L’œuvre marquante dans le cadre du combat contre l’irrégularité fut celle intitulée Pratique du théâtre, publiée en 1657 par François Hédelin, abbé d’Aubignac. Il synthétise, en effet, la question, en rétablissant ce que doit être la tragédie : non pas une catastrophe et des choses horribles, mais une situation extrêmement difficile pour quelqu’un de responsable.
C’est là le rétablissement de ce qu’aurait dû être la tragédie, si le calvinisme l’avait emporté, mais en remplaçant Dieu et sa morale par l’État et ses exigences.
Voici ce qu’il dit :
« A distinguer les tragédies par la catastrophe, il y en avait de deux espèces : les unes étaient funestes dans ce dernier événement et finissaient par quelque malheur sanglant et signalé des héros : les autres avaient les retours plus heureux et se terminaient par le contentement des principaux personnages.
Et néanmoins parce que les tragédies ont eu souvent des catastrophes infortunées, ou par la rencontre des histoires, ou par la complaisance des poètes envers les Athéniens, qui ne haïssaient pas ces objets d’horreur sur leur théâtre, comme nous avons dit ailleurs, plusieurs se sont imaginés que le mot tragique ne signifiait jamais qu’une aventure funeste et sanglante; et qu’un poème dramatique ne pouvait être nommé tragédie, si la catastrophe ne contenait la mort ou l’infortune des principaux personnages; mais c’est à tort, étant certain que ce terme ne veut rien dire sinon une chose magnifique, sérieuse, grave et convenable aux agitations et aux grands revers de la fortune des princes; et qu’une pièce de théâtre porte ce nom de tragédie seulement en considération des incidents et des personnes dont elle représente la vie, et non pas à raison de la catastrophe (…).
Ce que nous avons fait sans fondement, est que nous avons ôté le nom de tragédie aux pièces de théâtre dont la catastrophe est heureuse, encore que le sujet et les personnes soient tragiques, c’est-à-dire héroïques, pour leur donner celui de tragi-comédies. »
C’est une remise en cause de la tragédie comme devant se terminer mal : ce n’est pas cela qui compte dans la tragédie, contrairement à la logique des partisans de Sénèque jusque-là ; ce qui compte, c’est la psychologie. On a là un moment clef dans l’élaboration de cette caractéristique culturelle française qui est la production de portraits psychologiques.
Voici ses arguments principaux sur la vraisemblance :
« C’est une maxime générale que le vrai n’est pas le sujet du théâtre, parce qu’il y a bien des choses véritables qui n’y doivent pas être vues, et beaucoup qui n’y peuvent pas être représentées : c’est pourquoi Synesius a fort bien dit que la poésie et les autres arts qui ne sont fondés qu’en imitation, ne suivent pas la vérité, mais l’opinion et le sentiment ordinaire des hommes.
Il est vrai que Néron fit étrangler sa mère et lui ouvrit le sein pour voir en quel endroit il avait été porté neuf mois avant que de naître ; mais cette barbarie, bien qu’agréable à celui qui l’exécuta, serait non seulement horrible à ceux qui la verraient, mais même incroyable à cause que cela ne devait point arriver ; et entre toutes les histoires dont le poète voudra tirer son sujet, il n’y en a pas une, au moins je ne crois pas qu’il y en ait, dont toutes les circonstances soient capables du théâtre, quoique véritables, et que l’on y puisse faire entrer, sans altérer l’ordre des succès, le temps, les lieux, les personnes, et beaucoup d’autres particularités.
Le possible n’en sera pas aussi le sujet, car il y a bien des choses qui se peuvent faire, ou par la rencontre des causes naturelles, ou par les aventures de la morale, qui pourtant seraient ridicules et peu croyables si elles étaient représentées. Il est possible qu’un homme meure subitement, et cela souvent arrive ; mais celui-là serait moqué de tout le monde, qui pour dénouer une pièce de théâtre ferait mourir un rival d’apoplexie comme d’une maladie naturelle et commune, ou bien il y faudrait beaucoup de préparations ingénieuses.
Il est possible qu’un homme meure d’un coup de tonnerre, mais ce serait une mauvaise invention au poète de se défaire par là d’un amant, qu’il aurait employé pour l’intrigue d’une comédie.
Il n’y a donc que le vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et terminer un poème dramatique. »
Sur l’unité d’action, il explique dans une même perspective, qui est en fait celle de la contradiction principale devant être mise comme aspect principal :
« Il est certain que le théâtre n’est rien qu’une image, et partant comme il est impossible de faire une seule image accomplie de deux originaux différents, il est impossible que deux actions (j’entends principales) soient représentées raisonnablement par une seule pièce de théâtre.
En effet, le peintre qui veut faire un tableau de quelque histoire n’a point d’autre dessein que de donner l’image de quelque action, et cette image est tellement limitée qu’elle ne peut représenter deux parties de l’histoire qu’il aura choisie, et moins encore l’histoire tout entière ; parce qu’il faudrait qu’un même personnage fût plusieurs fois dépeint, ce qui mettrait une confusion incompréhensible dans le tableau, et l’on ne pourrait pas discerner quel serait l’ordre de toutes ces diverses actions, ce qui rendrait l’histoire infiniment obscure et inconnue ; mais de toutes les actions qui composeraient cette histoire le peintre choisirait la plus importante, la plus convenable à l’excellence de son art, et qui contiendrait en quelque façon toutes les autres afin que d’un seul regard on pût avoir une suffisante connaissance de tout ce qu’il aurait voulu dépeindre.
Et s’il voulait représenter deux parties de la même histoire, ferait dans le même tableau un autre cadre avec un éloignement, où il peindrait une autre action que celle qui serait dans le tableau, afin de faire connaître qu’il ferait deux images de deux actions différentes, et que ce sont deux tableaux. »
La place était libre pour l’avènement de Racine, aux dépens de Corneille.