Ce qui est frappant dans l’approche de Jamblique, c’est qu’il s’agit de sauver son âme. C’est tout à fait la même approche que celle du christianisme et en cela, c’est une rupture avec l’extase individuelle de Plotin qui, naturellement, se rapproche bien plus des expériences des premiers chrétiens, des ermites.
Ce qui est fascinant, c’est que se révèle ici l’importance capitale pour le christianisme de la trinité, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Car ce que dit Jamblique au sujet du Démiurge, c’est que celui-ci façonne la réalité, en reprenant les éléments donnés par le Père.
Or, ce façonnage se déroule naturellement de manière logico-mathématique. En cela, le néo-platonisme de Jamblique est bien dans la continuité absolue du platonisme, lui-même issu du pythagorisme.
A tous les niveaux, on trouve un moyen terme logico-mathématique. L’âme est le moyen terme entre la matière et le Démiurge, le monde lui-même est une composition mathématique orchestrée par le Démiurge en s’appuyant sur ce qui a été créé par le Père.
Cela signifie que les mathématiques sont une réalité autonome, un intermédiaire entre l’Un et le multiple. L’âme a la même nature intermédiaire, ce qui fait dire à Jamblique que :
« La notion de l’âme contient spontanément la plénitude totale des mathématiques. »
Jamblique a d’ailleurs écrit un œuvre intitulée Sur la science mathématique commune ; on est là entièrement dans la perspective où la réalité est une question de tension, de composition, de proportion, d’égalité et d’inégalité, de grandeur, bref tout étant lié aux nombres.
La science des nombres est la « clef » de l’Univers, en tant qu’intermédiaire entre l’Un dont elle est issue et le multiple qu’elle façonne comme réalité matérielle, mais qu’elle n’est pas, étant de ce fait moins multiple que celle-ci.
C’est un enseignement secret, tant chez Pythagore que chez Platon, ces deux auteurs étant considérés comme ayant tout appris des « antiques stèles de Hermès ». Jamblique rappelle d’ailleurs dans sa Vie de Pythagore :
« Concernant Hippasos en particulier, c’était un Pythagoricien.
Mais, parce qu’il avait été le premier à divulguer par écrit comment on pouvait construire une sphère à partir de douze pentagones, il périt en mer pour avoir commis un acte d’impiété.
Il mourut dans la gloire comme s’il en avait fait la découverte alors que tout le mérite en revenait à Lui [c’est-à-dire Pythagore]. »
Voici un exemple de ce que donne le mysticisme de Jamblique fondé sur les nombres :
« Dans un autre ordre, il [= Hermès] met le dieu Emeph à la tête des dieux célestes, il dit qu’il est l’intelligence qui se pense elle-même et qui tourne vers soi les autres pensées ; il met avant lui l’un indivisible, qu’il nomme aussi le premier enfanté et Eiktôn ; en lui est le premier intelligent et le premier intelligible, que l’on adore par le silence seul.
En outre, il y a d’autres chefs de la démiurgie des êtres visibles ; car l’intelligence est démiurgique, gardienne de la vérité et de la sagesse ; descendant dans la genèse et mettant au jour la puissance cachée des discours secrets, on l’appelle Amonn, dans la langue des Égyptiens ; accomplissant tout sans mensonge et artistement, véridiquement, on l’appelle Phta (les Hellènes changent Phta en Héphaïstos, ne s’attachant qu’à son art) ; comme créant le bien, on l’appelle Osiris et elle prend, selon ses diverses puissances, des noms différents.
Mais il y a chez eux une autre hégémonie de tous les éléments diffus dans la genèse et des forces qui résident en ceux-ci, quatre forces femelles et quatre forces mâles : cette hégémonie appartient au soleil. Et il y a un autre principe de la nature universelle existant dans la genèse que l’on attribue à la lune.
Divisant le ciel en deux, quatre, douze, trente-six parties ou le double, ou en un autre nombre quelconque de parties, on met à la tête de celle-ci des hégémonies plus ou moins nombreuses ; mais au-dessus de toutes on établit l’Un qui leur est supérieur.
Et ainsi, chez les Égyptiens, l’on procède en partant d’en haut, depuis les principes jusqu’aux êtres derniers en donnant à tous l’Un pour origine et tout aboutit à une multitude d’êtres régis par l’Un et toute nature indéterminée y est gouvernée par une mesure déterminée qui est l’unité suprême, cause de toutes choses.
Dieu a fait naître la matière en séparant la matérialité de l’essentialité : le démiurge a reçu cette matière vitale et en a fait les sphères simples et impassibles, et il en a organisé l’ultime partie dans les corps engendrés et corruptibles. »
Ce passage toujours plus fort vers le mysticisme des nombres va alors précipiter le néo-platonisme dans une sorte de cartographie fantasmagorique de l’Univers. C’est Proclus qui va la réaliser.