérieure est le vrai témoignage.

Et rien n’atteste de façon plus certaine la vérité de la Bible que la parole vivante de Dieu quand le Père s’adresse au Fils dans le coeur de l’homme. Cette Écriture-là, tous les Élus qui font fructifier leur talent peuvent la lire.

Les damnés, au contraire, n’en feront rien. Leur coeur est plus dur que la pierre qui éternellement repousse le burin du maître-artisan. C’est pourquoi notre Seigneur bien-aimé appelle pierres ceux sur qui la semence tombe sans rapporter de fruits, mais qui reçoivent la parole morte avec joie, avec grande joie et vantardise.

Par mon âme, personne ne reçoit la vérité qui vient des livres avec au tant de jubilation du coeur et avec autant de pompe que les hommes d’étude, les prêtres et les moines. Mais quand Dieu veut écrire dans leurs coeurs, il n’est pas de gens sous le soleil qui soient plus hostiles à la parole vivante de Dieu.

De même, ils ne souffrent aucune mise à l’épreuve de la foi dans l’esprit de la crainte de Dieu. C’est pourquoi ils seront précipités dans le lac où les faux prophètes ainsi que l’Antéchrist seront tourmentés pour les siècles des siècles, amen.

Ils ne veulent pas non plus être angoissés par l’esprit de la crainte de Dieu. C’est pour quoi ils tournent éternellement en dérision les épreuves de la foi. Ce sont eux, les gens dont Jérémie dit au chapitre 8 qu’ils n’ont ressenti aucune expérience, qu’ils pourraient appliquer dans leurs explications de l’Écriture sainte.

Ils n’ont de manière d’écrire que celle des fourbes qui rejettent la vraie parole, et pourtant ils ont besoin de cette même parole qu ‘ils n’entendront jamais pour l’éternité des éternités.

Car Dieu place Sa parole uniquement dans la souffrance des créatures, laquelle fait défaut au coeur des impies. Ils s’endurcissent toujours davantage. Ils ne peuvent ni ne veulent faire le vide en eux-mêmes. Leur base est sans consistance. Ils ont horreur de Celui qui est leur maître. Voilà pourquoi ils renient leur foi au temps des épreuves et s ‘écartent du Verbe devenu chair.

L’impie ne veut en aucune manière devenir conforme au Christ par ses souffrances ; il prétend y parvenir par des pensées douces comme miel.

C’est pourquoi ils sont damnés, ces prêtres qui dérobent la vraie clé en disant qu’une telle voie est chimérique et insensée et en prétendant qu’elle est absolument impossible. Ces gens sont dès maintenant jugés et condamnés jusqu’aux os à la damnation éternelle. Pourquoi ne devrais-je pas les condamner, moi aussi, Jean 3 ?

Car, n’ayant pas reçu l’aspersion de la crainte de Dieu au troisième jour, comment pourraient-ils être purifiés au septième, Nombres 19 ? Ils seront donc précipités dans l’abîme du cloaque infernal.

Quant au peuple, en revanche, je ne doute pas de lui. Ah ! Pauvre multitude, si juste et si pitoyable, comme tu es assoiffée de la parole de Dieu ! Car il est clair comme le jour que personne (ou très peu de gens) ne sait ce qu’il doit penser et à quel parti se rallier. Ils sont très disposés à faire de leur mieux, mais ils ne parviennent pas à savoir en quoi cela consiste.

Car ils ne savent ni se soumettre ni se conformer aux témoignages que l’Esprit-Saint donne à leur coeur.

C’est pourquoi ils sont tourmentés par l’esprit de la crainte de Dieu, à tel point que la prophétie de Jérémie s’est véritablement réalisée en eux, Lamentations 4,4 : «Les enfants ont demandé du pain, mais il n ‘est personne qui en ait rompu pour eux». — Il est beaucoup de fripons avides de lucre qui, comme on a coutume de jeter du pain aux chiens, ont jeté au pauvre, pauvre, pauvre petit peuple le texte de la Bible sans avoir aucune expérience de la foi, comme font les papistes.

Mais ce pain, ils ne le lui ont pas rompu grâce à leur connaissance de l’Esprit Saint, c’est-à-dire qu ‘ils n ‘ont pas ouvert leur raison, de manière à pouvoir reconnaître en eux-mêmes l’Esprit-Saint.

Car, tous autant qu ‘ils sont et pris en bloc, les prêtres ne sont pas capables de rendre un seul homme assez sage pour pouvoir être promis à la vie éternelle.

Pourquoi faire de longs discours ? Ce sont eux, les seigneurs qui se goinfrent et boivent comme des bêtes et festoient et cherchent jour et nuit le moyen de s’empiffrer et d’accumuler les prébendes, Ézéchiel 34.

Ils ne sont pas comme le Christ, Notre Seigneur bien-armé, lequel se compare à une poule qui réchauffe ses petits, Matthieu 23. Ils ne dispensent pas non plus aux hommes désespérés et abandonnés le lait de la fontaine intarissable de l’exhortation divine. Car ils n’ont pas fait l’expérience de la foi. Ils sont comme la cigogne qui ramasse les grenouilles dans les prairies et les marais pour les recracher ensuite toutes crues à ses petits restés au nid.

C’est ainsi que sont ces prêtres avides de profits et percepteurs de rentes, qui ingurgitent les paroles mortes de l’Écriture pour déverser ensuite sur le pauvre, pauvre et juste peuple la lettre et la foi non éprouvée, laquelle ne vaut pas un pou. Ainsi, par leur faute , plus personne n ‘est sûr du salut de son âme.

Car ces mêmes valets de Belzébuth ne font rien d’autre que mettre à l’encan des fragments de la sainte Écriture.

Hélas ! L’homme ne sait pas s’il mérite la haine ou l’amour de Dieu. C’est l’abîme infernal qui nous envoie ce cadeau, car ces prostitués de prêtres ont avec eux les plus trompeurs et les plus méchants parmi les diables, ainsi que l’indique l’Apocalypse de Jean. Par ce moyen, ils dispersent les brebis de Dieu, au point qu’aucune n’est plus à la vue de l’Église.

Car il n’est personne qui puisse distinguer les Bons du tout-venant de la foule anonyme. On ne distingue pas non plus ce qui est pestiféré et ce qui est sain, c’est-à-dire que personne ne se soucie du fait que l’Église, à cause de ces hommes damnés, est ruinée de fond en comble.

Car les brebis ne savent pas qu’il faut qu’elles entendent la voix vivante de Dieu, c’est-à-dire qu’elles doivent toutes avoir des révélations. Joël chapitre 2 et. David, Psaume 88. L’office des vrais bergers n’est rien d’autre que d’y conduire toutes les brebis afin qu’elles soient revigorées par la voix vivante, car il est dit qu’il n’est qu’un seul maître pour enseigner la con naissance de Dieu, Matthieu 23.

Cela ne s’est pas produit pendant longtemps, ce qui fait qu’à maints égards les Élus ressemblent tout à fait aux damnés et qu’ils seront bientôt engloutis avec eux, et que le monde presque tout entier a pensé qu’il n’était pas nécessaire que le Christ prêchât lui-même son propre Évangile aux Élus.

Je l’affirme et le jure par le Dieu vivant : celui qui n ‘entend pas de la bouche même de Dieu Sa vraie parole vivante et ne distingue pas Bible et Babel, celui-là n ‘est rien d’autre qu’une chose morte.

Mais la parole de Dieu, qui pénètre le coeur, le cerveau, la peau, les cheveux, les os, la moelle, le sang, la force et la vigueur, peut bien survenir d’une autre manière que ne le racontent nos couillons et idiots de docteurs.

Personne ne peut faire son salut d’une autre manière, et on ne pourra trouver personne qui y soit parvenu autrement. Il faut que l’Élu s’entrechoque avec le damné et que les forces de celui-ci s’échappent devant lui.

Vous ne pouvez en tendre autrement ce qu’est Dieu. Car celui quia reçu une fois l’Esprit-Saint comme il le doit ne peut plus être damné, Esaïe chapitre 55 et 60, Jean chapitre 6. —Ah ! Malheur aux prédicateurs enseignent à la manière de Balaam : on leur a mis des paroles dans la bouche, mais qui leur coeur est à plus de mille fois mille lieues.

Voilà pourquoi le peuple vit sans véritables pasteurs, car on ne lui prêche jamais l’expérience de la foi. Les prêtres juifs et hérétiques peuvent bien dire qu’une telle exigence n’est pas nécessaire. Ils disent qu ‘on peut éviter la colère de Dieu par de bonnes oeuvres et de précieuses vertus. Mais avec tout cela ils n’enseignent nullement ce qu’est Dieu dans l’expérience, ni ce qu ‘est la vraie foi, ni ce qu ‘est la ferme vertu, ni ce que sont les bonnes oeuvres par rapport à Dieu.

C’est pourquoi il ne serait pas étonnant que Dieu nous réduise tous, les Élus comme les damnés, dans notre corps et dans notre vie, en poussière et en ruines dans un déluge bien plus grave qu’autrefois. Et il ne serait pas étonnant non plus qu’il ait damné tous les gens qui ont succombé aux maudites séductions. Car notre foi est plus à la semblance de Lucifer et de Satan, et elle est plus grossière que le bois et les pierres.

Je considère que ce n est pas sans raison si les autres peuples qualifient notre foi de singerie. il est évident, et l’on ne pourra me démentir sur ce point, que les incroyants ont souvent eu raison de nous demander des comptes.

Mais nous leur avons sorti une réponse qui n’était qu’une dérobade ; nous avons barbouillé fièrement de gros livres, en disant : nous avons ceci et cela d’écrit dans notre loi ; là le Christ a dit ceci et Paul a écrit cela, et les prophètes ont prédit et le et cela pape notre mère (patronne du bordel) [une ligne retranscrite illisible].

Ordonné, oui da ‘.Mais sous menace d’excommunication, laquelle, selon l’opinion de nos petits docteurs de paille, ne doit pas être méprisée au nom des consciences.

Libre à vous, cher lecteur, de changer les mots ou de les disposer autrement : quels que soient leurs bavardages, ces gens ne pourront démontrer la foi chrétienne avec leur Bible dénuée si manifestement ! Trois fois hélas ! Malheur à ces prêtres infernaux, créatures d’Asmodée, d’expérience.

Hélas ils induisent le peuple en erreur. Personne ne veut encore voir ni entendre quand on présente aux incroyants ces preuves de notre foi, ou d’autre du même genre. Pensez-vous que les incroyants n ‘ont pas eux-aussi une cervelle dans la tête ? Ils sont en droit de se demander quelle espèce de garantie est celle qui ne vient que des livres ?

Ne se pourrait-il pas qu’aient menti ceux qui les ont écrits ? Comment peut-on savoir si telle ou telle chose est vraie ? Sans aucun doute les Turcs et les Juifs, de même que de nombreux Élus, voudraient bien entendre des preuves irréfutables de notre part. Mais les prêtres du Diable froncent le nez, tout prêts à les damner, alors qu’ils ne sont nullement habilités à dénier à quiconque le droit d’avoir là vérité.

Ils disent en citant simplement le texte : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé». Voilà la solide justification qu ‘ils donnent aux adversaires, et rien de plus. La seule explication, je n ‘en vois pas d’autres, est qu ‘ils sont devenus complètement fous et insensés, en prétendant présenter la foi aux ennemis d’une manière aussi simpliste. Il faudrait jeter au rebut ce genre de preuves et précipiter au fond de l’enfer les discoure de ce genre.

Car elles sont bien plus folles que la folie elle-même. Qui pourra jamais assez le regretter et le déplorer ? N’avons nous pas de sang dans les veines ? Et faut-il être aussi fou et déraisonnable ? Ne sent-on pas une petite étincelle, qui bientôt s’éveillera pour devenir un brasier ?

Oui, on la sent, et je la sens aussi ! J’ai été pris d’une grande pitié en voyant que l’Église chrétienne est déchirée au point que Dieu ne pourrait lui infliger pire tourment à moins de vouloir l’éteindre complètement, ce qu ‘II ne fera pas, si ce n ‘est à cause de ces enfoirés qui ont enseigné à adorer Baal.

Ceux-là mériteraient d’être sciés en deux par le milieu, comme dit Daniel, car ils n’ont pas mis en pratique les jugements de Dieu.

Ayant lu et relu l’histoire des anciens Pères de l’Église, j’y trouve qu’après la mort des disciples des Apôtres l’Église virginale et immaculée est rapidement devenue une prostituée par la faute des prêtres qui ont égaré les âmes.

Car les prêtres ont toujours voulu siéger au premier rang, ainsi que l’attestent Hégésippe et Eusèbe et d’autres encore. Et du fait que le peuple a permis que l’élection des prêtres fût négligée, il n’a plus été possible de tenir un véritable concile depuis qu’a commencé cette négligence.

Quoi qu’il en soit, c’est là oeuvre du Diable, car dans les conciles et autres assemblées, on n’a jamais traité d’autre chose que de vains enfantillages,que sonneries de cloches, calices, capuchons, lampes, places à pourvoir et servants de tels messe. Mais jamais, au grand jamais on n’a ouvert la bouche pour parler de la vraie et vivante parole de Dieu, et l’on n ‘a jamais songé non plus à la concorde.

Il a fallu que de telles erreurs se produisent afin qu’apparaissent et se réalisent les oeuvres de tous les hommes, des Élus comme des damnés, et cela jusqu’à notre époque, où Dieu va séparer le bon grain de l’ivraie, afin que l’on puisse saisir comme en plein jour qui a égaré l’Église longtemps. Il a fallu que toute cette coquinerie vienne au jour de la manière la plus éclatante.

Ah ! Comme les pommes sont bien blettes ! Et comme les Élus sont bien mûrs ! Voici le temps de la récolte. C ‘est pourquoi Dieu Lui-même m ‘a embauché pour Sa moisson. J’ai aiguisé ma faucille, car mes pensées sont dirigées de toute leur force vers la vérité, et mes lèvres, ma peau, mes mains, mes cheveux, mon âme, mon corps et tout mon être maudissent les impies.

C’est afin de m’acquitter convenablement de cette tâche que je suis venu dans votre pays, très chers habitants de Bohême.

Je ne vous demande rien d’autre que d’étudier avec zèle la vivante parole de Dieu venue de Sa propre bouche, par quoi vous pourrez vous-mêmes voir, entendre et saisir comment le monde entier a été égaré par les prêtres qui refusent d’entendre. Aidez-moi, par le sang du Christ, à combattre ces ennemis jurés de la foi. Je les confondrai à vos yeux dans l’esprit d’Élie.

Car c’est dans votre pays que commencera la nouvelle Église apostolique, qui s’établira ensuite partout. Je suis prêt à écouter en chaire les questions du peuple, et je répondrai à chacun.

Et si je ne puis donner la preuve de mon savoir et de ma maîtrise, je veux être fils de la mort temporelle et de la mort éternelle. Je n’ai pas dégage plus précieux à donner. Ceux qui mépriseront cette exhortation sont déjà à cette heure livrés aux mains des Turcs. Après cet embrasement furieux, l’Antéchrist en personne régnera, le vrai contraire du Christ, lequel donnera peu après à Ses Élus le royaume de ce monde pour les siècles des siècles.

Fait à Prague le jour de Sainte Catherine, l’an du Seigneur 1521.

Thomas Müntzer
qui ne veut pas adorer un Dieu muet, mais un Dieu qui parle.

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Épilogue de la tempête hussite et prélude de la guerre des paysans en Allemagne

Pour bien marquer la fin de la question hussite, l’Eglise catholique organisa la signature, lors d’un Concile à Bâle en 1436, les Compactats de la Bohême hussite, avec l’accord de l’empereur Sigismond : l’hussitisme se voyait reconnu partiellement.

L’Eglise catholique avait alors perdu la grande majorité de ses propriétés foncières. Cependant, une nouvelle dynastie se mit en place, les Jagellon (1471-1526), et la royauté était alors faible : les membres de la cour étaient huit fois moins nombreux qu’en France, il n’y avait pas de juristes ni de savants, ni de dames d’honneur.

Il put ainsi y avoir recatholicisation, notamment avec Vladislas Jagellon (1471-1516), aux dépens de la noblesse hussite et de la bourgeoisie pragoise.

La dynastie des Habsbourg, de ce qui deviendra l’Autriche, peut alors intervenir en Bohême et la soumettre, organisant la suppression des institutions démocratiques des grandes communes en 1528.

Une révolte eut lieu contre l’empereur Ferdinand Ier en 1547, avec l’appui des villes tchèques, mais elle échoua, et par conséquent les villes furent privées de leurs biens et de leurs revenus, et fut mise en place l’institution du contrôle par des hetmans et des bourgmestres royaux.

Enfin, les forces catholiques et autrichiennes écraseront définitivement la noblesse tchèque hussite lors de la Bataille de la Montagne-Blanche, en 1620, inaugurant « l’âge des ténèbres » pour la nation tchèque qui est plongée dans le Baroque.

Représentation d’époque de la Bataille de la Montagne-Blanche

Du côté populaire-révolutionnaire, les restes du mouvement hussite se plièrent à la nouvelle situation ; la ville de Tabor remplaça le calice par l’aigle noir à deux têtes, emblème de l’empereur germanique redevenant souverain de Bohême.

Jean Rohac de Duba, ami de Jan Žižka et de Procope, mena la dernière résistance, se regroupant finalement dans le château de Sion, qui résista plusieurs mois. Après la prise de la citadelle, les troupes de l’empereur massacrèrent tout le monde sauf Rohac et soixante de ses compagnons qui furent atrocement torturés, puis pendus à Prague.

Cette fois, la plèbe devait faire face à une pendaison ouverte d’un des symboles de ce qui aurait dû être sa révolution.

Quant à Tabor, en 1451 il fut exigé la remise des prêtres taborites, ainsi que de Nicolas de Pelhrimov, élu évêque par les taborites.

Nicolas de Pelhrimov parlait de « loi naturelle et éternelle », d’une « église universelle. » Il s’exprimait contre la peine de mort :

« Eu égard à ces autorités et à d’autres semblables, et voyant comment de grands docteurs en ce temps de grâce ont inventé des peines moindres que la mort pour punir les pécheurs, je souhaite qu’en punissant le coupable le juge se conduise comme un père et non comme un tyran; qu’il prenne en considération non les jugements de l’ancienne loi, ni les lois humaines qui sont en désaccord avec celle de l’évangile, mais l’avancement du Christ et la pratique de l’église primitive. »

Devant le refus de remettre ce personnel religieux, la ville fut par conséquent assiégée et dut capituler. Nicolas de Pelhrimov finit ses jours en prison, alors que le pays passait sous la coupe du « roi hussite » Georges de Podebrady.

C’en était fini de la république autonome de Tabor. Pierre Chelcicky (environ 1390-1460) est le grand théoricien pacifiste issu de la défaite taborite; ses idées n’avaient pas de succès avant la grande défaite, elles eurent un écho par la suite, avec ses écrits Postilles et Filet de la vraie foi.

Il est intéressant de noter que Pierre Chelcicky a été une source d’inspiration pour l’écrivain russe Léon Tolstoï, Tolstoï que Lénine décrira comme le « miroir de la révolution russe » ; c’est comme si l’histoire des luttes populaires-révolutionnaires redémarrait à partir de là où elle s’était arrêtée.

Voici de manière très parlante la vision parfaitement romantique qu’a Pierre Chelcicky de la ville, qu’il voit comme un phénomène monstrueux :

« Le maître contradicteur [c’est-à-dire Wyclif, s’inspirant de Flavius Josèphe], discourant sur l’origine des villes, dit que Cain bâtit une ville après avoir assassiné son frère. Il fit ceci parce qu’il avait accumulé des biens par la violence et le vol.

Il employa le fruit de ses rapines à créer des bornes, des poids et des mesures, et changea l’innocence de la vie primitive en ruse et fourberie.

Le premier, il établit les frontières entre pays, entoura les villes de remparts par crainte de ceux que lui et sa horde avaient dépossédés, et il assembla ses compagnons dans ses cités. Voilà comment l’écriture et les maîtres expliquent l’origine des villes.

Telle a été l’origine des villes et des citadelles; tel est aujourd’hui le fondement sur lequel elles reposent. Personne d’autre en effet ne pourrait habiter une ville ou une citadelle sinon des assassins, des violateurs de la légalité, des usuriers, des marchands, des trafiquants, des fripons qui vivent principalement de fraude et de déprédation.

Ceux qui fondent les villes s’y établissent au prix de telles iniquités qu’ils doivent recourir à la violence, pour se prémunir contre les crimes qu’ils ont perpétrés, car ils sont constamment en butte à la haine, l’iniquité ou la trahison; ils sont prêts à vider leurs querelles en versant le sang et en rendant le mal pour le mal. S’ils ont une place forte pour se défendre, ils pillent et terrorisent le pays afin de s’enrichir. »

Cependant, la révolution taborite avait ouvert les portes de l’histoire. Moins d’un siècle après Tabor et Prague, villes révolutionnaires, en 1521, le grand révolutionnaire paysan allemand Thomas Müntzer, la seconde grande figure protestante allemande avec Martin Luther, viendra à Prague composer son Prager Anschlag (Manifeste de Prague), appel mystique à instaurer par les armes la justice divine.

Le drapeau rouge s’était formé au cœur des masses populaires mondiales ; il ne pouvait plus être abaissé historiquement.

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L’effondrement hussite – taborite faute de direction révolutionnaire

L’Église catholique était une force développée, avec un parcours historique profond ; elle tenta ainsi de se montrer plus habile que les forces nouvelles, en appuyant autant que possible l’opportunisme.

Elle louvoya autant que possible et appuya la noblesse hussite, qui était prête à abandonner les Quatre articles de Prague, à part la communion sous les deux espèces.

Celle-ci fit en sorte de mettre la bourgeoisie praguoise sous sa coupe, et d’étouffer la fraction de Procope le rasé, qui sans la base populaire-révolutionnaire ne possédait de toutes manières plus de dynamique en termes d’orientation.

L’Église catholique admit tout d’abord, lors d’une rencontre entre délégués du concile et délégués des partis hussites, à Cheb en mai 1432, que l’autorité suprême lors des discussions ne serait pas le concile lui-même, mais la Bible.

C’était la première fois que l’Église catholique reconnaissait une « hérésie » comme ayant une dimension relevant de la discussion ; cependant, c’était fait dans un esprit tactique.

C’était une manière de scinder les hussites, et de fait Procope le rasé fut relevé de son poste de commandement, alors que les masses organisées en armée permanente perdaient toujours plus leur lien avec leur origine sociale et devenait corruptible à l’attrait des pillages.

Les longues campagnes faisaient en effet que des familles entières se mettaient en branle, combattant telles des tribus restant toujours ensemble, alors que dans les bases une partie restait afin de produire dans les champs.

La guerre de 1419-1434 avait enrichi les fournisseurs de l’armée et une bourgeoisie se formait, avec à la fin des patriciens de Tábor étant seigneurs de 130 villages.

Karl Kautsky note ainsi de manière correcte concernant la question de la direction révolutionnaire :

« Les communistes de Tabor n’avaient jamais été qu’un petit morceau du Parti démocratique, qu’on nommait les taborites.

Ils étaient la composante la plus énergique, la plus sans compromis, à tout niveau ceux qui allaient le plus loin et de loin les plus efficaces militairement.

Mais les masses, qui appartenaient à ce parti, étaient des petits-bourgeois urbains et des paysans, pour qui le programme communiste était sans importance. Plus la guerre durait longtemps, plus ces éléments en souffraient. »

A côté de cela, l’aristocratie essayait de remettre le trône de Bohême à la Pologne (que les « Orphelins » aidèrent face aux chevaliers teutoniques) ou la Lituanie, deux puissances relativement indépendantes du pape alors ; l’esprit de compromission grandissait de plus en plus.

L’Église catholique pesa de tout son poids pour un accord secret entre la noblesse hussite et la noblesse catholique, pour faire en sorte d’aider secrètement le bastion catholique de Plzen pour qu’il ne tombe pas face aux taborites et aux orébites.

L’évêque de Tabor, Nicolas Biskupec, constatait alors :

« Comme nous l’avons appris au sujet de plus d’un, au temps où ils étaient pauvres, jamais ou fort rarement ils n’acceptaient de rester au repos dans la tranquillité de leurs foyers citadins, disant : je ne manquerai pas une bataille, j’irai toujours en découdre !

Mais à peine ont-ils réussi à garnir de pièces d’or leurs escarcelles, leurs bourses et leurs sacs que voilà quittant l’armée à la première occasion, ils flânent sans rien faire, se montrent amateurs de banquets, s’enivrent, revêtent de somptueux costumes, se marient et ne sont plus que jouisseurs gras à lard. »

Ainsi, l’union de l’aristocratie catholique et hussite, rejoint par la Moravie, la vieille ville de Prague, Kuttenberg, la ville de Plzen qui était le bastion catholique, la ville de Melnik, réussit son pari d’unification contre la nouvelle ville de Prague, les orébites et les taborites.

L’Unité seigneuriale occupa la ville de Prague le 9 mai 1434, puis au moyen d’une armée composée notamment d’aides de camp de Jan Žižka retournés, écrasa les troupes de Procope le rasé lors de la bataille de Lipany, le 30 mai 1434, au moyen de 25 000 mercenaires massacrant 13 000 combattants taborites et orebites, brûlant vif les prisonniers entassés dans des granges.

La trahison du chef de la cavalerie, Johann Čapek, joua un rôle déterminant dans la défaite. Mais l’incapacité du cœur démocratique du mouvement à se développer fit que la force idéologique taborite s’était terriblement affaiblie ; l’opportunisme et le carriérisme avaient corrompu le mouvement, comme le prouvait la présence d’anciens taborites dans le camp ennemi.

Voici la dernière lettre de Procope le rasé, envoyé à Prokupek, le « hetman » (dirigeant militaire) des Orphelins :

« Que Notre Seigneur Tout-Puissant, qui ramène l’éclaircie après les bourrasques et la consolation après les chagrins, soit avec toi, frère en Christ à moi cher entre tous !

Sache qu’avec la permission de Dieu, les félons seigneurs provinciaux et les Praguois de la Vieille Ville ont attaqué nos frères bien aimés, les bourgeois de la Ville Neuve ; ils en ont tué un certain nombre et se sont rendus maîtres de leur cité, comme nous l’avons vu de nos yeux.

C’est pourquoi il nous paraît qu’il vous faut, toutes affaires cessantes, vous de jeter de Plzen en direction de Sedlcany. Capek assurément rassemble une multitude du peuple et de nous de même du côté de Tabor, comme nous l’espérons ; car il nous vaut mieux mourir que de ne point venger le sang innocent de nos chers frères, traîtreusement répandu.

Soyez avec Dieu, sachant que punissant les siens, il les réjouit ensuite ! »

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L’écrasement du mouvement plébéien praguois et les succès hussites

L’une des grandes faiblesses de la révolution taborite est de ne pas avoir su se lier aux gueux des villes. Mais, après l’écrasement du communisme taborite, Jan Žižka put réussir à collaborer avec Jan Želivský afin de combattre les villes de Bohême encore contrôlées par le patriciat et le haut clergé.

Le grand succès de l’opération amena la naissance de deux structures étatiques :

– la Fédération urbaine praguoise, conduite par Jan Želivský et regroupant les 21 principales villes de Bohême (Prague, Beroun, Slany, Louny, Kadan, Chomutov, Litomerice, Bela pod Bezdezem, Melnik, Kostelec nad Labem, Cesky Brod, Kourim, Nymburk, Kolin, Kutna Hora, Caslav, Chrudim, Vysoké Myto, Policka, Litomysl, Jaromer, Dvur Kralove) ;

– la Fédération urbaine taborite, avec des villes du Sud et de l’Ouest : Tabor, Pisek, Prachatice, Susice, Horazdovice, Klatovy, Domzlice.

Si la Fédération urbaine praguoise était la structure la plus puissante, Jan Žižka était le grand chef militaire. Il sauva la situation à Zatec et il organisa la victoire sur l’empereur Sigismond, qui avait momentanément repris Kutna Hora.

Devenu aveugle après la perte de son seul œil (il était borgne depuis la jeunesse), il devint une véritable légende.

En rouge hachuré la zone marquée par le hussitisme, en bleu par le luthéranisme, en jaune par le catholicisme.

Cette situation de stabilité provoquée par la victoire sur les croisades catholiques amena la bourgeoisie à faire à Prague ce qui avait été réalisé à Tabor, mais elle était face à un obstacle : le mouvement dirigé par Jan Želivský.

Faisant partie du conseil des Vingt nommés pour la Diète afin de gouverner le royaume de manière provisoire, Jan Želivský était le dirigeant plébéien de la capitale.

Il avait en effet banni de Prague les derniers patriciens et fait procéder à de nouvelles confiscations, il avait mené un soulèvement populaire le 30 juin 1421, modifiant la composition du conseil municipal de la vieille ville.

La guérilla hussite – taborite des chariots,
telle que vue à l’époque

Et lorsqu’en septembre les croisés menèrent l’offensive depuis la Silésie, beaucoup de nobles se rallièrent à eux ; en réponse, Jan Želivský instaura la dictature militaire le 19 octobre 1421, afin de contrer une alliance des nobles hussites et catholiques.

La situation devenait intolérable pour la bourgeoisie qui voyait la fraction populaire-révolutionnaire urbaine se renforcer toujours plus.

Jan Želivský fut ainsi attiré dans un guet-apens à la mairie de la Vieille Ville et massacré le 9 mars 1422, la nouvelle n’étant pas répandue afin d’éviter un soulèvement populaire.

Avec le meurtre de Jan Želivský, la fraction hussite-conservatrice avait le champ libre, car l’idéologie populaire-révolutionnaire n’était pas cimentée, pas synthétisée ; elle pouvait par conséquent assumer entièrement le nouvel État, qu’il était également désormais possible d’unifier.

Lors de la diète de Caslav, réunie en juin 1421, vingt personnes furent ainsi chargées de gouverner provisoirement le pays : huit représentants de la fédération urbaine dont quatre bourgeois praguois, deux délégués de Tabor et encore s’agissait il des responsables militaires Jan Žižka et Zbynek de Buchov, et enfin cinq seigneurs et cinq chevaliers.

De son côté, la noblesse hussite tentait de négocier avec les seigneurs catholiques ; inversement, la bourgeoisie tentait de maintenir un rapport de force suffisant afin de maintenir ses positions, tout en acceptant le principe de négociation.

En rouge le bastion hussite taborite, en orange les zones qui lui sont liées, en rose hachurée le mouvement des troupes hussites – taborites.

Les forces représentées par Jan Žižka, par contre, formaient une alliance artisans-petite noblesse avec un appui paysan ; ces classes n’avaient pas intérêt à un compromis. Jan Žižka allait dans le sens de l’union de cette alliance avec la bourgeoisie, à la fois contre les forces populaires-révolutionnaires radicales et contre les Pragois soupçonnés de collusion avec la noblesse catholique.

C’est également cette ligne intermédiaire qui fera que le révisionnisme en Tchécoslovaquie mettra en avant Jan Žižka comme le grand héros national, aux dépens des Taborites et surtout des Adamites – Picards, c’est-à-dire des communistes utopistes.

Le tableau La bataille de Grunwald a été peint en 1878 par le peintre polonais Jan Matejko. Il montre de manière romantique-nationale la victoire sur les chevaliers teutoniques par le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie en 1410. Grand symbole de la victoire sur les forces germaniques, le tableau contient également une allusion à Jan Žižka, des forces de Bohême ayant par ailleurs participé à la bataille.

Jan Žižka rejoignit alors en Bohême orientale une nouvelle confrérie, les Orébites (du Mont Oreb formé parallèlement au Mont Tabor lors de la première vague révolutionnaire), ainsi qu’un Petit Tabor, dans la cité de Hradec Kralové.

Puis, il mena l’offensive contre Prague, afin d’écraser, lors de la bataille de Malesov en 1424, les seigneurs hussites et catholiques, obligeant la fédération urbaine à se rallier à lui. Jan Žižka décéda cependant le 11 octobre 1424.

A la mort de Jan Žižka, les Orébites prirent le nom d’orphelins, entrèrent en concurrence avec les táborites, ce qui manqua même de se transformer en guerre ouverte (paix de Vrsovice en 1425). Ce fut alors Procope le rasé – il ne portait pas de barbe, contrairement à ce qui était courant dans le mouvement – qui succéda à Jan Žižka.

Avec un quartier général à Kutna Hora, il parvint à unifier face à l’ennemi les troupes taborites, des orphelins et des troupes praguoises lors de l’écrasement de la croisade conduite par le cardinal anglais Henry de Winchester. Les forces catholiques avaient alors tenté d’utiliser également des chariots, au nombre de 10 000, mais cela ne suffit pas face à la détermination hussite.

Par la suite, Procope le rasé participa aux négociations avec les forces catholiques à Presbourg / Bratislava, exigeant de l’empereur Sigismond l’application des Quatre articles de Prague, et expliquant :

« Les Tchèques ont tiré l’épée pour défendre les vérités de Dieu et ils ne la remettront au fourreau qu’après avoir gagné tout le monde à ce programme. »

Devant le refus catholique, l’armée hussite pris les devants, et à partir de 1426 elle franchit les frontières, attaquant les pays allemands, l’Autriche, la Hongrie, empêchant de nouvelles croisades et affaiblissant la féodalité dans les pays voisins, avec également une large propagande.

La Hongrie était un bastion catholique, avec également la Bohême du Sud où la ville de Budejovice et les grands domaines des seigneurs Rozmberk présentaient une grande menace militaire, associée à la ville fortifiée de Plzen, ainsi qu’aux villes fortifiées de Moravie telles qu’Olomouc, Jihlava, Znojmo et Brno.

Lors des invasions hussites, les cures, les monastères, les églises et les manoirs étaient systématiquement visés, avec la recherche de l’appui des paysans ; l’armée hussite parvint à contrôler toute la Silésie.

Lorsque les patriciens allemands de Breslau envoyèrent des troupes contre la pénétration hussite dans cette dernière région, celles-ci refusèrent de se battre, alors qu’un grand nombre de valets de fermes et de paysans allemands passèrent dans le camp hussite.

Représentation de la victoire de Domazlice, avec la fuite du cardinal Giuliano Cesarini dont le chapeau fut un trophée du mouvement hussite – taborite

La Chanson sur la victoire de Domazlice, composée en 1431 par Laurent de Brezova, témoigne de l’esprit conquérant et universaliste de l’imaginaire hussite :

« Et alors l’épée se changera en charrue

et en faucille le javelot, Dieu l’a promis,

les armes ensuite seront fondues

en cloches qui nous salueront.

Plus nation le glaive ne brandira,

plus guerre à sa voisine ne fera,

car de paix jolie et de vie côte à côte

s’iront tous avec tous réjouissant. »

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