Historiquement, il y a eu une période où, les hallucinations provoquées par la détresse physique et psychique s’estompent, en raison du développement des forces productives. Se tourner vers des plantes ou champignons hallucinogènes comme expérience personnelle suprême n’a plus de sens comme refuge, mais cela reste un fétiche.
C’est pourquoi une caste a été formée comme prolongement l’expérience hallucinatoire, de manière organisée, religieuse. C’est le chamanisme.
Il y a à la fois ici une manipulation liée aux couches dominantes en formation pour jouer de la crédulité des masses qu’une réelle mise en place de « fonctionnaires » de l’hallucination. Ainsi être un chamane passait très souvent par un apprentissage poussant à la folie (passer toute son enfance dans une grotte pratiquement sans lumière, consommer massivement des drogues, etc.).
Ces deux aspects – manipulation et dimension mystico-religieuse – font du chamanisme véritablement la religion de la période où les chasseurs-cueilleurs se sont lancés loin du matriarcat et parviennent à un patriarcat systématisé à tous les niveaux, ce qui aboutit alors au « Dieu le père » du monothéisme.
Les nuances et différences dans les approches chamanistes peuvent être particulièrement variées. On voit par exemple, en Asie centrale, des populations altaïques issues des forêts de la Sibérie orientale grimer en rênes des chevaux enterrés avec les guides des clans et tribus. Mais on a aussi les masques africains dogons, les dieux de l’hindouisme, les pyramides mayas, les dragons chinois, les fées et les génies de Méditerranée, les masques Kamen et la danse gagaku au Japon, etc.
C’est d’autant plus vrai que le chamanisme a comme base une humanité vacillante physiquement et psychiquement, connaissant une situation physiologique de détresse propice à l’altération des états de conscience, aux hallucinations. C’est cela la base du culte magique – animiste qu’on retrouve sur toute la planète pendant une longue période, et selon les situations matérielles bien différentes, les expressions en sont différentes.
On peut considérer même qu’il s’agit alors de conceptualiser à travers le chamanisme, par le rite et la fable, un parcours historique d’une intense intensité personnelle, impossible à raconter de manière linéaire de par sa complexité et de par la perte des données en raison du manque de capacités à stocker et transmettre des informations nombreuses et précises.
Plutôt que de pouvoir le raconter de manière linéaire et chronologique, l’effort de rationalisation réalisé par l’humanité primitive qui a accompagné relativement ce mouvement s’est concentré sur le sens et l’existence de ce nouveau rapport en fétichisant certaines des formes significatives, ou vues comme telles, qu’a pris le mouvement pour en faire des signes, des rites et des totems.
Le totem, c’est un esprit propre à un clan, avec au coeur de sa représentation la confusion entre animaux ou éléments naturels et humains, une confusion typique de l’hallucination et des sensations tourmentées d’une humanité affaiblie mentalement, psychiquement, physiquement.
Que le chamanisme reflète, en son sens profond, la précarité humaine, cela se lit dans le combat fanatique menée par le monothéisme contre lui. Dès sa mise en place, le monothéisme a systématisé à l’extermination des restes du chamanisme. Il s’agissait de se débarrasser d’une période considérée comme littéralement maudite.
À ce titre, l’acharnement monothéiste contre le chamanisme et ses restes est issu du long mouvement historique de dépassement de la situation arriérée des chasseurs-cueilleurs. Le monothéisme, c’est l’expression historique prolongée sur de longs siècles de l’extraction de l’humanité des conditions matérielles qui la ramenait régulièrement vers les souffrances et les privations alimentaires, de par la faiblesse des moyens de production.
Le chamanisme correspondait, comme culte des hallucinations, aux carences alimentaires, au déficit calorique, au manque de chaleur, à l’absence de sommeil, aux blessures et aux maladies, à l’épuisement nerveux, à l’angoisse psychologique et à l’anxiété de l’esprit.
Lorsque le monothéisme combat le chamanisme, il s’imagine combattre non pas tant l’expression païenne que cette odieuse situation de l’humanité passée. Si on ne comprend pas ça, on ne peut pas comprendre l’engouement immense des évangélisateurs, mais également pourquoi les masses colonisées d’Afrique, d’Amérique, d’Asie… se sont tournées aussi aisément vers les monothéismes, abandonnant le chamanisme.
Le triomphe de l’Islam en Inde du Nord ne s’explique pas autrement, pas plus que la conversion des masses de l’Amérique devenue latine.
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