En accordant une dimension centrale à la conscience, Henri Bergson réalise un tour de passe-passe visant à supprimer tout espace théorique où l’on pourrait accorder à la matière un mouvement interne.
Le temps n’existe plus pour les objets et les phénomènes, il ne s’y passe rien, en raison de ce que Henri Bergson interprète comme la loi de la conservation de l’énergie. Seule la conscience perçoit les changements, seule elle peut en définitive agir réellement.
Voici comment il formule sa vision du monde :
« Tandis que le temps écoulé ne constitue ni un gain ni une perte pour un système supposé conservatif, c’est un gain, sans doute, pour l’être vivant, et incontestablement pour l’être conscient.
Dans ces conditions, ne peut-on pas invoquer des présomptions en faveur de l’hypothèse d’une force consciente ou volonté libre, qui, soumise à l’action du temps et emmagasinant la durée, échapperait par là même à la loi de conservation de l’énergie ? »
La réalité ne possède pas de contradiction, elle est uniforme. Les seules transformations tiennent à des rencontres de choses, selon la loi de la conservation de l’énergie.
Il n’y a jamais de transformations qualitatives, uniquement différents aspects avec la conscience en privilégiant certains pour comprendre ce qui se passe. On a là quelque chose de très important chez la bourgeoisie décadente : le relativisme pragmatique, frappé du sceau de l’unilatéralisme.
Henri Bergson explique cela de la manière suivante:
« Certes, toute opération mathématique que l’on exécute sur une quantité donnée implique la permanence de cette quantité à travers le cours de l’opération de quelque manière qu’on la décompose.
En d’autres termes, ce qui est donné est donné, ce qui n’est pas donné n’est pas donné, et dans quelque ordre qu’on fasse la somme des mêmes termes, on trouvera le même résultat.
La science demeurera éternellement soumise à cette loi, qui n’est que la loi de non-contradiction ; mais cette loi n’implique aucune hypothèse spéciale sur la nature de ce qu’on devra se donner, ni de ce qui restera constant.
Elle nous avertit bien, en un certain sens, que quelque chose ne saurait venir de rien ; mais l’expérience seule nous dira quels sont les aspects ou fonctions de la réalité qui, scientifiquement, devront compter pour quelque chose, et quels sont ceux qui, au point de vue de la science positive, ne devront compter pour rien.
Bref, pour prévoir l’état d’un système déterminé à un moment déterminé, il faut de toute nécessité que quelque chose s’y conserve en quantité constante à travers une série de combinaisons ; mais il appartient à l’expérience de prononcer sur la nature de cette chose, et surtout de nous faire savoir si on la retrouve dans tous les systèmes possibles, si tous les systèmes possibles, en d’autres termes, se prêtent à nos calculs. »
La conscience peut calculer des phénomènes, car elle dispose du recul nécessaire pour cela d’un côté, et de l’autre il y a une évolution de la réalité qu’on doit appeler ici mécanique : ce qui se produit ne connaît pas de changement interne. Cela est impérativement nécessaire afin de maintenir la fiction d’une conscience qui, pareillement, ne connaît pas de modification interne.
En fait, chez Henri Bergson, il y a l’espace avec les objets, et des rencontres, des phénomènes, des chocs, etc. qui provoquent des modifications spatiales, en s’accordant avec ce qu’il appelle la loi de la conservation de l’énergie. Le temps, en tant que tel, n’existe pas, à part pour la conscience.
On a ici un monde consistant en une accumulation de choses et de faits, dont la somme énergétique reste la même, ne connaissant aucune transformation, avec des humains disposant d’une conscience soi-disant assez profonde pour saisir une nouvelle dimension : le temps.
On a la même justification de l’activité humaine que chez René Descartes (parfaitement comprise alors par Karl Marx), c’est-à-dire un rationalisme sans matérialisme. Emmanuel Kant avait corrigé le tir, formulant une sorte de matérialisme mathématique. Avec Henri Bergson, on replonge dans l’idéalisme.