L’ALF britannique, Barry Horne et la tentative de rupture subjective

L’ALF était né comme rupture révolutionnaire, en-dehors du consensus dominant et de l’encadrement des syndicats et du parti travailliste. Cependant, étant une forme de lutte de classes, liée à la contradictions villes-campagnes, il fallait inéluctablement qu’il y ait un conflit avec ce consensus et cet encadrement.

Sans cela, il y aurait un mur. Ce mur, Ronnie Lee ne l’a pas vu ou n’a pas voulu le voir, espérant que la question animale reste parallèle à la société. Ce fut le rôle historique de Barry Horne de tenter de faire sauter le verrou.

Barry Horne

Barry Horne est né le 17 mars 1952 ; prolétaire de la ville de Northampton, il était un balayeur de rues. Il avait une conscience de gauche, avait participé à un rassemblement anti-fasciste, mais sans être engagé. Sa petite amie l’engagea à aller voir une conférence sur la libération animale et le déclic se produisit, à 35 ans.

Il rejoignit alors un groupe local, Northampton Animal Concern, qui fit notamment avec succès des rassemblement devant le magasin Beatties, afin qu’il cesse de vendre de la fourrure. Il devint également végétarien et participa aux actions de Hunt Saboteurs.

En 1988, il fut condamné avec plusieurs activistes pour la tentative de « vol » d’un dauphin, Rocky, du Marineland de Morecombe dans le Lacanshire. Rocky n’était qu’à 230 mètres de la mer, mais pesait 290 kilos et les activistes avaient mis en place tout un système de poulies avec une grande civière.

Ils avaient également nagé plusieurs fois avec Rocky dans les nuits précédentes pour se familiariser avec lui. Mais lors de la tentative, les activistes durent renoncer en raison de la complexité de l’opération et lorsqu’ils furent contrôlés au retour, ne purent pas donner d’explication pour l’étrange matériel transporté.

La tentative de libération du dauphin lui valut une amende et six mois avec sursis, mais l’impact populaire fut immense. Rocky, maintenu pendant 22 ans dans une petite piscine, devint un symbole ; les visites au Marineland chutèrent de 85 %, amenant sa fermeture et la vente de Rocky pour une forte somme aux associations.

Celui-ci fut amené aux Îles Turques-et-Caïques, dans les Caraïbes, dans une zone fermée de 320 000 m² pour la réhabilitation des animaux marins enfermés.

Pour le nouvel an de 1990, Barry Horne participa à un raid avec neuf autres personnes à Oxford contre un élevage d’animaux destinés à la vivisection, libérant 36 chiens beagles. Deux activistes furent condamnés pour cela à 9 et 18 mois de prison.

En mars 1990, Danny Attwood, Keith Mann et Barry Horne démolirent le toit d’un laboratoire de Harlan Interfauna à Cambridge, libérant 82 chiens beagles et 26 lapins, récupérant au passage la liste des clients du laboratoire. John Curtin et Danny Attwood furent condamnés pour cela à respectivement neuf et dix-huit mois d’emprisonnement.

Barry Horne fut de la partie par la suite lors du saccage de la conférence sur l’expérimentation animale à l’université d’Exeter, à Oxford.

En octobre, cependant, Barry Horne fut arrêté près d’Alconbury, alors qu’il mettait en place un engin incendiaire contre Duncans, une entreprise de transport s’occupant d’amener les employés au laboratoire d’expérimentation de Huntingdon Life Sciences.

Il fut condamné à trois années de prison, en 1991. Il commença à produire les bulletins du Support Animal Rights Prisoners (SARP), ce qui était pour lui le moyen de souligner l’importance centrale de l’activisme, à tout prix. Être en prison signifiait avoir compris qu’il en allait avant tout des animaux.

Le point de vue qu’il exprime en juin 1993, dans la dernière édition du bulletin, est révélateur de sa philosophie :

« Les animaux continuent de mourir et la torture continue de manière toujours plus grande.

La réponse des gens à cela ? Plus de veggie burgers, plus de bières spéciales, et plus d’apathie. Il n’y a plus de mouvement libération animale. Cela est mort il y a bien longtemps.

Tout ce qui reste, c’est une petite poignée d’activistes qui se préoccupent, qui comprennent et qui agissent.

Pour certains d’entre nous, la libération animale EST une guerre que nous avons l’intention de gagner… Les larmes sont réelles, nos cœurs se brisent vraiment et nous SOMMES préparés à mourir pour cela, pas simplement à chanter cela. »

Il est alors arrêté en juillet 1996, accusé d’avoir placé deux engins incendiaires devant agir la nuit dans le centre commercial Broadmead de Bristol. Sur lui, la police découvrit quatre autres engins du même type.

C’est alors que commença l’épisode qui fit de Barry Horne un martyr de la cause.

Le 6 janvier 1997, Barry Horne commença sa première grève de la faim, avec comme exigence que le gouvernement britannique cesse de financer l’expérimentation animale dans les cinq ans.

Cela provoqua un mouvement d’activisme, avec des manifestations significatives contre les laboratoires Harlan, ainsi que Consort et Hilligrove, qui furent également la cible de raids de libération, ainsi que d’attaques.

Cette grève de la faim dura 35 jours et apparut comme une victoire, car le parti travailliste, dont il était clair qu’il allait gagner les élections, engagea une forme de discussion, avec Elliot Morley, le responsable du bien-être animal pour les travaillistes, expliquant que « le Labour est engagé dans la réduction et une fin éventuelle de la vivisection ».

Il faut bien saisir la nature particulière de la situation. Le parti travailliste avait un certain vent en poupe, se replaçant comme force centriste avec Tony Blair, mais développant l’espoir de mettre de côté une domination conservatrice particulièrement pesante.

Margaret Thatcher avait été première ministre de 1979 à 1990, John Major de 1990 à 1997. Le parti travailliste, désormais New Labour et non plus Labour, avec une ligne de centre-gauche, se voulait le vecteur du « progrès ».

Son manifeste électoral de 1996, New Labour, New Life for Britain, abordait la question des animaux, de manière inévitable vu le contexte idéologique et culturel. S’il défendait la pêche à la ligne, présenté comme le « sport britannique le plus populaire », il affirmait vouloir promouvoir le bien-être animal.

Qui plus est, il escomptait faire un vote parlementaire sur la chasse à courre, et permettre un accès meilleur aux campagnes. C’était là cibler très précisément la contradiction villes-campagnes.

Le New Labour mit également à la disposition de sa propagande électorale une brochure intitulée pas moins que New Labour, New Life for animals. Il promettait alors des commissions royales d’enquête sur l’expérimentation animale, ainsi que sur les animaux génétiquement modifiés.

L’initiative de Barry Horne semblait alors aller dans une sorte de convergence générale vers un certain « progrès » pour les animaux, dont le New Labour serait un vecteur.

Le travailliste Tony Blair devint ensuite premier ministre le 2 mai 1997 et Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim, le 11 août 1997. Son initiative eut un impact énorme.

Des manifestations eurent le 12 septembre à Londres et à Southampton, ainsi qu’à La Haye aux Pays-Bas, Cleveland aux Etats-Unis, Umea en Suède où les activistes tentèrent de forcer l’entrées des laboratoires de l’université.

Des centaines de manifestants se rassemblèrent devant Shamrock Farm, un centre pour les primates destinés aux laboratoires, ainsi que devant les laboratoires Wickham, les locaux du parti travailliste, la maison de Jack Straw, ministre de l’intérieur.

Un camp fut monté devant Huntingdon Life Sciences, avec des tunnels souterrains pour retarder leur délogement par la police, alors que l’élevage de cochons d’Inde Newchurch fut la cible d’un raid, 600 cochons d’Inde étant libérés.

Barry Horne cessa sa grève de la faim le 26 septembre, au bout de 46 jours, lorsqu’un membre du gouvernement rencontra des représentants des partisans de Barry Horne, afin d’ouvrir des négociations.

Cependant, dans la foulée commença le procès de Barry Horne, en novembre 1997. Malgré 14 parades d’identification qui n’aboutirent à rien, il fut condamné à 18 années de prison en raison du fait que les engins incendiaires en sa possession étaient du même type que ceux employés sur l’île de Wight.

Barry Horne commença une nouvelle grève de la faim le 6 octobre 1998. Ses exigences étaient les suivantes : la fin des nouveaux permis pour des expérimentations animales, le non-renouvellement des anciens, une interdiction de l’expérimentation animale pour des buts non médicaux, une fin totale de l’expérimentation animale pour le 6 janvier 2002, une fin immédiate de l’expérimentation animale dans la base militaire de Porton Down, la disparition de l’Animal procedures committee, un organisme de conseil au gouvernement sur l’expérimentation animale, considéré comme favorable à celle-ci.

Barry Horne expliqua alors :

« Ce combat n’est pour nous, pour nos volontés personnelles et nos besoins. Il est pour chaque animal qui ait souffert et est mort dans les laboratoires de la vivisection, et pour chaque animal qui souffrira et mourra dans ces mêmes laboratoires, à moins que nous mettions maintenant un terme à ce commerce maléfique.

Les esprits des morts torturés crient justice, le cri des vivants est liberté. Nous pouvons créer cette justice et nous pouvons accorder cette liberté.

Les animaux n’ont personne d’autres que nous. Nous ne leur ferons pas défaut. »

Dans une autre lettre, il expliquait :

« Il est toujours plus facile de voir pourquoi nous ne pouvons pas réussir, toujours plus facile de hausser les épaules et de croire que le mieux que nous puissions faire est d’essayer, presque comme un acte de consolation.

Sans croire au succès, le succès devient difficile à réaliser, presque une impossibilité. Tout comme la libération des animaux en fait, [est dit être] un concept impossible.

Cependant, sachez que ce n’est pas le cas, ou bien pourquoi est-ce que nous combattons? Nous ne devrions jamais craindre le succès de nos actions ou cesser d’y croire. Et nous ne devrions jamais avoir peur de vouloir atteindre les étoiles, si c’est correct (…) Comment pourrions-nous demander moins?

Cela revient à condamner tant d’animaux à une vie de souffrance et de mort. Croyez-moi, il est temps d’atteindre ces étoiles et de croire que c’est possible. »

Si officiellement le gouvernement refusa toute négociation, il en entama finalement une, au 44e jour de la grève de la faim. Barry Horne décida alors de réduire ses revendications à une mesure promise par le Labour au moment des élections : la mise en place d’une commission d’enquête royale sur l’expérimentation animale.

Il affirma alors :

« Une commission royale ou quelque chose de similaire est le minimum que nous pouvons accepter. Nous faisons toujours des compromis, alors que le Labour joue avec la souffrance des animaux. Pourquoi des animaux devraient-ils souffrir en raison de négociations politiques? (…)

Je ne fais pas de chantage au Labour. Le Labour a fait du chantage aux gens, afin qu’ils votent pour lui. J’essaie seulement de lui rappeler ses promesses. »

Des négociations commencèrent et Barry Horne, à la limite du coma, décida de boire du jus d’orange et du thé sucré pendant trois jours, afin d’être en mesure de saisir les textes des négociations. Cela fut un prétexte pour les médias pour l’accuser de mener une fausse grève de la faim.

Des nombreuses initiatives de soutien à Barry Horne se développèrent tout au long de la grève de la faim ; l’ARM menaça alors d’exécuter plusieurs dirigeants d’organismes liés à la vivisection, ceux-ci restèrent alors parfois pendant plusieurs années sous la protection de la police.

Barry Horne cessa la grève de la faim au bout de 68 jours, mais devant le blocage de la situation, alors que lui-même était devenu isolé et extrêmement affaibli par ses actions, en recommença une nouvelle le 21 octobre 2001, mais décéda dès le 5 novembre, ne s’étant jamais réellement remis de la précédente grève de la faim.

Plusieurs centaines de personnes participèrent aux funérailles, munies d’une banderole où était inscrit « Labour lied – Barry died » (le Labour a menti – Barry est mort). Il est enterré dans sa ville natale de Northampton, habillé d’un maillot de football du club local.

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