L’un des grands soucis posés par le fascisme italien est l’émigration des progressistes. Celle-ci touche 44 782 personnes en 1921, 100 000 en 1922, 167 000 en 1923, 201 000 en 1924, 45 528 en 1925, 111 252 en 1926.
Comment lutter contre le fascisme si les plus progressistes s’en vont, abandonnant le terrain ? Le PCI, lui, décide de rester fermement sur le terrain de la lutte de classes en Italie ; seule une centaine de cadres émigre pour des conditions de sécurité. Pratiquement 6 500 militants combattent de pied ferme, dans 47 organisations provinciales (23 provinces n’ayant pas de structure unifiée), affrontant une terrible répression les ciblant de manière prioritaire : 3000 communistes passent par la prison.
Toutefois, le PCI profite d’un réseau travail souterrain mis en place, toujours territorialement, quartier par quartier. Les unités appelées regroupements civils, ou encore squadre rosse comprennent 10 personnes, membres ou sympathisants du PCI, ayant tous juré de n’appartenir à aucune autre organisation ou parti dont la discipline pourrait entrer en conflit avec celle des squadre.
Ces équipes sont chargées d’organiser le fonctionnement clandestin de la section : réunir des armes et les répartir efficacement, monter des ateliers ou des imprimeries clandestines, organiser la fuite des camarades recherchés, effectuer la protection armée de manifestations ou de locaux menacés par les fascistes…
Des équipes agissent également au sein de l’armée italienne, faisant par exemple sortir des armes pour les fournir aux sections des villes les plus proches. Les FGCI (jeunesses communistes) jouent un grand rôle de recrutement et de coups de main, surtout dans les grands centre ouvriers.
Aux cotés des squadre à vocation militaire, on trouve aussi des équipes auxiliaires composées de femmes ou de personnes agées, chargées par exemple du renseignement, de la propagande simple ou de la formation politique des militants, le tout tendant à faire des quartiers populaires des forteresses inexpugnables.
Ces squadre rosse, même si évoluant parallèlement au parti, y sont reliées hiérarchiquement via un réseau de fiducieri, d’hommes de confiance, faisant office de relais de la direction du Parti aux fédérations, jusqu’aux sections locales.
Le PCI a concrètement deux bases principales, Gênes et Milan. Il fait le tour de force de parvenir à continuer sa propagande, principalement avec des tracts et écrits recopiés à la main ou lithographiés, comme la revue Le Marteau chez Fiat centre, Le son de cloche chez Lancia, Portolongone chez Fiat Lingotto, Réveil à la Riv, Le drapeau rouge chez Alfa Roméo de Milan.
Dans cette dernière ville les chauffeurs de taxi ont La Rescousse, alors que les étudiants turinois ont Le goliard rouge, les électriciens de Trieste Le phare, la jeunesse communiste de Novara La jeunesse rouge, etc. Il y a également le journal humoristique Le Petit Coq Rouge, celui pour enfants L’Enfant Prolétaire, etc.
L’Unité elle-même est réimprimée, de manière bihebdomadaire, à pas moins de 23 000 exemplaires, avec 1 000 exemplaires en Lombardie, autant à Rome et Naples, 8 000 exemplaires dans le Piémont, 700 à Trieste. Le premier numéro paraissant à Milan titre « La fureur de la réaction ne brisera pas la résistance prolétarienne », une seconde version à Turin « Le Parti communiste est insupprimable » ; dans leur éditorial on lit :
« Ce journal qui est le nôtre et qui sort aujourd’hui avec le titre glorieux de notre quotidien supprimé représente la permanence de notre conscience de classe, de notre volonté de lutte et de la continuité de notre lutte… Ouvriers, camarades de travail, de foi et de lutte, la révolution prolétarienne est en marche. C’est pourquoi la bourgeoisie fasciste se défend aussi férocement et désespérément. Combattons le doute et le découragement par tous les moyens, partout. »
On comprend la vision qu’a le PCI de la situation avec ce qu’explique le dirigeant communiste italien Ruggero Grieco à la Commission italienne de l’Internationale Communiste en janvier 1927 :
« Étant donné que le parti fasciste est le seul qui existe en Italie et qu’aucune opposition effective au fascisme n’est permise, étant donné que la sociale démocratie est contre le fascisme, le processus de radicalisation des masses travailleuses et petites bourgeoises est ralenti mais il n’est pas interrompu.
C’est pourquoi nous voyons la chute du fascisme dans un moment de développement de cette radicalisation. Voilà donc le devoir du Parti communiste : accélérer le processus de radicalisation des masses populaires. Nous voyons aussi la chute du fascisme comme le résultat d’une lutte armée : le fascisme ne peut tomber que sur le terrain de la lutte armée. »
Le fascisme pose, en effet, une ligne de fracture d’une brutalité complète, notamment avec le « tribunal spécial ». Rien qu’en 1927, il procède à 255 condamnations, pour un total de 1371 années de prison ; la plupart des personnes condamnées sont au PCI. Une simple diffusion de tracts peut amener à une condamnation à 4-5 ans de prison, la diffusion de publications à 18 ans.
L’Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo – OVRA, Organe de Vigilance et de Répression de l’Antifascisme – mène une activité effrénée.
En 1928, le processus s’accélère : les condamnations sont au nombre de 696, pour 3404 années de prison au total.
Symbole de cette chasse au communiste, un simple chiffon rouge à la fenêtre d’un immeuble restauré à Florence en 1928 provoque une série d’arrestations de maçons, avant qu’on s’aperçoive qu’il recouvrait un lampadaire pour le protéger lors des travaux.
C’est une bataille, avec les communistes directement en ligne de mire du régime. Le militants du PCI gardent pourtant la tête haute ; voici un compte-rendu fasciste d’un procès à Rome, en 1927 :
« Au cours de la discussion des cas, les dits accusés ont eu une attitude hautaine particulièrement le bien connu Li Causi Gerolamo qui fut, hier, par ordre du Président, séparé des autres accusés pour être surveillé plus efficacement par le CC. RR de service.
A la suite du comportement des détenus, on a adopté aujourd’hui des mesures de surveillance très sévères en augmentant le nombre des carabiniers envoyés à l’extérieur et à l’intérieur du box des accusés.
De telles mesures se sont révélées utiles parce que aujourd’hui, à peine lue la lettre qui condamne les accusés, la plupart de ceux-ci ont manifesté, essayant de crier « Vive le communisme ! », ne parvenant à prononcer que la première syllabe du mot communisme grâce à l’intervention immédiate des carabiniers qui ont empêché la manifestation avec énergie en jetant tout de suite les détenus du box dans une chambre de sécurité.
La tentative n’a eu aucune répercussion ni réveillé des impressions parce que le public était presque totalement absent et qu’il ne restait dans la salle d’audience, à part les avocats, que quelques journalistes, tandis que les alentours de la salle d’audience étaient gardés et complètement dégagés par la force publique. Les détenus ont été ensuite emmenés de nouveau dans les prisons sans aucun incident. »
Voici le compte-rendu par l’agence de presse française Havas de l’exécution – la première condamnation à mort officielle par le régime – du communiste Michele Della Maggiora, ouvrier rentré de l’émigration pour lutter clandestinement et ayant tué deux fascistes en résistant à son arrestation. Le tribunal spécial du régime se transférera même dans la ville concernée, Lucca, pour organiser un procès expéditif.
« Le communiste Della Maggiora a été fusillé ce matin [du 18 octobre 1928] dans les environs de Lucca : 6900 miliciens de la légion 94a de la milice fasciste entouraient le lieu de l’exécution et 12 hommes du même corps formaient le peloton d’exécution. Le condamné a refusé les secours de la religion et conservé jusqu’au dernier moment son attitude de défi. Lié au poteau, il a encore proféré des imprécations antifascistes dont la dernière a été interrompue par la fusillade. »
C’est dans ce contexte que se déroule le « grand procès », celui de 33 dirigeants communistes, dont huit sont en fuite et un, Isidoro Azzario, devenu pratiquement fou suite à la torture. Ce procès, repoussé afin d’établir davantage de « preuves », de contourner le problème de la rétroactivité de l’établissement du tribunal spécial formé par la loi du 10 décembre 1926, visait à supprimer la direction du PCI.
Le ministère public aura une phrase célèbre au sujet d’Antonio Gramsci : « Il faut empêcher ce cerveau de fonctionner pendant 20 ans ! ».
Les condamnations sont en ce sens, avec notamment Umberto Terracini qui est condamné à 22 ans, 9 mois et 5 jours, Antonio Gramsci, Mauro Scoccimarro et Giovanni Roveda condamnés à 20 ans, 4 mois et 5 jours, Aladino Bibolotti à 18 ans, Isidoro Marchioro et Ambrogio Riboldi à 17 ans, Angelo Borin et Roslino Ferragni à 16 ans, plusieurs autres à 15 ans.
La direction du PCI est, au moment de la condamnation, en réunion à Bâle, en Suisse, dans une session élargie du Comité Central. Palmiro Togliatti, en tant que responsable du travail de secrétariat, est le véritable dirigeant du PCI : ce sera à lui d’assumer la direction de la lutte contre le fascisme.