L’omniprésence urbaine dans l’Islam est très lourde de sens et se retrouve bien entendu dans tout le parcours de Mahomet, qui se confond avec les réformes dans un sens urbain de la Mecque, sur plusieurs générations.
Mahomet était lui-même un caravanier du clan des Hachémites relevant de la tribu des Qorays, tribu qui contrôlait la Mecque, alors un grand carrefour commercial. Et on peut voir, ce qui est clairement déterminant, qu’avant même que Mahomet ne mette en place l’Islam et son pèlerinage à la Mecque, cette ville était déjà le lieu d’un rassemblement annuel pour aller vénérer la Kaaba, le petit bâtiment hébergeant une pierre noire, avec déjà les cercles à parcourir autour.
Mahomet n’a fait que, historiquement, accompagner le saut qu’a connu la Mecque, qui était déjà le centre servant de repère aux habitants de la Jazirat-ul Arab, la péninsule arabique. La venue annuelle, s’étalant sur quatre mois, était prétexte au commerce puisque la dimension mystico-religieuse conférait à la ville un aspect politique totalement stable.
Mahomet a systématisé cela avec l’Islam.
Et également, encore une fois avant même que Mahomet n’affirme l’Islam, il joue un rôle essentiel dans le traité appelé Hilful-Fodzul (le « pacte des vertueux »). Issu d’un conflit entre marchands, il établit des principes de respect des actes commerciaux, le serment des marchands se faisant… devant la Kaaba.
Une fois l’Islam affirmé, Mahomet confirmera ce pacte et maintiendra comme on le sait l’importance de la Kaaba. Mahomet est un accompagnateur œuvrant à systématiser et à encadrer les rapports en ville – d’où l’insistance sur le caractère avant tout juridique de l’Islam.
L’Islam émerge en fait avec Mahomet à la suite de perpétuelles tentatives de pacifier les très violents rapports entre les clans, les tribus, les commerçants.
La vendetta primait, y compris sur des générations ; le culte patriarcal de l’honneur systématisant les bains de sang.
Il existait toute une série de pratiques commerciales plus que douteuses où le hasard prenait une grande place lors des achats, avec une pièce devant toucher la marchandise ou bien une marchandise vendue sans que l’acheteur ne sache ce qu’elle vaut, la vente d’un chameau non encore né ou d’une production de fruits n’ayant lieu que trois ans après, à quoi s’ajoutent divers escroqueries comme masquer les prix, etc.
Il y avait une contradiction explosive entre le développement du commerce dans la péninsule arabique et les rapports arriérés. L’Islam est l’expression du dépassement productif de cette contradiction ; la solution ne pouvait que provenir de la Mecque, lieu par excellence du commerce et des rapports interpersonnels, inter-tribaux.
Un ancêtre direct de Mahomet, Qusay ibn Kilab (400-48), son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-père, avait déjà mis en place à la Mecque un Dar al-Nadwa (lieu de rassemblement) pour essayer d’avoir des discussions dès l’engagement des disputes.
Le grand-père de Mahomet, Abd al-Muttalib, qui procéda d’ailleurs à son éducation en raison de la mort de ses parents, essaya d’établir une série de règles : le respect des promesses, pas d’entrée dans les lieux privés en grimpant un mur ou en passant par une porte de derrière, ne pas se marier à la famille proche, ne pas pratiquer l’adultère, exiler les prostituées, cesser d’enterrer vivant les jeunes filles pour ne pas qu’elles soient capturées, ne pas boire d’alcool, couper la main des voleurs, payer au moyen de cent chameaux une amende en cas de meurtre involontaire, approvisionner le pèlerinage à la Kaaba en eau, faire sept fois le tour de la Kaaba lors du pèlerinage, être habillé en faisant le tour (auparavant il fallait payer des habits particuliers à la tribu des Qorays et ce n’était pas fait), respecter les mois saints, pratiquer le tirage au sort (pour essayer de résoudre pacifiquement les conflits).
Il est évident que Mahomet n’a fait que reprendre les principes de ses ancêtres, en leur faisant passer un cap. Voilà pourquoi le Coran est parsemé de menaces de l’enfer, d’appel à se comporter de manière correcte, etc. C’était conforme avec l’exigence du développement du commerce allant avec l’établissement de rapports apaisés entre les participants.
Et c’est la raison pour laquelle la Mecque est au cœur de l’Islam en tant que systématisation du droit dans la péninsule arabique, c’est la « Mère des cités » comme il est dit dans la sourate La consultation :
« Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un Coran arabe, afin que tu avertisses la Mère des cités (la Mecque) et ses alentours et que tu avertisses du Jour du rassemblement, – sur lequel il n’y a pas de doute – Un groupe au Paradis et un groupe dans la fournaise ardente.
Et si Allah avait voulu, Il en aurait fait une seule communauté. Mais Il fait entrer qui Il veut dans Sa miséricorde. Et les injustes n’auront ni maître ni secoureur.
Ont-ils pris des maîtres en dehors de Lui ? C’est Allah qui est le seul Maître et c’est Lui qui redonne la vie aux morts; et c’est Lui qui est Omnipotent. »
Et à la Mecque, quand on prie, on se tourne vers la Kaaba, symbole du pacte historiquement uniquement commercial, le Hilful-Fodzul réalisé juste avant l’Islam, mais généralisé au droit dans son ensemble, comme accord juridique systématisé en civilisation.
Le verset 97 de la sourate La table sacralise ce symbole :
« Allah a institué la Ka’aba, la Maison sacrée, comme un lieu de rassemblement pour les gens. (Il a institué) le mois sacré, l’offrande (d’animaux,) et les guirlandes, afin que vous sachiez que vraiment Allah sait tout ce qui est dans les cieux et sur la terre; et que vraiment Allah est Omniscient. »
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