L’ALF, en tant que produit de la lutte de classes, sur le terrain de la contradiction villes – campagnes, était invincible. Sa charge morale était inébranlable, l’engagement produit inlassable.
La question révolutionnaire posée par l’ALF ne pouvait qu’aboutir à une confrontation authentique avec une société figée sur des valeurs dépendants des classes dominantes : c’était ce qu’avait compris Barry Horne.
En ce sens, la mort de Barry Horne fut un épisode d’une importance capitale pour l’ALF britannique et pour les luttes de classes de ce pays. Ce que posait Barry Horne, c’est la nécessité de la constitution d’un noyau dur, sur une base d’avant-garde, capable de poser la rupture.
Barry Horne ne disposait pas des outils idéologiques pour être à même de réaliser son projet, aussi s’est-il sacrifié en cherchant à ouvrir un espace pour cela, coûte que coûte. Cela fait de lui la point le plus haut de l’histoire de l’ALF britannique.
Ronnie Lee, quant à lui, avait clairement reculé par rapport à cela, cherchant à contourner la question politique de manière complète. Il cherchait à faire triompher la cause des animaux parallèlement à la société, en refusant d’avoir une vue d’ensemble, échappant à la question sociale en exigeant simplement que l’humanité recule.
Il y avait ainsi véritablement deux lignes : celle posant une offensive, exigeant de s’appuyer sur les fondamentaux et l’exigence de révolution, au nom de la morale, de la justice. Et celle faisant de l’ALF une composante d’un mouvement considéré comme parallèle à la société.
On a alors un exemple à la fois éloquent et dramatique d’incompréhension de la question de l’opposition dialectique de deux lignes. Les activistes britanniques se sont en effet précipités dans une démarche puisant tant dans une ligne que dans l’autre et, malheureusement, faisant un fétiche des faiblesses de l’une et de l’autre.
Cela abouti, inévitablement, à l’effondrement complet du mouvement. En 1994, il y eut près de 800 actions de l’ALF britannique, en 1999 il y en eut 1200. En 2003, il n’y en eut que 80, puis désormais leur nombre est entre 30 et 60 par an. Si certaines font de très importants dégâts, il n’y a plus de mouvement, ni aucune perspective.
Le chemin de la catastrophe a été le suivant. Le mouvement a retenu de Ronnie Lee qu’il fallait être en mesure de faire une intervention dans la société au sujet de la question animale. Mais c’était là une lecture anti-politique, anti-culturelle. C’était un refus de ce que Barry Horne avait apporté comme dimension révolutionnaire.
Le mouvement a, après la mort de Barry Horne, quitté entièrement le terrain d’une critique révolutionnaire de la société. C’était le prolongement d’un phénomène dénoncé par Barry Horne dès les années 1990 : le mouvement ne se place plus par rapport aux animaux dans le cadre de la société, mais par rapport à lui-même.
Il ne prétend pas tout changer, de manière révolutionnaire, mais faire avancer les choses par lui-même.
On aboutit à ce qui est puisé dans l’approche de Barry Horne : le volontarisme. Barry Horne justifiait cela par la nécessité morale de l’intervention, mais il se plaçait dans la logique d’un processus. En arrière-plan, il y a la formation d’une rupture subjective, la formation d’une proposition stratégique.
Or, ne comprenant rien à cela, le mouvement s’est précipité dans un volontarisme totalement délirant, fondé sur le harcèlement, l’intimidation, l’esprit d’agression, etc. Tout cela donnait une impression de radicalité, mais c’était ni plus ni moins qu’un réformisme volontariste entièrement séparé des principes de violence révolutionnaire, auxquels il faut rattacher Barry Horne.
La combinaison de cette double inspiration, essentiellement erronée, se révèla fatale au cours de plusieurs campagnes qui furent alors lancées par une même base d’activistes. Les plus importantes furent :
– celle fondée en 1996 et visant à sauver les chiens beagles de l’élevage Consort les destinant à la vivisection ;
– celle fondée en 1997 et intitulée Save the Hill Grove Cats, visant un élevage de chats destinés à la vivisection ;
– celle fondée en 1999 et intitulée Save the Shamrock Monkeys, visant un centre de primates destinés à la vivisection ;
– celle fondée en 1999 et intitulée Save the Newchurch Guinea Pigs, visant un élevage de cochons d’Inde destinés à la vivisection ;
– celle fondée en 1999 et intitulée Stop Huntingdon Animal Cruelty, visant le plus centre de vivisection en Europe ;
– celle fondée en 2003 et intitulée SPEAK et visant l’expérimentation animale en général.
La campagne contre Consort fut victorieuse, l’élevage fermant en septembre 1997. Pendant dix mois, des initiatives quotidienne de propagande avaient lieu, accompagnées d’actions de l’ALF, dont une libération de 26 chiens en mai 1997.
Un événement marquant fut une manifestation de plusieurs centaines de personnes prenant d’assaut l’élevage en découpant les barbelés, se retrouvant face à 300 policiers anti-émeutes, avec un chiens libéré tout de même, mais finalement récupéré par la police.
La campagne Save the Hill Grove Cats fut également victorieuse, la SPA britannique récupérant les 800 derniers chats en août 1999. La lutte fut particulièrement ardue, au moins 350 personnes ayant été arrêtés pour leurs action et 21 condamnées à de la prison.
La police fit même en sorte de mettre en place une « zone d’exclusion » de huit kilomètres autour de l’élevage. Les employés de l’élevage avaient également dispersé des pesticides toxiques sur les lieux des rassemblements, provoquant des nausées, vomissements, etc.
L’éleveur avait déjà déjà reçu une lettre piégée en 1993, lui causant des brûlures au visage et au centre, et il reçut de multiples menaces, notamment de l’Animal Rights Militia au moment des grèves de la faim de Barry Horne.
La campagne Save the Shamrock Monkeys fut un succès, le centre fermant en 2000 au bout d’une campagne de quinze mois. 350 primates y étaient en permanence, plus de 50 000 y étant passés dans les années 1990.
La campagne Save the Newchurch Guinea Pigs fut un succès également, mais elle dura plus longtemps: six ans. Elle commença par une opération de l’ALF libérant 600 cochons d’Inde de cete élevage et diffusant une vidéo sur la situation là-bas.
La campagne de harcèlement fut d’une dureté significative, visant toutes les entreprises et les lieux liés de près ou de loin au propriétaire. Les personnes concernées voyaient des rassemblement réguliers devant chez elles, étaient harassés d’appels téléphoniques, de lettres, d’emails, de spam, leurs poubelles étaient renversées, des menaces leur étaient envoyés, des feux d’artifice étaient projetés sur leur logement en pleine nuit, des dégradations à la peinture étaient commises, des taxis ou des pizzas étaient commandés, etc.
L’Animal Right Militia allant jusqu’à déterrer le cadavre de la belle-mère du propriétaire en octobre 2004. Il ne sera retrouvé enterré dans une forêt qu’en mai 2006. Trois personnes furent condamnées à 12 ans de prison pour cela, une à quatre ans, alors qu’une autre fut condamné à deux années de prison pour intimidation.
La campagne la plus célèbre reste cependant celle nommée Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC). SHAC représentait le grand tournant, la tentative de former une action légale strictement parallèle à celle de l’ALF.
C’était ni plus ni moins que jouer à quitte ou double et ce fut l’expression la plus pure de la double combinaison erronée issue de l’incompréhension de ce que Barry Horne avait tenté de formuler.
Huntingdon Life Sciences (HLS) disposait de deux centres de tests, à Huntingdon et à Eye, utilisant 75 000 animaux par an, étant le plus grand organisme d’expérimentation animale d’Europe. De nombreuses infiltrations d’activistes eurent lieu, aboutissant à des compte-rendus écrits ou des vidéos sur les brutalités très importantes contre les animaux s’y déroulant.
En 1997, l’association PETA diffusa une vidéo, amenant HLS à perdre sa licence pour six mois. Par la suite, HLS menaça PETA de procès et la campagne de SHAC prit en tant que tel le relais.
Les méthodes furent les mêmes que celles contre l’élevage de Newchurch, mais cette fois décuplées et systématisées. Les cibles n’étaient même plus indirectes, mais doublement indirectes.
L’intimidation, le harcèlement et les attaques visaient non seulement HLS, ses employés, mais également les partenaires économiques de HLS, les partenaires de ces partenaires, les assurances de ces entreprises, ainsi que les entreprises de nettoyage, etc., le tout étant déclinés à l’infini.
Tout ce qui avait rapport avec HLS, ou avec des gens ayant un rapport avec HLS, était visé. C’était là une première erreur, empêchant de cibler de manière correcte l’ennemi, d’exprimer cela politiquement. C’était là un réformisme actif, parallèle à la société, qui était le prolongement des erreurs de Ronnie Lee.
Pire encore, le pragmatisme était complet. La campagne allait même jusqu’à faire de fausses accusations de viol contre des personnes, des menaces du type « on sait où tes enfants vont à l’école », etc.
De par sa nature, elle témoigne d’une gigantesque fuite en avant, d’une tentative de forcer l’histoire, en-dehors de tout lien avec la société, même si de très importantes sommes d’argent étaient reçues lors des campagnes.
Le cadavre enlevé était déjà l’expression d’une démarche catastrophique : SHAC systématisa cette démarche, jusqu’à l’écœurement. Au lieu de la violence révolutionnaire et de la rupture subjective sur la base d’un projet politique bien délimité, l’action directe était menée tout azimut, sans délimitation morale, dans un esprit d’agressivité générale.
De prime abord, cela put apparaître comme un succès.En 2000, SHAC fut en mesure de connaître la liste intégrale des gens ayant des parts dans HLS, et le parti travailliste fut obligé de vendre les 75 000 parts qu’ils possédait.
Mais, surtout, 32 millions de parts furent mis en bourse à Londres suite à ces révélations, tandis qu’à celle de New York HLS fut éjecté en raison de sa trop faible capitulation. Cela se produisit également à Londres ensuite.
L’action passa de 300 euros à 2 euros en janvier 2001, puis quelques centimes au milieu de l’année 2001. La valeur de l’entreprise passa de 400 à 5 millions d’euros.
La Royal Bank of Scotland ferma le compte de HLS et le gouvernement britannique décida d’intervenir pour lui ouvrir un compte à la banque d’Angleterre. HLS devint ensuite une entreprise américaine et SHAC États-Unis fut alors fondé en 2004 pour élargir la campagne.
Les actions, très nombreuses, se démultiplièrent. Mais les conséquences d’un positionnement erroné étaient inéluctables et la campagne SHAC fut alors littéralement broyé, emportant le mouvement pour la libération animale tant en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis.
Les États de ces deux pays parèrent à toutes les activités de SHAC. Dans les deux pays, des lois furent instaurées interdisant les menaces, intimidations contre des entreprises liées aux animaux, transformant en terrorisme les actions contre elles.
En Grande-Bretagne, les quêtes d’argent furent églament condamnées comme illégales ; la présence d’activistes étaient interdites dans un périmètre de 45 mètres autour des lieux ou employés des entreprises, sous la pression de HLS, Chiron UK, Phytopharm, Daiichi UK, Asahi Glass, Eisai, Yamanouchi Pharma, Sankyo Pharma, BOC.
David Blenkinsop fut condamné à trois ans de prison pour une opération de tabassage du directeur du management de HLS ; le directeur du marketing de HLS avait également reçu des produits chimiques dans les yeux, le rendant temporairement aveugle. Donald Currie fut condamné à 12 ans de prison pour des incendies réalisés contre des clients de HLS.
Mais la répression ciblait, donc, directement les activistes « légaux ». En 2006, six membres de SHAC États-Unis furent condamnés à entre 3 et 6 années de prison, ainsi qu’un million de dollars d’amende collective.
L’opération policière « Achille » se déroula en mai 2007 en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas, avec 700 policiers, 32 activistes de SHAC étant arrêtés, sept étant condamnés à respectivement onze années de prison, neuf années pour deux, huit années, cinq années, quatre années pour deux.
En 2009, 13 activistes de SHAC États-Unis étaient arrêtés par le FBI et condamnés à des peines allant de 15 mois à 6 ans de prison.
SHAC finit par capituler en août 2014. Par ricochet, la campagne SPEAK contre l’expérimentation animale s’effondra de manière similaire. Son porte-parole fut condamné à dix années de prison pour deux attaques à l’engin incendiaire contre l’université d’Oxford.
L’histoire des campagnes est un mélange de confusion de la légalité et de l’illégalité, les mêmes gens agissant d’un côté dans les campagnes légales, de l’autre dans des actions illégales en tant qu’ALF ou ARM.
C’était déjà le reproche fait par Barry Horne durant les années 1990 : le mouvement d’action directe s’est prolongé, mais il a vécu en vase-clos, combinant refus d’un mouvement de masse et élitisme séparatiste, pragmatisme total sur le plan des actions et absence d’élaboration d’un projet révolutionnaire.
Malgré l’apparence de radicalité, SHAC n’était rien d’autre qu’un mouvement moraliste agressif entièrement réformiste, totalement dénué de proposition révolutionnaire.
La stratégie du mégaphone et des voitures incendiées s’est avérée, dans les faits, le contraire exact de la ligne populaire de l’ALF britannique des débuts et la conséquence directe de l’incompréhension de la question de la rupture subjective posée par Barry Horne comme saut qualitatif nécessaire.
Cela provoqua l’effondrement du mouvement à la base, l’ALF britannique étant happé de manière unilatérale dans une fuite en avant sans perspectives et aux pratiques incohérentes ou fausses.
Non seulement le véganisme n’a alors pas connu de déferlante, mais qui plus est le nombre d’expérimentations animales avait augmenté de moitié, celui fait à Porton Down par l’armée ayant doublé. Tout cela renforça encore plus le repli, le défaitisme, que déjà Barry Horne avait deviné, devant le manque d’organisation stricte, d’esprit révolutionnaire.
Une organisation stricte, un esprit révolutionnaire, qui ne pouvait être porté que par une avant-garde saisissant les luttes de classe, source de l’ALF : tel est l’enseignement qui découle de cet échec. SHAC a produit la figure de l’activiste séparé de la société, fonctionnant en cercle fermé, avec les animaux objets de la lutte et non plus au centre de l’identité.
Le jusqu’au boutisme n’était que le masque de la retombée dans le réformisme du bien-être animal, avec toute sa passivité par rapport au consensus dominant dans la société, sans aucune perspective révolutionnaire, avec les animaux disparaissant derrière le discours sur eux.