La classe capitaliste consomme pour sa satisfaction personnelle, et cette consommation réinjecte de l’argent dans la circulation. Avant d’approfondir cette question, notons déjà un autre aspect qui est relié à cette question.
En effet, la production capitaliste est concurrentielle et technique, et les capitalistes s’achètent les uns aux autres du matériel afin de moderniser leur production. C’est quelque chose qui joue dans la manière dont le capital circule.
Nous allons étudier cet aspect, mais voyons d’abord ce qui manque pour que tout cela fonctionne : l’argent.
Si la plus-value se réalise par la vente des marchandises, alors forcément il y a accroissement du capital. Mais si l’argent est dans les mains des capitalistes à l’initial, d’où arrive l’argent en plus ?
Nous allons voir ici le point de vue de Marx, et revenir plus loin sur comment le capitalisme a modernisé cet aspect propre à l’accumulation du capital à l’initial.
Selon Karl Marx, ce qui se passe est logique : si des capitalistes retirent de l’argent de la circulation, alors d’autres en amènent. Il faut un équilibre, sinon cela ne saurait marcher.
Aussi Karl Marx nous dit-il :
« Lorsqu’une partie de la classe capitaliste jette donc dans la circulation une valeur-marchandise supérieure (du montant de la plus-value) au capital-argent avancé par elle, une autre partie de la classe capitaliste jette dans la circulation une valeur-argent supérieure (du montant de la plus-value) à la valeur-marchandise qu’elle enlève constamment de la circulation pour la production de l’or.
Alors que certains capitalistes pompent constamment dans la circulation plus d’argent qu’ils n’en projettent dans son cours, d’autres, les producteurs d’or, déversent constamment plus d’argent qu’ils n’en retirent sous forme de moyens de productions. »
Maintenant, nous faisons face à un problème essentiel. D’où vient l’argent ? En fait, on en revient à la question des métaux précieux. Ce sont eux qui font office d’argent.
Karl Marx nous enseigne ici :
« Si les marchandises supplémentaires qui doivent se convertir en argent trouvent la somme d’argent nécessaire, c’est que, d’autre part, l’on jette dans la circulation, non point par l’échange, mais par la production même, de l’or (et de l’argent) supplémentaire, qui doit se convertir en marchandises. »
Ce processus se déroule-t-il sans douleur ? Absolument pas. Le capital exige la frénésie, l’emballement, et ainsi :
« Toute l’essence du crédit, et de l’overtrading [sur-commerce] et de l’overspeculation [sur-spéculation] qui vont avec, repose sur la nécessité d’élargir et de sauter au-dessus les bornes de la circulation et de la sphère d’échange.
Cela apparaît comme davantage colossal, davantage classique en relation avec les peuples, plus que les individus. Ainsi, les Anglais ont été dans l’obligation de prêter à des nations étrangères, afin de les avoir comme customers [clients]. » (G).
C’est précisément ce point-là qui a induit en erreur Rosa Luxembourg. Rosa Luxembourg a constaté le caractère fondamentalement expansionniste du capital, et a considéré que cette « expansion » était le moteur du capital.
Or, il n’y a pas d’expansion pour le capital s’il n’y a pas de contenu capitaliste dans celle-ci. De fait, la plus-value concerne la production de biens de consommation, mais également la production de moyens de production.
La conception selon laquelle il faudrait forcément un marché étranger, un non-capitaliste à spolier, ne résoudrait rien à la question : d’où viendrait l’argent du non-capitaliste ?
Lénine, dans Pour caractériser le romantisme économique, se moque ainsi de cette fausse logique :
« Le romantique dit : les capitalistes ne peuvent consommer la plus-value et doivent par conséquent l’écouler à l’étranger. On se demande si les capitalistes ne donnent pas gratuitement leurs produits aux étrangers ou s’ils ne les jettent pas à la mer (…).
Mêler le commerce extérieur, l’exportation, au problème de la réalisation, c’est éluder la question en la reportant sur un terrain plus vaste, mais l’élucider en aucune façon (…).
Nous dirons plus : une théorie qui rattache le marché extérieur au problème de la réalisation de l’ensemble du produit social atteste non seulement une incompréhension de cette réalisation, mais encore une compréhension très superficielle des contradictions propres à cette réalisation… »
Et que nous explique alors Karl Marx, pour expliquer le besoin accru d’argent ? Tout simplement que :
« L’argent supplémentaire nécessaire à la circulation de cette masse de marchandises plus considérable qui a une plus grande valeur doit être fourni soit par une économie accentuée de la masse d’argent en circulation, – par la compensation des paiements, etc., ou encore par des mesures d’accélération de la circulation des mêmes pièces de monnaie, – soit par la transformation de l’argent de sa forme trésor en sa forme circulante. »
Naturellement, ici, le rôle des banques devient ici formidablement important. D’où cette affirmation franche de Marx :
« Ainsi se trouve résolue cette question absurde : la production capitaliste avec son volume actuel serait-elle possible sans le système du crédit (même en ne considérant ce système que de ce point de vue-ci), c’est-à-dire avec la seule circulation métallique ?
Évidemment non !
Elle se serait au contraire heurtée aux limites mêmes de la production des métaux précieux.
Mais, d’autre part, il ne faut pas se faire d’idées mystiques sur la vertu productive du crédit, en tant qu’il place à la disposition des intéressés du capital-argent ou le met en mouvement. »
Ceux qui auront ces idées mystiques, ce sont Pierre-Joseph Proudhon, les populistes russes, ou même Rosa Luxembourg, ou encore les conceptions idéalistes de type fasciste ; en réalité, l’argent n’est qu’un lieu de passage du capital, il n’est pas capital.