Il faut regarder maintenant un aspect très important : la personnalisation de YHWH. Une telle personnalisation est en effet en contradiction avec l’animisme cosmique pour qui le dieu-univers est impersonnel, indéfinissable, à l’écart du monde qu’il alimente en énergie et que, en définitive, il est lui-même.
Dans le Livre des Rois, on trouve ce passage mêlant dieu-univers et Dieu personnel :
« [Le roi de Juda] Ezéchias prit la lettre de la main des messagers, et la lut. Puis il monta à la maison de l’Éternel, et la déploya devant l’Éternel, qui il adressa cette prière: Éternel, Dieu d’Israël, assis sur les chérubins!
C’est toi qui es le seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait les cieux et la terre.
Éternel! incline ton oreille, et écoute. Éternel! ouvre tes yeux, et regarde.
Entends les paroles de Sanchérib [roi d’Assyrie], qui a envoyé Rabschaké [c’est-à-dire un haut officier militaire] pour insulter au Dieu vivant.
Il est vrai, ô Éternel! que les rois d’Assyrie ont détruit les nations et ravagé leurs pays, et qu’ils ont jeté leurs dieux dans le feu; mais ce n’étaient point des dieux, c’étaient des ouvrages de mains d’homme, du bois et de la pierre; et ils les ont anéantis.
Maintenant, Éternel, notre Dieu! délivre-nous de la main de Sanchérib, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, ô Éternel! »
Dans ce passage, on s’adresse à YHWH et on veut qu’il intervienne. Cela signifie qu’ici, YHWH n’est normalement pas le dieu-univers de l’animisme cosmique, mais un dieu servant de patron, comme chaque Cité-État en a toujours un.
Ce dieu coexiste en théorie avec d’autres dieux, tout en étant le dieu principal, spécifique. Là il se voit attribuer des éléments supérieurs pourtant, au niveau du dieu-univers. C’est notable.
Et, dans le Livre des Rois, encore, on a la figure de Josias, qui est tout à fait essentiel. Il a vécu de 640 à 609, c’est un roi, celui du royaume de Juda.
Il est raconté que, contrairement à son grand-père Manassé qui avait placé des autels pour le dieu Baal et même mis en poteau sacré pour déesse Ashera dans le grand temple, lui restaura celui-ci, alors que son or pour les décorations avait été remis aux Assyriens.
Et à l’occasion de cette rénovation du temple, Josias fit la découverte d’un « ouvrage », qui est un document par ailleurs non défini soulignant l’alliance de YHWH avec les Juifs. Il en profite pour liquider les autres dieux.
Voici ce que dit le Livre des Rois :
« Le roi Josias fit assembler auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem.
Puis il monta à la maison de l’Éternel, avec tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les sacrificateurs, les prophètes, et tout le peuple, depuis le plus petit jusqu’au plus grand.
Il lut devant eux toutes les paroles du livre de l’alliance, qu’on avait trouvé dans la maison de l’Éternel.
Le roi se tenait sur l’estrade, et il traita alliance devant l’Éternel, s’engageant à suivre l’Éternel, et à observer ses ordonnances, ses préceptes et ses lois, de tout son cœur et de toute son âme, afin de mettre en pratique les paroles de cette alliance, écrites dans ce livre. Et tout le peuple entra dans l’alliance.
Le roi ordonna à Hilkija, le souverain sacrificateur, aux sacrificateurs du second ordre, et à ceux qui gardaient le seuil, de sortir du temple de l’Éternel tous les ustensiles qui avaient été faits pour Baal, pour Astarté, et pour toute l’armée des cieux ; et il les brûla hors de Jérusalem, dans les champs du Cédron, et en fit porter la poussière à Béthel.
Il chassa les prêtres des idoles, établis par les rois de Juda pour brûler des parfums sur les hauts lieux dans les villes de Juda et aux environs de Jérusalem, et ceux qui offraient des parfums à Baal, au soleil, à la lune, au zodiaque et à toute l’armée des cieux.
Il sortit de la maison de l’Éternel l’idole d’Astarté, qu’il transporta hors de Jérusalem vers le torrent de Cédron ; il la brûla au torrent de Cédron et la réduisit en poussière, et il en jeta la poussière sur les sépulcres des enfants du peuple.
Il abattit les maisons des prostitués qui étaient dans la maison de l’Éternel, et où les femmes tissaient des tentes pour Astarté.
Il fit venir tous les prêtres des villes de Juda ; il souilla les hauts lieux où les prêtres brûlaient des parfums, depuis Guéba jusqu’à Beer-Schéba ; et il renversa les hauts lieux des portes, celui qui était à l’entrée de la porte de Josué, chef de la ville, et celui qui était à gauche de la porte de la ville.
Toutefois les prêtres des hauts lieux ne montaient pas à l’autel de l’Éternel à Jérusalem, mais ils mangeaient des pains sans levain au milieu de leurs frères.
Le roi souilla Topheth dans la vallée des fils de Hinnom, afin que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l’honneur de Moloc.
Il fit disparaître de l’entrée de la maison de l’Éternel les chevaux que les rois de Juda avaient consacrés au soleil, près de la chambre de l’eunuque Nethan-Mélec, qui demeurait dans le faubourg ; et il brûla au feu les chars du soleil.
Le roi démolit les autels qui étaient sur le toit de la chambre haute d’Achaz et que les rois de Juda avaient faits, et les autels qu’avait faits Manassé dans les deux parvis de la maison de l’Éternel ; après les avoir brisés et enlevés de là, il en jeta la poussière dans le torrent de Cédron.
Le roi souilla les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, sur la droite de la montagne de perdition, et que Salomon, roi d’Israël, avait bâtis à Astarté, l’abomination des Sidoniens, à Kemosch, l’abomination de Moab, et à Milcom, l’abomination des fils d’Ammon.
Il brisa les statues et abattit les idoles, et il remplit d’ossements d’hommes la place qu’elles occupaient.
Il renversa aussi l’autel qui était à Béthel, et le haut lieu qu’avait fait Jéroboam, fils de Nebath, qui avait fait pécher Israël ; il brûla le haut lieu et le réduisit en poussière, et il brûla l’idole.
Josias, s’étant tourné et ayant vu les sépulcres qui étaient là dans la montagne, envoya prendre les ossements des sépulcres, et il les brûla sur l’autel et le souilla, selon la parole de l’Éternel prononcée par l’homme de Dieu qui avait annoncé ces choses (…).
De plus, Josias fit disparaître ceux qui évoquaient les esprits et ceux qui prédisaient l’avenir, et les théraphim, et les idoles, et toutes les abominations qui se voyaient dans le pays de Juda et à Jérusalem, afin de mettre en pratique les paroles de la loi, écrites dans le livre que le sacrificateur Hilkija avait trouvé dans la maison de l’Éternel.
Avant Josias, il n’y eut point de roi qui, comme lui, revînt à l’Éternel de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, selon toute la loi de Moïse ; et après lui, il n’en a point paru de semblable.
Toutefois l’Éternel ne se désista point de l’ardeur de sa grande colère dont il était enflammé contre Juda, à cause de tout ce qu’avait fait Manassé pour l’irriter.
Et l’Éternel dit : J’ôterai aussi Juda de devant ma face comme j’ai ôté Israël, et je rejetterai cette ville de Jérusalem que j’avais choisie, et la maison de laquelle j’avais dit : Là sera mon nom. »
Il y a ici quelque chose d’incompréhensible : si Josias était si bien qu’avant lui aucun roi n’avait été si bien, ni après lui, pourquoi alors détruire son royaume ? Pourquoi le grand nettoyage du Temple n’a-t-il pas amené dans le bon sens ?
Il ne peut y avoir qu’une raison : le texte intervient a posteriori, la figure de Josias est modifiée pour être réutilisé avec une fonction précise.
Laquelle ?
En fait, ce qu’on devine, c’est que Josias met en avant YHWH comme patron de la Cité-État.
Ce qu’a fait Josias, c’est remettre de l’ordre face aux influences des autres Cités-États, des autres empires, des autres cultures et religions locales. Il a procédé à la recentralisation de la Cité-État.
On a ce faisant un moment clef : celui où la confusion commence à opérer entre le dieu tutélaire des Juifs et le dieu-univers. La confusion a comme sens politique à l’arrière-plan de maintenir la Cité-État en disant que si le dieu tutélaire a échoué, il a en fait une « dimension » plus grande qu’on s’imaginait.
La prétendue « alliance » – justifiée par la « découverte » d’un texte de la plus haute importance en nettoyant le Temple – est le moyen de former cette contradiction dieu-tutélaire / dieu-univers.
Le dieu-univers descend d’un cran et a « choisi » un peuple : il ne faut donc pas s’inquiéter outre mesure !
C’est là que commence le problème théologique. Car il y a une contradiction, qui produit le judaïsme : le YHWH de la Genèse est clairement le dieu-univers de l’animisme cosmique, alors que le YHWH de Josias est un dieu parmi d’autres, mais le dieu tutélaire de la Cité-État qui voit son champ d’importance être élargi.
En utilisant l’alliance comme moyen de faire « descendre » le dieu-univers, Josias ouvre la voie à une confusion générale, à une assimilation du dieu tutélaire YHWH au dieu univers YHWH – on peut se douter qu’à la base les deux avaient deux noms différents, tenant peut-être à une simple différence de voyelles.
L’assimilation de l’un à l’autre s’est toujours plus approfondie avec la crise générale de la situation politico-religieuse des Juifs.
Ceux-ci ont été obligés de confondre leur dieu tutélaire avec le dieu-univers à l’arrière-plan….
Non pas parce qu’ils sont allés en avant, vers le monothéisme, par la centralisation, l’unification, la synthèse… Mais justement parce qu’ils sont repartis en arrière, dans un mouvement de décomposition, et qu’ils ont tenté de s’y opposer.
L’histoire des royaumes juifs, marginaux, faibles, écrasés, sans importance historique aucune, a produit une révolte contre cette histoire, et l’assimilation du dieu tutélaire et du dieu-univers.
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