Tout comme les brochures du Parti ne se vendent pas vraiment comme il le faudrait, que l’organe théorique du Parti n’est même pas acheté par la base, il n’y a pas de réelle presse de masse. L’Humanité, fondé par Jean Jaurès en 1904 est pourtant devenu l’organe de masse de la presse du Parti en 1911 ; il passe de quatre à six pages en juillet 1913. A cette occasion est d’ailleurs posé le principe de la fête de l’Humanité :
« Le Conseil national, heureux des résultats qu’a donnés le lancement de l’Humanité à six pages, remercie les militants de tout le Parti dont les efforts soutenus ont assuré ce succès, et félicite les camarades de la commission nommée pour le préparer, ainsi que les camarades de l’administration et de la rédaction de l’Humanité,
Décide l’organisation, à Paris, au nom du Parti, par les soins de la Commission administrative permanente et d’accord avec la Fédération de la Seine, d’une grande fête-manifestation pour célébrer et accroître l’extension rapide de l’Humanité ; engage les fédérations à organiser, dans le même esprit, des manifestations dans les centres urbains ou ruraux les plus favorables. »
Cependant, s’il tirait à 130 000 exemplaires à sa fondation juste avant la naissance du Parti, il s’effondre l’année d’après à 15 000, et tire seulement à un peu plus de 100 000 exemplaires à la veille de la guerre.
Il s’en vend environ 25 000 exemplaires à Paris, à quoi s’ajoutent 6 000 exemplaires environ dans les métros de la capitale, 9 000 exemples environ en banlieue. Les ventes en province sont d’environ 30 000 et il y a plusieurs milliers d’abonnés. On peut donc tabler sur environ 80 000 exemplaires réellement en circulation. Cela ne dépasse pas la base du Parti.
Le Parti Socialiste SFIO est, de fait, avant 1914, une simple minorité, sans influence historique. Il y a alors plus de vingt millions de travailleurs adultes, hommes et femmes, en France, et autour d’un un million d’électeurs socialistes. Ce n’est pas un chiffre sans importance, et il y a une progression certaine : le Parti Socialiste SFIO obtient 10% des voix (877 221 votes) en 1906, 13,3% des voix (1 110 561) en 1910, 16,8% des voix (1 413 044) en 1914.
Néanmoins, le nombre d’adhérents est sans comparaison avec cela, le Parti n’ayant pas prise sur ces électeurs, sa base d’adhérents ne formant que bien moins de 1% de ceux-ci, et moins de 0,5% du prolétariat.
Il y a bien une avancée du nombre d’adhérents, en soi. Au 4e congrès qui se tint à Nancy du 11 au 14 août 1907, le Parti socialiste a un peu moins de 50 000 adhérents ; il y en avait 43 000 environ au congrès de Limoges de novembre 1906, 40 000 au second congrès et un peu plus de 34 000 lors de la fondation, en 1905.
Au 11 e Congrès, tenu à Amiens les 25, 26, 27 et 28 janvier 1914, le Parti Socialiste revendique 72 765 adhérents. La question de la guerre va lui permettre de davantage recruter – en juillet 1914, il y a 93 218 adhérents, soit une progression très forte en quelques mois -, mais le Parti est déjà en échec par rapport au militarisme et la guerre. C’est en réalité que la progression des effectifs de 1905 à 1914 tient surtout aux grandes vagues d’adhésion à la suite d’élections.
Et, de toutes façons, il est isolé sur le terrain national. Il y a deux blocs formant le noyau dur de la vie du Parti : la fédération du Nord, place-forte des ouvriers et des mineurs, relativement unifiée sous l’égide de Jules Guesde, et la fédération de la Seine, avec une base très remuante tout à fait dans l’esprit scissionniste parisien des travailleurs des ateliers et des boutiques.
Ces deux fédérations écrasent les autres de leur poids. En 1909, le Nord dispose de 10 400 cotisants, la Seine c’est-à-dire la région parisienne 8 125 ; suivent le Pas-de-Calais avec 2 500 cotisants, puis le Gard avec 1 500 cotisants.
La proportion des mandats est par conséquent extrêmement significative de la main-mise sur le Parti. Au 10e congrès, à Brest en 1913, sur 2819 mandats, l’Aisne en a 33, la Corrèze 12, le Gers 5, la Marne 20, le Var 61, mais le Nord 494 et la Seine c’est-à-dire la région parisienne, 401. A ce moment-là, sur 81 fédérations, une cinquantaine progressent numériquement, 7 sont stationnaires et 22 en recul.
Cela ne veut pas dire par contre que les fédérations les plus puissantes soient d’un grand poids. Celle du Nord ne rassemble environ qu’entre 6 et 7 adhérents pour mille habitants ; à la veille de la première guerre mondiale, la fédération de la Seine a moins de trois adhérents pour mille habitants et il n’y a qu’en fait réellement le nord-est de Paris où le Parti a une base solide, le 20e arrondissement formant son seul bastion.
De même, alors qu’il y a 36 000 communes, le Parti Socialiste ne parvient à avoir qu’autour de 300 – 500 maires, autour de 400 adjoints au maire, moins de 3 000 – 4 000 conseillers municipaux. Les villes où le Parti a une présence marquée sont avant tout Roubaix, la première ville de 100 000 habitants gagnés, Saint-Etienne, mais également, Nîmes, Toulouse, Calais, Brest, Montluçon, Dijon.
Le Parti Socialiste SFIO est né sur un certain terrain, où il se renforce, mais il ne parvient pas à capitaliser sa présence ; il ne parvient à faire un saut qualitatif jusqu’à une présence historique dans l’histoire du pays.