La CGT, en tant que syndicat, rejette la politique et cela d’autant plus que les communistes en ont été exclus au début de la seconde guerre mondiale. La chasse aux communistes est telle qu’entre septembre 1939 et mars 1940, 620 syndicats et 675 associations sont même dissous, afin d’assécher littéralement tout le terrain.
L’émergence du régime de Vichy et de l’Occupation allemande l’amène par conséquent à se plier aux nouvelles règles, afin de chercher à accompagner au mieux les travailleurs.
C’est une logique de collaboration, conclusion logique de la formulation antipolitique. Ainsi, lors de la réunion de son Comité confédéral le 24 juin 1940, la CGT décide de proposer une « Communauté française du travail ».
Puis, à Toulouse, le 20 juillet 1940, le Comité confédéral de la CGT fait abandonner dans les statuts l’objectif de l’abolition du salariat et du patronat. L’objectif est présenté comme suit :
« La CGT se donne pour but de défendre les droits sacrés du travail, d’accroître le niveau de vie des travailleurs, de protéger la famille de ces derniers, et de collaborer à la prospérité nationale. »
Par la suite, le régime de Vichy dissous les syndicats des travailleurs mais aussi ceux des patrons, afin de mettre en place des comités d’organisation par branche professionnelle. René Belin, adoubé par le dirigeant de la CGT Léon Jouhaux, un anticommuniste forcené issu de l’anarchisme, rejoint alors le régime.
René Belin devient ainsi ministre de la production industrielle et du travail en novembre 1940 et gère la disparition de la CGT. Cela est inacceptable pour les syndicalistes qui, même s’ils sont anticommunistes, ne résignent pas au corporatisme. Ils veulent une unité sociale dans la lutte entre deux camps.
Aussi, immédiatement, un Manifeste des douze est publié, prônant le syndicalisme libre, le rejet du communisme tout en prenant en même temps position contre le racisme. On y lit :
« Le syndicalisme français doit s’inspirer de six principes essentiels :
A. Il doit être anticapitaliste et, d’une manière générale, opposé à toutes les formes de l’oppression des travailleurs.
B. Il doit accepter la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général.
C. Il doit prendre dans l’État toute sa place et seulement sa place.
D. Il doit affirmer le respect de la personne humaine, en dehors de toute considération de race, de religion ou d’opinion.
E. Il doit être libre, tant dans l’exercice de son activité collective que dans l’exercice de la liberté individuelle de chacun de ses membres.
F. Il doit rechercher la collaboration internationale des travailleurs et des peuples (…).
Au régime capitaliste doit succéder un régime d’économie dirigée au service de la collectivité. La notion du profit doit se substituer à celle du profit individuel. Les entreprises devront désormais être gérées suivant les directives générales d’un plan de production, sous le contrôle de l’Etat avec le concours des syndicats de techniciens et d’ouvriers. La gestion ou la direction d’une entreprise entraînera, de plein droit, la responsabilité pleine et entière pour toutes les fautes ou abus commis (…).
Le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l’État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui. Le syndicalisme, mouvement professionnel et non politique, doit jouer exclusivement son rôle économique et social de défense des intérêts de la production.
L’État doit jouer son rôle d’arbitre souverain entre tous les intérêts en présence. Ces deux rôles ne doivent pas se confondre (…).
En aucun cas, sous aucun prétexte et sous aucune forme, le syndicalisme français ne peut admettre, entre les personnes, des distinctions fondées sur la race, la religion, la naissance, les opinions ou l’argent. Chaque personne humaine est également respectable. Elle a droit à son libre et complet épanouissement dans toute la mesure où celui-ci ne s’oppose pas à l’intérêt de la collectivité.
Le syndicalisme ne peut admettre en particulier :
— L’antisémitisme.
— Les persécutions religieuses.
— Les délits d’opinion.
— Les privilèges de l’argent.
Il réprouve en outre tout régime qui fait de l’homme une machine inconsciente, incapable de pensée et d’action personnelles. »
On a ici le point de départ de la démarche du « syndicalisme libre », qui va aboutir à la CGT-Force Ouvrière. Isolés, ses activistes s’organisent autour de la revue d’un « comité d’études économiques et syndicales », en attendant la suite.