Le matérialisme dialectique et la dialectique des nombres positifs et négatifs et la base de la contradiction entre mathématiques et physique

Apprendre des paysans pauvres et des couches inférieures
des paysans intermédiaires, et les servir

Lors d’un calcul relevant de l’arithmétique, le positif s’oppose au négatif. Or, s’il y a contradiction, il y a également identité. Il est essentiel de voir cela pour ne pas sombrer dans une pratique unilatérale des mathématiques, ce qui est inévitable sans le matérialisme dialectique.

Cela est très facile à saisir. Imaginons qu’on ait d’un côté -1 et de l’autre côté +4. Les deux nombres s’opposent. Si on a quatre citrons d’un côté, et qu’on enlève un citron de l’autre, alors on se retrouve avec trois citrons. On oppose le nombre positif au nombre négatif et inversement.

On a : +4, on a -1, on a 4 – 1 = 3. On a d’un côté le nombre positif, de l’autre le nombre négatif. Ils sont séparés. On peut voir les choses ainsi. On a d’un côté 1, de l’autre 4.

Le 1 va basculer du côté du 4.

Ce faisant, de par sa nature contradictoire, il va s’opposer à un 1 formant le 4. On remarquera que l’opération implique l’identité contradictoire de 1 avec 1 ! Tout en maintenant l’identité puisque les 1 formant ce qui reste – le 3 – restent ce qu’ils sont.

Il a été dit qu’on oppose le nombre positif au nombre négatif et inversement. Or, il y a également lieu d’opposer le nombre positif au nombre négatif sans justement dire « et inversement ».

Il y a en effet lutte et identité dans une contradiction. Le nombre positif s’oppose au nombre négatif, et en même temps le nombre négatif ne s’oppose pas au nombre positif.

Il faut ainsi partir de leur identité. On peut voir les choses ainsi, en remplaçant la barre de séparation par le zéro, qui permet de cerner la nuance entre les deux, une nuance qui n’est pas différence. Il y a continuité entre les éléments, avec simplement une nuance puisqu’un élément est avant le 0, contrairement aux quatre autres.

Cela change naturellement le rapport interne. On ne peut plus avoir 4 – 1 = 3.

C’est là où la « magie » de la dialectique opère et qu’on retrouve un enchevêtrement de contradictions, entre les nombres, entre l’addition et la soustraction. C’est là où on a les mathématiques dans ce qu’elles sont vraiment.

D’une part, en effet, on retrouve bien 3, mais comme intervalle entre le 1 négatif et 4.

D’autre part, puisqu’il y a identité, alors il faut prendre l’ensemble des éléments en compte. On obtient alors 5, retombant sur la contradiction entre addition et soustraction. 4-1 est en rapport dialectique avec 4+1.

On peut également envisager les choses en utilisant les termes d’intervalle et d’écart, en opposant l’espace au temps. C’est là que les mathématiques rejoignent la physique et inversement.

3 est l’écart entre 1 et 5, on raisonne en termes d’espace. Dans la réalité physique, il y a pour ainsi dire trois éléments entre 1 et 5.

5 est l’intervalle entre le « bout » du 1 et le « bout » du 5, comme quand on dit que cinq secondes sont passées. Le « bout » du 1 qui est au début et s’oppose au « bout » du 5 qui est à la fin. On raisonne ici en termes de temps.

On a ici le fondement de la dialectique des nombres positifs et négatifs et celle entre les mathématiques et la physique. Comme en effet la matière se développe de manière infinie, il n’existe pas de développement en arrière, et donc au sens strict pas de mouvement négatif.

Mais relativement, il existe un mouvement négatif : le mouvement lui-même, car même s’il est positif, s’il est présent, il va se dérouler et devenir du passé. Le mouvement physique réel se déroule, il devient du passé, on peut le voir comme en arrière, comme négatif.

Cette contradiction du regard de la science sur le mouvement présent devenu passé, sur l’espace matériel éternel donnant naissance au temps dans son mouvement d’accomplissement – le temps n’étant qu’une durée propre à la matière composant tout l’espace – est la base de la contradiction entre mathématiques et physique.

La physique est l’aspect positif, car elle prend la matière dans son mouvement réel, reconnaissant sa dignité.

Les mathématiques forment l’aspect négatif, car elles « nient » le mouvement pour opérer statiquement, ce qui est impossible, ce qui montre qu’elles portent en réalité sur le mouvement passé.

Autrement dit, la physique porte sur le citron en tant que citron, en tant que 4 citrons peuvent s’opposer à un citron. Les mathématiques portent sur les 4 citrons s’étant déjà opposées à un citron.

La physique s’intéresse au début du mouvement, les mathématiques portent sur la fin du mouvement.

La physique se fonde sur l’émergence d’un mouvement, les mathématiques s’appuient sur le caractère accompli du mouvement.

Dans la physique, les choses sont en mouvement, dans les mathématiques les choses sont figées.

D’où leur rapport contradictoire, qui est de même nature que la contradiction entre les nombres positifs et les nombres négatifs.

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Le matérialisme dialectique et l’accumulation quantitative / l’accumulation qualitative

Dans les mathématiques, les nombres ont un ordre. Que ce soit dans le sens positif ou négatif, on a 1, 2, 3 4, 5 etc. ou bien -1, -2, -3, -4, -5, etc. Cet ordre est considéré comme implicite, au sens où il apparaît comme relevant d’une simple constatation, de la logique, de la reconnaissance psychologique de l’accumulation quantitative.

Or, il existe une contradiction entre la qualité et la quantité. Il y a alors deux possibilités. Soit la qualité est substantiellement différente de la quantité et alors une accumulation qualitative des nombres existe indépendamment de l’accumulation quantitative. Il resterait alors à voir quelle serait cette accumulation quantitative.

Soit la qualité n’est pas substantiellement différente de la quantité et alors une accumulation qualitative existe à travers l’accumulation quantitative.

Il va de soi que, dialectiquement, les deux possibilités forment une unité contradictoire.

Quelle est l’accumulation qualitative différente de l’accumulation quantitative ? Quel est le contraire de l’accumulation quantitative si facile à comprendre qu’est 1, 2, 3, 4, 5 ?

Il ne faut pas chercher cette accumulation qualitative ailleurs que là où réside la qualité, et elle réside, nécessairement, dans chaque nombre lui-même, qui obéit à la loi de la contradiction qui est universelle.

Par conséquent, l’accumulation qualitative « séparée » de l’accumulation quantitative consiste en les accumulations au carré, au cube, etc., 1², 2², 3², 4², 5², etc. ou bien 1³, 2³, 3³, 4³, 5³, etc.

On remarque qu’il y a également une accumulation quantitative dans cette accumulation qualitative, c’est facilement visible, puisqu’on assemble, on rajoute des nombres. Le carré, le cube, etc. rendent l’accumulation ayant une qualité, dépassant la simplicité de la suite quantitative, mais la dimension quantitative n’est pas masquée.

Ce qui ramène à l’accumulation qualitative présente dans l’accumulation quantitative. Là pour le coup, la qualité est masquée. Où est en effet la qualité dans ce qui semble un simple ajout dans une suite froidement « logique » : 1, 2, 3, 4, 5, etc. ?

Il faut ici renverser la proposition comme quoi il ne faut pas chercher cette accumulation qualitative ailleurs que là où réside la qualité, à savoir dans chaque nombre lui-même, qui obéit à la loi de la contradiction qui est universelle.

On obtient alors l’autre dimension de la contradiction, celle où la qualité réside non pas dans le nombre lui-même, mais dans l’accumulation réelle.

C’est là où on trouve ce que sont réellement les mathématiques, tant dans leur genèse que leur réalité. La suite 1, 2, 3, 4, 5, etc. n’est pas virtuelle, artificielle, symbolique, possible : elle existe matériellement. Les mathématiques reflètent par la suite des nombres une accumulation de choses réelles et c’est cela qui fait que, au-delà du caractère abstrait de la suite de nombres, l’accumulation a une dimension réelle, et donc qualitative.

Autrement dit, lorsqu’on compte quelque chose au moyen de ses doigts, on est dans un mouvement qualitatif, parce que justement on compte des choses réelles quantitativement. On aurait pu prendre l’exemple de compter quantitativement des moutons pour parvenir à une accumulation qualitative pour s’endormir.

Il y a de la qualité dans la quantité et inversement ; l’accumulation qualitative est présente et n’est pas présente dans l’accumulation quantitative, et inversement.

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Après Ibrahim Kaypakkaya : les variantes de TKP/ML

Le TKP/ML a su résister aux tendances pro-albanaises formelles qui se produisirent dans ses rangs ; malheureusement, il a dû faire face à une tendance pro-albanaise masquée. La grande caractéristique de l’idéologie d’Enver Hoxha est en effet de combiner une prétention idéologique orthodoxe à une pratique louvoyante, toujours prête à l’opportunisme.

Autrement dit, sur le papier, cela se veut fidèle aux principes, mais sur le terrain le hoxhaisme tend toujours à l’unité sans principes. Pour cette raison, le TKP/ML va connaître une scission majeure et définitive relativement à cette question.

Initialement, la scission donnant naissance au TKP/ML Hareketi en 1976 fut immédiatement suivie par d’autres, donnant naissance en 1977 à Halkin Gücü (Pouvoir populaire), Kurtuluş Bayrağı (Drapeau de la libération), Kurtulus Yolu (Voie de la libération).

Nazan Ünaldı 1958-1973

Le premier courant fut le seul à maintenir le cap, les autres disparaissant, et organisa la première conférence en février 1978, qui remit en ordre de marche la TIKKO, ainsi que l’organisation pour les jeunes, la Türkiye Marksist-Leninist Genclik Birligi (TMLGB, Union de la Jeunesse Marxiste-Léniniste de Turquie).

Sefa Kaçmaz fut alors nommé comme secrétaire général ; à la seconde conférence en 1980, il fut toutefois expulsé et condamné à mort. Lui-même reprochait à l’organisation son formalisme et entendait ouvrir des expériences différentes, par exemple en participant aux élections parlementaires.

Son remplaçant, Süleyman Cihan, décéda toutefois en septembre 1981 suite à des mois de torture après son arrestation par l’État turc. L’organisation réussit alors à avancer, Kazım Çelik la dirigeant jusqu’à son décès en 1987, avec notamment une troisième conférence prévue pour 1985, mais repoussée à 1986 et même mis en suspens.

C’est que le développement avait abouti à une fracture majeure. Le conflit interne au sein du Comité Central apparaissait comme insoluble et ce d’autant plus que la direction était surtout basée à l’étranger et refusait de tenir la troisième conférence en Turquie, en raison des dangers encourus.

Par la suite, sept membres du Parti devant être des délégués à la conférence furent tués par la police en novembre 1986, compliquant encore davantage la situation.

Il se forma alors le Dogu Anadolu Bölge Komitesi (DABK, Comité régional d’Anatolie orientale), comme expression d’une des deux tendances, le comité d’organisation de la conférence chercha à temporiser et la répression frappa alors le TKP/ML en mai 1987, aboutissant notamment au décès du secrétaire général, Kazım Çelik.

Dans la foulée, le DABK annonça à l’été 1987 qu’à la suite d’une conférence extraordinaire, il ne reconnaissait plus le Comité Central élu à la deuxième conférence, en raison de sa ligne révisionniste et opportuniste. De son côté, le Comité Central organisa une troisième conférence en octobre 1987.

Sur le papier, il y avait alors deux TKP/ML se réclamant de la même idéologie ; dans les faits, le TKP/ML « troisième conférence » avait une approche pragmatique-machiavélique, ayant une conception mécaniciste des choses, alors que le TKP/ML DABK se situait dans la perspective du maoïsme.

Deux figures marquantes du TKP/ML dans sa version DABK alors furent Manuel Demirel, d’origine arménienne et initialement venu négocier de la part de l’autre tendance, et Baba Erdoğan, dont un mot d’ordre fut « un Dersim ne suffit pas, il faut 1.000 Dersim ».

Il y eut même un troisième TKP/ML, le TKP/ML Maoist Merkezi (Centre Maoïste), qui n’existait qu’en Allemagne, notamment à Berlin, et était étroitement lié au Parti Communiste Révolutionnaire des États-Unis et au Comité du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste.

Le TKP/ML « troisième conférence » connut rapidement encore une petite scission, avec le groupe « Prolétariat révolutionnaire » qui quitta l’organisation en avril 1989 ; en pratique, il s’agissait surtout de cadres ayant fui en Europe occidentale et refusant d’être renvoyé clandestinement en Turquie.

Le TKP/ML DABK tint sa troisième conférence en juin 1989, le TKP/ML « troisième conférence » tint sa quatrième conférence en octobre 1991. Des discussions se développèrent alors, permettant une réunification en avril 1992, puis une première conférence extraordinaire en juin 1993 où l’idéologie arborée est alors le marxisme-léninisme-maoïsme, et non plus le marxisme-léninisme pensée Mao Zedong.

Barbara Kistler, communiste suisse ayant rejoint le TKP/ML et tombée dans les rangs de la TIKKO en janvier 1993

C’était là toutefois une erreur majeure que cette réunification, car si l’idéologie était apparemment le même, la démarche était concrètement totalement différente. Le scandale fut alors général lorsqu’il fut découvert que depuis 1989, de hauts cadres du TKP/ML « troisième conférence » agissaient avec la mafia afin de se procurer de l’argent et des armes, en participant au trafic d’héroïne. Des sommes importantes avaient été détournées qui plus est.

La direction avait finalement rejeté la démarche une fois celle-ci réalisée, mais se contenta de simples avertissements.

Les cadres issus du TKP/ML DABK organisèrent alors en réponse une réunion du Comité Central, à laquelle les cadres issus du TKP/ML « troisième conférence » refusèrent de participer, parlant de « putsch » et de « liquidation de la direction ».

En avril 1994, la scission était consommée, avec le TKP/ML DABK se présentant comme le TKP(ML) et accusant l’autre faction de « pragmatique-machiavélique » et de liens avec la mafia, et le TKP/ML « troisième conférence » devenant le TKP/ML et définissant l’autre faction comme putschiste, liquidatrice, avec une mentalité de seigneur de la guerre.

Les tailles des deux organisations étaient relativement similaires ; si la TIKKO du TKP(ML) était plus forte dans la région kurde de Dersim, la TIKKO du TKP/ML était plus présente dans la région de la Mer Noire.

Cependant, la première partie de l’année 1996, le TKP(ML) mena une vague campagne d’épuration de plusieurs mois, dénommée Kardelen Hareketi (Mouvement Perce-neige), interrogeant 23 hauts cadres, en exécutant 8 considérés comme relevant d’une infiltration contre-révolutionnaire.

Ce mouvement fut conduit par Cüneyt Kahraman, né en 1970 et qui sera tué par la répression en 1997.

Le TKP(ML) développa alors une ligne toujours plus en direction du maoïsme, signant régulièrement des communiqués avec le Mouvement Populaire Pérou, l’organisme généré par le Parti Communiste du Pérou pour le travail à l’étranger.

Le TKP/ML se tourna alors quant à lui vers le Parti Communiste des Philippines et les maoïstes en Inde, qui avaient la même lecture pragmatique-machiavélique qu’eux.

Le TKP(ML) ne fut toutefois pas en mesure de maintenir sa ligne initiale, allant dans une perspective nouvelle sous l’impulsion de son dirigeant Cafer Cangöz, né en 1957, qui sera tué en 2005 et aura passé trente années de sa vie comme révolutionnaire professionnel.

Cafer Cangöz avait été emprisonné pendant plus de dix ans, il avait participé à plusieurs grèves de la faim (27 jours en 1983, 50 jours en 1984, 35 jours en 1988, 22 jours puis 45 jours en 1989. Il avait été une figure du TKP/ML DABK et un membre du Comité Central du TKP/ML unifié, avant de devenir le dirigeant du TKP/ML.

Il amena celui-ci à se transformer en 2002 en un Maoist Komünist Partisi / Türkiye – Kuzey Kürdistan (MKP, Parti Communiste Maoïste de Turquie et de Kurdistan du Nord), la TIKKO devenant une Halk Kurtuluş Ordusu (HKO, Armée Populaire de Libération), la TMLGB devient la Maoist Gençlik Birliği (MGB, Union de la Jeunesse Maoïste).

Les positions furent profondément remaniées. Il fut considéré que la scission de 1992 avait été une erreur et que le Mouvement d’épuration s’en étant suivi avait été trop loin ; le TKP/ML DABK est d’ailleurs critiqué comme déviationniste de gauche – militariste.

En même temps, il est considéré que la Turquie était désormais capitaliste et qu’il fallait par conséquent y mener la « guerre populaire socialiste ». L’objectif de cette guerre était par contre une démocratie socialiste multipartite.

Ce dernier aspect reflète la tendance générale au « démocratisme » dans l’extrême-gauche en Turquie, sous le poids de la pression du PKK avec son modèle de société « municipaliste libertaire » dont la région de la Rojava, en Syrie, serait l’exemple.

Cela n’empêche pas la persistance de la logique fractionnelle. Une petite scission se produisit ainsi dès 2002, produisant un éphémère TKP(ML) finissant par rejoindre le TKP/ML.

Le MKP se scinda alors de manière franche en 2013, avec un Maoist Komünist Partisi et un Maoist Komünist Parti ; il arriva la même chose au TKP/ML en 2015, avec un TKP/ML et un TKP-ML, qui s’accusent mutuellement d’être opportuniste de droite.

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Après Ibrahim Kaypakkaya : les déviations pro-Enver Hoxha dans le TKP/ML

Le TKP/ML a réussi à se réorganiser après la mort héroïque d’Ibrahim Kaypakkaya et la vague de répression, mais ce fut très difficile. L’organisation est de nouveau active sous une forme élémentaire à partir de 1974, au moyen d’un comité de coordination des activités régionales ; en 1976 sont publiés le journal légal Halkin Birliği (Unité populaire) et la revue clandestine Proleter Birlik (Unité prolétarienne).

Mais l’année 1976 a pour cadre une situation idéologique particulièrement troublée.

Si en effet l’ensemble des organisations révolutionnaires en Turquie s’appuient inévitablement, d’une manière ou d’une autre, sur les démarches de Kaypakkaya, Mahir Çayan et Deniz Gezmiş, la tendance est à l’éclectisme afin de trouver une voie pour surmonter la défaite initiale, ou du moins l’expliquer.

Une partie du TKP/ML remit ainsi en cause pas moins que l’analyse de la Turquie comme semi-féodale semi-coloniale, reprenant l’idée révisionniste d’une Turquie comme pays dépendant. Cela donna ainsi naissance au groupe Halkin Birliği (Unité du peuple), du nom du journal mis en place.

Il y eut une petite scission, avec un Devrimci Halkın Birliği (DHB, Unité du peuple révolutionnaire), cependant cela aboutit à la mise en place du TKP/ML Hareketi (Mouvement).

Le TKP/ML Hareketi s’éloigna toujours plus de Mao Zedong, jusqu’au rejet définitif au profit d’Enver Hoxha et l’Albanie en 1979. Entre-temps, il avait connu une petite scission donnant naissance à la TKP/ML Yeniden inşa Orgutu (TKP/ML (YIO), TKP/ML Organisation pour la reconstruction). Il fut pratiquement écrasé avec le coup d’État de 1980 et ne réapparaît en tant que tel qu’à partir de 1986, en tant que mouvement et non en tant que parti.

Cette dérive vers la ligne d’Enver Hoxha et l’Albanie était alors tendancielle. On a ainsi eu une frange du THKP-C fondant en 1974 un THKP-C/ML, qui se tourna à partir de 1975 vers la Chine populaire de Mao Zedong. Une grande partie rejoignit cependant la ligne « tiers-mondiste » du TIIKP et rejoignit cette organisation, d’autres minoritaires choisissant de suivre finalement Enver Hoxha et l’Albanie pour former en 1984 le Türkiye Komunist Isci Hareketi (TKIH, Mouvement communiste des ouvriers de Turquie), actif réellement à partir de 1987.

Du côté de la THKO, une partie minoritaire devint pro-soviétique et fondit en 1974 la Mücadele Birlik (Unité dans la lutte), la majorité mettant en place en 1978 une Türkiye Devrimci Komunist Partisi – İnşa Örgütü (TDKP-IO, Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie – Organisation de Construction) numériquement assez nombreux, une fraction formant la Türkiye Ihtilalci Komunistler Birliği (TIKB, Ligue Communiste Révolutionnaire de Turquie).

Ces deux dernières organisations, qui se tournaient tous deux vers Enver Hoxha et l’Albanie, s’affrontèrent militairement ; le TDKP se forma en tant que tel en 1980.

Le coup d’État militaire du 12 septembre 1980 fut alors un coup meurtrier pour toutes ces organisations. Le TDKP agissait ainsi de manière entièrement légale et s’effondra d’autant plus rapidement que ses dirigeants collaborèrent avec la répression.

Le TDKP se réorganisa à partir de 1987, mais connut immédiatement deux départs. Il y eut en 1988 le Türkiye Devrimci Komünist Partisi – Leninist Kanat (TDKP/LK, Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie – Groupement léniniste), qui prit le nom de Ekim (Octobre), puis en novembre 1998 celui de Türkiye Komünist İşçi Partisi (TKOP, Parti Communiste Ouvrier de Turquie).

Et il y eut en 1989 le Türkiye Devrimci Komunist Isci Hareketi (TDKIH, Mouvement Communiste Révolutionnaire des Ouvriers de Turquie), qui dès 1991 rejoignit le TKIH.

Le TDKP, en 1996, devint un parti totalement légaliste sous le nom de Emek Partisi (Parti du Travail).

Le TKP/ML, après les scissions dont le départ du TKP/ML Hareketi en 1976, organisa une première conférence en février 1978, mais connut le départ d’un groupe dénommé « Comité de coordination temporaire » en mai 1980, puis une nouvelle scission à l’organisation de sa seconde conférence, en 1981.

Là encore, il s’agissait d’une tendance pro-albanaise qui s’exprimait. Elle s’était particulièrement organisée en Europe, parmi les réfugiés et les émigrés, et consistait ainsi en une déviation opportuniste-intellectuelle. Cela donna naissance au TKP/ML Bolşevik, qui devint par la suite le Bolşevik Parti (Kuzey Kürdistan-Türkiye) (BP – KKT, Parti Bolchevik de Turquie et du Kurdistan du Nord).

Le TKP/ML Hareketi et le TKIH finirent par la suite par se rapprocher, décidèrent à l’automne 1993 de s’unifier pour former en 1994 le Marksist Leninist Komünist Parti – Kuruluş (MLKP-K, Parti Communiste Marxiste-Léniniste – Fondation). Cela devint le MLKP, alors que participa également désormais au processus le TKP/M-L (YIO), avec une scission dès le départ, le Komünist Parti-İnşa Örgütü (KP-İÖ, Organisation de construction du parti communiste) avec qui la contradiction fut très violente.

Il faut noter ici que les scissions entre organisations révolutionnaires turcs furent parfois effectivement émaillées de violences fractionnelles sanglantes. Il faut également savoir que le Partiya Karkerên Kurdistanê (PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan) en 1978, dont la lutte armée commencée en 1984 eut un succès très important dans les masses kurdes, ciblait sans hésitation également les organisations révolutionnaires considérées comme « concurrentes ».

Les interventions particulièrement violentes ou armées du PKK eurent lieu tant en Europe, notamment à Bâle en Suisse en 1985 contre le TKP/ML, ou encore dans le camp de réfugiés de Lavrion près d’Athènes en Grèce où vivaient 500 réfugiés politiques, que de manière récurrente contre des associations proches du DHKP/C en Turquie durant les années 2000.

Par la suite, tous les mouvements révolutionnaires de Turquie furent en pratique satellisés par le PKK, sauf le DHKP-C s’assumant totalement à l’écart. Le MLKP fut le mouvement qui accepta le plus la satellisation, afin de se poser comme organisation constructive en permanence, ce qui est typiquement la ligne hoxhaiste dans les faits : il faut unifier tout le monde, il faut l’unité à tous les niveaux, etc.,

Pour cette raison, le MLKP rejette idéologiquement le kémalisme, tout en ayant une valorisation unilatérale de tous les courants idéologiques du mouvement étudiant des années 1960, qui somme toute se rejoindraient en fin de compte au-delà des différences pourtant fondamentales.

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Ibrahim Kaypakkaya et la question kurde

Ce qui découle de la remise en cause du kémalisme, c’est une lecture nouvelle de la question kurde. L’une des grandes particularités d’Ibrahim Kaypakkaya, c’est même d’avoir en premier posé la question nationale kurde dans une perspective révolutionnaire.

Pour autant, le soulèvement kurde de la fin des années 1970 sera dirigé par le PKK, à l’extérieur, voire contre le TKP/ML, bien qu’une convergence de fond subsistera grosso modo.

Ibrahim Kaypakkaya a une démarche systématique : dans la mesure où il réfute le kémalisme, il réfute les crimes de celui-ci, et inversement. Voici comment il dénonce ceux qui s’alignent sur la politique anti-kurde menée dès la mise en place de la République de Turquie par Mustafa Kemal :

« Ceux qui applaudissaient la répression des rébellions Kurdes par le nouvel État turc et les massacres qui ont suivi comme étant un mouvement « progressiste » « révolutionnaire » contre le féodalisme sont, purement et simplement, d’incorrigibles nationalistes issus des nations dominantes.

Ce genre de personne ignore le fait que le nouvel État turc ne s’est pas seulement attaqué aux chefs féodaux Kurdes mais aussi à l’ensemble Kurdes, femmes, enfants, hommes, massacrant des dizaines de milliers de villageois.

Ils oublient que le nouvel État turc était amical envers les chefs féodaux qui ne s’y opposaient pas, les soutenaient et les renforçaient. Ils ignorent la différence significative entre les facteurs qui ont poussé les paysans Kurdes à se lever et la raison qui a poussé les chefs féodaux Kurdes à se soulever. »

C’est qu’Ibrahim Kaypakkaya reconnaît la nation kurde. Dans son étude de la question nationale en Turquie, il pose la chose suivante. La direction du TIIKP parle de peuple kurde opprimé, mais en réalité c’est la nation kurde qui est opprimée.

Pour Ibrahim Kaypakkaya, la dimension de la question nationale kurde a été sous-estimée, car on s’imagine que les nations se développent tardivement dans le capitalisme, alors qu’en réalité dès la mise en place d’un marché, il y a un cadre de posé. Il souligne ainsi :

« En outre, les nations émergent à l’aube du capitalisme, pas quand elles atteignent la limite ultime de leur développement.

Quand le capitalisme entre dans un pays, quand il se déplace dans une région, dans une certaine mesure et quand il unit les marchés dans ce pays, dans cette région, dans une certaine mesure, les communautés qui possèdent les autres caractéristiques d’être une nation sont alors considérées comme étant devenues une nation. Si ce n’était pas le cas, il faudrait considérer que toutes les communautés stables dans tous les pays et les régions reculés où le développement capitaliste est limité ne sont pas des nations (…).

Dans cette optique, il faudrait accepter qu’il n’y ait eu absolument aucunes nations en Turquie au cours de ces années. Aujourd’hui le féodalisme existe dans des parties du monde reculées et opprimées, en Asie, Afrique, et en Amérique latine à des degrés divers.

Selon cette logique il faudrait accepter que les nations n’existent pas dans ces régions et pays économiquement arriérés. Il est très clair que la théorie qui prétend que les Kurdes ne constituent pas une nation est un non-sens du début à la fin, contrairement aux faits, et, dans la pratique, nuisible.

Elle est nuisible car une telle théorie est bénéfique seulement pour les classes dirigeantes des nations qui oppressent, exploitent et dominent. Ils pourront ainsi trouver une justification à l’oppression nationale et à la cruauté qu’ils infligent aux nations opprimées, dépendantes et soumises, aux privilèges qu’ils s’octroient et aux inégalités qui en découlent. »

Il y a par conséquent deux aspects à prendre en compte : l’oppression de classe et l’oppression nationale. Il dit ainsi :

« L’oppression nationale utilisée par la bourgeoisie et les propriétaires de la nation dominante pour le “marché “et par la bureaucratie au pouvoir pour des “objectifs de caste” peuvent aller jusqu’à l’usurpation des droits démocratiques et les tueries en masse (c’est-à-dire le génocide). Il y a de nombreux exemples de génocide en Turquie.

L’oppression des travailleurs des peuples minoritaires de cette manière acquiert une double qualité. Premièrement il y a l’oppression de classe utilisée contre les travailleurs afin d’exploiter et d’éradiquer la lutte de classe ; deuxièmement, il y a l’oppression nationale mise en œuvre pour les objectifs mentionnés plus haut contre toutes les classes des nations et des nationalités minoritaires.

Les communistes ont fait la distinction entre ces deux formes d’oppression, parce que, par exemple, tandis que les bourgeois Kurdes et les petits propriétaires s’opposent à la seconde forme d’oppression, ils supportent la première.

En ce qui nous concerne, nous sommes opposés aux deux formes d’oppression.

Afin d’éradiquer l’oppression nationale, nous supportons la lutte de la bourgeoisie Kurde et des petits propriétaires, mais, d’un autre côté, nous devons nous battre contre eux pour mettre un terme à l’oppression de classe. »

Ibrahim Kaypakkaya tient à insister sur le fait que l’oppression nationale n’a pas comme origine l’impérialisme, car celui-ci en profite et l’appuie, mais sa base repose en Turquie, sur la bourgeoisie compradore et les grands propriétaires terriens. Il rappelle comment les puissances impérialistes découpent les pays comme ça les arrange lorsqu’ils sont en mesure de le faire :

« Le Traité de Lausanne a divisé les Kurdes entre les différents États. Les impérialistes et le nouveau gouvernement turc ont fixé les frontières au en marchandant, en violant le droit de la nation Kurde à l’autodétermination et en ignorant ses aspirations et ses désirs. De cette façon, la région du Kurdistan a été divisée entre l’Iran, l’Irak et la Turquie.

À ce stade, passons à un autre point : il est sans aucun doute injuste que le droit du Kurdistan à l’autodétermination ait été piétiné et déchiré en morceaux par le Traité de Lausanne.

Et comme l’a dit le camarade Lénine à une autre occasion, c’est le devoir des partis communistes de protester contre cette injustice et de faire prendre constamment honte à toutes les classes dirigeantes sur ce sujet. »

Cela ne veut cependant pas dire qu’Ibrahim Kaypakkaya se positionne en faveur de l’unité du Kurdistan et son indépendance. Il rappelle que c’est à la nation kurde de faire ces choix, que les communistes prônent le droit à l’auto-détermination, pas l’auto-détermination systématique, forcée.

Il dit ainsi :

« Le mouvement communiste en Turquie est seulement tenu de résoudre de la meilleure façon, la plus correcte, la question nationale dans les frontières de la Turquie. Si les partis communistes en Irak et en Iran trouvent la meilleure solution pour la question nationale du point de vue de leurs propres pays, alors l’injustice historique en question n’aura plus aucune valeur ou plus aucune importance.

Pour nous inclure l’unification de l’ensemble du Kurdistan serait malsain pour cette raison : ce n’est pas quelque chose que nous devons décider. C’est quelque chose que la nation Kurde décidera elle-même.

Nous défendons le droit à l’autodétermination de la nation Kurde, qui est, le droit de créer son propre État indépendant. Nous laissons à la nation Kurde elle-même le soin de décider si elle exerce ce droit ou dans quelles conditions elle l’exerce. »

Tout doit se décider démocratiquement et démocratiquement au moins, la meilleure situation étant celle où les choix se font en fonction des intérêts de la révolution mondiale. Ibrahim Kaypakkaya conçoit ainsi l’hypothèse d’une séparation du Kurdistan turc si jamais la révolution y est plus avancée que dans le reste de la Turquie. Tout doit cependant se décider selon la réalité historique, les exigences démocratiques et les intérêts de la révolution mondiale.

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Ibrahim Kaypakkaya et le pouvoir rouge

Il faut le pouvoir rouge, pour pouvoir affirmer la révolution démocratique, par la révolution agraire qui ouvre la voie à la classe ouvrière et permet l’alliance avec la bourgeoisie nationale.

Cependant, la direction du TIIKP est concrètement opportuniste, elle converge avec le régime, d’où sa ligne se poser ou de s’imaginer se poser en fait dans un cadre urbain stable, considérant que de toutes façons l’urbanisation amène un basculement à terme, que les choses vont s’arranger pour ainsi d’elle-même – il y a toujours cette tendance à attendre le « putsch » des officiers.

De fait, le dirigeant du TIIKP, Doğu Perinçek, passera ensuite des décennies à présenter sa propre position symbolique comme le socle pour tous ceux qui au sein de l’État turc font contre-poids aux États-Unis, dans un idéalisme fantasmatique sur une base nationaliste de gauche.

Dans sa critique du programme du TIIKP, Ibrahim Kaypakkaya note d’ailleurs une chose importante. Déjà, il y a un emploi populiste des termes d’ouvriers et de paysans :

« La désignation de « Parti des ouvriers et des paysans » ne sert en pratique qu’à brouiller la différence marquée entre la démocratie bourgeoise et la démocratie prolétarienne et ainsi à ternir la conscience de classe du prolétariat. »

Mais il y a aussi le fait que le terme « ihtilal » employé par le TIIKP a une connotation marquée. Si le terme « Devrim » se traduit communément par révolution, celui de « ihtilal » a davantage le sens de soulèvement, de coup de force.

Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi :

« Nous devons prendre en compte l’interprétation particulière que le terme « Ihtilalci » a connu dans notre pays au sein du peuple. Le terme « Ihtilalci » est compris en général comme un putsch d’officiers bourgeois.

Les officiers putschistes se nommaient eux-mêmes « Ihtilalci », le peuple a ainsi l’habitude de les assimiler à cela. On parle par exemple du « 27 Mayis ihtilalci » (le « renversement du 27 mai »). Les participants à ce mouvement sont nommés « ihtilalci subaylar » (les « officiers du renversement »). Ismet Inönu est par exemple un vieil « iIhtilalci subay ».

Les soulèvements populaires sont différenciés de ce type de putschisme par le mot « isyan » (soulèvement).

Seyh Bedrettin isyani (le soulèvement de Cheikh Bedreddin [en 1416 avec une perspective mystique panthéiste]), Pir Sultan isyani (le soulèvement de Pir Sultan [dans la seconde moitié du 16 siècle dans une perspective alévie], Baba Ishak isyani (le soulèvement de Baba Ishak [en 1239 comme révolte turkmène]), köylü isyanlari (les soulèvements paysans), Dersim isyani (le soulèvement de Dersim [pendant quinze ans à partir de 1923 dans une région kurde dans les hautes montagnes et suivi d’immenses massacres]), askerkerin isyani (soulèvement des soldats), etc.

Cela rejoint la question démocratique posant la révolution agraire. Le TIIKP n’est pas une bonne base historique pour être dans le cadre nécessaire alors en Turquie, il ne croit pas aux paysans. Et ici Ibrahim Kaypakkaya insiste sur le fait que la question n’est pas celle du nombre de paysans, mais de la nature du régime.

De par la nature semi-féodale d’une Turquie dominée par l’impérialisme, la question démocratique est la clef. C’est cela qui amène au premier plan la question de la féodalité à renverser, et donc la question des paysans.

C’est pourquoi il pose de manière systématisée que la ville est le support des campagnes, et non le contraire. C’est là où le TIIKP montre bien qu’il converge avec un régime dont est attendu une transformation en quelque sorte « naturelle », par un coup d’État des officiers « de gauche » et « patriotiques ».

Ibrahim Kaypakkaya dit ainsi :

« Tant que l’ennemi en tant qu’ensemble a le dessus sur nous, notre politique dans les villes et principalement de « rassembler les forces et de profiter des occasions ». Et, par moments, d’organiser des soulèvements, des replis dans les campagnes.

A côté de cela, il est possible tout d’abord comme soutien à la lutte dans les campagnes, ensuite comme moyen de la défense active contre les agressions réactionnaires, troisièmement comme un des moyens d’accumuler des forces, de mettre en place des actions de guérilla dans les villes.

Tout comme les cambriolages de banque peuvent organiser avec ces buts, à savoir comment l’argent du gouvernement et des réactionnaires peut être exproprié, les ennemis de classe dans les villes peuvent être éliminés.

Par exemple les indicateurs, les officiers fascistes, les policiers pratiquant la torture, les meneurs des organisations fascistes, les patrons tyranniques et leurs aides, les briseurs de grève, les provocateurs, les dénonciateurs, ceux qui exécutent les révolutionnaires et les font être condamnés à mort.

En plus de cela, les liaisons routières et d’informations peut vent être paralysées, les camarades peuvent être libérés des prisons, des sabotages peuvent être menées dans certaines bases militaires et quartiers généraux, commissariats, sièges des organisations fascistes, etc. »

Il tient ici à préciser :

« Si nous approuvons par principe toutes les actions ci-dessous, nous ne perdons à aucun moment de vue que la lutte armée menée pour la révolution agraire doit être principale, et que la lutte dans les villes et toutes les autres formes de lutte lui sont subordonnées. »

Dans sa Critique générale de la direction du TIIKP, Ibrahim Kaypakka formule ainsi onze points résumant sa position :

« 1. Les activités dans les campagnes sont principales, celles dans la ville sont secondaires.

2. La lutte armée est principale, les autres formes de lutte sont secondaires.

3. L’activité illégale est principale, l’activité légale est secondaire.

4. Tant que l’ennemi nous est supérieur au niveau territorial, la défense stratégique est principale.

5. Dans la défense stratégique, l’offensive tactique est principale, la défense tactique secondaire.

6. Dans cette étape de lutte armée dans les campagnes, la guerre de guérilla est principale, les autres formes de lutte secondaires.

7. Dans les villes (les grandes villes), dans la phase de défense stratégique, l’accumulation de forces et l’attente d’opportunités est principale, les autres formes d’organisation secondaires.

8. Dans l’organisation, celle du Parti est principale, les autres organisations sont secondaires.

9. Dans les autres organisations, l’organisation de la lutte armée est principale.

10. La confiance en ses propres forces est principale, s’appuyer sur les alliés est secondaire.

11. Dans notre pays, les conditions de la lutte armée existent. »

Il y a ainsi une nécessité à rejeter les conceptions erronées parlant d’un « développement » capitaliste de la Turquie, car cela forme un obstacle à l’affirmation de la nécessité de la révolution démocratique.

Dans sa critique générale de la direction du TIIKP, il rappelle que :

« Nous devons nous démarquer de manière marquée, expressément, des prétentions révisionnistes et trotskystes disant que l’impérialisme dissout le féodalisme par le développement du capitalisme, et nous devons expressément rendre clair que le rôle véritable que joue l’impérialisme dans les pays arriérés consiste à les coloniser, à mettre les peuples en esclavage, à piller toutes les richesses, à renforcer sur le plan politique la dictature réactionnaire de la bourgeoisie compradore et les grands propriétaires terriens, à mener encore plus à la misère par l’expropriation les paysans travailleurs. »

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Ibrahim Kaypakkaya et la bourgeoisie nationale

Le problème fondamental pour Ibrahim Kaypakkaya, c’est que le Parti qu’il avait rejoint, le Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (TIIKP – Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie), se revendiquait de Mao Zedong, mais s’alignait en pratique sur le révisionnisme du TKP.

Le TIIKP convergeait en effet avec l’interprétation du kémalisme comme bourgeois patriotique.

Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi dans son analyse du kémalisme que :

« Le pouvoir kémaliste n’était pas, comme le prétendant les révisionnistes de la Şafak, une « dictature politiquement indépendante de la bourgeoisie nationale », mais une dictature semi-dépendante de l’impérialisme de la grande bourgeoisie turque ayant un caractère comprador et des grands propriétaires terriens…

L’affirmation des révisionnistes de la Şafak s’oppose tant à la théorie générale du socialisme qu’aux faits dans notre pays. Elle s’oppose à la théorie générale du socialisme, car en règle générale, dans les pays arriérés, une dictature politiquement indépendante de la bourgeoisie nationale n’est plus possible.

Le camarade Mao Zedong a déjà constaté cela en 1926 [dans son Analyse des classes de la société chinoise] :

« Sa plate-forme politique [à la bourgeoisie nationale – I.K.], c’est la création d’un État dominé par une seule classe, la bourgeoisie nationale (…).

Mais la tentative de cette classe de créer un État dirigé par la bourgeoisie nationale est absolument vaine, maintenant que dans le monde se déroule une lutte décisive entre deux forces gigantesques : la révolution et la contre-révolution.

Chacune d’elles a levé un immense drapeau : l’un est le drapeau rouge de la révolution, et c’est la IIIe Internationale qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les classes opprimées du monde ; l’autre est le drapeau blanc de la contre-révolution, et c’est la Société des Nations qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les forces contre-révolutionnaires du monde.

Il se produira inévitablement, à une date très prochaine, une scission parmi les classes intermédiaires : les unes iront à gauche vers la révolution, les autres à droite vers la contre-révolution.

Pour ces classes, la possibilité d’occuper une position « indépendante » est exclue.

C’est pourquoi la conception, si chère à la moyenne bourgeoisie chinoise, d’une révolution « indépendante » où cette classe assumerait le rôle principal n’est que pure illusion. [Souligné par nous – I.K.] »

Les propos du camarade Mao Zedong ont une valeur universelle pour l’époque des révolutions prolétariennes qui a commencé après la grande révolution d’Octobre.

Les révisionnistes de la Şafak [c’est-à-dire la direction du TIIKP] piétinent ouvertement et de manière vile la théorie générale du socialisme, dans la mesure où ils présentent des choses qui sont une « pure illusion » comme la réalité. »

Ibrahim Kaypakkaya, suivant Mao Zedong, dresse alors la conclusion inévitable que la bourgeoisie nationale qui a été mise de côté peut historiquement s’intégrer au processus de révolution démocratique. Il faut pour cela que la révolution agraire soit enclenchée ; le pouvoir rouge fera alors basculer l’Histoire.

Voici comment il présente cela :

« Pourquoi l’alliance avec la bourgeoisie nationale n’est-elle pas possible, avant que le pouvoir politique rouge ait émergé dans un ou plusieurs territoires ?

Parce que la bourgeoisie nationale n’acceptera pas avant cela la direction du prolétariat ; elle persistera de manière opiniâtre sa ligne prête au compromis, capitularde, réformiste, qui n’amènera jamais les masses à la révolution et à la libération.

Cette alliance ne sera pas possible, non pas parce que le prolétariat ne veut pas aller à une alliance avec la bourgeoisie, mais parce que la bourgeoisie n’entend pas aller à une telle alliance. »

Il s’agit d’une stratégie, pas d’une tactique :

« Les communistes distinguent le principal du secondaire lors de l’établissement de leur politique. C’est une chose de la plus haute importance et la condition pour avancer sur la juste voie.

Par exemple, nous disons qu’aujourd’hui la lutte armée est principale, les autres formes de lutte secondaire. Accepter les autres formes de lutte ne rend pas nécessaire de les rendre principales.

Nous disons par exemple également qu’aujourd’hui la lutte dans les campagnes est principale, celle dans les villes secondaires. Accepter la lutte dans les villes ne rend pas nécessaire de la traiter comme principale.

De la même manière, compter sur ses propres forces est principal, compter sur les forces des partenaires d’une alliance est secondaire.

Le front unique est unité avec des contradictions. Chaque contradiction a un aspect principal et un aspect secondaire. L’aspect principal du front unique ce sont les ouvriers et les paysans, l’aspect secondaire c’est la bourgeoisie nationale.

Accepter le front unique avec la bourgeoisie ne signifie pas d’en faire l’aspect principal de la contradiction.

Dans la lutte pour la réalisation du front unique du peuple, les marxistes-léninistes travaillent en première ligne à la réalisation de l’alliance ouvrière-paysanne, ils mettent l’accent dessus.

En seconde ligne, ils portent l’accent sur l’alliance avec la bourgeoisie nationale.

Cela signifie concrètement la chose suivante : en première ligne ils mettent l’accent sur la construction du Parti et de l’armée. »

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Ibrahim Kaypakkaya et la Turquie semi-féodale

Il faut bien comprendre que si Ibrahim Kaypakkaya s’est tourné vers les campagnes, c’est parce que sa grille de lecture lui amène à considérer cela comme une orientation historiquement nécessaire.

En fait, à la base même, il rejette les lignes du mouvement étudiant ayant émergé au début des années 1970 et se considérant comme la « suite » révolutionnaire de la Turquie de Mustafa Kemal, dont les guérillas de la THKO et du THKP-C sont les expressions les plus notables.

Comme il le formule dans sa Critique générale du TIIKP :

« Nous devons tracer une ligne forte et aiguë entre le putschisme bourgeois et la « lutte active » des masses. »

Que dit Ibrahim Kaypakkaya ? Que la Turquie de Mustafa Kemal n’a pas instauré, après l’effondrement de l’empire ottoman, une république par en haut, au moyen d’officiers, d’intellectuels et de grands bourgeois « progressistes », comme le prétendent les révisionnistes du TKP, l’URSS et la majorité du mouvement étudiant révolutionnaire.

Il n’y a pas eu d’indépendance nationale avec une bourgeoisie prenant le pouvoir en étant instauré en haut par l’État, puis ensuite en raison de la faiblesse économique du pays un assujettissement à l’impérialisme américain.

En réalité, le kémalisme qui a remplacé en Turquie le régime de l’empire ottoman a consisté en la prise du pouvoir par la bourgeoisie commerçante en alliance avec les grands propriétaires terriens, en étroite relation avec les forces féodales.

Dans son analyse du kémalisme, Ibrahim Kaypakkaya présente comme suit les forces en présence. Il faut bien remarquer qu’Ibrahim Kaypakkaya souligne qu’il n’y a que deux camps majeurs, tout en mentionnant une troisième force.

Cela est très important, car celle-ci, d’orientation islamiste, va au fur et à mesure prendre le dessus à partir des années 1990. Au moment où Ibrahim Kaypakkaya analyse le pays, la configuration était autre.

« Après la guerre d’indépendance, deux camps politiques se sont formés parmi les classes dirigeantes (la grande bourgeoisie compradore et les grands propriétaires terriens).

Le premier camp s’est formé sur la base de la nouvelle bourgeoisie turque, qui s’est dilatée avec le temps et a continué de développer sa coopération avec l’impérialisme, une partie de la bourgeoisie compradore de la « Ittihat ve Teraki » et la couche supérieure et privilégiée des fonctionnaires et des intellectuels.

[Le Ittihat ve Teraki est le Comité union et progrès, base du mouvement dit jeune-turc prônant la modernisation et la turquification à marche forcée au sein de l’empire ottoman ; il donna effectivement le ton dans le pays de 1908 à 1918, étant notamment à l’origine du génocide arménien.]

Le second camp consistait en une autre partie de l’ancienne bourgeoisie compradore non encore totalement liquidée, une autre partie des féodaux et des grands propriétaires terriens, des usuriers et des marchands en gros spéculateurs, ainsi que des membres de la Cour, du clergé, et des restes de la haute bureaucratie.

La bourgeoisie moyenne à caractère national se plaça du côté du premier de ces camps, dans le [parti] le CHP [Cumhuriyet Halk Partisi, Parti républicain du peuple] et du côté du gouvernement comme force secondaire.

Lorsque les membres du second camp ont eu la possibilité de s’organiser, se sont organisés la Terakkiperver Cumhuriyet Fırkası [TCP, Parti républicain progressiste, interdit en 1925] et la Serbest Cumhuriyet Fırkası [SCF, Parti républicain libéral, interdit en 1930] ; tant qu’elle n’avait pas cette possibilité, elle s’était nichée dans le CHP [de facto le parti unique].

Dans le second camp, il y avait également des partisans du califat et des éléments loyaux à la monarchie (la vieille bureaucratie féodale, des restes de la haute bureaucratie, des religieux, et.). Mais ils ne furent pas ni là ni après des éléments prédominants dans le camp politique auquel ils appartinrent. Ceux-ci consistaient en la grande bourgeoisie compradore avec une partie des grands propriétaires terriens, des usuriers, des marchands en gros spéculateurs, etc.

Ces mêmes éléments loyaux à la monarchie se sont placés comme force secondaire dans le DP [Demokrat Parti, Parti démocrate] et l’AP [Adalet Partisi, Parti de la justice]. Il est connu qu’ils fondèrent par la suite le MNP [Millî Nizam Partisi, Parti de l’ordre national].

Cela signifie que le conflit entre les deux camps dominants se plaçaient fondamentalement sur la base de la république, et comme une lutte de pouvoir entre la grande bourgeoisie compradore et les grands propriétaires terriens, pas entre ceux qui voulaient en revenir au sultanat et à la monarchie et la bourgeoisie républicaine, pas entre la révolution et la contre-révolution.

Cette phase [de la monarchie] appartenait enfin au passé. »

Partant de là, le régime est réactionnaire à la base. La République de Turquie a un régime qui s’est mis en place non pas sur la base d’une révolution, mais a été créé afin de combler le vide institutionnel conformément aux intérêts des couches sociales ayant le dessus dans le rapport de force alors.

Ibrahim Kaypakkaya rappelle ici l’analyse de Staline faite à l’Université Sun Yat-sen de Moscou en 1927 :

« Une révolution kémaliste n’est possible que dans des pays comme la Turquie, la Perse ou l’Afghanistan, où il n’y a pas de prolétariat industriel, ou pratiquement pas, et où il n’y a pas de révolution agraire-paysanne puissante.

Une révolution kémaliste est une révolution de la couche supérieure, une révolution de la bourgeoisie marchande nationale, née d’une lutte contre les impérialistes étrangers, et dont le développement ultérieur est essentiellement dirigé contre les paysans et les ouvriers, contre la possibilité même d’une révolution agraire.

Une révolution kémaliste est impossible en Chine car : a) il y a en Chine un certain minimum de prolétariat industriel militant et actif, qui jouit d’un énorme prestige parmi les paysans ; b) il y a dans ce pays une révolution agraire développée qui, dans sa progression, balaie les survivances du féodalisme. »

On en a la preuve avec le fait que le régime turc dirigé par Mustafa Kemal, a immédiatement entretenu de bons rapports avec des pays impérialistes comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France. Le Parti Communiste a, en accord avec cela, été réprimé et interdit dès sa fondation en 1920, puis autorisé en 1921 et réinterdit en 1925 ; le dirigeant communiste historique Mustafa Suphi fut assassiné en janvier 1921.

Mustafa Suphi

C’est cette substance du régime qui explique la violence effectuée contre les minorités, que ce soit pour s’approprier leurs biens, leur capital, voire pour les éliminer. Les Arméniens, les Grecs et les Kurdes ont été des cibles immédiates, alors le chauvinisme turc a été systématisé à tous les niveaux du régime.

On trouve à l’arrière-plan le rôle essentiel de l’armée ; Ibrahim Kaypakkaya, dans son analyse du kémalisme, définit pour cette raison les choses ainsi :

« La dictature kémaliste est en réalité une dictature militaire. »

Le nouveau régime correspond ainsi simplement aux intérêts nouveaux des couches dominantes alors que l’empire ottoman s’est effondré. Il ne faut pas être trompé par l’instabilité interne, puisque dans la nouvelle bourgeoisie, qui est compradore c’est-à-dire inféodée et intermédiaire de l’impérialisme, il y a une division qui se produit immanquablement.

En effet, l’impérialisme tient à des puissances en compétition et cela se reflète dans la bourgeoisie compradore turque. Une partie se fait happer par l’Allemagne, une autre par le Royaume-Uni, une par la France, etc.

Ainsi, si avant 1935, les fractions liées au Royaume-Uni et à la France avaient le dessus, par la suite ce sera celle liée à l’Allemagne. Cela n’ira pas jusqu’à une participation à la deuxième guerre mondiale, il y aura une remise à plat en 1945 et en 1950 c’est une fraction liée aux États-Unis qui prendra les commandes de la Turquie.

Cela explique le jeu parlementaire après 1946 en Turquie, avec le Cumhuriyet Halk Partisi (CHP, Parti républicain du peuple) et le Demokrat Parti (DP, Parti démocrate) ; auparavant, le CHP était le seul parti ayant le droit de se présenter.

Et les éléments les plus réactionnaires liés à l’empire ottoman en tant que grands propriétaires terriens, spéculateurs, usuriers… se maintinrent à l’écart en essayant de conforter leurs positions ; ce sont eux qui fondirent en 1972 le Millî Nizam Partisi (MNP, Parti de l’ordre national) qui produira toute la scène politique islamiste à prétention réformatrice sous l’égide de Necmettin Erbakan et Recep Tayyip Erdoğan. Ils restent cependant marginaux au niveau de l’État à l’époque d’Ibrahim Kaypakkaya.

Et, le cas échéant, l’armée intervient par des coups d’État si besoin, comme en 1960, 1971 (et 1980).

Dans un tel contexte, il est possible qu’une clique réactionnaire dans l’opposition joue un rôle positif en cherchant à contrer l’évolution du régime, mais cela ne peut être que relatif. Ce fut par exemple le cas lorsque le régime en place s’aligna sur l’Allemagne nazie et alla vers un fascisme encore plus cruel. Ce ne saurait être toutefois une direction de fond, ce que le TKP, le Parti Communiste de Turquie, n’a pas compris.

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Ibrahim Kaypakkaya et l’affirmation de la révolution agraire par la lutte armée

L’enquête menée par Ibrahim Kaypakkaya dans la région de Kürecik aboutit à une conclusion de fond : il se passe quelque chose et il faut en être. Il va synthétiser ce point de vue dans la Critique générale – origine et développement des différences entre le révisionnisme de la Şafak et nous ; Şafak (Aube) étant alors l’organe de la direction du TIIKP.

La ligne d’Ibrahim Kaypakkaya est, au sens strict, la même que celle de Charu Mazumdar en Inde avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). On y trouve la même interprétation : le pays bascule, il y a un espace pour la lutte armée, et la victoire est d’autant plus possible ici que la situation révolutionnaire mondiale est en expansion.

Ibrahim Kaypakkaya

On y trouve la même thèse comme quoi il n’est pas la peine d’attendre que le Parti soit organisé dans tout le pays ; pareillement, il est considéré que le pouvoir rouge peut exister malgré l’existence d’un État central stable, la situation semi-féodale semi-coloniale permettant d’aller suffisamment de l’avant pour faire basculer les choses.

On y trouve également la même clef pour y parvenir justement : l’élimination des ennemis de classe dans le cadre de la révolution agraire, en poussant éventuellement les retranchements jusqu’aux villes.

Ibrahim Kaypakkaya, dans la Critique générale, souligne ainsi que :

« Dans notre pays, la lutte armée doit principalement avoir comme objectif de renverser l’autorité locale et centrale dans les campagnes, d’instaurer le pouvoir des paysans sous direction du prolétariat.

La forme de cette lutte dans la phase actuelle est la guerre de guérilla.

L’activité guérillera consiste en l’élimination des propriétaires terriens, des bureaucrates ennemis du peuple, des dénonciateurs, des usuriers, leur punition de différentes manières, l’expropriation de leur argent et de leurs armes, ainsi que l’attaque sur un tas de cibles vivantes et non vivantes.

Et c’est l’affaiblissement, le démantèlement et ensuite le renversement de l’autorité réactionnaire, et à sa place l’instauration de l’autorité révolutionnaire ! »

C’est la raison pour laquelle Ibrahim Kaypakkaya admet le pillage de banques et les enlèvements comme formes possibles de la lutte armée ; en fait, il prend totalement le contre-pied de la direction du TIIKP. Ce dernier en effet pose comme condition préalable qu’il soit présent dans tout le pays, qu’il y ait un congrès socialiste au niveau national pour unifier les forces.

Les événements des 15 et 16 juin 1970 avaient été un déclencheur de cette question de la nature de la rupture nécessaire. Une nouvelle loi anti-syndicale avait amené une mobilisation massive de la classe ouvrière ; à Istanbul, la répression fit plusieurs morts et la loi martiale fut déclarée dans le pays pour deux mois. L’armée prit également l’initiative par la suite de faire un coup d’État en mars 1971.

Il était évident, au vu des événements, que le TIIKP espérait une sorte d’union des forces de gauche et ne cherchait pas le combat révolutionnaire, mais simplement à se placer en ce sens de manière opportuniste.

Un rassemblement du TIIKP

Les faits vont entièrement donner raison à Ibrahim Kaypakkaya, puisque la direction à laquelle il s’opposait va ensuite chercher le plus à se protéger, quitte à s’aligner sur le régime, à adopter le nationalisme, à dénoncer les activistes de gauche en fournissant leurs noms et adresses y compris dans l’illégalité, etc.

Ibrahim Kaypakkaya, à rebours de la ligne de la direction du TIIKP, met en avant les trois armes du peuple : le Parti Communiste, l’armée populaire sous direction du Parti, le front unique du peuple.

Pour lui, il existe la possibilité historique, comme cela est présenté dans la Critique générale, de transformer les villages arriérés en « forteresses militaires, politiques, économiques et culturelle de la révolution ». L’absence de développement réel dans les campagnes permet aux révolutionnaires de les transformer en bases pour affronter un ennemi dont le fondement tient aux grandes villes.

La clef est ainsi la lutte armée, à mener le plus rapidement possible ; c’est la guérilla qui déclenche le processus à condition que le Parti l’assume et l’oriente, se transformant et se forgeant par là même :

« Le nœud central qui doit être saisi pour la mise en place du pouvoir politique rouge, c’est la construction du Parti et de l’armée dans la lutte armée ».

C’est le sens de la démarche de la mise en place au sein du TIIKP, en février 1972, du Dogu Anadolu Bölge Komitesi (DABK, Comité Régional d’Anatolie Orientale). C’est la fraction rouge dirigée par Ibrahim Kaypakkaya, qui se rebelle contre la direction révisionniste du TIIKP, mais assume également la rupture avec la majorité de ce parti qui s’est aligné sur elle.

Pour le DABK :

« Le combat révolutionnaire dans notre pays a atteint un point si important que désormais un courant, même s’il se présentait comme mouvement communiste, qui ne prendrait pas la voie de la lutte armée sera [forcément] isolé des masses. »

C’est le DABK qui amènera, le 24 avril 1972, à la constitution du TKP/ML et de la TIKKO.

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Ibrahim Kaypakkaya et la lecture de l’enquête dans la région de Kürecik

Lorsque Ibrahim Kaypakkaya mène son enquête dans la région de Kürecik en octobre 1971, il ne part pas de rien. En effet, la THKO avait déjà mené de la propagande précisément dans la zone étudiée, alors que trois de ses membres, Sinan Cemgil, Alparslan Özdoğan et Kadir Manga furent tués par la police lors de leurs préparatifs pour attaquer le radar américain. Cela a donné naissance à une véritable effervescence révolutionnaire.

Ibrahim Kaypakkaya constate ainsi que les bergers sont les plus favorables à la lutte armée paysanne, qu’ils ont aidé la THKO, qu’ils connaissent parfaitement le terrain, les grottes et les cachettes.

Il note que la grande majorité des paysans sont pauvres et endettés, qu’ils doivent s’expatrier même au moins temporairement quand ils ne rejoignent pas une ville ou l’Allemagne. Il dit d’elle :

« Cette couche a un fort désir de révolution et de lutte armée ; elle se moque de toutes les vues réformistes et bourgeoises. Ce sont les principales forces sur lesquelles nous nous appuierons dans les zones rurales. Leur destin et leur émancipation sont fermement et indissolublement liés au destin et à l’émancipation du prolétariat. »

Il y a également les paysans moyens, dont la partie la plus pauvre va dans le bon sens :

« La classe supérieure des paysans moyens sympathise également avec la révolution. Cependant, cette section ne donne pas beaucoup de probabilité aux ouvriers et aux paysans qu’ils puissent réussir par la lutte armée. Ils sont souvent influencés par le réformisme bourgeois.

Ils sont très curieux de savoir s’il y a des officiers dans l’armée qui prennent notre parti, et ils comptent sur eux. Ils voient les classes dirigeantes comme plus fortes qu’elles ne le sont et le peuple comme plus faible qu’elles ne le sont.

De telles opinions sont particulièrement courantes chez ceux qui ont de bonnes chances de rejoindre les rangs des paysans riches.

À l’avenir, lorsque la vague de la révolution grandira et grossira, cette section des paysans moyens rejoindra également les rangs de la révolution, libre de toute indécision. »

Les paysans riches ne forment eux que 1 % des familles paysannes de la zone et ne forment pas un obstacle majeur.

Ibrahim Kaypakkaya

Ibrahim Kaypakkaya note également qu’à l’époque de l’empire ottoman, il y avait des départs pour les montagnes de rebelles attaquant les aghas, c’est-à-dire les fonctionnaires de la cour du Sultan.

Ces derniers ont réussi à maintenir une influence jusque les années 1950 ; il y a également les forces religieuses qui ont une action néfaste encore dans plusieurs villages de religion sunnite, les autres étant alévies et à l’abri de cet aspect.

20 des 21 villages sont également kurdes, mais ont connu une large intégration dans l’identité turque.

Ibrahim Kaypakkaya formule alors, au vu de ce bilan, ainsi la substance de son enquête :

« Les principales caractéristiques économiques, sociales et politiques de la région dans laquelle nous opérons sont les suivantes :

1) Le capitalisme commercial dans la région s’est développé rapidement, surtout ces dernières années, et les biens des monopoles impérialistes et des grands capitalistes collaboratifs ont été amenés dans les villages, et les biens des paysans ont été déplacés vers le marché en nombre croissant chaque année. Journée. Cette évolution a conduit à l’exploitation impitoyable, à la faillite et à la misère des paysans par les monopoles impérialistes, les bourgeois collaborationnistes et une masse de marchands intermédiaires.

2) D’autre part, la division sociale du travail dans la production n’est pas encore réalisée ; c’est-à-dire le système dans lequel les propriétaires fonciers ou les bergers qui achètent la force de travail d’une part et les ouvriers et semi-travailleurs qui gagnent leur vie en vendant leur force de travail d’autre part, ne pourraient pas être réalisés. Il n’y a pas encore de branche de production dans laquelle la production est faite spécialement pour le marché. Le capitalisme est à un niveau très arriéré et primitif. Les paysans riches sont nouvellement formés et ils exploitent et font prospérer la masse des paysans non par le travail salarié mais par la dette portant intérêt.

3) Les paysans pauvres et de la classe moyenne de la région subissent des pressions nationales et religieuses ainsi que des pressions économiques. Pendant des années, les villageois ont courageusement résisté à l’oppression dans les trois régions et ont traversé d’importantes luttes.

4) La grande masse de paysans (paysans pauvres et de la classe moyenne, même la classe inférieure des paysans riches) qui sont volés et exploités jusqu’à l’os avec des profits commerciaux élevés et des intérêts sur la dette forment les forces de la Révolution démocratique populaire et prennent rapidement leur place dans les rangs de la lutte révolutionnaire. Les faiseurs d’intérêts, certains paysans riches, les commerçants profiteurs, le clergé réactionnaire, les fonctionnaires corrompus, corrompus et tyranniques, plus indirectement les grands capitalistes collaboratifs et l’impérialisme américain sont les ennemis des paysans et forment la contre-révolution.

5) Dans la région où nous opérons, il n’y a presque pas d’autorité locale. Comme dans les plaines d’Urfa, Mardin, Diyarbakir, il n’y a pas de forces spéciales ni de gardes du corps des réactionnaires locaux pour faire pression sur les villageois. Les réactionnaires maintiennent leur domination sur les paysans en s’appuyant directement sur l’autorité de l’État (gendarme, commando et organisation policière, militaire).

Par conséquent, la politique de « l’extermination des ennemis de classe » pour la prise du pouvoir ne peut pas être la politique principale dans cette région. La lutte pour le pouvoir doit être menée directement contre les forces de l’État (c’est-à-dire contre l’autorité centrale). »

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Ibrahim Kaypakkaya et l’enquête dans la région de Kürecik

En octobre 1971, Ibrahim Kaypakkaya publia le résultat d’une enquête menée dans la région de Kürecik, dans la province de Malatya dans le sud-est de la Turquie. C’est une région plutôt montagneuse, pour cette raison l’armée américaine y avait placé un radar visant l’URSS dans les années 1960, l’OTAN y installant ensuite un nouveau radar en 2012.

La zone étudiée par Ibrahim Kaypakkaya était un sous-district, avec 21 villages, qui sont éloignés les uns des autres par une heure de marche ; son objectif était de faire comme Mao Zedong et de procéder à un panorama des classes en présence.

Ibrahim Kaypakkaya

La raison de cela est que, dans les rangs du Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (TIIKP – Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie), il s’opposait à la ligne de la direction qui était, somme toute, dans l’attente d’un coup d’État qu’il imaginait pro-bourgeois et anti-monopoliste.

Ibrahim Kaypakkaya, qui se plaçait sur le terrain des enseignements de Mao Zedong, considérait qu’une telle ligne était une convergence avec le réformisme, avec le révisionnisme du Parti Communiste de Turquie, et qu’au contraire qu’il fallait partir de la lutte armée contre le féodalisme.

Il constate de la manière suivante la difficulté de son entreprise d’enquête :

« Quelle est la mesure pour distinguer les classes les unes des autres dans la région ?

Est-ce la taille du terrain possédé, le nombre d’animaux, ou le nombre de poiriers, par exemple, ou autre chose ?

Constatons tout d’abord que les classes de cette région ne sont pas encore séparées les unes des autres par des lignes définies.

Comme nous l’avons vu en Égée et en Thrace, les paysans riches (la bourgeoisie villageoise) qui exploitent les paysans par le travail salarié ne sont pas très courants.Une pauvreté généralisée s’est emparée de la grande majorité des villageois (estimée à plus de 90%).

Parmi eux, il y a ceux qui sont dans une très mauvaise situation, ceux qui sont relativement mieux, etc., naturellement.

Deuxièmement, disons ceci : Il n’y a pas de propriétaire terrien dans cette région, qui exploite les villageois par la subsistance, le métayage, la corvée et des moyens similaires, comme on le voit dans les plaines d’Urfa, Mardin et Diyarbakir. Les paysans sont généralement de petits producteurs « libres ».

Troisièmement, disons qu’aucun des aspects de la production sociale n’est encore devenu fondamental en montrant un développement sérieux.

En d’autres termes, ni l’agriculture de plein champ, ni l’élevage et l’agriculture de produits animaux, ni l’arboriculture fruitière ne constituent la production principale. Tous ces éléments sont menés ensemble et à peu près dans la même mesure, et semblent être d’égale importance.

Parmi eux, l’agriculture relativement arable et l’élevage ovin et caprin sont au premier plan, mais il n’y a pas de développement sérieux dans ces zones (ni dans l’une ni dans l’autre). Par conséquent, ni la taille du terrain ni le nombre d’animaux ne constituent à eux seuls une mesure précise pour distinguer les classes les unes des autres.

En raison du terrain montagneux, les terres sont stériles, stériles et vallonnées ; il est presque impossible d’utiliser des véhicules modernes tels que des tracteurs et des moissonneuses, il n’y a pas d’agriculture centrifuge.

Le fait que l’agriculture de champ ne se soit pas développée et ne soit pas devenue la principale direction de la production sociale est dû à cet état défavorable de la terre. Même dans les sols les plus fertiles, le rendement dépasse rarement cinq pour un.

Par conséquent, même les familles possédant plus de 100 acres de terre ne peuvent souvent pas gagner leur vie et sont obligées de vendre leur force de travail. Il y a de telles familles que bien que leur terre atteigne 200 acres, elles peuvent à peine gagner leur vie. En fait, il quitte volontairement certaines de ces terres, sans les cultiver, car il ne peut pas obtenir la récompense de son travail sur la terre qu’il travaille. »

On a compris qu’on était dans une estimation d’arriération profonde, avec des échanges très faibles, une absence de différenciation que justement le capitalisme développé systématise. Ibrahim Kaypakkaya dit ainsi :

« Le revenu annuel d’une famille paysanne donne une idée assez précise de la classe à laquelle elle appartient, et il est beaucoup plus facile à calculer que ce qui précède (quantité de terre, nombre d’animaux, nombre de poiriers).

Quatrièmement, disons ceci : le commerce entre chaque jour un peu plus dans la vie des paysans. Les besoins les plus élémentaires des villageois sont de plus en plus satisfaits chaque jour par le marché (…).

Radio, magnétophone, tourne-disque, horloge sont entrés dans de nombreux foyers. Le thé fait partie des biens de consommation normaux depuis un certain temps. Les besoins en légumes sont largement satisfaits par le marché. Le blé alimentaire manquant est acheté au marché, etc.

L’artisanat décline et s’effondre. D’autre part, une partie des produits fabriqués par les villageois sont acheminés vers le marché dans des proportions de plus en plus importantes. Les choses que les villageois vendent le plus au marché sont les animaux (moutons, chèvres) et les poires. Outre cela, certains produits animaux (comme le feutre de laine, l’huile, le fromage) sont également vendus en petites quantités.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Cela signifie que les paysans sont de plus en plus exploités par le capital commercial, poussés à la faillite et à la misère.

D’une part, les paysans sont exploités par les marchands intervenant alors qu’ils se procurent leurs nécessités au marché, et d’autre part, par les marchands d’animaux et de poires tout en vendant leurs marchandises.

Parmi les paysans, ceux qui sont plus ou moins riches, ceux qui ont un surplus d’argent, se lancent généralement dans les affaires. Les biens des monopoles impérialistes et des capitalistes collaborationnistes passent entre les mains des paysans avec des profits commerciaux élevés. D’autre part, par exemple, les poires sont achetées aux villageois pour 60-75 cents le kilo et vendues sur le marché pour 200-350 cents.

Cinquièmement, disons ce qui suit : Les villageois dont les revenus ne suffisent pas à subvenir à leurs besoins sont également de plus en plus endettés. Les banques n’accordent que peu ou pas de prêts à qui que ce soit d’autre qu’aux paysans riches, qui constituent une très petite minorité. Ils doivent emprunter de l’argent à des paysans riches qui ont de l’argent. L’intérêt de la dette est en moyenne de 5% par mois. C’est 60% par an (…).

Sixièmement, disons ceci : la masse de paysans exploités par de hauts profits commerciaux et des intérêts de prêt, poussés à la faillite et à la misère, fait de la plupart d’entre eux des « expatriés ».

La plupart des villageois travaillent comme ouvriers du bâtiment, porteurs, mendiants et surtout colporteurs à Antep, Adana, Istanbul et Antalya. »

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Ibrahim Kaypakkaya et la « Révolution nationale démocratique »

Si Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan que Deniz Gezmiş ont la même origine contextuelle, leurs positions étaient toutefois extrêmement différentes. Concrètement, tous les courants issus de la gauche née en 1968 en Turquie se sont placés dans la perspective de la « Révolution nationale démocratique », sauf Ibrahim Kaypakkaya et le TKP/ML.

Ce sont THKP/C de Mahir Çayan et la THKO de Deniz Gezmiş qui ont ici formulé les conceptions les plus développées de la « Révolution nationale démocratique ».

Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan, Deniz Gezmiş

Mahir Çayan considérait la Turquie comme victime du néo-colonialisme. L’ancien colonialisme avait été abandonné et l’impérialisme maintenait la Turquie sous son joug. Le régime parvenait à se maintenir au moyen d’un équilibre artificiel entre l’oligarchie au service de l’impérialisme et les larges masses.

Cela permettait d’acheter une forme de paix sociale, de réaliser une modernisation relative du pays et de disposer d’un agrandissement du marché national. Une clef pour cela était une sorte d’alliance entre la bourgeoisie nationale réformiste et la bourgeoisie vendue à l’impérialisme.

Mahir Çayan explique les choses ainsi :

« Parce que le capitalisme monopoliste ne s’est pas développé dans notre pays par sa propre dynamique interne et aussi parce que la bourgeoisie monopoliste autochtone est née dans la fusion avec l’impérialisme, notre but stratégique est la révolution anti-impérialiste et anti-oligarchique.

(Le concept de révolution anti-impérialiste et anti-oligarchique ne se distingue guère de la Révolution Nationale Démocratique dans les termes. Mais elle détermine un contenu essentiellement plus profond et une qualité différente. Parce que cette notion désigne la forme d’occupation impérialiste de la troisième crise impérialiste, elle est donc plus adéquate. La notion de Révolution Nationale Démocratique caractérise généralement la période durant laquelle les anciennes méthodes d’exploitation impérialiste s’exerçaient.)

Avant la seconde guerre de partage [la seconde guerre mondiale], le féodalisme était représenté par la classe dominante des pays arriérés abandonnés par les partenaires de l’alliance impérialiste, comme conséquence aux méthodes d’exploitation modernes.

(La bourgeoisie moderne n’est rien d’autre que le prolongement de l’impérialisme.)

Comme on l’a déjà montré dans la deuxième partie, le contrôle et la présence pratique de l’impérialisme était généralement confiné aux territoires maritimes, aux ports, aux endroits stratégiques et aux centres de communication principaux.

L’autorité centrale était très faible, les trois quarts du pays et de la population étaient sous le contrôle de petites villes féodales rivales entre elles.

Le capitalisme n’étant pas prédominant, l’urbanisation, les transports et les communications n’étaient pas très développés.

L’impérialisme était pour le pays un symptôme externe et le processus social était féodal.

C’est pourquoi la contradiction principale s’établissait entre les régions féodales faibles, qui contrôlaient les trois-quarts du pays et de la population, et les paysans qui vivaient une situation de semi-servage (…).

Cependant, dans la troisième période de crise impérialiste, le processus social n’est pas féodal dans des pays comme le nôtre.

Et l’impérialisme n’est plus un symptôme externe. Le fait que les rapports de production impérialistes aient imprégné totalement le pays a amené en même temps l’impérialisme à devenir interne.

Les autorités régionales faibles ont fait place à l’État oligarchique en même temps qu’à l’impérialisme.

Aussi l’impérialisme mène-t-il, dans ces pays, toutes sortes d’interventions, quand il le juge nécessaire, depuis la succession au pouvoir des diverses fractions de l’oligarchie jusqu’à la direction de la politique de répression exercée contre le peuple, à l’aide d’organisations comme la CIA, le FBI et d’autres.

De plus, dans cette époque de force de frappe nucléaire, le contrôle impérialiste sur ces pays n’est plus seulement économique mais aussi politique et militaire.

Par exemple, en Turquie (qui fait partie de l’OTAN), l’impérialisme américain a créé une véritable hégémonie, du contrôle de la direction du diktat oligarchique jusqu’à l’économie du pays (la mentalité de l’occupation masquée).

C’est pourquoi il est pratiquement impossible de séparer par une ligne stricte les classes dominantes de notre pays et l’impérialisme américain.

Dans notre pays la contradiction principale se situe entre l’oligarchie et le peuple (dans la pratique la contradiction se place entre les avant-gardes révolutionnaires du peuple et l’oligarchie).

Comme l’impérialisme prend directement place au sein de l’oligarchie, la guerre révolutionnaire ne sera pas uniquement menée à un niveau de classe.

La guerre va se dérouler au niveau national et au niveau de classe. »

En ce sens, Mahir Çayan accorde une valeur positive à Mustapha Kemal et à la fondation de l’État turc après la première guerre mondiale. Pour lui, il s’agit d’un épisode de libération nationale dirigée par l’aile la plus à gauche de la petite-bourgeoisie ; à ses yeux, il faut prolonger le kémalisme originel.

Par conséquent également, la voie révolutionnaire – il parle de « révolution ininterrompue » – vise à agrandir au maximum la séparation entre l’oligarchie et le reste du pays. Pour ce faire, il prône une propagande armée combinant villes et campagnes, dénommée « stratégie militaire politisée de combat » (PASS).

La guérilla urbaine est le point de départ, car elle permet la propagande armée ; vient ensuite la guérilla rurale, permettant les démonstrations de force. Pour ces deux phrases, la dimension propagandiste, symbolique, joue le rôle principal.

Au fur et à mesure se produit alors selon Mahir Çayan une accumulation de forces et le renversement du régime. Tout ce processus a une portée à la fois patriotique et révolutionnaire, d’où le caractère de l’organisation comme Parti se combinant directement à un Front.

Deniz Gezmiş considérait pareillement que Mustapha Kemal avait accordé l’indépendance à la Turquie, mais qu’elle avait perdue sous l’effet du néo-colonialisme. Il mettait toutefois de côté la question du Parti, tout comme l’idée d’une propagande armée, pour considérer qu’il fallait simplement lever une armée populaire contre l’impérialisme, en se fondant sur les campagnes, où les grands propriétaires terriens étaient vus comme une anomalie issue de la situation d’oppression nationale.

On lit dans le programme politique de la THKO, de l’armée populaire de libération de la Turquie :

« 1. Mettre fin à la politique d’exploitation et d’oppression, économique, politique, militaire et culturelle de l’impérialisme nord-américain et de ses laquais.

2. Continuer la lutte armée qui adopte la politique de violence, le niveau le plus élevé des méthodes de lutte politique, comme méthode fondamentale de lutte politique dans notre Turquie qui possède une économie capitaliste semi-dépendante et sous-développée sous l’hégémonie de l’impérialisme (…).

Le THKO appelle toutes les classes et les couches patriotiques, opprimées et exploitées, à la lutte anti-impérialiste. Notre devoir le plus sacré est de lutter contre les États-Unis et la poignée de traîtres à leurs ordres qui sucent ensemble notre sang. »

Ibrahim Kaypakkaya avait ici un point de vue entièrement différent, rejetant formellement Mustapha Kemal et accordant la primauté à l’idéologie. Surtout, il considérait que la question féodale était la clef de voûte de la contre-révolution. Il ne s’agissait pas de mener une « Révolution nationale démocratique », mais une révolution démocratique.

La question nationale, principale pour les courants guévaristes, était secondaire pour Ibrahim Kaypakkaya, dans la mesure où c’est le maintien d’une forme de féodalisme qui permettait la domination impérialiste, et non l’inverse.

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Ibrahim Kaypakkaya et l’arrière-plan contestataire en Turquie

Ibrahim Kaypakkaya avait rejoint en 1967 la Fikir Kulüpleri Federasyonu (Fédération des clubs d’idées), qui était depuis sa fondation en novembre 1965 le paravent de la jeunesse contestataire se plaçant en phase avec les événements révolutionnaires mondiaux, avec par ailleurs une influence significative du mai 1968 français.

Le dirigeant de cette fédération était Doğu Perinçek, né en 1942 et le chef de file des étudiants se tournant vers Mao Zedong. La Fédération des clubs d’idées était toutefois un mouvement protéiforme, faisant se rejoindre l’ensemble des jeunes révolutionnaires de Turquie.

On ne peut pas comprendre la démarche d’Ibrahim Kaypakkaya sans comprendre en quoi elle est justement une rupture avec l’ensemble de ce mouvement.

Ibrahim Kaypakkaya

On trouve à l’arrière-plan de tout cela deux figures importantes, la seconde jouant alors un rôle central historiquement.

On a en effet Hikmet Kıvılcımlı ; né en 1902, il avait fait partie du comité central du Parti Communiste de Turquie et apportait à la fois une continuité et une légitimité (mort en 1971, il aura au total passé plus de 22 ans en prison en Turquie).

On avait également Mihri Belli, né en 1915 et lui aussi un ancien membre du comité central du Parti Communiste de Turquie. Il avait également rejoint pour toute une période la guérilla en Grèce après 1945, où il fut commandant de bataillon, étant même blessé par deux fois.

Mihri Belli

Ces deux figures, qui étaient partie prenante du milieu des jeunes étudiants révolutionnaires, avaient rompu avec le Parti Communiste de Turquie afin de promouvoir une ligne dite celle de la « Révolution nationale démocratique ».

Mihri Belli, le principal théoricien ici, justifiait la nécessité de la « Révolution nationale démocratique » par le fait que la Turquie n’était pas mûre pour le socialisme et que le kémalisme n’avait pas fini de réaliser le passage à l’indépendance réelle.

Cela heurtait de plein front la dynamique en cours au sein du Parti Communiste de Turquie, qui cherchait à intégrer en douceur le paysage politique turc.

En fait, il avait été interdit en 1946 et connaissait une sévère répression, il s’organisait très difficilement alors que depuis le départ sa base connaissait troubles et scission ; le révisionnisme du social-impérialisme soviétique s’imposa de ce fait assez aisément de par la complexité non gérée de la situation.

Le Parti Communiste de Turquie bascula ainsi ouvertement dans une ligne humaniste-réformiste en utilisant comme vecteur le Türkiye İşçi Partisi, le Parti des Travailleurs de Turquie (TIP). Les tenants de la « Révolution nationale démocratique » virent leur ligne battue en 1965 et furent eux-mêmes expulsés en 1966.

Ils formèrent alors en novembre 1967 la revue Türk Solu (Gauche turque), qui propagea les principes de la « Révolution nationale démocratique ». Parallèlement à cela, la Fédération des clubs d’idées devint le centre névralgique de tous ceux attirés par les principes révolutionnaires dans la perspective d’une « Révolution nationale démocratique ».

Un organe de presse joua ici le rôle principal : Aydınlık (clarté, lumières, lumineux, etc.). Cette revue avait été fondée en novembre 1968 comme porte-voix de la contestation étudiante et on y trouvait alors toutes les nuances et variétés de l’époque, avec d’un côté les deux figures du courant de la « Révolution nationale démocratique » au sein du Parti Communiste de Turquie, Mihri Belli et Hikmet Kıvılcımlı, et de l’autre des jeunes activistes aux approches aussi différentes que Doğu Perinçek, Vahap Erdoğdu, Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan, Deniz Gezmiş.

Car, si tout le monde était d’accord sur le principe d’une « Révolution nationale démocratique », il existait des variétés très grandes dans la stratégie proposée.

On avait en effet des tenants de Mao Zedong dans une lecture tiers-mondiste, des tenants de Mao Zedong avec une lecture tendant au maoïsme, des partisans de l’approche de Guevara en mode urbain ou paysan, des partisans d’un coup d’État militaire par les jeunes officiers (dont certains appartenaient au mouvement).

Maintenir ensemble des gens avec une approche si différente n’était pas possible, et ce d’autant plus qu’en mai 1969 Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie), rassemblant les tenants de Mao Zedong. Son dirigeant était Doğu Perinçek, le dirigeant de la Fédération des clubs d’idées.

Les membres du Comité Central furent Doğu Perinçek, Vecdi Özgüner, Hasan Yalçın, Ömer Özerturgut, Gün Zileli, Mehmet Altun et Oral Çalışlar, avec comme suppléants Bora Gözen, Ferit Ilsever, Halil Berktay et Ibrahim Kaypakkaya (qui seul assumera ensuite la ligne rouge, les autres assumant le nationalisme ou émigrant).

Cette initiative fut réfutée par les autres courants, ce qui amena un double effondrement.

En octobre 1969 eut ainsi lieu une scission majeure au sein de la fédération des clubs d’idées donnant naissance à la Türkiye Devrimci Gençlik Federasyonu (Fédération de la Jeunesse Révolutionnaire de Turquie), plus communément connue sous le nom de Dev-Genç (Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire).

Dev-Genç eut un succès important, ses dirigeants étaient Münir Ramazan Aktolga et Mahir Çayan, qui dans la foulée fondèrent le mouvement armé nommé Türkiye Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi (Parti – Front populaire de libération-Front de Turquie – THKP-C).

Puis, une scission se produisit au niveau d’Aydınlık, en avril 1970, avec la formation de deux organes :

Proleter Devrimci Aydınlık (Aydınlık prolétaire – révolutionnaire) rassemblant au sens large les partisans de Mao Zedong ;

Aydınlık Sosyalist Dergi (revue socialiste Aydınlık), avec notamment Mihri Belli, Mahir Çayan et Deniz Gezmiş.

Deniz Gezmiş fondera également dans la foulée une organisation armée, la Türkiye Halk Kurtuluş Ordusu (Armée populaire de libération de Turquie – THKO).

C’est dans ce contexte que, de son côté, Ibrahim Kaypakkaya considérera que la direction du TIIKP était opportuniste, d’où la fondation du TKP/ML.

Ainsi, au tout début des années 1970, la jeunesse étudiante contestataire donna naissance à trois mouvements majeurs dans le contexte : le THKP-C, la THKP, le TKP/ML, alors qu’eut lieu un coup d’État en Turquie en mars 1971.

Tant Ibrahim Kaypakkaya, Mahir Çayan que Deniz Gezmiş, les trois icônes révolutionnaires en Turquie, avaient bataillé contre la visite de la 6e flotte américaine en Turquie.

Tous trois avaient fondé une organisation révolutionnaire, et tous trois tombèrent en martyr : Mahir Çayan (né en 1946) le 30 mars 1972, Deniz Gezmiş (né en 1947) le 6 mai 1972, Ibrahim Kaypakkaya (né en 1949) le 18 mai 1972.

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Ibrahim Kaypakkaya et le mouvement révolutionnaire en Turquie

Ibrahim Kaypakkaya est la principale figure du communisme en Turquie au début des années 1970.

Né en 1949 – à une date inconnue – il est mort très jeune, le 18 mai 1973, sous la torture alors qu’il était le dirigeant du Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist (TKP/ML, Parti Communiste de Turquie / Marxiste-Léniniste) qui avait généré une organisation armée, la Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu (TIKKO, Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie).

Ibrahim Kaypakkaya ne révéla rien des structures du TKP/ML et de la TIKKO après son arrestation, malgré soixante jours de torture.

Ibrahim Kaypakkaya

Issu d’une famille de paysans pauvres de religion alévie – une variante musulmane chiite libérale-sociale – du village de Gökçam, au centre de la Turquie, il réussit l’examen d’entrée de l’institut de formation des maîtres d’école du quartier de Çapa à Istanbul, puis s’inscrivit dans cette ville à l’université de physique en 1965, dont il fut exclu en novembre 1968 pour l’organisation d’une protestation contre la visite de la 6e flotte américaine en Turquie.

Il était devenu en mars de la même année le dirigeant la fédération des clubs d’idées de son université, qu’il avait rejoint en 1967 ; il rejoignit alors les rangs du Türkiye İhtilâlci İşçi Köylü Partisi (TIIKP, Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie) qui formait une composante d’orientation « pro-chinoise » de ce mouvement.

Cependant, le TIIKP ne parvenait pas à s’arracher à la tendance dominante dans le mouvement étudiant, qui était de considérer que, somme toute, la Turquie avait connu une réelle indépendance dans le prolongement de l’effondrement de l’empire ottoman, et que les problèmes réels ne surgissent qu’après 1945, avec la domination américaine.

Le mouvement étudiant contestataire qui émergeait de manière massive dans les années 1960 se donnait ainsi comme tâche la « Révolution nationale démocratique » : il fallait finir le travail commencé par Mustafa Kemal lorsqu’il « instaura » la République de Turquie en 1920.

Tel n’était pas le point de vue d’Ibrahim Kaypakkaya, qui considérait que le kémalisme des années 1920 ne correspondait pas à un mouvement d’officiers et d’intellectuels, mais exprimait la prise de contrôle du pays par des couches sociales relevant de la bourgeoisie commerçante vendue à l’impérialisme et des grands propriétaires terriens.

Ibrahim Kaypakkaya

Considérant, avec justesse, que la direction du TIIKP convergeant avec la ligne de la « Révolution nationale démocratique », Ibrahim Kaypakkaya forma une ligne rouge en son sein, qui donna naissance au Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist (Parti Communiste de Turquie / Marxiste-Léniniste) au début de l’année 1972.

Ibrahim Kaypakkaya en écrivit les documents fondamentaux : la Critique générale – origine et développement des différences entre le révisionnisme de la Şafak et nous (75 pages au format A4 environ), la Critique du projet de programme du TIIKP (31 pages au format A4 environ), La question nationale en Turquie (32 pages au format A4 environ), Vues sur le kémalisme (33 pages au format A4 environ).

Il faut également mentionner deux autres documents précédant ceux-là : Apprenons correctement l’enseignement du président Mao Zedong quant à l’édification du pouvoir rouge, et les Décisions du DABK, c’est-à-dire de la fraction rouge au sein du TIIKP.

On retrouve l’état d’esprit, et la ligne en tant que telle d’ailleurs, de Charu Mazumdar avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) ; on y trouve la même analyse d’un pays bloqué par le féodalisme formant un verrou anti-démocratique et anti-populaire, on y trouve la même perspective de révolution agraire par la lutte armée comme solution.

On a naturellement également la considération que l’ouverture d’un tel front dans son pays correspond à la situation révolutionnaire mondiale, avec laquelle il faut être en adéquation, ou plus exactement en conjonction.

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Programme de la THKO (1972)

PROGRAMME POLITIQUE DE L’ARMEE POPULAIRE DE LIBERATION DE LA TURQUIE

1972

1. Mettre fin à la politique d’exploitation et d’oppression, économique, politique, militaire et culturelle de l’impérialisme nord­américain et de ses laquais.

2. Continuer la lutte armée qui adopte la politique de violence, le niveau le plus élevé des méthodes de lutte politique, comme méthode fondamentale de lutte politique dans notre Turquie qui possède une économie capitaliste semi­dépendante et sous­développée sous l’hégémonie de l’impérialisme.

3. Confisquer les biens et les capitaux aux mains des impérialistes et des traîtres pour accroître les fonds du mouvement d’indépendance et employer une partie de l’argent à secourir les pauvres, et abolir l’exploitation des impérialistes et de leurs laquais, pour fortifier l’économie du pouvoir populaire.

4. Chasser les impérialistes nord­américains et toutes les autres puissances impérialistes de notre pays ; éliminer les traîtres ; construire une Turquie sans ennemis, indépendante, démocratique, heureuse et libre pour établir un véritable pouvoir populaire.

5. Confisquer toutes les terres qui ont été arrachées à notre peuple par les propriétaires fonciers et répartir ces terres aux paysans pauvres gratuitement ; protéger la propriété des paysans sur la base de « La terre à ceux qui la travaillent » ; abolir la spéculation et l’usure et donner aux paysans toute l’aide nécessaire pour augmenter la production.

6. Mettre fin à toute oppression (politique d’assimilation, etc.) des peuples ; lutter contre l’ennemi commun sur la base de la fraternité des peuples en adhérant au principe du droit des nations à l’autodétermination.

7. Appliquer la journée de travail de huit heures et le paiement des congés dans toutes les branches ; améliorer les conditions de travail ; augmenter les salaires ; promulguer une législation du travail qui reconnaisse le travail comme la valeur la plus sacrée ; mettre un terme au chômage.

8. Résoudre le problème populaire du logement pourassurer des conditions de vie humaines ; prendre toutes les mesures nécessaires pour la santé du peuple ; les soins médicaux, l’hôpital et les médicaments seront gratuits.

9. Garantir l’égalité des personnes sans distinction de nationalité, de sexe, de langue de religion et de secte, améliorer, le traitement social des femmes et respecter leur personne.

10. Annuler toutes les dettes de notre peuple envers l’impérialisme et ses laquais, abolir tous les impôts qui pèsent sur le peuple travailleur ; en finir avec tous les monopoles exploiteurs ; améliorer les conditions de vie du peuple ; développer de façon uniforme une industrie, une agriculture et un commerce nationaux.

11. Abolir le système d’éducation basé sur la politique d’exploitation ; appliquer un système d’éducation pour le peuple et assurer la possibilité d’une éducation gratuite à tous les niveaux.

12. Respecter la liberté de presse, de publication, de réunion, d’association et tous les autres droits et libertés démocratiques, s’opposer au gouvernement terroriste maintenu par les puissances fascistes et à la fomentation des idées réactionnaires ; proclamer une amnistie générale dans tout le pays

13.  Former une étroite alliance avec les peuples et les Etats qui adoptent une position égale à celle du peuple de Turquie ; maintenir des relations d’amitié avec les Etats qui manifestent leur bienveillance ou qui adoptent la neutralité à l’égard de notre Mouvement de Libération Nationale.

14.  Abolir les traités inégaux que les gouvernements fantoches ont signé avec les Etats­ Unis et avec d’autres pays.

15.  N’entrer dans aucune alliance militaire ; interdire les troupes ou les bases militaires étrangères sur le territoire turc.
 
Le THKO appelle toutes les classes et les couches patriotiques, opprimées et exploitées, à la lutte anti­impérialiste. Notre devoir le plus sacré est de lutter contre les Etats-­Unis et la poignée de traîtres à leurs ordres qui sucent ensemble notre sang.

Notre avenir à tous est précaire, nous vivons la faim au ventre, misérables, sans médecins, sans médicaments, sans écoles et sans routes.

Tant que ce système de pillage se maintiendra, nous mourrons de faim, nous connaîtrons le chômage, nous ne serons pasconsidérés comme des hommes, nous souffrirons intensément du haut coût de la vie, de la hausse des prix et nous serons traités en esclaves.

Permettez­nous de lutter sans peur contre les traîtres . C’est une dette d’honneur de lutter pour la libération de la patrie. 

Le THKO s’engage à être toujours digne de la confiance du peule de Turquie et des peuples du monde. Le peuple de Turquie triomphera sûrement. Les agresseurs américains et leurs laquais seront sûrement battus.

Le THKO accomplira sûrement ce programme.
Le sang de nos martyrs est le flambeau de notre lutte.