Alexandre Rodtchenko, la matière et la transformation

Il est flagrant que de par son expérience de l’artisanat avec la peinture, Rodtchenko a su dégager une attention particulière sur la matière transformée, prête à l’emploi. Il dépasse son orientation productiviste – constructiviste de sa peinture cubo-futuriste pour se focaliser sur les détails propre à la production, à la construction.

Le travail sur la lumière pour présenter ces éléments métalliques au service du travail manuel technique est ici exemplaire. Leur fonctionnalité ressort pratiquement de par l’intensité lumineuse permettant de bien les distinguer. On n’a pas ici un amas, mais bien un rassemblement d’éléments dont le sens pratique est l’aspect principal.

La photographie est admirable, car elle montre le sens de l’expertise qui est nécessaire, l’environnement matériel du travailleur qui est ici clairement un producteur, avec toute la dimension intense de l’activité déployée présentée à travers l’accumulation des pièces à l’arrière-plan.

Cette perspective est si forte, si intense, que chez Rodtchenko la matière elle-même devient pratiquement sacralisée. C’est là un travers de la conception productiviste-constructiviste d’un côté, mais de l’autre c’est surtout – quand c’est réussi – la dignité de la matière transformée qui apparaît.

Ce sens aigu de la matière et de la transformation permet d’accéder à un réalisme renforcé concernant l’activité pratique, avec une grande insistance sur la tension, la finesse du travail concret. Cette photographie d’une femme regardant dans l’objectif d’un appareil photographique posé sur un trépied est une excellente vision synthétique.

Le style de la photographe, sa concentration, la manière qu’elle a de se placer, pratiquement d’être en pleine action, le cadrage géométrique mais non surfait, la luminosité pondérée mais faisant comme des bandes de lumières… ce que réalise ici Rodtchenko est d’une très grande complexité.

La photographie par Rodtchenko de sa mère en train de lire a également une dimension d’exemplarité. Tout comme pour la photographe, on a ici une personne entièrement impliquée dans son acte. Elle se confond avec son activité.

La photographie est évidemment raffinée au possible. A l’arrière-plan à gauche on reconnaît l’avion de l’entreprise Dobrolet, à droite différentes photographies similaires sont superposés, au mur. La revue contient un titre bien épais, bien noir, avec une photographie, appuyant le contraste avec les deux colonnes de textes, renforçant l’atmosphère général où le noir et le blanc se conjuguent.

Il va de soi que le visage de la mère joue un rôle essentiel dans la dynamique de l’image, Rodtchenko ayant particulièrement soigné la représentation de ses traits.

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Alexandre Rodtchenko et la vie quotidienne

Le réalisme socialiste accorde une place fondamentale à la vie quotidienne. Celle-ci ne doit naturellement pas être considérée dans un sens étroit, mais dans sa dimension d’exemplarité combiné à la dignité du réel.

Il s’agit de saisir un moment typique, dans toute la synthèse de ses différents aspects. La photo où Rodtchenko montre un être anonyme en train de manger une soupe est à ce titre intéressante, car elle annule le côté individuel, pour montrer quelque chose de véritablement universel dans sa réalité.

Le geste est déterminé, le corps tendu ; on est véritablement dans l’acte de se sustenter.

Un risque existe quand on s’intéresse à la photographie de Rodtchenko concernant la vie quotidienne, c’est de porter un regard cosmopolite et de trouver étrange, pittoresque, particulier ce qui relève en réalité de la banalité de la Russie.

La photo suivante présente une architecture qu’on peut trouver comme étant marquante, cependant ce qui compte en réalité c’est que Rodtchenko trouve une manière d’en présenter l’intérêt au-delà de l’apparente banalité.

Il ne s’agit pas ici de poésie cubiste, mais d’une réappropriation de l’intérêt de la ville.

Cette récupération de l’importance des moments du quotidien, de l’environnement immédiat auquel on appartient, se situe tout à fait dans une perspective socialiste. L’être humain se construit, se façonne dans une interaction systématique avec son environnement.

Ce jeune enfant prenant son bain et jouant face au photographe est ainsi à la fois une image brute et porteuse d’une intense complexité.

La vie de l’URSS implique alors une intense mobilisation, celle notamment des travailleurs de choc. La satisfaction de l’exigence du plan quinquennal, son dépassement même, la discipline de travail dans le cadre de l’émulation socialiste… forment un tout que cette photographie cherche à représenter.

Rodtchenko parvient, avec sa démarche pratiquement de reporter, à valoriser le travail, la collectivité ; il mène en partie une activité d’esthétisation de la réalité, mais toujours en se soumettant à celle-ci. Il y a ici une ambiguïté, car on peut être à la limite de l’art pour l’art.

Rodtchenko s’en sort souvent en montrant des objets nombreux, qui rappellent l’activité en cours et font que la présentation de celle-ci s’impose sur toute autre considération.

Le travers esthétisant, lorsqu’il s’exprime, a toujours comme source l’approche cubo-futuriste. La photographie du groupe d’agit-prop que l’on voit ici présente un cadrage qui est problématique, car il est un ajout significatif, marqué, indiquant pratiquement que le groupe ne suffit pas en lui-même pour avoir un intérêt.

C’est véritablement dommage, surtout quand on voit la dynamique générale de la photo. Le désaxage, fétichisé, aboutit au formalisme, plombe tout.

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Alexandre Rodtchenko, la richesse visuelle, compositionnelle et les masses

C’est en se tournant vers les masses qu’Alexandre Rodtchenko parvient réellement à s’arracher à la matière comme surface prétexte à une ligne, aboutissant au formalisme.

Car le socialisme, ce sont les masses en mouvement. C’est l’harmonie de la société socialiste exprimée dans l’activité des masses.

En tant que photographe soviétique, Rodtchenko devait inévitablement faire face au défi de représenter les masses de manière adéquate lors de leur auto-célébration. Les choix esthétiques sont ici essentiels et la moindre erreur ferait rater la substance même de la question.

Rodtchenko s’en sort de manière résolument soviétique, par le corps. La valorisante du corps, du sport, du sport collectif, du corps dans la célébration collective, tout cela est typiquement soviétique. La reconnaissance du corps sportif soviétique, la mise en avant de sa dignité, comme expression et allégorie du socialisme, est le principal levier pour atteindre une dimension réaliste.

Rodtchenko met ici parfaitement à profit sa lecture « en mouvement » de la réalité.

Ce qui est très fort chez Rodtchenko, c’est qu’il place bien les corps dans l’ensemble. Ils ne les séparent pas, car ils perdraient ainsi leur dignité. On reste toujours dans un cadre collectif, collectiviste. Le photographe a ici bien saisi la nature de la célébration.

Le fait que Rodtchenko s’attarde sur les femmes lors des célébrations soviétiques correspond également à la perspective soviétique. La libération des femmes par rapport au carcan féodal, leur épanouissement physique possible, leur affirmation à la fois de la grâce et de la force, tout cela était alors d’une très grande puissance esthétique.

La dimension collective et artistique va ainsi jusqu’à l’harmonie. Au-delà de la dimension sportive – symbolique des célébrations, comme ici avec des sportives du Dynamo de Moscou, il y a l’affirmation de la possibilité de réalisations complexes. Le socialisme est une élaboration, il rend les choses possibles, il affirme les choses belles.

La performance n’est ainsi jamais seulement sportive ou technique ; elle rentre toujours dans un cadre général qui valorise le socialisme comme tendance historique, comme mouvement du simple au complexe, comme phénomène de masse.

On en revient ici bien entendu au principe de la transformation, de la matière. Chez Rodtchenko, conformément aux principes socialistes, les masses transforment les masses, elles dessinent elles-mêmes leurs contours, façonnent elles-mêmes leur réalité.

Rodtchenko est ici, avant tout, un photographe communiste, au service de la construction du socialisme ; son activité la meilleure se situe au moment de l’affirmation du réalisme socialiste. Son activité photographique est un écho direct de l’affirmation de l’URSS comme réalité sociale et nationale.

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Alexandre Rodtchenko et l’architecture

La grande réflexion sur la surface faite par Rodtchenko dans le cadre de ses activités cubo-futuristes lui ont un fourni un sens aigu de la dimension architecturale. Il y a un renversement qui s’est produit. De la même manière que la ligne, le sens de la composition… ont abandonné l’abstraction pour se mettre au service de la réalité, il y a un mouvement net vers la représentation spatiale de réalités architecturales.

Il y a ici une grande faiblesse qui s’exprime, ainsi que des éléments intéressants. La grande faiblesse, c’est l’attirance de Rodtchenko pour les formes tendant à revenir au modernisme cubiste. Ce côté bourgeois modernisateur reste indéniablement présent.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’éléments intéressants, comme ici, mais la tendance au formalisme est flagrante. Rodtchenko, ici, s’appuie sur la vitesse, le mouvement, puis le poids pour asseoir l’image.

Rodtchenko, s’il se laisse aller, se fait en fait toujours capter par la perspective futuriste poids – vitesse – mouvement. Dans l’exemple suivant, c’est par exemple le poids qui l’emporte, suivi du mouvement, avec la vitesse comme dernier aspect.

Dans cette photographie du planétarium, on a d’abord le mouvement, puis le poids et la vitesse.

Par contre, quand Rodtchenko s’extirpe de ce formalisme, il arrive à cadrer tout à fait le portrait dans un sens réaliste, en profitant de la capacité à utiliser de nombreux paramètres. Dans l’exemple suivant, une véritable réussite, l’architecture est contrebalancé par la réalité corporelle. C’est elle qui force Rodtchenko à se remettre en adéquation avec la réalité, et à ne pas chercher des effets pour les effets.

Sans cette dimension réaliste, Rodtchenko revient au formalisme, prisonnier de la lecture cubiste des formes urbaines, avec une sorte de poésie des éléments de la ville, de fascination pour ses agencements jusqu’au trivial, etc.

Cela ne veut pas dire que ces œuvres soient mauvaises en soi, mais qu’elles reviennent à une lecture, formelle, sans âme, plaisante simplement pour ceux qui cherchent une certaine forme d’esthétisation. On s’éloigne ici franchement d’un regard populaire authentique et on converge avec le regard bourgeois.

Quand la mise en perspective est par contre celle de la réalité des travailleurs, alors le sens architectural s’exprime de manière juste, avec un réalisme capable de fournir de nombreux détails, sans gratuité et toujours avec une réelle densité.

Quand cela est bien réalisé, on a toujours une dimension cinématographique qui ressort. La photographie suivante a comme écho À bout de souffle, de Jean-Luc Godard, de manière assez frappante.

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Alexandre Rodtchenko, la richesse visuelle, compositionnelle et la surface

Ce qui interpelle dans la photographie de Alexandre Rodtchenko, c’est sa richesse visuelle et c’est là où se situe le piège. En effet, une lecture bourgeoise tendra toujours à réduire sa photographie à un formalisme tel celui d’Albert Renger-Patzsch.

Son jeu sur le rapport de l’un au multiple associé au contraste apporte une touche particulièrement saisissante. Il y a une dimension dialectique. Toutefois, la photographie happée par ce rapport échappe parfois à la dignité du réel ; cela devient une lecture formelle, esthétisante.

Cela ne semble pas être le cas ici.

Cela semble être le cas ici. On devine trop ici que Rodtchenko a cherché à essayer de présenter une peinture à travers la photographie. Par « peinture », il faut ici plutôt entendre l’objectif constructiviste de présenter une construction.

Tout comme dans le suprématisme de Malevitch – le grand concurrent de Rodtchenko lors de sa période cubo-futuriste – il y a la tentative de faire d’une représentation une « fin en soi », par une composition construite.

Le réel l’emporte par contre nettement dans la photographie suivante. Le formalisme s’efface devant le concret, devant l’ensemble que représente un lieu où il est travaillé.

Chez Alexandre Rodtchenko,, l’approche oscille clairement entre une représentation du réel et la composition d’un « tout » qui s’auto-suffirait.

Il est absolument évident, indiscutable, que la richesse visuelle et compositionnelle de Rodtchenko est sauvé par son orientation vers le labeur, la réalité matérielle des travailleurs.

Sans cela, il retomberait dans l’abstraction ; sans cela, il retombe dans l’abstraction. Comme ici, pour une oeuvre assez ambiguë, trop construite.

Les grands projets soviétiques ont fait contrepoids à la tendance petite-bourgeoise de Rodtchenko d’isoler la représentation du réel, d’en faire un condensé métaphysique de la « production ». La complexité imposée par les grands projets a emporté la dynamique constructiviste, faisant de Rodtchenko non pas un constructeur mais un témoin de la construction.

En se rattachant au corps, au travail, à la transformation, la composition s’éloigne de toute abstraction. Elle s’accroche à la matière, d’où le fait qu’on trouve souvent la matière brute comme support d’une lecture compositionnelle, comme ici avec la chair mise en avant et contrastant avec la froideur du bâtiment.

Il y a ici une clef dans l’approche de Rodtchenko, dans son dépassement du cubo-futurisme, de son passage de la matière abstraite à la matière réelle, par l’intermédiaire du concept de surface. Mais c’est aussi sa limite, avec une tendance au retour à la ligne, à la ligne comme critère formel de toute puissance de la photographie.

L’ampleur des grands projets soviétiques, leur conquête spatiale du territoire soviétique, l’utilisation massive de matériaux, tout cela formait la véritable matière première pour Rodtchenko, qui pouvait s’appuyer par là pour développer sa photographie.

C’était en même temps un lieu où chercher à préserver son obsession pour la ligne.

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Alexandre Rodtchenko et l’emplissage

La question de l’emplissage est essentielle pour saisir la photographie d’Alexandre Rodtchenko. Il faut en effet toujours avoir à l’esprit que lors de son parcours cubiste-futuriste, il accordait une place fondamentale au principe de surface.

S’il se définissait comme constructiviste, c’est parce que sa philosophie fait de l’artiste un remplisseur de surface. Il fallait refaçonner le monde avec des constructions.

Or, la réalité est irréductible à cette conception d’un remplissage constructiviste. S’extirpant de la notion de surface totalement hégémonique d’ailleurs dans la démarche cubo-futuriste, Rodtchenko a été obligé de prendre en compte la nature dialectique de l’espace : celui-ci est à la fois rempli et non-rempli.

Cela donne des photographies très réussies dans la mesure où elles présentent, avec un regard nouveau, un aspect réaliste de la vie. Il y a beaucoup d’interactions dans ce qui forme un chaos apparent.

C’est la reconnaissance de la dignité du réel. Le désaxage et l’emplissage naturel permettent une vue approfondie, un regard concret.

Cette photographie est marquante justement de par sa reconnaissance du caractère inégal de la réalité. On n’a pas une symétrie forcée au moyen de lignes, on a une mise en perspective cohérente, mais dans le respect du réel.

Cette notion d’emplissage va poser de multiples problèmes à Rodtchenko, qui ne va pas trop savoir s’il doit chercher à emplir ou à désemplir la surface pour parvenir à cadrer.

Voici un exemple d’emplissage total, qui a le défaut d’être dans l’instantané, dans un empirisme privant ce qui est représenté de sa dignité, par le cadrage privilégiant trop un seul aspect aux dépens des autres. L’empirisme est unilatéral.

En voici un autre exemple, au contraire totalement formaliste. L’emplissage écrase tout.

Voici, inversement, deux exemples de désemplissage. Le premier est réussi dans son dynamisme.

Le second est réussi dans son côté statique.

Cependant, le problème est que le contenu réel passe au second plan, dans la mesure où tout cela n’est finalement pas très clair. La dignité du réel semble trop un prétexte.

Il est flagrant que, tendanciellement, face aux difficultés, Alexandre Rodtchenko cherche à s’en tirer par une composition d’esprit cubo-futuriste, où les lignes deviennent des plans surfaces se combinant avec la surface d’ensemble.

La photographie suivant est représentative d’une tendance au formalisme, l’emplissage passant par le principe de surface, au lieu de se fonder sur la réalité.

C’est également le cas ici, avec plus de portée dynamique, une dimension réaliste plus grande.

L’emplissage est par contre ici bien réussi, bien en phase avec ce qui est mis en portrait. Le principe de surface ne prévaut pas.

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Alexandre Rodtchenko et le désaxage

Rodtchenko, en désaxant l’approche photographique, cherche avant tout un effet dynamique, pour renforcer le portrait. Il veut rendre vivant l’image, en s’appuyant sur une ligne dont la mise en perspective est différente.

La critique anti-formaliste dont il avait été la cible précisait bien que cette question du désaxage n’était nullement le problème. Ce qui posait souci, c’est de faire du désaxage une valeur en soi, une forme prévalant sur tout le reste. C’est typique de la démarche bourgeoise que de basculer dans des principes relevant du formalisme.

Le désaxage n’a de sens comme ici, qu’en se liant à la dignité du réel.

C’est que de par son approche cubiste-futuriste initiale, Rodtchenko a forcément tendance à rechercher ce qui dispose d’une dynamique propre sur le plan graphique. On en a ici un bon exemple, relevant du formalisme de par, finalement, sa bizarrerie.

Le désaxage par rapport à la ligne initialement posée permet de jouer, par le contraste, sur la dynamique de l’image. Le souci se pose lorsque cette dynamique l’emporte sur le contenu. On a alors une forme, mais le contenu n’est qu’un prétexte. C’est ici tendanciellement vraiment le cas.

La difficulté, c’est que plus il y a de lignes, plus le désaxage se pose comme étant en soi une nouvelle ligne. Cela donne de la force, mais celle-ci écrase en fait l’image. Il n’en reste plus que la forme. Il faut davantage de complexité pour sauver l’oeuvre du formalisme, comme ici avec les personnes sur le balcon, qui viennent apporter un rapport inégal.

Une trop grande linéarité ramène ainsi au cubisme-futurisme. Ici, on remplace les lignes de la photo par des traits épais et on a un tableau de composition constructiviste / suprématiste. Malgré le caractère réel de ce qui est montré, la forme prime.

Dans le cas suivant, on a le même problème, avec qui plus est un désaxage particulièrement anti-naturel. Le formalisme l’a emporté.

Si, par contre, la dignité du réel l’emporte, alors la photographie est particulièrement réussie, de par sa charge, de par l’harmonie entre le désaxage et l’ensemble des lignes. La réalité triomphe, s’impose.

Ici, l’impression d’empilement, d’écrasement, est par contre trop grande. Le « poids » de l’orientation cubo-futuriste est trop central. Le désaxage est trop anti-naturel. C’est du formalisme, même si dans le cadre d’un reportage, cela peut passer.

À l’opposé, le désaxage est ici très bien orchestré ; cela est lié à l’emplissage qui est particulièrement réussi. La scène est vivante, réaliste. Le désaxage apporte quelque chose, un dynamisme réel, reflétant l’activité en cours.

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Alexandre Rodtchenko et la ligne en photographie

La ligne présentait le plus grand danger dans le travail de Rodtchenko. De par sa formation de peintre cubo-futuriste – ce qu’il est en premier lieu, avant de se transformer en photographe – il aurait pu faire de la ligne quelque chose qui relève du fétiche. Si parfois il n’échappe pas à cette tendance, son travail sur la lumière lui permet heureusement de faire de la ligne un outil pour le renforcement de la vision réaliste des choses.

Cette photographie d’un chantier témoigne de l’intense activité, de l’activité planificatrice, du labeur créatif qui se développe, et cela à grande échelle. Les lignes permettent d’appuyer la dimension du chantier, mais de souligner qui plus est qu’il s’agit d’une entreprise collective.

Bien souvent, la photographie de Rodtchenko est par ailleurs résumée, de manière trop simple, à un jeu sur la lumière et sur les lignes. C’est là une erreur, car le photographe russe ne place pas la lumière et les lignes comme une fin en soi. Il n’est pas un photographe constructiviste ; il est flagrant que son activité de photographe exprime une rupture avec sa peinture cubo-futuriste.

C’est bien pour cela qu’à la fin de sa vie, il reviendra à celle-ci, après avoir épuisé ce qu’il pouvait apporter à la photographie réaliste. Rodtchenko est un contributeur, il ouvre des perspectives, alors que la photographie est en plein développement historique.

La photographie suivante reflète bien cette dynamique à la croisée de l’expérimentation, de la contribution, et du réalisme le plus vif. On a ici un portrait qui, de par la grâce exposée, est d’une véritable modernité. Le mouvement qui se dégage, la linéarité des traits, la légèreté qui s’affiche, tout se combine au point qu’on a l’impression de voir le moment d’une scène de film.

La photographie suivante est un autre exemple d’anticipation de la modernité photographique. Un nombre incalculable de photographes se sont évertués à photographier des objets similaires, pour s’entraîner ou chercher à se rapprocher de l’élégance, de la pureté de la représentation graphique obtenue par Rodtchenko.

Mais si l’on sort de la dignité du réel, de la reconnaissance de la matière, alors l’approche est entièrement formelle. La photographie n’a ici de sens que dans le cadre d’un reportage. Sinon, elle est vaine.

C’est en sachant placer cette perspective dans le cadre de la valorisation du labeur, de la construction socialiste, que Rodtchenko a pu s’inscrire dans l’histoire. Il apporte un témoignage particulièrement développé, mettant en avant les exigences d’organisation propre au travail.

Il ne suffit pas que la photographie soit de qualité, son contenu n’a de sens que lié à la réalité. La photographie suivante est un exemple de tendance au formalisme, même si dans un cadre relevant du reportage, on peut y voir une contribution à la saisie de la matière, pour en montrer les contours, les formes, la complexité, la subtilité.

Il est évident ici que Rodtchenko profite du vaste travail mené par le constructivisme sur les formes géométriques. Cela aurait pu être vain si cela en était resté aux abstractions métaphysiques d’une peinture sans représentation d’objets. Au lieu de cela, on a quelque chose qui a pu être ramené à quelque chose d’utile et fournissant une véritable plasticité.

La plasticité des meilleures photographies de Rodtchenko est évidente ; la densité, la texture, la matérialité qu’on y retrouve est d’ailleurs ce qui a toujours le plus ébloui chez lui.

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Alexandre Rodtchenko et les portraits

La question de la perspective cubiste-futuriste poids – vitesse – mouvement se révèle dans les portraits pris par Alexandre Rodtchenko.

Si la captation du réel est également le but recherché, Alexandre Rodtchenko, peintre devenu photographe, a d’un côté conscience de la portée historique de son œuvre car il prend en photographie des gens importants… De l’autre, ces gens sont eux-mêmes liés à la scène cubiste-futuriste.

La photographie va alors rester comme témoignage de la figure célèbre dont a été fait le portrait…. On obtient ici un dimension classique.

Mais en même temps, il y a une volonté de forcer le trait, d’amener la composition dans un certain sens formel.

Voici par exemple un portrait très réussi d’Alexandre Vesnine, un important architecte, même si on voit que Rodtchenko n’a pu s’empêcher de forcer le trait avec le déséquilibre dans le cadrage et l’arrière-plan, pour donner un côté « moderniste ».

Rodtchenko aura effectivement un mal fou à ne pas inlassablement revenir au constructivisme et à sa fétichisation de certains aspects esthétiques qui sont en fait esthétisants dans un sens expressionniste.

A l’arrière-plan, on aura toujours le même problème : son incompréhension de la peinture réaliste, du portrait défini par le peinture comme cadre général synthétique. Rodtchenko se veut un expérimentateur lié au concret – en fait, dans une perspective cubo-futuriste, à la modernité, à la rue, aux artistes de la bohème artistique, etc.

Cela ressort dans les années 1920 avec un ton moqueur et agressif. Voici ce qu’il dit dans l’article Contre le portrait-type et pour la photo instantanée, publié dans Novi Lef n°4, en 1928 :

« Ce n’était pas les intellectuels qu’on peignait [avant la révolution], mais les riches et les puissants. On ne faisait même plus de portraits des savants.

Et vous, messieurs et mesdames de l’intelligentsia, ne vous attendez pas, encore aujourd’hui, à ce que les artistes de l’AKhRR [Association des artistes de la Russie révolutionnair] fassent le vôtre. »

On retrouve ici l’esprit décalé du style cubo-futuriste, avec son radicalisme anti-élites et son volontarisme moderniste. Il était inévitable dans cette perspective que Rodtchenko a particulièrement visé à réussir les portraits de Vladimir Maïakovski, grande figure de ce courant.

Les portraits de Vladimir Maïakovski réalisés entre avril et mai 1924 montrent d’infimes variations du visage, de son expression, de la couleur de la peau, etc. Les prises de vue sont effectuées dans l’atelier de Rodtchenko. Comme pour les images fixées en extérieur, il n’y a pas de mise en scène, l’arrière-plan n’est pas un décor peint comme c’est la coutume chez les portraitistes traditionnels.

Le sujet est pris, tel quel, pour renforcer la densité personnelle de la personne prise en photographie.

Le crâne rasé de Vladimir Maïakovski, son regard intense, l’incroyable tension qu’il dégage, aide évidemment à la force de ces portraits, qui correspondent bien à l’esprit de sa poésie cubiste-futuriste. C’est là une esthétisation, un formalisme.

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Alexandre Rodtchenko : poids, vitesse, mouvement, comme méthode cubo-futuriste

L’activité photographique de Rodtchenko consiste en un dépassement de son activité cubo-futuriste. D’un côté, il profite de son expérience pour apporter des éléments nouveaux ; de l’autre, les restes cubo-futuristes empêchent parfois un vrai saut qualitatif et Rodtchenko, par incapacité à saisir le réalisme socialiste conceptuellement, a également tendance à toujours revenir à une interprétation cubo-futuriste de l’esthétique.

Le cubo-futurisme est un formalisme est il serait erroné de chercher dans les thèmes ou l’approche son sens fondamental, comme le font les interprétations bourgeoises. Il faut au contraire, dans une perspective matérialiste historique, y voir une méthode, axée sur trois principes, comme chez le futurisme italien :

– le poids,

– la vitesse,

– le mouvement.

C’est cela qui fait la dignité de ce mouvement par ailleurs, qui exprime une vision bourgeoise-rationaliste dans une société féodale. Il y a une dimension progressiste, et une dimension subjectiviste. Rodtchenko va osciller entre les deux aspects.

Voici un exemple de cette approche poids – vitesse – mouvement. Le bâtiment – par ailleurs d’architecture cubiste – est cadré de telle manière qu’il semble en mouvement, comme s’il tombait. On a l’impression que par sa masse, sa chute va être imposante, à la fois lente mais brutale.

A l’opposé de cette lecture formaliste, voici un exemple de cette expérience cubo-futuriste dans une tentative de mise au service du réalisme. La photographie suivante de sportives en action lors d’un défilé est intéressante ; elle n’atteint pas une profondeur pleinement artistique, mais elle permet de saisir un aspect nouveau, jusque-là non saisi.

On remarque qu’on retrouve ici pleinement l’approche poids – vitesse – mouvement.

La célèbre photo du plongeur parvient, quant à elle, à une expression classique.

Cela tient à ce que le mouvement du plongeur est naturel dans sa chute, à l’opposé des athlètes bravant la gravité dans leurs expressions de gymnastes. Cela aurait pu être différemment, mais comme Rodtchenko se focalise sur le mouvement dans le rapport avec la vitesse et le mouvement, il a besoin que la réalité l’épaule assez fortement pour qu’il dépasse son formalisme.

C’est ici le cas.

Ce qui est marquant dans la photographie du plongeur, c’est la simplicité de la représentation. C’est là quelque chose de très fort, cependant si l’on en restait là Rodtchenko ne ferait que préfigurer les photos montrant des sportifs de haut niveau en pleine utilisation de leurs skate-boards.

Il faut bien entendu davantage d’éléments pour obtenir un réalisme plus complexe, plus prenant, même si cela ne veut pas dire que la simplicité n’a pas son sens. Cela aide par contre Rodtchenko à s’extirper du cubo-futurisme.

Le réalisme de Rodtchenko s’exprime ainsi pleinement dans un cadre qui le force à échapper à son formalisme et pour cela, il faut de nombreux éléments, le forçant à un esprit de synthèse, comme c’est le cas ici. On a ici quelque chose qui relève du reportage et en même temps du portrait.

Seule la dignité du réel, dans sa complexité, permet à Alexandre Rodtchenko de s’extirper du formalisme.

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La rectification d’Alexandre Rodtchenko

Le développement de la photographie était tout récent en Russie soviétique, naturellement. Le pays sortait d’une profonde arriération, alors que la photographie était encore jeune qui plus est.

En 1918, le commissariat du peuple à l’instruction avait formé un Fotokinokomitet, un comité chargé de la photographie et du cinéma, à Petrograd et Moscou, chargé de l’industrie de ces deux activités, de l’archivage ainsi que de la couverture des grands événements, notamment de la guerre civile. En octobre de la même année par ailleurs, il fut exigé la remise systématique des négatifs ayant comme sujet les révolutions de février et octobre 1917.

Un département panrusse de la photographie et du cinéma fut structuré ensuite, ainsi qu’un équivalent ukrainien, avec une soixantaine de vitrines d’exposition placées dans Moscou, le tout donnant naissance en décembre 1922 au Goskino, qui cependant ne se focalisa plus que sur le cinéma à partir de 1924.

Publicité d’Alexandre Rodtchenko pour le grand magasin GOUM

Les photographes agirent alors autour des journaux et des revues, avec comme nœud central l’Agence centrale d’Information, la TASS, créée en 1925, qui finit par ailleurs par unir tous les regroupements de photographes.

Entre-temps, les photographes soviétiques avaient déjà acquis une renommée mondiale, eux-même participant à de nombreuses expositions internationales (Londres de 1922 à 1925, New York en 1923, Los Angeles en 1925, Paris en 1924 et en 1925, Turin en 1925, etc.).

L’URSS se mit à produire elle-même des pellicules à partir de 1933, tout comme parallèlement était mis en place une capacité de produire du papier pour photographies, alors que des appareils de photographie furent produits localement à partir de 1930. Le grand succès fut la naissance de l’appareil FED (acronyme de Felix Edmundovitch Dzerjinski, le fondateur de la Tchéka), un équivalent du Leica, à l’initiative d’adolescents dans des camps d’éducations pour orphelins.

Un appareil FED

Tout cela n’alla évidemment pas sans mal ; ces industries devraient être formées par en haut, par l’État soviétique lui-même, même s’il existait une certaine expérience, un patrimoine intellectuel, des photographes professionnels. Il fallait de lourds moyens, comme par exemple pour donner naissance à l’usine optico-mécanique GOMZ, à Leningrad. Il fallait également former les correspondants à la photographie, élever le niveau technique, aider matériellement les clubs amateurs.

Ce qui témoigne de l’engagement communiste d’Alexandre Rodtchenko, c’est son soutien à la massification. En 1936, il appelle à placer « le langage photographique au service du réalisme socialiste », ce qui demande un appui matériel :

« Nous sommes très peu nombreux, on aimerait être davantage. Il faut des écoles, des établissements d’enseignement supérieur. Nous voudrions faire des photos étonnantes, il faut du papier, des produits chimiques, des organisations.

Nous aimerions présenter nos réalisations dans des expositions, nous réunir dans des clubs. Il faut un musée de la photographie soviétique. »

Pareillement, Alexandre Rodtchenko avait initialement une conception futuriste, au sens où il considère qu’à une époque où la connaissance scientifique et technique passe par les journaux, les magazines, les catalogues, les prospectus, les guides, les annuaires, il ne peut plus y avoir de représentation composée, mais simplement un cliché instantané, une prise sur le vif.

En 1932, il voit les choses bien différemment, admettant ce qu’il rejetait auparavant, à savoir un lien entre peinture et photographie, même s’il maintient la recherche d’une mise à distance de l’une par rapport à l’autre :

« Dans la photographie, la composition joue un rôle immense et peut-être essentiel. Comme elle est un art jeune et qu’elle se rapproche de la peinture, elle a naturellement beaucoup emprunté à la peinture dans le domaine de la composition : aussi bien le bon que le mauvais (le plus souvent)…

On pense habituellement que la composition, c’est la disposition de figures et d’objets à la surface du tableau. Ce n’est pas exact.

La composition, c’est tout cela, plus la construction isolée de chaque figure ; c’est aussi la lumière, le ton, la construction générale de la lumière et la tonalité globale ; et il peut se faire que toute la composition soit bâtie sur la seule lumière ou sur le ton uniquement…

La plupart du temps, nous prenons des photos horizontales ; cela s’explique par le fait que dans la peinture aussi on trouve davantage de tableaux horizontaux ; la vieille culture se fait sentir.

Et puis il y a aussi que nous avons deux yeux horizontaux et que la nature elle-même a surtout des horizontales.

La verticale, c’est la ville, la technique.

Voilà pourquoi nous manquons de photos de couverture. »

Alexandre Rodtchenko s’extirpe du futurisme, tout en étant influencé par son goût pour la modernité, pour la forme. Cela va produire une oeuvre puissante dans la mesure où il se tourne vers le réalisme socialiste, et en même temps de grandes faiblesses là où il ne dépassera pas l’ancien.

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Alexandre Rodtchenko et le formalisme

Pour comprendre la critique qu’a reçu Alexandre Rodtchenko de la part des communistes, il faut saisir l’aboutissement de son parcours.

Après une première phase cubo-futuriste, Alexandre Rodtchenko s’inséra donc dans les activités de la jeune Russie soviétique. Il participa à la réalisation de publicités pour des organismes d’État, comme le grand magasin Gum, les épiceries Mossel’prom, la compagnie aérienne Dobrolet, de produits en caoutchouc de Rezinotrest, les éditions Gosizda, Krasnaïa Nov, Transpetchat, Molodaïa Gvardiïa. Entre 1923 et 1925, il réalisa plus d’une centaine d’entre elles, notamment en coopération avec le poète Vladimir Maïakovsky, qui se chargea des slogans.

Ce poète russe s’était en effet tourné, dans un esprit futuriste, vers des mots qui claquent pour servir la Cause révolutionnaire, tels :

« Moi,

toute mon éclatante force de poète,

je te la donne,

classe attaquante »

Publicité d’Alexandre Rodtchenko et de Vladimir Maïakovsky pour les tétines de Rezinotrest, tellement de qualité qu’on a envie de les utiliser même devenu âgé!

A cela s’ajoute pour Alexandre Rodtchenko des affiches politiques, mais également certaines pour la promotion de films, voire même des décors de films (ainsi pour La journaliste de Lev Koulechov, La poupée aux millions de Sergueï Komarov, Albidum de Leonid Obolenski), de spectacle, de théâtre, etc.

Parallèlement, il assume sa position de « constructiviste » et reste un activiste du milieu cubo-futuriste. Il est membre de la revue LEF (acronyme du Front gauche de l’art) puis Novyi Lef qui, De 1923 à 1928, assembla les éléments les plus dynamiques de cette mouvance. C’est Vladimir Maïakovski lui-même qui en fut à l’initiative, Alexandre Rodtchenko se chargeant notamment de toutes les couvertures de la revue.

Portrait d’Ossip Brik par Alexandre Rodtchenko.
Sur le verre, on lit les lettres LEF.

Exemple du caractère gauchiste de l’initiative, Alexandre Rodtchenko demanda par exemple que des émissions de radio diffusent les bruits d’une gare, d’une salle de restaurant, d’une administration, d’un chantier, de la rue, d’une salle de cours, etc.

Par la suite, Alexandre Rodtchenko rejoignit Octobre, l’Union panrusse des travailleurs des nouvelles formes du labeur artistique, dont les membres se définissaient comme :

« des artistes de premier plan, producteurs dans le domaine de l’architecture, des arts industriels, de la cinématographie, de la photographie, de la peinture, du graphisme et de la sculpture, capables de subordonner leur activité créatrice aux besoins spécifiques du prolétariat dans le domaine de la propagande idéologique, de la production et de la conception de la vie collective dans le but de élever le niveau culturel et idéologique des travailleurs. »

Rapidement, la section photographique du groupe Octobre fut autonome. Or, la photographie soviétique s’était parallèlement elle-même mise en place.

En 1923 sont lancés les magazines illustrés Ogoniok (La flamme), Projektor, Kransaia niva (Le champ rouge). En avril 1926 commence la publication de Sovetskoe foto, la revue principale consacrée à la photographie soviétique.

L’éditorial anonyme du premier numéro présenta la situation comme la suivante :

– il y a les professionnels, artisans de la « photographie artistique » ;

– il y a les « cercles étroits des photos-artistes raffinés, des gastronomes de la photographie » ;

– il y a un petit nombre de reporters photos ;

– il y a une masse de photographes amateurs, livrés à eux-mêmes.

Le groupe Octobre, Alexandre Rodtchenko en tête, fut alors critiqué. Il lui fut reproché le formalisme. Il était considéré que cela correspondait à une conception élitiste, avec une fascination pour la forme.

Alexandre Rodtchenko voyait son travail placé comme convergeant directement avec ceux de l’Allemand Albert Renger-Patzsch, ainsi que du Hongrois László Moholy-Nagy. Il suffit de fait de voir les photographies d’Albert Renger-Patzsch pour voir effectivement le rapprochement, le formalisme étant flagrant chez celui-ci, le contenu n’étant qu’un très lointain arrière-plan.

Album de photographies d’Albert Renger-Patzsch,
Le monde est beau, 1928

Alexandre Rodtchenko se défendit en 1928 par un article de la Novy Lef, Grande inculture ou petite vilenie ?, cherchant à montrer que ses photographies étant même antérieures à celles occidentales, ratant ici le fond du problème qui était la convergence de son activité avec le formalisme des pays capitalistes.

Il parvint cependant à se remettre en cause. Ses initiatives seront alors incessantes, comme par exemple les reportages photographiques aux usines de camion Amo et de machines-outils et d’instruments Kasnyï proletariï en 1929, ou sur la construction du canal de mer blanche à la Baltique en 1933, la construction du canal Moscou-Volga en 1934.

La réorganisation des organisations artistiques en 1932 sous l’égide du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) permit également de poser un cadre solide.

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Alexandre Rodtchenko et sa théorie de la ligne comme clef esthétique

Pour comprendre l’arrivée d’Alexandre Rodtchenko à la photographie dans un sens réaliste socialiste, il faut saisir l’ensemble du mouvement. Initialement, c’est un cubiste-futuriste, un membre de la bohème artistique cherchant à témoigner de la transformation du monde par une transformation esthétique.

En avril 1918, il écrivit un texte destiné « aux artistes prolétaires » dont il se veut un représentant lui-même, où il exprime une vision petite-bourgeoise radicale :

« Nous sommes les prolétaires du pinceau ! Des créateurs martyrs ! Des artistes exploités !

Nous logeons dans des greniers froids et dans des caves humides ! (…)

Nous dont la situation est pire que celle des ouvriers exploités, car nous sommes des ouvriers pour gagner notre pain, et des créateurs au service de l’art, le tout en même temps ! »

Après la révolution russe, il est l’une des figures majeures des constructivistes, qui oppose la composition artistique propre à l’art du passé à la construction du présent désormais industriel.

Au tout début des années 1920, la lecture esthétique d’Alexandre Rodtchenko est la suivante :

« L’espace pictural se construit sur un rapport de PLANS (ou de coulisses), constitués de :

1. Lignes

2. Surfaces

3. Volumes

dans leur :

1. Rythme

2. Étendue

3. Couleur

4. Facture »

La couleur n’est pas une réalité, mais un appui à la mise en valeur de l’espace. Elle ne vise pas à coloriser, mais à soutenir une forme en trois dimensions, qui part de la ligne, passe par la surface, arrive au volume, le tout possédant un rythme permettant un agencement vivant des rapports spatiaux entre les volumes.

Reproduction d’une construction spatiale
d’Alexandre Rodtchenko

Alexandre Rodtchenko considéra que l’art était ainsi une occupation de l’espace par une construction. Tout est ainsi une question de ligne. On est là très précisément dans la perspective cubiste-futuriste.

La perspective cubiste-futuriste a comme critères esthétiques – ce que la bourgeoisie n’a jamais compris – le poids, la vitesse, le mouvement. Les différents courants cubistes-futuristes s’affrontent sur les priorités et les modes opératoires.

Alexandre Rodtchenko pense avoir résolu le problème avec la ligne. Dans un article intitulé Dynamisme du plan, datant de 1918, Alexandre Rodtchenko décrit de la manière suivante sa fascination pour les lignes :

« Dessinant des plans verticaux, fixés avec la couleur adéquate, et coupant ces plans par des lignes dirigées en profondeur, je découvre que la couleur n’est qu’un moyen conventionnel de distinguer les plans, de distinguer un plan d’un autre, et aussi de distinguer un plan par rapport aux indices de profondeur et aux intersections (…).

Quand j’étudie une projection dans sa profondeur, sa hauteur, sa largeur, je découvre une infinie possibilité de projections en dehors du temps. En travaillant de cette façon, j’appelle mes dernières œuvres des « compositions de mouvements de plans colorés et projetés ».

Dans l’article La ligne, en 1921, il présente ainsi l’histoire de la représentation de l’objet en peinture, avec cette obsession moderniste de dépassement de l’objet par une représentation abstraite censée être plus « profonde », réelle, authentique, etc.

« Après s’être servi de l’objet en l’interprétant de toutes les façons possibles, depuis le réalisme et le naturalisme jusqu’au futurisme, la peinture en passant au cubisme a décomposé l’objet avec une science presque anatomique, jusqu’à ce qu’elle se libère enfin complètement de ce dernier barrage en débouchant sur la non-figuration.

Après avoir rejeté l’objet et le sujet, la peinture s’est souciée exclusivement de ses problèmes propres, qui, en grandissant, ont largement pris la place de l’objet et de son interprétation, tous deux exclus de la peinture.

Ensuite la non-figuration a également rejeté le mode d’expression ancien de la peinture, elle a introduit des procédés d’écriture absolument nouveaux, mieux adaptés à ses formes géométriquement simples, claires et précises.

Elle a eu recours à la peinture au couteau, au rouleau, à la presse, etc. Le pinceau a cédé la place à de nouveaux instruments avec lesquels il est commode, simple et plus fonctionnel de travailler la surface (…).

Ces derniers temps, travaillent exclusivement sur la construction des formes et sur le système de leur structure, j’ai commencé à introduire la ligne dans le plan en tant que nouvel élément de construction.

La signification de la ligne s’est enfin complètement révélée : d’une part, son aspect arête, bord extrême ; et d’autre part, en tant que facteur essentiel de la construction de tout organisme en général, le squelette, pourrait-on dire (ou l’assise, l’armature, le système).

La ligne est le premier et le dernier élément, aussi bien en peinture que dans toute construction en général (…).

En mettant l’accent sur la ligne, comme seul élément à l’aide duquel on puisse construire et créer, nous rejetons par là-même toute esthétique de la couleur, la facture et le style, parce que tout ce qui masque la construction est style (par exemple, le carré de Malévitch).

Avec la ligne apparaît une nouvelle idée de la construction ; il s’agit véritablement de construire et non pas de figurer, de façon concrète ou abstraite, il s’agit de construire de nouvelles structures constructives fonctionnelles, dans la vie et non pas depuis la vie en dehors de la vie.

La construction est un système, grâce auquel un objet est exécuté en utilisant fonctionnellement le matériau ; le but recherché étant fixé à l’avance. Chaque système exige son propre matériau et l’utilisation spécifique de ce matériau, chaque système sera une invention ou bien un perfectionnement.

La construction, s’agissant de constructions dans un plan, c’est la conception d’une structure réelle possible, ou alors c’est la conception de formes découlant l’une de l’autre régulièrement (selon un système), ou la construction de formes qui ne se « mangent » pas l’une l’autre ; et chaque forme, distincte en elle-même, ne diminue pas l’importance de l’autre, toutes ensemble elles fonctionnent rationnellement selon un seul système, tout en traitant de façon fonctionnelle le matériau et l’espace dans lequel elles se trouvent (…).

Travailler pour la vie et non pas pour les palais, pour les églises, pour les cimetières et les musées.

Travailler au milieu de tous, pour tous et avec tous.

Il n’est rien d’éternel, tout est provisoire.

La prise de conscience, l’expérience, le but, les mathématiques, les techniques, l’industrie et la construction, voilà ce qui est au-dessus de tout.

Vive la technique constructive.

Vive l’attitude constructive envers toute chose.

Vive le CONSTRUCTIVISME. »

Alexandre Rodtchenko est ainsi un constructiviste, mais le constructivisme est pour lui un mode concret d’intervention artistique utilisant la ligne. C’est essentiel pour saisir comment ce principe va être transformé dans le sens réaliste socialiste de la photographie.

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La théorie constructiviste d’Alexandre Rodtchenko

La figure d’Alexandre Rodtchenko est indissociable de l’artiste russe Varvara Stepanova, née en 1894. Le couple s’installa ensemble à Moscou en 1916 et devint une véritable entité productive.

Initialement, le couple fut également très proche de Vassily Kandinsky, leur atelier étant même dans l’appartement de celui-ci.

Alexandre Rodtchenko et Varvara Stepanova

Tant Alexandre Rodtchenko que Varvara Stepanova étaient des théoriciens de l’art, ce qui était aussi le cas de Vassily Kandinsky. Dans le prolongement de la révolution russe, il y avait différents regroupements qui s’étaient structurés, certains devenant même des institutions.

Kasimir Malevitch, le théoricien du suprématisme, s’appuyait ainsi sur l’UNOVIS (Utverditeli Novogo Iskusstva – les Champions du Nouvel Art), structure liée à l’Inkhuk (Institut de culture artistique) dont le responsable était Vassily Kandinsky.

De manière plus générale, toute la scène cubiste-futuriste était porée de 1921 à 1931 par la RAKhN (Académie Russe des Sciences Artistiques), devenue en 1925 la GAKhN (Académie d’Etat des Sciences Artistiques).

Cette institution servait de laboratoire d’idées et de base arrière aux idéologies cubistes-futurises se concurrençant de manière acharnée, se divisant en différentes chapelles s’excommuniant, etc.

Alexandre Rodtchenko et Varvara Stepanova

Il faut bien parler d’idéologie, car les mouvements cubistes-futuristes prétendaient représenter le contenu réel de la révolution russe. Ils se posaient ici en concurrents du proletkult, tous ces mouvements étant écrasés comme gauchistes, formaliste, cosmopolites.

La RAKhN / GAKhN prétendait trouver une panoplie sociologique, psychophysique et philosophique à l’art abstrait, avec une prétention scientifique-industrielle. L’esthétique était censée céder la place à la logique de l’organisation, de la construction, de la conception, etc.

C’était là une lecture formaliste du socialisme, propre aux couches intellectuelles liées historiquement à la bourgeoisie.

Il faut noter ici qu’il existe strictement rien en français sur la RAKhN / GAKhN et ce justement car le contenu idéologique des cubistes-futuristes y est très clair, ce que la bourgeoisie veut masquer à tout prix pour prétendre valoriser de manière libérales les prétendues avant-gardes, etc.

Alexandre Rodtchenko était, de son côté, membre de l’OBMOChU (Organisation des Jeunes Artistes) et professeur aux Vkhoutemas (Ateliers supérieurs d’art et de technique), un autre bastion du mouvement cubiste-futuriste. On y trouve également comme professeur Vladimir Tatline.

Maquette du projet de monument à la Troisième-Internationale de Vladimir Tatline, devant atteindre les 400 mètres de hauteur

Alexandre Rodtchenko et Varvara Stepanova relèvent, aux côtés de de l’anarchiste Alexeï Gan, d’un groupe spécifique parmi ces fractions, dit constructiviste. Voici comment, dans un article de 1921 intitulé À bas l’art !, Alexandre Rodtchenko présente cette conception cubiste-futuriste :

Il s’agit véritablement de construire de nouvelles structures constructives fonctionnelles, dans la vie et non pas depuis la vie et en dehors de la vie.

Dans la vie réelle, les choses (les objets) se présentent avec une forme utilitaire, ou alors on leur applique de l’art ; quand le matériau est utilisé fonctionnellement, l’objet lui aussi sert clairement le but qu’on lui avait assigné, en n’ayant rien de superflu ou presque ; quant aux exceptions, on n’a pas pris conscience de leur signification dans la vie.

Nous sommes entourés d’objets de ce genre (faussement décoratifs) et à cause d’eux on se précipite dans les églises, dans les musées et dans les théâtres. C’est la vie en tant que telle qui n’est pas comprise, qui n’est pas prise en compte, qui n’est pas organisée.

Les gens s’ennuient, les gens parlent de leur travail comme de quelque chose de lugubre, d’ennuyeux, où l’on perd son temps. Les gens disent de leur vie qu’elle est monotone et vide, à quelques exceptions près, parce qu’ils ne savent pas apprécier en eux-mêmes l’homme qui peut construire, bâtir et détruire.

Ils vont à l’église, au théâtre, au musée, pour « échapper à la vie », pour prendre des leçons de vie… Comment ? Mais en apprenant à rendre la vie « jolie », décorative, au lieu de construire, d’organiser, de structurer. Ces gens-là avaient besoin de l’opium de l’art ou de la religion. Et tous les anciens de l’art « sans objets », à présent constructivistes ou constructeurs, se sont mis à travailler pour la vie et dans la vie. Leur premier objectif, ce fut le travail sur des constructions concrètes.

Est-ce que nous n’en avons pas assez de cette vie stupide, où l’on ne prend conscience de rien, où l’on ne donne valeur à rien, dans laquelle tout est carton pâté et décor : l’homme est enjolivé, son logis est enjolivé, ses pensées sont enjolivées, tout est enjolivé de choses dont on n’a que faire, et cela pour dissimuler le vide de l’existence.

La vie, cette chose si simple, on ne sait toujours pas la voir, on ne sait pas qu’elle est si simple, si claire, qu’il suffit simplement de l’organiser et de la débarrasser de tout ce qui est art appliqué et enjolivures.

A BAS L’ART comme moyen de fuite d’une vie qui n’en vaut pas la peine. La vie consciente et organisée, qui peut voir et construire, est l’art moderne. L’être humain qui a organisé sa vie, son travail et lui-même est un artiste moderne.

Travailler pour la vie et non pas pour les palais, pour les églises, pour les cimetières et les musées. Travailler au milieu de tous, pour tous et avec tous. Il n’est rien d’éternel, tout est provisoire. La prise de conscience, l’expérience, le but, les mathématiques, les techniques, l’industrie et la construction, voilà qui est au-dessus de tout.

Vive la technique constructive. Vive l’attitude constructive envers toute chose. Vive le CONSTRUCTIVISME.

Pour les constructivistes, on passe de la composition à la construction. Pour cette raison, Varvara Stepanova et Alexandre Rodtchenko abandonnèrent tous deux la peinture en 1921.

Ils passèrent alors à des projets se voulant concrets, visant à occuper la surface, au moyen de la ligne.

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Alexandre Rodtchenko et le graphisme pour l’industrie

Le jeune État soviétique souleva un très grand enthousiasme chez les jeunes artistes, avec parfois une large incompréhension. En effet, Lénine avait toujours souligné l’importance de l’héritage national, alors que les artistes happés par le futurisme ne voyaient les choses que par le prisme de la modernité la plus totale, avec une interprétation plus ou moins délirante.

Le kiosque à journaux conçu par Alexandre Rodtchenko en 1919 reflète cette vision très forcée des choses ; à l’esthétique ultra-géométrique s’associe un idéalisme très prononcé, puisque le kiosque dispose d’une plate-forme où peut prendre place un propagandiste.

Dans cette autre version, on peut lire inscrit en grand : « L’avenir est notre seul but ».

Le club ouvrier imaginé en 1925 est déjà d’un esprit beaucoup plus concret, avec son journal mural profitant de bandes mobiles pour faire défiler automatiquement les pages, un éclairage puissant, un endroit pour les annonces, etc. Les couleurs employés sont uniquement le gris, le rouge, le noir et le blanc.

En voici l’entrée et les panneaux de présentation, montré lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, à Paris la même année.

Voici la table avec double fauteuil imaginée pour le jeu d’échecs, ainsi que la bibliothèque.

De manière bien plus concrète, Alexandre Rodtchenko réalisa de nombreuses affiches pour la compagnie aérienne Dobrolet et la promotion de son financement.

Fondée en 1923, Dobrolet devint Aeroflot en 1932.

Sur l’affiche suivante, on peut lire :

« Ayez honte que votre nom ne soit pas encore sur la liste des actionnaires de Dobrolet. Tout le pays accorde de l’intérêt à cette liste. Un rouble fait de chacun un actionnaire. Dobrolet. Vente d’actions. Moscou, Prombank, Iljinka, place de la bourse 2/7, et dans toutes les agences de Dobrolet et de la banque industrielle d’État. »

La participation d’Alexandre Rodtchenko à un projet aussi important que l’établissement d’une compagnie aérienne dans le pays montre le passage de l’artiste se voulant d’avant-garde, mais sans perspective, à une dimension active dans le cadre de l’État soviétique. C’était tout une nouvelle dynamique qui se mettait en place.

Alexandre Rodtchenko mena une activité ininterrompue en faveur de l’imagerie de l’industrie nouvelle et sa diffusion. Il fit également les couvertures de numéros de la revue L’auditeur de la radio, en 1929.

Voici deux paquets conçus par lui pour les confiseries de l’usine d’État Octobre rouge.

Cependant, c’est sa collaboration avec l’écrivain Vladimir Maïakovski qui va donner un élan marquant à son activité. Le graphisme de celui qui est devenu un designer se combine avec les slogans du poète pour former des affiches en faveur de l’industrie naissante.

Voici une affiche expliquant que « la presse est notre arme », avec des titres de la presse publié par le Mospoligraf, puis une autre en faveur des crayons diffusés par cet organisme.

Le photomontage réalisé pour l’oeuvre Pro èto (Au sujet de cela) de Vladimir Maïakovski de 1923 est particulièrement célèbre. On peut y voir Lilya Brik, connue pour également être sur l’affiche des éditions Lengiz.

Les illustrations pour Pro èto se révèlent par contre encore totalement imprégnés de futurisme, avec l’approche expressionniste dans le collage.

Alexandre Rodtchenko travailla également pour le Mosselprom, l’administration moscovite des coopératives rurales, imaginant leur design, façonnant avec sa femme Varva Stepanova, elle-même une artiste, des slogans pour le bâtiment.

Alexandre Rodtchenko réalisa également des affiches pour le cinéma, comme pour Le cuirassé Potemkine, le classique de Sergeï Eisenstein.

Voici ses affiches pour le réalisateur Dziga Vertov, notamment son film intitulé Ciné-Oeil.

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