Les guerres incessantes entre pays latino-américains

José Enrique Rodó prône dans Ariel le remplacement historique de la domination des États-Unis par celle de l’Amérique latine, mais il est un fait irréductible que lui-même connaissait très bien : les pays latino-américains se sont précipités dans la guerre les uns contre les autres.

Le mythe latino-américain mis en avant par José Enrique Rodó prétend que tous les latinos seraient unis, qu’au fond il s’agit de la même civilisation.

En réalité, les pays latino-américains sont nés par en haut, à travers la prise du pouvoir des criollos aux dépens de l’Espagne, et ils n’ont jamais arrêté de vouloir étendre leur domination féodale.

Par conséquent, non seulement les colonies espagnoles en Amérique ne se sont jamais unies, mais elles se sont fait la guerre et se concurrencent perpétuellement.

Les principales langues en Amérique latine : en vert l’espagnol, en orange le portugais et en bleu le français.

On ne parle pas ici d’affrontements provoqués par l’étranger, par les impérialismes américain, britannique ou encore français, bien que cela joue forcément également.

On parle bien de combats armés dont l’aspect principal est une dispute entre élites criollos pour des hégémonies régionales, des renforcements territoriaux, etc.

Tout cela se produit dès le départ, dès l’obtention de l’indépendance.

De 1825 à 1828, il y a la guerre entre les Provinces-Unies du Río de la Plata (la future Argentine) et l’empire du Brésil. Personne ne gagne et le territoire disputé devient indépendant, sous le nom d’Uruguay.

En 1828-1829, il y a la guerre entre la Grande Colombie (avec les actuels Colombie, Venezuela, Panama et Équateur) et le Pérou.

De 1836 à 1839, il y a la guerre entre la Confédération Pérou-Bolivie et l’Argentine alliée au Chili.

Peinture de 1842 d’Ignacio Merino montrant Luis José de Orbegoso entrant dans Lima durant la guerre civile au Pérou, alors que la Confédération péruvio-bolivienne s’est effondrée il y a peu

De 1865 à 1870, la Triple Alliance Argentine – Brésil – Uruguay fait la guerre au Paraguay. Entre 1879 et 1884, la Guerre du Pacifique voit le Chili s’opposer à la fois à la Bolivie et au Pérou.

Entre 1899 et 1903, le Brésil s’opposa au Bolivie et au Pérou lors de la guerre de l’Acre. De 1832 à 1916, il y aura de nombreux conflits armés entre la Colombie et l’Équateur au sujet des frontières.

En 1932-1933 a lieu une guerre frontalière entre la Colombie et le Pérou. De 1932 et 1935, la Bolivie et le Paraguay sont en guerre pour la région du Chaco Boreal.

Entre 1932 et 1998, l’Équateur et le Pérou connaissent de multiples conflits armés. De 1978 à 1984, l’Argentine et le Chili étaient à deux doigts de la guerre. En 1969 eut lieu la guerre de Cent Heures entre le Honduras et le Salvador.

Dans les faits, l’idéologie latino-américaine, cette fiction des criollos, n’a jamais empêché les affrontements militaires, alors que suivant cette même idéologie, un affrontement « interne » serait par définition impossible.

Ariel est publié en 1900, donc José Enrique Rodó a largement pu le constater. Et il n’aborde pas cette question.

S’il ne le fait pas, c’est également parce qu’Ariel propose une mise en perspective historique : les pays latino-américains devraient se concentrer à bientôt remplacer les États-Unis.

C’est en ce sens un appel à l’unité, ou du moins à la mise de côté des divisions entre les pays, des divisions qui s’appuient en définitive sur le caractère féodal des élites criollos.

Cela explique pourquoi José Enrique Rodó insiste particulièrement sur la dimension idéaliste de l’identité latino-américaine.

On en revient au principe d’une idéologie latino-américaine comme support des couches dominantes.

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L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)