Le quatrième congrès de la seconde Internationale se déroula à Londres, du 27 juillet au 1er août 1896, trois ans après le précédent. La veille de l’ouverture, 150 000 personnes manifestèrent, avec notamment 50 orchestres, pour une mobilisation antimilitariste.
Parmi les orateurs prenant la parole à la fin, dans le parc au centre de Londres nommé Hyde Park, on trouvait notamment les Allemands August Bebel et Wilhelm Liebknecht, les Français Paul Lafargue et Jean Jaurès, le britannique Henry Hyndman, l’Autrichien Victor Adler.
Dans la salle du congrès, à l’endroit où s’asseyaient la présidence organisant sa tenue, avait été placé un portrait de Karl Marx encadré de guirlandes de fleurs et de branches vertes.
L’ordre du jour du congrès fut le suivant :
– la question agraire ;
– l’action politique ;
– l’éducation et le développement physique ;
– l’organisation ;
– la guerre ;
– l’action économique et industrielle ;
– les atteintes aux libertés ;
– les conditions d’admission au prochain congrès.
La situation politique avait connu des changements importants en raison des lois anti-socialistes en Allemagne, contre le droit de la presse et aux manifestations en France, contre les anarchistes en Italie, alors qu’aux États-Unis la grève des cheminots fut écrasée par l’armée.
Dans une lettre à l’Autrichien Victor Adler du 17 juillet 1894, Friedrich Engels parla d’une agrégation de la réaction forçant à la défensive en France, en Italie, en Allemagne. Dans ces deux derniers pays, la résistance fut efficace, mais en France les partisans de Jules Guesde ne purent progresser et ce sont les forces syndicalistes-révolutionnaires qui l’emportèrent dans les syndicats. Aux Etats-Unis, la ligne prédominante resta farouchement sectaire.
En fait, on peut dire qu’à ce moment, le marxisme prédominait totalement dans les pays slaves, il avait le dessus en Allemagne et en Autriche, il parvenait à se confronter à un anarchisme très fort dans les pays latins, il était installé dans les pays scandinaves, il regagnait du terrain en Grande-Bretagne.
L’anarchisme continuait toutefois son offensive : sur les 700 délégués présents, seulement 589 furent reconnus comme valables, notamment car les anarchistes utilisaient de faux mandats ou des mandats syndicaux pour chercher à subvertir le congrès.
Il fut néanmoins nécessaire de fermer une session du congrès après la lecture des rapports en raison de l’agitation anarchiste, ainsi que de fermer les galeries réservées au public.
Il fut procédé à un vote pour valider la décision du congrès précédent excluant les anarchistes. 17 délégations votèrent en faveur de cela, la délégation italienne s’abstenant, les délégations française et néerlandaise s’y opposant. La délégation française vota le refus 57 voix contre 56 dans la délégation, en raison de la voix d’Errico Malatesta, figure anarchiste italienne bien connue, dont le mandat était fictif.
L’anarchiste française Louise Michel était également présente au congrès, mais prétendait avoir un mandat italien.
Malgré l’exclusion, les anarchistes ayant un mandat syndical étaient encore présents ; Joseph Tortelier put ainsi prendre la parole au congrès pour affirmer que « le peuple français ne veut plus rien savoir du parlementarisme et de la lutte politique ».
Cela resta sans écho et finalement le « communiste libre » Ferdinand Domela Nieuwenhuis, une figure anarchisante depuis le début de la seconde internationale, quitta le congrès accompagné de neuf autres délégués néerlandais, rejoignant une conférence anarchiste organisée le 30 juillet.
Restait le problème français. Dès le premier jour, il y eut un retard pour l’ouverture en raison du conflit entre les Français séparés en deux délégations, sur la base des multiples courants existant (guesdistes, blanquistes, syndicalistes, etc.)… le pianiste présent dans la salle en profitant pour jouer ironiquement la Marseillaise.
Qui plus est, trois membres du groupe socialiste indépendant de la chambre des députés – Jean Jaurès, René Viviani et Alexandre Millerand – vinrent au congrès en exigeant l’admission directe par celui-ci, ce qui fut finalement accordé.
Les Français se singularisèrent d’autant plus qu’ils tenaient leur propre congrès au même moment. La social-démocratie tenait cependant à une réunion franco-allemande, pour souligner l’internationalisme ; la venue allemande au congrès français à Lille ne fut toutefois matériellement pas possible.
Un autre problème, non vu mais essentiel, fut un glissement fondamental. Le congrès de Londres ne fut en effet pas au sens strict un congrès ouvrier socialiste international, mais un congrès ouvrier et syndical socialiste international.
Il y avait un certain basculement dans l’économisme – 100 résolutions furent envoyées comme propositions au congrès, dont 37 sur la lutte économique ouvrière. Le choix fait pour les invitations au congrès suivant se situe exactement dans la même perspective :
« Le Bureau du Congrès est chargé de rédiger l’invitation au prochain Congrès, en faisant exclusivement appel :
1. Aux représentants des groupements qui poursuivent la substitution de la propriété et de la production socialiste, à la propriété et à la production capitaliste, et qui considèrent l’action législative et Parlementaire comme l’un des moyens nécessaires pour arriver à ce but ;
2. Aux organisations purement corporatives qui, bien que ne faisant pas de politique militante, déclarent reconnaître la nécessité de l’action législative et parlementaire. Par conséquent, les anarchistes sont exclus. La vérification du mandat des délégués sera faite par leur nationalité respective, sauf recours devant une commission spéciale, élue par toutes les nationalités représentées au Congrès. Les mandats de toutes les nationalités représentées par moins de cinq délégués sont soumis à un Comité de vérification des mandats, ainsi que les mandats douteux. »
La seconde internationale risquait d’imploser sous la pression. Elle avait cependant établi une réelle culture, ce qui lui permit de maintenir un cadre structurel.
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