Alexandre d’Aphrodise et l’esprit matériel dans un monde matériel

Alexandre d’Aphrodise souligne bien que l’esprit humain est vide en soi, qu’il ne fait que refléter les vérités du monde formant l’intellect agent. Le « moteur premier », qui a permis l’existence du monde en le mettant en branle, assurant sa dynamique, est lui-même l’intellect agent.

On obtient par conséquent, de manière absolument cohérente, une reconnaissance de la nature comme réalité. Car c’est la nature qui permet à ce « mélange », qu’on dirait aujourd’hui physico-chimique, de se mettre en place pour former l’esprit.

Et cet esprit ne peut se tourner que vers deux choses : ce qui est ressenti, d’une part, ce qui est conceptualisé, d’autre part. Et ce qui est conceptualisé reflète le monde matériel lui-même.

Tout est ainsi matériel : la formation de l’esprit, son activité elle-même, ce vers quoi il se tourne. La réalité matérielle est à la fois naturelle et d’une richesse incroyable.

Dans un texte sur l’âme attribué à Alexandre d’Aphrodise, De anima liber cum mantissa [Livre sur l’âme avec supplément], on lit ce qui correspond tout à fait à son approche selon laquelle tout relève d’une combinaison de la nature, qui est d’une richesse incroyable.

On a une série d’oppositions dialectiques, même si évidemment on a des catégories encore idéalistes en raison de l’arriération de l’époque (le chaud / le froid, le sec / l’humide, etc.).

« Il faut que celui qui s’apprête à suivre des discours sur l’âme et à consentir aux définitions portant sur sa substance s’aperçoive d’abord du caractère extraordinaire et magnifique de la nature, qui surpasse celle de bien d’autres choses.

Car lorsque nous aurons appris quel genre de chose est la nature et que nous serons convaincus que ses œuvres sont plus merveilleuses que toutes les réalisations admirables de l’art, nous croirons plus facilement les choses qui seront dites sur l’âme (…).

C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de la différence de formes dans les corps naturels, puisqu’ils tiennent clairement de leurs substrats les causes de leur variété.

Car la multiplicité des formes, dans les corps qui les reçoivent, et leur différente combinaison constitueraient des causes raisonnables d’une aussi grande variété.

Car si, quand le substrat est unique et qu’il ne contribue à aucune différence pour les êtres qui naissent de lui (la matière est en effet de ce genre), le sec, l’humide, le chaud et le froid, qui naissent deux par deux dans la matière, deviennent cause d’une aussi grande différence pour les choses qui naissent d’elle – à savoir que l’un d’eux devient feu, l’autre air, l’autre terre et l’autre eau; que l’un est lourd, l’autre léger et que les autres éléments ont chacune de ces qualités de façon secondaire –, comment ne serait-il pas raisonnable que les corps qui naissent de la combinaison et du mélange qualifiés de chacun de ces éléments diffèrent complètement les uns des autres par les formes et par les puissances qui peuvent les mouvoir? »

L’expression philosophique d’Alexandre d’Aphrodise est aussi imbuvable que celle d’Aristote. Néanmoins on voit bien comment il y a ici une insistance sur les mélanges chimiques qu’on trouve dans la nature, dans leur richesse, leur multiplicité combinatoire.

C’est là un souci matérialiste, une insistance à se tourner vers le réel et à ne pas chercher de solutions dans l’au-delà, l’immatériel, la spiritualité, etc. Alexandre d’Aphrodise insiste par ailleurs de manière significative sur la notion d’étonnement devant la Nature, base d’une quête de connaissance. C’est un principe aristotélicien par excellence et cela aboutit à la contemplation du monde comme plus haut degré de la science.

Alexandre d’Aphrodise met ainsi l’accent sur le panthéisme, alors qu’Aristote s’orientait principalement par rapport à la question de la physique considérée comme une dynamique, chaque chose étant ce qu’elle est à la suite d’une production en vue d’un but.

La métaphysique était le support des principes d’Aristote sur la physique (avec toutes ses branches) – Alexandre d’Aphrodise renverse la perspective et se focalise sur la métaphysique, sur l’univers comme nature organisée.

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