L’anti-Dühring est dirigé contre les thèses d’Eugen Dühring (1833-1921), même si c’est secondaire par rapport à la mise en valeur de l’idéologie communiste. En fait, on peut voir qu’il s’agit d’une critique de l’idéalisme qui est la base à l’exposition du matérialisme dialectique.
On doit noter d’ailleurs ici que Eugen Dühring appartient au courant du « positivisme », et que ses positions sont les mêmes que ses contemporains Ernst Mach et Richard Avenarius. Or, il y a une critique très connue de Mach et d’Avenarius : celle faite par Lénine dans « Matérialisme et empirio-criticisme ». Lénine a en fait défendu ce qu’enseigne l’anti-Dühring, en profitant des nouveaux acquis scientifiques de son époque.
De son côté, Eugen Dühring verra vite son influence s’effondrer dans la social-démocratie. Par contre, les courants anti-marxistes le soutiendront et Eugen Dühring va alors devenir le principal théoricien racialiste de la fin du XIXe siècle en Allemagne, formulant les principes de l’antisémitisme exterminateur.
Le moteur de la conception antisémite de Eugen Dühring repose bien évidemment sur le rejet de la dialectique de la nature. A la position de Friedrich Engels, Eugen Dühring oppose une vision où il y a bien évolution, mais raciale, avec donc la liquidation de ce qui relève du malade, du non-naturel, en l’occurrence donc selon lui les personnes juives.
Cet aspect n’a jamais été étudié, et pourtant il est intéressant de voir que dès l’époque de Friedrich Engels, il y a ainsi un « socialisme » anti-marxiste qui se forme, avec l’antisémitisme comme moteur anticapitaliste romantique.
Eugen Dühring élabore toute une théorie antisémite où il considère que le judaïsme n’existe pas réellement, n’étant que le paravent d’un « parasitisme » juif. La seule solution à la question juive présentée ici comme « raciale », est forcément la liquidation, car l’enfermement régional amènerait cette « race nomade » à s’enfuir ou à tenter de conquérir le monde depuis une base.
Il faut cependant faire attention et ne pas penser que Eugen Dühring formule un darwinisme racial, où les peuples sont en concurrence et seuls les meilleurs survivent. Eugen Dühring raisonne en terme d’évolution générale, où seuls les aryens seraient « humains » réellement, les personnes juives n’étant pas considérées comme humaines, mais comme des sortes de parasites géants.
Il n’est pas difficile de voir ici dans quelle mesure on retrouve ici des thèmes qui deviendront traditionnels dans l’antisémitisme. Or, il est ici évident que la constitution d’une théorie racialiste exactement contemporaine au début du matérialisme dialectique est une réponse à celui-ci. Eugen Dühring, parce qu’il rejette le marxisme, transforme l’antisémitisme religieux en antisémitisme racialiste.
La particularité de ses offensives idéologiques est de combattre à tout prix les conversions et de lancer des appels pour considérer les personnes juives comme une race à part, à supprimer physiquement, cela étant valable pour chaque individu, pour des raisons « raciales ».
Tout cela est pour Eugen Dühring le seul moyen de constituer une anti-idéologie suffisamment forte. Il a besoin de remplacer la formidable dimension du matérialisme dialectique par quelque chose d’au moins aussi fort, et pour cela il propose une « aventure » de type « racial ».
A l’optimisme radical de la lutte des classes du matérialisme dialectique, Eugen Dühring oppose un optimisme racial. Il est évident qu’il y a là un événement historique, et une perspective à comprendre absolument.