Représentant une tendance historique – l’apparition de la nation allemande et donc sa rupture avec la dépendance avec l’Église romaine – Martin Luther est porte une initiative qui lui tient à coeur, qu’il considère comme juste, mais dont il ne voit pas les contours.
Friedrich Engels note, dans La guerre des paysans en Allemagne, que :
« Lorsque, en 1517, Luther attaqua tout d’abord les dogmes et la constitution de l’Église catholique, son opposition n’avait pas encore de caractère bien déterminé. »
De fait, quant après sa publication des 95 thèses en 1517, également envoyés à l’archevêque-électeur de Mayence Albert de Brandebourg pour qu’il rejette les « indulgences » du pape Léon X destinés à financer la construction de la basilique Saint-Pierre, il est convoqué à ce sujet, il pense que son sort scellé.
Partant en octobre 1518 à Augsbourg, où le légat Cajetan l’a convoqué et exige qu’il se rétracte, Martin Luther pense que tout est fini ; comme il le racontera par la suite :
« J’avais constamment le bûcher devant les yeux. Désormais tu dois mourir, me disais-je. »
La popularité nationale énorme qu’avait acquis Martin Luther le protégea toutefois. Il explicita alors son point de vue dans une série de documents : Le Sermon sur les indulgences et la grâce fut réédité 23 fois entre 1518 et 1520, une trentaine d’autres écrits connurent pour la même période 370 éditions, soit au moins 250 000 exemplaires.
On peut voir ici comment l’initiative de Martin Luther profita, contrairement aux hussites et aux taborites, de la diffusion de l’imprimerie. Voici comment lui-même saluait ce qui allait s’avérer un formidable outil :
« L’imprimerie est le dernier et suprême don, car, par elle, Dieu veut faire connaître à toute la terre l’affaire de la vraie religion, jusqu’au terme de ce monde, et la répandre dans toutes les langues.
C’est la dernière flamme qui luit avant l’extinction du monde. »
Martin Luther fut ici le titan de la démocratie. Il avait su se tourner vers le peuple, au sens où il s’adresse à tous les pays allemands, forgeant leur unité nationale sur le plan idéologique. C’est en ce sens qu’il traduisit le Nouveau Testament en 1521, en onze semaines, la Bible complète en langue allemande étant publiée en 1534.
Voici comment lui-même présente, en 1530, la manière avec laquelle il a traduit, contribuant à l’unification de la langue allemande :
« Il faut interroger la mère dans sa maison, les enfants dans la rue, l’homme du commun sur la place du marché, et considérer leur bouche pour savoir comment ils parlent, afin de traduire d’après cela ; alors ils comprennent et remarquent que l’on parle allemand comme eux. »
C’est une véritable ligne de masses. On comprend que Martin Luther devint un symbole national ; à sa sortie récente en tant que jouet playmobil, le « Martin Luther » se vendit à 34 000 exemplaires en 72 heures, pour atteindre 750 000 ventes, le plus grand succès de la marque.
Cette vague était tellement informe que l’Église catholique romaine l’avait donc sous-estimé à l’initial. Alors que les 95 thèses datent de 1517, il faut attendre 1520 pour avoir une ferme réaction papale avec la Bulla contra errores Martini Lutheri et sequacium (Bulle contre les erreurs de Martin Luther et ses disciples), connu sous le nom de Exsurge Domine (« Lève-toi, Seigneur [car un renard ravage la vigne] ») qui forme son incipit.
41 thèses de Luther y étaient dénoncées ; les voici :
« 1. C’est une opinion hérétique mais commune que les Sacrements de la Nouvelle Loi donnent une grâce de pardon à ceux qui ne créent pas d’obstacle.
2. Nier que, chez un enfant après son baptême, le péché demeure, c’est de traiter avec mépris à la fois Paul et le Christ.
3. Les sources inflammables du péché, même s’il n’y a pas eu de péché actuel, retardent le départ de l’âme du corps pour son entrée au ciel.
4. Pour quelqu’un sur le point de mourir, une charité imparfaite entraîne nécessairement une grande crainte qui, à elle seule, est suffisante pour produire la peine du purgatoire et empêcher l’entrée dans le royaume.
5. Qu’il y ait trois parties à la pénitence, à savoir : la contrition, la confession et la satisfaction; il n’y a pas de fondement à cela dans la Sainte Écriture ni chez les Anciens Docteurs Chrétiens sacrés.
6. La contrition, qui est acquise par la discussion, la collecte et la détestation des péchés, par laquelle on réfléchit sur ses années dans l’amertume de son âme, en méditant sur la gravité des péchés, leur nombre, leur bassesse, la perte de la béatitude éternelle et l’acquisition de la damnation éternelle, cette contrition fait de lui un hypocrite et, en effet, un grand plus pécheur.
7. C’est un proverbe des plus véridiques et la doctrine sur les contritions la plus remarquable jusqu’à présent : « Ne plus le faire à l’avenir est la pénitence la plus élevée ; c’est la meilleure pénitence, c’est une nouvelle vie ».
8. En aucun cas, vous ne pouvez présumer confesser les péchés véniels, ni même tous les péchés mortels, parce qu’il est impossible que vous connaissiez tous les péchés mortels. Ainsi, dans l’Église primitive, seuls les péchés mortels manifestes étaient confessés.
9. Tant que nous souhaitons confesser tous les péchés sans exception, nous ne faisons rien d’autre que souhaiter ne laisser rien à la Miséricorde de Dieu à pardonner.
10. Les péchés ne sont pardonnés que si celui se confesse croit qu’ils sont pardonnés lorsque le prêtre les pardonne; au contraire, le péché demeure à moins que celui qui se confesse nn croit qu’il a été pardonné ; car, en effet, la rémission des péchés et l’octroi de la grâce ne suffisent pas mais il est nécessaire de croire aussi qu’il y a eu pardon.
11. En aucun cas, pouvez-vous être rassuré d’être absous à cause de votre contrition mais à cause de la Parole du Christ : « Tout ce que vous délierez, etc ». Par conséquent, je dis, ayez confiance que vous avez obtenu l’absolution du prêtre et croyez fermement que vous avez été absous et vous serez vraiment absous quoiqu’il en soit de la contrition.
12. Si, par une impossibilité, celui qui s’est confessé n’était pas contrit ou que le prêtre n’a pas donné l’absolution sérieusement mais d’une manière joviale, si pourtant il estime qu’il a été absous, il a été vraiment absous.
13. Dans le sacrement de la pénitence et la rémission des péchés, le Pape ou l’Évêque n’en fait pas davantage que le prêtre le plus humble ; en effet, lorsqu’il n’y a pas de prêtre, tout Chrétien, même une femme ou un enfant, peut également en faire autant.
14. Nul ne doit répondre à un prêtre s’il est contrit, ni le prêtre s’en renseigner.
15. Grande est l’erreur de ceux qui approchent le Sacrement de l’Eucharistie en comptant sur le fait qu’ils se sont confessés, qu’ils ne sont conscients d’aucun péché mortel en eux, qu’ils ont prié à l’avance et qu’ils ont fait des préparations ; tous ceux-là mangent et boivent le jugement pour eux-mêmes. Mais s’ils croient et ont confiance qu’ils obtiendront la grâce, alors cette foi seule les rendra purs et dignes.
16. Il semble avoir été décidé que l’Église en Concile commun ait établi que les laïcs devraient communier sous les deux espèces ; les Bohémiens qui communient sous les deux espèces ne sont pas hérétiques mais schismatiques.
17. Les trésors de l’Église à partir desquels le Pape accorde des indulgences ne sont pas les mérites du Christ ni des saints.
18. Les indulgences sont des pieuses fraudes des fidèles et des rémissions de bonnes œuvres ; et elles sont parmi le nombre de ces choses qui sont autorisées et non du nombre de celles qui sont avantageuses.
19. Les indulgences ne sont d’aucune utilité pour ceux qui en gagnent vraiment pour la rémission de la peine due au péché actuel commis à la vue de la justice divine.
20. Ils sont séduits ceux qui croient que les indulgences sont salutaires et utiles pour le fruit de l’esprit.
21. Les indulgences ne sont nécessaires que pour les crimes publics et ne sont à juste titre concédées qu’aux rudes et aux impatients.
22. Pour six types d’hommes, les indulgences ne sont ni utiles ni nécessaires ; à savoir, pour les morts et ceux qui vont mourir, les infirmes, ceux qui sont légitimement entravés, ceux qui n’ont pas commis de crimes, ceux qui ont commis des crimes mais pas publics, et ceux qui se consacrent à des choses meilleurs.
23. Les excommunications ne sont que des sanctions externes et elles ne privent pas l’homme des prières spirituelles communes de l’Église.
24. Les Chrétiens doivent apprendre à chérir les excommunications plutôt que de les craindre.
25. Le Pontife Romain, successeur de Pierre, n’est pas le Vicaire du Christ sur toutes les églises de l’ensemble du monde, institué par le Christ Lui-même dans le Bienheureux Pierre.
26. La Parole du Christ à Pierre : « Tout ce que vous délierez sur la terre… etc » couvraient uniquement les choses liées par Pierre lui-même.
27. Il est certain que ce n’est pas du pouvoir de l’Église ou du Pape de décider des articles de foi et encore moins sur les lois de la morale ou des bonnes œuvres.
28. Si le Pape avec une grande partie de l’Église pensaient ceci ou cela, il ne se tromperait pas ; et encore, ce n’est pas un péché ou une hérésie de penser le contraire, en particulier sur toute question non nécessaire pour le salut, jusqu’à ce qu’une alternative soit condamnée et qu’une autre soit approuvée par un Concile général.
29. Une façon a été conçue pour que nous puissions affaiblir l’autorité des Conciles, pour contredire librement leurs actions, pour en juger les décrets et déclarer hardiment tout ce qui semble vrai, que ce fut approuvé ou désapprouvé par tout Concile que ce soit.
30. Certains articles de Jean Hus, condamnés au Concile de Constance, sont des plus Chrétiens, entièrement vrais et évangéliques ; ceux-là, l’Église universelle ne pouvait pas les condamner.
31. En toute bonne œuvre, l’homme pèche.
32. Un bon travail très bien fait est un péché véniel.
33. Que les hérétiques soient brûlés, c’est contre la volonté de l’Esprit.
34. Aller à la guerre contre les Turcs, c’est résister à Dieu qui punit nos iniquités à travers eux.
35. Personne n’est certain qu’il ne pèche pas toujours mortellement, en raison du vice le plus caché de l’orgueil.
36. Après le péché, le libre arbitre est une question de titre seulement ; et aussi longtemps que quelqu’un fait ce qui est en lui, il pèche mortellement.
37. Le purgatoire ne peut pas être prouvé par l’Écriture Sainte qui est dans le canon.
38. Les âmes du purgatoire ne sont pas sûres de leur salut, du moins pas toutes ; et il n’a été prouvé ni par des arguments ni par les Écritures qu’elles ne sont plus capables de mériter davantage ou de croître en charité.
39. Les âmes du purgatoire pèchent sans arrêt aussi longtemps qu’ils cherchent le repos et abhorrent la peine.
40. Les âmes libérées du purgatoire par les suffrages des vivants sont moins heureuses que si elles avaient fait satisfaction par elles-mêmes.
41. Les prélats ecclésiastiques et les princes séculiers n’agiraient pas mal s’ils détruisaient tous les sacs d’argent de la mendicité. »
Martin Luther répondit en brûlant un exemplaire de la bulle, à Wittenberg, devenu le bastion luthérien ; l’Église catholique romaine réagit l’année suivante par la bulle Decet Romanum Pontificem, excommuniant Martin Luther.
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