De par le fait que l’Islam se pose comme un phénomène historiquement urbain, on se doute que le Coran véhicule des éléments en ce sens.
L’Islam présente le Coran comme la parole de Dieu, une parole aussi éternelle que lui. Le Coran serait incréé et d’ailleurs son texte insiste sur cette dimension.
L’œuvre consiste grosso modo en un auto-justificatif de son existence, en une justification de Mahomet comme prophète, en un appel à suivre les préceptes du Coran et de Mahomet sans quoi on subira une vie après la mort dans les flammes de l’enfer.
La dimension monothéiste ressort particulièrement dans un tel cadre, puisque cette affirmation juridico-religieuse a comme objectif de dépasser les dieux locaux des clans et tribus. Le verset suivant reflète assez l’état d’esprit du Coran :
« Qui a fait la terre un lit pour vous, et le ciel un toit, Qui a fait que l’eau descende des nuages, et par cela a produit des fruits pour votre subsistance. Ne donnez pas d’égaux à Allâh sciemment. »
Or, si historiquement l’Islam oppose les commerçants et marchands aux clans et aux tribus, cela signifie qu’on a affaire à une contradiction entre la ville – avec ses règles, ses mœurs policés – et les campagnes – avec leur dispersion, leur séparation, ses bédouins et ses nomades aux pratiques troubles.
Mahomet ne pouvait évidemment pas lire les choses ainsi. Pour lui, matériellement, il y avait la Mecque et ceux qui de manière dispersée formaient des éléments centrifuges, cependant il lisait cela de manière déformée, à travers un discours religieux qu’il est lui-même censé avoir obtenu de Dieu.
La situation se posait pour lui comme l’opposition du un et du multiple – et c’est très exactement ce qu’on a dans le Coran, avec un dieu unique et des êtres humains dispersés devant revenir à lui.
Le Coran ne cesse d’insister sur le caractère unique de Dieu – cette unicité divine est le grand leitmotiv musulman, c’est le tawhid, l’unicité complète, avec impossibilité d’associer quoi que ce soit à Dieu.
Et, en même temps, le Coran ne cesse en parallèle de dénoncer des êtres humains comme multiples, dispersés, troubles, inconséquents, etc.
C’est là le reflet direct du rapport entre la Mecque « civilisée » et les bédouins « barbares ».
Le verset suivant du Coran témoigne de cette vision particulièrement négative des êtres humains, qu’on retrouve dans tout le Coran, avec toutefois donc un « centre » indiquant comment se comporter :
« En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes Al Amânah (le Dépôt). Ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; il est vraiment foncièrement injuste et ignorant.»
Il est ici alors une chose très marquante, précisément. Le Coran ne demande jamais d’adhérer à un message nouveau, mais toujours de s’amender pour obéir à un message passé.
Comment est-ce possible ? Pourquoi appeler à revenir à la vraie religion, si l’Islam était quelque chose de pourtant nouveau ?
La raison est la suivante : Mahomet est un réformateur qui prolonge les efforts de reconnaissance de la Mecque comme lieu sacré et central, ce qui va de pair avec l’exigence d’un droit reconnaissant cette primauté.
Ce faisant, il pose la Mecque comme le lieu historique des Arabes et les Arabes doivent assumer leur passé pour se donner un avenir. Cela implique qu’il ne faut pas établir quelque chose de nouveau, mais systématiser le rôle de la Mecque.
Le Coran se pose en concurrence au judaïsme et au christianisme, prétendant ne pas affirmer un message nouveau mais le rétablir, exactement comme Mahomet dit aux Arabes qu’ils doivent se fonder sur ce que le passé leur a apporté : la Mecque comme centralité.
On a chez Mahomet une unité systématisée : une seule ville, la Mecque, un seul Dieu, Allah, et forcément un seul prophète, lui-même.
Et tout comme Mahomet cherche à rappeler à l’ordre les Arabes par rapport à l’importance de la Mecque dans la péninsule arabique, le Coran rappelle sans cesse à l’ordre les musulmans… comme s’ils existaient déjà, alors que c’est justement le Coran et Mahomet qui inaugurent cette religion !
D’où, naturellement cette absurdité, clairement païenne qui est l’intégration dans l’Islam de la pierre noire de la Kaaba et même des rituels passés où l’on en fait le tour.
Rien que cette intégration dans le dispositif religieux islamique montre la continuité de la Mecque comme point de départ et d’arrivée de la vie sociale et religieuse dans la péninsule arabique, l’Islam étant la vision déformée, fantasmagorique, religieuse, de cette centralité urbaine.
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