Ainsi, l’esprit libéré n’est que celui de la décadence baroque, de l’irrationnel. Il s’agit de s’opposer à l’humanisme et au calvinisme, par la fantaisie, le féerique, le fantastique, le romanesque sentimental.
Balthazar Baro (1596-1650) dans Célinde, insère un long passage en vers évoquant la tragédie d’Holopherne, en reprenant le thème biblique. Dans la pièce elle-même, qui est en prose, Célinde poignarde Floridan qu’on veut lui faire épouser sans son accord. Son amante Parthénice se tue, mais tous deux sortent du tombeau, tout n’était qu’illusion.
On a pareillement une résurrection avec une fontaine enchantée dans une œuvre de Rayssiguier, en 1630, intitulée Tragicomédie pastorale où Les Amours d’Astrée et de Céladon sont mêlées à celles de Diane, de Silvandre et de Paris, avec les inconstances d’Hylas. Sa préface au lecteur est exemplaire : celui-ci peut apprécier qu’il ait résumé des milliers de pages de l’Astrée… ou pas. « Lecteur, tu es libre, et moi de même », dit-il simplement.
« Ces bergers et ces bergères, que j’avais destinés au théâtre seulement, ont été obligés de se produire à un jour plus grand. Ceux qui entendent la scène, et qui connaissent les vers, s’ils ne sont point intéressés, y trouveront quelque chose qui les contentera, et sans doute les autres me doivent louer de leur avoir développé en deux mille vers deux histoires intriquées dans cinq gros volumes. Toutefois, Lecteur, tu es libre, et moi de même, Adieu. »
Dans L’Hypocondriaque ou le mort amoureux, de Jean de Rotrou (1609-1650), le personnage principal descend aux enfers avant de découvrir que ce n’était qu’un délire, guérie par des faux morts sortant de leur tombeau sur un fond de musique « magique ».
« Cloridan, seul, dans un cercueil
Esprits, qui sans repos cherchez des vérités
Qu’on voit si clairement dans ces obscurités ;
Vous qui bravez le sort et ses métamorphoses,
Qui pensez voir à nu la nature des choses,
Et qu’un ordre si beau n’ait point de fondements
Qui ne soient découverts à vos entendements ;
Simples , ne sondez plus des mystères si sombres ;
De pareilles clartés n’appartiennent qu’aux ombres. »
Sera-t-on étonné que Jean de Rotrou dédie ses œuvres à par exemple Louis de Bourbon-Soissons, ardent complotiste contre le cardinal de Richelieu, ou encore Henri de Lorraine, duc de Guise, opposé pareillement à la monarchie absolue ?
On comprend que la monarchie absolue soit, de son côté, repartie à l’offensive. Le ménage va être fait, en long et en large : il en allait de l’idéologie dominante. Le théâtre devint une arène politique, et c’est le cardinal de Richelieu qui s’assura que l’État en ait la main-mise, en deux temps.
Quelle fut la première étape ? Le fait est que Richelieu s’intéressait au théâtre ; il travailla ses méthodes, avec des exercices d’écriture avec les auteurs Jean de Rotrou, François Le Métel de Boisrobert, Guillaume Colletet, Claude de L’Estoile et le fameux Pierre Corneille. On se situe ici tout à fait parallèlement à la fondation de l’académie française, qui se situe dans la mouvance de ces auteurs.
Deux œuvres furent réalisés en commun par ces cinq auteurs : L’Aveugle de Smyrne et La Comédie des Tuileries, toutefois Corneille s’éloigna rapidement soucieux de ne pas avoir à dépendre de la logique de règles que Richelieu voulait mettre en avant.
Richelieu soutint les troupes de l’Hôtel de Bourgogne et du théâtre du Marais ; il fit construire dans son palais une salle de spectacles, réalisée sur le modèle italien par Jacques Lemercier. Il fit venir d’Italie Giacomo Torelli (1608-1678), spécialiste de la machinerie théâtrale, qui fit découvrir les opéras italiens au Petit-Bourbon et au Palais-Cardinal, qui devient le Palais Royal.
Richelieu s’arrangea également pour que Louis XIII promulgue un édit pour réhabiliter le métier d’acteurs, que l’Église condamnait formellement et excommuniait, à la condition « que lesdits comédiens règlent tellement les actions du théâtre qu’elles soient de tout exemptes d’impureté ».
C’était là établir un rapport direct entre le régime et le théâtre, en se plaçant comme protecteur. Cela signifiait accepter toutes les pièces, les tragi-comédies et les pastorales, etc. si elles sont un soutien indirect au régime.
Europe, de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1596-1676), n’est rien d’autre par exemple qu’une apologie du cardinal. Le Véritable Saint Genest, de Jean de Rotrou, de 1647, est baroque dans sa forme ; on y voit des comédiens jouant des comédiens, Saint Genest étant un comédien romain martyrisé car chrétien. On y trouve le passage éloquent suivant :
« Mon goût, quoi qu’il en soit, est pour la tragédie :
L’objet en est plus haut, l’action plus hardie,
Et les pensers, pompeux et pleins de majesté,
Lui donnent plus de poids et plus d’autorité. »
Plus de dix ans plus tôt, en 1636, dans L’illusion comique de Pierre Corneille, on avait cette allusion à Richelieu, dans le cadre de la mise en valeur du théâtre comme reconnu par le pouvoir royal et la société, à la fin de la pièce :
« Cessez de vous en plaindre. A présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands :
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau. »
Cela ne suffisait cependant pas. La monarchie absolue ne voulait pas qu’un théâtre en général qui lui soit soumis, elle voulait son théâtre en particulier.