Henri Bergson, avec sa conception de la conscience toute puissante, inverse la théorie matérialiste dialectique du reflet. Ce n’est plus la conscience qui est imprimée par la réalité, mais l’inverse.
Cela signifie que ce qu’on appelle mémoire n’est pas une impression, comme dans le matérialisme dialectique où la conscience est imprimée, mais un simple outil pour l’intuition, pour l’action future de la conscience. Le monde consiste en l’avenir de la conscience agissante.
Ainsi, selon Henri Bergson :
« L’état affectif ne doit donc pas correspondre seulement aux ébranlements, mouvements ou phénomènes physiques qui ont été, mais encore et surtout à ceux qui se préparent, à ceux qui voudraient être. »
La nature (divine) a donc ici permis une conscience toute puissante, dont la mémoire n’a de sens que comme vecteur du libre choix de la conscience agissante. L’être humain n’est plus façonné par la réalité : il dessine lui-même la réalité par sa conscience. Tout passe et tourne autour de la conscience.
Par conséquent, l’art ne doit plus proposer une synthèse de la réalité, mais hypnotiser la conscience afin de proposer un contenu satisfaisant à la conscience toute puissante. Henri Bergson dit ainsi :
« En se plaçant à ce point de vue, on s’apercevra, croyons-nous, que l’objet de l’art est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé.
Dans les procédés de l’art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose. »
On a ici un équivalent du principe des « correspondances » formulé par Charles Baudelaire dans Les fleurs du mal. La conscience se retrouve, elle a des « sympathies » (au sens d’atomes crochus, d’affinités électives) avec quelque chose. Cette rencontre produit quelque chose de magique, où la conscience s’efface.
Voici comment Henri Bergson explique que la « volonté se perd » devant des statues antiques :
« Si les œuvres de la statuaire antique expriment des émotions légères, qui les effleurent à peine comme un souffle, en revanche la pâle immobilité de la pierre donne au sentiment exprimé, au mouvement commencé, je ne sais quoi de définitif et d’éternel, où notre pensée s’absorbe et où notre volonté se perd. »
La conscience est chez Henri Bergson tellement centrale que tout tourne littéralement autour de sa propre existence : soit elle s’abandonne, soit elle se dirige vers la réalité en agissant, mais jamais elle n’existe comme impression, comme reflet de la réalité.
Il y a bien un rapport au corps, mais il y a l’esprit est indépendant, même s’il est « touché » par la réalité organique. On a là la même démarche que René Descartes : le spirituel est sauvé, et il y a également l’action qui est possible (conformément aux exigences bourgeoises en termes de pratique).
L’époque est toutefois différente. Là où René Descartes pouvait être une relative arme anti-féodale de par l’affirmation de la conscience « scientifique » agissante dans un monde (donné par Dieu), on a, avec Henri Bergson, une célébration de la toute puissance du subjectivisme au sein d’une société déjà bourgeoise.
La bourgeoisie n’a eu cesse de le célébrer et de le remercier, en le faisant par exemple président de l’Académie des sciences morales et politiques, grand-croix de la Légion d’honneur, membre de l’Académie française ou encore prix Nobel de littérature.