La Ligue Nationale de l’Éducation Physique (LNEP) avait pour but de toucher l’ensemble de la société française, via les institutions scolaire. Il fallait populariser de manière simple et efficace les activités physiques, sous forme de jeux.
Elle devait adapter à la France le résultat des travaux sur l’Angleterre que Paschal Grousset avait produit sous le pseudonyme d’André Laurie. La ligue n’avait pas d’attachement à un sport ou un jeu en particulier. Le but était surtout de faire courir, sauter et marcher les enfants, notamment en plein-air, et de la manière la plus amusante possible.
Pour autant, la volonté était d’intégrer l’éducation physique dans une filiation culturelle françaises, en appuyant sur des jeux anciens, plutôt que sur le mimétisme des sports de la bourgeoisie et de l’aristocratie anglaise. Paschal Grousset expliquait ainsi dans le journal Le Temps en 1888 pendant la campagne de la Renaissance Physique :
« Soyons Français ; soyons-le avec passion, même dans les petites choses ; soyons-le surtout dans les grandes, comme l’éducation de nos fils, si nous voulons que la France survive, au milieu des fauves qui rugissent autour d’elle.
Au fort de la bataille que se livrent aujourd’hui les industries, les langues et les armées rivales, il n’y a pas de concessions sans importance : n’en faisons pas d’inutiles ! ».
Une École Normale des Jeux scolaires a été fondée au bois de Boulogne à Paris dans cette optique. Elle était une sorte de laboratoire grandeur nature ainsi qu’un « conservatoire » des jeux français et des jeux traditionnels.
De manière démocratique, les jeunes filles faisaient partie des préoccupations et on pouvait lire par exemple dans le bulletin de la Ligue National de l’Éducation physique :
« D’une manière générale, la plupart des jeux recommandables pour les garçons le sont aussi pour les filles, spécialement les jeux de balle et de ballon. Mais il est des jeux qui leur sont plus particulièrement réservés par l’usage : ce sont ceux-là que nous étudierons à leur intention ».
Dans la revue Éducation Physique, qui accompagnait les travaux de la ligue, on pouvait également trouver en 1889 une série d’articles promouvant les jeux de plein-air pour les jeunes filles : le jeu de volant (badminton), le Jeu de Grâces (sorte d’ancêtre de la gymnastique rythmique avec des cerceaux et des bâtonnets), la marelle (« un jeu éminemment français, excellent pour le développement des muscles et du poumon ») et la danse de plein-air.
La principale réalisation de la Ligue National de l’Éducation Physique a été l’organisation des Lendits à partir de 1889. Le premier ayant été clôturé en présence du Président de la République Sadi Carnot.
Le nom de « lendit » est issue de grandes foires commerciales et culturelles ayant lieu en France au Moyen-Âge, durant lesquelles il y avait régulièrement des démonstrations de force, des jeux, etc.
Les Lendits de la LNEP étaient de grands rassemblements sportifs scolaires, d’abord à Paris puis dans quelques autres villes, clôturées par une parade, dans un esprit festif. Ils concernaient d’abord les écoles secondaires, donc surtout les enfants de la bourgeoisie.
Très vite cependant, Paschal Grousset réussit à ouvrir les Lendits aux enfants des écoles primaires communales de Paris, touchant ainsi les masses parisiennes. Il estimait que :
« Les enfants du peuple qui parlent pichadey… ont autant le droit à la santé physique que leurs condisciples des collèges et lycées qui bégaient le latin… ces enfants du peuple, nous voulons les rendre plus forts et meilleurs par les exercices de plein-air. »
À partir de 1891 l’organisation du Lendit dans chaque discipline est faite par des clubs et sociétés de la discipline, avec intégration des règlements de chaque discipline. À la place de jeux enfantins du début, ce sont de véritables sports qui étaient pratiqués.
Les régates à l’aviron étaient la course phare des Lendits : elles ont réuni sur les rives 18 000 spectateurs en 1889 et 30 000 en 1893. L’engouement était énorme.
Les Lendits ne réussiront cependant pas à se maintenir. Ils ont totalement disparu en 1900 et avec eux la possibilité du développement d’un sport scolaire en France tel qu’il existe aux États-Unis d’Amérique dans les Lycées et les Universités (bien que les institutions scolaires n’aient pas la même forme dans ce pays).
Dans le cadre national français, cet échec du sport scolaire signifie que les éléments républicains de la bourgeoisie n’ont pas réussi à encadrer le développement du sport en France, à l’intégrer strictement sous l’égide de l’État. Ils l’ont cédé à la société civile, c’est-à-dire aux différentes influences (celle des patronages catholiques, des industriels, des aristocrates, des socialistes, etc.)
L’exemple de l’aviron est à ce titre intéressant. Paschal Grousset était un fervent partisan de ce sport, considérant que :
« l’exercice de la rame est l’un des plus complets et des plus salutaires auxquels un homme bien portant puisse se livrer ».
La LNEP s’était liée au Cercle Nautique de France (CNF) qui avait lui-même initié la fédération française des sociétés d’avirons et voulu faire du canotage un sport populaire, avec des initiations et des cours pour les jeunes scolaires, etc.
Dans le même temps se développait de manière opposée l’Union des Sociétés de Rameurs Amateurs de France, crée par Pierre de Coubertin. C’est cette dernière qui a triomphé face au sport scolaire, et avec elle une ligne aristocratique et élitiste (c’est-à-dire prônant l’amateurisme), coupant les masses de ce sport.
Le football (dont le premier nom était le football-association, en opposition au football-rugby) a connu pour sa part un développement inverse.
L’USFSA, c’est-à-dire le sport amateur lié à Pierre de Coubertin, l’a méprisé dès le début comme sport professionnel ; le clivage avec le football-rugby en Angleterre s’étant fait justement en grande partie sur cette question.
La LNEP qui pour sa part tenait en horreur le football-rugby pour sa brutalité, a reconnu le football-association et organisé des matchs à partir de 1892. Elle constatait qu’en Angleterre ce sport attirait les masses populaires et elle ne voulait pas se priver de cet appel d’air.
C’est sous l’égide de la LNEP qu’est né le Club Français, la première équipe de football-association à n’être composée que de joueurs français. À l’origine en France, ce sport a concerné surtout les Lycéens, donc les classes bourgeoises, mais pas non plus l’aristocratie et la haute bourgeoisie, qui ont continué à préférer le football-rugby.
L’USFSA a rapidement constaté le succès du football-association. Craignant le succès de la LNEP, elle est revenue sur ses positions pour finalement organiser le premier championnat de France en 1894.
La Ligue Nationale de l’Éducation Physique de Paschal Grousset a été précurseur pour le football-association et le sport populaire en général, mais elle n’a pas su maintenir ses positions. Elle s’est faite déborder par les conceptions de Pierre de Coubertin et l’opportunisme des organismes qui lui étaient liés.
Le football-association et le cyclisme ont connu pour leur part un développement autonome et sont resté populaires, en dehors de l’amateurisme aristocratique de Coubertin. Ils se sont développés cependant sous le contrôle culturel, administratif et financier de la bourgeoisie industrielle, particulièrement via le sponsoring.
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de la gymnastique et du sport en France