Le PCF en 1936 : « Pour la réconciliation du peuple de France »

Le 6 avril 1936, 80 000 personnes se rassemblent à Paris au Buffalo, pour un grand meeting communiste contre la guerre, alors que l’Allemagne nazie est en pleine affirmation internationale, commençant les postures menaçantes et annonçant déjà la suite des événements.

C’est l’occasion pour le Parti Communiste Français de vérifier si sa ligne, alors que les élections législatives se tiennent bientôt, parvient à tenir le choc. Le Parti est-il enfin parvenu à être en phase avec la société ? Est-il crédible ?

Le moyen employé par le Parti Communiste Français a été établi par Maurice Thorez ; c’est l’opposition faite entre une « France forte, libre et heureuse » et les diviseurs que sont les ligues fascistes.

Il est proposé une unité nationale, transcendant les opinions, pour isoler l’extrême-droite. Le moteur, c’est l’unité avec le Parti socialiste-SFIO, mis en place en 1934-1935, avec une réelle efficacité. L’arrière-plan, c’est l’unification de la CGT (non communiste) et de la CGT-Unitaire (liée au Parti). Et le grand vecteur rendant les choses possibles, c’est l’intégration des radicaux au Front populaire.

Le communiqué commun de début avril 1936 reflète cette orientation commune portée par la base ouvrière inquiète et soucieuse que les rangs soient serrés.

« Le Parti Communiste et le Parti Socialiste proclament une fois de plus leur volonté de tout mettre en œuvre pour défendre la paix.

Les événements actuels montrent que dans les circonstances créées par la politique d’armement du capitalisme, par les conséquences inéluctables de sa politique de force, LE FASCISME C’EST LA GUERRE, et à l’heure où les préparatifs de guerre de l’Allemagne hitlérienne ébranlent la paix de l’Europe, tous ceux qui veulent éviter les horreurs d’une nouvelle catastrophe se doivent de condamner la provocation à laquelle s’est livré Hitler.

Le fait que les sanctions n’ont pas été appliquées à Mussolini, qui poursuit la guerre en Éthiopie, a encouragé les hitlériens fauteurs de guerre dans leur politique du « poing sur la table » qui, si elle admise, fera disparaître toute garantie de sécurité collective et entraînera les peuples vers de nouveaux massacres.

Le Parti Communiste et le Parti Socialiste appellent les masses populaires menacées par Hitler et les hitlériens français, à s’unir pour défendre la paix, et décident :

a) de proposer au Comité de du Rassemblement Populaire l’organisation d’une vaste démonstration internationale en faveur de la paix, à Paris ;

b) d’intervenir auprès de la C.G.T. pour lui demander de collaborer avec les deux partis dans la lutte pour la paix ;

c) de proposer aux organisations du Rassemblement Populaire une action de masse pour exiger la dissolution et le désarmement des ligues fascistes plus que jamais menaçantes, et qui continuent de jouir d’une indulgence que le gouvernement s’était pourtant engagé à ne pas avoir.

Contre les provocations hitlériennes et contre les hitlériens français, complices des fauteurs de guerre d’Allemagne,

Pour défendre la paix et la liberté contre les ligues factieuses, qui sont au service des deux cents familles qui encouragent les provocations hitlériennes et fomentent la guerre civile,

Plus que jamais unité d’action pour la lutte et pour la victoire.

Le comité de coordination du Parti Communiste et du Parti Socialiste »

Le Parti Communiste Français souligne, dans son affirmation de « l’ordre » contre le fascisme, l’exemple espagnol, où l’agitation d’extrême-droite contre la République devient toujours plus terroriste, à la veille de la tentative du coup d’État militaire.

Cela peut sembler juste. Cependant, le contexte de la défense de la République en Espagne, pays marqué par une réelle féodalité encore, n’est pas celui de la France, et cela ramène en fait le Parti Communiste Français à la ligne des socialistes d’avant 1914, qui étaient prêts finalement à s’unir avec les bourgeois républicains contre les puissants restes monarchistes et cléricaux.

Cela n’est toutefois pas vu, car il n’y a pas d’analyse détaillée de l’Histoire de France. Le Parti Communiste Français est né en 1920 et, à ses propres yeux, il est quelque chose de tout à fait nouveau, dans un contexte nouveau.

C’est en partie vrai, car la première crise générale du capitalisme a commencé avec la guerre de 1914-1918 et la révolution russe d’octobre 1917. La production capitaliste recule, à part aux États-Unis et au Japon, pour dire les choses simplement.

Néanmoins, la France a tout un parcours historique et, à moins de voir en le marxisme-léninisme une méthode fournissant les bonnes tactiques pour la révolution, on ne peut pas faire fi des mentalités, des situations géographiques, des questions culturelles, des rapports économiques en tant que tendance sur le long terme, etc.

Ce qui se passe donc, au-delà des apparences, c’est la conjonction de deux phénomènes. D’une part, il y a une réelle unité ouvrière et cela suffit à l’Internationale Communiste, qui voit un moyen d’avancer la lutte de classe dans les faits, malgré et contre le fascisme. Cela résout un problème immense et incompris jusque-là, comme l’a montré la défaite allemande.

D’autre part, Maurice Thorez est dans la démesure. Il a sauvé le Parti des courants gauchistes menant à un sectarisme débridé provoquant toujours plus d’isolement. Il a un prestige énorme dans le Parti pour cela.

Mais il entend continuer sur sa lancée en faisant du Parti Communiste Français une composante reconnue et acceptée du pays. Et cela à tout prix, tellement il est le fruit de la hantise de la mise à l’écart connue tout au long des années 1920.

C’est le sens du retentissant discours fait à la station Radio Paris, le 17 avril 1936. Pour la première fois, un communiste était invité à une radio nationale (et d’État). Les propos de Maurice Thorez furent à la hauteur de l’événement, avec une « main ouverte » à, pour ainsi dire, absolument tout le monde, contre les « 200 familles ».

Rappelons que ce concept a été inventé par Édouard Daladier à l’occasion d’un congrès du Parti républicain, radical et radical-socialiste, en octobre 1934. Voici ses propos.

« Ce sont deux cents familles qui, par l’intermédiaire des conseils d’administration, par l’autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l’économie française mais de la politique française elle-même.

Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France.

L’empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l’opinion publique car elles contrôlent la presse. »

Sur le plan pratique, le discours de Maurice Thorez veut dire surtout s’ouvrir aux ouvriers catholiques, en réfutant désormais toute critique de la religion, afin de privilégier la mise en avant des intérêts matériels communs. Cela veut dire également chercher à gagner les éléments populaires ayant basculé à l’extrême-droite car ayant cédé à la démagogie.

Et c’est un moyen de forcer les militants du Parti à rompre avec leur gauchisme passé. La ligne de Maurice Thorez est aussi, même si cela n’est pas dit, imposée comme contre-poison aux tendances passées. C’est un déviationnisme de droite finalement présenté comme une rectification qui irait jusqu’au bout.

Cela passe inaperçu à l’époque, car on est dans les débuts de la mise en place du concept de démocratie populaire, dont le grand théoricien est Georgi Dimitrov, dans le cadre de l’Internationale Communiste. Face à la guerre et au fascisme, le Parti ne doit pas simplement proposer la révolution, mais affirmer une ligne de sortie nationale de la crise, crise qui est à la fois économique, politique, culturelle.

Autrement dit, la révolution n’est pas possible car les monopoles sont trop forts et le Parti a trop mis de temps à se constituer, mais leur domination précipite une décadence et une tendance à la guerre qu’il est possible de contrer, sous la forme d’un Front populaire auquel pousse le Parti.

Cette ligne, pour l’Internationale Communiste, est valable dans tous les pays à partir du milieu des années 1930.

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