Alexandre d’Aphrodise va répondre de manière la plus claire possible à la nature de l’intellect agent. Son raisonnement est implacable.
Il faut partir du principe suivant. Les concepts pensés par des êtres humains n’existent que de manière pensée par des êtres humains. Quand ceux-ci meurent, leur pensée meurt avec. Il n’y a pas d’âme au sens religieux, quand on est mort, on est mort.
Dans son analyse du traité de l’âme d’Aristote, Alexandre d’Aphrodise dit ainsi que :
« Pour les formes données dans une matière, comme on l’a dit, dès lors que de telles formes ne sont pas pensées, aucune d’elles n’est intellect, puisque c’est dans le fait d’être pensées que consiste pour elles l’hypostase du fait qu’elles sont intelligibles.
En effet, les universels et les communs existent dans les choses particulières et matérielles. C’est une fois pensés à part de la matière qu’ils deviennent universels et communs, et ils sont intellects au moment où ils sont pensés.
S’ils ne sont pas pensés, ils ne sont plus. De sorte que, séparés de l’intellect qui les pense, ils se corrompent, puisque leur être réside dans le fait d’être pensés. »
On a alors le problème suivant : qui porte l’intellect agent, puisque les concepts doivent être portés par quelque chose ? La question n’est pas de savoir ce que sont ces concepts, car ils sont bien la conceptualisation de choses matérielles, réelles.
Cependant, il faut bien savoir où sont « stockés » ces concepts. Alexandre d’Aphrodise dit ici que c’est l’univers lui-même qui porte cet intellect agent.
C’est tout à fait cohérent : il y a un « moteur premier » ayant mis l’univers en branle et la réalité est en mouvement grâce à ce moteur premier. Ce moteur premier a toujours existé et le monde a toujours existé ; c’est l’équivalent de la conception « déiste » de nombreux auteurs des Lumières. Dieu est un démarreur, un horloger.
Or, ce moteur premier est la cause de la réalité matérielle, par conséquent les formes de la matière première qui a été façonnée par le moteur premier relèvent du moteur premier lui-même. Ce n’est pas ici l’être humain qui a été créé à l’image de Dieu, mais l’univers entier qui correspond à l’image du « moteur premier ».
Alexandre d’Aphrodise dit la chose suivante dans son analyse du traité de l’âme d’Aristote :
« Pour toute chose, en effet, c’est ce qui est par excellence et au plus haut point quelque chose, qui est cause, pour toutes les autres, du fait qu’elles ont aussi cette nature (…).
Ainsi, ce qui est suprêmement visible – telle est la lumière – est cause de la visibilité de toutes les autres choses visibles.
Et de même, le bien suprême et premier est cause, pour tous les autres biens, du fait qu’ils sont tels.
En effet, les autres biens sont distingués en fonction de leur contribution à celui-là.
Et donc ce qui est, par sa nature propre, suprêmement intelligible est vraisemblablement aussi cause de l’intellection des autres choses.
Étant tel, ce sera donc l’intellect agent.
En effet, s’il n’existait pas un intelligible par nature, alors rien d’autre ne deviendrait intelligible, comme on l’a dit auparavant. Car dans tous les cas où il existe à la fois un étant qui est souverainement tel et un autre qui l’est en second lieu, celui qui l’est en second lieu tient son être de ce qui l’est souverainement.
En outre, si un tel intellect est la première cause, qui est cause et principe de l’être pour toutes les autres choses, il sera alors également agent, dans la mesure où il sera cause de l’être de toutes les choses pensées. »
C’est parce que l’univers est cohérent que chaque chose est cohérente, c’est parce qu’on peut saisir la cohérence de l’univers qu’on peut saisir la cohérence de chaque chose.
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