La tentative de la constitution soviétique de 1936

Dans leur substance, les constitutions soviétiques de 1924 et de 1936 sont à la fois similaires et différentes.

On a toujours une division en deux de l’organe suprême, qui ne s’appelle plus Congrès des Soviets, mais Soviet suprême, avec donc encore un Soviet de l’Union et un Soviet des nationalités, deux organes parallèles qui doivent nécessairement valider toute décision tous les deux.

Cependant, il n’est plus voté par l’intermédiaire de la pyramide des soviets – qui forment par ailleurs l’État – mais directement, au nom d’une citoyenneté générale. L’idée par contre d’une multiplicité des candidatures échoua toutefois et il fallut mettre en place pour les élections une sorte de Front.

C’est un point très problématique. La constitution de 1936 est sur ce point plus démocratique que celle de 1924, mais sa réalisation est imparfaite.

Vive la constitution du socialisme victorieux et de la démocratie authentique!

A cela s’ajoute la question de la direction générale du pays. Le présidium du Soviet Suprême, élu par celui-ci, est l’organe dirigeant lorsque le Soviet Suprême n’est pas réuni. Or, il ne l’est que deux fois par an, alors que son présidium est un organe agissant de manière quotidienne et il n’y a pas de compte-rendu public de ses actions.

Ce n’est pas nécessairement un problème en soi, mais il est considéré comme un « président collectif », au sens où son rôle est l’équivalent d’un président de la république dans un État présidentiel ou semi-présidentiel.

Il ne peut pas dissoudre le Soviet suprême. Il peut par contre annuler des lois décidées par le gouvernement. C’est lui qui décide des personnes en poste au plus haut niveau de l’armée rouge. C’est lui qui ratifie les traités internationaux et assume les fonctions diplomatiques.

Or, cette notion de collectivité renforce la dimension administrative de la constitution, et cela d’autant plus que le Parti n’est quasiment pas mentionné, à part comme regroupement des éléments les plus conscients.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
d’Estonie adopté en 1940

On retrouve, dans cette approche, la conception de Staline que l’on peut résumer par la thèse du socialisme sur les rails. Il n’y a qu’à avoir une bonne locomotive et tout coule de source. C’est là une perspective linéaire incorrecte.

Cette lecture amène à considérer qu’il n’y a plus en URSS de forces sociales intérieures opposées au développement du socialisme ; il existerait seulement, au pire, des éléments arriérés, anti-sociaux, des gens à la solde de l’espionnage des pays impérialiste, etc..

C’est là sous-estimer la possibilité d’une restauration alors qu’une large base paysanne, même socialisée, est encore présente. Tant que la paysannerie n’était pas transformée en classe ouvrière agricole, le problème restait entier.

L’existence de ce problème exigeait une analyse concrète de la situation, une Pensée exprimant une synthèse de la situation, mais son émergence était rendue impossible de toutes façons, au-delà de l’absence du concept alors, de par la démocratisation unilatérale.

Staline avait tout à fait raison de formuler alors, dans son rapport au 8e Congrès des Soviets, la thèse suivante :

« Ils proposent un ajout à l’article 48 du projet de Constitution, selon lequel le président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS doit être élu non par le Soviet suprême de l’URSS, mais par l’ensemble de la population du pays.

Je pense que ce supplément est faux, car il ne correspond pas à l’esprit de notre Constitution.

Selon le système de notre Constitution, l’URSS ne devrait pas avoir un président unique élu par l’ensemble de la population sur un pied d’égalité avec le Conseil suprême et capable de s’opposer au Conseil suprême. »

Cependant, ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est la question de la direction, que la constitution ne formule pas.

Cette erreur se lit dans la formulation de l’article 12, qui voit en le travail comme un devoir et un honneur, sous-estimant ici la question de la nécessité.

Article 12.

Le travail, en URSS, est pour chaque citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur selon le principe : « Qui ne travaille pas ne mange pas ». En URSS se réalise le principe du socialisme : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ».

Concrètement, on peut dire que la constitution a surestimé la capacité de la société soviétique à développer un niveau démocratique suffisant pour qu’il y ait une bataille pour les postes administratifs à responsabilités comme celui de député du Soviet suprême.

Elle a cherché à résoudre de manière administrative ce qui exigeait une mobilisation de masses sur la base du tournant exigeant un saut qualitatif – une révolution culturelle.

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La constitution soviétique de 1936 précise les droits

Si la dimension démocratique ouverte unilatéralement de la constitution soviétique de 1936 pose ainsi une démarche de construction sur le long terme, elle permet en même temps une affirmation d’une importance historique et ce de grande ampleur.

Staline, dans son rapport au sujet de la constitution au huitième Congrès des Soviets, a tout à fait compris le sens historique de la démarche :

« Maintenant que le fascisme vomit ses flots troubles sur le mouvement socialiste de la classe ouvrière et traîne dans la boue les aspirations démocratiques des meilleurs hommes du monde civilisé, la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera un réquisitoire contre le fascisme, réquisitoire témoignant que le socialisme et la démocratie sont invincibles.

La nouvelle constitution de l’URSS constituera une aide morale et une aide réelle pour tous ceux qui luttent maintenant contre la barbarie fasciste. »

De fait, sans l’avancée de la constitution soviétique de 1936, il n’y aurait pas eu la capacité par la suite de saisir le principe de démocratie populaire, ni même auparavant celui de Front populaire, puisque c’est l’expérience soviétique qui, de par sa profondeur, a permis une réelle synthèse idéologique de ce concept.

Drapeau de l’URSS de 1936 à 1955

En réfutant le gauchisme avec Lénine, puis le trotskysme avec Staline, le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) a levé le drapeau de la démocratie, naturellement dans un sens socialiste ; sans cela, le mouvement communiste n’aurait pas de substance.

À ce titre, il y a une mise en perspective différente de la constitution de 1936 par rapport à celle de 1924.

La première constitution de l’URSS, datant de 1924, consistait en deux parties. La première concernait la formation de l’URSS elle-même, sous forme d’une déclaration. La seconde était un contrat entre les différentes républiques socialistes soviétiques formant l’Union.

Elle ne précisait pas les droits et devoirs du citoyen, ni la réglementation-structuration de la structure étatique : cela était laissé aux constitutions de chaque république membre de l’Union.

La constitution de 1936 n’a pas cette approche. Elle précise tant les droits et devoirs du citoyen que l’organisation étatique elle-même, où les instances de l’Union sont comme auparavant supérieures à celles des républiques, y compris sur le plan juridique.

Elle se veut donc l’identité fondamentale de l’ensemble de la forme sociale, et pas simplement le témoignage d’une Union existant pour des raisons pratiques. La citoyenneté soviétique est présentée dans sa nature, au moyen des articles suivants :

Article 10.

Le droit des citoyens à la propriété personnelle des revenus et épargnes provenant de leur travail, de leur maison d’habitation et de l’économie domestique auxiliaire, des objets de ménage et d’usage quotidien, des objets d’usage et de commodité personnels, de même que le droit d’héritage de la propriété personnelle des citoyens, sont protégés par la loi.

Article 118.

Les citoyens de l’URSS ont droit au travail, c’est-à-dire le droit de recevoir un emploi garanti, avec rémunération de leur travail, selon sa quantité et sa qualité. Le droit au travail est assuré par l’organisation socialiste de l’économie nationale, par la croissance continue des forces productives de la société soviétique, par l’élimination de la possibilité des crises économiques et par la liquidation du chômage.

Article 119.

Les citoyens de l’URSS ont droit au repos. Le droit au repos est assuré par la réduction de la journée de travail à sept heures pour l’immense majorité des ouvriers, par l’établissement de congés annuels pour les ouvriers et les employés avec maintien du salaire, par l’affectation aux besoins des travailleurs d’un vaste réseau de sanatoria, de maisons de repos, de clubs.

Article 120.

Les citoyens de l’URSS ont le droit d’être assurés matériellement dans leur vieillesse, ainsi qu’en cas de maladie et de perte de la capacité de travail. Ce droit est garanti par un vaste développement de l’assurance sociale des ouvriers et des employés aux frais de l’État, par le secours médical gratuit pour les travailleurs, par la mise à la disposition des travailleurs d’un réseau de stations de cure.

Article 121.

Les citoyens de l’URSS ont droit à l’instruction. Ce droit est assuré par l’instruction primaire générale et obligatoire, par la gratuité de l’enseignement, y compris l’enseignement supérieur, par un système de bourses d’État dont bénéficie l’immense majorité des élèves des écoles supérieures, par l’enseignement à l’école donné dans la langue maternelle, par l’organisation de l’enseignement gratuit, professionnel, technique et agronomique pour les travailleurs dans les usines, les sovkhozes, les stations de machines et de tracteurs et les kolkhozes.

Sont également affirmés l’égalité entre l’homme et la femme, l’égalité quelle que soit la nationalité.

Ces droits sont bien entendu encadrés par la nature socialiste de la société, ce qu’exprime l’article suivant :

Article 131.

Tout citoyen de l’URSS est tenu de sauvegarder et d’affermir la propriété commune, socialiste, qui est la base sacrée et inviolable du régime soviétique, la source de la richesse et de la puissance de la patrie, la source d’une vie aisée et cultivée pour tous les travailleurs. Les personnes qui attentent à la propriété sociale, socialiste, sont les ennemis du peuple.

La constitution de 1936 présente ainsi le caractère de la citoyenneté soviétique.

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La substance démocratique unilatérale de la nouvelle constitution

La nouvelle constitution a donc comme identité :

– qu’il y ait seulement la classe ouvrière et la classe paysanne, ainsi que la couche des intellectuels ;

– qu’il n’y ait pas antagonisme et donc identité entre eux.

C’est une approche qui rate l’aspect contraire et la lutte entre la classe ouvrière, la classe paysanne et la couche des intellectuels.

La nouvelle constitution a ainsi une substance démocratique, mais qui ne s’élève pas à saisir la lutte des contraires au sein de la société socialiste ; elle ne voit que l’identité des contraires.

Pour cette raison, la différenciation dans les votes sont supprimés : le vote des ouvriers n’a désormais plus davantage d’importance que le vote des paysans.

Vive le dirigeant du peuple le grand Staline –
créateur de la constitution du socialisme victorieux et de la démocratie authentique !

De la même manière, tous les citoyens âgés de 18 ans peuvent voter et à partir de l’âge de 23 ans se présenter à la candidature. Il restait à ce moment-là 2 à 3 % de la population adulte dont le droit de vote était encore supprimé, cela est donc aboli. Le processus avait déjà commencé en 1931 maisi l connut une accélération : pendant une période de sept mois se terminant au premier mars 1936, 768 989 virent leur casier judiciaire effacé.

En raison du triomphe du principe de citoyenneté, il y a suppression de votes à plusieurs degrés, instances par instances, de soviets en soviets. On vote désormais au suffrage universel.

Comme le vote n’est plus lié à un soviet local, le vote ouvert disparaît également au profit du secret de l’isoloir.

Or, il existe de fait une incohérence avec la situation de l’URSS. En janvier 1948, celle-ci est composé de 16 républiques, de 126 oblasts (c’est-à-dire des régions), de 4248 rayons ruraux, de 1397 villes, de 74 855 villages, avec 177 groupes minoritaires parlant 125 langues différentes et historiquement liés à 40 religions.

Cela signifie que le poids de la paysannerie est significatif encore, tout comme inversement le poids des couches intellectuelles, nécessaire pendant à l’arriération paysanne dans la société soviétique.

Cela va avoir une conséquence terrible sur la réalisation de la constitution de 1936.

En effet, l’idée était qu’il y aurait plusieurs candidats pour chaque poste de député, qu’il y aurait donc des débats, de l’émulation, une discussion générale, etc. L’article 141 de la constitution prévoit ainsi :

« Aux élections les candidatures sont présentées par circonscriptions électorales. Le droit de présenter des candidats est garanti aux organisations sociales et aux associations de travailleurs : aux organisations du parti communiste, aux syndicats, aux sociétés coopératives, aux organisations de la jeunesse, aux sociétés culturelles. »

Or, on s’aperçut que de par la base paysanne du pays, de par l’activité intense des contre-révolutionnaires dans certaines zones, de par la tension qu’ils faisaient régner dans le pays par moment, alors les candidatures multiples risquaient de provoquer des troubles.

Par conséquent et contrairement à l’esprit de la constitution, il n’y eut au bout de deux mois de campagnes électorales à chaque fois qu’une liste qui se présenta, comme bloc de membres du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) et de non-adhérents au Parti.

Les élections eurent lieu le 12 décembre 1937, la première session du Soviet suprême de l’URSS eut lieu le 12 janvier 1938.

Sur les 1143 députés du Soviet suprême de l’URSS, 870 étaient membres du PCUS(b) ou candidats à l’appartenance. Il y avait 460 ouvriers, 337 paysans, 326 membres des couches intellectuelles et de la couche des employés. Il n’y avait par contre que 180 femmes.

Il y eut également des votes concernant les soviets locaux, dont l’existence se perpétue puisqu’il s’agit de la structure d’État, même si maintenant leurs structures ne décident plus des élus à la structure centrale.

1 281 008 personnes furent élus responsables des soviets locaux, dont 878 000 de non-membres du PCUS(b). Ici, les femmes sont bien plus présentes, puisqu’elles sont 422 279.

Les élections elles-mêmes furent une très grande réussite, dans une ambiance festive. La participation fut de 96,8%, avec 93 639 458 électeurs.

L’adhésion des larges masses était là, cependant il était clair que la citoyenneté générale venait trop tôt, au sens où elles n’étaient pas encore en mesure de la porter elle-même. Or, c’était pourtant là la clef de la constitution, surnommée parfois « Constitution de Staline », voire « Constitution du socialisme victorieux ».

La preuve en est, le rôle et la nature du PCUS(b) ne sont présentées qu’une seule fois, à l’article 126, soit presque tout à la fin, la constitution ayant 146 articles. Le Parti est présenté simplement comme le regroupement des « citoyens les plus actifs et les plus conscients ».

Voici ce qui est dit :

« Conformément aux intérêts des travailleurs et afin de développer l’initiative des masses populaires en matière d’organisation, ainsi que leur activité politique, le droit est assuré aux citoyens de l’URSS de s’associer en organisations sociales : syndicats professionnels, unions coopératives, organisations de la jeunesse, organisations sportives et de défense, sociétés culturelles, techniques et scientifiques, alors que les citoyens les plus actifs et les plus conscients de la classe ouvrière et des autres couches de travailleurs s’unissent dans le Parti communiste de l’URSS, qui est l’avant-garde des travailleurs dans leur lutte pour l’affermissement et le développement du régime socialiste et qui représente le noyau dirigeant de toutes les organisations de travailleurs, tant sociales que d’État. »

On a ici en germe le XIXe congrès du PCUS(b) de 1952 où le Parti gère simplement les forces productives – de manière idéologique encore avec Staline, mais avec déjà présent l’idée de direction collective accompagnant l’évolution de la société annulant justement la primauté politique de l’idéologie.

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La thèse de la citoyenneté soviétique dans la constitution de 1936

Partant de l’identification des classes en URSS, marquant le dépassement de l’alliance ouvrière-paysanne, et soulignant que les intellectuels leurs sont liées, Staline aboutit à la thèse de la citoyenneté soviétique générale.

Vive la constitution de Staline !

Voici comment il présente cela dans son rapport au VIIIe congres extraordinaire des Soviets de l’URSS le 25 novembre 1936 concernant le projet de constitution de l’URSS :

« La cinquième particularité du projet de la nouvelle Constitution, c’est son démocratisme conséquent et sans défaillance. Du point de vue du démocratisme, on peut diviser les constitutions bourgeoises en deux groupes : un groupe de constitutions nie ouvertement ou, en fait, réduit à néant l’égalité en droits des citoyens et les libertés démocratiques.

L’autre groupe de constitutions accepte volontiers et affiche même les principes démocratiques ; mais en même temps il fait de telles réserves et restrictions que les droits et libertés démocratiques s’en trouvent complètement mutilés.

Ces constitutions parlent de droits électoraux égaux pour tous les citoyens, mais aussitôt les restreignent par les conditions de résidence et d’instruction, voire de fortune. Elles parlent de droits égaux pour les citoyens, mais aussitôt font cette réserve que cela ne concerne pas les femmes, ou ne les concerne que partiellement. Etc., etc.

Le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. a ceci de particulier qu’il est exempt de pareilles réserves et restrictions. Pour lui, il n’existe point de citoyens actifs ou passifs ; pour lui, tous les citoyens sont actifs.

Il n’admet point de différence de droits entre hommes et femmes, entre «domiciliés» et «non-domiciliés», entre possédants et non-possédants, entre gens instruits et non instruits. Pour lui, tous les citoyens ont des droits égaux.

Ce n’est pas la situation de fortune, ni l’origine nationale, ce n’est pas le sexe ni la fonction ou le grade, mais les qualités personnelles et le travail personnel de chaque citoyen, qui déterminent sa situation dans la société.

Enfin, une autre particularité du projet de la nouvelle Constitution.

Les constitutions bourgeoises se contentent habituellement de fixer les droits officiels des citoyens, sans se préoccuper des conditions garantissant l’exercice de ces droits, de la possibilité de les exercer, des moyens de les exercer.

Elles parlent de l’égalité des citoyens, mais oublient qu’il ne peut pas y avoir d’égalité véritable entre patron et ouvrier, entre grand propriétaire foncier et paysan, si les premiers ont la richesse et le poids politique dans la société, et les seconds sont privés de l’un et de l’autre ; si les premiers sont des exploiteurs et les seconds des exploités.

Ou encore : elles parlent de la liberté de la parole, de réunion et de la presse, mais elles oublient que toutes ces libertés peuvent n’être pour la classe ouvrière qu’un son creux, si elle est mise dans l’impossibilité de disposer de locaux appropriés pour tenir ses réunions, de bonnes imprimeries, d’une quantité suffisante de papier d’imprimerie, etc.

Le projet de la nouvelle Constitution a ceci de particulier qu’il ne se borne pas à fixer les droits officiels des citoyens, mais qu’il reporte le centre de gravité sur la garantie de ces droits, sur les moyens de les réaliser.

Il ne proclame pas simplement l’égalité des citoyens, mais il la garantit en consacrant par voie législative la suppression du régime d’exploitation, l’affranchissement des citoyens de toute exploitation.

Il ne proclame pas simplement le droit au travail, mais il le garantit en consacrant par voie législative l’absence de crises dans la société soviétique, la suppression du chômage. Il ne proclame pas simplement les libertés démocratiques, mais il les garantit par voie législative, avec des moyens matériels déterminés.

On conçoit, par conséquent, que le démocratisme du projet de la nouvelle Constitution ne soit pas un démocratisme en général, «habituel» et «généralement reconnu», mais le démocratisme socialiste. »

La constitution de 1936 se fonde ainsi sur la citoyenneté générale. Il n’y plus en URSS que des citoyens, qui de par la situation, ont le maximum de droits possibles. C’est ainsi « la constitution la plus démocratique au monde », car les droits sont réels et non formels.

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La thèse de l’identification des classes en URSS

Staline a présenté le rapport au VIIIe congres extraordinaire des Soviets de l’URSS le 25 novembre 1936 concernant le projet de constitution de l’URSS. Il y explique sa conception : il n’y a non seulement plus d’exploiteurs en URSS, mais en plus il faut partir du principe de l’identité des ouvriers, des paysans et des intellectuels, en raison de leur identification à l’URSS.

Il n’y a donc plus lieu de formuler de distinction politique entre eux. C’est une conception qui à la fois constate qu’effectivement l’URSS existe, cependant c’est en même temps la considération que l’alliance ouvrière-paysanne forme une nouvelle entité sociale.

Vive la constitution de Staline –
la constitution du socialisme victorieux !

Staline présente de la manière suivante la base de la justification de la modification de la constitution :

« Cela signifie que l’exploitation de l’homme par l’homme a été supprimée, liquidée, et que la propriété socialiste des instruments et moyens de production s’est affirmée comme la base inébranlable de notre société soviétique. (Applaudissements prolongés.)

Ces changements dans l’économie nationale de l’U.R.S.S. font que nous avons aujourd’hui une nouvelle économie, l’économie socialiste, qui ignore les crises et le chômage, qui ignore la misère et la ruine, et offre aux citoyens toutes possibilités d’une vie d’aisance et de culture.

Tels sont pour l’essentiel les changements survenus dans notre économie, de 1924 à 1936.

Ces changements dans l’économie de l’U.R.S.S. ont entraîné des changements dans la structure de classe de notre société. On sait que la classe des grands propriétaires fonciers avait déjà été liquidée à la suite de notre victoire finale dans la guerre civile. Les autres classes exploiteuses ont partagé le même sort.

Plus de classe des capitalistes dans l’industrie. Plus de classe des koulaks dans l’agriculture. Plus de marchands et spéculateurs dans le commerce.

De sorte que toutes les classes exploiteuses ont été liquidées. Est restée la classe ouvrière. Est restée la classe des paysans. Sont restés les intellectuels. »

Et, donc, Staline continue : les trois groupements sociaux qui restent ont changé de nature. On peut parler de leur identification :

« On aurait tort de croire que ces groupes sociaux n’ont subi aucun changement pendant la période envisagée et qu’ils sont demeurés ce qu’ils étaient, disons, à l’époque du capitalisme. Prenons, par exemple, la classe ouvrière de l’U.R.S.S.

On, l’appelle souvent, par vieille habitude, prolétariat. Mais qu’est-ce que le prolétariat ?

Le prolétariat est une classe privée des instruments et moyens de production dans le système économique où instruments et moyens de production appartiennent aux capitalistes, et où la classe des capitalistes exploite le prolétariat. Le prolétariat est une classe exploitée par les capitalistes.

Mais chez nous, on le sait, la classe des capitalistes est déjà liquidée ; les instruments et moyens de production ont été enlevés aux capitalistes et remis à l’Etat, dont la force dirigeante est la classe ouvrière.

Par conséquent, il n’y a plus de classe de capitalistes qui pourrait exploiter la classe ouvrière.

Par conséquent notre classe ouvrière, non seulement n’est pas privée des instruments et moyens de production ; au contraire, elle les possède en commun avec le peuple entier.

Et du moment qu’elle les possède, et que la classe des capitalistes est supprimée, toute possibilité d’exploiter la classe ouvrière est exclue. Peut-on après cela appeler notre classe ouvrière prolétariat ? Il est clair que non.

Marx disait : pour s’affranchir, le prolétariat doit écraser la classe des capitalistes, enlever aux capitalistes les instruments et moyens de production et supprimer les conditions de production qui engendrent le prolétariat. Peut on dire que la classe ouvrière de l’U.R.S.S. a déjà réalisé ces conditions de son affranchissement ?

On peut et on doit le dire incontestablement.

Et qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que le prolétariat de l’U.R.S.S. est devenu une classe absolument nouvelle, la classe ouvrière de l’U.R.S.S., qui a anéanti le système capitaliste de l’économie, affermi la propriété socialiste des instruments et moyens de production, et qui oriente la société soviétique dans la voie du communisme.

Comme vous voyez, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. est une classe ouvrière absolument nouvelle, affranchie de l’exploitation, une classe ouvrière comme n’en a jamais connu l’histoire de l’humanité. Passons à la question de la paysannerie.

On a coutume de dire que la paysannerie est une classe de petits producteurs dont les membres, atomisés, dispersés sur toute la surface du pays, besognant chacun de leur côté dans leurs petites exploitations, avec leur technique arriérée, sont esclaves de la propriété privée et sont impunément exploités par les grands propriétaires fonciers, les koulaks, les marchands, les spéculateurs, les usuriers, etc.

En effet, la paysannerie des pays capitalistes, si l’on considère sa masse fondamentale, constitue précisément cette classe.

Peut-on dire que notre paysannerie d’aujourd’hui, la paysannerie soviétique, ressemble dans sa grande masse à cette paysannerie-là ?

Non, on ne peut le dire. Cette paysannerie là n’existe plus chez nous. Notre paysannerie soviétique est une paysannerie absolument nouvelle. Il n’existe plus chez nous de grands propriétaires fonciers ni de koulaks, de marchands ni d’usuriers, pour exploiter les paysans.

Par conséquent, notre paysannerie est une paysannerie affranchie de l’exploitation.

Ensuite notre paysannerie soviétique, dans son immense majorité, est une paysannerie kolkhozienne, c’est-à-dire qu’elle base son travail et son avoir non sur le travail individuel et une technique arriérée, mais sur le travail collectif et la technique moderne. Enfin l’économie de notre paysannerie est fondée, non sur la propriété privée, mais sur la propriété collective qui a grandi sur la base du travail collectif.

La paysannerie soviétique, vous le voyez, est comme n’en a pas encore connu l’histoire de l’humanité. une paysannerie absolument nouvelle.

Passons enfin à la question des intellectuels, des ingénieurs et techniciens, des travailleurs du front culturel, des employés en général, etc. Les intellectuels ont eux aussi subi de grands changements au cours de la période écoulée.

Ce ne sont plus ces vieux intellectuels encroûtés, qui prétendaient se placer au-dessus des classes, mais qui, dans leur masse, servaient en réalité les grands propriétaires fonciers et les capitalistes.

Nos intellectuels soviétiques, ce sent des intellectuels absolument nouveaux, liés par toutes leurs racines à la classe ouvrière et à la paysannerie.

Tout d’abord, la composition sociale des intellectuels a changé. Les éléments issus de la noblesse et de la bourgeoisie représentent un faible pourcentage de nos intellectuels soviétiques. 80 à 90 % des intellectuels soviétiques sont issus de la classe ouvrière, de la paysannerie et d’autres catégories de travailleurs.

Enfin le caractère même de l’activité des intellectuels a changé. Autrefois ils devaient servir les classes riches, parce qu’ils n’avaient pas d’autre issue. Maintenant ils doivent servir le peuple, parce qu’il n’existe plus de classes exploiteuses.

Et c’est précisément pourquoi ils sont aujourd’hui membres égaux de la société soviétique, où, avec les ouvriers et les paysans attelés à la même besogne, ils travaillent à l’édification d’une société nouvelle, de la société socialiste sans classes.

Ce sont, vous le voyez bien, des travailleurs intellectuels absolument nouveaux, comme vous n’en trouverez dans aucun pays du globe. Tels sont les changements survenus au cours de la période écoulée dans la structure sociale de la société soviétique.

Qu’attestent ces changements ?

Ils attestent, premièrement, que les démarcations entre la classe ouvrière et la paysannerie, de même qu’entre ces classes et les intellectuels, s’effacent et que disparaît le vieil exclusivisme de classe. C’est donc que la distance entre ces groupes sociaux diminue de plus en plus.

Ils attestent, deuxièmement, que les contradictions économiques entre ces groupes sociaux tombent, s’effacent.

Ils attestent enfin que tombent et s’effacent également les contradictions politiques qui existent entre eux. »

Staline fait ici une erreur : même si les démarcations et les distances s’estompent, les contradictions restent, au moins de nature culturelle, idéologique. C’est une contradiction au sein du peuple, non antagonique, pour utiliser le concept de Mao Zedong, mais c’est une contradiction tout de même.

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Staline et la différence entre ouvriers et paysans dans le projet de constitution

Staline fit des remarques importantes au sujet de quelques corrections proposées au projet de constitution. L’un des thèmes est extrêmement important, car il va littéralement définir la nature de la constitution de 1936 : celui de la définition de la composition sociale de la société soviétique.

Voici ce qu’il dit et comment il définit celle-ci :

« Les uns proposent au lieu des mots « État des ouvriers et des paysans», de dire : « État des travailleurs».

D’autres proposent d’ajouter aux mots « État des ouvriers et des paysans» les mots : «et des travailleurs intellectuels».

D’autres encore proposent au lieu des mots «État des ouvriers et des paysans», de dire : « État de toutes les races et nationalités peuplant le territoire de l’U.R.S.S.».

D’autres enfin proposent de remplacer les mots « des paysans » par les mots «des kolkhoziens» ou par les mots : « des travailleurs de l’agriculture socialiste ». Faut-il accepter ces amendements ?

Je pense que non.

De quoi parle l’article 1 du projet de Constitution ?

De la composition de classe de la société soviétique. Nous, marxistes, pouvons-nous dans la Constitution ne rien dire de la composition de classe de notre société ?

Évidemment non.

La société soviétique se compose, comme on sait, de deux classes : les ouvriers et les paysans. C’est de cela précisément que traite l’article 1 du projet de Constitution.

Par conséquent, l’article 1 reflète bien la composition de classe de notre société.

On peut demander : Et les travailleurs intellectuels ?

Les intellectuels n’ont jamais été et ne peuvent être une classe, ils ont été et demeurent une couche sociale recrutant ses membres parmi toutes les classes de la société.

Dans l’ancien temps, les intellectuels se recrutaient parmi les nobles, la bourgeoisie, en partie parmi les paysans et, seulement dans une proportion très insignifiante, parmi les ouvriers. A notre époque, à l’époque soviétique, les intellectuels se recrutent surtout parmi les ouvriers et les paysans.

Mais quelle que soit la façon dont ils se recrutent, quel que soit le caractère qu’ils revêtent, les intellectuels sont néanmoins une couche sociale, et non une classe.

Cet état de choses ne porte-t-il pas atteinte aux droits des travailleurs intellectuels ? Pas du tout !

L’article 1 du projet de Constitution parle, non des droits des diverses couches de la société soviétique, mais de la composition de classe de cette société. Quant aux droits des diverses couches de la société soviétique, y compris ceux des travailleurs intellectuels, il en est parlé principalement aux chapitres X et XI du projet de Constitution.

De ces chapitres il ressort que les ouvriers, les paysans et les travailleurs intellectuels sont complètement égaux en droits, dans toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays. Par conséquent, il ne peut être question d’atteinte aux droits des travailleurs intellectuels (…).

On aurait également tort de remplacer le mot «paysan» par le mot « kolkhozien » ou par les mots « travailleur de l’agriculture socialiste ».

D’abord, il existe encore parmi les paysans, outre les kolkhoziens, plus d’un million de foyers de non-kolkhoziens.

Comment faire ? Les auteurs de cet amendement pensent-ils ne pas en tenir compte ? Ce ne serait pas raisonnable.

En second lieu, si la majorité des paysans ont passé à l’économie kolkhozienne, cela ne veut pas encore dire qu’ils aient cessé d’être des paysans, qu’ils n’aient plus d’économie personnelle, de foyer personnel, etc.

Troisièmement, il faudrait substituer également au mot « ouvrier » les mots « travailleur de l’industrie socialiste, ce que pourtant les auteurs de l’amendement ne proposent pas.

Enfin, est-ce que la classe des ouvriers et la classe des paysans ont déjà disparu chez nous ? Et si elles n’ont pas disparu, faut-il rayer du vocabulaire les dénominations établies pour elles ?

Les auteurs de l’amendement ont sans doute en vue, non pas la société actuelle, mais la société future, lorsqu’il n’y aura plus de classes et que les ouvriers et les paysans seront devenus les travailleurs d’une société communiste unique.

C’est dire qu’ils anticipent manifestement. Or, en rédigeant la Constitution, il faut prendre comme point de départ, non le futur, mais le présent, ce qui existe déjà. La Constitution ne peut ni ne doit anticiper.

Il y a donc des ouvriers, des paysans, appartenant à deux classes différentes, et une couche sociale, celle des intellectuels. Ils sont bien distingués. Or, la constitution de 1936 n’établit pas la nature de ces différences, affirmant une citoyenneté soviétique générale.

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La projet de nouvelle constitution soviétique

À l’origine, Staline aborda la question d’une nouvelle constitution à la session du Bureau Politique du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) du 10 mai 1934.

Le 4 février 1935, le président du Conseil des Commissaires du peuple, Viatcheslav Molotov, reçut la mission de la part du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) de proposer la modification de la constitution de l’URSS au 7e congrès des soviets allant se tenir.

Il était considéré en effet que, comme les rapports socialistes avaient été établis en URSS, cela devait se refléter dans la constitution. De plus, les avancées effectuées permettaient de réaliser une vaste démocratisation, puisqu’une partie de la population liée aux anciennes couches exploiteuses avaient été mises de côté du droit de vote.

A cela s’ajoutait que dans la constitution précédente, les soviets des villes comptaient davantage que les soviets des campagnes.

Staline

Le 7e congrès des soviets fut d’accord avec la proposition et demanda à sa direction élue – le Comité exécutif central – de mettre en place une commission pour établir le texte de la nouvelle constitution.

Voici comment la chose était formulée :

1. Apporter à la Constitution de l’U.R.S.S. des modifications en vue

a) de démocratiser encore le système électoral, en remplaçant les élections incomplètement égales par des élections égales, les élections à plusieurs degrés par des élections directes, le vote public par le scrutin secret ;

b) de préciser la base sociale et économique de la Constitution, pour faire correspondre celle-ci avec l’actuel rapport des forces de classes en U.R.S.S. (création d’une nouvelle industrie socialiste ; écrasement de la classe des koulaks ; victoire du régime kolkhozien ; affermissement de la propriété socialiste comme base de la société soviétique, etc.)

2. Inviter le Comité exécutif central de l’U.R.S.S. à élire une Commission de la Constitution, chargée d’établir le texte rectifié de la Constitution sur les bases indiquées au paragraphe 1, et de le soumettre à l’approbation de la session du Comité exécutif central de l’U.R.S.S.

3. Procéder aux prochaines élections ordinaires des organes du pouvoir soviétique de l’U.R.S.S. sur la base du nouveau système électoral.

Cette commission avait 31 membres, Staline en étant le président, Viatcheslav Molotov et Mikhaïl Kalinine en étant les vice-présidents. Douze sous-commissions furent mises en place, avec à chaque fois un responsable :

– la forme générale avec Staline ;

– la ligne éditoriale avec Staline ;

– le droit avec Andreï Vychinski ;

– l’économie avec Molotov ;

– l’éducation avec Andreï Jdanov ;

– le travail avec Lazare Kaganovitch ;

– la défense avec Kliment Vorochilov ;

– le droit avec Nikolaï Boukharine ;

– la finance avec Vlas Chubar ;

– les élections avec Karl Radek ;

– les rapports entre le local et le centre avec Ivan Akulov ;

– les affaires étrangères avec Maksim Litvinov.

Un groupe rédactionnel fut également mis en place avec Iakov Iakovlev, Alexeï Steskii et B.M. Tal.

Ce groupe compila les travaux des sous-commissions qui furent prêts à la fin de l’année 1935 et présenta une première synthèse en février 1936, puis une seconde en avril, celle-ci étant révisée par le secrétariat constitutionnel du Congrès des Soviets. Le groupe finalisa alors, avec Staline, la version définitive du premier projet de constitution.

Ce projet connut des corrections puis fut étudié en commun par le Bureau Politique du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) et la Commission devant établir la constitution au mois de mai. Le 12 juin, la version finale fut rendue publique dans la presse, avec un appel à la discussion générale dans tout le pays.

Tout l’été et le printemps, la presse accorda une importance significative quant aux débats à ce sujet. Jusqu’au 21 novembre 1936, il y a eu 164 893 réunions d’organisées par les soviets, touchant 3,5 millions de personnes et aboutissant à 40 000 propositions de corrections.

Les organisations étatiques et les kolkhozes organisèrent 458 441 réunions, avec 38 900 000 participants et 83 571 propositions de corrections.

A la suite de la grande campagne populaire de débats au sujet du projet de constitution, le Comité exécutif central appela à un congrès extraordinaire des soviets pour la fin de l’année.

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Les Soviets et leurs congrès

La base de l’organisation politique de l’URSS était le soviet, le « conseil », du nom des comités ouvriers, des comités de paysans, des comités de soldats apparaissant lors de la révolution russe. Le mot d’ordre bolchevik était « tout le pouvoir aux soviets ! ».

Il y eut plusieurs congrès des soviets puis, une fois la révolution ayant triomphé, il fut donné naissance à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, chaque république étant constitué d’un pouvoir des soviets.

La constitution de l’URSS de 1924 établit l’élection des délégués des soviets de la manière suivante. Dans les soviets des villes, chaque délégué est élu par 25 000 votants. Par contre, dans les soviets des campagnes, chaque délégué est élu par 125 000 votants.

Il y a un profond déséquilibre entre les villes et les campagnes ; à cela s’ajoute qu’une partie de la population, liée aux anciennes couches exploiteuses, est exclue du vote.

Les votes n’étaient pas non plus secrets ; ils se faisaient publiquement, à travers une succession de votes, en pyramide jusqu’à obtenir le nombre de voix exigés pour chaque délégué.

Les délégués se réunissaient alors en Soviet de l’Union, qui avec le Soviet des nationalités – avec un nombre fixe de délégués par république – forme le Congrès des Soviets. Ce Congrès met en place trois organismes essentiels :

– il élit un Comité exécutif central, qui se réunit plusieurs fois par an (il y eut 24 sessions entre 1922 et 1937) ;

– ce Comité exécutif central élisait le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, dont les membres étaient, grosso modo, l’équivalent des ministres (le terme étant par ailleurs adopté en 1946) et chaque congrès vérifie donc l’activité gouvernementale et lui confie les missions ;

– ce Comité exécutif central élisait la Cour suprême de l’URSS.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
de l’Arménie, adopté en 1937

Le premier Congrès des Soviets a eu lieu en décembre 1922, donnant naissance à l’URSS, composée alors des républiques suivantes :

– Russie ;

– Biélorussie ;

– Ukraine ;

– Transcaucasie.

Le deuxième Congrès des Soviets a eu lieu en janvier-février 1924. C’est à cette occasion que Petrograd devient Leningrad et qu’est définitivement adoptée la constitution de l’URSS en fait déjà mise en place le 6 juillet 1923 par le Comité exécutif central.

Celle-ci était issu d’un projet rédigé par une commission mise en place par le Comité exécutif central, ainsi que validée lors d’une session du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

Le troisième Congrès des Soviets eut lieu en mai 1925, validant notamment l’entrée dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques de Turkménistan et d’Ouzbékistan. Le quatrième Congrès eut lieu en avril 1927, aboutissant notamment à la demande de l’élaboration d’un plan quinquennal par le gouvernement.

Le cinquième Congrès a adopté le premier plan quinquennal en mai 1927 ; le sixième Congrès, en mars 1931, a notamment été marqué par l’admission de la République Socialiste Soviétique du Tadjikistan.

Le septième Congrès des Soviets, qui s’est déroulé en janvier-février 1935, a notamment accepté la mise en place d’une nouvelle constitution, qui fut approuvée par le huitième congrès, extraordinaire, de novembre-décembre 1936.

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La constitution soviétique de 1924

On parle de la constitution soviétique de 1924, car elle fut adoptée le 31 janvier 1924, mais en réalité elle fut mise en place en juillet 1923. Sa nature même s’appuie la fondation de l’URSS en décembre 1922 ; sa première partie est d’ailleurs une déclaration relative à ce sujet.

Il faut ici bien saisir la nature fédérale de la constitution. La constitution valide les deux niveaux – celui de l’Union avec ses prérogatives particulières, celui des républiques – existant lors de la fondation de l’URSS.

Il y a ce qui relève des compétences de l’Union, pour le reste :

« chaque république constitue ses pouvoirs publics d’une manière indépendante »

L’URSS est ainsi défini comme un « État fédéral ». Et en son sein, on a même deux républiques qui sont déjà des fédérations :

– la République socialiste fédérative des Soviets de Transcaucasie, fédérant l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie ;

– la République socialiste fédérative des Soviets de Russie, en raison de ses multiples peuples sur son immense territoire.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
de Géorgie de 1921 à 1937

Ce fédéralisme fait que le Congrès des Soviets, comme prévu à la fondation de l’URSS est séparé en un Soviet de l’Union et un Soviet des nationalités.

Et dans ce dernier, chaque république a le même nombre de représentants (5), afin de souligner l’égalité dans l’Union. Pour parfaire le fédéralisme, les républiques socialistes soviétiques autonomes ont également cinq représentants, et les régions autonomes de Russie en ont un chacun.

Enfin, et c’est l’un des points les plus importants, le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités ont la même valeur. Toute décision doit être acceptée tant par l’un que par l’autre.

Les deux principaux organes centraux de l’URSS – le Comité exécutif central de l’URSS du Congrès des Soviets et le gouvernement dénommé Conseil des commissaires du peuple de l’URSS – sont issus du vote et de l’un, et de l’autre.

Cependant, le droit est une compétence de l’Union et la constitution institue un Tribunal suprême à la compétence sous l’égide du Comité exécutif central de l’URSS.

Cela signifie que toutes les décisions sont prises de manière unifiée-fédérale, mais que le noyau juridique est quant à lui unifié-centralisé, comme la sécurité d’État, les compétences militaires, les affaires étrangères, les infrastructures de communication et ferroviaires.

Le Comité exécutif central de l’URSS est d’ailleurs la plaque tournante de tout le système, puisqu’il peut bloquer tant le gouvernement que le Congrès des Soviets lui-même.

Il est considéré par la constitution de 1924 comme le lieu de la synthèse de la centralisation et de la démocratie.

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La fondation de l’URSS

L’Union des Républiques socialistes soviétiques existe en tant que structure depuis le 30 décembre 1922. L’Union est à sa naissance composée des pays suivant : Russie, Biélorussie, Ukraine. A cela s’ajoute trois pays unifiés dans ce qui est appelé la Transcaucasie : l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.

Le Turkménistan et l’Ouzbékistan rejoignent l’Union en 1924, le Tadjikistan en 1929, le Kirghizistan en 1936. Il s’agit là de conséquences de modifications dans le découpage territorial. Pareillement, en 1936, les pays composant la Transcaucasie deviennent chacun une république socialiste soviétique membre de l’Union.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
de l’URSS de 1929 à 1936

En 1940, l’Union fut rejoint par les républiques socialistes soviétiques de Lituanie, de Lettonie, d’Estonie, de Moldavie.

L’URSS naît comme État fédéral par l’unité de différentes républiques. A ce titre, sa structure étatique s’appuie sur un Congrès des Soviets qui a une double nature :

– d’un côté, il est composé par des représentants des soviets ;

– de l’autre, il est également composé par des représentants chaque république.

Le Congrès des Soviets est ainsi composé du Soviet de l’Union, synthèse des soviets locaux (puis régionaux, etc.), et du Soviet des nationalités, avec des représentants de chacune des républiques.

De la même manière, les instances mises en place par le Congrès des soviets et formant l’État voient leurs documents obligatoirement traduits en russe, en ukrainien, en biélorusse, en géorgien, en arménien et en turc.

Drapeau de l’URSS de 1924 à 1936

Il y a également deux types de Conseil des commissaires du peuple : celui au niveau de l’Union, celui pour chaque république.

Le premier s’occupe de domaines que n’a pas le second : les affaires étrangères, les affaires militaires et navales, le commerce extérieur, les chemins de fer, les postes et télégraphes.

Il s’occupe par contre également de domaines que l’on retrouve au niveau de ce dont s’occupe également le second : l’inspection des travailleurs et des paysans, le travail, l’alimentation, les finances, avec à chaque fois également un président du Conseil suprême de l’économie nationale (un donc au niveau de chaque république, un au niveau de l’Union).

Le second dispose, en plus, des affaires intérieures, de la justice, de l’éducation, de la santé, des assurances sociales, des affaires nationales.

Par contre, les décisions prises au niveau de l’URSS priment sur celles prises au niveau des républiques ; il y a également une citoyenneté unique fédérale.

La constitution de 1924 prolonge directement l’établissement de l’URSS.

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Lénine et la structuration du pouvoir des soviets

Le succès de la révolution d’Octobre 1917 se fonde sur le principe selon lequel les conseils, ce qu’on appelle en russe les soviets, c’est-à-dire les comités locaux, formés chez les ouvriers, les paysans, les soldats, sont la forme du pouvoir révolutionnaire.

Il n’y a plus de représentation nationale au moyen d’élections générales, mais des soviets dont les membres sont élus, ceux-ci élisant le niveau supérieur, et ainsi de suite, jusqu’au haut de la pyramide : le gouvernement, composé de ce qui était appelé les commissaires du peuple.

Or, pour que ce système puisse fonctionner, il faut une capacité administrative de décision et d’organisation de la part des soviets locaux. Sans cela, ils ne se maintiennent pas, ils ne développent pas leur structuration, ils ne peuvent pas choisir des responsables compétents, ils ne reflètent pas la vie des masses mobilisées.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
d’Ouzbékistan en 194
7

Lénine accorde donc une insistance fondamentale sur la systématisation des soviets et de leur capacité à organiser l’ensemble des ouvriers et des paysans. Voici comment la chose est expliquée dans un texte important d’alors, Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, en 1918 :

« Le caractère socialiste de la démocratie soviétique, c’est-à-dire prolétarienne, dans son application concrète, déterminée, consiste en ceci :

premièrement, les électeurs sont les masses laborieuses et exploitées, la bourgeoisie en est exceptée ;

deuxièmement, toutes les formalités et restrictions bureaucratiques en matière d’élections sont supprimées, les masses fixent elles-mêmes le mode et la date des élections et ont toute liberté pour révoquer leurs élus ;

troisièmement, on voit se former la meilleure organisation de masse de l’avant-garde des travailleurs, du prolétariat de la grande industrie, organisation qui lui permet de diriger la très grande masse des exploités, de les faire participer activement à la vie politique, de les éduquer politiquement par leur propre expérience, et de s’attaquer ainsi pour la première fois à cette tâche : faire en sorte que ce soit véritablement la population tout entière qui apprenne à gouverner et qui commence à gouverner.

Tels sont les principaux signes distinctifs de la démocratie appliquée en Russie, démocratie de type supérieur, qui brise avec sa déformation bourgeoise et marque la transition à la démocratie socialiste et aux conditions dans lesquelles l’État pourra commencer à s’éteindre.

Bien entendu, l’élément de la désorganisation petite-bourgeoise (qui se manifestera inévitablement plus ou moins dans toute révolution prolétarienne, et qui, dans notre révolution à nous, se manifeste avec une extrême vigueur en raison du caractère petit-bourgeois du pays, de son état arriéré et des conséquences de la guerre réactionnaire) doit forcément marquer les Soviets, eux aussi, de son empreinte.

Nous devons travailler sans relâche à développer l’organisation des Soviets et du pouvoir des Soviets. Il existe une tendance petite-bourgeoise qui vise à transformer les membres des Soviets en « parlementaires » ou, d’autre part, en bureaucrates.

Il faut combattre cette tendance en faisant participer pratiquement tous les membres des Soviets à la direction des affaires. En maints endroits, les sections des Soviets se transforment en organismes qui fusionnent peu à peu avec les commissariats.

Notre but est de faire participer pratiquement tous les pauvres sans exception au gouvernement du pays ; et toutes les mesures prises dans ce sens — plus elles seront variées, mieux cela vaudra — doivent être soigneusement enregistrées, étudiées, systématisées, mises à l’épreuve d’une expérience plus vaste, et recevoir force de loi.

Notre but est de faire remplir gratuitement les fonctions d’État par tous les travailleurs, une fois qu’ils ont terminé leur huit heures de « tâches » dans la production : il est particulièrement difficile d’y arriver, mais là seulement est la garantie de la consolidation définitive du socialisme (…).

La lutte contre la déformation bureaucratique de l’organisation soviétique est garantie par la solidité des liens unissant les Soviets au « peuple », c’est-à-dire aux travailleurs et aux exploités, par la souplesse et l’élasticité de ces liens.

Les parlements bourgeois, même celui de la république capitaliste la meilleure du monde au point de vue démocratique, ne sont jamais considérés par les pauvres comme des institutions « à eux ».

Tandis que, pour la masse des ouvriers et des paysans, les Soviets sont « à eux » et bien à eux (…).

C’est le contact des Soviets avec le « peuple » des travailleurs qui crée précisément des formes particulières de contrôle par en bas, comme, par exemple, la révocation des députés, formes que l’on doit maintenant développer avec un zèle tout particulier.

Ainsi les Soviets de l’instruction publique en tant que conférences périodiques des électeurs soviétiques et de leurs délégués, discutant et contrôlant l’activité des autorités soviétiques dans ce domaine, méritent toute notre sympathie et tout notre appui.

Rien ne serait plus stupide que de transformer les Soviets en quelque chose de figé, que d’en faire un but en soi.

Plus nous devons nous affirmer résolument aujourd’hui pour un pouvoir fort et sans merci, pour la dictature personnelle dans telles branches du travail, dans tel exercice de fonctions de pure exécution, et plus doivent être variés les formes et les moyens de contrôle par en bas, afin de paralyser la moindre déformation possible du pouvoir des Soviets, afin d’extirper encore et toujours l’ivraie du bureaucratisme. »

Lénine souligne bien que les soviets ne sont pas un but en soi ; ils sont le vecteur de l’implication des masses dans la société, sous la forme d’une puissance administrative. L’aspect principal n’est pas le moyen, mais l’implication.

Andreï Vychinski, dans La doctrine de Lénine et de Staline sur la révolution prolétarienne de l’État synthétise de la manière suivante cet aspect essentiel de la construction du socialisme :

« Les Soviets des travailleurs sont une grande école d’enseignement de l’administration et de l’État, un grand forum de l’activité politique, un grand atelier où l’on apprend la science de l’édification du socialisme.

Cependant, ce n’est pas un livre ouvert, où il suffit de lire tranquillement, une page après l’autre, afin de connaître la vérité et les moyens à l’aide desquels cette vérité peut prendre vie.

C’est une école de lutte, c’est un livre dont un grand nombre de pages ne sont pas encore écrites, un livre dans lequel il faut encore inscrire l’expérience de la lutte pour l’organisation de nouveaux rapports sociaux, entièrement différents de ceux qu’avaient légués le passé. »

La constitution de 1924 est le reflet de cette approche léniniste dans la situation d’alors.

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La critique à l’encontre de Lénine au sujet de la représentation nationale

La révolution socialiste instaure la dictature du prolétariat, c’est-à-dire qu’elle renverse le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat. La bourgeoisie dominait, c’est désormais le prolétariat.

Ainsi, le paragraphe 23 de la constitution de la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie, adoptée en 1919 au cinquième congrès panrusse des Soviets, dit la chose suivante :

« S’inspirant des intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière, la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie prive les individus et les groupes des droits dont ils usent au préjudice de la révolution socialiste. »

Emblème de la République Socialiste Soviétique
de Russie de 1920 à 1956

Or, à la suite de la mort de Karl Marx et Friedrich Engels, il y a eut de nombreux débats quant à la forme que celle-ci pouvait prendre. Lorsque la révolution russe d’Octobre 1917 a lieu, un conflit se forme entre ceux qui sont d’accord avec Lénine comme quoi il n’y a plus de forme parlementaire possible, qu’il faut une répression socialement organisée, et ceux qui considèrent que c’est là abandonner le principe de démocratie.

Les seconds sont principalement représentés par Karl Kautsky et Otto Bauer, à qui il faut adjoindre Rosa Luxembourg. Cette dernière, en effet, les rejoint sur le fait que le pouvoir des soviets empêche la reconnaissance immédiate d’une représentation nationale. Cette dernière, de plus, doit pour exister forcément reposer sur la liberté la plus complète.

Dans ses écrits sur la révolution russe, publiés après sa mort, elle formule la chose ainsi :

« Lénine dit : l’État bourgeois est un instrument d’oppression de la classe ouvrière, l’État socialiste un instrument d’oppression de la bourgeoisie. C’est en quelque sorte l’État capitaliste renversé sur la tête.

Cette conception simpliste oublie l’essentiel : c’est que si la domination de classe de la bourgeoisie n’avait pas besoin d’une éducation politique des masses populaires, tout au moins au-delà de certaines limites assez étroites, pour la dictature prolétarienne, au contraire, elle est l’élément vital, l’air sans lequel elle ne peut vivre (…).

Précisément les tâches gigantesques auxquelles les bolcheviks se sont attelés avec courage et résolution nécessitaient l’éducation politique des masses la plus intense et une accumulation d’expérience qui n’est pas possible sans liberté politique.

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la « justice », mais parce que tout ce qu’il y a d’instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la »liberté » devient un privilège (…).

Bien loin d’être une somme de prescriptions toutes faites qu’on n’aurait plus qu’à appliquer, la réalisation pratique du socialisme en tant que système économique, juridique et social, est une chose qui reste complètement enveloppée dans les brouillards de l’avenir.

Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs qui montrent la direction générale dans laquelle il faut s’engager, indications d’ailleurs d’un caractère surtout négatif.

Nous savons à peu près ce que nous aurons à supprimer tout d’abord pour rendre la voie libre à l’économie socialiste.

Par contre, de quelle sorte seront les mille grandes et petites mesures concrètes en vue d’introduire les principes socialistes dans l’économie, dans le droit, dans tous les rapports sociaux, là, aucun programme de parti, aucun manuel de socialisme ne peut fournir de renseignement (…).

Le socialisme, d’après son essence même, ne peut être octroyé, introduit par décret. Il suppose toute une série de mesures violentes, contre la propriété, etc. Ce qui est négatif, la destruction, on peut le décréter, ce qui est positif, la construction, on ne le peut pas. Terres vierges. Problèmes par milliers. »

Rosa Luxembourg est ainsi d’accord avec les bolcheviks pour le rôle négatif de la dictature du prolétariat – Karl Kautsky et Otto Bauer sont ici en désaccord, de par leur esprit de conciliation, leur vain espoir en une bourgeoisie devant devenir finalement raisonnable sous la pression.

Mais elle n’est pas d’accord au niveau du rôle positif, qui passe selon elle non pas par les soviets, de manière administrative, mais par la représentation nationale, de manière politique par la confrontation, les débats, etc.

Le léninisme s’oppose radicalement à cette conception de la représentation nationale ; il voit le gouvernement comme le produit des masses organisées, dans un processus d’agrégation et d’organisation toujours plus élevée.

Andreï Vychinski, dans La doctrine de Lénine et de Staline sur la révolution prolétarienne de l’État souligne l’importance de ce fait :

« La différence fondamentale entre le régime d’État soviétique et la forme parlementaire consiste en ce que dans le régime soviétique la participation de l’ensemble des travailleurs au gouvernement de l’État est réalisée.

Ce principe général ne doit pas être adopté d’une façon abstraite, mais concrètement, c’est-à-dire dans les conditions historiques qui président à la réalisation pratique de ce grand principe.

Le processus de l’intégration des masses populaires au gouvernement est loin d’être aisé et ne se réalise que lentement, et avec des hésitations dans la première période de la révolution socialiste.

Lénine en a souligné le caractère nouveau et la difficulté, ce qui provoque un grand nombre de tâtonnements, un grand nombre d’hésitations et de fautes, sans lesquels – enseignait Lénine – ne peut s’effectuer aucun mouvement brusque en avant. »

C’est la question de la participation des masses qui est décisive.

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La conception léniniste de la dictature du prolétariat

Il est bien connu que c’est dans L’État et la révolution, écrit en 1917 et interrompu dans sa rédaction par la révolution d’Octobre, que Lénine a réaffirmé la conception marxiste de la dictature du prolétariat. S’appuyant notamment sur les travaux de Friedrich Engels et de Karl Marx, il présente la Commune de Paris de 1871 comme le premier exemple de dictature du prolétariat.

Lénine s’oppose tant aux anarchistes, qui ne veulent pas d’État dans la phase de transition entre capitalisme et communisme, ni d’ailleurs de transition, qu’aux révisionnistes qui prétendent qu’on peut réutiliser l’ancien État pour établir le socialisme et le développer.

Lénine explique alors comment ce sont les masses elles-mêmes qui doivent constituer l’État, qui est évidemment alors une forme d’État de type nouveau, entièrement différent du passé. La Commune de Paris en présente déjà la substance.

Lénine, dans Les tâches du prolétariat dans notre révolution, écrit en avril 1917, a souligné le fait suivant :

« Le type d’État bourgeois le plus parfait, le plus évolué, c’est la république démocratique parlementaire : le pouvoir y appartient au Parlement ; la machine d’État, l’appareil administratif sont ceux de toujours : armée permanente, police, bureaucratie pratiquement irrévocable, privilégiée, placée au-dessus du peuple.

Mais depuis la fin du XIX° siècle, les époques révolutionnaires offrent un type supérieur d’État démocratique, un État qui, selon l’expression d’Engels, cesse déjà, sous certains rapports, d’être un État, « n’est plus un État au sens propre du terme ».

C’est l’État du type de la Commune de Paris, qui substitue à l’armée et à la police séparées du peuple l’armement direct et immédiat du peuple lui-même. Telle est l’essence de la Commune, vilipendée et calomniée par les auteurs bourgeois, et à laquelle, entre autres choses, on a attribué à tort l’intention d’« introduire » d’emblée le socialisme.

C’est précisément un État de ce type que la révolution russe a commencé à créer en 1905 et en 1917 (…).

Le marxisme se distingue de l’anarchisme en ceci qu’il reconnaît la nécessité de l’État et d’un pouvoir d’État, pendant la période révolutionnaire en général, et pendant l’époque de transition du capitalisme au socialisme en particulier.

Le marxisme se distingue du « social‑démocratisme » petit‑bourgeois, opportuniste, de MM. Plékhanov, Kautsky et consorts en ceci qu’il reconnaît la nécessité, pour ces mêmes périodes, d’un Etat qui ne soit pas une république parlementaire bourgeoise ordinaire, mais tel que fut la Commune de Paris.

Les principaux traits qui distinguent ce type d’État de l’ancien sont les suivants :

Le retour est des plus faciles (l’histoire l’a prouvé) de la république parlementaire bourgeoise à la monarchie, car tout l’appareil d’oppression : armée, police, bureaucratie, demeure intact. La Commune et les Soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, etc., brisent et suppriment cet appareil.

La république parlementaire bourgeoise entrave, étouffe la vie politique propre des masses, leur participation directe à l’organisation démocratique de toute la vie de l’État, de la base au sommet. Les Soviets des députés ouvriers et soldats font tout le contraire.

Ils reproduisent le type d’État élaboré par la Commune de Paris et que Marx a appelé la « forme politique enfin trouvée par laquelle peut s’accomplir l’affranchissement économique des travailleurs ». »

Lénine dit ainsi que les soviets – les comités locaux organisés par les ouvriers, les paysans, les soldats – établissent directement l’État, en formant une nouvelle administration. Cette administration empêche les ennemis de la révolution de s’exprimer et de s’organiser ; elle mobilise le plus largement possible en faveur de l’implication des masses dans les choix effectués ; elle établit les rapports sociaux socialistes à l’échelle du pays.

Les révisionnistes prétendent que l’ancien État peut faire de même ; les anarchistes récusent la nécessité d’une mise en place centralisée des rapports sociaux socialistes.

Staline, dans Du léninisme, en 1925, synthétise de la manière suivante les principes de la dictature du prolétariat :

« De là, trois côtés fondamentaux de la dictature du prolétariat :

1. Utilisation du pouvoir du prolétariat pour la répression des exploiteurs, la défense du pays, la consolidation des relations avec les prolétaires des autres pays, le développement et la victoire de la révolution dans tous les pays ;

2. Utilisation du pouvoir du prolétariat pour détacher définitivement de la bourgeoisie les travailleurs et les masses exploitées, pour renforcer l’alliance du prolétariat avec ces masses, pour faire participer ces dernières à la réalisation du socialisme et assurer leur direction politique par le prolétariat ;

3. Utilisation du pouvoir du prolétariat pour l’organisation du socialisme, l’abolition des classes, l’acheminement vers une société sans classes, sans État.

La dictature du prolétariat est la réunion de ces trois côté, dont aucun ne peut être considéré comme l’indice caractéristique unique de cette dictature, et dont l’absence d’un seul suffit pour que la dictature du prolétariat cesse d’être une dictature dans un pays encerclé par le capitalisme. »

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L’esprit des constitutions soviétiques

L’URSS socialiste a connu deux constitutions, tout à fait différentes dans leur approche et dans leur esprit. La première constitution considérait en effet qu’une partie de la population devait être mise à l’écart des décisions de l’État – celle ne vivant pas du fruit de son travail.

Tant les anciennes couches sociales dominantes (bourgeoisie, clergé, cadres militaires…) que la petite-bourgeoisie encore présente était exclue de toute possibilité d’influencer l’État.

A cela s’ajoute que le droit de vote, s’il concernait à la fois les ouvriers et les paysans, était organisé de telle manière à ce que les ouvriers aient l’hégémonie.

La seconde constitution a une démarche tout à fait contraire, puisqu’elle instaure la citoyenneté soviétique, concernant toutes les personnes vivant en URSS. Elle efface même la distinction entre ouvriers, paysans et les couches intellectuelles.

Emblème de la République Socialiste Soviétique de Biélorussie de 1938 à 1949

L’esprit des deux constitutions est donc très différent. La première instaure une démocratie uniquement pour les ouvriers et les paysans, en appuyant les ouvriers. La seconde instaure la démocratie la plus totale, aussi fut-il parlé de « la constitution la plus démocratique du monde ».

La première constitution est, à ce titre, très inégale dans sa conception. Elle instaure l’URSS, mais en tant qu’État en construction, dont les fondements ne sont pas encore réellement établis, et ce de manière assumée.

La seconde constitution est, par contre, résolument équilibrée. Elle l’est en fait tellement que, dans sa définition même, elle est d’ailleurs davantage démocratique que socialiste, le Parti venant simplement appuyer le caractère démocratique qui, selon la conception d’alors, allait naturellement, sans accrocs, de l’avant dans le développement du socialisme, jusqu’au communisme.

Il est bien connu qu’il y a ici une sous-estimation de la dimension culturelle – idéologique dans les étapes de développement du socialisme, ce que Mao Zedong corrigera avec le principe de la révolution culturelle.

Emblème de la République Socialiste Soviétique
d’Ukraine établi en 1949

Il est marquant d’ailleurs de noter ici la différence fondamentale entre la constitution soviétique de 1936 et la constitution chinoise de 1975.

La constitution soviétique de 1936 traite uniquement de l’État dans ses fondements démocratiques, le Parti étant présenté simplement, dans un article placé pratiquement vers la fin et de manière isolée, comme le regroupement des gens les plus avancés sur le plan de la conscience.

La constitution chinoise de 1975 affirme quant à elle dès le début que le Parti dirige la société et que son idéologie est le marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong. Alors que la constitution soviétique de 1936 présente un cheminement graduel, linéaire, littéralement dépolitisé, la constitution chinoise affirme un chemin spécifique, dans les conditions chinoises, de la démarche à adopter (la Pensée Mao Zedong).

De manière fort logique, la constitution soviétique de 1936 aboutit ainsi aux thèses du XIXe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) de 1952, caractérisées par une dépolitisation au profit d’une lecture mécanique de la croissance des forces productives.

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