Au fil de notre histoire (1977)

[Tiré du Manifeste pour le socialisme, 1977.].

LA COMMUNE

Il y a plus d’un siècle, la classe ouvrière de Paris prenait l’initiative de la première révolution prolétarienne au monde. Elle ouvrit la voie aux révolutions futures, marquant le début des temps nouveaux dans l’histoire de l’humanité. Les exploités se dressaient les armes à la main pour arracher le pouvoir de leurs exploiteurs.

C’est contre le complot des classes dirigeantes pour désarmer Paris et livrer la France aux Prussiens que se dresse la glorieuse révolution ouvrière du 18 mars.

Paris constituait alors la forteresse sociale de la classe ouvrière de notre pays. Alors que dans l’essentiel, celle-ci restait encore peu développée, relativement dispersée, elle commençait à se regrouper à Paris.

Après sa révolution de 1789, la classe bourgeoise, de progressiste s’était transformée en son contraire, progressivement, jusqu’à devenir une classe réactionnaire, faisant peser le joug de sa domination sur le prolétariat. Celui-ci, d’abord très faible, largement atomisé, s’était progressivement renforcé numériquement.

Par ses révoltes, ses luttes, il avait manifesté la contradiction radicale qui l’opposait à ses exploiteurs. Pourtant, il n’avait pu encore se constituer en classe autonome, affirmant son intérêt d’ensemble.

Il restait encore largement prisonnier des duperies parlementaires par quoi la bourgeoisie justifiait et maintenait sa domination. Ses initiatives révolutionnaires restaient circonscrites dans un cadre bourgeois. Son horizon restait celui d’une radicalisation de la révolution de 89, dont il avait été frustré.

La Commune va sanctionner avec éclat l’émergence du prolétariat de notre pays en force autonome, capable de faire prévaloir, face à celui de la bourgeoisie, son propre intérêt de classe, son propre système politique. Au parlementarisme éculé, forme de domination politique de la bourgeoisie, il va opposer le gouvernement ouvrier.

Aux promesses et manoeuvres de la bourgeoisie, il va opposer la force des armes. Le peuple de Paris prend en main la direction des affaires publiques.

Contre le vieux monde d’exploitation et d’oppression, les ouvriers parisiens marquent une immense capacité d’initiative que, depuis des décennies, les couches réactionnaires des villes et des campagnes ont étouffée, réprimée. La Commune détruit l’État bourgeois, ce corps parasitaire, cet appareil de coercition dirigé contre le peuple.

A l’armée permanente, appareil de répression coupé des masses, elle substitue le peuple parisien en armes. Aux appareils bureaucratiques: police, justice, elle substitue des éléments du peuple, serviteurs de la Commune. Au gouvernement du vieil ordre social, elle substitue la Commune, corps agissant, composé d’éléments du peuple, responsables révocables à tout moment.

C’est la rupture avec le vieux monde bourgeois, c’est l’ébauche d’un monde nouveau, d’une société où exploitation et oppression seront bannies.

Contre ce Paris qui annonce les révolutions à venir, qui inscrit le futur de la société dans le présent lui-même, la bourgeoisie se déchaîne. Ce qui épouvante le plus les réactionnaires, c’est le début de construction par les communards d’une autre société qui porte en elle la condamnation sans appel de l’ancienne.

C’est cela que dans leur barbarie, ils veulent tuer, anéantir. Prétendant faire revivre un passé révolu, grands propriétaires fonciers et capitalistes conspirent en fomentant des complots contre la Commune, ils massacrent, exécutent bombardent. Maintenant que les esclaves se dressent contre leur maîtres, ceux-ci révèlent avec netteté leur véritable nature contre-révolutionnaire, voulant faire tourner à l’envers la roue de l’histoire.

Mais la Commune succombera par ses propres faiblesses internes. Jeune encore, peu développée, la classe ouvrière de notre pays n’avait pas encore l’expérience qu’une longue lutte contre l’exploiteur lui permettra d’acquérir au long des décennies suivantes.

Isolé, le prolétariat parisien ne pourra se lier fermement aux ouvriers des autres villes du pays, ni amener à sa cause la masse paysanne. Des années de respect de l’Etat bourgeois paralyseront parfois son action, le privant par exemple du moyen de pression formidable qu’aurait constitué la prise de la Banque de France.

Parfois le démocratisme petit-bourgeois freinera sa capacité d’initiative. Une clémence coupable le conduira dans certains cas, à sous-estimer le danger représenté par les ennemis.

A cette époque, la classe ouvrière n’a pas encore créé ni édifié son propre parti, elle est encore assez largement étrangère à la théorie de la révolution élaborée par Marx. Dans ces conditions, la direction du mouvement rencontre des difficultés à déterminer les tâches décisives du moment.

Pourtant, même si la Commune n’a pu, à cause notamment de sa brièveté, que commencer à ébaucher ce qu’aurait pu être une France socialiste à l’époque, elle a marqué avec éclat l’irruption du prolétariat, comme classe autonome sur la scène de l’histoire.

Elle a marqué la rupture du contrat par lequel la bourgeoisie le tenait enchaîné. Elle a, mobilisant le peuple de Paris, montré l’énergie révolutionnaire extraordinaire que peut développer celui-ci pour son émancipation. Traçant la voie de l’avenir, condamnant le vieux monde par son initiative même, le prolétariat de Paris affirmait dans la vie qu’autre chose devenait possible.

Par son héroïsme, son courage, il affirmait à la face du monde bourgeois qu’une ère nouvelle s’ouvrait, que la loi imprescriptible de l’univers, c’était la substitution du nouveau à l’ancien.

Une nouvelle classe, le prolétariat, devait affirmer son rôle dirigeant et prendre d’assaut les citadelles du vieux monde. Un espoir était né que ni la répression, ni les vicissitudes de la lutte, ni les capacités manoeuvrières de la bourgeoisie, ni les victoires momentanées de celle-ci, ne pouvaient éteindre.

Les communards de Paris, par leur initiative héroïque, sans précédent dans l’histoire, montraient le caractère devenu caduque de la société bourgeoise. La révolution prolétarienne frappait à la porte de l’histoire…

1914

Le 1er août 1914 deux blocs impérialistes engagent une guerre de rapine qui se prolongera en un affrontement mondial sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Quelle est alors la situation dans notre propre pays ? Dès la fin du dix-neuvième siècle, le capitalisme entre dans la phase de l’impérialisme. Un processus s’engage où le monopole se substitue à la libre concurrence.

Le capital financier s’assujettit de plus en plus l’économie du pays. Au plan mondial, les contradictions s’exacerbent entre puissances impérialistes qui entrent en concurrence pour le repartage du monde. La France, par l’exportation de capitaux, s’assure des rentes avantageuses. Elle se lance dans de nouvelles aventures coloniales, plaçant sous sa domination et pillant plusieurs pays.

Avec la République, instaurée après la Commune, la bourgeoisie a trouvé la forme de domination politique adaptée à l’époque. Pour duper la classe ouvrière, elle distille en abondance ses illusions parlementaires : perfectible, la République ne pouvait qu’appliquer de mieux en mieux la volonté populaire; sociale, la République annoncerait la paix entre les classes; arbitre, l’État républicain imposerait la solidarité de classe dans une société où les patrons renonceraient à la répression les ouvriers à la grève.

La bourgeoisie prône alors déjà ce qu’elle appelle la participation: en ouvrant, selon elle, la possibilité pour des ouvriers d’accéder à une autre condition dans le cadre du système capitaliste, notamment par l’actionnariat.

Paix sociale, entente capital-travail, prospérité: tels sont les thèmes que les chantres de la bourgeoisie développent avec abondance. Selon celle-ci s’ouvre une ère nouvelle de progrès, où les différences de classe s’effaceront progressivement et où les déshérités de la fortune participeront à la prospérité générale.

Pour contre-partie à payer par la classe ouvrière pour ces lendemains qui chantent : renoncer à la lutte et attendre de l’Etat défense et protection. Enfin, pour sceller son système de collaboration de classe, la bourgeoisie développe le nationalisme outrancier, nourri de la haine de l’Allemand -rival impérialiste- et de la haine des mauvais Français -ceux qui refusent le courant chauvin-.

Mais dans cette période, si la classe ouvrière se trouve encore assez disséminée dans de petits et moyens ateliers dispersés, s’amorce de plus en plus nettement une concentration qui rassemble nombreux les ouvriers dans un même lieu de travail.

Ainsi, métallurgistes, travailleurs du textile et mineurs notamment peuvent organiser leurs luttes dans des bagnes aux dimensions déjà importantes. C’est là que peut se forger de façon privilégiée une conscience de classe qui s’approfondit. Aux salaires de misère, aux journées de travail interminables, les ouvriers ripostent, par centaines de milliers, organisent des grèves massives, prolongées et acharnées qui manifestent une forte combativité.

De relativement exceptionnelle dans les décennies précédentes, la grève devient une arme familière dont la classe ouvrière s’empare a très large échelle. Pour organiser leurs batailles revendicatives, les travailleurs se dotent d’un instrument de lutte qui va connaître un développement extraordinaire: le syndicat.

Partout dans ce pays, en liaison avec le mouvement gréviste vont surgir des organisations syndicales, dénonçant l’entente entre les classes et entraînant les ouvriers dans des luttes dures.

La classe ouvrière décuple ainsi ses capacités de riposte, systématise les leçons de ses batailles revendicatives, brise l’isolement et la dispersion, renforce son unité de combat.

Face à ces initiatives des prolétaires de notre pays, la bourgeoisie alternera promesses démagogiques et répression. Et quand le mouvement gréviste affirmera nettement sa force, sa détermination, elle n’hésitera pas à frapper. Ainsi, en 1910, pour briser la grève des cheminots, elle traduira devant le conseil de guerre ceux qui refuseront de répondre à son appel de reprise du travail. Voilà bien la République « sociale » à l’oeuvre !

Le syndicat ne suffit pas aux ouvriers pour s’organiser en vue de la Révolution, il leur faut leur propre parti de classe.

En 1905, le Parti Socialiste Unifié, section française de l’Internationale ouvrière, rassemble en un tout unique les organisations qui se réclament du prolétariat.

Il existe de nombreux courants contradictoires qui, généralement, ignorent le marxisme ou le déforment. Sans fondement idéologique solide, sans de fermes principes d’organisation, ce parti se montrera incapable de tracer la voie de la Révolution dans notre pays. Il ne parviendra pas à s’arracher à l’influence de la bourgeoisie ni à élaborer les tâches de la révolution pour la période.

La nécessité de l’insurrection se transformera insensiblement en une recherche exclusive de la majorité parlementaire. Aux phrases révolutionnaires, il juxtapose une pratique de collaboration de classes.

A la lutte de classe ouverte, les députés socialistes, chefs du parti, préfèrent les envolées parlementaires. Pas de lutte intransigeante contre les illusions secrétées par la République bourgeoise, pas de lutte ferme contre le chauvinisme, mais des déclarations pacifistes, anti-militaristes.

Par ailleurs, les couches supérieures de la classe ouvrière et la petite bourgeoisie qui bénéficient des miettes des profits impérialistes, alimentent dans le parti l’opportunisme qui ronge de l’intérieur ses capacités révolutionnaires.

Cela se fait contre l’intérêt de l’immense majorité des prolétaires et des opprimés. Dans ces conditions, de nombreux ouvriers qui aspirent à la révolution se détachent de ce soi-disant parti du prolétariat et se replient dans le cadre syndical.

Se creuse ainsi un fossé entre le parti socialiste et de nombreux syndicalistes qui envisagent l’insurrection prolétarienne comme le prolongement d’un mouvement de grève qui se développerait en grève générale. Cette situation hypothèque très gravement dans cette période la préparation de la Révolution dans notre pays, et dresse déjà des obstacles pour l’avenir.

Quand les premiers coups de canon de la guerre impérialiste tonnent, le prolétariat de notre pays n’est pas préparé à s’opposer efficacement à la guerre, à tirer profit des difficultés que cette guerre causera à la bourgeoisie pour précipiter la chute de celle-ci.

Le parti socialiste entretient de graves illusions sur la volonté de paix du gouvernement. Le syndicat, même s’il se déclare, dans un premier temps, opposé à la guerre, n’envisage que des actions sans portée réelle. A l’heure de la mobilisation générale décrétée par le gouvernement, un profond courant chauvin déferle sur le pays.

Face aux illusions, aux idées fausses, face à la propagande de la bourgeoisie, le parti socialiste renonce. Il se range rapidement aux cotés de la bourgeoisie, même s’il tempère cette position par de vibrants, mais impuissants appels à la paix. Loin de prendre l’initiative pour commencer à organiser, dans des conditions très difficiles, l’opposition à la guerre de rapine, il vote des crédits de guerre.

Deux députés socialistes deviennent ministres de « l’Union Sacrée », rassemblement impérialiste. Les socialistes laissent la classe ouvrière et le peuple de notre pays livrés aux lois martiales, à la censure militaire.

Abêtis et corrompus par la légalité bourgeoise, ils renoncent à mettre en place toute organisation illégale, arme devenue alors impérativement indispensable à cause de la guerre et de l’état de siège. Ils masquent avec soin les véritables motifs de cette guerre: le repartage des colonies et des sphères d’influence entre impérialismes concurrents. Avec la bourgeoisie, ils appellent à renforcer l’effort de guerre, à maintenir à tout prix la paix civile.

En réalité, la classe ouvrière, les paysans pauvres de notre pays se sont fait massacrer, estropier pour des rivalités entre impérialismes concurrents. Ils ont été frappés par le deuil, la misère, la répression. Dans ces conditions incroyablement difficiles, ils ont pu toutefois, à la fin de la guerre, marquer leur opposition par des mutineries, révoltes, manifestations, grèves.

Octobre 17 montre que le flambeau de la Révolution n’a pas été abandonné dans le monde: la chaîne impérialiste se brise en Russie -immense encouragement pour les prolétaires de tous les pays. Il renforce la volonté de faire payer les responsables de cette guerre, il montre la voie de l’émancipation du prolétariat.

Il indique qu’une autre voie était possible… En tout cas, cette guerre révèle au grand jour la faillite du système capitaliste, illustre avec éclat la véritable nature de ce système, montre avec force la nécessité de son renversement…

Un grand espoir naît dans la classe ouvrière en décembre 1920 : le Parti Communiste Français est créé, tentative en France pour édifier un véritable parti révolutionnaire, tandis que les socialistes scissionnent et prolongent la SFIO. Pourtant, restait à édifier ce parti, et à détruire les tendances opportunistes, qui avaient jusqu’alors détourné les ouvriers des tâches de la révolution.

1936

Mai-juin 36 : une lame de fond, puissante soulève la classe ouvrière de notre pays: partout dans les usines, c’est la grève sur le tas, l’occupation. Partout la classe ouvrière est à l’initiative. Une immense aspiration à un changement de société traverse ce mouvement gréviste sans précédent.

Les ouvriers marquent avec force leur refus de cette société d’exploitation et d’oppression. Ils en ont assez de ces promesses pour des lendemains qui chantent.

Non ! ce n’est plus possible de continuer à travailler ainsi pour enrichir ceux qui vivent sur le dos du peuple ! Ce n’est plus possible d’accepter la domination de la bourgeoisie: il faut changer ce monde. Telles sont les idées qui germent dans les usines en lutte.

Depuis la première guerre mondiale, la classe ouvrière de notre pays, à nouveau, a fait l’expérience d’une politique bourgeoise qui cherche par tous les moyens à la détourner de ses propres buts.

Après une guerre impérialiste qui a imposé aux prolétaires de s’entre-tuer , qui a exigé d’eux des sacrifices énormes, la bourgeoisie va cyniquement utiliser l’aspiration au bien-être, à la paix. Elle prétend encore une fois qu’une étape nouvelle s’ouvre d’où les maux du capitalisme seraient écartés. Grâce à ce qu’elle appelle l’organisation scientifique du travail, une ère d’expansion serait ouverte.

Par le dialogue entre les exploiteurs et les exploités, par la réconciliation entre les classes, il serait possible de surmonter les effets du capitalisme.

Cela exige bien entendu que la classe ouvrière s’absorbe dans les seules tâches de production et s’intègre pacifiquement à la société impérialiste. Mais la situation réelle de la classe ouvrière est alors particulièrement précaire et difficile. Dès le lendemain de la guerre, une inflation brutale et prolongée lamine son pouvoir d’achat.

Dans le même temps, s’accentue l’intensification du travail, source de profits accrus pour les patrons.

La croissance, l’expansion, la productivité, se traduisent en fait par une exploitation très intense dans les usines.

Et quand l’impérialisme français est frappé par la crise économique des années 30 quand le marasme de la production industrielle s’installe, il est demandé à la classe ouvrière de payer les difficultés de la bourgeoisie. Ainsi, celle-ci n’hésite pas à jeter des centaines de milliers d’ouvriers à la rue, condamnés au chômage, à la misère, femmes et immigrés en priorité.

Voilà ce qu’il advient des promesses de bien-être et de progrès social ! Voilà la triste réalité engendrée par cette société impérialiste.

Dans le même temps, où elle surexploite la classe ouvrière en France, la bourgeoisie, tout au long de cette période, systématise, et rationalise le pillage des peuples dans les colonies qu’elle tient sous sa botte.

Sous couvert d’effort civilisateur, elle brise l’économie de ces pays, leurs cultures vivrières sont quasi supprimées, au profit de productions alimentaires tropicales importées en métropole. Ainsi, l’impérialisme français, par l’extorsion des richesses de ces peuples, peut momentanément mieux résister aux difficultés qui se présentent, notamment au début des années 30.

Le danger fasciste apparaît bientôt sur l’Europe et en France même, des bandes fascistes se constituent et se font menaçantes. Devant des affrontements de classes particulièrement aigus, le PCF ne trace pas fermement la voie de l’offensive, ne prépare pas l’alternative révolutionnaire.

La situation exige la constitution du Front Populaire rassemblant tous ceux qui veulent engager la lutte commune. S’il est nécessaire à ce moment de s’allier à ceux qui s’opposent au fascisme, cela ne devait pas conduire à ce que, dans cette unité, le projet propre de la classe ouvrière soit écarté.

Et surtout, cela ne devait pas conduire à fermer, au-delà de la construction nécessaire d’un Front, la seule issue à terme qui pouvait conjurer le fascisme, celle de la révolution prolétarienne. Si la situation exigeait de s’allier momentanément à des gens au riche passé de collaboration de classes, fallait-il pour autant entretenir des illusions sur le gouvernement mis en place à ce moment ?

Par ailleurs, ce Front consistait en alliances au sommet mais ne reposait pas sur des structures intégrant activement et largement les masses populaires.

Au pouvoir, Blum insiste sur le nécessaire respect par tous de la légalité bourgeoise. La limite des transformations à opérer, ce sont les lois bourgeoises.

Quand il accède au pouvoir, le 5 juin, le mouvement de grève sur le tas est généralisé; la production, le commerce sont paralysés, l’essentiel des entreprises est occupé dans tout le pays, la classe ouvrière s’organise elle-même dans des comités de grève. Elle est alors en position de force, elle dispose d’une arme de pression formidable: l’occupation des usines, et sa volonté de lutte intransigeante, prolongée s’impose partout.

C’est dans un enthousiasme extraordinaire qu’elle surmonte toutes les difficultés liées à l’occupation des usines et elle trouve alors un soutien populaire important. Elle entrevoit le jour où elle pourra enfin faire prévaloir son propre projet de société. La bourgeoisie est aux abois.

Elle demande que cessent au plus tôt ces occupations illégales où un ferment révolutionnaire se développe. Blum convoque les représentants syndicaux et leur propose, contre la cessation du mouvement, une hausse des salaires, l’établissement de conventions collectives puis il fera voter la loi sur les congés payés et les 40h.

Devant la poursuite des occupations, Thorez affirme: « Il faut savoir terminer une grève, tout n’est pas possible ». Dans de nombreuses usines, les travailleurs ont le sentiment d’être dupés, ils aspiraient à une autre issue.

Un immense espoir, un espoir de changement radical est brisé. C’est une voie ouverte par le mouvement de masses, son ampleur, sa force, sa détermination qui est refermée. L’insatisfaction profonde de la classe ouvrière se concrétisera sous forme de grèves, de manifestations, d’occupations, période d’agitation qui se poursuivra jusqu’en 1938.

Ainsi, l’enthousiasme du printemps 36, porté par de profondes aspirations révolutionnaires, sombrera dans l’amertume de l’automne 38, amertume nourrie par la conviction, chez de nombreux ouvriers, que la situation aurait dû déboucher sur une autre issue. Privée ainsi de l’initiative, la classe ouvrière verra à nouveau s’ouvrir une période sombre pour elle.

1945

1939 : la deuxième guerre mondiale éclate. Sacrifiant l’indépendance nationale à ses propres intérêts de classe, la bourgeoisie organise la défaite et la capitulation. En juin 40, ce n’est pas le peuple de notre pays qui est vaincu par l’agression nazie: c’est la bourgeoisie qui préfère Hitler au Front Populaire. Mais les premiers actes de résistance dans notre pays seront à l’initiative de la classe ouvrière. C’est elle qui animera la Résistance intérieure.

1944-1945 : les peuples du monde contraignent les fascistes à la capitulation. En France, la guerre de libération nationale est victorieuse. Cette victoire, c’est principalement celle du peuple de notre pays. Au coude à coude, au prix de dures privations, au prix du sang, ouvriers et paysans se sont dressés contre l’occupant nazi.

Pourtant, celui-ci défait, deux voies sont possibles: poursuivre l’offensive contre la bourgeoisie pour en finir avec la domination de cette classe ou bien pactiser avec celle-ci pour ouvrir une nouvelle période d’exploitation et d’oppression. C’est dans cette impasse que le PCF engagera les ouvriers de notre pays.

Au lendemain de la guerre, l’impérialisme français est considérablement affaibli. Son économie est profondément perturbée: des usines détruites, les communications coupées, le ravitaillement mal assuré. La collaboration ouverte de nombre de ses représentants, ses manœuvres pour priver le peuple des moyens de s’organiser et d’être partout à l’initiative ont démasqué à large échelle sa nature de classe.

Par ailleurs, au plan mondial, l’impérialisme, à nouveau, a montré qu’il engendrait nécessairement la guerre, la destruction, la désolation pour les peuples. En France, les forces politiques traditionnelles sont fortement ébranlées et le pouvoir central ne détient qu’une autorité fragile.

Enfin, la bourgeoisie ne dispose que d’une armée sérieusement lézardée, son potentiel militaire est faible et beaucoup d’armes sont dans les mains des ouvriers et des paysans organisés dans la Résistance.

Le camp du peuple s’est au contraire renforcé. Même si nombreux dans ses rangs ont été fusillés, de nouvelles vagues se sont levées vite aguerries par la lutte. Dans la guerre de libération contre l’occupant nazi, le peuple a beaucoup appris.

Par sa propre expérience, il a compris la force du peuple en armes, combattant pour une cause juste. Face à une armée puissante, munie des armes les plus sophistiquées, il a su se constituer en une force décisive. Surtout, il a acquis la conviction qu’il n’était plus possible de se laisser opprimer et exploiter comme avant.

La Libération a soulevé une immense espérance, celle, notamment pour la classe ouvrière, d’être à l’initiative dans la nouvelle situation qui s’ouvrait. Celle d’assurer les conditions d’un monde nouveau, qui rompe avec l’impérialisme décadent et ses conséquences.

Cet espoir il est notamment porté par les gardes et milices patriotiques en armes, il est porté par les comités de libération et par tous ceux, ouvriers et paysans, qui commencent à se réorganiser indépendamment du pouvoir central.

Pourtant, cet espoir sera cruellement et amèrement déçu. Une des premières tâches que se fixe alors le chef de l’impérialisme français, c’est désarmer les milices d’ouvriers et de paysans qui constituent une force redoutable. Le gouvernement bourgeois en place prétend imposer la dissolution des milices patriotiques.

Malgré l’opposition farouche de nombreux résistants, le PCF accèdera à cette demande. Au moment où la bourgeoisie est acculée à la défensive, incapable d’imposer son pouvoir comme avant, alors que les ouvriers et le peuple de notre pays aspirent à en finir avec le vieux système pourri, le PCF ne trace pas la perspective révolutionnaire.

Tout au contraire, la seule alternative qu’il ouvre, c’est celle de participer à la reconstitution du pouvoir de la bourgeoisie. Cette position ne fait que sanctionner une orientation déjà présente au cours de la lutte de libération nationale; dès ce moment, le PCF ne préparait pas les masses à l’issue révolutionnaire.

Toutefois, après la Libération, des dirigeants du PCF deviennent membres du gouvernement, ministres, fait sans précédent dans notre pays ! Les difficultés de la bourgeoisie devaient être bien grandes pour qu’elle fit appel à ceux qu’elle avait si souvent désignés comme de dangereux ennemis au sein même du pays.

Ne faut-il pas s’attendre à des bouleversements importants pour la vie du peuple ? Ne va-t-on pas assister à une révolution de l’intérieur même des institutions bourgeoises ?

Ce gouvernement s’attache à la reconstruction économique du pays. Pour cela, un impératif: produire plus. Ce sont les ministres du PCF qui seront les plus zélés pour appeler à la tristement célèbre bataille pour la production. Est instauré alors le système du salaire au rendement, des primes, des heures supplémentaires.

Prolétaires, retroussez vos manches, travaillez plus et mieux: tels sont les appels et mots d’ordre de ceux-là mêmes qui dans l’État, prétendent représenter les intérêts de la classe ouvrière. La bourgeoisie fait, par le blocage des prix et des salaires, payer ses difficultés aux travailleurs, c’est avec la caution des ministres PCF que les collaborateurs réinvestissent à tous les niveaux l’appareil d’Etat.

Et c’est bien le gouvernement auquel ils participent qui massacre sauvagement le peuple descendu dans la rue, en Algérie, en mai 1945, qui se lance dans l’aventure coloniale en Indochine, qui écrase dans un bain de sang la lutte du peuple malgache pour son indépendance. Triste bilan pour ces ministres du PCF !

Une fois l’orage passé, l’État restauré, son pouvoir consolidé, la bourgeoisie remerciera ceux qui lui ont servi de béquille, pour, dans un moment difficile, restaurer sa domination.

Au lendemain de la Libération, une misère profonde se marque par la pénurie, le rationnement, qui ne disparaissent pas de si tôt. Pour les familles ouvrières notamment, les privations sont le lot quotidien. Colère, volonté de changements restent profondément présentes. Par ailleurs, les crimes de l’impérialisme ne sont pas oubliés.

Dans ces conditions, à l’aube des années 50, la bourgeoisie, pour duper la classe ouvrière, pour tenter de l’associer à son propre projet, pour effacer la honteuse image d’elle-même, va faire miroiter le mythe de la société d’abondance dans une société paisible, où chacun est à sa juste place.

La prospérité retrouvée profitera à tous et à chacun. Mais cela ne peut se réaliser qu’à une condition essentielle: que le prolétariat de notre pays renonce à la lutte de classes, les luttes compromettraient la prospérité dont chacun tirera grand profit, dans une France où prolétaires exploités et patrons exploiteurs doivent se serrer les coudes en vue de l’effort commun.

Selon les bourgeois, c’est encore et de nouveau une ère nouvelle qui s’ouvre, d’où la lutte de classes doit être bannie. Celle-ci, selon eux, constitue une entrave au progrès de la société, dont les capacités immenses de production doivent permettre de progressivement satisfaire tous ceux qui le méritent. Grâce à l’effort conjugué de tous les Français, une France riche et prospère distribuera généreusement à ses membres tous les biens de consommation nécessaires.

En fait, pour la classe ouvrière, cela signifie toujours plus travailler, se soumettre avec pour seul horizon la possibilité d’achats, que la transformation des conditions de vie imposées par le capitalisme rend chaque jour plus nécessaires et indispensables. Sans frigidaire, sans machine à laver, sans voiture, la vie d’une famille ouvrière devient de plus en plus impossible.

Mais le prix de ces mirages d’une société d’où l’exploitation serait bannie, ce doit être le renoncement par les prolétaires à leur propre projet de société. Ce modèle de collaboration de classes butera sur un obstacle insurmontable: l’expérience même de la classe ouvrière, qui aiguisera sa vigilance.

En fait d’abondance, c’est pour elle l’intensification du travail, la dégradation des conditions de vie. Mai 68 vient ébranler avec force cette société dont la bourgeoisie prétendait avoir écarté les grandes secousses de la lutte de classes.

Parti de la jeunesse universitaire, le mouvement de mai déferle sur le pays en un mouvement d’une ampleur considérable, mobilisant simultanément des millions de grévistes dans les usines, bloquant pratiquement la production.

C’est une profonde contestation de cette société impérialiste qui se développe, classe ouvrière et masses populaires marquant leur opposition fondamentale à se laisser duper par les promesses de la bourgeoisie.

Manifestations, occupations des usines se multiplient à travers le pays. Le mythe d’une société où les grandes oppositions de classes auraient disparu vole en éclats: les prolétaires affirment massivement leur force et mettent en cause le sort que leur réserve cette société pourrie. Une volonté de lutte, une capacité d’initiatives sont libérées partout.

A tel point que la bourgeoisie prend peur et prépare une riposte violente, tout en organisant une répression brutale et systématique des manifestations offensives. Pourtant, le mouvement de masse ne parviendra pas à se constituer en une force unie posant avec netteté la question du pouvoir, et se plaçant sous la direction de la classe ouvrière.

Si le PCF se trouve à large échelle mis en cause dans la classe ouvrière, notamment critiqué pour la force d’inertie qu’il oppose aux initiatives, et l’absence de perspectives qu’il offre au mouvement de masse, il parviendra pour l’essentiel à sauvegarder son emprise politique, et en tout cas à la reconstituer en partie.

Il ne sera pas démasqué nettement comme parti bourgeois et les ruptures partielles et momentanées que des franges de la classe ouvrière opèrent avec lui, ne se développeront pas encore en une nette prise de conscience politique. La formidable énergie des masses qui est alors en oeuvre ne parviendra pas à s’organiser en force politique.

C’est qu’à ce moment-là, la classe ouvrière ne dispose pas d’un parti qui pourrait, à l’échelle du pays, éclairer le combat présent et le rapporter à l’objectif final, systématiser les expériences multiples qui existent, concentrer en un tout unique les efforts dispersés, approfondir et renforcer la rupture entre le PCF et le mouvement de masse. Dans ces conditions la force du mouvement ne pourra trouver tous ses développements et une orientation ferme.

Momentanément, la bourgeoisie peut reprendre assez vite la situation en main et surmonter le flottement important qui l’a traversée. PCF et PS peuvent canaliser le mouvement et lui offrir comme seule issue le maintien du système de domination politique bourgeois.

Pourtant, Mai 68, par son ampleur, la profondeur de sa contestation, a ouvert des brèches, a largement lézardé cette société. Il a ouvert un processus à partir duquel les contradictions de classes ont pu s’approfondir, s’aiguiser, où les contradictions entre le PCF et la classe ouvrière ont pu connaître de nouveaux développements. En réalité, Mai 68 a été le révélateur de l’usure de cette société. Six ans plus tard, une profonde crise politique venait frapper l’impérialisme français.

CONCLUSION

1871, 1936, 1945, à chacune de ces dates, la révolution est venue frapper à la porte de notre pays. A chaque fois, la bourgeoisie a pu trouver des points d’appui pour dessaisir le prolétariat de l’initiative, lui infliger une défaite, et finalement restaurer son pouvoir menacé.

1977. La crise qui secoue aujourd’hui notre pays est à maints égards beaucoup plus profonde que celles que notre peuple a traversées depuis plus d’un siècle. La possibilité d’une issus favorable au prolétariat de France se trouve à terme renforcée.

Prendre toute la mesure de l’ampleur de la crise actuelle, de l’aiguisement des antagonismes qui secouent cette société arrivée à son terme, laisse prévoir le mûrissement de la crise politique actuelle, en une crise révolutionnaire, en une crise nationale.

La capacité pour la classe ouvrière de résoudre à son profit cette crise, dépend fondamentalement de la compréhension qu’elle aura de cette crise, de la capacité qu’elle aura forgée dans les luttes d’aujourd’hui, d’agir de manière autonome conformément à ses intérêts de classe, rejetant la tutelle révisionniste et réformiste.

C’est justement possible aujourd’hui, et c’est là une des composantes et non des moindres, de la crise d’aujourd’hui.

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