La référence d’Ariel à la figure de « l’Aryen européen » ne doit nullement étonner. L’Amérique latine est saturée d’une critique romantique du capitalisme, d’une dénonciation antisémite du « capital » parasitaire.
C’est inévitable : du moment que le capitalisme reste incompris intellectuellement alors qu’on le subit dans les faits, il y a la sensation d’être débordé.
Comme en plus, ce sont les criollos qui ont décidé de la vision du monde latino-américaine, avec Ariel, alors tout est plié dès le départ.

Le national-socialisme est ainsi une constante idéologique en Amérique latine ; cette idéologie suinte de tous les pores de la critique de la réalité dès qu’il y a à l’arrière-plan le mythe de la civilisation latino-américaine.
Précisons ici de quoi on parle, car les Français n’ont jamais compris le national-socialisme comme idéologie, en raison de leur culture républicaine et du fait qu’ils aient eu à affronter le national-socialisme dans sa version allemande.
Le national-socialisme est une idéologie née dans la première partie du 20e siècle qu’on retrouve dans de nombreuses variantes, dont voici les dénominateurs communs :
– il y aurait un capital créateur, productif, qui s’opposerait à un capital parasitaire, improductif ;
– les vrais travailleurs (patrons comme ouvriers, etc.) doivent être solidaires (c’est le « socialisme » national) ;
– il faut une stabilité communautaire fondée sur la continuité (le plus souvent sur une base ethnique) ;
– tout déséquilibre est produit de l’extérieur.
On peut voir par exemple que la bande dessinée « Astérix et Obélix » correspond formellement à cette idéologie.
C’est flagrant : le village gaulois vit à l’écart, chacun est à sa place, personne n’exploite personne, seul l’extérieur apporte des troubles réels potentiels, etc.
Cela ne doit pas étonner ; le national-socialisme est un rêve petite-bourgeois d’une unité des classes masquée par une société idéale où « chacun est à sa place ».
Certaines variantes du national-socialisme sont donc expansionnistes, d’autres non ; certaines sont bien plus antisémites que d’autres également, etc.
Surtout, la plupart des conceptions national-socialistes ne s’assument pas comme tels.
Mais n’importe quelle conception d’une société « homogène », sans contradiction interne, harmonieuse car traditionnelle, stable car formant une sorte de grande famille, relève du national-socialisme.
En Amérique latine, on en trouve un strict équivalent de cela dans l’idéologie indigéniste. Si on regarde bien, on a l’idée résolument anti-moderne de communautés séparées, ethniquement stables, qui pour cette raison même seraient bénéfiques historiquement.
L’EZLN du Mexique s’aligne fondamentalement sur cette démarche, mais il y a bien d’autres courants indigénistes du même type.

Surtout, en Amérique latine, il existe des variantes de ce rêve « national » communautaire à tous les niveaux.
Que ce soit avec le culte des communautés indigènes, de la communauté nationale, de la communauté latino-américaine au sens le plus large, on retrouve toujours une tendance à proposer un national-socialisme où la communauté est juste en soi, l’intervention extérieure est mauvaise en soi.
C’est ce qui explique la dénonciation populiste des « yankees », prétexte pour cacher tous les problèmes internes aux sociétés latino-américaines.
C’est ce qui explique également la fascination systématique qu’on a dans toute la « gauche » latino-américaine pour le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais.
On a exactement la même chose en Irlande, et pour cause : il y a le même arrière-plan catholique avec son antisémitisme frelaté, il y a la même présentation de sa propre « communauté nationale » qui s’imagine être uniquement victime de l’agression extérieure, etc.
On aura compris ici qu’Ernesto « Che » Guevara n’est donc, en réalité, nullement un communiste ; son obsession pour l’impérialisme américain convergeait en fait avec Ariel, et d’ailleurs Ernesto « Che » Guevara était un panaméricain assumé.
Selon lui :
« La division de l’Amérique latine en nationalités incertaines et illusoires est complètement factice.
Nous sommes une seule race métissée, qui depuis le Mexique jusqu’au détroit de Magellan présente des similarités ethnographiques notables. »
C’est là une position ariéliste, justement.
Pourquoi ? Parce qu’Ernesto « Che » Guevara fait la même erreur que la gauche latino-américaine en général historiquement : il reconnaît les nations nées par en haut, par les criollos, pour dire qu’en fait cela produit une division de l’Amérique latine qu’il faut repousser.
Ce faisant, ils se posent comme des « ultras » unitaires, alors qu’en réalité, ils nient la réalité matérielle, et bien sûr fondamentalement la question féodale.

Pour ces gens, il n’y a pas de processus national-démocratique à réaliser dans les pays d’Amérique latine ; pour ces gens, les nations latino-américaines seraient déjà existantes. C’est en fait une reconnaissance de l’action des criollos, alors que cela a produit une société de manière artificielle.
On retombe alors dans un anticapitalisme romantique où l’Amérique latine « serait » pure et deviendrait socialiste de manière « naturelle » si elle le pouvait.
Cependant, elle serait seulement une victime d’un agent extérieur, l’impérialisme américain, et il n’y a plus de féodalité mais seulement des agents des États-Unis dans le pays.
C’est bien entendu totalement formel, cela nie la base féodale et le capitalisme bureaucratique qui s’est développé sur ce féodalisme, en connexion avec les États-Unis effectivement.
L’antisémitisme ressort alors, dans une telle approche erronée, par vagues, selon les besoins idéologiques du moment, afin d’apporter une « charge » de plus à prétention anticapitaliste à l’idéologie.
Pour donner un exemple hautement significatif, il y a eu à « gauche de la gauche » un soutien franc et direct au Hamas à partir d’octobre 2023 au Brésil et au Mexique.
Le soutien à la Palestine est ici artificiel et utilisé de manière « national-révolutionnaire », afin de chercher à « éviter » d’avoir à affronter la question féodale des narcos et des gangs.

Plus directement, l’Amérique latine a également connu, des années 1920 à aujourd’hui, des expressions idéologiques national-socialistes directes.
Le Chili a produit dans les années 1930 un puissant mouvement national-socialiste qui a même tenté un coup d’État ; en Argentine, ce qu’on appelle le péronisme est dans la même logique (et les nazis assumés se plaçaient dans son orbite).
Le Mexique a toujours connu une fascination violente pour le nazisme depuis les chemises dorées dans les années 1930 ; Klaus Barbie a habité trente ans en Bolivie où il a conseillé les présidents ; le Pérou a connu divers mouvements nazis dans les années 1930 ; Josef Mengele s’est réfugié au Brésil où à travers la communauté allemande le national-socialisme a toujours eu une grande base.
La liste est sans fin et il faut bien saisir la chose suivante : l’idéologue de « l’Amérique latine » mêle toujours un fondamentalisme communautaire à une profonde inquiétude « raciale ».
L’obsession pour la question raciale est le grand angle mort de l’idéologie latino-américaine.
L’inquiétude permanente quant à une identité à la fois restant à définir et considéré comme somme toute secondaire par rapport au métissage provoque un malaise permanent.
D’un côté, n’importe qui peut rejoindre l’idéologie latino-américaine, il n’existe aucun racisme ; de l’autre, l’idéologie latino-américaine est dans l’inquiétude constante de pouvoir trouver un moyen de « fermer » les portes afin de s’auto-définir comme communauté.
Concluons cet aspect éminemment important, mais exigeant une analyse de fond de très grande ampleur, avec l’exemple le plus significatif.
José Vasconcelos (1882-1959) est la figure magique de l’enseignement populaire au Mexique.
C’est lui porte l’affrontement avec l’analphabétisme, organisant également la mise en place de 2500 bibliothèques publiques. Il a été recteur à l’Université nationale autonome du Mexique, secrétaire de l’Éducation publique ; c’est lui qui a permis aux muralistes mexicains, souvent ouvertement communistes, de réaliser des œuvres dans des bâtiments publics.
C’est une figure mythique des milieux intellectuels mexicains et il a été l’auteur, en 1925, d’un ouvrage intitulé La race cosmique, où il explique que sur le continent américain se produit le mélange de toutes les races, le métissage permettant l’avènement d’une nouvelle humanité.
Et pourtant, ce même José Vasconcelos participa à une revue de soutien à l’Allemagne nazie en 1940 !

Telle est l’attraction, quand on n’assume pas la lutte contre le féodalisme, vers une idéologie nationale « unificatrice »
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L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)