Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Les prétendues scissions dans l’Internationale

    Circulaire privée du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs, 1872. 

    Jusqu’à ce jour le Conseil Général s’est imposé une réserve absolue quant aux luttes intérieures de l’Internationale et n’a jamais répondu publiquement aux attaques publiques, lancées pendant plus de deux ans contre lui par des membres de l’Association.

    Mais si la persistance de quelques intrigants, à entretenir à dessein une confusion entre l’Internationale et une Société qui, dès son origine, lui a été hostile, pouvait permettre de garder plus longtemps le silence, l’appui que la réaction européenne trouve dans les scandales provoqués par cette Société, à un moment où l’Internationale traverse la crise la plus sérieuse, depuis sa fondation, obligerait le Conseil Général à faire l’histoire de toutes ces intrigues.

    I

    Après la chute de la Commune de Paris, le premier acte du Conseil Général fut de publier son Manifeste sur « la Guerre civile en France », dans lequel il se rendit solidaire de tous les actes de la Commune, qui, justement à ce moment servaient à la bourgeoisie, à la presse et aux gouvernements de l’Europe centrale à accabler sous les calomnies les plus infâmes les vaincus de Paris. Une partie de la classe ouvrière même n’avait pas encore compris que son drapeau venait de succomber.

    Le Conseil en acquit une preuve, entre autres, par les démissions de deux de ses membres, les citoyens Odger et Lucraft, répudiant toute solidarité avec ce Manifeste. On peut dire que de sa publication dans tous les pays civilisés, date l’unité de vues de la classe ouvrière sur les événements de Paris.

    D’un autre côté, l’Internationale trouva un autre moyen de propagande des plus puissants dans la presse bourgeoise et surtout la grande presse anglaise, forcée par ce Manifeste de s’engager dans une polémique soutenue par les répliques du Conseil Général.

    L’arrivée à Londres de nombreux réfugiés de la Commune obligea le Conseil général à se constituer en Comité de secours et à exercer, pendant plus de 8 mois, cette fonction tout à fait en dehors de ses attributions régulières. Il va sans dire que les vaincus et les exilés de la Commune n’avaient rien à espérer de la bourgeoisie. Quant à la classe ouvrière, les demandes de secours venaient dans un moment difficile.

    La Suisse et la Belgique avaient déjà reçu leur contingent de réfugiés qu’elles avaient à soutenir ou dont elles avaient à faciliter le passage vers Londres. Les sommes recueillies en Allemagne, en Autriche et en Espagne étaient envoyées en Suisse. En Angleterre, la grande lutte pour la journée de 9 heures de travail, dont la bataille décisive fut menée à Newcastle, avait absorbé et les contributions individuelles des ouvriers et les fonds organisés des Trade unions, fonds qui, du reste, d’après les statuts même, ne peuvent être affectés qu’aux luttes de métier.

    Cependant, par des démarches et correspondances incessantes, le Conseil put réunir par petites sommes, l’argent qu’il distribuait chaque semaine. Les ouvriers américains ont répondu plus largement à son appel. Encore si le Conseil avait pu réaliser les millions que l’imagination terrifiée de la bourgeoisie dépose si généreusement dans le coffre-fort international !

    Après mai 1871, un certain nombre de réfugiés de la Commune furent appelés à remplacer au Conseil l’élément français qui, par suite de la guerre, ne s’y trouvait plus représenté. Parmi les membres ainsi adjoints, il y avait d’anciens Internationaux et une majorité composée d’hommes connus par leur énergie révolutionnaire et dont l’élection fut un hommage rendu à la Commune de Paris.

    C’est au milieu de ces préoccupations que le Conseil dut faire les travaux préparatoires pour la Conférence des délégués qu’il venait de convoquer.

    Les mesures violentes prises contre l’Internationale par le gouvernement bonapartiste, avaient empêché la réunion du Congrès de Paris, prescrite par le Congrès de Bâle. Usant du droit conféré par l’article 4 des Statuts, le Conseil général, dans sa circulaire du 12 juillet 1871, convoqua le congrès à Mayence.

    Dans les lettres adressées en même temps aux différentes fédérations, il leur proposa de transférer le siège du Conseil général d’Angleterre en un autre pays et demanda de munir les délégués de mandats impératifs à ce sujet. Les Fédérations se prononcèrent à l’unanimité pour son maintien à Londres. La guerre franco-allemande, éclatant peu de jours après, rendit tout Congrès impossible. C’est alors que les Fédérations consultées nous donnèrent le pouvoir de fixer la date du prochain Congrès d’après les événements.

    Aussitôt que la situation politique parut le permettre, le Conseil Général convoqua une Conférence privée, convocation appuyée sur les précédents de la Conférence de 1865 et des séances administratives privées de chaque Congrès.

    — Un Congrès public était impossible et n’eut fait que dénoncer les délégués continentaux, à un moment où la réaction européenne célébrait ses orgies; où Jules Favre demandait l’extradition des réfugiés comme criminels de droit commun, à tous les gouvernements, même à celui de l’Angleterre; où Dufaure proposait à l’Assemblée rurale une loi mettant l’Internationale hors la loi et dont Malou plus tard servait aux Belges une contrefaçon hypocrite; où, en Suisse, un réfugié de la Commune était arrêté préventivement, en attendant la décision du gouvernement fédéral sur la demande d’extradition; où la chasse aux Internationaux était la base ostensible d’une alliance entre Beust et Bismarck, dont Victor Emmanuel s’empressa d’adopter la clause dirigée contre l’Internationale; ou le gouvernement espagnol, se mettant entièrement çà la disposition des bourreaux de Versailles, forçait le bureau fédéral de Madrid à chercher un refuge en Portugal; au moment enfin où l’Internationale avait pour premier devoir de resserrer son organisation et de relever le gant jeté par les gouvernements.

    Toutes les sections en rapports réguliers avec le Conseil Général furent en temps opportun convoquées à la Conférence qui, bien que n’étant pas un Congrès public, rencontra de sérieuses difficultés. Il va sans dire que la France, dans l’état où elle se trouvait, ne pouvait élire de délégués. En Italie, la seule section, organisée alors, était celle de Naples: au moment de nommer un délégué elle fut dissoute par la force armée. En Autriche et en Hongrie, les membres les plus actifs étaient emprisonnés.

    En Allemagne, quelques uns des membres les plus connus étaient poursuivis pour crime de haute trahison, d’autres étaient en prison, et les moyens pécuniaires du parti étaient absorbés par la nécessité de venir en aide à leurs familles. Les Américains, tout en adressant à la Conférence un Mémoire détaillé sur la situation de l’Internationale dans leur pays, employèrent les frais de délégation au soutien des réfugiés. Du reste, toutes les fédérations reconnurent la nécessité de substituer la Conférence privée au Congrès public.

    La Conférence, après avoir siégé à Londres du 17 au 23 septembre 1871, laissa au Conseil général le soin de publier ses résolutions, de codifier les règlements administratifs et de les publier avec les Statuts généraux, revus et corrigés, en trois langues, d’exécuter la résolution substituant les timbres adhésifs aux cartes de membres, de réorganiser l’Internationale en Angleterre, et enfin de subvenir aux dépenses nécessitées par ces divers travaux.

    Dès la publication des travaux de la Conférence, la presse réactionnaire, de Paris à Moscou, de Londres à New-York, dénonça la résolution sur la politique de la classe ouvrière comme renfermant des desseins si dangereux — le Times l’accusa « d’une audace froidement calculée » — qu’il était urgent de mettre l’Internationale hors la loi.

    D’autre part, la résolution faisant justice des sections sectaires interlopes, fut le prétexte pour la police internationale aux aguets de revendiquer bruyamment la liberté autonome des ouvriers, ses protégés, contre le despotisme avilissant du Conseil général et de la Conférence. La classe ouvrière se sentait si « lourdement opprimée » que le Conseil général reçut de l’Europe, de l’Amérique, de l’Australie et même des Indes orientales des adhésions et des avis de la formation de nouvelles sections.

    II

    Les dénonciations de la presse bourgeoise ainsi que les lamentations de la police internationale trouvaient un écho sympathique même dans notre Association. Des intrigues, dirigées en apparence contre le Conseil général et en réalité contre l’Association, furent tramées dans son sein. Au fond de ces intrigues se trouve l’inévitable Alliance internationale de la Démocratie socialiste enfantée par le Russe Michel Bakounine.

    A son retour de la Sibérie, il prêcha dans le Kolokol de Herzen, comme fruit de sa longue expérience, le panslavisme et la guerre des races. Plus tard, durant son séjour en Suisse, il fut nommé au Comité directeur de la « Ligue de la paix et de la liberté », fondée en opposition à l’Internationale. Les affaires de cette société bourgeoise allant de mal en pis, son président, M. G. Vogt, sur l’avis de Bakounine, proposa une alliance au Congrès international réuni à Bruxelles en septembre 1868.

    Le Congrès déclara à l’unanimité que de deux choses l’une: ou la Ligue poursuivait le même but que l’Internationale, et dans ce cas elle n’avait aucune raison d’être, ou son but était différent, et alors l’alliance était impossible. Au Congrès de la Ligue, tenu à Berne, quelques jours après, Bakounine opéra sa conversion. Il y proposa un programme d’occasion dont la valeur scientifique peut être jugée par cette seule phrase: l’égalisation économique et sociale des classes.

    Soutenu par une infime minorité, il rompit avec la Ligue pour entrer dans l’Internationale, déterminé à substituer son programme de circonstance, repoussé par la Ligue, aux statuts généraux de l’Internationale et sa dictature personnelle au Conseil général. Dans ce but, il se créa un instrument spécial, l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, destinée à devenir une Internationale dans l’Internationale.

    Bakounine trouva les éléments nécessaires à la formation de cette société dans les relations qu’il avait nouées durant son séjour en Italie et dans un noyau de Russes exilés, lui servant d’émissaires et de recruteurs parmi les membres de l’Internationale en Suisse, en France et en Espagne.

    Ce ne fut cependant que sur les refus réitérés des Conseils fédéraux belge et parisien de reconnaître l’Alliance qu’il se décida à soumettre à l’approbation du Conseil général les statuts de sa nouvelle société, lesquels n’étaient que la reproduction fidèle du programme « incompris » de Berne. Le Conseil répondit par la circulaire suivante, en date du 22 décembre 1868:

    Il y a un mois environ qu’un certain nombre de citoyens s’est constitué à Genève comme Comité central initiateur d’une nouvelle Société internationale dite « l’Alliance Internationale de la Démocratie socialiste se donnant pour mission spéciale d’étudier les questions politiques et philosophiques sur la base même de ce grand principe de l’égalité », etc. »
    Le programme et le règlement imprimés de ce Comité initiateur n’ont été communiqués au Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs que le 15 décembre 1868.

    D’après ces documents, ladite Alliance est « fondue entièrement dans l’Internationale » en même temps qu’elle est fondée entièrement en dehors de cette association. À côté du Conseil général de l’Internationale élu par les Congrès successifs de Genève, Lausanne et Bruxelles, il y aura, d’après le règlement initiateur, un autre Conseil général à Genève qui s’est nommé lui-même.

    À côté des groupes locaux de l’Internationale, il y aura les groupes locaux de l’Alliance qui, par l’intermédiaire de leurs bureaux nationaux, fonctionnant en dehors des bureaux nationaux de l’Internationale, « demanderont au Bureau central de l’Alliance leur admission dans l’Internationale », le Comité central de l’Alliance s’arrogeant ainsi le droit d’admission dans l’Internationale.

    En dernier lieu, le Congrès général de l’Association internationale des travailleurs trouvera encore sa doublure dans le Congrès général de l‘Alliance, car, dit le règlement initiateur, au congrès annuel des travailleurs, la délégation de l’Alliance de la démocratie socialiste, comme branche de l’Association internationale des travailleurs, « tiendra ses séances publiques dans un local séparé. »

    Considérant
    Que la présence d’un deuxième corps international fonctionnant à l’intérieur et à l’extérieur de l’Association internationale des travailleurs serait le moyen le plus infaillible de la désorganiser ;

    Que n’importe quel autre groupe d’individus, résidant dans une localité quelconque, aurait le droit d’imiter le groupe initiateur de Genève et, sous des prétextes plus ou moins plausibles, de greffer sur l’Association internationale des travailleurs d’autres associations internationales avec d’autres « missions spéciales » ;

    Que de cette manière l’Association internationale des travailleurs deviendrait bientôt le jouet des intrigants de toute race et de toute nationalité ;

    Que d’ailleurs les statuts de l’Association internationale des travailleurs n’admettent dans son cadre que des branches locales et nationales (voir l’article 1 et l’article 6 des statuts) ;
    Que défense est faite aux sections de l’Association internationale de se donner des statuts ou règlements administratifs contraires aux statuts généraux et aux règlements administratifs de l’Association internationale (voir l’article 12) ;

    Que les statuts et règlements administratifs de l’Association internationale ne peuvent être révisés que par un congrès général où deux tiers des délégués présents voteraient en faveur d’une telle révision (voir l’article 13 des règlements administratifs) ;

    Que la question a déjà été jugée par les résolutions contre la Ligue de la paix, adoptées à l’unanimité par le Conseil général de Bruxelles ;
    Que, dans ses résolutions, le congrès déclarait que la Ligue de la paix n’avait aucune raison d’être, puisque, d’après ses récentes déclarations, son but et ses principes étaient identiques à ceux de l’Association internationale des travailleurs ;

    Que plusieurs membres du groupe initiateur de l’Alliance, en leur qualité de délégués au Congrès de Bruxelles, ont voté ces résolutions:

    Le Conseil général, dans sa séance du 22 décembre 1868, a unanimement résolu:

    1 ) Tous les articles du règlement de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, statuant sur ses relations avec l’Association internationale des travailleurs, sont déclarés nuls et de nul effet ;
    2) L’Alliance internationale de la démocratie socialiste n’est pas admise comme branche de l’Association internationale des travailleurs .
    G. ODGER, président de la séance.
    V. SHAW, secrétaire général.
    Londres, 22 décembre 1868.

    Quelques mois après, l’Alliance s’adressa de nouveau au Conseil général et lui demanda si, oui ou non, il en admettait les principes ? En cas affirmatif, l’Alliance se déclarait prête à se dissoudre en sections internationales. Elle reçut en réponse la circulaire suivante du 9 mars 1869:

    Le Conseil général au Comité central de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste

    D’après l’article premier de nos statuts, l’Association internationale des travailleurs admet toutes les Sociétés ouvrières qui poursuivent le même but, savoir: le concours mutuel, le progrès et l’émancipation complète de la classe ouvrière ».

    Les sections de la classe ouvrière dans les divers pays se trouvant placées dans des conditions diverses de développement, il s’ensuit nécessairement que leurs opinions théoriques, qui reflètent le mouvement réel, sont aussi divergentes.

    Cependant, la communauté d’action établie par l’Association Internationale des Travailleurs, l’échange des idées facilité par la publicité faite par les organes des différentes sections nationales, enfin les discussions directes aux Congrès généraux ne manquent pas d’engendrer graduellement un programme théorique commun.
    Ainsi, il est en dehors des attributions du Conseil général de faire l’examen critique du Programme de l’Alliance. Nous n’avons pas à rechercher si, oui ou non, c’est une expression adéquate du mouvement prolétaire. Pour nous, il s’agit seulement de savoir s’il ne contient rien de contraire à la tendance générale de notre association, c’est-à-dire à l’émancipation complète de la classe ouvrière. Il y a une phrase dans votre programme qui de ce point de vue fait défaut. Dans l’article II, on lit :

    « Elle [Alliance] veut avant tout l’égalisation politique, économique et sociale des classes . »

    L’égalisation des classe, interprétée littéralement, aboutit à l’harmonie du Capital et du Travail, si importunément prêchée par les socialistes bourgeois. Ce n’est pas l’égalisation des classes — contre-sens logique, impossible à réaliser, mais au contraire l’abolition des Classes, ce véritable secret du mouvement prolétaire, qui forme le grand but de l’Association Internationale des Travailleurs.

    Cependant, considérant le contexte dans lequel cette phrase: égalisation des classes se trouve, elle semble s’y être glissée comme une erreur de plume.

    Le Conseil général ne doute pas que vous voudrez bien éliminer de votre programme une phrase prêtant à des malentendus si dangereux. A la réserve des cas où la tendance générale de notre Association serait contredite, il correspond à ses principes de laisser à chaque section la liberté de formuler librement son programme théorique.

    Il n’existe donc pas d’obstacle pour la conversion des sections de l’Alliance en sections de l’Association Internationale des Travailleurs.
    Si la dissolution de l’Alliance et l’entrée des sections dans l’Internationale étaient définitivement décidées, il deviendrait nécessaire, d’après nos règlements, d’informer le Conseil du lieu et de la force numérique de chaque nouvelle section.

    Séance du Conseil général du 9 mars 1869.

    L’Alliance ayant accepté ces conditions, fut admise dans l’Internationale par le Conseil général, lequel, induit en erreur par quelques signatures du programme Bakounine, la supposa reconnue par le Conseil fédéral romand de Genève, qui, au contraire, ne cessa jamais de la tenir à l’écart.

    Désormais, elle avait atteint son but immédiat: se faire représenter au Congrès de Bâle. En dépit des moyens déloyaux dont ses partisans se servirent — moyens employés, à cette occasion, et cette fois-là seulement dans un Congrès de l’Internationale, Bakounine fut déçu dans son attente de voir le Congrès transférer à Genève le siège du Conseil Général et sanctionner officiellement la vieillerie St-Simonienne, l’abolition immédiate du droit d’héritage, dont Bakounine avait fait le point de départ pratique du socialisme.

    Ce fut le signal de la guerre ouverte  et incessante que fit l’Alliance; non seulement au Conseil Général, mais encore à toutes les sections de l’Internationale, qui refusèrent d’adopter le programme de cette coterie sectaire et surtout la doctrine de l’abstention absolue en matière politique.

    Déjà avant le Congrès de Bâle, Netchaïeff étant venu à Genève, Bakounine entra en relations avec lui, et fonda en Russie une société secrète parmi les étudiants. Cachant toujours sa propre personne sous le nom de différents « comités révolutionnaires », il revendiqua des pouvoirs autocratiques, entés sur toutes les duperies et mystifications du temps de Cagliostro.

    Le grand moyen de propagande de cette société consistait à compromettre des personnes innocentes vis-à-vis de la police russe, en leur adressant de Genève des communications sous enveloppes jaunes, revêtues à l’extérieur, en langue russe, de l’estampille du « Comité révolutionnaire secret ». Les rapports publics du procès Netchaïeff prouvent qu’il a été fait un abus infâme du nom de l’Internationale [1].

    L’Alliance commença dans ce temps une polémique publique contre le Conseil général, d’abord dans le Progrès de Locle, puis dans l’Egalité de Genève, journal officiel de la fédération romande où s’étaient glissés quelques membres de l’Alliance à la suite de Bakounine.

    Le Conseil général, qui avait dédaigné les attaques du Progrès, organe personnel de Bakounine, ne pouvait ignorer celles de l’Egalité, qu’il devait croire approuvées par le Comité fédéral romand. Il publia alors la circulaire du 1er janvier 1870 où il est dit:

    « Nous lisons dans l’Egalité, numéro du 11 décembre 1869:

    Il est « certain que le Conseil général néglige des choses extrêmement importantes.

    Nous lui rappelons ses obligations avec l’article premier du règlement: le Conseil général est obligé d’exécuter les résolutions du Congrès, etc… Nous aurions assez de questions à poser au Conseil général, pour que ses réponses constituent un assez long bulletin.

    Elles viendront plus tard… En attendant, etc… » Le Conseil général ne connaît pas d’article, soit dans les statuts, soit dans les règlements, qui l’obligeât d’entrer en correspondance ou en polémique avec l’Egalité ou de faire des « réponses aux questions » des journaux.

    Ce n’est que le Comité fédéral de Genève qui, vis-à-vis du Conseil général, représente les branches de la Suisse romande. Lorsque le Comité fédéral romand nous adressera des demandes ou des réprimandes par la seule voie légitime, c’est-à-dire par son secrétaire, le Conseil général sera toujours prêt à y répondre.

    Mais le Comité fédéral romand n’a le droit ni d’abdiquer ses fonctions entre les mains des rédacteurs de l’Egalité et du Progrès, ni de laisser ces journaux usurper ses fonctions. Généralement parlant, la correspondance administrative du Conseil général avec les Comités nationaux et locaux ne pourrait pas être publiée sans porter un grand préjudice à l’intérêt général de l’Association.

    Donc, si les autres organes de l’Internationale imitaient le Progrès et l’Egalité, le Conseil général se trouverait placé dans l’alternative, ou de se discréditer devant le public en se taisant ou de violer ses devoirs en répondant publiquement. L’Egalité s’est jointe au Progrès pour inviter « le Travail » (journal parisien) à attaquer de son côté le Conseil général. C’est presque une Ligue du bien public. »

    Cependant, avant d’avoir connaissance de cette circulaire, le Comité fédéral romand avait déjà éloigné de la rédaction de l’Egalité les partisans de l’Alliance.

    La circulaire du 1er janvier 1870, comme celle du 22 décembre 1868 et du 9 mars 1869, furent approuvées par toutes les sections de l’Internationale.

    Il va sans dire qu’aucune des conditions acceptées par l’Alliance, n’a jamais été remplie. Ses prétendues sections restaient un mystère pour le Conseil général. Bakounine cherchait à retenir sous sa direction personnelle les quelques groupes épars en Espagne et en Italie et la section de Naples qu’il avait détachée de l’Internationale. Dans les autres villes italiennes, il correspondait avec des petits noyaux, composés non d’ouvriers, mais d’avocats, de journalistes et autres

    bourgeois doctrinaires. A Barcelone, quelques amis maintenaient son influence. Dans quelques villes du Midi de la France, l’Alliance s’efforçait de fonder des sections séparatistes sous la direction d’Albert Richard et de Gaspard Blanc, de Lyon, sur lesquels nous aurons à revenir. En un mot, la Société internationale dans l’Internationale continuait à s’agiter.

    Le grand coup de l’Alliance, la tentative pour s’emparer de la direction de la Suisse romande, devait être frappé au Congrès de La Chaux-de-Fonds, ouvert le 4 avril 1870.

    La lutte s’engagea sur le droit d’admission des délégués de l’Alliance, droit contesté par les délégués de la fédération genévoise et des sections de La Chaux-de-Fonds.

    Bien que, d’après leur propre recensement, les partisans de l’Alliance ne fussent que la représentation du cinquième des membres de la fédération, ils réussirent, grâce à la répétition des manœuvres de Bâle, à se procurer une majorité fictive d’une ou deux voix, majorité qui, au dire de leur propre organe (voir la Solidarité du 7 mai 1870) ne représentait que quinze sections, tandis qu’à Genève seule il y en avait trente !

    Sur ce vote, le Congrès romand se divisa en deux partis qui continuèrent leurs séances séparément. Les partisans de l’Alliance se considérant comme les représentants légaux de toute la fédération, transférère[nt] le siège du Comité fédéral romand à La Chaux-de-Fonds, et fondèrent à Neufchâtel leur organe officiel, la Solidarité rédigé par le citoyen Guillaume.

    Ce jeune écrivain avait pour mission spéciale de décrier « les ouvriers de fabrique » de Genève, ces « bourgeois odieux », de faire la guerre à l’Egalité, journal de la fédération romande, et de prêcher l’abstention absolue en matière politique. Les articles les plus marquants relatifs à ce dernier sujet eurent pour auteurs, à Marseille, Bastelica et à Lyon les deux grands piliers de l’Alliance, Albert Richard et Gaspard Blanc.

    A leur tour, les délégués de Genève convoquèrent leurs sections en une assemblée générale qui, malgré l’opposition de Bakounine et de ses amis, approuva leurs actes au Congrès de La Chaux-de-Fonds. A quelques temps de là, Bakounine et ses acolytes les plus actifs furent exclus de la fédération romande.

    A peine le Congrès était-il clos que le nouveau Comité de La Chaux-de-Fonds en appelait à l’intervention du Conseil Général, dans une lettre signée F. Robert, secrétaire, et Henri Chevalley, président, dénoncé deux mois plus tard comme voleur, par l’organe du Comité, la Solidarité du 7 juillet.

    Après avoir examiné les pièces justificatives des deux parties, le Conseil Général décida, le 28 juin 1870, de maintenir le Comité fédéral de Genève dans ses anciennes fonctions et d’inviter le nouveau Comité fédéral de La Chaux-de-Fonds à prendre un nom local.

    Devant cette déception, qui trompait ses désirs, le Comité de La Chaux-de-Fonds dénonça l’autoritarisme du Conseil Général, oubliant que, le premier, il en avait demandé l’intervention. Le trouble que sa persistance à usurper le nom du Comité fédéral romand jetait dans la fédération suisse obligea le Conseil Général de suspendre toutes relations officielles avec ce Comité.

    Louis Bonaparte venait de livrer son armée à Sedan. De toutes parts s’élevèrent les protestations des Internationaux contre la continuation de la guerre. Le Conseil Général, dans son Manifeste du 9 septembre, dénonçant les projets de conquête de la Prusse, montrait le danger de son triomphe pour la cause prolétaire et prédisait aux ouvriers allemands qu’ils en seraient les premières victimes.

    Il provoquait en Angleterre des meetings qui contrecarrèrent les tendances prussiennes de la Cour. En Allemagne, les ouvriers internationaux firent des démonstrations réclamant la reconnaissance de la République et « une paix honorable pour la France… »

    De son côté, la nature belliqueuse du bouillant Guillaume (de Neufchâtel) lui suggéra l’idée lumineuse d’un manifeste anonyme, publié en supplément et sous le couvert du journal officiel la Solidarité, demandant la formation de corps francs suisses pour aller combattre les Prussiens, ce qu’il fut toujours empêché de faire, sans aucun doute par ses convictions abstentionnistes.

    Survint l’insurrection de Lyon. Bakounine accourut et, appuyé sur Albert Richard, Gaspard Blanc et Bastelica, s’installa, le 28 septembre, à l’Hôtel de Ville, dont il s’abstint de garder les abords comme d’un acte politique. Il en fut chassé piteusement par quelques gardes nationaux au moment où, après un enfantement laborieux, son décret sur l’abolition de l’État venait enfin de voir le jour.

    En octobre 1870, le Conseil Général, en l’absence de ses membres français, s’adjoignit le citoyen Paul Robin, réfugié de Brest, un des partisans les plus connus de l’Alliance et, de plus, l’auteur des attaques lancées dans l’Egalité contre le Conseil Général où, depuis ce moment, il ne cessait de fonctionner comme correspondant officieux du Comité de La Chaux-de-Fonds. Le 14 mars 1871 il provoqua la convocation d’une Conférence privée de l’Internationale pour vider le différend suisse.

    Le Conseil, prévoyant que de grands événements se préparaient à Paris, refusa net. Robin revint à la charge à plusieurs reprises et proposa même au Conseil de prendre une décision définitive sur le différend. Le 25 juillet, le Conseil Général décida que cette affaire serait une des questions soumises à la Conférence qui serait convoquée pour le mois de septembre 1871.

    Le 10 août, l’Alliance, peu désireuse de voir ses agissements scrutés par une Conférence, déclarait qu’elle était dissoute depuis le 6 du même mois. Mais le 15 septembre, elle reparait et demande son admission au Conseil, sous le nom de Section des athées socialistes.

    D’après la résolution administrative n° V du Congrès de Bâle, le Conseil n’aurait pu l’admettre sans consulter le Comité fédéral de Genève, qui était fatigué des deux années de lutte avec les sections sectaires. D’ailleurs, le Conseil avait déjà déclaré aux sociétés ouvrières chrétiennes anglaises (Young mens’ Christian Association) que l’Internationale ne reconnaît pas de sections théologiques.

    Le 6 août, date de la dissolution de l’Alliance, le Comité fédéral de la Chaux-de-Fonds, tout en renouvelant sa demande d’entrer en relations officielles avec le Conseil, lui déclare qu’il continuera d’ignorer la résolution du 28 juin et de se poser, vis-à-vis de Genève, en comité fédéral romand; et « que c’est au Congrès général qu’il appartient à juger cette affaire ».

    Le 4 septembre, le même Comité envoya une protestation contre la compétence de la Conférence dont il avait cependant demandé le premier la convocation. La Conférence aurait pu demander à son tour, quelle était la compétence du Conseil fédéral de Paris, que ce Comité avait requis, avant le siège, de décider sur le différend suisse ? Elle se contenta de confirmer la décision du Conseil Général du 28 juin 1870. ( Voir les motifs dans l’Egalité de Genève du 21 octobre 1871).

    III

    La présence en Suisse de quelques-uns des proscrits français qui y avaient trouvé refuge vint redonner une lueur de vie à l’Alliance.

    Les internationaux de Genève firent pour les proscrits, tout ce qui était en leurs pouvoirs. Ils leur assurèrent des secours dès le premier moment et empêchèrent, par une agitation puissante, les autorités suisses d’accorder l’extradition demandée par le gouvernement de Versailles.

    Plusieurs coururent de graves dangers en allant en France aider des réfugiés à gagner la frontière. Quel ne fut donc pas l’étonnement des ouvriers genévois en voyant quelques meneurs, tels que B. Malon [2], se mettre aussitôt en rapport avec les hommes de l’ Alliance et avec l’aide de N. Joukowsky, l’ex-secrétaire de l’Alliance, essayer de fonder à Genève, en dehors de la Fédération romande, la nouvelle « Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste ».

    Dans le premier article de ses statuts, elle « déclare adhérer aux statuts généraux de l’Association Internationale des Travailleurs, en se réservant toute la liberté d’action et d’initiative qui lui est donnée comme conséquence logique du principe d’autonomie et de fédération reconnu par les statuts et les Congrès de l’Association.  » En d’autres termes, elle se réserve toute liberté de continuer l’œuvre de l’Alliance.

    Dans une lettre de Malon, du 20 octobre 1871, cette nouvelle section adressa au Conseil général, pour la troisième fois, la demande de son admission dans l’Internationale. Conformément à la résolution V du Congrès de Bâle, le Conseil consulta le Comité fédéral de Genève, qui protesta vivement contre la reconnaissance par le Conseil de ce nouveau « foyer d’intrigues et de dissensions ». Le Conseil fut, en effet, assez « autoritaire » pour ne pas vouloir imposer à toute une Fédération les volontés de B. Malon et de N. Joukowsky, ex-secrétaire de l’Alliance.

    La Solidarité ayant cessé d’exister, les nouveaux adhérents de l’Alliance fondèrent la Révolution Sociale, sous la direction supérieure de Madame André Léo, qui venait de déclarer au Congrès de la Paix à Lausanne: que « Raoul Rigault et Ferré étaient les deux figures sinistres de la Commune, qui jusque-là (jusqu’à l’exécution des otages) n’avaient cessé, toujours en vain, de réclamer des mesures sanglantes ».

    Dès son premier numéro, ce journal s’empressa de se mettre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et autres organes orduriers, dont il réédita les saletés contre le Conseil général. Le moment lui parut opportun d’allumer, même dans l’Internationale, le feu des haines nationales. D’après lui, le Conseil général était un comité allemand, dirigé par un cerveau bismarkien3.

    Après avoir bien établi que certains membres du Conseil général ne pouvaient se piquer d’être « Gaulois avant tout », la Révolution sociale ne sut que s’emparer du deuxième mot d’ordre que la police européenne faisait circuler et dénoncer l’autoritarisme du Conseil.

    Quels étaient donc les faits sur lesquels s’appuyaient ces criailleries puériles ? Le Conseil général avait laissé mourir l’Alliance de sa mort naturelle et, d’accord avec le Comité fédéral de Genève, en avait empêché la résurrection. En outre, il avait requis le Comité de la Chaux-de-Fonds de prendre un nom qui lui permit de vivre en paix avec la grande majorité des Internationaux romands.

    En dehors de ces actes « autoritaires », quel usage le Conseil général avait-il fait, depuis octobre 1869 jusqu’en octobre 1871, des pouvoirs assez étendus que lui avait conféré le Congrès de Bâle ?

    1) Le 8 février 1870, la « Société des prolétaires positivistes » de Paris demanda au Conseil général son admission. Le Conseil répondit que les principes positivistes ayant trait au capital, énoncés dans les statuts particuliers de la Société, étaient en contradiction flagrante avec les considérants des statuts généraux; qu’il fallait donc les rayer et entrer dans l’Internationale non comme « positivistes » mais comme « prolétaires », tout en restant libres de concilier leurs opinions théoriques avec les principes généraux de l’Association. La section, ayant reconnu la justesse de cette décision, entra dans l’Internationale.

    2) A Lyon, il y avait eu scission entre la section de 1865 et une section de formation récente, où, au milieu d’honnêtes ouvriers, l’Alliance était représentée par Albert Richard et Gaspard Blanc. Comme il est d’usage dans pareils cas, le jugement d’une cour d’arbitrage, formée en Suisse, ne fut pas reconnu. Le 15 février 1870, la section de formation récente ne demanda pas seulement au Conseil général de statuer sur ce différend, en vertu de la résolution VII du Congrès de Bâle, mais elle lui envoya un jugement tout prêt, excluant et marquant d’infâmie les membres de la section de 1865, jugement qu’il devait signer et renvoyer par le retour du courrier.

    Le Conseil blâma cette procédure inouïe et requit des pièces justificatives. A la même demande, la section de 1865 répondit que, les pièces à charge contre Albert Richard ayant été soumises à la cour d’arbitrage, Bakounine s’en était emparé et refusait de les rendre, et par conséquent elle ne pouvait satisfaire d’une manière absolue aux désirs du Conseil général. La décision du Conseil, en date du 8 mars, sur cette affaire, ne souleva aucune objection ni d’un côté ni de l’autre.

    3 ) La branche française de Londres, ayant admis des éléments d’un caractère plus que douteux, s’était peu à peu transformée en une commandite de M. Félix Pyat. Elle lui servait à organiser des démonstrations compromettantes pour l’assassinat de L. Bonaparte, etc. , et à propager en France, sous le couvert de l’Internationale, ses manifestes ridicules. Le Conseil général se borna à déclarer dans les organes de l’Association, que M. Pyat n’étant pas membre de l’Internationale, elle ne pouvait être responsable de ses faits et gestes. La branche française déclara alors qu’elle ne reconnaissait ni le Conseil général, ni les Congrès: elle fit afficher sur les murs de Londres qu’en dehors d’elle, l’Internationale était une société anti-révolutionnaire.

    L’arrestation des internationaux français, à la veille du plébiscite, sous le prétexte d’une conspiration, ourdie en réalité par la police, et à laquelle les manifestes pyatistes donnèrent un air de vraisemblance, força le Conseil général à publier dans la Marseillaise et le Réveil sa résolution du 10 mai 1870, déclarant que la soi-disant branche française n’appartenait plus à l’Internationale depuis plus de deux ans, et que ses agissements étaient l’œuvre d’agents policiers.

    La nécessité de cette démarche est prouvée par la déclaration du Comité fédéral de Paris, dans les mêmes journaux, et par celle des Internationaux parisiens, lors de leur procès, – toutes deux s’appuyant sur la résolution du Conseil. La branche française disparut au commencement de la guerre, mais, comme l’Alliance en Suisse, elle devait reparaître à Londres avec de nouveaux alliés et sous d’autres noms.

    Dans les derniers jours de la Conférence, il se forma à Londres, parmi les proscrits de la Commune, une « section française de 1871 » forte d’environ 35 membres. Le premier acte « autoritaire » du Conseil général fut de dénoncer publiquement le secrétaire de cette section, Gustave Durand, comme espion de la police française.

    Les documents que nous possédons, prouvent l’intention de la police de faire assister Durand, d’abord à la Conférence et de l’introduire plus tard au sein du Conseil général. Les statuts de la nouvelle section enjoignant à ses membres de « n’accepter aucune délégation au Conseil général autre que de sa section », les citoyens Theisz et Bastelica se retirèrent du Conseil.

    Le 17 octobre, la section délégua au Conseil deux de ses membres, porteurs de mandats impératifs, dont l’un n’était autre que M. Chautard, ex-membre du Comité d’artillerie, que le Conseil déclina de s’adjoindre avant d’avoir examiné les statuts de « la section de 1871 » [4]. Il suffira de rappeler ici les points principaux du débat auquel ont donné lieu ces statuts. Ils portent, dans l’article 2 : « Pour être reçu membre de sa section, il faut justifier de ses moyens d’existence, présenter des garanties de moralité, etc. » Dans sa résolution du 17 octobre 1871, le Conseil proposa de rayer les mots: justifier de ses moyens d’existence.

    « Dans des cas douteux, disait le Conseil, une section peut bien prendre des informations sur les moyens d’existence comme « garantie de moralité », tandis qu’en d’autres cas, tels que ceux des réfugiés, des ouvriers en grève, etc., l’absence des moyens d’existence peut bien être une garantie de moralité. Mais demander aux candidats de justifier de leurs moyens d’existence comme condition générale pour être admis dans l’Internationale, serait une innovation bourgeoise, contraire à l’esprit et à la lettre des statuts généraux ».

    La section répondit: « que les statuts généraux rendent les sections responsables de la moralité de leurs membres et leur reconnaissent par conséquent le droit de prendre, comme elles l’entendent, leurs garanties ». A cela le Conseil général répliquait le 7 novembre: « D’après cette manière de voir, une section internationale fondée par les teetotallers ( sociétés de tempérance) pourrait installer dans ses statuts particuliers un article ainsi conçu: Pour être reçu membre de la section, il faut jurer de s’abstenir de toute boisson alcoolique. En un mot, les conditions d’admission, dans l’Internationale, les plus absurdes et les plus disparates, pourraient être imposées par les statuts particuliers des sections, toujours sous le prétexte qu’elles entendent, de cette manière, s’assurer de la moralité de leurs membres…

    « Les moyens d’existence des grévistes, ajoute la section française de 1871, consistent dans la caisse des grèves.» On peut répondre à cette phrase, d’abord que cette caisse est souvent fictive… De plus, des enquêtes officielles anglaises ont prouvée que la majorité des ouvriers anglais… est forcée – soit par la grève ou le chômage, soit par l’insuffisance des salaires ou par suite des termes de paiement ou bien d’autres causes encore – d’avoir recours sans cesse au Mont-de-Piété ou aux dettes, moyens d’existence dont on ne pourrait exiger la justification sans s’immiscer d’une manière inqualifiable dans la vie privée des citoyens. Or, de deux choses l’une: ou la section ne cherche dans les moyens d’existence que des garanties de moralité… et alors la proposition du Conseil général remplit ce but… ou la section, dans l’article II de ses statuts, a intentionnellement parlé de la justification des moyens d’existence comme condition d’admission en outre des garanties de moralité… et dans ce cas, le Conseil affirme que c’est une innovation bourgeoise contraire à la lettre et à l’esprit des statuts généraux ».

    Dans l’article XI de leurs statuts, il est dit: « Un ou plusieurs délégués seront envoyés au Conseil général ». Le Conseil demanda que cet article fut rayé, « parce que les statuts généraux de l’Internationale ne reconnaissent aucun droit aux sections d’envoyer des délégués au Conseil général ». «  Les statuts généraux, – ajouta-t-il, – ne reconnaissent que deux modes d’élection pour les membres du Conseil général: soit leur élection par le Congrès, soit leur adjonction par le Conseil général… ». Il est bien vrai que les différentes sections existant à Londres avaient été invitées à envoyer des délégués au Conseil général qui, pour ne pas enfreindre les statuts généraux, a toujours procédé de la manière suivante: Il a d’abord déterminé le nombre de délégués à envoyer par chaque section, se réservant le droit de les accepter ou de les refuser, suivant qu’il les jugeait propres aux fonctions générales qu’il doivent remplir.

    Ces délégués devenaient membres du Conseil général non en vertu de la délégation qu’ils avaient reçue de leurs sections, mais en vertu du droit que les statuts généraux donnent au Conseil de s’adjoindre de nouveaux membres. Ayant fonctionné jusqu’à la décision prise par la dernière Conférence, et comme le Conseil général de l’Association Internationale, et comme le Conseil central pour l’Angleterre, le Conseil de Londres trouva utile d’admettre, en dehors des membres qu’il s’adjoignait directement, des membres délégués en premier lieu par leurs sections respectives. On se tromperait étrangement en voulant assimiler le mode d’élection du Conseil général à celui du Conseil fédéral de Paris, lequel n’était même pas un Conseil national, nommé par un Congrès national, comme par exemple le Conseil fédéral de Bruxelles ou celui de Madrid.

    Le Conseil fédéral de Paris n’était qu’une délégation des sections parisiennes… Le mode d’élection du Conseil général est déterminé par les statuts généraux… et ses membres ne sauraient accepter d’autre mandat impératif que celui des statuts et règlements généraux… Si l’on prend en considération le paragraphe qui le précède, l’article XI n’a d’autre sens que de changer complètement la composition du Conseil général et d’en faire, contrairement à l’article III des statuts généraux, une délégation des sections de Londres où l’influence des groupes locaux se substituerait à celle de toute l’Association Internationale des Travailleurs. » Enfin, le Conseil général, dont le premier devoir consiste en l’exécution des décisions des Congrès (voir l’article 1 du règlement administratif du Congrès de Genève) dit qu’il « considère comme n’ayant nullement trait à la question… les idées émises par la section française de 1871 sur un changement radical à apporter dans les articles des statuts généraux relatifs à sa constitution ».

    D’ailleurs le Conseil déclara qu’il admettrait deux délégués de la section aux mêmes conditions que ceux des autres sections de Londres.

    La « section de 1871 », loin d’être satisfaite de cette réponse, publia, le 14 décembre, une « déclaration » signée par tous ses membres dont le nouveau secrétaire fut peu de temps après expulsé comme indigne, de la société des réfugiés. D’après cette déclaration, le Conseil général, en refusant d’usurper des attributions législatives, se rendit coupable « d’une rétrogradation toute naturaliste de l’idée sociale. »

    Voici maintenant quelques échantillons de la bonne foi qui a présidé à l’élaboration de ce document.

    La Conférence de Londres avait approuvé la conduite des ouvriers allemands pendant la guerre. Il était évident que cette résolution, proposée par un délégué suisse, appuyée par un délégué belge, et votée à l’unanimité, n’avait trait qu’aux internationaux allemands, qui ont expié dans la prison et expient encore leur conduite antichauvinique pendant la guerre.

    De plus, pour obvier à toute interprétation malveillante, le secrétaire du Conseil général pour la France venait d’expliquer dans une lettre, publiée par le Qui vive!, la Constitution, le Radical, l’Emancipation, l’Europe, etc, le véritable sens de la résolution.

    Néanmoins, huit jours après, le 20 novembre 1871, quinze membres de la « section française de 1871 » inséraient dans le Qui vive! une « protestation » pleine d’injures contre les ouvriers allemands et dénonçait la résolution de la Conférence comme la preuve irrécusable de « l’idée pangermanique » qui possède le Conseil général. De son côté, toute la presse féodale, libérale et policière de l’Allemagne s’empara avidement de cet incident pour démontrer aux ouvriers allemands le néant de leurs rêves internationaux. Après tout, la protestation du 20 novembre fut endossée par toute la section de 1871 dans sa déclaration du 14 décembre.

    Pour établir « la pente indéfinie de l’autoritarisme sur laquelle glisse le Conseil général », elle cite « la publication par ce même Conseil général d’une édition officielle des statuts généraux révisés par lui. »

    Il suffit de jeter un coup d’œil sur la nouvelle édition des statuts pour voir qu’à chaque alinéa se trouve, dans l’appendice, le renvoi établissant aux sources de son authenticité ! Quant aux mots « édition officielle », le premier Congrès de l’Internationale avait décidé que « le texte officiel et obligatoire des statuts et règlements généraux serait publié par le Conseil général ». (Voir Congrès ouvrier de l’Association internationale des travailleurs tenu à Genève du 3 au 8 septembre 1866, page 27, note.)

    Il va sans dire que la section de 1871 était en rapports suivis avec les dissidents de Genève et de Neufchâtel. Un de ses membres qui avait déployé plus d’énergie à attaquer le Conseil général qu’il n’en mit jamais à défendre la Commune, Chalain, se vit tout à coup réhabilité par B. Malon, qui naguère encore portait contre lui des accusations très graves, dans une lettre à un membre du Conseil. Du reste la « section française de 1871 » venait à peine de lancer sa déclaration, quand la guerre civile éclata dans ses rangs.

    D’abord Theisz, Avrial et Camélinat s’en retirèrent. Dès lors elle se morcela en plusieurs petits groupes, dont l’un est dirigé par le sieur Pierre Venisier, expulsé du Conseil général pour ses calomnies contre Varlin et autres, et puis chassé de l’Internationale par la Commission belge, que le Congrès de Brucelles, 1868, avait nommée.

    Un autre de ces groupes est fondé par B. Landeck, que la fuite imprévue du préfet de police Pietri, au 4 septembre, a libéré de son engagement « scrupuleusement tenu de ne plus s’occuper d’affaires politiques ni de l’Internationale en France ! » (Voir Troisième procès de l’Association Internationale des Travailleurs de Paris, 1870, p. 4). De l’autre côté, la masse des réfugiés français à Londres a formé une section qui est en harmonie complète avec le Conseil général.

    IV

    Les hommes de l’Alliance, cachés derrière le Comité fédéral de Neufchâtel, voulant tenter un nouvel effort, sur un plus vaste terrain, pour désorganiser l’Internationale, convoquèrent un Congrès de leurs sections à Sonvillier pour le 12 novembre 1871. — déjà en juillet, deux lettres de maître Guillaume à son ami Robin menaçaient le Conseil général d’une pareille campagne, s’il ne consentait à leur donner raison contre « les brigands de Genève » .

    Le congrès de Sonviller se composait de seize délégués, prétendant représenter en tout neuf sections, dont la nouvelle « section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste » de Genève.

    Les seize firent leur début par le décret anarchiste, déclarant dissoute la fédération romande, laquelle s’empressa de rendre les Alliancistes à leur « autonomie » en les chassant de toutes les sections. Du reste, le Conseil doit reconnaître qu’un éclair de bon sens leur fit accepter le nom de Fédération Jurassienne que leur avait donné la Conférence de Londres.

    Ensuite le Congrès des seize procéda à la « réorganisation de l’Internationale », en laçant contre la Conférence et le Conseil général une « circulaire à toutes les fédérations de l’Association Internationale des Travailleurs ».

    Les auteurs de la circulaire accusent d’abord le Conseil général d’avoir, en 1871, convoqué une conférence au lieu d’un Congrès. Des explications précédemment données il résulte que ces attaques s’adressent directement à toute l’Internationale qui, dans son ensemble, avait accepté la convocation d’une conférence à laquelle, d’ailleurs, l’Alliance se trouvait convenablement représentée par les citoyens Robin et Bastelica.

    A chaque Congrès, le Conseil général a eu ses délégués; au Congrès de Bâle, par exemple, il y en avait six. Les seize prétendent que « la majorité de la Conférence a été faussée d’avance par l’admission de six délégués du Conseil général avec voix délibérative ». En réalité, parmi les délégués du Conseil général à la Conférence, les conscrits français n’étaient autres que les représentants de la Commune de Paris, tandis que ses membres anglais et suisses ne purent qu’exceptionnellement prendre part aux séances, comme l’attestent les procès-verbaux qui seront soumis au prochain Congrès.

    Un délégué du Conseil avait un mandat d’une fédération nationale. D’après une lettre adressée à la Conférence, le mandat d’un autre fut retenu à cause de l’annonce de sa mort par les journaux. Reste un délégué, de sorte que les Belges seuls étaient relativement comme 6 est à 1.

    La police internationale, tenue à l’écart en la personne de Gustave Durand, s’était plaint amèrement de la violation des statuts généraux par la convocation d’une Conférence « secrète » . Elle n’était pas encore assez au courant de nos règlements généraux pour savoir que les séances administratives des Congrès sont obligatoirement privées.

    Ses plaintes, néanmoins, trouvèrent un écho sympathique chez les 16 de Sonvillier qui s’écrièrent: « Et pour couronner l’édifice, une décision de cette conférence porte le Conseil général fixera lui-même la date et le lieu du prochain Congrès ou de la Conférence qui le remplacera ; en sorte que nous voilà menacés de la suppression des Congrès généraux, ces grandes assises publiques de l’Internationale. »

    Les seize n’ont pas voulu voir que cette décision ne vient qu’affirmer, vis-à-vis des gouvernements, que, malgré toutes les mesures répressives, l’Internationale a la résolution inébranlable de tenir ses réunions générales d’une manière ou d’une autre.

    Dans l’Assemblée générale des sections genevoises, du 2 décembre 1871, qui faisait mauvais accueil aux citoyens Malon et Lefrançais, ces derniers soumirent une proposition tendant à confirmer les décrets rendus par les seize de Sonvillier et renfermant un blâme contre le Conseil général, ainsi que le désaveu de la Conférence. —  La conférence avait décidé que « les résolutions de la Conférence qui ne sont pas destinées à la publicité, seront communiquées aux Conseils fédéraux des divers pays par les secrétaires correspondants du Conseil général. »

    Cette résolution entièrement conforme aux statuts et règlements généraux, fut falsifiée par B. Malon et ses amis de la manière suivante: « Une partie des résolutions de la conférence ne sera communiquée qu’aux conseils fédéraux et aux secrétaires correspondants. » Ils accusent encore le Conseil général d’avoir « manqué au principe de la sincérité » en se refusant de livrer à la police, par la « publicité », des résolutions qui ont pour but exclusif la réorganisation de l’Internationale dans les pays où elle est proscrite.

    Les citoyens Malon et Lefrançais se plaignent de plus, que « la Conférence a porté atteinte à la liberté de la pensée et de son expression… en donnant au Conseil général le droit de dénoncer et de désavouer tout organe de publicité des sections et fédérations, traitant soit des principes sur lesquels repose l’Association, soit des intérêts respectifs des sections et fédérations, soit enfin des intérêts généraux de l’Association tout entière » (voir l’Egalité du 21décembre).

    Et, qu’y a t-il dans l’Egalité du 21 décembre ? Une résolution de la Conférence où elle « donne avis que désormais le Conseil général sera tenu de dénoncer et de désavouer publiquement tous les journaux se disant organes de l’Internationale, lesquels, suivant l’exemple donné par le Progrès et la Solidarité, discuteraient dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions qu’on ne doit discuter que dans le sein des comités locaux, des comités fédéraux et du Conseil général, ou, dans les séances privées et administratives des Congrès, soit fédéraux, soit nationaux ».

    Pour bien apprécier la lamentation aigre-douce de B. Malon, il faut considérer que cette résolution met fin une fois pour toutes aux tentatives de quelques journalistes désireux de se substituer aux comités responsables de l’Internationale et de jouer dans son milieu le même rôle que la bohème journaliste joue dans le monde bourgeois. Par suite d’une pareille tentative, le Comité fédéral de Genève avait vu des membres de l’Alliance rédiger l’organe officiel de la Fédération Romande, l’Egalité, dans un sens qui lui était entièrement hostile.

    D’ailleurs, le Conseil général n’avait pas besoin de la Conférence de Londres pour « dénoncer et désavouer publiquement » les abus du journalisme, car le Congrès de Bâle a décidé (Rés. II) que:

    «Tous les journaux contenant des attaques contre l’Association doivent être aussitôt envoyés au Conseil général par les sections », – « Il est évident, dit le Comité fédéral romand, dans sa déclaration du 20 décembre 1871 (Egalité du 24 déc.), que cet article n’était pas fait dans l’intention que le Conseil général garde dans ses archives les journaux qui attaquent l’Association, mais pour répondre et détruire au besoin l’effet pernicieux des calomnies et des dénigrements malveillants. Il est évident aussi que cet article se rapporte en général à tous les journaux, et que si nous ne vouons pas tolérer gratuitement les attaques des journaux bourgeois, à plus forte raison nous devons désavouer par l’organe de notre délégation centrale, par le Conseil général, les journaux dont les attaques contre nous se couvrent du nom de notre Association. »

    Remarquons en passant que le Times, ce Léviathan de la presse capitaliste, le Progrès (de Lyon), journal de la bourgeoisie libérale, et le Journal de Genève, journal ultra-révolutionnaire, accablèrent la Conférence des mêmes reproches et se servaient presque des mêmes termes que les citoyens Malon et Lefrançais.

    Après s’être élevé contre la convocation de la Conférence, puis contre sa composition et son caractère, soi-disant secret, la circulaire des seize s’attaque aux résolutions elles-mêmes.

    Constatant, d’abord, que le Congrès de Bâle avait abdiqué « en donnant au Conseil général le droit de refuser d’admettre ou de suspendre des sections de l’Internationale », elle impute, plus loin, ce péché à la Conférence: « Cette Conférence a… pris des résolutions… qui tendent à faire de l’Internationale, libre fédération de sections autonomes, une organisation hiérarchique et autoritaire de sections disciplinées, placées entièrement sous la main d’un Conseil général qui peut à son gré refuser leur admission ou bien suspendre leur activité !! » Plus loin, elle revient au Congrès de Bâle, qui aurait « dénaturé les attributions du conseil général ».

    Toutes ces contradictions de la circulaire des seize reviennent à ceci: la Conférence de 1871 est responsable du Congrès de Bâle de 1869, et le Conseil général est coupable d’avoir observé les statuts qui lui enjoignent d’exécuter les résolutions des Congrès.

    En réalité, le véritable mobile de toutes ces attaques contre la Conférence est d’une nature plus intime. D’abord, par ses résolutions, elle venait de contrecarrer les intrigues pratiques des hommes de l’Alliance en Suisse. De plus, les promoteurs de l’Alliance avaient, en Italie, en Espagne, dans une partie de la Suisse et de la Belgique, créé et entretenu avec une merveilleuse persistance, une confusion calculée entre le programme d’occasion de Bakounine et le programme de l’Association internationale des travailleurs.

    La Conférence mit en relief ce malentendu intentionnel par ses deux résolutions sur la politique prolétaire et sur les sections sectaires. La première, faisant justice de l’abstention politique prêchée par le programme Bakounine, est pleinement justifiée par ses considérants, appuyés sur les statuts généraux, sur la résolution du Congrès de Lausanne et autres précédents.5

    Passons maintenant aux sections sectaires.

    La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d’être à une époque où le prolétariat n’est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnant des solutions fantastiques que les ouvriers n’ont qu’à accepter, à propager, à mettre en pratique.

    Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d’ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente où même hostile à leur propagande. Les ouvriers de Paris et de Lyon ne voulaient pas plus des Saint-Simoniens, des Fouriéristes, des Icariens, que les chartistes et les trade-unionistes anglais ne voulaient des Owenistes.

    Ces sectes, leviers du mouvement à leur origine, lui font obstacle dès qu’il les dépasse; alors elles deviennent réactionnaires; témoin, les sectes en France et en Angleterre, et dernièrement les Lassalliens en Allemagne qui, après avoir entravé pendant des années l’organisation du prolétariat, ont fini par devenir de simples instruments de police. Enfin, c’est là l’enfance du mouvement prolétaire, comme l’astrologie et l’alchimie sont l’enfance de la science. Pour que la fondation de l’Internationale fût possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase.

    En face des organisations fantaisistes et antagonistes des sectes, l’Internationale est l’organisation réelle et militante de la classe prolétaire dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir organisé dans l’État. Aussi les statuts de l’Internationale ne connaissent-ils que des simples sociétés « ouvrières » poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme, qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l’élaboration théorique à l’impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l’échange des idées qui se fait dans les sections, admettant indistinct toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs Congrès.

    De même que dans toute nouvelle phase historique les vieilles erreurs reparaissent un instant pour disparaître bientôt après; de même l’Internationale a vu renaître dans son sein des sections sectaires, quoique sous une forme peu accentuée.

    L’Alliance, tout en considérant comme un progrès immense la résurrection des sectes, est une preuve concluante que leur temps est passé. Car, tandis qu’à leur origine elle représentaient les éléments du progrès, le programme de l’Alliance, à la remorque d’un « Mahomet sans Koran », ne représente qu’un ramassis d’idées d’outre-tombe, déguisées sous des phrases sonores, ne pouvant effrayer que des bourgeois idiots, ou servir de pièces à conviction contre les internationaux aux procureurs bonapartistes ou autres.6

    La Conférence, où étaient représentées toutes les nuances socialistes, acclama à l’unanimité la résolution contre les sections sectaires, convaincue que cette résolution, en ramenant l’Internationale sur son véritable terrain, marquerait une nouvelle phase de sa marche.

    Les partisans de l’Alliance, se sentant frappés à mort par cette résolution, n’y virent qu’une victoire du Conseil général sur l’Internationale, par laquelle, comme le dit leur circulaire, il fit « prédominer le programme spécial » de quelques uns de ses membres, « leur doctrine personnelle », « la doctrine orthodoxe », « la théorie officielle ayant seule droit de cité dans l’Association ». Du reste, ce n’était pas la faute de ces quelques membres, c’était la conséquence nécessaire, « l’effet corrupteur » du fait qu’ils faisaient partie du Conseil général, car « il est absolument impossible qu’un homme qui a pouvoir (!) sur ses semblables, demeure un homme moral. Le Conseil général devient un foyer d’intrigues. »

    Selon l’opinion des Seize, on pouvait déjà reprocher aux statuts généraux un tort grave, celui de donner au Conseil général le droit de s’adjoindre de nouveaux membres. Muni de ce pouvoir, disent-ils, « le Conseil pouvait, après coup, s’adjoindre tout un personnel qui en aurait modifié complètement la majorité et les tendances. » Il paraît que pour eux, le seul fait que des hommes appartiennent au Conseil général, suffit non seulement pour détruire leur moralité, mais aussi leur sens commun. Comment supposer autrement qu’une majorité se transforme elle-même en minorité par des adjonctions volontaires ?

    Du reste, les Seize eux-mêmes ne paraissent pas très convaincus de tout cela; car plus loin, ils se plaignent de ce que le Conseil général a été « composé pendant cinq ans des mêmes hommes, toujours réélus », et immédiatement après ils répètent: « la plupart d’entre eux ne sont pas nos mandataires réguliers, n’ayant pas été élus par un Congrès. »

    Le fait est que le personnel du Conseil général a constamment changé, bien que quelques-uns des fondateurs y soient restés, comme dans les Conseils fédéraux belge, romand, etc.

    Le Conseil général est soumis à trois conditions essentielles à l’accomplissement de son mandat. En premier lieu, il exige un personnel assez nombreux pour exécuter la multiplicité de ses travaux; ensuite, une composition des travailleurs appartenant aux différentes nations représentées dans l’Association internationale, et enfin la prédominance de l’élément ouvrier. Comment, alors que les exigences du travail pour l’ouvrier sont une cause incessante de changement dans le personnel du Conseil général, celui-ci pourrait-il réunir ces conditions indispensables sans le droit d’adjonction ? Néanmoins, une définition plus exacte de ce droit lui paraît nécessaire, comme il en a exprimé le désir à la dernière Conférence.

    La réélection du Conseil général, tel qu’il était composé, par les congrès successifs, et auxquels l’Angleterre était à peine représentée, semblerait prouver qu’il a fait son devoir dans les limites de ses moyens. Les Seize, au contraire, n’y voient que la preuve de la « confiance aveugle des Congrès », confiance poussée, à Bâle, « jusqu’à une sorte d’abdication volontaire entre les mains du Conseil général.»

    D’après eux, le « rôle normal » du Conseil doit être «  celui d’un simple bureau de correspondance et de statistique ». Ils appuient cette définition de plusieurs articles tirés d’une fausse traduction des Statuts.

    A l’encontre des statuts de toutes les sociétés bourgeoises, les statuts généraux de l’Internationale effleurent à peine son organisation administrative. Ils en laissent le développement à la pratique et la régularisation aux futurs Congrès. Néanmoins, comme l’unité et l’ensemble d’action des sections des divers pays pouvaient seuls leur conférer le caractère distinctif d’internationalité, les statuts s’occupent plus du Conseil général que des autres parties de l’organisation.

    L’article V des statuts originaux dit: « Le Conseil général fonctionnera comme agent international entre les différents groupes nationaux et locaux » et donne ensuite quelques exemples de la manière dont il devra agir. Parmi ces exemples mêmes, il se trouve l’instruction pour le Conseil de faire en sorte « que l’action immédiate étant réclamée, comme dans le cas des querelles internationales, tous les groupes de l’Association puissent agir simultanément et d’une manière uniforme ». L’article continue: « Suivant qu’il le jugera opportun, le Conseil général prendra l’initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales ».

    En outre, les statuts définissent le rôle du Conseil dans la convocation et la préparation des Congrès, et le chargent de certains travaux qu’il devra leur soumettre. Les statuts originaux mettent si peu en opposition l’action spontanée des groupes avec l’unité d’action de l’Association, que l’article 6 dit: « Puisque le mouvement ouvrier dans chaque pays ne peut être assuré que par la force résultant de l’union et de l’association; que d’autre part, l’action du Conseil général sera plus efficace… les membres de l’Internationale devront faire tout leur possible pour réunir les sociétés ouvrières encore isolées de leurs pays respectifs, en associations nationales, représentées par des organes centraux. »

    La première résolution administrative du Congrès de Genève (art. 1er) porte: [«] Le Conseil général est tenu d’exécuter les résolutions des Congrès ». Cette résolution légalisa la position occupée par le Conseil Général dès son origine: celle de délégation exécutive de l’Association. Il serait difficile d’exécuter des ordres sans « autorité » morale à défaut de toute autre « autorité librement consentie. » Le Congrès de Genève, en même temps, charge le Conseil général de publier « le texte officiel et obligatoire des statuts ».

    Le même Congrès résolut (Rés. admin. de Genève, art. 14): « Chaque section a le droit de rédiger ses statuts et règlements particuliers, adaptés aux circonstances locales et aux lois de son pays; mais ils ne doivent être contraire en rien aux statuts et règlements généraux ».

    Remarquons d’abord qu’il n’y a pas la moindre allusion à des déclarations particulières de principes, ni à des missions spéciales, dont telle ou telle section se changerait [chargerait ?] en dehors du but commun poursuivi par tous les groupes de l’Internationale. Il s’agit tout simplement du droit des sections d’adapter les statuts et règlements généraux « aux circonstances locales et aux lois de leur pays ».

    En deuxième lieu, par qui la conformité des statuts particuliers aux statuts généraux devrait-elle être constatée ? Évidemment, s’il n’y avait pas d’ « autorité » chargée de cette fonction, la résolution était nulle et non avenue. Non seulement il pouvait se former des sections policières ou hostiles, mais aussi l’intrusion de sectaires déclassés et de philanthropes bourgeois dans l’Association pouvait en dénaturer le caractère et, par leur nombre, aux Congrès, écraser les ouvriers.

    Dès leur origine, les fédérations nationales ou locales s’attribuèrent dans leurs pays respectifs ce droit d’admettre ou de refuser des nouvelles sections, selon que les statuts de celles-ci étaient ou n’étaient pas conformes aux statuts généraux. L’exercice de la même fonction par le Conseil Général est prévu par l’article VI des statuts généraux laissant aux sociétés locales indépendantes, c’est-à-dire à des sociétés se constituant en dehors des liens fédéraux de leur pays, le droit de se mettre en relation directe avec lui. L’Alliance ne dédaigna pas d’exercer ce droit, afin d’être dans les conditions requises pour envoyer des délégués au Congrès de Bâle.

    L’article VI des statuts prévoit aussi des obstacles légaux s’opposant à la formations de fédérations nationales dans certains pays où, par conséquent, le Conseil général est appelé à fonctionner comme Conseil fédéral. (voir procès-verbaux du congrès, etc., de Lausanne, 1867, p. 13.)

    Depuis la chute de la Commune, ces obstacles légaux n’ont fait que s’accroître dans différents pays et y rendre plus indispensable encore l’action du Conseil général, pour tenir les éléments véreux en dehors de l’Association. C’est ainsi que dernièrement des comités en France ont demandé l’intervention du Conseil général pour se débarrasser des mouchards, et que, dans un autre grand pays, les Internationaux l’ont requis de ne reconnaître aucune section n’étant fondée par ses mandataires.

    Ils motivaient leur demande par la nécessité d’éloigner ainsi des agents provocateurs dont le zèle bruyant se manifestait par la formation rapide de sections d’un radicalisme sans pareil. D’un autre côté, des sections soi-disant anti-autoritaires, n’hésitent pas à en appeler au Conseil, dès qu’un différend surgit dans leur sein, ni même de lui demander de frapper à tour de bras sur leurs adversaires, comme cela eut lieu pour le différend lyonnais. Plus récemment, depuis la Conférence, la « Fédération ouvrière de Turin » résolut de se déclarer: section de l’Internationale. Par suite d’une scission, la minorité fonda la société: « Émancipation de prolétaire. » Elle adhéra à l’Internationale et débuta par une résolution en faveur des Jurassiens.

    Son journal fourmille de phrases indignées contre tout autoritarisme. En envoyant les cotisations de la société, son secrétaire prévint le Conseil général que l’ancienne fédération enverrait probablement aussi ses cotisations. Puis il continue: « Comme vous avez lu dans le Proletario, la société Émancipation du Prolétaire… a déclaré.. refuser toute solidarité avec la bourgeoisie sous le masque ouvrier composant la fédération ouvrière » et il prie le Conseil général de communiquer cette résolution à toutes les sections et de refuser les 10 centimes de cotisations au cas où ils lui seraient envoyés.7

    A l’égal de tous les groupes internationaux, le Conseil général a le devoir de faire de la propagande. Il l’a rempli par ses manifestes et par ses mandataires qui ont jeté les premières assises de l’Internationale dans l’Amérique du Nord, dans l’Allemagne et dans beaucoup de villes de France.

    Une autre fonction du Conseil général consiste à venir en aide aux grèves, en leur assurant le secours de toute l’Internationale (Voir les rapports du Conseil général aux différents Congrès).

    Entre autres, le fait suivant prouve de quel poids a été son intervention dans les grèves. La Société de résistance des fondeurs en fer anglais est par elle-même une Trade’s-union internationale, possédant des branches dans d’autres pays, notamment dans les États-Unis. Néanmoins, dans une grève des fondeurs américains, ces derniers trouvèrent nécessaire d’invoquer l’interception du Conseil général pour empêcher l’importation de fondeurs anglais dans leur pays.

    Le développement de l’Internationale imposa au Conseil général, ainsi qu’aux Conseils fédéraux, la fonction d’arbitre.

    Le Congrès de Bruxelles résolut: « Les Conseils fédéraux sont tenus d’envoyer chaque trimestre au Conseil général un rapport sur l’administration et l’état financier de leur ressort ». (Résol. administ. n°3).

    Enfin, le Congrès de Bâle, qui provoqua la fureur bilieuse des Seize, ne fit que régulariser les rapports administratifs nés du développement de l’Association. S’il étendit outre mesure les limites des attributions du Conseil général, à qui la faute, sinon à Bakounine, Schwitzguebel, F. Robert, Guillaume et autres délégués de l’Alliance, qui le demandèrent à grands cris ? S’accuseraient-ils, par hasard, de « confiance aveugle » dans le Conseil général de Londres ?

    Voici deux résolutions du Congrès de Bâle:

    N° IV. Chaque nouvelle Section ou Société qui se forme et veut faire partie de l’Internationale, doit annoncer immédiatement son adhésion au Conseil général », et N° V : « Le Conseil général a le droit d’admettre ou de refuser l’affiliation de toute nouvelle société ou groupe, sauf l’appel au prochain congrès. [»]

    Quant aux sociétés locales indépendantes, se formant en dehors des liens fédératifs, ces articles ne font que confirmer la pratique observée dès l’origine de l’Internationale, et dont le maintien est une question de vie ou de mort pour l’Association. Mais on allait trop loin en généralisant la pratique et en l’appliquant indistinctement à toute section ou société en voie de formation.

    Ces articles donnent en effet au Conseil général le droit de s’immiscer dans la vie intérieure des fédérations; mais aussi n’ont-ils jamais été appliqués dans ce sens par le Conseil général. Il met au défi les Seize de citer un seul cas où il se serait immiscé dans les affaires des sections nouvelles, voulant s’affilier à des groupes ou à des fédérations existantes.

    Les résolutions que nous venons de citer se rapportent aux sections en voie de formation et les résolutions suivantes aux sections déjà reconnues:

    VI. – Le Conseil général a également le droit de suspendre, jusqu’au prochain Congrès, une section de l’Internationale. VII. – Lorsque des démêlés s’élèveront entre des sociétés ou branches d’un groupe national, ou entre des groupes de différentes nationalités, le Conseil général aura le droit de décider sur le différend, sauf l’appel au Congrès prochain qui décidera définitivement.

    Ces deux articles sont nécessaires pour des cas extrêmes, quoique jusqu’à présent, le Conseil général n’y ait jamais eu recours. L’historique donné plus haut prouve qu’il n’a suspendu aucune section, et qu’en cas de différends, il n’a agi que comme arbitre invoqué par les deux parties.

    Nous arrivons enfin à une fonction imposée au Conseil général pour les besoins de la lutte. Quelque blessant que ce soit pour les partisans de l’Alliance, le Conseil général, par la persistance même des attaques dont il est l’objet de la part de tous les ennemis du mouvement prolétaire, se trouve placé à l’avant-garde des défenseurs de l’Association Internationale des Travailleurs.

    V

    Après avoir fait justice de l’Internationale telle qu’elle est, les Seize nous disent ce qu’elle devrait être.

    D’abord, le Conseil Général serait nominalement un simple bureau de correspondance et de statistique. Ses fonctions administratives cessant, ses correspondances se réduiraient nécessairement à la reproduction des renseignements déjà publiés dans les journaux de l’Association. Le bureau de correspondance serait donc éludé. Quant à la statistique, c’est un travail irréalisable sans une puissante organisation, et surtout, comme le disent expressément les statuts originaux, sans une direction commune.  

    Or, comme tout, cela sent fortement « l’autoritarisme », il y aura peut-être un bureau, mais certainement pas de statistique. En un mot, le Conseil Général disparaît. La même logique frappe Conseils fédéraux, Comités locaux et autres centres « autoritaires ». Restent seules les sections autonomes.

    Quelle sera maintenant la mission »le ces « sections autonomes », librement fédérées et heureusement débarrassées de toute autorité, « cette autorité fût-elle élue et constituée par les travailleurs ? »

    Ici, il devient nécessaire de compléter la circulaire par le rapport du Comité fédéral Jurassien soumis au Congrès des Seize. « Pour faire de la classe ouvrière la véritable représentante des intérêts nouveaux de l’humanité », il faut que leur Organisation soit « guidée par l’idée qui doit triompher. Dégager cette idée des besoins de noire époque, des tendances intimes de l’humanité par une étude suivie des phénomènes de la vie sociale, faire ensuite pénétrer cette idée au sein de nos organisations ouvrières, tel doit être le but, etc. » Enfin, il faut former, « au sein de nos populations ouvrières, une véritable école socialiste révolutionnaire ».

    Ainsi, les sections autonomes d’ouvriers se convertissent tout d’un coup en écoles, dont ces Messieurs de l’Alliance seront les maîtres. Ils dégagent l’idée par « des études suivies », qui ne laissent pas la moindre trace. Ils la « font ensuite pénétrer au sein de nos organisations ouvrières. » Pour eux, la classe ouvrière est une matière brute, un chaos, qui, pour prendre forme, a besoin du souffle de leur Esprit Saint.

    Tout cela n’est qu’une paraphrase de l’ancien programme «le l’Alliance, commençant par ces mots : « La minorité socialiste de la Ligue de la Paix et de la Liberté s’étant séparée de celle Ligue, » se propose de fonder « une nouvelle Alliance de la démocratie socialiste… se donnant pour mission spéciale d’étudier les questions politiques et philosophiques… » Voilà l’idée qui s‘en « dégage ! » Une pareille entreprise… donnera aux démocrates socialistes sincères de l’Europe et de l’Amérique, le moyen de s’entendre et d’affirmer leurs idées.8

    Ainsi, de son propre aveu, la minorité d’une société bourgeoise ne s’est glissée dans l’Internationale, quelque temps avant le Congrès de Bâle, que pour s’en servir comme moyen de se poser, vis-à-vis des masses ouvrières, en hiérarques d’une science occulte, science de quatre phrases, dont le point culminant est « l’égalité économique et sociale des classes ».

    En dehors de cette « mission théorique », la nouvelle organisation proposée pour l’Internationale a aussi son côté pratique. « La Société future, dit la circulaire des Seize, ne doit être rien autre chose que l’universalisation de l’organisation que l’Internationale se sera donnée. Nous devons donc avoir soin de rapprocher le plus possible cette organisation de notre idéal ».

    « Comment voudrait-on qu’une société égalitaire et libre sortît d’une organisation autoritaire? C’est impossible. L’Internationale, embryon de la future société humaine, est tenue d’être dès maintenant. l’image fidèle de nos principes de liberté et de fédération ».

    En d’autres mots, comme les couvents du moyen-âge représentaient l’image de la vie céleste, l’Internationale doit être l’image de la nouvelle Jérusalem, dont l’Alliance porte « l’embryon » dans ses flancs. Les fédérés de Paris n’eussent pas succombé si, comprenant que la Commune était « l’embryon de la future société humaine », ils s’étaient débarrassés de toute discipline et de toutes armes, choses qui doivent disparaître dès qu’il n’y aura plus de guerres !

    Mais pour bien établir que, malgré leurs « études suivies », les Seize n’ont pas couvé ce joli projet de désorga­nisation et de désarmement de l’Internationale,au moment où elle combat pour son existence, Bnkounine vient d’en publier le texte original dans son mémoire sur l’organisation de l’Internationale. (Voir Almanach du Peuple pour 1872, Genève.)

    VI

    Maintenant, lisez le rapport présenté par le Comité Jurassien au Congrès des Seize. « Cette lecture, dit leur journal officiel la Révolution sociale (16 novembre), don­nera la mesure exacte de ce qu’on peut attendre de dévoue­ment et d’intelligence pratique de la part des adhérents à la Fédération Jurassienne ». Il commence par attribuer à « ces terribles événements »— la guerre franco-allemande et la guerre civile en France — une influence « en partie démoralisante… sur la situation des sections del’Inter­nationale ».

    Si, en effet, la guerre franco-allemande a dû tendre à la désorganisation des sections,en enrôlant un grand nom­bre d’ouvriers dans les deux armées, il n’en est pas moins vrai que la chute de l’Empire et la proclamation ouverte de la guerre de conquête par Bismarck, provoquèrent en Allemagne et en Angleterre une lutte passionnée entre la bourgeoisie prenant parti pour les Prussiens et le proléta­riat affirmant plus que jamais ses sentiments internatio­naux.

    Par cela même, l’Internationale devait gagner du terrain dans ces deux pays. En Amérique, le même fait produisit une scission dans l’immense émigration prolé­taire allemande ; le parti international se sépara nettement du parti chauviniste.

    D’un autre côté, l’avènement de la Commune de Paris a donné un essor sans précédent au développement exté­rieur de l’Internationale, et à la revendication virile de ses principes par les sections de toutes nationalités — excepté cependant les Jurassiens dont le rapport continue ainsi : depuis « le commencement de la lutte gigantesque… la réflexion est imposée… les uns s’en vont cacher leur faiblesse… Pour beaucoup celle situation (dans leurs rangs} est un signe de décrépitude, » mais « c’est au contraire… une situation propre à transformer l’Internationale » d’après leur image. On comprendra ce modeste désir après un examen plus approfondi d’une situation si prospère.

    Laissant de côté l’Alliance dissoute et. remplacée de­puis par la section Malon, le Comité avait à justifier de la situation de vingt sections. Parmi elles, sept lui tournent tout bonnement le dos, mais voici ce qu’en dit le rapport :

    « La section des monteurs de boites et celle des gra­veurs et guillocheurs de Bienne n’ont jamais répondu à aucune des communications que nous leur avons adres­sées.

    « Les sections des métiers de Neuchâtel, soit menui­siers, monteurs sur boites, graveurs et guillocheurs, n’ont fait aucune réponse aux communications du Comité fédé­ral.

    « Nous n’avons pu obtenir aucune nouvelle de la section du Val-de-Ruz.

    « La section des graveurs et guillocheurs de Locle n’a donné aucune réponse aux communications du Comité fédéral ».

    Voici ce qui s’appelle un commerce libre de sections autonomes avec leur Comité fédéral.

    Une autre section, celle « des graveurs guillocheurs du district de Courtelary, après trois années de persévérance opiniâtre… en ce moment… se constitue en société de ré­sistance « en dehors de l’ Internationale, ce qui ne les em­pêche nullement de se faire représenter par deux délégués au Congrès des Seize.

    Viennent alors quatre sections bien mortes :

    « La section centrale de Bienne est momentanément tombée, l’un de ses membres dévoués nous écrivait cepen­dant dernièrement que tout espoir à voir renaître l’Inter­nationale à Bienne n’était pas perdu.

    « La Section de Saint Biaise est tombée.

    « La section de Catébat, après avoir eu une existence brillante, dût céder devant les intrigues ourdies par les sei­gneurs (!) de cette localité pour dissoudre cette vaillante (!) section ».

    « Enfin la section de Corgémont, elle aussi, fut victime des intrigues patronales.

    Vient ensuite la section centrale du district de Courtelary, qui « prit une mesure sage : elle suspendit son action » ; ce qui ne l’empêche pas d’envoyer deux délégués au Congrès des Seize.

    Viennent maintenant quatre sections d’une existence plus que problématique.

    « La section de Grange se trouve réduite à un petit noyau d’ouvriers socialistes… Leur action locale se trouve paralysée par leur nombre restreint.

    « La Section centrale de Neufchâtel a eu à souffrir considérablement des événements, et n’eût été le dévoue­ment — l’activité de quelques-uns de ses membres, la chute était certaine.

    « La Section centrale du Locle, entre la vie et la mort pendant quelques mois, avait fini par se dissoudre. Tout récemment elle s’est reconstituée », évidemment pour le seul but, d’envoyer deux délégués au Congrès des Seize.

    « La section de propagande socialiste de La Chaux-de- Fonds est dans une situation critique… Sa position, loin de s’améliorer, tend plutôt à empirer ».

    Puis viennent deux sections, les cercles d’études de St-Imier et de Sonvillier, qui ne sont mentionnées qu’en passant et sur la condition desquelles pas un mot n’est dit.

    Reste la section modèle, qui, à en juger par son nom de section centrale, n’est elle-même que le résidu d’autres sections disparues.

    « La section centrale de Mouliers est certes celle qui a le moins souffert… Son comité a été en relation suivie avec le comité fédéral… des sections ne sont pas encore fondées.., » Cela s’explique : « L’action de la section de Moutiers se trouve tout particulièrement favorisée par les excellentes dispositions d’une population ouvrière… aux mœurs populaires ; nous aimerions voir la classe ouvrière de cette contrée se rendre encore plus indépendante des éléments politiques ».

    On voit en effet que ce rapport a donne la mesure exacte de ce qu’on peut attendre de dévouement et d’intelligence pratique dela part des adhérents à la Fédération Jurassienne ». Ils l’auraient pu compléter en ajoutant que les ouvriers de la Chaux-de-Fonds, siège primitif de leur co­mité, ont toujours répudié toute relation avec eux. Récemment encore, dans rassemblée générale du 18 janvier 1872, ils ont répondu à la circulaire des Seize par des vo­tes unanimes confirmant les résolutions de la Conférence de Londres, ainsi que la résolution du Congrès Romand, de mai 1871 : « d’exclure à jamais de l’Internationale les Bakounine, Guillaume et leurs adeptes. »

    Faut-il ajouter encore un seul mot sur la valeur de ce prétendu Congrès de Sonvillier, qui, selon ses propres pa­roles, a fait « éclater la guerre, la guerre ouverte au sein de l’internationale ? »

    Certainement, ces hommes, qui font plus de bruit qu’ils ne sont gros, ont eu un succès incontestable. Toute la presse libérale et policière a pris ouvertement leur parti ; ils ont été secondés, dans leurs calomnies personnelles contre le Conseil Général et leurs attaques anodines contre l’Internationale, par les prétendus réformateurs de tous les pays, — en Angleterre, par les républicains bourgeois, dont le Conseil Général a déjoué les intrigues ; en Italie, parles libres-penseurs dogmatiques, qui sous la bannière de Stefanoni, viennent de fonder une « Société universelle des rationalistes », ayant siège obligatoire à Home, orga­nisation « autoritaire » et « hiérarchique », couvents de moines et de nonnes athées, et dont les statuts décernent un buste en marbre dans la salle du Congrès, à tout bourgeois donateur de dix mille francs ; enfin, en Allemagne, par les socialistes bismarckiens qui, en dehors de leur journal policier, le Neue Social Demokrat, jouent les blouses blanches de l’empire prusso-allemand.

    Le conclave de Sonvillier demande à toutes les sections internationales, dans un appel pathétique, d’insister sur l’urgence d’un congrès immédiat, « pour réprimer», comme le disent les citoyens Malon et Lefrançais, « les empiétements successifs du Conseil de Londres, » — en réalité, pour substituer l’Alliance l’Internationale. Cet appel a reçu un écho si encourageant qu’ils en ont été aussitôt ré­duits à falsifier un vole du dernier Congrès belge. Ils disent dans leur organe officiel (Révolution Sociale, 4 jan­vier 1872):

    « Enfin, chose grave, les sections belges se sont réunies en Congrès, à Bruxelles, le 24 et 25 Décembre, et ont voté à l’unanimité une résolution identique à celle du Congrès de Sonvillier, sur l’urgence de provoquer un Congrès Général. » Il importe de constater que le Congrès belge a voté tout le contraire. Il a chargé le Congrès belge, dont la réunion n’aura lieu qu’en juin, d’élaborer un projet de nouveaux statuts généraux pour être soumis au prochain Congrès de l’Internationale.

    D’accord avec l’immense majorité de l’Internationale, le Conseil Général ne convoquera le Congrès annuel que pour septembre 1872.

    VII

    Quelques semaines après la Conférence, arrivèrent à Londres les sieurs Albert Richard et Gaspard Blanc, mem­bres les plus influents et les plus ardents de l’Alliance, chargés de recruter parmi les réfugiés français des auxi­liaires prêts à travailler pour la restauration de l’Empire, seul moyen, selon eux, de se débarrasser de Thiers et de ne pas rester le gousset vide. Le Conseil Général avisa les intéressés et, entre autres, le Conseil fédéral de Bruxelles de leurs menées bonapartistes.

    En janvier 1872, ils jetèrent le masque en publiant la brochure : « L’Empire et la France nouvelle. Appel du peuple et de la jeunesse à la conscience française, par Albert Richard et Gaspard Blanc. Bruxelles, 1872. »

    Avec la modestie ordinaire des charlatans de l’Alliance, ils récitent ainsi leur boniment : « Nous qui avions formé « la grande armée du prolétariat français…, nous, les « chefs les plus influents de l’Internationale en France…9 heureusement, nous ne sommes pas fusillés, nous, et nous sommes là pour planter, en face d eux (les parlementaires ambitieux, les républicains repus, les prétendus démocrates de toute espèce), le drapeau à l’ombre duquel nous combattons, et pour lancer à l’Europe étonnée, malgré les calomnies, malgré les menaces, malgré les attaques de toutes sortes qui nous attendent, ce cri qui sort du fond de notre conscience, et qui retentira bientôt dans le cœur de tous les Français :

    VIVE L’EMPEREUR ! »

    A Napoléon III, honni et conspué, il faut une réhabili­tation splendide, et MM. Albert Richard et Gaspard Rlanc, payés sur les fonds secret d’Invasion III, sont spécialement chargés de celle réhabilitation.

    Du reste, avouent-ils : « C’est la progression normale de nos idées qui nous ont rendus impérialistes ». Voilà une confession qui doit agréablement chatouiller leurs coreligionnaires de l’Alliance. Comme aux beaux jours de la Solidarité, A. Richard et G. Rlanc débitant leurs vieilles phrases sur « l’abstentionnisme politique » qui, d’après les données de leur « progression normale », ne devient une réalité que sous le despotisme le plus absolu où, alors, les travailleurs s’abstiennent de toute ingérence politique, comme le prisonnier s’abstient de toute promenade au soleil.

    «Le temps des révolutionnaires, disent-ils, est passé… le communisme est relégué en Allemagne et en Angleterre, en Allemagne surtout. C’est là, d’ailleurs, qu’il s’est éla­boré sérieusement, depuis longtemps, pour se répandre ensuite dans toute l’Internationale, et cette progression inquiétante de l’influence allemande dans l’Association n’a pas peu contribué à en arrêter le développement, ou plutôt à lui donner un nouveau cours dans les sections du Centre et du Midi de la France, qui n’ont jamais reçu le mot d’or­dre d’aucun Allemand ».

    Ne croirait-on pas entendre le grand Hiérophante lui-même s’attribuant, dès la fondation.de l’Alliance, en sa qualité de Russe, la mission spéciale de représenter les races latines ? ou « les véritables missionnaires » de la Révolution sociale (2 novembre 1871), dénonçant « la marche à rebours que travaillent à imprimer à l’Internationale les cervelles allemandes et bismarckiennes ? »

    Mais heureusement que la véritable tradition n’est pas perdue, et que MM. Albert Richard et Gaspard Blanc ne sont pas fusillés ! Aussi leur travail à eux consiste-t-il à « donner un nouveau cours » à l’Internationale, dans le centre et le midi de la France, en essayant de fonder des sections bonapartistes, par cela même essentiellement « autonomes »

    Quant à la constitution du prolétariat en parti politique, recommandée par la Conférence de Londres, « Après la restauration de l’Empire, nous » — Richard et Blanc —, « nous en aurons bientôt fini, non seulement avec les théo­ries socialistes, mais avec le commencement de réalisation qu’elles révèlent par l’organisation révolutionnaire des masses. »

    En un mot, exploitant le grand « principe d’autonomie des sections » « qui constitue la véritable force de l’Inter­nationale spécialement dans le pays de race latine » (Révolution sociale du 4 janvier), ces messieurs spéculent sur l’anarchie dans l’Internationale.

    L’Anarchie, voilà le grand cheval de bataille de leur maître Bakounine, qui des systèmes socialistes n’a pris que les étiquettes. Tous les socialistes entendent par Anar­chie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteinte, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît, et les fonc­tions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours.

    Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétai­res comme le moyen le plus infaillible de briser la puis­sante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie. La police internationale ne demande rien de plus pour éterni­ser la République-Thiers, en la couvrant du manteau impé­rial10.

    Le Conseil Général:

    Applegarth, Antoine Arnaud, M. T. Boon, F. Bradnnik, G. H. Buttay, F. Cournet, Delahaye, Eugène Du­pont, W. Hales, Hurliman, Jules Johannard, Harriett Law, F. Lessner, Lochner, Margueritte, Constant-Martin, L. Maurice, Henry Mavo, Georges Milner, Char­les Murray, Pfander, Vitale Régis, J. Roswadowski, John Hoach, Rühl, G. Ranvier, Sadler, Cowell. Stepney, Alf Taylor, W. Townshend, Ed. Vaillant, John Weston, F. J. Yarrow.

    Secrétaires correspondants :

    Karl Marx, Allemagne et Russie ; Léo Frankel, Autri­che et Hongrie; A. Herman, Belgique; Th. Mottershead, Danemark; J. G. Eccarius, Etats-Unis; Le Moussu, sec­tions françaises des Etats-Unis ; Aug. Serraillier, France; Charles Rochat, Hollande; J. P. Mac Donnel, Irlande; Fred. Engels, Italie et Espagne; Walery Wroblewski, Pologne; H. Jung, Suisse.

    Charles Longuet, président de la séance.

    Hermann Jung, trésorier,

    John Hales, secrétaire général.

    Rathbone Place. W.

    Londres, le 5 mars 1872.

    Notes

    1 Un extrait du procès Netchaïeff sera prochainement publié. Le lecteur y trouvera un échantillon des maximes à la fois sottes et infâmes dont les amis de Bakounine ont fait peser la responsabilité sur l’Internationale.

    2 Les amis de B. Malon qui, dans une réclame stéréotypée, l’appellent depuis trois mois fondateur de l’Internationale, qui annoncent son livre comme le seul ouvrage indépendant sur la Commune, savent-ils l’attitude prise par l’adjoint des Batignolles, à la veille des élections de Février ? A cette époque, B. Malon, qui ne prévoyait pas encore la Commune et n’avait en vue que le succès de son élection à l’Assemblée, intrigua pour se faire admettre sur la liste des quatre comités comme International. Dans ce but, il nia effrontément l’existence du Conseil fédéral parisien et soumit aux comités la liste d’une section fondée par lui aux Batignolles, comme émanant de l’Association tout entière. – Plus tard, le 19 mars, il insultait dans un document public les promoteurs de la grande Révolution accomplie la veille. – Aujourd’hui, cet anarchiste à tout crin imprime ou laisse imprimer ce qu’il disait déjà il y a un an aux quatre comités: l’Internationale, c’est moi ! B. Malon a trouvé le moyen de parodier à la fois Louis XIV et le chocolatier Perron. Encore celui-ci ne déclare-t-il pas que son chocolat est le seul… mangeable.

    3 Voici quelle était la composition, par nationalités, de ce conseil: 20 Anglais, 15 Français, 7 Allemands (dont 5 fondateurs de l’Internationale), 3 Suisses, deux Hongrois, un Polonais, un Belge, un Irlandais, un Danois et un Italien.

    4 Peu de temps après, ce Chautard qu’on avait voulu imposer au Conseil général, était expulsé de sa section comme agent de la police de Thiers. Il était accusé par ceux-là mêmes qui l’avaient jugé digne entre tous de les représenter au Conseil général.

    5 Voici la résolution de la Conférence sur l’action politique de la classe ouvrière :
    Vu les considérants des Statuts originaux, où il est dit: « L’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen »;
    Vu l’adresse inaugurale de l’Association Internationale des Travailleurs (1864) qui dit: « Les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. Bien loin de pousser à l’émancipation du travail, ils continueront à y opposer les plus d’obstacles possibles… La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière »;
    Vu la Résolution du Congrès de Lausanne (1867) à cet effet: « L’émancipation sociale des Travailleurs est inséparable de leur émancipation politique »;
    Vu la déclaration du Conseil général sur le prétendu complot des Internationaux français à la veille du plébiscite (1870), où il est dit: « D’après la teneur de nos statuts, certainement toutes nos sections en Angleterre, sur le continent et en Amérique, ont la mission spéciale, non seulement de servir de centres à l’organisation militante de la classe ouvrière, mais aussi de soutenir dans leurs pays respectifs tout mouvement politique tendant à l’accomplissement de notre but final: – l’émancipation économique de la classe ouvrière »;
    Attendu que des traductions infidèles de nos Statuts originaux ont donné lieu à des interprétations fausses, qui ont été nuisibles au développement et à l’action de l’Association Internationale des Travailleurs;
    En présence d’une réaction sans frein qui étouffe violemment tout effort d’émancipation de la part des travailleurs, et prétend maintenir par la force brutale la distinction des classes, et la domination politique des classes possédantes qui en résulte;
    Considérant en outre:
    Que contre ce pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes;
    Que cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême: l’abolition des classes;
    Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs;
    La Conférence rappelle aux membres de l’Internationale:
    Que dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis.

    6 Les travaux policiers publiés dans ces derniers temps sur l’Internationale, sans en excepter ni la circulaire de Jules Favre aux puissances étrangères, ni le rapport du rural Sacaze sur le projet Dufaure, fourmillent de citations empruntées aux pompeux manifestes de l’Alliance. La phraséologie de ces sectaires, dont tout le radicalisme est dans les mots, sert à merveille les désirs de la réaction.

    7 Telles étaient à cette époque les opinions apparentes de la société: Emancipation du prolétaire, représentée par son secrétaire correspondant, ami de Bakounine. En réalité, les tendances de cette section étaient toutes autres. Après avoir expulsé, pour détournement de fonds et aussi pour ses relations amicales avec le chef de la police de Turin, ce représentant doublement infidèle, cette société a donné des éclaircissements qui ont fait disparaître tout malentendu entre elle et le Conseil général.

    8 Les hommes de. l’Alliance qui ne cessent pas de reprocher au Conseil général la convocation d’une Conférence privée à un moment où la réunion d’un Congrès public eût été le comble de la trahison ou de la .sottise, les partisans absolus de l’éclat et du grand jour ont, au mépris de nos statuts, organisé au sein de l’Internationale, une véritable société occulte, dirigée contre l’Internationale même, dans le but de placer ses sections à leur insu, sous la direction sacerdotale de Bakounine.
    Le Conseil général se propose de réclamer du prochain Congrès une requête sur cette organisation secrète et ses promoteurs dans certains pays, par exemple en Espagne.

    9 Sous le titre « Au Pilori », l’Égalité (de Genève) du 15 février 1872 dit :« Le jour n’est pas encore venu pour raconter l’histoire de la défaite du mouvement communaliste dans le midi de la France; mais ce que nous pouvons annoncer dès aujourd’hui, nous qui. pour la plupart, avons été témoins de la déplorable défaite de l’insurrection du 30 avril à Lyon, c’est que cette insurrection a en partie échoué, grâce à la lâcheté, à la trahison, au vol de G. Blanc, qui se faufilait partout, en exécutant les ordres d A. Richard. qui se tenait dans l’ombre. Par leurs manœuvres intentionnelles, ces misérables sont parvenus à compromettre plusieurs noms qui prenaient part aux travaux préparatoires des Comités insurrectionnels. De plus ces traîtres sont parvenus à discréditer l’Internationale à Lyon, à tel point qu’au moment de la révolution parisienne, l’Internatio­nale inspirait aux ouvriers lyonnais la plus grande défiance. De là, absence totale d’organisation ; de là, défaite de l’insurrection : défaite qui a dû nécessairement entraîner la chute de la Commune, abandonnée à ses forces isolées ! Ce n’est que depuis cette sanglante leçon que notre propagande a su rallier les ouvriers lyonnais autour du drapeau de l’Internationale. Albert Richard a été l’enfant gâté, le prophète de Bakounine et consorts. »

    10 Dans le rapport sur la loi Dufaure, le rural Sacaze en veut, avant tout à l’organisation de l’Internationale. Cette organisation est sa bête noire. Après avoir constaté la « marche ascendante de cette formidable As­sociation » il continue : « Cette Association rejette… les pratiques téné­breuses des sectes qui l’ont précédée. Son organisation s’est faite et mo­difiée au grand jour. Grâce à la puissance de cette organisation… elle a étendu successivement sa sphère d’action et d’influence. Elle s’ouvre tous les territoires. »

    Puis, il en décrit « sommairement l’organisation » et conclut : « Telle est. dans sa savante unité… le plan de cette vaste orga­nisation. Sa force est dans cette conception même. Elle est aussi dans la masse de ses adhérents, liés à une action simultanée, et enfin dans l’in­vincible impulsion qui peut les faire mouvoir ».

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  • Friedrich Engels : Le panslavisme démocratique

    Paru dans La Nouvelle Gazette Rhénane, 14 février 1849

    Nous avons souvent indiqué que les douces songeries nées après les révolutions de février et de mars, que les rêves exaltés de fraternisation générale des peuples, de république fédérative européenne et de paix mondiale éternelle ne faisaient au fond que dissimuler la perplexité et l’inaction sans bornes des porte-parole d’alors.

    On ne voyait pas, ou on ne voulait pas voir, ce qu’il fallait faire pour sauvegarder la révolution; on ne put, ou on ne voulut imposer aucune mesure vraiment révolutionnaire; l’étroitesse d’esprit des uns, les intrigues contre-révolutionnaires des autres s’accordèrent pour ne donner au peuple qu’une phraséologie sentimentale au lieu d’actes révolutionnaires. Lamartine, ce gredin aux belles paroles, était le héros classique de cette époque de trahison du peuple, dissimulée sous les fleurs de la poésie et le clinquant de la rhétorique.

    Les peuples qui ont fait la révolution savent quel prix il leur a fallu payer pour, dans leur généreuse naïveté, avoir cru aux grands mots et aux assurances pompeuses.

    Au lieu de la sauvegarde de la révolution, partout des Chambres réactionnaires qui la sapèrent; au lieu de la réalisation des promesses faites sur les barricades, les contre-révolutions de Naples, Paris, Vienne, Berlin, la chute de Milan, la guerre contre la Hongrie; au lieu de la fraternisation des peuples, le renouvellement  de la Sainte Alliance sur la base la plus large et sous la houlette de l’Angleterre et de la Russie.

    Et les mêmes hommes qui, en avril et en mai, applaudissaient encore aux phrases ronflantes d’alors ne pensent qu’en rougissant à la façon dont ils se sont fait berner par des sots et des coquins.

    Une expérience douloureuse nous a appris que la « fraternisation des peuples d’Europe » ne s’établit pas avec de simples phrases et des vœux pieux mais avec des révolutions radicales et des luttes sanglantes; qu’il ne s’agit pas d’une fraternisation de tous les peuples européens sous un drapeau républicain mais de l’alliance des peuples révolutionnaires contre les contre-révolutionnaires, d’une alliance qui se conclut non sur le papier mais uniquement sur le champ de bataille.

    Dans toute l’Europe occidentale ces expériences amères mais nécessaires ont privé de tout crédit les belles phrases lamartiniennes.

    À l’Est, en revanche, il y a toujours des fractions soi-disant démocratiques et révolutionnaires qui ne se lassent pas de faire écho à cette phraséologie sentimentale et de prêcher l’évangile de la fraternité des peuples européens.

    Ces fractions – nous passons sous silence quelques rêveurs ignorants de langue allemande comme M. Ruge et consorts – ce sont les panslavistes démocratiques des différents peuples slaves.

    Nous avons devant les yeux le programme du panslavisme démocratique exposé dans une brochure :  Appel aux Slaves, éditée à Köthen en 1848 et émanant d’un patriote russe, Michel Bakounine, membre du Congrès des Slaves qui s’est tenu à Prague.

    Bakounine est notre ami. Cela ne nous empêchera pas de soumettre sa brochure à la critique.

    Écoutons comment, dès le début de son appel, Bakounine renoue avec les illusions de mars et avril derniers.

    « Le premier signe de vie de la révolution fut aussitôt un cri de haine contre l’ancienne oppression, un cri de sympathie et d’amour pour toutes les nationalités opprimées.

    Les peuples … sentaient enfin l’ignominie dont la vieille diplomatie a chargé l’humanité, et reconnaissaient que le salut des nations n’est jamais assuré tant que quelque part en Europe un seul peuple vit dans l’oppression. À bas les oppresseurs, fut le cri unanime.

    Salut aux opprimés, aux Polonais, aux Italiens, à tous  ! Plus de guerre de conquête, il faut mener jusqu’à son terme la dernière guerre, le bon combat de la révolution pour la libération définitive de tous les peuples  !

    À bas les barrières artificielles que les congrès des despotes ont érigées par la violence d’après de prétendues nécessités historiques, géographiques, commerciales et stratégiques  ! Il ne doit plus y avoir d’autres lignes de démarcation que les frontières dessinées par la nature et tracées par la justice dans un esprit démocratique, que la volonté souveraine des peuples détermine elle-même sur la base de leurs particularités nationales. C’est ainsi que cet appel retentit chez tous les peuples. »

    Nous retrouvons déjà dans ce passage tout l’enthousiasme délirant des premiers mois qui ont suivi la révolution. Il n’est nullement question des obstacles réels à une telle libération générale, des degrés de civilisation complètement différents des peuples et des besoins politiques aussi différents qu’ils déterminent.

    Le mot « liberté » remplace tout. De la réalité, pas un mot, ou bien, dans la mesure où on la considère, elle est dépeinte comme une création arbitraire des « congrès de despotes et de diplomates » absolument condamnables. Face à cette vilaine réalité, la prétendue volonté du peuple avec son impératif catégorique, avec son exigence absolue de « liberté » tout simplement.

    Nous avons vu qui était le plus fort. La prétendue volonté du peuple n’a été aussi ignominieusement dupée que pour s’être laissée entraîner à s’abstraire, de façon si délirante, de la situation réelle.

    « De son propre chef la révolution a déclaré dissous les États despotiques, dissous le royaume de Prusse, l’Autriche, l’empire ottoman, dissous enfin l’empire de Russie, cette dernière consolation des despotes … et elle a fixé comme but définitif à atteindre – la fédération générale des républiques européennes. » (p. 8)

    Nous autres Occidentaux, nous pouvons en effet trouver curieux que l’on puisse tenir pour grands et méritoires ces jolis plans que nous avons vu échouer à la première tentative de réalisation. Le drame en effet, ce fut que la révolution « prononce » certes « de son propre chef la dissolution » et qu’en même temps, « de son propre chef », elle ne bouge pas le petit doigt pour mettre son décret à exécution.

    C’est alors que le Congrès des Slaves fut convoqué. Il adopta entièrement ce point de vue, ces illusions.

    Que l’on écoute plutôt :

    « Sentant avec force les liens communs de l’histoire » (?) « et du sang, nous jurons de ne plus laisser dissocier nos destins.

    Maudissant la politique dont nous avons été si longtemps les victimes, nous avons instauré nous-mêmes notre droit à une indépendance totale et nous avons promis solennellement qu’elle sera désormais commune à tous les peuples slaves. Nous avons reconnu à la Bohême et à la Moravie leur indépendance…, nous avons tendu au peuple allemand, à l’Allemagne démocratique notre main fraternelle. Au nom de ceux d’entre nous qui vivent en Hongrie, nous avons offert aux Magyars, aux ennemis furieux de notre race … une union fraternelle.

    Nous n’avons pas oublié non plus dans notre alliance libératrice ceux de nos frères qui gémissent sous le joug des Turcs. Nous avons condamné solennellement la politique criminelle qui a déchiré trois fois la Pologne. Voilà ce que nous avons déclaré, et avec les démocrates de tous les peuples. » (?) « Nous avons exigé :  la liberté, l’égalité, la fraternité de toutes les nations. » (p. 10)

    Ces exigences, le panslavisme démocratique les formule aujourd’hui encore.

    « Nous nous sentions alors sûrs de notre cause la justice et l’humanité étaient toutes deux à nos côtés; nos ennemis n’avaient avec eux que l’illégalité et la barbarie. Ce n’étaient pas des songes creux auxquels nous nous abandonnions, c’étaient les idées de la seule politique vraie et nécessaire, la politique de la révolution. »

    « Justice », « humanité », « liberté », « égalité », « fraternité », « indépendance » – jusque-là nous n’avons rien trouvé d’autre dans le manifeste panslaviste que ces catégories plus ou moins morales; elles sonnent bien, certes, mais, dans des questions historiques et politiques elles ne prouvent absolument rien.

    La « justice », l’« humanité », la « liberté » peuvent bien exprimer mille et mille fois telle ou telle exigence; si la chose est impossible, elle ne se produit pas et reste malgré tout un « songe creux ».

    Partant du rôle que la masse des Slaves a joué depuis le Congrès de Prague, les panslavistes auraient pu dissiper leurs illusions, ils auraient pu se rendre compte que les vœux pieux et les beaux rêves ne sont d’aucun pouvoir contre la dure réalité, que leur politique, pas plus que celle de la république française, ne fut jamais la « politique de la révolution ».

    Et pourtant, ils nous reviennent encore aujourd’hui, en janvier 1849, avec les mêmes vieilles phrases, responsables de la déception infligée à l’Europe occidentale par la plus sanglante des contre-révolutions  !

    Un mot seulement sur la « fraternisation générale des peuples » et le tracé de « frontières que la volonté souveraine des peuples détermine elle-même sur la base de leurs particularités nationales ». Les États-Unis et le Mexique sont deux républiques; dans les deux, le peuple est souverain.

    Comment se fait-il qu’entre ces deux républiques qui, conformément à la théorie morale, devraient être « fraternelles » et « fédérées », comment se fait-il qu’une guerre ait éclaté ait sujet du Texas ? Comment se fait-il que la « volonté souveraine » du peuple américain, appuyée sur la vaillance des volontaires américains, ait déplacé à quelques centaines de lieues plus au Sud les frontières tracées par la nature « pour des nécessités géographiques, commerciales et stratégiques » ?

    Et Bakounine reprochera-t-il aux Américains une « guerre de conquête » qui porte, certes, un rude coup à sa théorie fondée sur la « justice et l’humanité » mais qui fut menée purement et simplement dans l’intérêt de la civilisation  ?

    On bien est-ce un malheur que la splendide Californie soit arrachée aux Mexicains paresseux qui ne savaient qu’en faire ?

    Est-ce un malheur que les énergiques Yankees, en exploitant rapidement les mines d’or qu’elle recèle augmentent les moyens monétaires, qu’ils concentrent en peu d’années sur cette rive éloignée de l’Océan Pacifique une population dense et un commerce étendu, qu’ils fondent de grandes villes, qu’ils créent de nouvelles liaisons maritimes, qu’ils établissent une voie ferrée de New York à San Francisco, qu’ils ouvrent vraiment pour la première fois l’Océan Pacifique à la civilisation et que, pour la troisième fois dans l’histoire, ils donnent au commerce mondial une nouvelle direction  ?

    L’« indépendance » de quelques Californiens et Texans espagnols peut en souffrir, la « justice » et autres principes moraux peuvent être violés ça et là, mais qu’est-ce en regard de faits si importants pour l’histoire du monde  ?

    Nous remarquons d’ailleurs que cette théorie de la fraternisation générale des peuples qui, sans égard à leur situation historique, au degré de leur évolution sociale, ne veut rien d’autre que fraterniser dans le vague, a été combattue longtemps déjà avant la révolution par les rédacteurs de la Nouvelle Gazette rhénane et ce, contre leurs meilleurs amis, les démocrates anglais et français.

    Les journaux démocratiques anglais, français et belges de cette époque en fournissent la preuve [1].

    Quant au panslavisme en particulier, nous avons développé dans le n° 194 de la Nouvelle Gazette rhénane comment, abstraction faite des illusions partant d’un bon naturel, les panslavistes démocratiques n’ont en réalité pas d’autre but que de donner d’une part en Russie, et d’autre part dans la double monarchie autrichienne dominée par la majorité slave et dépendante de la Russie, un point de ralliement aux Slaves autrichiens dispersés et sous la dépendance historique, littéraire, politique, commerciale et industrielle des Allemands et des Magyars.

    Nous avons développé comment des petites nations remorquées depuis des siècles contre leur propre volonté par l’histoire, étaient nécessairement contre-révolutionnaires, et comment leur position dans la révolution de 1848 fut réellement contre-révolutionnaire. Face au manifeste panslaviste démocratique qui réclame l’indépendance de tous les Slaves sans distinction, il nous faut revenir sur ce point.

    Remarquons d’abord que le romantisme et la sentimentalité politiques des démocrates au Congrès des Slaves ont beaucoup d’excuses.

    À l’exception des Polonais – les Polonais ne sont pas panslavistes pour des raisons évidentes – ils appartiennent tous à des peuples qui, ou bien comme les Slaves du Sud sont nécessairement contre-révolutionnaires de par toute leur position historique, ou bien qui, comme les Russes, sont encore bien loin de faire une révolution et sont de ce fait contre-révolutionnaires, du moins pour l’instant.

    Ces fractions démocratiques, grâce à la culture qu’elles ont acquise à l’étranger, cherchent à mettre en harmonie leurs opinions démocratiques et leur sentiment national qui, on le sait, est très marqué chez les Slaves; et comme le monde réel, la véritable situation de leur pays n’offre à cette réconciliation que des amorces inexistantes ou imaginaires, il ne leur reste rien que le lointain « royaume aérien du rêve [2] », le royaume des vœux pieux, la politique de la fantaisie.

    Comme ce serait beau si Croates, Pandoures et Cosaques constituaient la première ligne de la démocratie européenne, si l’ambassadeur de la république de Sibérie remettait à Paris ses lettres de créance  ! Perspectives certainement très réjouissantes, mais même le panslaviste le plus enthousiaste n’exigera pas que la démocratie européenne attende leur réalisation – et ce sont présentement les nations dont le manifeste réclame particulièrement l’indépendance qui sont tout particulièrement les ennemies de la démocratie.

    Nous le répétons :  en dehors des Polonais, des Russes et à la rigueur des Slaves de Turquie, aucun peuple slave n’a d’avenir pour la simple raison que les conditions premières de l’indépendance et de la viabilité, conditions historiques, géographiques, politiques et industrielles manquent aux autres Slaves.

    Des peuples qui n’ont jamais eu leur propre histoire, qui passent sous la domination étrangère à partir du moment où ils accèdent au stade le plus primitif et le plus barbare de la civilisation, ou qui ne parviennent à ce premier stade que contraints et forcés par un joug étranger, n’ont aucune viabilité, ne peuvent jamais parvenir à quelque autonomie que ce soit.

    Et tel a été le sort des Slaves autrichiens. Les Tchèques au nombre desquels nous compterons même les Moraves et les Slovaques, bien qu’ils soient linguistiquement et historiquement différents, n’ont jamais eu d’histoire. Depuis Charlemagne, la Bohême est enchaînée à l’Allemagne.

    La nation tchèque s’émancipe un instant et forme le royaume de Moravie, pour être aussitôt assujettie de nouveau et servir cinq cents ans de ballon avec quoi jouent l’Allemagne, la Hongrie et la Pologne.

    Puis la Bohême et la Moravie passent définitivement à l’Allemagne, les régions de Slovaquie restant hongroises. Et cette « nation » qui, historiquement n’existe pas, a des prétentions à l’indépendance  ?

    Il en est de même de ceux qu’on appelle les Slaves du Sud.

    Où est l’histoire des Slovènes d’Illyrie, des Dalmates, des Croates et des Scholazes [3]  ?

    Depuis le XI° siècle, ils ont perdu la dernière apparence d’indépendance politique et ont été placés sous la domination ou allemande ou vénitienne ou magyare. Et, avec ces loques déchirées, on veut bâcler une nation vigoureuse, indépendante et viable ?

    Bien plus. Si les Slaves d’Autriche formaient une masse compacte comme les Polonais, les Magyars, les Italiens, s’ils étaient en mesure de réunir sous leur direction un État de douze à vingt millions d’hommes, leurs prétentions auraient au moins encore un caractère de sérieux.

    Mais c’est tout le contraire  ! Les Allemands et les Magyars ont enfoncé jusqu’à l’extrémité des Carpathes, presque jusqu’à la Mer Noire, un large coin dans leur masse; ils ont séparé les Tchèques, les Moraves et les Slovaques des Slaves du Sud par une large bande de soixante à quatre-vingts lieues.

    Au Nord de cette bande, cinq millions et demi de Slaves, dans le Sud cinq millions et demi, séparés par une masse compacte de dix à onze millions d’Allemands et de Magyars que l’histoire et la nécessité coalisent.

    Mais pourquoi les cinq millions et demi de Tchèques, de Moraves et de Slovaques ne pourraient-ils former un empire, et pourquoi les cinq millions et demi de Slaves du Sud ne pourraient-ils en faire autant avec les Slaves de Turquie ?

    Que l’on considère sur la première carte linguistique venue la répartition des Tchèques et de leurs voisins.

    Ils sont enfoncés comme un coin en Allemagne, parlant une langue analogue, mais mangés, refoulés des deux côtés par l’élément allemand. Le tiers de la Bohême parle allemand; en Bohême pour vingt-quatre Tchèques il y a dix-sept Allemands.

    Et ce sont justement les Tchèques qui doivent former le noyau de l’empire slave que l’on se propose de créer; car les Moraves sont mêlés aux Allemands tout comme les Slovaques le sont aux Allemands et aux Magyars; ils sont de plus complètement démoralisés au point de vue national.

    Et que serait cet empire slave où finalement règnerait la bourgeoisie allemande des villes  ?

    Il en est de même pour les Slaves du Sud.

    Les Slovènes et les Croates séparent l’Allemagne et la Hongrie de la Mer Adriatique; l’Allemagne et la Hongrie ne peuvent pas se laisser couper de l’Adriatique pour des « nécessités géographiques et commerciales » qui ne sont certes pas un obstacle pour l’imagination de Bakounine, mais qui cependant existent et sont pour l’Allemagne et la Hongrie des questions vitales, comme par exemple la côte halte de Dantzig à Riga pour la Pologne.

    Et là où il s’agit de l’existence, du libre déploiement de toutes les ressources de grandes nations, comment la considération sentimentale de quelques Allemands ou de quelques Slaves dispersés serait-elle décisive  !

    Abstraction faite de ce que ces Slaves du Sud sont aussi partout mêlés à des éléments allemands, magyars et italiens, qu’ici aussi, le premier coup d’œil jeté sur la carte linguistique fait éclater en lambeaux incohérents l’empire projeté des Slaves du Sud et que, dans le meilleur des cas, tout l’empire sera livré aux mains des bourgeois* italiens de Trieste, Fiume et Zara, et des bourgeois* allemands d’Agram, Laibach, Karlstad, Semlin, Pancsova et Weisskirchen  !

    Mais ces Slaves du Sud ne pourraient-ils pas se rattacher aux Serbes, aux Bosniaques, aux Morlaques [4] et aux Bulgares  ? Bien sûr si n’existait pas, en plus des difficultés indiquées, la haine ancestrale du frontalier autrichien pour les Slaves de Turquie au-delà de la Save et de l’Unna; mais ces gens qui se connaissent mutuellement depuis des siècles comme canailles et comme bandits se haïssent malgré leur parenté de race infiniment plus que les Slaves et les Magyars.

    En fait, comme la position des Allemands et des Magyars serait agréable si les Slaves autrichiens recevaient de l’aide pour obtenir leurs prétendus « droits »  ! Un État moravo-bohémien indépendant enfoncé comme un coin entre la Silésie et l’Autriche, l’Autriche et la Styrie coupées par la « république des Slaves du Sud », de leur débouché naturel l’Adriatique et la Méditerranée, l’Est de l’Allemagne déchiqueté comme un pain rongé par des rats !

    Et tout cela en remerciement de la peine prise par les Allemands pour civiliser les Tchèques et les Slovènes à la tête dure, et pour introduire chez eux le commerce, l’industrie, une exploitation agricole rentable et la culture  !

    Mais le joug imposé aux Slaves sous prétexte de les civiliser constitue précisément un des grands crimes des Allemands et aussi des Magyars  ! Voyons donc :

    « C’est à bon droit que vous vous courroucez, c’est à bon droit que vous crachez votre vengeance contre cette maudite politique allemande qui n’a rien médité d’autre que votre perte, qui vous a asservis durant des siècles. » (p. 5)
    « … Les Magyars, les ennemis acharnés de notre race qui, comptant à peine quatre millions d’habitants, eurent la prétention de vouloir imposer leur joug à huit millions de Slaves … » (p. 9)
    « Ce que les Magyars ont fait contre nos frères slaves, ce qu’ils ont commis contre notre nationalité, la façon dont ils ont foulé aux pieds notre langue et notre indépendance, je sais tout cela. » (p. 30)

    Quels sont donc les grands et terribles crimes commis par les Allemands et les Magyars contre la nation slave  ? Nous ne parlons pas ici du partage de la Pologne qui n’est pas du tout notre sujet, nous parlons du « tort séculaire » qu’on aurait fait aux Slaves.

    Dans le Nord, les Allemands ont reconquis sur les Slaves le terrain autrefois allemand et plus tard slave qui s’étend de l’Elbe à la Warthe; c’était une conquête déterminée par des « nécessités géographiques et stratégiques » issues du partage de l’empire carolingien.

    Ces contrées slaves sont complètement germanisées, l’affaire est entendue et ne peut être remise en question à moins que les panslavistes retrouvent les langues sorabes, wendes et obotrites [5] qui se sont perdues et obligent les habitants de Leipzig, de Berlin et de Stettin à les parler. On n’a jusqu’à présent jamais mis en doute que cette conquête ait favorisé la civilisation.

    Au Sud, ils ont trouvé les tribus slaves déjà dispersées. Les Avares [6] – non slaves – qui occupaient le territoire dont se saisirent plus tard les Magyars s’en étaient chargés. Les Allemands se firent payer tribut par ces Slaves et entrèrent souvent en lutte avec eux.

    Ils combattirent de la même façon les Avares et les Magyars à qui ils prirent tout le pays qui va de l’Ems à la Leitha.

    Tandis qu’ils germanisaient cette région par la force, la germanisation des pays slaves se déroula sur un pied beaucoup plus pacifique par l’immigration, par l’influence de la nation la plus développée sur celle qui ne l’était pas. L’industrie allemande, le commerce allemand, la culture allemande apportèrent d’eux-mêmes la langue allemande dans le pays.

    En ce qui concerne « l’oppression », les Slaves n’ont pas été plus opprimés par les Allemands que la masse des Allemands elle-même.

    Quant aux Magyars, il y a aussi quantité d’Allemands en Hongrie et les Magyars n’ont jamais eu à se plaindre de la « maudite politique allemande », bien qu’ils fussent « à peine quatre millions »  ! Et si, durant huit siècles, ila fallu que les « huit millions de Slaves » supportent le joug de quatre millions de Magyars, voilà qui seul prouve suffisamment qui était plus viable et plus énergique, la masse des Slaves ou le petit nombre des Magyars  !

    Mais le plus grand « crime » des Allemands et des Magyars est certes d’avoir empêché ces douze millions de Slaves de devenir Turcs  ! Que serait-il advenu de ces petites nations émiettées qui ont joué dans l’histoire un si piètre rôle, que serait-il advenu d’elles si elles n’avaient pas été maintenues et conduites par les Magyars et les Allemands contre les armées de Mohammed et de Soliman, si leurs soi-disant « oppresseurs » n’avaient pas joué un rôle décisif dans les batailles livrées pour défendre ces faibles peuplades !

    Le destin de « douze millions de Slaves, Valaques et Grecs écrasés jusqu’à ce jour par « sept cent mille Osmans » (p. 8), ne voilà-t-il pas un témoignage suffisant ?

    Et finalement, quel « crime », quelle « maudite politique » est-ce donc, si à une époque où d’ailleurs en Europe les grandes monarchies devinrent une « nécessité historique », les Allemands et les Magyars ont réuni en un grand empire des groupuscules nationaux, étiolés et impuissants et les ont ainsi rendus capables de participer à une évolution historique qui leur serait restée complètement étrangère s’ils avaient été livrés à eux-mêmes  !

    Évidemment, de semblables réalisations sont impossibles sans écraser brutalement quelques tendres fleurettes nationales. Mais dans l’histoire rien ne se produit sans violence et sans une brutalité implacable.

    Et si Alexandre, César et Napoléon avaient montré la sensiblerie à laquelle le panslavisme fait appel en faveur de ses clients [7] décadents, que serait devenue l’histoire ! Et les Perses, les Celtes et les Germains convertis au christianisme ne valent-ils pas les Tchèques, les militaires d’Ogalin et les Manteaux rouges  ? [8]

    Or maintenant, du fait des progrès puissants de l’industrie, du commerce et des communications, la centralisation politique est devenue un besoin encore plus pressant qu’au XV° et au XVI° siècle. Tout ce qui peut encore se centraliser se centralise.

    Et maintenant les panslavistes arrivent et exigent que nous « libérions » ces Slaves à demi germanisés, que nous supprimions une centralisation imposée à ces Slaves par tous leurs intérêts matériels  !

    Bref, il s’avère que ces « crimes » des Allemands et des Magyars envers les Slaves en question appartiennent aux actions les meilleures et les plus remarquables dont notre peuple et le peuple magyar puissent se vanter dans l’histoire.

    Quant aux Magyars d’ailleurs, il faut encore remarquer spécialement que depuis la révolution notamment, ils ont procédé avec trop d’indulgence et de faiblesse avec les Croates pleins de suffisance. Il est notoire que Kossuth leur a fait toutes les concessions possibles, sauf celle de laisser leurs députés s’exprimer en croate à la Diète. Et cette indulgence envers une nation contre-révolutionnaire par nature est le seul reproche qu’on puisse faire aux Magyars.

    Notes

    [1] Cf. les articles d’Engels :  « La Fête des nations à Londres », les « Discours sur la Pologne » de Marx et d’Engels, les articles d’Engels :  « Le discours de Louis Blanc au banquet de Dijon ». « La majorité satisfaite », ainsi que le « Discours sur la question du libre-échange » que Marx avait prononcé le 9 janvier 1848 à la « Société démocratique de Bruxelles ».

    [2] Cf. Heine :  L’Allemagne, un conte d’hiver, chapitre VII.

    [3] Les Scholazes sont un peuple slave du Sud, de confession catholique romaine, établis dans le sud de la Hongrie et le nord de la Yougoslavie. Ils s’étaient enfuis de Bosnie au XVII° siècle devant l’avance turque.

    [4] Les Morlaques sont une partie de la population montagnarde de Dalmatie (Yougoslavie). Ils vivent dans la région de Zadar et de Split (Dalmatie du Nord) et dans le sud de l’Istrie. Ils sont les descendants de l’ancienne population de l’Illyrie conquise par les Romains. Au cours des derniers siècles, ils se sont mêlés aux Serbes leurs voisins, mais jusqu’au XVII° siècle, certaines tournures romanes avaient été conservées dans leur langue.

    [5] Idiomes de populations slaves de l’Ouest qui habitaient depuis les invasions barbares, c’est-à-dire depuis le V° siècle environ, le territoire qui s’étend entre l’Elbe, la Saale et l’Oder. Le nom de Wendes s’appliquait à l’origine à toutes les populations slaves et ce n’est que plus tard qu’il ne désigna plus que les Sorabes de Lusace. Les Obotrites désignaient des peuples slaves vivant sur la rive droite de l’Elbe inférieure et dans le Mecklembourg occidental.

    Au XII° siècle, ils furent soumis par des féodaux allemands et germanisés par la croix et par l’épée. Les Sorabes de Lusace jusqu’en 1945, avaient été la proie de l’oppression et de la germanisation..

    [6] Les Avares sont un peuple turco-tatare qui, venant d’Asie, pénétrèrent au XVl° siècle jusqu’au centre de l’Europe et s’établirent dans les Balkans. Du VlI° au IX° siècle ils furent battus par les Turcs, les Slaves, les Allemands et les Hongrois et finirent par disparaître de l’histoire.

    [7] Les clients étaient les plébéiens qui, à Rome, se plaçaient sous le patronage d’un patricien. Ce terme désigne toute personne qui se met sous une protection.

    [8] Depuis 1700 des troupes spéciales de cavalerie étaient adjointes aux troupes autrichiennes stationnées aux frontières.

    Elles étaient chargées de missions de renseignement et de la guérilla contre les attaques surprises des Turcs. Ces soldats étaient vêtus d’un manteau et d’un bonnet rouges, d’où leur nom. On les appelait aussi Sereschaner. Elles se distinguaient par leur cruauté.

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  • Manifeste des soixante

    [Manifeste proudhonien, anti-marxiste.]

    17 février 1864

    Au 31 mai 1863, les travailleurs de Paris, plus préoccupés du triomphe de l’opposition que de leur intérêt particulier, votèrent la liste publiée par les journaux. Sans hésiter, sans marchander leur concours, inspirés par leur dévouement à la liberté, ils en donnèrent une preuve nouvelle éclatante, irréfutable. Aussi la victoire de l’opposition fut-elle complète, telle qu’on la désirait ardemment, mais certes plus imposante que beaucoup n’osaient l’espérer.

    Une candidature ouvrière fut posée, il est vrai, mais défendue avec une modération que tout le monde fut forcé de reconnaître. On ne mit en avant pour la soutenir que des considérations secondaires et de parti pris, en face d’une situation exceptionnelle qui donnait aux élections générales un caractère particulier ; ses défenseurs s’abstinrent de poser le vaste problème du paupérisme.

    Ce fut avec une grande réserve de propagande et d’arguments que le prolétariat tenta de se manifester : le prolétariat, cette plaie de la société moderne, comme l’esclavage et le servage furent celles de l’antiquité et du moyen âge. Ceux qui agirent ainsi avaient prévu leur défaite, mais ils crurent bon de poser un premier jalon. Une pareille candidature leur semblait nécessaire pour affirmer l’esprit profondément démocratique de la grande cité.

    Aux prochaines élections la situation ne sera plus la même. Par l’élection de neuf députés, l’opposition libérale a obtenu à Paris une large satisfaction. Quels qu’ils fussent, choisis dans les mêmes conditions, les nouveaux élus n’ajouteraient rien à la signification du vote du 31 mai : quelle que soit leur éloquence, elle n’ajouterait guère à l’éclat que jette aujourd’hui la parole habile et brillante des orateurs de l’opposition.

    Il n’est pas un point du programme démocratique dont nous ne désirions comme elle la réalisation. Et disons-le une fois pour toutes, nous employons ce mot : Démocratie dans son sens le plus radical et le plus net.

    Mais si nous sommes d’accord en politique, le sommes-nous en économie sociale ? Les réformes que nous désirons, les institutions que nous demandons ; la liberté de fonder, sont-elles acceptées par tous ceux qui représentent au Corps législatif le parti libéral ? Là est la question, le nœud gordien de la situation.

    Un fait démontre d’une façon péremptoire et douloureuse, les difficultés de la position des ouvriers.

    Dans un pays dont la Constitution repose sur le suffrage universel, dans un pays où chacun invoque et prône les principes de 89, nous sommes obligés de justifier] des candidatures ouvrières, de dire minutieusement, longuement, les comment, les pourquoi, et cela pour éviter, non seulement les accusations injustes des timides et des conservateurs à outrance, mais encore les craintes et les répugnances de nos amis.

    Le suffrage universel nous a rendus majeurs politiquement, mais il nous reste encore à nous émanciper socialement. La liberté que le Tiers Etat sut conquérir avec tant de vigueur et de persévérance doit s’étendre en France, pays démocratique, à tous les citoyens.

    Droit politique égal implique nécessairement un égal droit social. On a répété à satiété : il n’y a plus de classes ; depuis 1789, tous les Français sont égaux devant la loi.

    Mais nous qui n’avons d’autre propriété que nos bras, nous qui subissons tous les jours les conditions légitimes ou arbitraires du capital ; nous qui vivons sous des lois exceptionnelles, telles que la loi sur les coalitions et l’article 1781, qui portent atteinte à nos intérêts en même temps qu’à notre dignité, il nous est bien difficile de croire à cette affirmation.

    Nous qui, dans un pays où nous avons le droit de nommer les députés, n’avons pas toujours le moyen d’apprendre à lire ; nous qui, faute de pouvoir nous réunir, nous associer librement, sommes impuissants pour organiser l’instruction professionnelle, et qui voyons ce précieux instrument du progrès industriel devenir le privilège du capital, nous ne pouvons nous faire cette illusion.

    Nous dont les enfants passent souvent leurs plus jeunes ans dans le milieu démoralisant et malsain des fabriques, ou dans l’apprentissage, qui n’est guère encore aujourd’hui qu’un état voisin de la domesticité ; nous dont les femmes désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à leur nature, et détruisant la famille ; nous qui n’avons pas le droit de nous entendre pour défendre pacifiquement notre salaire, pour nous assurer contre le chômage, nous affirmons que l’égalité écrite dans la loi n’est pas dans les mœurs, et qu’elle est encore à réaliser dans les faits.

    Ceux qui, dépourvus d’instruction et de capital ne peuvent résister par la liberté et la solidarité à des exigences égoïstes et oppressives, ceux-là subissent fatalement la domination du capital : leurs intérêts restent subordonnés à d’autres intérêts.

    Nous le savons, les intérêts ne se réglementent point ; ils échappent à la loi ; ils ne peuvent se concilier que par des conventions particulières, mobiles et changeantes comme ces intérêts eux-mêmes. Sans la liberté donnée à tous cette conciliation est impossible. Nous marcherons à la conquête de nos droits, pacifiquement légalement, mais avec énergie et persistance.

    Notre affranchissement montrerait bientôt les progrès réalisés dans l’esprit des classes laborieuses, de l’immense multitude qui végète dans ce qu’on appelle le prolétariat, et que, pour nous servir d’une expression plus juste, nous appellerons le salariat.

    A ceux qui croient voir s’organiser la résistance, la grève, aussitôt que nous revendiquons l’a liberté, nous disons : vous ne connaissez pas les ouvriers ; ils poursuivent un but bien autrement grand, bien autrement fécond que celui d’épuiser leurs forces dans des luttes journalières où, des deux côtés, les adversaires ne trouveraient en défini,tive que la ruine pour les uns et la misère pour les autres.

    Le Tiers Etat disait : Qu’est-ce que le Tiers Etat ? rien ! Que doit-il être ? tout ! Nous ne dirons pas : Qu’est-ce que l’ouvrier ? rien ! Que doit-il être ? tout ! Mais nous dirons : la bourgeoisie, notre aînée en émancipation, sut en 89, absorber la noblesse et détruire d’injustes privilèges ; il s’agit pour nous, non de détruire les droits dont jouissent justement les classes moyennes, mais de conquérir la même liberté d’action. En France, pays démocratique par excellence, tout droit politique, toute réforme sociale, tout instrument de progrès ne peut rester le privilège de quelques-uns.

    Par la force des choses, la nation qui possède inné l’esprit d’égalité tend irrésistiblement à en faire le patrimoine de tous. Tout moyen de progrès qui ne peut s’étendre, se vulgariser, de manière à concourir au bien-être général, en descendant jusqu’aux dernières couches de la société, n’est point complètement démocratique, car il constitue un privilège.

    La loi doit être assez large pour permettre à chacun, isolément ou collectivement, le développement de ses facultés, l’emploi de ses forces, de son épargne et de son intelligence, sans qu’on puisse y apporter d’autre limite que la liberté d’autrui, et non son intérêt.

    Qu’on ne nous accuse point de rêver lois agraires, égalité chimérique, qui mettrait chacun sur un lit de Procuste, partage, maximum, impôt forcé, etc., etc. Non ! il est grand temps d’en finir avec ces calomnies propagées par nos ennemis et adoptées par les ignorants.

    La liberté du travail, le crédit, la solidarité, voilà nos rêves. Le jour où ils se réaliseront, pour la gloire et la prospérité d’un pays qui nous est cher, il n’y aura plus ni bourgeois ni prolétaires, ni patrons ni ouvriers. Tous les citoyens seront égaux en droits.

    Mais, nous dit-on, toutes ces réformes dont vous avez besoin, les députés élus peuvent les demander comme vous, mieux que vous ; ils sont les représentants de tous et par tous nommés.

    Eh bien ! nous répondrons : non ! Nous ne sommes pas représentés, et voilà pourquoi nous posons cette question des candidatures ouvrières. Nous savons qu’on ne dit pas candidatures industrielles, commerciales, militaires, journalistes, etc. ; mais la chose y est si le mot n’y est pas.

    Est-ce que la très grande majorité du Corps législatif n’est pas composée de grands propriétaires, industriels, commerçants, de généraux, de journalistes, etc., etc., etc., qui votent silencieusement ou qui ne parlent que dans les bureaux, et seulement sur des questions dont ils ont la spécialité ?

    Un très petit nombre prennent la parole sur les questions générales. Certes nous pensons que les ouvriers élus, devraient et pourraient défendre les intérêts généraux de la démocratie, mais lors même qu’ils se borneraient à défendre les intérêts particuliers de la classe la plus nombreuse, quelle spécialité ! Ils combleraient une lacune au Corps législatif où le travail manuel n’est pas représenté.

    Nous qui n’avons à notre service aucun de ces moyens, la fortune, les relations, les fonctions publiques, nous sommes bien forcés de donner à nos candidatures une dénomination claire et significative et d’appeler autant que nous le pouvons les choses par leur nom.

    Nous ne sommes point représentés car, dans une séance récente du Corps législatif, il y eut une manifestation unanime de sympathie en faveur de la classe ouvrière, mais aucune voix ne s’éleva pour formuler comme nous les entendons, avec modération mais avec fermeté, nos aspirations, nos désirs et nos droits.

    Nous ne sommes pas représentés, nous qui refusons de croire que la misère soit d’institution divine. La charité, institution chrétienne, a radicalement prouvé et reconnu elle-même son impuissance en tant qu’institution sociale.

    Sans doute, au bon vieux temps, au temps du droit divin, quand, imposés par Dieu, les rois et les nobles se croyaient les pères et les aînés du peuple, quand le bonheur et l’égalité étaient relégués dans le ciel, la charité devait être une institution sociale.

    Au temps de la souveraineté du peuple, du suffrage universel, elle n’est plus, ne peut plus être qu’une vertu privée.

    Hélas ! les vices et les infirmités de la nature humaine laisseront toujours à la fraternité un vaste champ pour s’exercer ; mais la misère imméritée celle qui, sous forme de maladie, de salaire insuffisant, de chômage, enferme l’immense majorité des hommes laborieux, de bonne volonté, dans un cercle fatal où ils se débattent en vain : cette misère là, nous l’attestons énergiquement, peut disparaître et elle disparaîtra.

    Pourquoi cette distinction n’a-t-elle été faite par personne ? Nous ne voulons pas être des clients ou des assistés : nous voulons devenir des égaux : nous repoussons l’aumône : nous voulons la justice.

    Non, nous ne sommes pas représentés, car personne n’a dit que l’esprit d’antagonisme s’affaiblissait tous les jours dans les classes populaires. Eclairés par l’expérience, nous ne haïssons pas les hommes, mais nous voulons changer les choses.

    Personne n’a dit que la loi sur les coalitions n’était plus qu’un épouvantail et qu’au lieu de faire cesser le mal, elle le perpétuait en fermant toute issue à celui qui se croit opprimé.

    Non, nous ne sommes pas représentés, car dans la question des chambres syndicales, une étrange confusion s’est établie dans l’esprit de ceux qui les recommandaient : suivant eux, la chambre syndicale serait composée de patrons et d’ouvriers, sorte de prud’hommes professionnels, arbitres chargés de décider au jour le jour, sur les questions qui surgissent. Or ce que nous demandons c’est une Chambre composée exclusivement d’ouvriers, élus par le suffrage universel, une Chambre du Travail, pourrions-nous dire par analogie avec la Chambre de commerce, et on nous répond par un tribunal.

    Non, nous ne sommes pas représentés car personne n’a dit le mouvement considérable qui se manifeste dans les classes ouvrières pour organiser le crédit. Qui sait aujourd’hui que trente-cinq sociétés de crédit mutuel fonctionnent obscurément dans Paris.

    Elles contiennent des germes féconds : mais ils auraient besoi1n, pour leur éclosion complète, du soleil de la liberté.

    En principe, peu de démocrates intelligents contestent la légitimité de nos réclamations, et aucun ne nous dénie le droit de les faire valoir nous-mêmes.

    L’opportunité, la capacité des candidats, l’obscurité probable de leurs noms, puisqu’ils seraient choisis parmi les travailleurs exerçant leur métier au moment du choix (et cela pour bien préciser le sens de leur candidature), voilà les questions qu’on soulève pour conclure que notre projet est irréalisable, et que du reste la publicité nous ferait défaut.

    D’abord nous maintenons que, après douze ans de patience, le moment opportun est venu : nous ne saurions admettre qu’il faille attendre les prochaines élections générales, c’est-à-dire six ans encore.

    Il faudrait à ce compte dix-huit ans pour que l’élection d’ouvriers fût opportune – vingt et un ans depuis 1848 ! Quelles meilleures circonscriptions pourrait-on choisir que la 1re et la 5e ! Là, plus que partout ailleurs, doivent se trouver des éléments de succès.

    Le vote du 31 mai a tranché d’une manière incontestable à Paris la grande question de la liberté.

    Le pays est calme : n’est-il point sage, politique, d’essayer aujourd’hui la puissance des institutions libres qui doivent faciliter la transition entre la vieille société, fondée sur le salariat et la société future qui sera fondée sur le droit commun ? N’y a-t-il pas danger à attendre les moments de crise, où les passions sont surexcitées par la détresse générale ?

    La réussite des candidatures ouvrières ne serait-elle pas d’un effet moral immense ? Elle prouverait que nos idées sont comprises, que nos sentiments de conciliation sont appréciés ; et qu’enfin on ne refuse plus de faire passer dans la pratique, ce qu’on reconnaît juste en théorie.

    Serait-il vrai que les ouvriers candidats dussent nécessairement posséder ces qualités éminentes d’orateur et de publiciste, qui signalent un homme à l’admiration de ses concitoyens ? Nous ne le pensons pas.

    Il suffirait qu’ils sussent faire appel à la justice en exposant avec droiture et clarté les réformes que nous demandons. Le vote de leurs électeurs ne donnerait-il pas, d’ailleurs, à leur parole une autorité plus grande que n’en possède le plus illustre orateur ?

    Sorties du sein des masses populaires, la signification de ces élections serait d’autant plus éclatante que les élus auraient été la veille plus obscurs et plus ignorés. Enfin le don de l’éloquence, le savoir universel, ont-ils donc été exigés comme conditions nécessaires des députés nommés jusqu’à ce jour ?

    En 1848, l’élection d’ouvriers consacra par un fait l’égalité politique ; en 1864 cette élection consacrerait l’égalité sociale.

    A moins de nier l’évidence, on doit reconnaître qu’il existe une classe spéciale de citoyens ayant besoin d’une représentation directe, puisque l’enceinte du Corps législatif est le SEUL endroit où les ouvriers pourraient dignement et librement exprimer leurs vœux et réclamer pour eux la part de droits dont jouissent les autres citoyens.

    Examinons la situation actuelle sans amertume et sans prévention. Que veut la bourgeoisie démocratique, que nous ne voulions comme elle avec la même ardeur ? Le suffrage universel dégagé de toute entrave ? Nous le voulons.

    La liberté de presse, de réunion régies par le droit commun ? Nous les voulons. La séparation complète de l’Eglise et de l’Etat, l’équilibre du budget, les franchises municipales ? Nous voulons tout cela.

    Eh bien ! sans notre concours, la bourgeoisie obtiendra ou conservera, difficilement, ces droits, ces libertés, qui sont l’essence d’une société démocratique.

    Que voulons-nous plus spécialement qu’elle, ou du moins plus énergiquement, parce que nous y sommes plus intéressés ? L’instruction primaire, gratuite et obligatoire, et la liberté du travail.

    L’instruction développe et fortifie le sentiment de la dignité de l’homme, c’est-à-dire la conscience de ses droits et de ses devoirs. Celui qui est éclairé fait appel. à la raison et non à la force pour réaliser ses désirs.

    Si la liberté du travail ne vient servir de contrepoids à la liberté commerciale, nous allons voir se constituer une autocratie financière.

    Les petits bourgeois, comme les ouvriers, ne seront bientôt que ses serviteurs. Aujourd’hui n’est-il pas évident que le crédit, loin de se généraliser, tend au contraire à se concentrer dans quelques mains ? Et la Banque de France ne donne-t-elle pas un exemple de contradiction flagrante de tout principe économique ? Elle jouit tout à la fois du monopole d’émettre du papier-monnaie et de la liberté d’élever sans limites le taux de l’intérêt.

    Sans nous, nous le répétons, la bourgeoisie ne peut rien asseoir de solide ; sans son concours notre émancipation peut être retardée longtemps encore.

    Unissons-nous donc dans un but commun : le triomphe de la vraie démocratie.

    Propagées par nous, appuyées par elle, les candidatures ouvrières seraient la preuve vivante de l’union sérieuse, durable des démocrates sans distinction de classe ni de position. Serons-nous abandonnés ? Serons-nous forcés de poursuivre isolément le triomphe de nos idées ? Espérons que non dans l’intérêt de tous.

    Résumons-nous pour éviter tout malentendu : La signification essentiellement politique des candidatures ouvrières serait celle-ci :

    Fortifier, en la complétant, l’action de l’opposition libérale. Elle a demandé dans les termes les plus modestes le nécessaire des libertés. Les ouvriers députés demanderaient le nécessaire des réformes économiques.

    Tel est le résumé sincère des idées générales émises par les ouvriers dans la période électorale qui précéda le 31 mai. Alors la candidature ouvrière eut de nombreuses difficultés à vaincre pour se produire.

    Aussi put-on l’accuser non sans quelque raison d’être tardive. Aujourd’hui le terrain est libre et comme à notre avis la nécessité des candidatures ouvrières est encore plus démontrée par ce qui s’est passé depuis cette époque, nous n’hésitons pas à prendre l’avance pour éviter le reproche qui nous avait été fait aux dernières élections.

    Nous posons publiquement la question afin qu’au premier jour de la période électorale, l’accord soit plus facile et plus prompt entre ceux qui partagent notre opinion. Nous disons franchement ce que nous sommes et ce que nous voulons.

    Nous désirons le grand jour de la publicité, et nous faisons appel aux journaux qui subissent le monopole créé par le fait de l’autorisation préalable ; mais nous sommes convaincus qu’ils tiendront à honneur de nous donner l’hospitalité, de témoigner ainsi en faveur de la véritable liberté ; en nous facilitant les moyens de manifester notre pensée, lors même qu’ils ne la partageraient pas.

    Nous appelons de tous nos vœux le moment de la discussion, la période électorale, le jour où les professions de foi des candidats ouvriers seront dans toutes les mains, où ils seront prêts à répondre à toutes les questions.

    Nous comptons sur le concours de ceux qui seront convaincus alors que notre cause est celle de l’égalité, indissolublement liée à la liberté, en un mot la cause de la JUSTICE.

    Ont signé les ouvriers dont les noms suivent :

    Aubert (Jean), Baraguet, Bouyer, Cohadon, Coutant, Carrat, Dujardin, Kin (Arsène), Ripert, Moret, Tolain (H.), Murat, Lagarde, Royanez, Garnier (Jean), Rampillon, Barbier, Revenu, Cuénot, Ch. Limousin, Aubert (Louis), Audoint, Beaumont, Hallereau, Perrachon, Piprel, Rouxel, Rainot, Vallier, Vanhamme, Vespierre, Blanc (J.-J.), Samson, Camélinat, Michel (Charles), Voirin, Langreni, Secretand, Thiercelin, Chevrier (B.), Loy, Vilhem, Messerer, Faillot, Flament, Halhen, Barra, Adinet, Camille, Murat père, Cheron, Bibal, Oudin, Chalon, Morel, Delahaye, Capet, Arblas, Cochu, Mauzon.

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  • Statuts de l’Association Internationale des Travailleurs

    [Rédigés par Karl Marx.]

    Considérant :

    • Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ; que la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière n’est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l’établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l’abolition de toute domination de classe;
    • Que l’assujettissement économique du travailleur au détenteur des moyens du travail, c’est-à-dire des sources de la vie, est la cause première de la servitude dans toutes ses formes, de la misère sociale, de l’avilissement intellectuel et de la dépendance politique;
    • Que, par conséquent, l’émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen;
    • Que tous les efforts tendant à ce but ont jusqu’ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des différentes professions dans le même pays et d’une union fraternelle entre les classes ouvrières des divers pays;
    • Que l’émancipation du travail, n’étant un problème ni local ni national, mais social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne et nécessite, pour sa solution, le concours théorique et pratique des pays les plus avancés;
    • Que le mouvement qui vient de renaître parmi les ouvriers des pays industriels avancés de l’Europe, tout en réveillant de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas retomber dans les vieilles erreurs et de combiner le plus tôt possible les efforts encore isolés;

    Pour ces raisons, l’Association Internationale des Travailleurs a été fondée. Elle déclare :
    Que toutes les sociétés et individus y adhérant reconnaîtront comme base de leur comportement les uns envers les autres et envers tous les hommes, sans distinction de couleur, de croyance et de nationalité, la Vérité, la Justice et la Morale.
    Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs.
    C’est dans cet esprit que les statuts suivants ont été conçus:

    Art. 1. – L’Association est établie pour créer un point central de communication et de coopération entre les sociétés ouvrières des différents pays aspirant au même but, savoir: la protection, le progrès et le complet affranchissement de la classe ouvrière.

    Art. 2. – Le nom de cette association sera: Association Internationale des Travailleurs.

    Art. 3. – Tous les ans aura lieu un Congrès ouvrier général composé de délégués des branches de l’Association. Ce Congrès proclamera les aspirations communes de la classe ouvrière, prendra l’initiative des mesures nécessaires pour le succès de l’oeuvre de l’Association Internationale et en nommera le Conseil général.

    Art. 4. – Chaque Congrès fixera la date et le siège de la réunion du Congrès suivant. Les délégués se réuniront aux lieu et jour désignés, sans qu’une convocation spéciale soit nécessaire. En cas de besoin, le Conseil général pourra changer le lieu du Congrès, sans en remettre toutefois la date. Tous les ans, le Congrès réuni désignera le siège du Conseil général et en nommera les membres. Le Conseil général ainsi élu aura le droit de s’adjoindre de nouveaux membres.
    A chaque Congrès annuel, le Conseil général fera un rapport public de ses travaux. Il pourra, en cas de besoin, convoquer le Congrès avant le terme fixé.

    Art. 5. – Le Conseil général se composera de travailleurs appartenant aux différentes nations représentées dans l’Association Internationale. Il choisira dans son sein les membres du bureau nécessaires pour la gestion des affaires, tels que trésorier, secrétaire général, secrétaires correspondants pour les différents pays, etc.

    Art. 6. – Le Conseil général fonctionnera comme agent international entre les différents groupes nationaux et locaux, de telle sorte que les ouvriers de chaque pays soient constamment au courant des mouvements de leur classe dans les autres pays; qu’une enquête sur l’état social soit faite simultanément et sous une direction commune; que les questions d’intérêt général, proposées par une société, soient examinées par toutes les autres, et que, l’action immédiate étant réclamée, comme dans le cas de querelles internationales, tous les groupes de l’Association puissent agir simultanément et d’une manière uniforme. Suivant qu’il le jugera opportun, le Conseil général prendra l’initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales. Pour faciliter ses communications, il publiera un bulletin périodique.

    Art. 7. – Puisque le succès du mouvement ouvrier dans chaque pays ne peut être assuré que par la force de l’union et de l’association; que, d’autre part, l’action du Conseil général sera plus efficace, selon qu’il aura affaire à une multitude de petites sociétés locales, isolées les unes des autres, ou bien à quelques grands centres nationaux des sociétés ouvrières, les membres de l’Association Internationale feront tous leurs efforts pour réunir les sociétés ouvrières, isolées, de leurs pays respectifs en associations nationales, représentées par des organes centraux. Il va sans dire que l’application de cet article est subordonnée aux lois particulières à chaque pays, et que, abstraction faite d’obstacles légaux, chaque société locale indépendante aura le droit de correspondre directement avec le Conseil général.

    Art. 7a. – Dans sa lutte contre le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct et opposé à tous les anciens partis politiques créés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la Révolution sociale et de sa fin suprême: l’abolition des classes.
    La coalition des forces de la classe ouvrière, déjà obtenue par la lutte économique, doit ainsi lui servir de levier dans sa lutte contre le Pouvoir politique de ses exploiteurs.
    Puisque les seigneurs de la terre et du capital utilisent toujours leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques et pour subjuguer le travail, la conquête du Pouvoir politique est devenu le grand devoir du prolétariat [L’article 7a, synthèse de la résolution adoptée en 1871, à la Conférence de Londres, fut inclus dans les Statuts par décision du Congrès de la Première Internationale celébré à La Haye en septembre 1872.]

    Art. 8. – Chaque section a le droit de nommer ses secrétaires-correspondants au Conseil général.

    Art. 9. – Quiconque adopte et défend les principes de l’Association Internationale des Travailleurs peut en être membre. Chaque section est responsable pour l’intégrité de ses membres.

    Art. 10. – Chaque membre de l’Association Internationale, en changeant de pays, recevra l’appui fraternel des membres de l’Association.

    Art. 11. – Quoique unies par un lien fraternel de solidarité et de coopération, toutes les sociétés ouvrières adhérant à l’Association Internationale conserveront intacte leur organisation particulière .

    Art. 12. – La révision des Statuts présents peut être faite à chaque Congrès sur la demande des deux tiers des délégués présents.

    Art. 13. – Tout ce qui n’est pas prévu dans les présents Statuts sera déterminé par des règlements spéciaux que chaque Congrès pourra réviser.

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  • Manifeste inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs

    Ouvriers,

    C’est un fait très remarquable que la misère des masses travailleuses n’a pas diminué de 1848 à 1864, et pourtant cette période défie toute comparaison pour le développement de l’industrie et l’extension du commerce. En 1850, un organe modéré de la bourgeoisie anglaise, très bien informé d’ordinaire, prédisait que si l’exportation et l’importation de l’Angleterre s’élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro.

    Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l’Echiquier charmait son auditoire parlementaire en lui annonçant que le commerce anglais d’importation et d’exportation était monté en 1863 «à 443 955 000 livres sterling, somme étonnante qui surpasse presque des deux tiers le commerce de l’époque, relativement récente, de 1843».

    Mais en même temps, il parlait éloquemment de la «misère». «Songez, s’écria-t-il, à ceux qui vivent sur le bord de cet horrible état», aux «salaires qui n’augmentent point», à la «vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n’est qu’une lutte pour l’existence.» Encore ne disait-il rien des Irlandais que remplacent graduellement les machines dans le Nord, les troupeaux de moutons dans le Sud, quoique les moutons eux-mêmes diminuent dans ce malheureux pays, moins rapidement, il est vrai, que les hommes. Il ne répétait pas ce que venaient de dévoiler, dans un accès soudain de terreur, les représentants les plus élevés des dix mille supérieurs.

    Lorsque la panique des garrotteurs (Garrotteurs (garroters), bandes de brigands, dont les assauts dans les rues de Londres devinrent si nombreux au début des années 60 qu’ils provoquèrent un débat parlementaire.] atteignit un certain degré, la Chambre des Lords fit faire une enquête et un rapport sur la transportation et la servitude pénales.

    La vérité fut ainsi révélée dans le volumineux Livre bleu de 1863, et il fut démontré, par des faits et chiffres officiels, que les pires des criminels condamnés, les forçats de l’Angleterre et de l’Ecosse, travaillaient beaucoup moins et étaient beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles des mêmes pays. Mais ce n’est pas tout. Quand la guerre civile d’Amérique eut jeté sur le pavé les ouvriers des comtés de Lancaster et de Chester, la même Chambre des Lords envoya un médecin dans les provinces manufacturières, en le chargeant de rechercher le minimum de carbone et d’azote, administrable sous la forme la plus simple et la moins chère, qui pût suffire en moyenne «à prévenir les maladies causées par la famine».

    Le docteur Smith, le médecin délégué, trouva que 28 000 grains de carbone et 1 330 grains d’azote par semaine étaient nécessaires, en moyenne, à un adulte… uniquement pour le préserver des maladies causées par la famine ; de plus, il trouva que cette quantité n’était pas fort éloignée de la maigre nourriture à laquelle l’extrême détresse venait de réduire les ouvriers cotonniers.

    Mais, écoutez encore. Le même savant médecin fut, un peu plus tard, délégué de nouveau par le département médical du Conseil privé, afin d’examiner la nourriture des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l’état dis la santé publique, publié par ordre du Parlement, dans le courant de cette année, contient le résultat de ses recherches. Qu’a découvert le docteur ? Que les tisseurs en soie, les couturières, les gantiers, les tisserands de bas, etc., ne recevaient pas toujours, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers cotonniers, pas même la quantité de carbone et d’azote «suffisant uniquement à prévenir les maladies causées par la famine».

    «En outre, nous citons textuellement le rapport, l’examen de l’état des familles agricoles a démontré que plus du cinquième d’entre elles est réduit à une quantité moins que suffisante d’aliments carboniques, et plus du tiers à une quantité moins que suffisante d’aliments azotés ; que dans trois comtés, Berkshire, Oxfordshire et Somersetshire, l’insuffisance des aliments azotés est, en moyenne, le régime local.»

    «Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture n’est supportée qu’avec répugnance, et qu’en règle générale, le manque de nourriture suffisante n’arrive jamais que précédé de bien d’autres privations…

    La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile, et, quand le respect de soi-même s’efforce de l’entretenir, chaque effort de la sorte est nécessairement payé par un surcroît des tortures de la faim.»

    «Ce sont des réflexions d’autant plus douloureuses, qu’il ne s’agit pas ici de la misère méritée par la paresse, mais, dans tous les cas, de la détresse d’une population travailleuse. En fait, le travail qui n’assure qu’une si maigre pitance est, pour la plupart, extrêmement long.»

    Le rapport dévoile ce fait étrange et même inattendu que «de toutes les parties du Royaume-Uni» (c’est-à-dire l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande) «c’est la population agricole de l’Angleterre», précisément de la partie la plus opulente, «qui est incontestablement la plus mal nourrie», mais que même les plus pauvres laboureurs des comtés de Berks, d’Oxford et de Somerset sont beaucoup mieux nourris que la plupart des ouvriers de l’Etat de Londres, travaillant à domicile.

    Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, dans le millénaire du libre-échange, au moment même où le chancelier de l’Echiquier racontait à la Chambre des Communes que «la condition des ouvriers anglais s’est améliorée, en moyenne, d’une manière si extraordinaire que nous n’en connaissons point d’exemple dans l’histoire d’aucun pays, ni d’aucun âge».

    De quel son discordant ces exaltations officielles sont percées par une brève remarque du non moins officiel Rapport sur l’état de la santé publique : «La santé publique d’un pays signifie la santé de ses masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes, si elles ne jouissent pas, jusqu’au plus bas de l’échelle sociale, au moins du plus modeste bien-être.»

    Ebloui par le «Progrès de la Nation», le chancelier de l’Echiquier voit danser devant ses yeux les chiffres de ses statistiques.

    C’est avec un accent de véritable extase qu’il s’écrie : «De 1842 à 1852, le revenu imposable du pays s’est accru de 6 % ; dans les huit années de 1853 à 1861, il s’est accru de 20 %, si l’on prend pour base 1853 ; c’est un fait si étonnant qu’il est presque incroyable !… Cette vertigineuse montée de richesses et de puissance, ajoute W. Gladstone, se limite entièrement aux classes possédantes.»

    Si vous voulez savoir à quelles conditions de santé perdue, de morale flétrie et de ruine intellectuelle, cette «vertigineuse montée de richesses et de puissance, limitée entièrement aux classes possédantes», a été et est produite par les classes laborieuses, voyez la description qui est faite des ateliers de couture pour hommes et pour dames, et d’imprimeries, dans le dernier «Rapport sur l’état de la santé publique».

    Comparez le «Rapport de la commission pour examiner le travail des enfants», où il est constaté, par exemple, que la classe des potiers, hommes et femmes, présente une population très dégénérée, tant sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel ; que «les enfants infirmes deviennent ensuite des parents infirmes» ; que «la dégénération de la race en est une conséquence absolue»; que «la dégénération de la population du comté de Staffer serait beaucoup plus avancée, n’était le recrutement continuel des pays adjacents et les mariages mixtes avec des races plus robustes».

    Jetez un coup d’oeil sur le Livre bleu de M. Tremenheere : Griefs et plaintes des journaliers boulangers.

    Et qui n’a pas frissonné en lisant ce paradoxe des inspecteurs des fabriques, certifié par le Registrar General, d’après lequel la santé des ouvriers du comté de Lancaster s’est améliorée considérablement, quoiqu’ils soient réduits à la plus misérable nourriture, parce que le manque de coton les a chassés des fabriques cotonnières, que la mortalité infantile a diminué, parce que, enfin, il est permis aux mères de donner le sein aux nouveau-nés, au lieu du cordial de Godfrey.

    Mais retournez encore une fois la médaille ! Le Tableau de l’impôt des revenus et des propriétés, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que du 5 avril 1862 au 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ceux dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50 000 livres sterling et au-delà, c’est-à-dire que leur nombre est monté, en une seule année, de 67 à 80.

    Le même Tableau dévoile le fait curieux que 3 000 personnes à peu près partagent entre elles un revenu annuel d’environ 25 000 000 de livres sterling, plus que la somme totale distribuée annuellement entre tous les laboureurs de l’Angleterre et du Pays de Galles.

    Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens en Angleterre et dans le Pays de Galles s’est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu’ainsi la concentration de la propriété du sol s’est accrue en dix années de 11 %. Si la concentration de la propriété foncière dans les mains d’un petit nombre suit toujours le même progrès, la question agraire deviendra singulièrement simplifiée, comme elle l’était dans l’Empire romain quand Néron eut un fin sourire à la nouvelle que la moitié de la province d’Afrique était possédée par six chevaliers.

    Nous nous sommes appesantis sur ces «faits si étonnants qu’ils sont presque incroyables», parce que l’Angleterre est à la tête de l’Europe commerciale et industrielle.

    Rappelez-vous qu’il y a quelques mois à peine, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement le travailleur agricole anglais de la supériorité de son lot par rapport à celui, moins prospère, de ses camarades de l’autre côté de la Manche.

    En vérité, si nous tenons compte de la différence des circonstances locales, nous voyons les faits anglais se reproduire sur une plus petite échelle, dans tous les pays industriels et progressifs du continent. Depuis 1848, un développement inouï de l’industrie et une expansion inimaginable des exportations et des importations ont eu lieu dans ces pays.

    Partout «la montée de richesses et de puissance entièrement limitée aux classes possédantes» a été réellement «vertigineuse».

    Partout, comme en Angleterre, une petite minorité de la classe ouvrière a obtenu une légère augmentation du salaire réel ; mais, dans la plupart des cas, la hausse du salaire nominal ne dénotait pas plus l’accroissement du bien-être des salariés que l’élévation du coût de l’entretien des pensionnaires, par exemple, à l’hôpital des pauvres ou dans l’asile des orphelins de la métropole, de 7 livres 7 shillings 4 pence en 1852, à 9 livres 15 sh. 8 p. en 1861, ne leur bénéficie ni n’augmente leur bien-être.

    Partout les grandes masses de la classe laborieuse descendaient toujours plus bas, dans la même proportion au moins que les classes placées au-dessus d’elle montaient plus haut sur l’échelle sociale.

    Dans tous les pays de l’Europe — c’est devenu actuellement une vérité incontestable pour tout esprit impartial, et déniée par ceux-là seuls dont l’intérêt consiste à promettre aux autres monts et merveilles — , ni le perfectionnement des machines, ni l’application de la science à la production, ni la découverte de nouvelles communications, ni les nouvelles colonies, ni l’émigration, ni la création de nouveaux débouchés, ni le libre-échange, ni toutes ces choses ensemble ne supprimeront la misère des classes laborieuses ; au contraire, tant qu’existera la base défectueuse d’à-présent, chaque nouveau progrès des forces productives du travail aggravera de toute nécessité les contrastes sociaux et fera davantage ressortir l’antagonisme social.

    Durant cette «vertigineuse» époque de progression économique, la mort d’inanition s’est élevée à la hauteur d’une institution sociale dans la métropole britannique.

    Cette époque est marquée, dans les annales du monde, par les retours accélérés, par l’étendue de plus en plus vaste et par les effets de plus en plus meurtriers de la peste sociale appelée la crise commerciale et industrielle.

    Après la défaite des révolutions de 1848, toutes les associations et tous les journaux politiques des classes ouvrières furent écrasés sur le continent par la main brutale de la force ; les plus avancés parmi les fils du travail s’enfuirent désespérés outre Atlantique, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères d’affranchissement s’évanouirent devant une époque de fièvre industrielle, de marasme moral et de réaction politique.

    Dû en partie à la diplomatie anglaise qui agissait, alors comme maintenant dans un esprit de fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, l’échec de la classe ouvrière continentale répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté de la Manche.

    La défaite de leurs frères du continent, en faisant perdre tout courage aux ouvriers anglais, toute foi dans leur propre cause, rendait en même temps aux seigneurs terriens et aux puissances d’argent leur confiance quelque peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions déjà annoncées.

    La découverte de nouveaux terrains aurifères amena une immense émigration et creusa un vide irréparable dans les rangs du prolétariat de la Grande-Bretagne.

    D’autres, parmi ses membres les plus actifs jusque-là, furent séduits par l’appât temporaire d’un travail plus abondant et de salaires plus élevés et devinrent ainsi des «briseurs de grève politiques». En vain essaya-t-on d’entretenir ou de réformer le mouvement chartiste, tous les efforts échouèrent complètement.

    Dans la presse, les organes de la classe ouvrière moururent l’un après l’autre de l’apathie des masses et, en fait, jamais l’ouvrier anglais n’avait paru accepter si entièrement sa nullité politique. Si autrefois il n’y avait pas eu solidarité d’action entre la classe ouvrière de la Grande-Bretagne et celle du continent, maintenant il y a, en tout cas, entre elles, solidarité de défaite.

    Cependant cette période écoulée depuis les révolutions de 1848 a eu aussi ses compensations. Nous n’indiquerons ici que deux faits très importants.

    Après une lutte de trente années, soutenue avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière anglaise, profitant d’une brouille momentanée entre les maîtres de la terre et les maîtres de l’argent, réussit à enlever le bill de dix heures.

    Les immenses bienfaits physiques, moraux et intellectuels qui en résultèrent pour les ouvriers des manufactures ont été enregistrés dans les rapports bisannuels des inspecteurs des fabriques et, de tous côtés, on se plaît maintenant à les reconnaître.

    La plupart des gouvernements continentaux furent obligés d’accepter la loi anglaise dans les manufactures, sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais est lui-même chaque année forcé d’étendre et d’élargir le cercle de son action.

    Mais à côté de son utilité pratique, il y a dans la loi certains autres caractères bien faits pour en rehausser le merveilleux succès.

    Par la bouche de ses savants les plus connus, tels que le docteur Ure, le professeur Senior et autres philosophes de cette trempe, la classe moyenne avait prédit et allait répétant que toute intervention de la loi pour limiter les heures de travail devait sonner le glas de l’industrie anglaise qui, semblable au vampire, ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché.

    Jadis, le meurtre d’un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu’en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n’avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre.

    Ce qui dans cette question de la limitation légale des heures de travail, donnait au conflit un véritable caractère d’acharnement et de fureur, c’est que, sans parler de l’avarice en émoi, il s’agissait là de la grande querelle entre le jeu aveugle de l’offre et de la demande, qui est toute l’économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l’économie politique de la classe ouvrière.

    Le bill des dix heures ne fut donc pas seulement un important succès pratique ; ce fut aussi le triomphe d’un principe; pour la première fois, au grand jour, l’économie politique de la bourgeoisie avait été battue par l’économie politique de la classe ouvrière.

    Mais il était réservé à l’économie politique du travail de remporter bientôt un triomphe plus complet encore sur l’économie politique de la propriété.

    Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives créées par l’initiative isolée de quelques «bras» [Hands, mot-à-mot « mains », signifie également ouvriers] entreprenants.

    La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite.

    Elles ont montré par des faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer d’une classe de patrons employant une classe de salariés; elles ont montré qu’il n’était pas nécessaire pour le succès de la production que l’instrument de travail fût monopolisé et servît d’instrument de domination et d’extorsion contre le travailleur lui-même; elles ont montré que comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n’était qu’une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant le travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir.

    En Angleterre, c’est Robert Owen qui jeta les germes du système coopératif ; les entreprises des ouvriers, tentées sur le continent, ne furent en fait que la réalisation pratique des théories non découvertes, mais hautement proclamées en 1848.

    En même temps, l’expérience de cette période (1848-1864) a prouvé jusqu’à l’évidence que, si excellent qu’il fût en principe, si utile qu’il se montrât dans l’application, le travail coopératif, limité étroitement aux efforts accidentels et particuliers des ouvriers, ne pourra jamais arrêter le développement, en proportion géométrique, du monopole, ni affranchir les masses, ni même alléger un tant soit peu le fardeau de leurs misères.

    C’est peut-être précisément le motif qui a décidé de grands seigneurs bien intentionnés, des hâbleurs-philanthropes bourgeois et même des économistes pointus à accabler tout à coup d’éloges affadissants ce système coopératif qu’ils avaient en vain essayé d’écraser, lorsqu’il venait à peine d’éclore, ce système coopératif qu’ils représentaient alors d’un ton railleur comme une utopie de rêveur, ou qu’ils anathématisaient comme un sacrilège de socialiste.

    Pour affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un développement national et, par conséquent, être soutenue et propagée par des moyens nationaux.

    Mais les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs privilèges économiques. Bien loin de pousser à l’émancipation du travail, ils continueront à y opposer le plus d’obstacles possible.

    Qu’on se rappelle avec quel dédain lord Palmerston rembarra les défenseurs du bill sur les droits des tenanciers irlandais présenté pendant la dernière session. «La Chambre des Communes, s’écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers !»

    La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière. Elle semble l’avoir compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a vu renaître en même temps ces aspirations communes, et en même temps aussi des efforts ont été faits pour réorganiser politiquement le parti des travailleurs.

    Il est un élément de succès que ce parti possède: il a le nombre; mais le nombre ne pèse dans la balance que s’il est uni par l’association et guidé par le savoir. L’expérience du passé nous a appris comment l’oubli de ces liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des différents pays et les exciter à se soutenir les uns les autres dans toutes leurs luttes pour l’affranchissement, sera puni par la défaite commune de leurs entreprises divisées.

    C’est poussés par cette pensée que les travailleurs de différents pays, réunis en un meeting public à Saint-Martin’s Hall le 28 septembre 1864, ont résolu de fonder l’Association Internationale

    Une autre conviction encore a inspiré ce meeting.

    Si l’émancipation des classes travailleuses requiert leur union et leur concours fraternels, comment pourraient-elles accomplir cette grande mission si une politique étrangère, qui poursuit des desseins criminels, met en jeu les préjugés nationaux et fait couler dans des guerres de piraterie le sang et dilapide le bien du peuple?

    Ce n’est pas la prudence des classes gouvernantes de l’Angleterre, mais bien la résistance héroïque de la classe ouvrière à leur criminelle folie qui a épargné à l’Europe occidentale l’infamie d’une croisade pour le maintien et le développement de l’esclavage outre Atlantique.

    L’approbation sans pudeur, la sympathie dérisoire ou l’indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d’Europe ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes-forteresses du Caucase et assassiner l’héroïque Pologne, les empiétements immenses et sans entrave de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main dans tous les cabinets d’Europe, ont appris aux travailleurs qu’il leur fallait se mettre au courant des mystères de la politique internationale, surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu’ils seraient impuissants à rien empêcher, s’entendre pour une protestation commune et revendiquer les simples lois de la morale et de la justice qui devraient gouverner les rapports entre individus, comme lois suprêmes dans le commerce des nations.

    Combattre pour une politique étrangère de cette nature, c’est prendre part à la lutte générale pour l’affranchissement des travailleurs.

    Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

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  • Statuts de la Ligue des communistes, rédigés par Karl Marx

    Prolétaires de tous les pays unissez-vous !

    Section I. — La Ligue

    Article 1. – Le but de la Ligue est le renversement de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, l’abolition de la vieille société bourgeoise, fondée sur les antagonismes de classe, et l’instauration d’une société nouvelle, sans classes et sans propriété privée.

    Art. 2. – Les conditions d’adhésion sont :
    a) un mode de vie et une activité conformes à ce but ;
    b) une énergie révolutionnaire et un zèle propagandiste ;
    c) faire profession de communisme ;
    d) s’abstenir de participer à toute société politique ou nationale anticommuniste, et informer le Comité supérieur de l’inscription à une société quelconque ;
    e) se soumettre aux décisions de la Ligue ;
    f) garder le silence sur l’existence de toute affaire de la Ligue ;
    g) être admis à l’unanimité dans une commune.
    Quiconque ne répond plus à ces conditions est exclu. (Voir section VIII.)

    Art. 3. – Tous les membres sont égaux et frères, et se doivent donc aide en toute circonstance.

    Art. 4. – Les membres portent un nom d’emprunt.

    Art 5. – La Ligue est organisée en communes, districts. districts directeurs, Conseil central et Congrès.

    Section II. — La Commune

    Art. 6. – La commune se compose de trois membres au moins et de vingt au plus.

    Art. 7. – Chaque commune élit un président et l’adjoint. Le président dirige la séance, l’adjoint tient la caisse et remplace le président en cas d’absence.

    Art. 8. – Les diverses communes ne se connaissent pas entre elles, et n’échangent pas de correspondance entre elles.

    Art. 10. – Les communes portent des noms distinctifs.

    Art. 11. – Tout membre qui change d’adresse doit au préalable en aviser le président.

    Section III. — Le district

    Art. 12. – Le district comprend au moins deux et au plus dix communes.

    Art. 13. – Les présidents et adjoints de la commune forment le comité de district. Celui-ci élit un président dans son sein, et il tient la correspondance avec ses communes et le district directeur.

    Art. 14. – Le comité de district représente le pouvoir exécutif pour toutes les communes du district.

    Art 15. – Les communes isolées doivent ou bien se rattacher à un district déjà existant, ou bien former avec d’autres communes un nouveau district.  

    Section IV. — La direction de district

    Art 16. – Les différents districts d’un pays ou d’une province sont placés sous l’autorité d’une direction de districts.

    Art. 17. – La division des districts de la Ligue des provinces et la nomination des directions de districts sont l’œuvre du Congrès sur proposition du Conseil central.

    Art. 18. – La direction de districts forme le pouvoir exécutif pour tous les districts d’une province. Elle tient la correspondance avec ces districts et le Conseil central.

    Art. 20. – Les directions de districts sont, provisoirement responsables vis-à-vis du Conseil central et, en dernier ressort, vis-à-vis du Congrès. 

    Section V. — Le Conseil central

    Art. 21. – Le Conseil central forme le pouvoir exécutif de toute la Ligue et, en tant que tel, est responsable devant le Congrès.

    Art. 22. – Il se compose d’au moins cinq membres et est élu par la direction de district du lieu où le Congrès a fixé le siège de la Ligue.

    Art. 23. – Le Conseil central est en correspondance avec les directions de district. Il établit tous les trois mois un rapport sur la situation de toute la Ligue.  

    Section VI. — Dispositions générales

    Art. 24. – Les communes et les directions de district ainsi que le Conseil central se réunissent au moins une fois tous les quinze jours.

    Art. 25. – Les membres de la direction des districts et du Conseil central sont élus pour un an, rééligibles et révocables à tout moment par leurs électeurs.

    Art. 26. – Les élections ont lieu au mois de septembre.

    Art. 27. – Les directions de district doivent orienter les discussions conformément aux buts de la Ligue.
    Si le Conseil central estime que la discussion de certaines questions est d’un intérêt général et immédiat, il doit inviter la Ligue entière à discuter des questions.

    Art. 28. – Chaque membre de la Ligue dont correspondre au moins une fois par trimestre, et chaque commune au moins une fois par mois, avec leur direction de district.
    Chaque district doit adresser, à la direction de district, un rapport sur sa sphère au moins une fois tous les deux mois, et celle-ci au moins une fois tous les trois mois au Conseil central.

    Art. 29. – Chaque centre de la Ligue doit prendre, dans la limite des statuts et sous sa propre responsabilité, les mesures appropriées à sa sécurité et à l’efficacité d’une action énergique, et en aviser sans retard le centre supérieur.

    Section VII. — Le Congrès

    Art. 30. – Le Congrès est le pouvoir législatif de l’ensemble de la Ligue. Toutes les propositions relatives à une modification des statuts sont envoyées par les directions de districts au Conseil central qui les soumet au Congrès.

    Art. 31. – Chaque district envoie un délégué.

    Art. 32. – Chaque district envoie un délégué pour trente membres, deux jusqu’à soixante, trois jusqu’à quatre-vingt-dix membres, etc. Les districts peuvent se faire représenter par des membres de la Ligue qui n’appartiennent pas à leur localité.
    Dans ce cas, ils doivent envoyer à leur député un mandat détaillé.

    Art. 33. – Le Congrès se réunit au mois d’août de chaque année. Dans les cas d’urgence, le Conseil central convoquera un Congrès extraordinaire.

    Art. 34. – Le Congrès fixe chaque fois le lieu où le Conseil central aura son siège pour l’année suivante et le lieu ou le Congrès se réunira la fois suivante.

    Art. 35. – Le Conseil central a droit de séance au Congrès, mais n’a pas de voix décisive.

    Art. 36. – Après chacune de ses sessions, le Congrès lance, en plus de sa circulaire, un manifeste au nom du parti.  

    Section VIII. — Infractions vis-à-vis de la Ligue

    Art. 37. – Quiconque viole les conditions imposées aux membres (art. 2) est, suivant les circonstances, suspendu de la Ligue ou exclu.
    L’exclusion s’oppose à une réintégration.

    Art. 38. – Seul le Congrès se prononce sur les expulsions.

    Art. 39. – Le district ou la commune peut écarter des membres en l’annonçant aussitôt à l’instance supérieure. Sur ce point aussi, le Congrès décide en dernier ressort.

    Art. 40. – La réintégration de membres suspendus est prononcée par le Conseil central à la demande du district.

    Art. 41. – Les infractions contre la Ligue sont jugées par la direction de districts qui assure l’exécution du jugement.

    Art. 42. – Les individus écartés ou exclus, ainsi qu’en général les sujets suspects, sont à surveiller par la Ligue et à mettre hors d’état de nuire.  

    Section IX. — Ressources financières

    Art. 43. – Le Congrès fixe pour chaque pays le minimum de la cotisation à verser par chaque membre.

    Art. 44. – Cette cotisation va pour moitié au Conseil central, et reste pour moitié à la caisse de la commune ou du district.

    Art. 45. – Les fonds du Conseil central sont employés :
    1. à couvrir les frais de correspondance et d’administration ;
    2. à faire imprimer et à diffuser les brochures et tracts de propagande ;
    3. à envoyer éventuellement des émissaires.

    Art. 46. – Les fonds des directions locales sont employés :
    1. à couvrir les frais de correspondance ;
    2. à imprimer et à diffuser des écrits de propagande ;
    3. à envoyer éventuellement des émissaires.

    Art. 47. – Les communes et districts qui sont restés six mois sans verser leurs cotisations pour le Conseil central seront avisés par le Conseil central de leur suspension.

    Art. 48. – Les directions de districts doivent, au moins trimestriellement, faire à leurs communes un compte rendu des recettes et dépenses. Le Conseil central présente au Congrès le compte rendu de gestion des fonds et de la situation financière générale. Toute indélicatesse concernant les fonds de la Ligue est frappée des sanctions les plus sévères.

    Art. 49. – Les dépenses extraordinaires et les frais de Congrès sont couverts par des contributions extraordinaires.

    Art. 50. – Le président de la commune donne lecture au candidat des articles 1 à 49, les explique, met particulièrement en évidence dans une brève allocution les obligations dont se charge celui qui entre dans la Ligue, et lui pose ensuite la question : « Veux-tu, dans ces conditions, entrer dans cette Ligue ? » Si le candidat répond « Oui ! », le président lui demande sa parole d’honneur qu’il accomplira les obligations de membre de la Ligue, et il est déclaré membre de la Ligue, et à la réunion suivante il est introduit dans la commune.


    Londres, le 8 décembre 1847.
    Au nom du deuxième congrès de l’automne 1847.


    Le Secrétaire : Engels
    Le président : Karl Schapper 

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  • L’Association Internationale des Travailleurs et la Commune de Paris

    La victoire sur Bakounine et l’anarchisme renouvelé ayant suivi le proudhonisme a largement profité d’un événement fondamentalement marquant : la Commune de Paris, en 1871.

    Ce soulèvement avait comme caractère ce que Karl Marx considérait comme étant la dictature du prolétariat ; il témoignait par conséquent de la nécessaire constitution du prolétariat comme parti politique défendant ses intérêts et les imposant.

    La valeur historique de l’Association Internationale des Travailleurs se réalisait pleinement et, à ce titre, devait forcément aboutir à son propre dépassement.

    Cela est d’autant plus vrai que l’AIT s’était largement développée en France, ayant donné naissance à la mi-novembre 1869 à une Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui rassemblera très rapidement 40 000 membres dans 56 sociétés parant aux interdictions anti-ouvrières d’alors.

    Au moment de la Commune de Paris, l’AIT dispose d’une base d’autour de 100 000 personnes membres ou sympathisant en France environ, et même deux élus aux élections législatives de février 1871. L’un passera rejoindra le soulèvement, le second trahissant rejoignait les Versaillais : il s’agit de Henri Tolain, du manifeste des soixante, qui deviendra par la suite sénateur le reste de sa vie.

    Dans la Commune de Paris, les membres de l’AIT furent une minorité dans la direction, celle-ci restant sous hégémonie des activistes dans l’esprit de 1848. Mais l’AIT comprit tout de suite que l’événement allait dans son sens.

    Au nom de l’AIT, Karl Marx rédigea deux adresses à la Commune de Paris, puis ensuite un bilan intitulé La guerre civile en France. Ce dernier ouvrage fut immédiatement traduit dans toute l’Europe, montrant la convergence historique parfaite entre la Commune de Paris et l’AIT.

    L’œuvre se conclut de la manière suivante :

    « L’entendement bourgeois, tout imprégné d’esprit policier, se figure naturellement l’Association internationale des travailleurs comme une sorte de conjuration secrète, dont l’autorité centrale commande, de temps à autre, des explosions en différents pays.

    Notre Association n’est, en fait, rien d’autre que le lien international qui unit les ouvriers les plus avancés des divers pays du monde civilisé.

    En quel que lieu, sous quelque forme, et dans quelques conditions ne la lutte de classe prenne consistance, il est bien naturel que les membres de notre Association se trouvent au premier rang. Le sol sur lequel elle pousse est la société moderne même.

    Elle ne peut en être extirpée, fût-ce au prix de la plus énorme effusion de sang. Pour l’extirper, les gouvernements auraient à extirper le despotisme du capital sur le travail, condition même de leur propre existence parasitaire.

    Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière.

    Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n’arriveront pas à les en libérer. »

    Les bourgeoisies des différents pays se mirent naturellement à exercer une pression encore plus grande sur l’AIT, qui fit passer son siège à New York en remplacement de Londres.

    Le centre de gravité avait d’ailleurs changé non pas tant de Grande-Bretagne aux États-Unis, qu’en Allemagne avec l’émergence historique d’une puissante social-démocratie.

    L’AIT, qui centralisait des initiatives éparses et se posait comme catalyseur, cessa en pratique ses activités en 1873, même si formellement son acte de dissolution fut prononcé au congrès de Philadelphie le 15 juillet 1876.

    C’est Friedrich Engels, après la mort de Karl Marx en 1883, qui prendra le relais et qui œuvra à la fondation, en juillet 1889, de la seconde Internationale, l’Internationale Ouvrière, cette fois composée de partis politiques formant la social-démocratie internationale.

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  • L’Association Internationale des Travailleurs et le panslave Mikhaïl Bakounine

    La principale figure de l’anarchisme ayant succédé au proudhonisme fut Mikhaïl Bakounine (1814-1876). Ce révolutionnaire russe était initialement proche de Karl Marx ; c’est d’ailleurs lui qui a traduit le Manifeste du parti communiste en russe.

    Longuement emprisonné en Russie – il perdit toutes ses dents en raison du scorbut -, Bakounine était une des figures les plus avancées de la vague révolutionnaire de 1848 portée par les peuples slaves.

    Bakounine au congrès de Bâle en 1869

    Bakounine ne devint pas anarchiste avant 1868 ; auparavant, il est une figure démocratique cherchant une voie dans le panslavisme, avec à l’arrière-plan le congrès panslave de Prague de 1848.

    Les peuples slaves étaient en fait sous le joug de nations non slaves : l’Autriche et la Hongrie. Seule la Russie échappait à cette situation et pour cette raison tentait de se poser comme hégémonique chez les peuples slaves, ainsi que comme solution politique.

    Friedrich Engels, en 1849, définit ainsi la nature du panslavisme démocratique :

    « Nous avons souvent indiqué que les douces songeries nées après les révolutions de février et de mars, que les rêves exaltés de fraternisation générale des peuples, de république fédérative européenne et de paix mondiale éternelle ne faisaient au fond que dissimuler la perplexité et l’inaction sans bornes des porte-parole d’alors (…).

    Une expérience douloureuse nous a appris que la « fraternisation des peuples d’Europe » ne s’établit pas avec de simples phrases et des vœux pieux mais avec des révolutions radicales et des luttes sanglantes; qu’il ne s’agit pas d’une fraternisation de tous les peuples européens sous un drapeau républicain mais de l’alliance des peuples révolutionnaires contre les contre-révolutionnaires, d’une alliance qui se conclut non sur le papier mais uniquement sur le champ de bataille.

    Dans toute l’Europe occidentale ces expériences amères mais nécessaires ont privé de tout crédit les belles phrases lamartiniennes.

    À l’Est, en revanche, il y a toujours des fractions soi-disant démocratiques et révolutionnaires qui ne se lassent pas de faire écho à cette phraséologie sentimentale et de prêcher l’évangile de la fraternité des peuples européens.

    Ces fractions – nous passons sous silence quelques rêveurs ignorants de langue allemande comme M. Ruge et consorts – ce sont les panslavistes démocratiques des différents peuples slaves.

    Nous avons devant les yeux le programme du panslavisme démocratique exposé dans une brochure :  Appel aux Slaves, éditée à Köthen en 1848 et émanant d’un patriote russe, Michel Bakounine, membre du Congrès des Slaves qui s’est tenu à Prague.

    Bakounine est notre ami. Cela ne nous empêchera pas de soumettre sa brochure à la critique (…).

    « Justice », « humanité », « liberté », « égalité », « fraternité », « indépendance » – jusque-là nous n’avons rien trouvé d’autre dans le manifeste panslaviste que ces catégories plus ou moins morales; elles sonnent bien, certes, mais, dans des questions historiques et politiques elles ne prouvent absolument rien (…).

    Quant au panslavisme en particulier, nous avons développé dans le n° 194 de la Nouvelle Gazette rhénane comment, abstraction faite des illusions partant d’un bon naturel, les panslavistes démocratiques n’ont en réalité pas d’autre but que de donner d’une part en Russie, et d’autre part dans la double monarchie autrichienne dominée par la majorité slave et dépendante de la Russie, un point de ralliement aux Slaves autrichiens dispersés et sous la dépendance historique, littéraire, politique, commerciale et industrielle des Allemands et des Magyars.

    Nous avons développé comment des petites nations remorquées depuis des siècles contre leur propre volonté par l’histoire, étaient nécessairement contre-révolutionnaires, et comment leur position dans la révolution de 1848 fut réellement contre-révolutionnaire (…).

    Nous le répétons :  en dehors des Polonais, des Russes et à la rigueur des Slaves de Turquie, aucun peuple slave n’a d’avenir pour la simple raison que les conditions premières de l’indépendance et de la viabilité, conditions historiques, géographiques, politiques et industrielles manquent aux autres Slaves.

    Des peuples qui n’ont jamais eu leur propre histoire, qui passent sous la domination étrangère à partir du moment où ils accèdent au stade le plus primitif et le plus barbare de la civilisation, ou qui ne parviennent à ce premier stade que contraints et forcés par un joug étranger, n’ont aucune viabilité, ne peuvent jamais parvenir à quelque autonomie que ce soit.

    Et tel a été le sort des Slaves autrichiens. Les Tchèques au nombre desquels nous compterons même les Moraves et les Slovaques, bien qu’ils soient linguistiquement et historiquement différents, n’ont jamais eu d’histoire.

    Depuis Charlemagne, la Bohême est enchaînée à l’Allemagne. La nation tchèque s’émancipe un instant et forme le royaume de Moravie, pour être aussitôt assujettie de nouveau et servir cinq cents ans de ballon avec quoi jouent l’Allemagne, la Hongrie et la Pologne.

    Puis la Bohême et la Moravie passent définitivement à l’Allemagne, les régions de Slovaquie restant hongroises. Et cette « nation » qui, historiquement n’existe pas, a des prétentions à l’indépendance  ?

    Il en est de même de ceux qu’on appelle les Slaves du Sud. Où est l’histoire des Slovènes d’Illyrie, des Dalmates, des Croates et des Scholazes  ? Depuis le XI° siècle, ils ont perdu la dernière apparence d’indépendance politique et ont été placés sous la domination ou allemande ou vénitienne ou magyare. Et, avec ces loques déchirées, on veut bâcler une nation vigoureuse, indépendante et viable ? »

    Le texte dont est tiré cet extrait est extrêmement célèbre en Europe de l’Est dans l’histoire du communisme ; aux ajustement nécessaires se sont ajoutés des événements historiques très importants renversant la situation, sans pour autant modifier la validité de l’analyse de Friedrich Engels.

    Bakounine était le produit d’une situation et n’avait nul bagage idéologique développé. C’est la raison de son basculement dans le proudhonisme à la fin de sa vie, avec d’un côté l’abstentionnisme politique, de l’autre la négation de l’État.

    Pierre-Joseph Proudhon avait perdu toute crédibilité dans son soutien à Napoléon III ; Bakounine prit le relais historique de partisan de l’anarchisme comme affirmation du principe de soulèvement.

    Bakounine pris en photo par Nadar

    Membre d’une Ligue de la Paix et de la Liberté de type bourgeoise – pacifiste qui finit par faire scission en 1868 entre la bourgeoisie et les socialistes, Bakounine rejoignit ces derniers fondant l’Alliance Internationale de la Démocratie Socialiste, qui demanda immédiatement de rejoindre l’AIT.

    Bakounine organisa alors des réseaux secrets dans l’AIT et prôna une ligne d’unité sans principes, au nom du principe de rassembler toutes les structures défendant toutes les variantes de politique.

    A ce fédéralisme s’ajoute l’affirmation de la question de l’héritage comme problématique principale de la révolution, à l’opposé de l’analyse fondée sur le principe du mode de production.

    La situation devint explosive au point que Karl Marx et ses partisans réaffirmèrent alors la nature politique du projet, avec comme but la conquête du pouvoir, ce qui provoqua le départ de fédérations (Belgique, Espagne, Italie, Jura).

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  • L’Association Internationale des Travailleurs: le proudhonisme devient l’anarchisme

    L’opposition entre Tolain et Marx reflète dans l’A.I.T. toute une approche quant à la question révolutionnaire. Il y a d’un côté la tendance voyant les choses de manière historique, recherchant par conséquent à élaborer un savoir scientifique. De l’autre, il y a les gens qui sont ouvriéristes, s’intéressent aux revendications immédiates, tendent au pragmatisme, nient l’importance de la théorie ni de la question précise de la prise du pouvoir.

    On a ainsi l’opposition, en filigrane, entre marxisme et proudhonisme, ou d’une certaine manière entre marxisme et « syndicalisme révolutionnaire ». Cela détermine toute la première période de l’A.I.T., marquée par la conférence de Londres (25-28 septembre 1865), le congrès de Genève donc (3-8 septembre 1866), le congrès de Lausanne (2-8 septembre 1867) et celui de Bruxelles (6-13 septembre 1868).

    Karl Marx en 1866

    Mais la seconde période de l’A.I.T. est marquée par l’affrontement avec un proudhonisme modifié, dirigé par Bakounine (1814-1876) et donnant naissance à l’anarchisme. Un grand événement marquant est bien entendu également la Commune de Paris, qui permit à Marx de préciser ce qu’il qualifie par « dictature du prolétariat ».

    Sur le plan de l’organisation, l’A.I.T. connut durant cette période le congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) la conférence de Londres (17-23 septembre 1871) et le congrès de La Haye (2-7 septembre 1872), qui furent marqués par un intense conflit entre marxisme et anarchisme.

    Le congrès de Bâle en 1869

    Le congrès du Bâle marqua le début du conflit ouvert. En pratique, le proudhonisme avait failli dans le mouvement ouvrier, parce qu’il défendait la petite propriété. Aux premiers temps de l’A.I.T., c’était toujours la ligne des partisans du proudhonisme, qui voyaient en des institutions de crédit la solution aux problèmes sociaux.

    Les progrès de la lutte de classe posaient cependant la bataille pour le communisme à l’ordre du jour, le principe du collectivisme fut adopté par l’A.I.T., contre la défense de la petite propriété, et le proudhonisme devint l’anarchisme.

    Au congrès de Bâle, la ligne du proudhonisme était battue avec l’adoption des motions suivantes :

    « 1. Le Congrès déclare que la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de faire entrer le sol à la communauté.

    2. Il déclare encore qu’il y a nécessité de faire entrer le sol à la propriété collective. »

    Voici comment Tolain tentait de protéger le principe de propriété privée :

    « Vous m’accorderez que la société se compose d’individus, que la collectivité est un être abstrait, quelque chose qui ne ressemble pas à l’homme, quelque chose qu’on nous impose, qui est inconnu et qu’il faut cependant accepter.

    L’individu, au contraire, existe ; il s’affirme dans toutes les branches de l’activité humaine ; il suffit de l’envisager à ces trois points de vue : la religion, la politique et l’économie, pour se persuader que, de toutes tendances, celles qui sont fausses sont seulement celles qui sont contraires à la manifestation de l’individu ; et partout vous reconnaîtrez ce désir de chaque homme d’être son propre roi : un être libre et indépendant.

    Quand l’homme a fourni sa part de contribution pour l’organisation des services publics, lorsqu’il satisfait les garanties qu’exige de lui la société, je nie à la collectivité le droit de porter la main sur le produit de son travail ; c’est là une question de liberté humaine.

    Passant ensuite à la propriété elle-même, l’orateur reproche à ses adversaires de prendre l’effet pour la cause en attribuant au droit de posséder le motif des misères de l’humanité. Il faut la voir au point de vue de la suppression des baux, loyers, etc., remplacés par le contrat de vente et le crédit réorganisé.

    Demandons-nous maintenant si, comme intelligence, la collectivité est supérieure ou inférieure à l’individu.

    Eh bien ! par qui ont été réalisés tous ces grands progrès dont s’enorgueillit l’humanité, sinon par des individus qui, par leur savoir et leur habileté, se sont élevés au-dessus de la collectivité, qui souvent les poursuivait de ses cris et de ses sarcasmes. Colomb, Stephenson, Galilée et beaucoup d’autres sont autant de preuves que les efforts de l’individu sont supérieurs aux efforts de la collectivité.

    La collectivité a encore cet autre danger, qu’elle nuit à cette division du travail qui est un premier élément de prospérité. La question de la propriété est du domaine de la science, qui seule peut la résoudre. Tous nos votes n’y feront rien.

    Enfin, citoyens, parmi tous les systèmes que nous recommande le collectivisme, il n’en est pas un qui se soit affranchi de l’organisation hiérarchique et autoritaire. Et tant que ces systèmes ne concorderont pas avec la liberté et avec l’égalité, je resterai partisan de la prospérité individuelle et terrienne. »

    Ce point de vue individualiste fut écrasé et l’anarchisme remplaça le proudhonisme, comme variante plus approfondie.

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  • Le proudhonisme français contre le marxisme au sein de l’Association Internationale des Travailleurs

    Avant l’Association Internationale des Travailleurs, les travailleurs avancés culturellement dans la cause ouvrière étaient dispersés et sur le plan idéologique, leurs conceptions était instables, oscillantes, partant tendanciellement soit dans le réformisme, soit dans le radicalisme.

    Ainsi, au sein de la Ligue des communistes, l’un des principaux opposants à Marx et Engels fut Stephan Born (1824-1898). Président du Comité central ouvrier de l’Association fraternelle des travailleurs de Berlin, il s’opposait à la participation aux luttes démocratiques de la bourgeoisie de la féodalité, prônant par ailleurs une ligne d’associations coopératives de production et de soutien au crédit par l’Etat.

    A ligne opportuniste de droite de Born s’associait la ligne opportuniste de gauche d’Andreas Gottschalk (1815-1849), actif à Cologne et qui lui considérait que les tâches démocratiques ne relevaient pas du prolétariat.

    Le panorama ressemblait à cela sur le plan international. En France, au proudhonisme des uns répondait les velléités conspirationnistes des autres. Les idées de Proudhon s’étaient en pratique répandues de manière importante, l’une des expressions étant « le Manifeste des soixante. »

    Il s’agit d’un appel de soixante ouvriers, publié en février 1864 dans un journal d’opposition à Napoléon III, pour une candidature ouvrière : celle d’Henri Tolain (1828-1897). Le texte reflète le conception proudhonienne de celui-ci, avec à l’esprit les réformes économiques, notamment avec le crédit, devant amener la classe ouvrière à s’imposer de manière naturelle au sein même du capitalisme.

    Le « Manifeste des soixante » dit ainsi :

    « Qu’on ne nous accuse point de rêver lois agraires, égalité chimérique, qui mettrait chacun sur un lit de Procuste, partage, maximum, impôt forcé, etc., etc.

    Non ! il est grand temps d’en finir avec ces calomnies propagées par nos ennemis et adoptées par les ignorants. La liberté du travail, le crédit, la solidarité, voilà nos rêves.

    Le jour où ils se réaliseront, pour la gloire et la prospérité d’un pays qui nous est cher, il n’y aura plus ni bourgeois ni prolétaires, ni patrons ni ouvriers. Tous les citoyens seront égaux en droits. »

    Tolain soutiendra l’Association Internationale des Travailleurs au départ, devenant le chef de file du courant en France ; il tient cependant à la dimension fédérale et ne veut pas de décisions générales, il veut que les délégués soient forcément des travailleurs manuels, etc.

    Cette perspective ouvriériste réformiste l’amènera toujours plus dans les bras du réformisme et des élections, et il rejettera même la Commune de Paris en 1871. L’AIT, pour qui il avait été élu député de la Seine, l’exclut alors.

    Voici un exemple de la position de Tolain, sa ligne anti-intellectuelle. Il s’agit d’un compte-rendu d’une discussion à congrès de Genève de l’A.I.T., en 1866. Karl Marx ne s’y est pas rendu ; comme il l’explique dans une lettre à Ludwig Kugelmann du 23 août 1866 :

    « Bien que je consacre beaucoup de temps aux travaux préparatoires du Congrès de Genève, je ne puis ni ne veux m’y rendre, car il m’est impossible d’interrompre mon travail pendant un délai assez long. Par ce travail, j’estime que je fais quelque chose de bien plus important pour la classe ouvrière que tout ce que je pourrais faire personnellement dans un congrès quelconque. »

    Voici donc comment Tolain a « compris » cela, et comment son initiative est défaite :

    « L’article 11 ainsi conçu : « Chaque membre de l’Association a le droit de participer au vote et est éligible », a été le sujet de la discussion suivante :

    Le citoyen Tolain (Paris) : S’il est indifférent d’admettre, comme membre de l’Association internationale, des citoyens de toute classe, travailleurs ou non, il ne doit pas en être de même lorsqu’il s’agit de choisir un délégué. En présence de l’organisation sociale actuelle dans laquelle la classe ouvrière soutient une lutte sans trêve ni merci contre la classe bourgeoise, il est utile, indispensable même, que tous les hommes qui sont chargés de représenter des groupes ouvriers soient des travailleurs.

    Le citoyen Perrachon (Paris) parle dans le même sens et va plus loin, car il croit que ce serait vouloir la perte de l’Association que d’admettre comme délégué un citoyen qui ne serait pas ouvrier.

    Le citoyen Vuilleumier (Suisse) : En éliminant quelqu’un de notre association, nous nous mettrions en contradiction avec nos règlements généraux, qui admettent dans son sein tout individu sans distinction de race, ni de couleur, et par le seul fait de son admission il est apte à prétendre à l’honneur d’être délégué.

    Le citoyen Cremer (Londres) s’étonne de voir cette question revenir de nouveau en discussion. Il n’en comprend pas la nécessité, car   dit-il   parmi les membres du Conseil central se trouvent plusieurs citoyens qui n’exercent pas de métiers manuels et qui n’ont donné aucun motif de suspicion, loin de là. Il est probable que, sans leur dévouement, l’Association n’aurait pu s’implanter en Angleterre d’une façon aussi complète. Parmi ces membres, je vous citerai un seul, le citoyen Marx, qui a consacré toute sa vie au triomphe de la classe ouvrière.

    Le citoyen Carter (Londres) : On vient de vous parler du citoyen Karl Marx. Il a compris parfaitement l’importance de ce premier congrès, où seulement devaient se trouver des délégués ouvriers. Aussi a-t-il refusé la délégation que lui offrait le Conseil central. Mais ce n’est point une raison pour l’empêcher, lui ou tout autre, de venir au milieu de nous, au contraire.

    Des hommes se dévouant entièrement à la cause prolétaire sont trop rares pour les écarter de notre route. La bourgeoisie n’a triomphé que du jour où, riche et puissante par le nombre, elle s’est alliée la science, et c’est la prétendue science économique bourgeoise qui, en lui donnant du prestige, maintient encore son pouvoir.

    Que les hommes qui se sont occupés de la question économique, et qui ont reconnu la justice de notre cause et la nécessité d’une réforme sociale, viennent au congrès ouvrier battre en brèche la science économique bourgeoise.

    Le citoyen Tolain (Paris) : Comme ouvrier, je remercie le citoyen Marx de n’avoir pas accepté la délégation qu’on lui offrait. En faisant cela, le citoyen Marx a montré que les congrès ouvriers devaient être seulement composés d’ouvriers manuels.

    Si ici nous admettons des hommes appartenant à d’autres classes, on ne manquera pas de dire que le congrès ne représente pas les aspirations des classes ouvrières, qu’il n’est pas fait pour des travailleurs, et je crois qu’il est utile de montrer au monde que nous sommes assez avancés pour pouvoir agir par nous-mêmes.

    L’amendement du citoyen Tolain voulant la qualité d’ouvrier manuel pour recevoir le titre de délégué est mis aux voix et rejeté, 20 pour et 25 contre. »

    Tolain le proudhonien s’opposait par définition à Karl Marx et au rôle de la théorie, qui avait déjà pourtant joué un rôle central pour l’A.I.T..

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  • Marx au coeur de l’Association Internationale des Travailleurs

    L’événement qui amena la fondation de l’Association Internationale des Travailleurs fut la rencontre entre d’un côté l’activité de Karl Marx épaulé par Friedrich Engels, de l’autre le développement du mouvement ouvrier anglais et français, qui tissèrent des liens.

    Une réunion eut alors lieu à Londres au St Martin’s Hall, une petite salle utilisée par les ouvriers et les démocrates. Étaient présents des ouvriers anglais et français, ainsi que des prolétaires et des démocrates de l’émigration, qui ensemble fondirent, le 28 septembre 1864, l’Association Internationale des Travailleurs (AIT).

    Le St Martin’s Hall

    Karl Marx ne fut nommé que dans le comité directeur, qui devint le conseil central, puis le conseil général, n’en étant donc pas le dirigeant ; cependant, il était le moteur de l’initiative. C’est d’ailleurs lui qui prit en main la rédaction tant de l’adresse inaugurale que des statuts de l’AIT.

    Cela veut dire que Karl Marx était en mesure de tenir en échec tant le courant anglais qui avait une perspective syndicale-réformiste internationale, que le courant français qui visait la mise en place de prêts sans intérêts à l’échelle internationale et de coopératives. A cela s’ajoute un courant italien, se situant dans la tradition de la révolte des peuples de 1848.

    Les statuts avaient d’ailleurs connu un brouillon écrit par Ludwig Wolf, un partisan de Mazzini ; Karl Marx n’en garda que le nom de l’AIT, et c’est lui qui eut l’idée d’ajouter une adresse inaugurale à l’annonce de la formation de la nouvelle organisation.

    Le premier novembre 1864, le comité directeur avalisa les documents et le 22 mars 1864, Karl Marx proposa au conseil général que les syndicats anglais (les trade-unions) adhèrent de manière collective à l’AIT. Cela se réalisa notamment grâce au militant Robert Shaw ; en janvier 1865, cela permit aux ouvriers anglais de soutenir des réformes électorales de la bourgeoisie radicale.

    Dans une lettre du premier mai 1865 à Friedrich Engels, Karl Marx considère alors que :

    « Si cette réélectrification du mouvement politique de la classe ouvrière anglaise réussit, alors notre association, sans faire d’histoires, a déjà plus contribué à la classe ouvrière européenne qu’il aurait été possible d’une quelconque autre manière. »

    Karl Marx œuvrait ainsi dans le sens d’une politisation de la classe ouvrière, d’une prise en compte des enjeux, avec un besoin d’évaluation et de positionnement. En voici un exemple avec le message de l’AIT à Abraham Lincoln, à la fin de l’année 1864 :

    « Nous complimentons le peuple américain à l’occasion de votre réélection à une forte majorité.

    Si la résistance au pouvoir des esclavagistes a été le mot d’ordre modéré de votre première élection, le cri de guerre triomphal de votre réélection est : mort à l’esclavage.

    Depuis le début de la lutte titanesque que mène l’Amérique, les ouvriers d’Europe sentent instinctivement que le sort de leur classe dépend de la bannière étoilée. La lutte pour les territoires qui inaugura la terrible épopée, ne devait-elle pas décider si la terre vierge de zones immenses devait être fécondée par le travail de l’émigrant, ou souillée par le fouet du gardien d’esclaves ?

    Lorsque l’oligarchie des trois cent mille esclavagistes osa, pour la première fois dans les annales du monde, inscrire le mot esclavage sur le drapeau de la rébellion armée ; lorsque à l’endroit même où, un siècle plus tôt, l’idée d’une grande république démocratique naquit en même temps que la première déclaration des droits de l’homme qui ensemble donnèrent la première impulsion à la révolution européenne du 18e siècle, alors les classes ouvrières d’Europe comprirent aussitôt, et avant même que l’adhésion fanatique des classes supérieures à la cause des confédérés ne les en eût prévenues, que la rébellion des esclavagistes sonnait le tocsin pour une croisade générale de la propriété contre le travail et que, pour les hommes du travail, le combat de géant livré outre-Atlantique ne mettait pas seulement en jeu leurs espérances en l’avenir, mais encore leurs conquêtes passées.

    C’est pourquoi, ils supportèrent toujours avec patience les souffrances que leur imposa la crise du coton et s’opposèrent avec vigueur à l’intervention en faveur de l’esclavagisme que préparaient les classes supérieures et « cultivées », et un peu partout en Europe contribuèrent de leur sang à la bonne cause.

    Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord permirent à l’esclavage de souiller leur propre République ; tant qu’ils glorifièrent de jouir du privilège d’être libres de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens.

    Les ouvriers d’Europe sont persuadés que si la guerre d’indépendance américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes bourgeoises, la guerre anti-esclavagiste américaine a inauguré l’époque nouvelle de l’essor des classes ouvrières.

    Elles considèrent comme l’annonce de l’ère nouvelle que le sort ait désigné Abraham Lincoln, l’énergique et courageux fils de la classe travailleuse, pour conduire son pays dans la lutte sans égale pour l’affranchissement d’une race enchaînée et pour la reconstruction d’un monde social. »

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  • La Ligue des communistes

    Une fois dans la Ligue des justes, Marx et Engels ont une influence considérable en supprimant les conceptions petites-bourgeoises. Engels note ainsi :

    « Par contre, la doctrine sociale de la Ligue, quelque imprécise qu’elle fût, avait un très grand défaut, provenant des conditions même du moment. Les membres de la Ligue, ceux du moins qui étaient des ouvriers, étaient presque exclusivement des artisans proprement dits.

    La plupart du temps l’homme qui les exploitait n’était lui-même, dans les grandes villes, qu’un petit patron. L’exploitation même de la couture en grand, de ce qu’on appelle actuellement la confection, par la transformation du métier en industrie à domicile au compte d’un grand capitaliste, commençait à peine à Londres.

    D’une part, l’exploiteur de ces artisans était un petit patron ; et, d’autre part, tout le monde espérait devenir un jour petit patron. Et en outre l’artisan allemand de ce temps-là était encore infecté d’une foule d’idées héritées des anciennes corporations.

    Et ce qui leur fait le plus grand honneur, c’est que, eux, qui n’étaient pas encore des prolétaires dans toute l’acception du terme, qui ne constituaient qu’un élément complémentaire de la petite bourgeoisie, mais en train d’évoluer vers le prolétariat moderne, sans être toutefois en opposition directe avec la bourgeoisie, c’est-à-dire le grand capital, c’est que ces artisans furent capables d’anticiper instinctivement leur développement futur et de se constituer, bien que ce ne fût pas encore avec une pleine conscience, en parti du prolétariat.

    Mais il était également inévitable que leurs vieux préjugés d’artisans vinssent à tout instant leur donner un croc-en-jambe, dès qu’il s’agirait de critiquer par le détail la société existante, c’est-à-dire d’étudier des faits économiques.

    Et je ne crois pas qu’à cette date la Ligue ait compté un seul adhérent ayant jamais lu un traité d’économie. Mais cela n’avait pas grande importance. Pour le moment, l’égalité, la fraternité et la justice suffisaient à faire franchir tout obstacle théorique. »

    Il s’agissait donc de faire progresser la Ligue, de lui faire faire un saut qualitatif. Il fallait quitter l’utopisme, les démarches plébéiennes et les vélléités permanentes d’insurrection, pour passer à un point de vue scientifique. Engels raconte ainsi la modification de la « Ligue des justes » en « Ligue des communistes » :

    « En été 1847, le premier congrès de la Ligue se réunit à Londres. W. Wolff y représentait les communes de Bruxelles et moi celles de Paris. On y mena d’abord à bonne fin la réorganisation de la Ligue. Toutes les anciennes appellations mystiques datant du temps des conspirations furent supprimées, et la Ligue s’organisa en communes, cercles, cercles directeurs, comité central et congrès, et prit dès lors le nom de « Ligue des communistes ».

    « Le but de la Ligue, c’est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée. »

    Tel est le premier article. L’organisation elle-même était absolument démocratique, avec des dirigeants élus et toujours révocables ; ce seul fait barrait le chemin à toutes les velléités de conspiration qui exigent une dictature, et transformait la Ligue, du moins pour les temps de paix ordinaires, en une simple société de propagande.

    Ces nouveaux Statuts — tel était maintenant le procédé démocratique — furent soumis aux sections pour discussion, puis débattus à nouveau au deuxième congrès qui les adopta définitivement le 8 décembre 1847 (…).

    Le deuxième congrès se tint fin novembre et début décembre de la même année. Marx y assista et, dans des débats assez longs, — la durée du congrès fut de dix jours au moins, — défendit la nouvelle théorie. Toutes les contradictions et tous les points litigieux furent tirés au clair ; les principes nouveaux furent adoptés à l’unanimité et l’on nous chargea, Marx et moi, de rédiger le manifeste.

    Nous le fîmes sans retard aucun. Quelques semaines avant la révolution de février, nous expédiâmes le Manifeste à Londres, aux fins d’impression. Il a fait, depuis lors, le tour du monde ; on l’a traduit dans presque toutes les langues, et il sert aujourd’hui encore, dans les pays les plus divers, de guide au mouvement prolétarien.

    L’ancienne devise de la Ligue : « Tous les hommes sont frères », avait été remplacée par le nouveau cri de guerre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » qui proclamait ouvertement le caractère international de la lutte.

    Dix-sept ans plus tard, ce cri de guerre remplissait le monde, comme cri de guerre de l’Association internationale des travailleurs, et aujourd’hui le prolétariat militant de tous les pays l’a inscrit sur son drapeau. »

    Il y a ainsi un passage de la Ligue des Justes à la Ligue des communistes, prélude à la formation de l’Association Internationale des Travailleurs.

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  • Marx et Engels dans la Ligue des justes

    Le chant révolutionnaire « L’Internationale », hymne communiste international, date de la fin du 19e siècle, à l’époque où fut fondée l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.), rassemblement des premières forces révolutionnaires mondiales.

    De cette A.I.T., plus communément appelée l’Internationale, on retient surtout, à juste titre, le rôle central de Karl Marx et l’émergence du marxisme. Quel fut le processus qui a conduit à cela ?

    En fait, l’A.I.T. est née en 1864 et la période qui l’a précédée a été marquée par toute une série de penseurs critiquant le capitalisme qui se développait alors tous azimuts en Angleterre, mais également à moindre vitesse en France et en Allemagne. Leur réflexion était toutefois caractérisé par un utopisme complet.

    Karl Marx est justement celui-ci qui a réussi à dépasser le socialisme utopique, pour parvenir à formuler le socialisme scientifique, dont l’A.I.T. fut l’expression. Une de ces étapes fut bien sûr le fameux Manifeste du Parti Communiste, publié en 1847, bien avant la naissance de l’A.I.T..

    Première édition du Manifeste

    Ce Manifeste exprimait le point de vue de la « Ligue des communistes », elle-même issue de a « Ligue des justes ». Dans la première moitié du 19e siècle, en raison de la très grande répression anti-démocratique dans ce qui deviendra l’Allemagne, de nombreux activistes sociaux et démocrates vivent dans l’émigration, et c’est là qu’ils fondirent la « Ligue des justes ».

    Friedrich Engels raconte ainsi :

    « En 1834, les réfugiés allemands fondèrent à Paris la Ligue secrète républicaine démocratique des proscrits. En 1836, il s’en détacha les éléments les plus extrêmes, pour la plupart prolétariens, qui fondèrent une nouvelle ligue secrète, la Ligue des justes.

    La ligue-mère, où il n’était resté que les éléments les plus engourdis, à la Jakob Venedey, fut bientôt plongée en plein sommeil ; et lorsque la police, en 1840, en éventa quelques sections en Allemagne, ce n’était plus à peine qu’une ombre. La nouvelle ligue, par contre, eut un développement relativement rapide.

    A l’origine, c’était un rejeton allemand du communisme ouvrier français, inspiré de réminiscences de Babeuf, qui se développait à cette époque même à Paris ; la communauté des biens était réclamée comme une conséquence nécessaire de l’ »égalité ».

    Les buts étaient identiques à ceux des sociétés parisiennes secrètes de ce temps : partie association de propagande, partie association de conjuration, Paris restant cependant toujours le centre de l’action révolutionnaire, bien que l’on ne se défendît nullement de fomenter à l’occasion des troubles en Allemagne.

    Mais, comme Paris restait le champ de bataille décisif, la Ligue n’était alors, en fait, que la section allemande des sociétés secrètes françaises, surtout de la Société des saisons, fondée par Blanqui et Barbès, avec laquelle elle était en relations étroites. Les Français déclenchèrent l’insurrection le 12 mai 1839 ; les sections de la Ligue emboîtèrent le pas et furent entraînées ainsi dans la défaite commune. »

    Cela provoqua une nouvelle émigration, à Londres cette fois. La Ligue continua de répandre ses idées, tant en France qu’en Allemagne, et Engels explique ainsi que :

    « Depuis que le centre de gravité avait été transféré de Paris à Londres, un autre facteur fut mis en relief : d’allemande qu’elle était la Ligue se transforma peu à peu en ligue internationale.

    Dans la société ouvrière, en dehors des Allemands et des Suisses, se rencontraient également des membres appartenant à toutes les nationalités qui se servaient principalement de la langue allemande dans leurs relations avec les étrangers, notamment des Scandinaves, des Hollandais, des Hongrois, des Tchèques, des Slaves du Sud, et aussi des Russes et des Alsaciens.

    En 1847, un grenadier de la garde anglaise assistait régulièrement en uniforme aux séances. La société ne tarda pas à prendre le titre de : Cercle d’étude ouvrier communiste. Sur les cartes de membre, la devise : « Tous les hommes sont frères » se trouvait reproduite en vingt langues au moins, bien que, par-ci par-là, non sans faute.

    A l’exemple de la société légale, la société secrète, elle aussi, prit bientôt un caractère plus international, d abord dans un sens encore restreint : en pratique, parce que les membres appartenaient à des nationalités différentes, en théorie, parce qu’on avait compris que, pour être victorieuse, toute révolution devait être européenne. On n’alla pas plus loin ; mais les bases étaient jetées (…).

    A d’autres points de vue encore, le caractère de la Ligue s’était modifié avec les événements. Bien que l’on considérât toujours, à juste titre du reste, Paris comme la ville-mère de la révolution, on s’était pourtant libéré de la sujétion aux conspirateurs parisiens.

    Au fur et à mesure qu’elle gagnait du terrain la Ligue prenait davantage conscience d’elle-même. On sentait qu’on prenait de plus en plus racine dans la classe ouvrière allemande, et que ces ouvriers avaient la mission historique d’être le porte-drapeau des ouvriers du nord et de l’est de l’Europe. »

    Engels et Marx, s’étant rencontrés et étant en accord idéologique entre eux, se rapprochent alors de la Ligue des justes et l’influence. Engels raconte ainsi :

    « Sans nous mêler des affaires intérieures de la Ligue, nous étions tenus au courant de tout événement important. D’autre part, nous agissions de vive voix, par lettres, par la presse sur les opinions théoriques des membres les plus importants de la Ligue.

    Nous recourions également, dans le même but, à diverses circulaires lithographiées que, dans des occasions particulières, où il s’agissait des affaires intérieures du parti communiste en formation, nous envoyions à nos amis et correspondants (…).

    Bref, au printemps 1847, Moll s’en fut trouver Marx à Bruxelles et vint ensuite me voir à Paris, pour nous inviter, au nom de ses compagnons et à plusieurs reprises, à entrer dans la Ligue. Ils étaient, nous disait-il, convaincus de l’exactitude absolue de notre conception autant que de la nécessité de soustraire la Ligue aux anciennes formes et traditions de conspiration.

    Si nous voulions adhérer, on nous donnerait l’occasion, dans un congrès de la Ligue, de développer notre communisme critique dans un manifeste, qui serait ensuite publié comme manifeste de la Ligue ; et nous pourrions également intervenir afin de remplacer l’organisation surannée de la Ligue par une organisation nouvelle, telle que la réclamaient l’époque et le but poursuivi.

    Qu’il fallût, dans la classe ouvrière allemande, une organisation, ne fût-ce que pour la propagande, et que cette organisation, dans la mesure où elle n’était pas uniquement locale, ne pût être, même hors de l’Allemagne, qu’une organisation secrète, nous n’en doutions pas.

    Or, la Ligue constituait précisément une organisation de ce genre.

    Ce que nous avions jusqu’alors critiqué dans la Ligue, les représentants de la Ligue en reconnaissaient actuellement le côté défectueux et le sacrifiaient. Et l’on nous invitait nous-mêmes à collaborer à la réorganisation.

    Pouvions-nous refuser ? Évidemment non. Nous entrâmes donc dans la Ligue. »

    Quelques mots sur l’histoire de la Ligue des communistes

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  • Constitution de l’URSS de 1936

    Titre premier.
    Organisation de la société soviétique.

    Article premier.

    L’Union des Républiques socialistes soviétiques est un État socialiste des ouvriers et des paysans.

    Article 2.

    La base politique de l’URSS est constituée par les soviets de députés des travailleurs, qui ont grandi et se sont affermis à la suite du renversement du pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, et grâce à la conquête de la dictature du prolétariat..

    Article 3.

    Tout le pouvoir en URSS appartient aux travailleurs de la ville et de la campagne en la personne des soviets de députés des travailleurs.

    Article 4.

    La base économique de l’URSS est constituée par le système socialiste de l’économie et par la propriété socialiste des instruments et moyens de production, établis à la suite de la liquidation du système capitaliste d’économie, de l’abolition de la propriété privée des instruments et moyens de production et de la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme.

    Article 5.

    La propriété socialiste en URSS revêt soit la forme de propriété d’État (bien du peuple tout entier), soit la forme de propriété coopérative et kolkhozienne (propriété de chaque kolkhoze, propriété des unions coopératives).

    Article 6.

    La terre, le sous-sol, les eaux, les forêts, les usines, les fabriques, les mines de charbon et de minerai, les chemins de fer, les transports par eau et par air, les banques, les PTT, les grandes entreprises agricoles organisées par l’État (sovkhozes, stations de machines et de tracteurs, etc.), ainsi que les entreprises municipales et la masse fondamentale des habitations dans les villes et les agglomérations industrielles sont la propriété de l’État, c’est-à-dire le bien du peuple tout entier.

    Article 7.

    Les entreprises communes dans les kolkhozes et dans les organisations coopératives avec leur cheptel vif et mort, la production fournie par les kolkhozes et les organisations coopératives, ainsi que leurs bâtiments communs constituent la propriété socialiste commune des kolkhozes et des organisations coopératives.

    Chaque foyer kolkhozien, outre le revenu fondamental de l’économie kolkhozienne commune, a, conformément au statut de l’artel agricole, la jouissance personnelle d’un petit terrain, attenant à la maison et, sur ce terrain il possède en propre une économie auxiliaire, une maison d’habitation, le bétail productif, la volaille et le menu matériel agricole.

    Article 8.

    La terre occupée par les kolkhozes leur est donnée en jouissance gratuite pour une durée illimitée, c’est-à-dire à perpétuité.

    Article 9.

    A côté du système socialiste d’économie, qui est la forme dominante de l’économie en URSS la loi admet les petites économies privées des paysans individuels et des artisans, fondées sur le travail personnel et excluant l’exploitation du travail d’autrui.

    Article 10.

    Le droit des citoyens à la propriété personnelle des revenus et épargnes provenant de leur travail, de leur maison d’habitation et de l’économie domestique auxiliaire, des objets de ménage et d’usage quotidien, des objets d’usage et de commodité personnels, de même que le droit d’héritage de la propriété personnelle des citoyens, sont protégés par la loi.

    Article 11.

    La vie économique de l’URSS est déterminée et dirigée par le plan d’État de l’économie nationale en vue d’augmenter la richesse sociale, d’élever d’une manière continue le niveau matériel et culturel des travailleurs, d’affermir l’indépendance de l’URSS et de renforcer sa capacité de défense.

    Article 12.

    Le travail, en URSS, est pour chaque citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur selon le principe : « Qui ne travaille pas ne mange pas ». En URSS se réalise le principe du socialisme : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ».

    Titre II.
    Organisation de l’État soviétique.

    Article 13.

    L’Union des Républiques socialistes soviétiques est un État fédéral constitué sur la base de l’union librement consentie de Républiques socialistes soviétiques égales en droit. Ce sont :
    la République soviétique fédérative socialiste de Russie,
    la République socialiste soviétique d’Ukraine,
    la République socialiste soviétique de Biélorussie,
    la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan,
    la République socialiste soviétique de Géorgie,
    la République socialiste soviétique d’Arménie,
    la République socialiste soviétique de Turkménie,
    la République socialiste soviétique d’Ouzbékie,
    la République socialiste soviétique de Tadjikie,
    la République socialiste soviétique de Kazakhie,
    la République socialiste soviétique de Kirghizie.

    [La loi du 7 août 1940 admet 5 nouvelles républiques : Estonie, Lettonie, Lituanie, Moldavie et République Carélo-finnoise. Cette dernière perd cette qualité par la loi du 16 juillet 1956.]

    Article 14.

    Sont du ressort de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, en la personne des organes supérieurs du pouvoir et des organes d’administration d’État :
    a) la représentation de l’URSS dans les relations internationales, la conclusion et la ratification des traités avec les autres États ;
    b) les questions de la guerre et de la paix ;
    c) l’admission dans l’URSS de nouvelles Républiques ;
    d) le contrôle de l’exécution de la Constitution de l’URSS et les mesures assurant la conformité des constitutions des Républiques fédérées avec la constitution de l’URSS ;
    e) l’approbation des modifications de frontières entre les Républiques fédérées ;
    f) l’approbation de la formation de nouveaux territoires et régions, ainsi que de nouvelles Républiques autonomes au sein des Républiques fédérées ;
    g) l’organisation de la défense de l’URSS et la direction de toutes les forces armées de l’URSS ;
    h) le commerce extérieur sur la base du monopole d’État ;
    i) la sauvegarde de la sécurité de l’État ;
    j) l’établissement des plans de l’économie nationale de l’URSS ;
    k) l’approbation du budget unique de l’URSS, ainsi que des impôts et recettes affectés aux budgets de l’URSS, aux budgets des Républiques et aux budgets locaux ;
    l) la direction des banques, des établissements et des entreprises industrielles et agricoles, ainsi que des entreprises commerciales, intéressant toute l’URSS ;
    m) la direction des transports et l’administration des PTT ;
    n) la direction du système monétaire et de crédit ;
    o) l’organisation des assurances d’État ;
    p) la conclusion et le consentement d’emprunts ;
    q) l’établissement des principes fondamentaux de la jouissance de la terre, ainsi que de la jouissance du sous-sol, des forêts et des eaux ;
    r) l’établissement des principes fondamentaux dans le domaine de l’instruction publique et de la protection de la santé publique ;
    s) l’organisation d’un système unique de la statistique de l’économie nationale ;
    t) l’établissement des principes de la législation du travail ;
    u) la législation sur l’organisation et la procédure judiciaire : codes pénal et civil ;
    v) les lois sur la citoyenneté de l’URSS ; les lois sur les droits des étrangers ;
    w) la promulgation des actes fédéraux d’amnistie.

    Article 15.

    La souveraineté des Républiques fédérées n’a d’autres limites que celles indiquées à l’article 14 de la Constitution de l’URSS. En dehors de ces limites, chaque République fédérée exerce le pouvoir d’État d’une manière indépendante. L’URSS protège les droits souverains des Républiques fédérées.

    Article 16.

    Chaque République fédérée a sa Constitution, qui tient compte des particularités de la République et est établie en pleine conformité avec la Constitution de l’URSS.

    Article 17.

    Chaque République fédérée conserve le droit de sortir librement de l’URSS.

    Article 18.

    Le territoire des Républiques fédérées ne peut être modifié sans leur consentement.

    Article 19.

    Les lois de l’URSS ont force égale sur le territoire de toutes les Républiques fédérées.

    Article 20.

    En cas de divergence entre la loi d’une République fédérée et la loi fédérale, c’est la loi fédérale qui prime.

    Article 21.

    Une citoyenneté fédérale unique est établie pour les citoyens de l’URSS. Tout citoyen d’une République fédérée est citoyen de l’URSS.

    Article 22.

    La République socialiste fédérative soviétique de Russie est composée des territoires [Kraj] de : Azov-mer Noire, Extrême-Orient, Sibérie occidentale, Krasnoïarsk, Caucase du Nord ; des régions de : Voronèje, Sibérie orientale, Gorki, Ouest, Ivanovo, Kalinine, Kirov, Kouïbychev, Koursk, Léningrad, Moscou, Omsk, Orenbourg, Saratov, Sverdlovsk, Nord, Stalingrad, Tchéliabinsk, Yaroslave ; des Républiques socialistes soviétiques autonomes de : Tatarie, Bachkirie, Daghestan, Bouriato-Mongolie, Kabardino-Balkarie, Kalmoukie, Carélie, des Komis, Crimée, des Mariis, des Mordves, des Allemands de la Volga, Ossétie du Nord, Oudmourtie, Tchétchéno-Ingouchie, Tchouvachie, Yakoutie ; des régions autonomes des Adighés, Juifs, Karatchaïs, Oïrotes, Khakasses, Tcherkesses.

    Article 23.

    La République socialiste soviétique d’Ukraine est composée des régions de Vinnitsa, Dniépropétrovsk, Donetz, Kiev, Odessa, Kharkov, Tchernigov et de la République socialiste soviétique autonome de Moldavie.
    [Cet article a été modifié 9 fois. L’incorporation de la Crimée à l’Ukraine résulte de la loi du 19 février 1954.]

    Article 24.

    Font partie de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan : la République socialiste soviétique autonome de Nakhitchévan et la région autonome du Nagorno-Karabakh.

    Article 25.

    Font partie de la République socialiste soviétique de Géorgie : la RSSA d’Abkhazie, la RSSA d’Adjarie, la région autonome de l’Ossétie du Sud.

    Article 26.

    Fait partie de la République socialiste soviétique d’Ouzbékie, la RSSA des Kara-Kalpaks.

    Article 27.

    Fait partie de la République socialiste soviétique de Tadjikie la région autonome du Gorno-Badakhchan.

    Article 28.

    La République socialiste soviétique de Kazakhie est composée des régions de : Aktioubinsk, Alma-Ata, Kazakhstan-Est, Kazakhstan-Ouest, Karaganda, Koustanaï, Kazakhstan-Nord, Kazakhstan-Sud.

    Article 29.

    La RSS d’Arménie, la RSS de Biélorussie, la RSS de Turkménie et la RSS de Kirghizie ne comprennent pas de Républiques autonomes, non plus que de territoires ni de régions.

    Titre III.
    Organes supérieurs du pouvoir d’État de l’URSS.

    Article 30.

    L’organe supérieur du pouvoir d’État de l’URSS est le Soviet suprême (Verkhovny Soviet) de l’URSS.

    Article 31.

    Le Soviet suprême de l’URSS exerce tous les droits attribués à l’Union des Républiques socialistes soviétiques, conformément à l’article 14 de la Constitution, et qui, en vertu de la Constitution, ne sont pas de la compétence des organes du pouvoir de l’URSS dépendant du Soviet suprême de l’URSS : du présidium du Soviet suprême de l’URSS, du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et des commissariats du peuple de l’URSS.

    Article 32.

    Le pouvoir législatif de l’URSS est exercé exclusivement par le Soviet suprême de l’URSS.

    Article 33.

    Le Soviet suprême de l’URSS se compose de deux chambres : le Soviet de l’Union (Soviet Soyousa) et le Soviet des nationalités (Soviet Natsionalnostéï).

    Article 34.

    Le Soviet de l’Union est élu par les citoyens de l’URSS par circonscriptions électorales, à raison d’un député par 300 mille habitants.

    Article 35.

    Le Soviet des nationalités est élu par les citoyens de l’URSS par Républiques fédérées et autonomes, par régions autonomes et districts nationaux, à raison de 25 députés pour chaque République fédérée, de 11 députés pour chaque République autonome, de cinq députés pour chaque région autonome et d’un député pour chaque district national.
    [32 au lieu de 25, loi du 3 août 1966.]

    Article 36.

    Le Soviet suprême de l’URSS est élu pour une durée de quatre ans.

    Article 37.

    Les deux chambres du Soviet suprême de l’URSS, le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités, sont égales en droits.

    Article 38.

    L’initiative législative appartient dans une égale mesure au Soviet de l’Union et au Soviet des nationalités.

    Article 39.

    Une loi est considérée comme telle si elle est adoptée à la majorité simple par chacune des deux chambres du Soviet suprême de l’URSS.

    Article 40.

    Les lois adoptées par le Soviet suprême de l’URSS, sont promulguées dans les langues des Républiques fédérées, sous la signature du président et celle du secrétaire du présidium du Soviet suprême de l’URSS.

    Article 41.

    Les sessions du Soviet de l’Union et du Soviet des nationalités s’ouvrent et prennent fin en même temps.

    Article 42.

    Le Soviet de l’Union élit le président du Soviet de l’Union et deux vice-présidents.

    Article 43.

    Le Soviet des nationalités élit le président du Soviet des nationalités et deux vice-présidents.

    Article 44.

    Les présidents du Soviet de l’Union et du Soviet des nationalités dirigent les séances des chambres respectives et font appliquer leur règlement intérieur.

    Article 45.

    Les séances communes des deux chambres du Soviet suprême de l’URSS, sont présidées à tour de rôle par le président du Soviet de l’Union et le président du Soviet des nationalités.

    Article 46.

    Les sessions du Soviet suprême de l’URSS, sont convoquées par le présidium du Soviet suprême de l’URSS deux fois par an. Les sessions extraordinaires sont convoquées par le présidium du Soviet suprême de l’URSS sur sa propre initiative ou sur la demande d’une des Républiques fédérées.

    Article 47.

    En cas de désaccord entre le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités, la question est renvoyée devant une commission de conciliation formée sur une base paritaire. Si la commission de conciliation n’aboutit pas à une solution commune, ou que sa décision ne satisfasse pas l’une des chambres, la question est examinée une deuxième fois dans les deux chambres. En l’absence d’une décision commune des deux chambres, le présidium du Soviet suprême de l’URSS dissout le Soviet suprême de l’URSS et fixe de nouvelles élections.

    Article 48.

    Le Soviet suprême de l’URSS élit en séance commune des deux chambres, le présidium du Soviet suprême de l’URSS composé comme suit : le président du présidium du Soviet suprême de l’URSS, ses onze vice-présidents, le secrétaire du présidium et 24 membres du présidium. Le présidium du Soviet suprême de l’URSS rend compte de toute son activité devant le Soviet suprême de l’URSS.

    Article 49.

    Le présidium du Soviet suprême de l’URSS :

    a) convoque les sessions du Soviet suprême de l’URSS ;
    b) donne l’interprétation des lois de l’URSS en vigueur, édicte des ordonnances ;
    c) dissout le Soviet suprême de l’URSS en vertu de l’article 47 de la Constitution de l’URSS et fixe de nouvelles élections ;
    d) procède aux consultations populaires (référendums) sur sa propre initiative ou sur la demande d’une des Républiques fédérées ;
    e) annule les arrêtés et décisions du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et des Conseils des commissaires du peuple des Républiques fédérées au cas où ils ne seraient pas conformes à la loi ;
    f) dans l’intervalle des sessions du Soviet suprême de l’URSS relève de leurs fonctions et nomme les commissaires du peuple de l’URSS sur la proposition du président du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, sous réserve de l’approbation ultérieure du Soviet suprême de l’URSS ;
    g) décerne les décorations et confère les titres honorifiques de l’URSS ;
    h) exerce le droit de grâce ;
    i) nomme et relève le haut commandement des forces armées de l’URSS ;
    j) dans l’intervalle des sessions du Soviet suprême de l’URSS proclame l’état de guerre en cas d’agression militaire contre l’URSS ou en cas de nécessité d’exécuter des engagements découlant des accords internationaux pour la défense mutuelle contre l’agression ;
    k) ordonne la mobilisation générale ou partielle ;
    l) ratifie les traités internationaux ;
    m) nomme et rappelle les représentants plénipotentiaires de l’URSS dans les États étrangers ;
    n) reçoit les lettres de créance et de rappel des représentants diplomatiques des États étrangers accrédités auprès de lui.

    Article 50.

    Le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités élisent des commissions des mandats, qui vérifient les pouvoirs des députés de chaque chambre. Sur proposition de la commission des mandats, les chambres décident soit de reconnaître les pouvoirs des députés, soit de casser leur élection.

    Article 51.

    Le Soviet suprême de l’URSS nomme, lorsqu’il le juge nécessaire, des commissions d’enquête et de révision pour toute question.

    Toutes les institutions et tous les fonctionnaires publics sont tenus de se conformer aux demandes de ces commissions, et de leur présenter les matériaux et documents nécessaires.

    Article 52.

    Un député du Soviet suprême de l’URSS ne peut être poursuivi devant la justice ni arrêté sans l’assentiment du Soviet suprême de l’URSS et, dans l’intervalle des sessions du Soviet suprême de l’URSS, sans l’assentiment du présidium du Soviet suprême de l’URSS.

    Article 53.

    A l’expiration des pouvoirs du Soviet suprême de l’URSS, ou en cas de sa dissolution avant le terme de sa législature, le présidium du Soviet suprême de l’URSS conserve ses pouvoirs jusqu’à la formation d’un nouveau présidium du Soviet suprême de l’URSS par le Soviet suprême de l’URSS nouvellement élu.

    Article 54.

    A l’expiration des pouvoirs du Soviet suprême de l’URSS ou dans le cas de sa dissolution avant le terme de sa législature, le présidium du Soviet suprême de l’URSS fixe de nouvelles élections dans un délai de deux mois au plus, à partir du jour de l’expiration des pouvoirs ou de la dissolution du Soviet suprême de l’URSS.

    Article 55.

    Le Soviet suprême de l’URSS nouvellement élu est convoqué par le présidium du précédent Soviet suprême de l’URSS un mois au plus tard après les élections.

    Article 56.

    Le Soviet suprême de l’URSS forme en séance commune des deux chambres le gouvernement de l’URSS : le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Titre IV.
    Organes supérieurs du pouvoir d’État des républiques fédérées.

    Article 57.

    L’organe supérieur du pouvoir d’État de la République fédérée est le Soviet suprême de la République fédérée.

    Article 58.

    Le Soviet suprême de la République fédérée est élu par les citoyens de la République pour une durée de quatre ans. Les normes de représentation sont établies par les Constitutions des Républiques fédérées.

    Article 59.

    Le Soviet suprême de la République fédérée est l’unique organe législatif de la République.

    Article 60.

    Le Soviet suprême de la République fédérée :

    a) adopte la Constitution de la République et y apporte des modifications conformément à l’article 16 de la Constitution de l’URSS ;
    b) ratifie les Constitutions des Républiques autonomes qui en font partie et détermine les frontières de leur territoire ;
    c) approuve le plan de l’économie nationale et le budget de la République ;
    d) exerce le droit d’amnistie et de grâce envers les citoyens condamnés par les organes judiciaires de la République fédérée.

    Article 61.

    Le Soviet suprême de la République fédérée élit le présidium du Soviet suprême de la République fédérée, composé du président du présidium du Soviet suprême de la République fédérée, de ses vice-présidents, du secrétaire du présidium et des membres du présidium du Soviet suprême de la République fédérée. Les pouvoirs du présidium du Soviet suprême de la République fédérée sont déterminés par la Constitution de la République fédérée.

    Article 62.

    Pour diriger les séances, le Soviet suprême de la République fédérée élit son président et des vice-présidents.

    Article 63.

    Le Soviet suprême de la République fédérée forme le gouvernement de la République fédérée : le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée.

    Titre V.
    Organes de l’administration d’État de l’URSS.

    Article 64.

    L’organe exécutif et administratif supérieur du pouvoir d’État de l’Union des Républiques socialistes soviétiques est le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 65.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS est responsable devant le Soviet suprême de l’URSS et lui rend compte de son activité, et, dans les intervalles des sessions du Soviet suprême, devant le présidium du Soviet suprême, auquel il rend compte de son activité.

    Article 66.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS édicte des arrêtés et des décisions sur la base et en exécution des lois en vigueur, et en contrôle l’exécution.

    Article 67.

    Les arrêtés et décisions du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS doivent être obligatoirement exécutés sur tout le territoire de l’URSS.

    Article 68.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS :
    a) assure l’unité et dirige l’activité des commissariats du peuple, fédéraux et fédéraux républicains de l’URSS, et des autres institutions économiques et culturelles relevant du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS ;
    b) prend des mesures pour l’exécution du plan de l’économie nationale, du budget de l’État et pour l’affermissement du système monétaire et de crédit ;
    c) prend des mesures pour assurer l’ordre public, la défense des intérêts de l’État et la protection des droits des citoyens ;
    d) exerce la direction générale dans le domaine des relations avec les États étrangers ;
    e) fixe les contingents annuels des citoyens devant être appelés au service militaire actif, dirige l’organisation générale des forces armées du pays ;
    f) forme, en cas de nécessité, des comités spéciaux et des directions générales près le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, pour les questions d’organisation économique, culturelle et de la défense.

    Article 69.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS a le droit, pour les branches d’administration et d’économie qui sont de la compétence de l’URSS, de suspendre les arrêtés et décisions des Conseils des commissaires du peuple des Républiques fédérées et d’annuler les ordres et instructions des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 70.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS est formé par le Soviet suprême de l’URSS, comme suit :
    Le président du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS ;
    les vice-présidents du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS ;
    le président de la Commission du plan d’État de l’URSS ;
    le président de la Commission de contrôle soviétique ;
    les commissaires du peuple de l’URSS ;
    le président du comité des stockages ;
    le président du comité des arts ;
    le président du comité pour les écoles supérieures.

    Article 71.

    Le gouvernement de l’URSS ou le commissaire du peuple de l’URSS saisis d’une interpellation émanant d’un député du Soviet suprême de l’URSS, sont tenus, dans un délai de trois jours au plus, de répondre verbalement ou par écrit devant la chambre correspondante.

    Article 72.

    Les commissaires du peuple de l’URSS dirigent les branches de l’administration d’État qui sont de la compétence de l’URSS.

    Article 73.

    Les commissaires du peuple de l’URSS édictent, dans les limites de la compétence des commissariats du peuple respectifs, des ordres et instructions sur la base et en exécution des lois en vigueur, ainsi que des arrêtés et décisions du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et contrôlent leur exécution.

    Article 74.

    Les commissariats du peuple de l’URSS, sont ou bien fédéraux ou bien fédéraux républicains.

    Article 75.

    Les commissariats du peuple fédéraux dirigent sur tout le territoire de l’URSS, soit directement, soit par des organes nommés par eux, la branche de l’administration d’État qui leur est confiée.

    Article 76.

    Les commissariats du peuple fédéraux républicains en règle générale dirigent la branche de l’administration d’État qui leur est confiée, par l’intermédiaire des commissariats du peuple de même nom dans les Républiques fédérées et n’administrent directement qu’un nombre déterminé et limité d’entreprises, conformément à une liste sanctionnée par le présidium du Soviet suprême de l’URSS.

    Article 77.

    Les commissariats du peuple fédéraux sont ceux :
    de la Défense ;
    des Affaires étrangères ;
    du Commerce extérieur ;
    des Voies de communication ;
    des PTT ;
    des Transports par eau ;
    de l’Industrie lourde ;
    de l’Industrie de la défense.

    Article 78.

    Les commissariats du peuple fédéraux républicains sont ceux :
    de l’Industrie alimentaire ;
    de l’Industrie légère ;
    de l’Industrie forestière ;
    de l’Agriculture ;
    des Sovkhozes de céréales et d’élevage ;
    des Finances ;
    du Commerce intérieur ;
    des Affaires intérieures ;
    de la Justice ;
    de la Santé publique.

    Titre VI.
    Organes de l’administration d’État
    des républiques fédérées.

    Article 79.

    L’organe exécutif et administratif supérieur du pouvoir d’État de la République fédérée est le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée.

    Article 80.

    Le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée est responsable devant le Soviet suprême de la République fédérée et lui rend compte de son activité, et, dans les intervalles des sessions du Soviet suprême de la République fédérée, devant le présidium du Soviet suprême de la République fédérée, auquel il rend compte de son activité.

    Article 81.

    Le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée édicte des arrêtés et décisions sur la base et en exécution des lois en vigueur dans l’URSS et dans la République fédérée, des arrêtés et décisions du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et contrôle leur exécution.

    Article 82.

    Le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée a le droit de suspendre les arrêtés et décisions des Conseils des commissaires du peuple des Républiques autonomes et d’annuler les décisions et arrêtés des comités exécutifs des soviets de députés des travailleurs des territoires, régions et régions autonomes.

    Article 83.

    Le Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée est formé par le Soviet suprême de la République fédérée, comme suit :

    Le président du Conseil des commissaires du peuple de la République fédérée ;
    les vice-présidents ;
    le président de la Commission du plan d’État ;
    les commissaires du peuple :
    – de l’Industrie alimentaire ;
    – de l’Industrie légère ;
    – de l’Industrie forestière ;
    – de l’Agriculture ;
    – des Sovkhozes de céréales et d’élevage ;
    – des Finances ;
    – du Commerce intérieur ;
    – des Affaires intérieures ;
    – de la Justice ;
    – de la Santé publique ;
    – de l’Instruction publique ;
    – de l’Industrie locale ;
    – de l’Economie municipale ;
    – de la Prévoyance sociale ;
    le délégué du comité des stockages ;
    le chef de l’administration des arts ;
    les délégués des commissariats du peuple fédéraux.

    Article 84.

    Les commissaires du peuple de la République fédérée dirigent les branches de l’administration d’État qui sont de la compétence de la République fédérée.

    Article 85.

    Les commissaires du peuple de la République fédérée édictent, dans les limites de la compétence des commissariats du peuple respectifs, des ordres et instructions sur la base et en exécution des lois de l’URSS et de la République fédérée, des ordres et instructions des commissariats du peuple fédéraux républicains de l’URSS.

    Article 86.

    Les commissariats du peuple de la République fédérée sont fédéraux républicains et républicains.

    Article 87.

    Les commissariats du peuple fédéraux républicains dirigent la branche de l’administration d’État qui leur est confiée, relevant aussi bien du conseil des Commissaires du peuple de la République fédérée, que du commissariat du peuple fédéral républicain correspondant de l’URSS.

    Article 88.

    Les commissariats du peuple républicains dirigent la branche de l’administration d’État qui leur est confiée, relevant directement du conseil des commissaires du peuple de la République fédérée.

    Titre VII.
    Organes supérieurs du pouvoir d’État des Républiques socialistes soviétiques autonomes.

    Article 89.

    L’organe supérieur du pouvoir d’État de la République autonome est le Soviet suprême de la RSSA.

    Article 90.

    Le Soviet suprême de la République autonome est élu pour une durée de quatre ans par les citoyens de la République d’après les normes de représentation établies par la Constitution de la République autonome.

    Article 91.

    Le Soviet suprême de la République autonome est l’unique organe législatif de la RSSA.

    Article 92.

    Chaque République autonome a sa Constitution qui tient compte des particularités de la République autonome, et est établie en pleine conformité avec la Constitution de la République fédérée.

    Article 93.

    Le Soviet suprême de la République autonome élit le présidium du Soviet suprême de la République autonome et forme le Conseil des commissaires du peuple de la République autonome, conformément à sa Constitution.

    Titre VIII.
    Organes locaux du pouvoir d’État.

    Article 94.

    Les organes du pouvoir d’État dans les territoires, régions, régions autonomes, arrondissements, districts, villes, localités rurales (stanitsas, villages, hameaux, kichlaks, aouls) sont les soviets de députés des travailleurs.

    Article 95.

    Les soviets de députés des travailleurs des territoires, régions, régions autonomes, arrondissements, districts, villes, localités rurales (stanitsas, villages, hameaux, kichlaks, aouls), sont élus pour une durée de deux ans respectivement par les travailleurs du territoire, de la région, de la région autonome, de l’arrondissement, du district, de la ville, de la localité rurale.

    Article 96.

    Les normes de représentation pour les soviets de députés des travailleurs sont fixées par les Constitutions des Républiques fédérées.

    Article 97.

    Les soviets de députés des travailleurs dirigent l’activité des organes de l’administration qui leur sont subordonnés, assurent le maintien de l’ordre public, l’observation des lois et la protection des droits des citoyens, dirigent l’édification économique et culturelle locale, établissent le budget local.

    Article 98.

    Les soviets de députés des travailleurs prennent des décisions et donnent des ordres dans les limites des droits que leur confèrent les lois de l’URSS et de la République fédérée.

    Article 99.

    Les organes exécutifs et administratifs des soviets de députés des travailleurs des territoires, régions, régions autonomes, arrondissements, districts, villes et villages, sont les comités exécutifs élus par les soviets, et composés d’un président, de vice-présidents, d’un secrétaire et de membres.

    Article 100.

    Dans les petites agglomérations, l’organe exécutif et administratif des soviets ruraux de députés des travailleurs, conformément aux Constitutions des Républiques fédérées, est représenté par le président, le vice-président et le secrétaire, élus par le soviet.

    Article 101.

    Les organes exécutifs des soviets de députés des travailleurs rendent directement compte de leur activité aussi bien au soviet de députés des travailleurs qui les a élus, qu’à l’organe exécutif du soviet de député des travailleurs, qui lui est supérieur.

    Titre IX.
    Tribunaux et parquet.

    Article 102.

    La justice en URSS est rendue par la Cour suprême de l’URSS par les cours suprêmes des Républiques fédérées, par les tribunaux des territoires et des régions, par les tribunaux des Républiques autonomes, des régions autonomes et des districts, par les tribunaux spéciaux de l’URSS institués sur décisions du Soviet suprême de l’URSS, par les tribunaux populaires.

    Article 103.

    L’audition des affaires dans tous les tribunaux a lieu avec la participation des assesseurs populaires, sauf les cas spécialement prévus par la loi.

    Article 104.

    La Cour suprême de l’URSS est l’organe judiciaire supérieur. La Cour suprême de l’URSS est chargée du contrôle de l’activité judiciaire de tous les organes judiciaires de l’URSS et des Républiques fédérées.

    Article 105.

    La Cour suprême de l’URSS et les tribunaux spéciaux de l’URSS sont élus par le Soviet suprême de l’URSS pour une durée de cinq ans.

    Article 106.

    Les cours suprêmes des Républiques fédérées sont élues par les Soviets suprêmes des Républiques fédérées pour une durée de cinq ans.

    Article 107.

    Les cours suprêmes des Républiques autonomes sont élues par les Soviets suprêmes des Républiques autonomes pour une durée de cinq ans.

    Article 108.

    Les tribunaux des territoires et des régions, les tribunaux des régions autonomes, les tribunaux des districts, sont élus par les soviets de députés des travailleurs des territoires, régions ou districts, ou bien par les soviets de députés des travailleurs des régions autonomes, pour une durée de cinq ans.

    Article 109.

    Les tribunaux populaires sont élus par les citoyens du rayon au suffrage universel, direct et égal, au scrutin secret, pour une durée de trois ans.

    Article 110.

    La procédure judiciaire se fait dans la langue de la République fédérée ou autonome ou de la région autonome, toute possibilité étant assurée aux personnes ne possédant pas cette langue, de prendre entièrement connaissance du dossier par un interprète et d’user du droit de s’exprimer à l’audience du tribunal dans leur langue maternelle.

    Article 111.

    Les débats dans tous les tribunaux de l’URSS sont publics, sauf les exceptions prévues par la loi, et le droit de défense est assuré à l’accusé.

    Article 112.

    Les juges sont indépendants et ne relèvent que de la loi.

    Article 113.

    La surveillance suprême quant à la stricte exécution des lois par tous les commissariats du peuple et les institutions qui leur sont subordonnées, ainsi que par les fonctionnaires publics et les citoyens de l’URSS incombe au procureur de l’URSS.

    Article 114.

    Le procureur de l’URSS est nommé par le Soviet suprême de l’URSS pour une durée de sept ans.

    Article 115.

    Les procureurs des Républiques, territoires, régions, ainsi que les procureurs des Républiques autonomes et régions autonomes sont nommés par le procureur de l’URSS pour une durée de cinq ans.

    Article 116.

    Les procureurs de district, de rayon et de ville sont nommés par les procureurs des Républiques fédérées pour une durée de cinq ans avec l’approbation du procureur de l’URSS.

    Article 117.

    Les organes du parquet exercent leurs fonctions indépendamment des organes locaux du pouvoir quels qu’ils soient et ne relèvent que du procureur de l’URSS.

    Titre X.
    Droits et devoirs fondamentaux des citoyens.

    Article 118.

    Les citoyens de l’URSS ont droit au travail, c’est-à-dire le droit de recevoir un emploi garanti, avec rémunération de leur travail, selon sa quantité et sa qualité. Le droit au travail est assuré par l’organisation socialiste de l’économie nationale, par la croissance continue des forces productives de la société soviétique, par l’élimination de la possibilité des crises économiques et par la liquidation du chômage.

    Article 119.

    Les citoyens de l’URSS ont droit au repos. Le droit au repos est assuré par la réduction de la journée de travail à sept heures pour l’immense majorité des ouvriers, par l’établissement de congés annuels pour les ouvriers et les employés avec maintien du salaire, par l’affectation aux besoins des travailleurs d’un vaste réseau de sanatoria, de maisons de repos, de clubs.

    Article 120.

    Les citoyens de l’URSS ont le droit d’être assurés matériellement dans leur vieillesse, ainsi qu’en cas de maladie et de perte de la capacité de travail. Ce droit est garanti par un vaste développement de l’assurance sociale des ouvriers et des employés aux frais de l’État, par le secours médical gratuit pour les travailleurs, par la mise à la disposition des travailleurs d’un réseau de stations de cure.

    Article 121.

    Les citoyens de l’URSS ont droit à l’instruction. Ce droit est assuré par l’instruction primaire générale et obligatoire, par la gratuité de l’enseignement, y compris l’enseignement supérieur, par un système de bourses d’État dont bénéficie l’immense majorité des élèves des écoles supérieures, par l’enseignement à l’école donné dans la langue maternelle, par l’organisation de l’enseignement gratuit, professionnel, technique et agronomique pour les travailleurs dans les usines, les sovkhozes, les stations de machines et de tracteurs et les kolkhozes.

    Article 122.

    Des droits égaux à ceux de l’homme sont donnés à la femme, en URSS dans tous les domaines de la vie économique, publique, culturelle, sociale et politique. La possibilité de réaliser tous ces droits des femmes est assurée par l’octroi à la femme de droits égaux à ceux de l’homme quant au travail, au salaire, au repos, aux assurances sociales et à l’instruction, par la protection par l’État des intérêts de la mère et de l’enfant, par l’octroi à la femme de congés de grossesse, avec maintien du salaire, par un vaste réseau de maternités, de crèches et de jardins d’enfants.

    Article 123.

    L’égalité en droits des citoyens de l’URSS sans distinction de nationalité et de race, dans tous les domaines de la vie économique, publique, culturelle, sociale et politique est une loi immuable. Toute restriction directe ou indirecte aux droits, ou inversement, l’établissement de privilèges directs ou indirects pour les citoyens selon la race et la nationalité à laquelle ils appartiennent, de même que toute propagande d’exclusivisme ou de haine et de dédain racial ou national, sont punis par la loi.

    Article 124.

    Afin d’assurer aux citoyens la liberté de conscience, l’Église en URSS est séparée de l’État, et l’école de l’Église. La liberté de pratiquer les cultes religieux et la liberté de propagande antireligieuse sont reconnues à tous les citoyens.

    Article 125.

    Conformément aux intérêts des travailleurs et afin d’affermir le régime socialiste, sont garanties par la loi aux citoyens de l’URSS :
    a) la liberté de parole,
    b) la liberté de la presse,
    c) la liberté des réunions et des meetings,
    d) la liberté de cortèges et démonstrations de rue.

    Ces droits des citoyens sont assurés par la mise à la disposition des travailleurs et de leurs organisations, des imprimeries, de stocks de papier, des édifices publics, des rues, des services des PTT, et autres conditions matérielles nécessaires à la réalisation de ces droits.

    Article 126.

    Conformément aux intérêts des travailleurs et afin de développer l’initiative des masses populaires en matière d’organisation, ainsi que leur activité politique, le droit est assuré aux citoyens de l’URSS de s’associer en organisations sociales : syndicats professionnels, unions coopératives, organisations de la jeunesse, organisations sportives et de défense, sociétés culturelles, techniques et scientifiques, alors que les citoyens les plus actifs et les plus conscients de la classe ouvrière et des autres couches de travailleurs s’unissent dans le Parti communiste de l’URSS, qui est l’avant-garde des travailleurs dans leur lutte pour l’affermissement et le développement du régime socialiste et qui représente le noyau dirigeant de toutes les organisations de travailleurs, tant sociales que d’État.

    Article 127.

    L’inviolabilité de la personne est garantie aux citoyens de l’URSS. Nul ne peut être mis en état d’arrestation, autrement que par décision du tribunal ou sur sanction du procureur.

    Article 128.

    L’inviolabilité du domicile des citoyens et le secret de la correspondance sont protégés par la loi.

    Article 129.

    L’URSS accorde le droit d’asile aux citoyens étrangers persécutés pour la défense des intérêts des travailleurs ou pour leur activité scientifique, ou bien pour la lutte en faveur de la libération nationale.

    Article 130.

    Chaque citoyen de l’URSS est tenu d’observer la Constitution de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, d’exécuter les lois, d’observer la discipline du travail, de remplir honnêtement son devoir social, de respecter les règles de la vie en société socialiste.

    Article 131.

    Tout citoyen de l’URSS est tenu de sauvegarder et d’affermir la propriété commune, socialiste, qui est la base sacrée et inviolable du régime soviétique, la source de la richesse et de la puissance de la patrie, la source d’une vie aisée et cultivée pour tous les travailleurs. Les personnes qui attentent à la propriété sociale, socialiste, sont les ennemis du peuple.

    Article 132.

    Le service militaire général est une obligation. Le service militaire dans l’armée rouge ouvrière et paysanne est un devoir d’honneur pour les citoyens de l’URSS.

    Article 133.

    La défense de la patrie est le devoir sacré de tout citoyen de l’URSS. La trahison de la patrie : la violation du serment, le passage à l’ennemi, le préjudice porté à la puissance militaire de l’État, l’espionnage sont punis selon toute la rigueur de la loi comme le pire forfait.

    Titre XI.
    Système électoral.

    Article 134.

    Les élections des députés à tous les soviets de députés des travailleurs : Soviet suprême de l’URSS, soviets suprêmes des Républiques fédérées, soviets de députés des travailleurs des territoires et régions, soviets suprêmes des Républiques autonomes, soviets de députés des travailleurs des régions autonomes, soviets de députés des travailleurs des districts, rayons, villes et localités rurales (stanitsas, villages, hameaux, kichlaks, aouls), se font par les électeurs au suffrage universel, égal et direct, au scrutin secret.

    Article 135.

    Les élections des députés se font au suffrage universel : tous les citoyens de l’URSS ayant atteint l’âge de 18 ans, indépendamment de la race ou de la nationalité à laquelle ils appartiennent, de leur religion, du degré de leur instruction, de leur résidence, de leur origine sociale, de leur situation matérielle et de leur activité passée, ont le droit de prendre part aux élections des députés et d’être élus, à l’exception des aliénés et des personnes condamnées par le tribunal à une peine portant privation des droits électoraux.

    Article 136.

    Les élections des députés se font au suffrage égal : chaque citoyen a une voix ; tous les citoyens prennent part aux élections sur la base de l’égalité.

    Article 137.

    Les femmes jouissent du droit d’élire et d’être élues à l’égal des hommes.

    Article 138.

    Les citoyens servant dans l’Armée rouge jouissent du droit d’élire et d’être élus à l’égal de tous les citoyens.

    Article 139.

    Les élections des députés se font au suffrage direct : les élections à tous les soviets de députés des travailleurs, depuis les soviets de députés des travailleurs des localités rurales et de villes jusqu’au Soviet suprême de l’URSS, se font par les citoyens directement, au suffrage direct.

    Article 140.

    Aux élections des députés le scrutin est secret.

    Article 141.

    Aux élections les candidatures sont présentées par circonscriptions électorales. Le droit de présenter des candidats est garanti aux organisations sociales et aux associations de travailleurs : aux organisations du parti communiste, aux syndicats, aux sociétés coopératives, aux organisations de la jeunesse, aux sociétés culturelles.

    Article 142.

    Chaque député est tenu de rendre compte aux électeurs de son travail et du travail du soviet de députés des travailleurs et peut être rappelé à tout moment sur décision de la majorité des électeurs selon la procédure établie par la loi.

    Titre XII.
    Armes, drapeau, capitale.

    Article 143.

    Les armes d’État de l’Union des Républiques socialistes soviétiques se composent d’une faucille et d’un marteau sur le globe terrestre, baignés des rayons du soleil et encadrés d’épis, avec inscription dans les langues des Républiques fédérées : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Au haut des armes se trouve une étoile à cinq branches. Le rapport de la largeur à la longueur est de 1:2.

    Article 144.

    Le drapeau d’État de l’Union des Républiques socialistes soviétiques est une laize d’étoffe rouge, dans l’angle supérieur de laquelle, près de la hampe, sont présentés une faucille et un marteau dorés, surmontés d’une étoile rouge à cinq branches bordée d’or.

    Article 145.

    La capitale de l’Union des Républiques socialistes soviétiques est la ville de Moscou.

    Titre XIII.
    Révision de la Constitution.

    Article 146.

    La Constitution de l’URSS ne peut être modifiée que par décision du Soviet suprême de l’URSS, adoptée à une majorité d’au moins les 2/3 des voix dans chacune de ses chambres.

    =>Retour au dossier sur les constitutions soviétiques de 1924 et 1936

  • Constitution de l’URSS de 1924

    Le Comité central exécutif de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, proclamant solennellement le caractère inébranlable des principes du pouvoir soviétique, en exécution de la décision du premier congrès des Soviets de l’Union et sur la base de la Convention relative à la formation de l’Union (approuvée à Moscou le 30 décembre 1922 au premier congrès des Soviets de l’Union), prenant en considération les amendements et modifications proposés par les Comités centraux exécutifs des républiques fédérées, décrète : La déclaration relative à la formation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques et la convention ayant le même objet constituent la loi fondamentale (Constitution) de l’URSS.

    Première partie.
    Déclaration relative à la formation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

    Depuis la formation des Républiques soviétiques, les États du monde se sont divisés en deux camps : le camp du capitalisme et le camp socialiste.

    D’un côté, dans le camp du capitalisme, les haines et les inégalités nationales, l’esclavage colonial et le chauvinisme, l’oppression des nationalités et les pogroms, l’impérialisme bestial et les guerres. Ici, dans le camp du socialisme, la confiance réciproque et la paix, la liberté et l’égalité des nationalités, la coexistence pacifique et la collaboration fraternelle des peuples.

    Les efforts du monde capitaliste pendant des dizaines d’années pour résoudre le problème des nationalités en conciliant le libre développement des peuples avec l’exploitation de l’homme par l’homme se sont montrés impuissants. L’écheveau des contradictions nationales s’est, au contraire, de plus en plus embrouillé, menaçant l’existence même du capitalisme. La bourgeoisie s’est montrée incapable d’organiser la collaboration des peuples.

    C’est seulement dans le camp des Soviets, grâce à la dictature du prolétariat qui à groupé autour d’elle la majorité de la population, qu’il est apparu possible d’anéantir dans sa racine l’oppression des nationalités, de créer une atmosphère de confiance réciproque et de poser les fondements d’une collaboration fraternelle des peuples.

    C’est seulement grâce à cet ensemble de conditions que les Républiques soviétiques ont réussi à repousser les attaques des impérialistes du monde entier tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, à liquider la guerre civile, à assurer leur propre existence et à procéder pacifiquement à l’oeuvre constructive de leur organisation économique.

    Mais les années de guerre ne se sont pas écoulées sans laisser de traces.

    Les champs dévastés, les usines fermées, les forces productives
    désorganisées et les ressources économiques épuisées, tel est l’héritage de la guerre, en présence duquel les efforts isolés des diverses Républiques pour l’oeuvre de reconstruction économique s’avèrent insuffisants.

    La restauration de l’économie populaire apparaît impossible, tant que les diverses Républiques resteront isolées. D’autre part, l’instabilité de la situation internationale et le danger de nouvelles invasions nécessitent la formation d’un front unique des Républiques soviétiques en face de l’encerclement capitaliste.

    Enfin, la structure même du pouvoir soviétique international, de par son caractère de classe, pousse les masses laborieuses des Républiques soviétiques à s’unir en une seule famille socialiste.

    Tout cet ensemble de circonstances exige impérieusement la réunion des Républiques socialistes en un État fédéral, capable de garantir la sécurité extérieure, le progrès économique à l’intérieur et le libre développement national des peuples. 

    La volonté des divers peuples des Républiques soviétiques, qui s’est exprimée récemment dans les congrès de leurs Soviets et qui s’est prononcée à l’unanimité pour la formation d’une Union des Républiques soviétiques, est un sûr garant que l’Union traduit la libre volonté de peuples égaux en droit, qu’à chaque République est assuré le droit de sortir librement de l’Union, que toutes les Républiques socialistes soviétiques présentes ou futures ont le droit d’accéder à l’Union, que le nouvel État fédéral sera le digne couronnement des principes de coexistence pacifique et de collaboration fraternelle des peuples posés dès le mois d’octobre 1917, qu’il servira de solide rempart contre le capitalisme mondial et marquera un nouveau pas décisif dans la voie de l’unification des travailleurs de tous les pays en une République soviétique socialiste universelle.

    Deuxième partie.
    Convention de formation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

    La République socialiste fédérative des Soviets de Russie (RSFSR), la République socialiste soviétique d’Ukraine (RSSU),la République socialiste soviétique de Biélorussie (RSSB), et la République socialiste fédérative des Soviets de Transcaucasie (ZSFSR), composée de la République socialiste soviétique de l’Azerbaïdjan, de la République socialiste soviétique de Géorgie et de la République socialiste soviétique d’Arménie, s’unissent pour former un État fédéral : l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).

    [La République socialiste soviétique de Turkménie et la République socialiste soviétique d’Ouzbékie sont devenues membres de l’URSS à la suite du 3e congrès des soviets de l’Union. Révision du 20 mai 1925.]

    Titre premier.
    De la compétence des organes supérieurs de l’URSS.

    Article premier.

    Sont de la compétence des organes supérieurs de l’Union :
    a. La représentation de l’Union dans les relations internationales, la conduite de toutes les affaires diplomatiques, la conclusion de tous accords politiques ou autres avec les États étrangers ;
    b. La modification des frontières extérieures de l’Union, ainsi que le règlement des questions de modification des frontières entre les républiques fédérées ;
    c. La conclusion de traités d’admission de républiques nouvelles dans l’Union ;
    d. La déclaration de la guerre et la conclusion de la paix ;
    e. Le droit de contracter tous emprunts extérieurs ou intérieurs au nom de l’URSS et l’autorisation de tous emprunts extérieurs ou intérieurs à contracter par les républiques fédérées ;
    f. La ratification des traités internationaux ;
    g. La direction générale du commerce extérieur et l’établissement du système de commerce intérieur ;
    h. L’établissement des principes et du plan général de toute la vie économique de l’Union, la détermination des branches d’industries et des entreprises industrielles particulières qui intéressent l’ensemble de l’Union, la conclusion des contrats de concession soit au nom de l’Union, soit au nom d’une des républiques fédérées ;
    i. La direction générale des affaires de transport et des postes et télégraphes ;
    j. L’organisation et la direction générale des forces armées de l’URSS ;
    k. L’application du budget unique de l’URSS comprenant les budgets des républiques fédérées ; la fixation des impôts et revenus communs, ainsi que des reversements et suppléments destinés à pourvoir les budgets des républiques fédérées ; l’autorisation d’établir des impôts et droits complémentaires pour alimenter les budgets des républiques fédérées ;
    l. L’établissement d’un système monétaire et d’un système de crédit uniques ;
    m. L’établissement de principes communs d’organisation agraire et de jouissance de la terre, ainsi que de la jouissance du sous-sol, des forêts et des eaux sur tout le territoire de l’URSS ;
    n. La législation commune relative aux migrations d’une république à l’autre et l’établissement d’un fonds de colonisation à l’intérieur de l’Union ;
    o. L’établissement des principes de l’organisation judiciaire et de la procédure, ainsi que de la législation civile et criminelle de l’Union ;
    p. L’établissement des lois fondamentales relatives au travail ;
    q. L’établissement de principes généraux en matière d’instruction publique ;
    r. L’établissement de mesures générales pour la sauvegarde de la santé publique ;
    s. L’établissement d’un système de poids et mesures ;
    t. L’organisation d’une statistique pour toute l’Union ;
    u. La législation fondamentale dans le domaine de la citoyenneté fédérale par rapport aux droits des étrangers ;
    v. Le droit d’amnistie étendu à tout le territoire de l’Union ;
    w. L’annulation des décisions des congrès des soviets et des comités centraux exécutifs des républiques fédérées qui violeraient la présente Constitution ;
    x) La solution des questions litigieuses qui pourraient surgir entre les républiques fédérées.

    Article 2.

    La ratification et la modification des principes fondamentaux de la présente Constitution appartiennent exclusivement au congrès des soviets de l’URSS.

    Titre II.
    Des droits souverains des républiques fédérées et de la citoyenneté de l’URSS.

    Article 3.

    La souveraineté des républiques fédérées n’a d’autres limites que celles indiquées dans la présente Constitution et seulement pour les objets réservés à la compétence de l’Union. En dehors de ces limites, chaque république constitue ses pouvoirs publics d’une manière indépendante ; l’URSS garantit les droits souverains des républiques fédérées.

    Article 4.

    À chacune des Républiques fédérées est garanti le droit de sortir librement de l’Union.

    Article 5.

    Les républiques fédérées peuvent introduire des modifications dans leurs lois fondamentales, en se conformant à la présente Constitution.

    Article 6.

    Le territoire des républiques fédérées ne peut être modifié sans leur consentement. De même, pour la modification, la limitation ou l’annulation de l’article 4, le consentement de toutes les républiques qui font partie de l’URSS est exigé.

    Article 7.

    Pour tous les citoyens des républiques fédérées est institué une citoyenneté unique de l’Union.

    Titre III.
    Du congrès des soviets de l’URSS.

    Article 8.

    L’organe politique suprême de l’URSS est constitué par le Congrès des Soviets et, dans l’intervalle des congrès, par le Comité exécutif central de l’URSS, composé du Soviet de l’Union et du Soviet des nationalités.

    Article 9.

    Le Congrès des soviets de l’URSS est composé de représentants des soviets de villes et des soviets d’agglomérations urbaines, à raison d’un député par 25.000 électeurs, et de représentants des congres soviétiques provinciaux, à raison d’un député par 125.000 habitants.

    Article 10.

    Les délégués au congrès des soviets de l’URSS sont élus dans les congrès soviétiques provinciaux. Dans les républiques où il n’y a pas d’organisations provinciales, les délégués sont élus directement par le congrès des soviets de la République.

    Article 11.

    Les congrès ordinaires des soviets de l’URSS sont convoqués une fois par an par le Comité exécutif central de l’URSS ; les Congrès extraordinaires sont convoqués par le Comité exécutif central de l’URSS, soit de sa propre initiative, soit à la la demande du Soviet de l’Union ou du Soviet des nationalités, soit à la demande de deux républiques fédérés.

    Article 12.

    Si des circonstances extraordinaires empêchent de convoquer en temps voulu le congrès des soviets de l’URSS, le Comité exécutif central de l’URSS a le droit d’ajourner la convocation du congrès.

    Titre IV.
    Du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 13.

    Le Comité exécutif central de l’URSS se compose du Soviet de l’Union et du Soviet des nationalités.

    Article 14.

    Le congrès des soviets de l’URSS élit les 371 membres du Soviet de l’Union parmi les représentants des républiques fédérées, proportionnellement à la population de chacune d’elles.

    [Le chiffre des représentants a été porté à 414, par le 2e congrès des soviets de l’URSS, puis à 450 par le 3e congrès qui a ainsi modifié l’article 14, le 20 mai 1925 : « Le nombre en est fixé par le congrès des soviets de l’URSS. » Les 450 délégués étaient ainsi répartis : 300 pour la Russie, 75 pour l’Ukraine, 13 pour la Biélorussie, 30 pour la Transcaucasie, 4 pour le Turkménistan, 16 pour l’Ouzbékistan, plus les 10 commissaires du peuple et les 2 représentants des ambassadeurs à Berlin et à Londres.]

    Article 15.

    Le Soviet des nationalités est formé de représentants des républiques fédérées et des républiques socialistes soviétiques autonomes, à raison de cinq représentants pour chacune, et de représentants des régions autonomes de la RSFSR, à raison d’un représentant pour chacune. La composition du Soviet des nationalités en son ensemble est sanctionnée par le congrès de l’URSS.

    Remarque. Les républiques autonomes d’Adjarie et d’Abkhazie et la région autonome de l’Ossétie méridionale envoient chacune un représentant au Soviet des Nationalités.

    [Les Républiques étaient au nombre de 20 : Russie, Ukraine, Biélorussie, Azerbeidjan, Arménie, Géorgie, Turkménistan, Ouzbékistan, Bachkirs, Bouriates-Mongols, Daghestan, Kirghiz, Crimée, Carélie, Tatars de la Volga, Yakoutes, Allemands de la Volga, Tchouvaches, Moldavie, Tadjjiks. La Crimée et la Moldavie faisaient alors partie de l’Ukraine ; les Tadjiks de l’Ouzbékistan. Le 2e congrès a ajouté les régions de Nagorny-Karabakh et de Nakhitchévan à la remarque, et le 3e congrès a abrogé celle-ci, ainsi que la mention de la RSFSR.]

    Article 16.

    Le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités examinent tous les décrets, codes et règlements dont ils sont saisis par le bureau du Comité exécutif central et par le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, les commissariats du peuple de l’Union pris séparément ou par les comités exécutifs centraux des républiques fédérées, ou qui sont présentés à l’initiative du Soviet de l’Union et du Soviet des nationalités.

    Article 17.

    Le Comité exécutif central de l’URSS promulgue les codes, décrets, arrêtés et ordonnances, coordonne le travail législatif et administratif de l’URSS et détermine la compétence du bureau du Comité exécutif central et du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 18.

    Tous les décrets et arrêtés qui fixent les règles générales de la vie politique et économique de l’URSS, de même que ceux qui introduisent des modifications essentielles dans le fonctionnement des organes gouvernementaux de l’URSS, doivent être obligatoirement soumis à l’examen et à la ratification du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 19.

    Tous les décrets, arrêtés et ordonnances promulgués par le Comité exécutif central doivent être mis immédiatement à exécution sur tout le territoire de l’URSS.

    Article 20.

    Le Comité exécutif central de l’URSS a le droit de suspendre ou d’abroger les décrets, arrêtés et ordonnances du bureau du Comité exécutif central de l’URSS, de même que ceux émanant des congrès des soviets et des comités exécutifs centraux des républiques fédérées et autres organes du pouvoir sur le territoire de l’Union.

    Article 21.

    Les sessions ordinaires du Comité exécutif central de l’URSS sont convoquées par le bureau du Comité exécutif central trois fois par an. Les sessions extraordinaires sont convoquées en vertu d’une décision du bureau du Comité exécutif central de l’URSS sur la demande du bureau, soit du Soviet de l’Union, soit du Soviet des nationalités, ainsi que sur la demande du Comité exécutif central d’une des républiques fédérées.

    Article 22.

    Les projets de lois soumis à l’examen du Comité exécutif central de l’URSS n’acquièrent force de loi qu’après avoir été adoptés tant par le Soviet des nationalités que par celui de l’Union et avoir été publiés au nom du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 23.

    En cas de désaccord entre le Soviet de l’Union et le Soviet des nationalités, la question est soumise à une commission de conciliation constituée par eux.

    Article 24.

    Si l’accord ne peut s’établir au sein de la commission de conciliation, la question est soumise à l’examen des Soviets de l’Union et des Nationalités siégeant ensemble, et si une majorité ne peut être obtenue, soit par le Soviet de l’Union, soit par celui des Nationalités, la question peut être, à la demande de l’un d’eux, renvoyée à la décision d’un congrès ordinaire ou extraordinaire des soviets de l’URSS.

    Article 25.

    Le Soviet de l’Union et celui des Nationalités, élisent chacun un bureau, en vue de préparer leurs sessions et de diriger leurs travaux, à raison de sept membres chacun.
    [Neuf membres, révision du 20 mai 1925.]

    Article 26.

    Dans l’intervalle des sessions du Comité exécutif central de l’URSS, l’organe suprême du pouvoir est le bureau du Comité exécutif central de l’URSS, formé par le Comité exécutif central. Ce bureau comprend 21 membres, y compris les bureaux au complet du Soviet de l’Union et du Soviet des Nationalités.

    Pour la formation du bureau du Comité exécutif central de l’URSS et du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, il est tenu, en vertu des articles 26 et 27 de la présente Constitution, une séance commune du Soviet de l’Union et du Soviet des Nationalités. Le scrutin, à cette séance commune, a lieu séparément pour le Soviet de l’Union et pour le Soviet des Nationalités.
    [Le 2e alinéa a été ajouté par le 2e congrès ; le nombre des membres du bureau porté à 27 par le 3e congrès le 20 mai 1925.]

    Article 27.

    Le Comité exécutif central élit, d’après le nombre des républiques fédérées, les 4 présidents du Comité exécutif central de l’URSS, parmi les membres du bureau du Comité exécutif central de l’URSS.
    [6 présidents, révision du 20 mai 1925.]

    Article 28.

    Le Comité exécutif central de l’URSS est responsable devant le congrès des soviets de l’URSS.

    Titre V.
    Du bureau (présidium) du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 29.

    Dans l’intervalle des sessions du Comité exécutif central de l’Union, le bureau du Comité exécutif central est l’organe suprême législatif, exécutif et administratif.

    Article 30.

    Le bureau du Comité exécutif central de l’URSS veille à l’application de la Constitution de l’URSS et à l’exécution de toutes les décisions du Congrès des Soviets et du Comité exécutif central de l’URSS par tous les agents du pouvoir.

    Article 31.

    Le bureau du Comité exécutif central de l’URSS a le droit de suspendre ou d’abroger les décisions du Conseil des commissaires du peuple et des divers commissariats de l’URSS, ainsi que celles des comités exécutifs centraux et des conseils des commissaires du peuple des républiques fédérées.

    Article 32.

    Le bureau du Comité exécutif central de l’URSS a le droit de suspendre les décisions des congrès des soviets des républiques fédérées, sous réserve de soumettre ultérieurement ces décisions à l’examen et à la ratification du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 33.

    Le bureau du Comité exécutif central de l’URSS promulgue des décrets, arrêtés et ordonnances, examine et ratifie les projets de décrets et de décisions présentés par le Conseil des commissaires du peuple, par les divers départements de l’URSS, par les comités exécutifs centraux des républiques fédérées, par leurs bureaux et les autres organes du pouvoir.

    Article 34.

    Les décrets et arrêtés du Comité exécutif central, de son bureau et du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS sont imprimés dans les langues usuelles des républiques fédérées (russe, ukrainien, biélorusse, géorgien, arménien, turco-tartare).

    Article 35.

    Le bureau du Comité exécutif central de l’URSS tranche les questions relatives aux rapports réciproques entre le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et les commissariats du peuple de l’URSS, d’une part, et les comités exécutifs centraux des républiques fédérées et leurs bureaux, d’autre part.

    Article 36.

    Le bureau du Comité exécutif central est responsable devant le Comité exécutif central de l’URSS.

    Titre VI.
    Du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 37.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS est l’organe exécutif et administratif du Comité exécutif central de l’URSS ; il est formé par le Comité exécutif central de l’URSS et comprend :
    Le président du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS ;
    Les vice-présidents ;
    Le commissaire du peuple aux affaires étrangères ;
    Le commissaire du peuple à la guerre et à la marine ;
    Le commissaire du peuple au commerce extérieur ;
    Le commissaire du peuple aux transports ;
    Le commissaire du peuple aux postes et télégraphes ;
    Le commissaire du peuple à l’inspection ouvrière et paysanne ;
    Le président du conseil supérieur de l’économie nationale ;
    Le commissaire du peuple au travail ;
    Le commissaire du peuple au ravitaillement ;
    Le commissaire du peuple aux finances.
    [Un arrêté du 24 octobre 1924 remplace le commissariat au ravitaillement par un commissariat au commerce intérieur ; un arrêté du 18 novembre 1925 remplace les commissariats au commerce extérieur et au commerce intérieur par un unique commissariat au commerce intérieur et extérieur.]

    Article 38.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, dans les limites des droits qui lui ont été conférés par le Comité exécutif central de l’URSS, et en vertu du règlement sur le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, promulgue les décrets et arrêtés dont l’exécution est obligatoire sur tous les territoires de l’URSS.

    Article 39.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS examine les décrets et les dispositions proposés aussi bien par les comités exécutifs centraux des républiques fédérées et leurs bureaux que par les divers commissariats de l’URSS.

    Article 40.

    Le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS est responsable de toute son activité devant le Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 41.

    Les arrêtés et les ordonnances du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS peuvent être suspendus ou abrogés par le Comité exécutif central de l’URSS ou par son bureau.

    Article 42.

    Les comités exécutifs centraux des républiques fédérées et leurs bureaux peuvent faire appel des décrets et des arrêtés du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS devant le bureau du Comité exécutif central de l’URSS, mais sans en suspendre l’exécution.

    Titre VII.
    Du Tribunal suprême de l’URSS.

    Article 43.

    En vue d’affermir la légalité révolutionnaire sur le territoire de l’URSS, il est institué auprès du Comité exécutif central de l’URSS un Tribunal suprême à la compétence duquel ressortissent :

    a. Les interprétations à fournir aux tribunaux suprêmes des républiques fédérées sur les questions de législation fédérale ;
    b. L’examen des arrêtés, décisions et sentences des tribunaux suprêmes des républiques fédérées et l’appel à former devant le Comité exécutif central de l’URSS, sur la proposition du procureur du Tribunal suprême de l’URSS, contre ces actes, à raison de leur contradiction avec la législation fédéral ou dans la mesure où ils affectent les intérêts des autres républiques ;
    c. L’émission d’avis, à la requête du Comité exécutif central de l’URSS, sur la légalité constitutionnelle de telles ou de telles mesures prises par les républiques fédérées ;
    d. Le règlement des litiges judiciaires entre les républiques fédérées;
    e. L’examen des poursuites ouvertes contre les hauts fonctionnaires de l’Union pour délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

    Article 44.

    Le Tribunal suprême de l’URSS fonctionne de la manière suivante :
    a. En séance plénière du Tribunal suprême de l’URSS ;
    b. En collèges du Tribunal suprême de l’URSS jugeant au civil et au criminel ;
    c. En collège militaire et en collège des transports militaires.

    Article 45.

    Le Tribunal suprême de l’URSS siégeant en séance plénière est formé de onze membres, y compris le président et son assesseur, les quatre présidents des séances plénières des tribunaux suprêmes des républiques fédérées, et un représentant de la direction politique d’État unifiée de l’URSS [plus connue sous le nom abrégé de Guépéou, qui avait remplacé la Tchéka en 1922]. Le président, son assesseur et les cinq autres membres sont nommés par le bureau du Comité exécutif central de l’URSS.
    [Le chiffre 4 a été supprimé et les chiffres 11 et 5 remplacés par 15 et 7, révision du 20 mai 1925.]

    Article 46.

    Le procureur du Tribunal suprême de l’URSS et son substitut sont nommés par le bureau du Comité exécutif central de l’URSS. Le procureur du Tribunal suprême de l’URSS est chargé de donner ses conclusions sur toutes les questions soumises à la décision du Tribunal suprême de l’URSS, de soutenir l’accusation en séance du Tribunal et, en cas de désaccord avec les décisions rendues en séance plénière du Tribunal suprême de l’URSS, de former un pourvoi devant le bureau du Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 47.

    Le droit de soumettre les questions énumérées à l’article 43 à l’examen de la séance plénière du Tribunal suprême de l’URSS ne peut être exercé que sur l’initiative exclusive du Comité exécutif central de l’URSS, de son bureau, du procureur du Tribunal suprême de l’URSS, des procureurs des républiques fédérées et de la direction politique d’État unifiée de l’URSS.

    Article 48.

    Les séances plénières du Tribunal suprême de l’Union constituent des chambres judiciaires spéciales pour l’examen :
    a. Des affaires criminelles et civiles d’importance exceptionnelle dont la matière intéresse deux ou plusieurs républiques fédérées ;
    b. Des affaires où sont impliqués personnellement des membres du Comité exécutif central et du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Le Tribunal suprême de l’URSS ne peut être saisi de ces affaires que par arrêté spécial du Comité exécutif central de l’Union ou de son bureau.

    Titre VIII.
    Des commissariats du peuple de l’URSS.

    Article 49.

    Pour assurer la direction immédiate des diverses branches de l’administration d’État qui rentrent dans la compétence du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, il est institué dix Commissariats du peuple énumérés à l’article 37 de la présente Constitution. Ils agissent sur la base des lois organiques relatives aux commissariats du peuple, ratifiées par le Comité exécutif central de l’URSS.

    Article 50.

    Les commissariats du peuple de l’URSS se divisent en:
    a) Commissariats fédéraux, uniques pour l’ensemble de l’URSS ;
    b) Commissariats de coordination de l’URSS.

    Article 51.

    Les Commissariats fédéraux sont les commissariats du peuple suivants :
    – affaires étrangères ;
    – guerre et la marine ;
    – commerce extérieur ;
    – transports ;
    – postes et télégraphes.

    Article 52.

    Les Commissariats de coordination sont les commissariats du peuple suivants :
    – conseil supérieur de l’économie populaire ;
    – ravitaillement ;
    – travail ;
    – finances ;
    – inspection ouvrière-paysanne.
    [Un arrêté du 24 octobre 1924 remplace le commissariat au ravitaillement par un commissariat au commerce intérieur.]

    Article 53.

    Les Commissariats du peuple fédéraux de l’URSS ont auprès des républiques fédérées leurs délégués, qui leur sont directement subordonnés.

    Article 54.

    Les commissariats de coordination ont pour exécuter leurs directives sur le territoire des républiques fédérées les commissariats du peuple de même dénomination.

    Article 55.

    A la tête des Commissariats du peuple de l’URSS sont placés les commissaires du peuple de l’URSS, membres du Conseil des commissaires du peuple.

    Article 56.

    Auprès de chaque commissaire du peuple, et sous sa présidence, est institué un collège dont les membres sont nommés par le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 57.

    Le commissaire du peuple a le droit de prendre seul des décisions sur toutes les questions soumises à la compétence du commissariat en question, sous réserve de les porter à la connaissance du collège. En cas de désaccord au sujet de telle ou telle décision du commissaire du peuple, le collège ou l’un de ses membres individuellement peuvent, sans que soit suspendue l’exécution de la décision, se pourvoir et interjeter appel devant le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 58.

    Les décisions des divers commissariats du peuple de l’URSS peuvent être annulées par le bureau du Comité exécutif central et par le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS.

    Article 59.

    Les décisions des commissariats du peuple de l’URSS peuvent être suspendues par les Comités exécutifs centraux ou par les bureaux des Comités exécutifs centraux des républiques fédérées, s’il y a contradiction manifeste entre la décision en question et la Constitution de l’Union, la législation de l’Union ou la législation d’une république fédérée. Les Comités exécutifs centraux ou les bureaux des Comités exécutifs centraux des républiques fédérées communiquent immédiatement la suspension de la décision au Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et au commissaire du peuple de l’URSS intéressé.

    Article 60.

    Les commissaires du peuple de l’URSS sont responsables devant le Conseil des commissaires du peuple, le Comité exécutif central de l’URSS et son bureau.

    Titre IX.
    De la Direction politique d’État unifiée.

    Article 61.

    En vue d’unifier les efforts révolutionnaires des républiques fédérées dans leur lutte contre la contre-révolution politique et économique, l’espionnage et le banditisme, il est institué auprès du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS une Direction politique d’État unifiée, dont le président fait partie du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS avec voix consultative.

    Article 62.

    La Direction politique d’État unifiée de l’URSS dirige l’activité des organes locaux de la Direction politique d’État par l’intermédiaire de ses délégués auprès des Conseils des commissariats du peuple des républiques fédérées, lesquels agissent sur la base d’une ordonnance spéciale ratifiée par voie législative.

    Article 63.

    Le contrôle de la légalité des actes de la Direction politique d’État unifiée de l’URSS est exercée par le procureur du Tribunal suprême de l’URSS en vertu d’une disposition spéciale du Comité exécutif central de l’URSS.

    Titre X.
    Des Républiques fédérées.

    Article 64.

    Dans les limites du territoire de chacune des républiques fédérées, l’organe suprême du pouvoir de cette dernière est le Congrès des soviets de la République et, dans les intervalles de ses réunions, son comité exécutif central.

    Article 65.

    Les relations réciproques entre les organes suprêmes du pouvoir des républiques fédérées et les organes du pouvoir de l’URSS sont fixées par la présente Constitution.

    Article 66.

    Les comités exécutifs centraux des républiques fédérées élisent dans leur sein des bureaux qui, dans l’intervalle des sessions des comités exécutifs centraux, sont les organes suprêmes du pouvoir.

    Article 67.

    Les comités exécutifs centraux des républiques fédérées constituent leurs organes exécutifs, à savoir les conseils des commissaires du peuple, de la manière suivante :
    Le président du Conseil des commissaires du peuple ;
    Les vice-présidents ;
    Le président du Conseil supérieur de l’économie populaire ;
    Le commissaire du peuple à l’agriculture ;
    Le commissaire du peuple aux finances ;
    Le commissaire du peuple au ravitaillement ;
    Le commissaire du peuple au travail ;
    Le commissaire du peuple à l’intérieur ;
    Le commissaire du peuple à la justice ;
    Le commissaire du peuple à l’inspection ouvrière et paysanne ;
    Le commissaire du peuple à l’instruction publique ;
    Le commissaire du peuple à la santé publique ;
    Le commissaire du peuple aux assurances sociales,
    ainsi que les délégués des commissaires du peuple de l’URSS aux affaires étrangères, à la guerre et à la marine, au commerce extérieur, aux voies de communication, aux postes et télégraphes, avec voix consultative ou délibérative, selon la décision des Comités exécutifs centraux des républiques fédérées.
    [Un arrêté du 24 octobre 1924 remplace le commissariat au ravitaillement par un commissariat au commerce intérieur ; un arrêté du 18 novembre 1925 remplace les commissariats au commerce extérieur et au commerce intérieur par un unique commissariat au commerce intérieur et extérieur.]

    Article 68.

    Le conseil supérieur de l’économie populaire et les commissariats du peuple au ravitaillement, aux finances, au travail, à l’inspection ouvrière et paysanne des républiques fédérées tout en étant subordonnés aux comités exécutifs centraux et aux conseils des commissaires du peuple des républiques fédérées appliquent les directives des commissariats du peuple correspondants de l’URSS.
    [Un arrêté du 24 octobre 1924 remplace le commissariat au ravitaillement par un commissariat au commerce intérieur.]

    Article 69.

    Le droit d’amnistie, ainsi que le droit de grâce et de réhabilitation, en ce qui concerne les citoyens condamnés par les organes judiciaires et administratifs des républiques fédérées, est réservé aux Comités exécutifs centraux de ces républiques.

    Titre XI.
    Des armes, du drapeau
    et de la capitale de l’URSS.

    Article 70.

    Les armes de l’URSS se composent d’une faucille et d’un marteau sur un globe terrestre éclairé par les rayons du soleil et entouré d’épis ; les épis sont entrelacés de rubans ; sur les branches se trouvent des inscriptions dans les six langues mentionnées à l’article 34 : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Au-dessus des armes est une étoile à cinq branches.

    Article 71.

    Le drapeau de l’URSS est une laize en étoffe rouge (ou vermeil) avec ses armes.

    [L’arrêté du 18 avril 1924 a défini ainsi le drapeau de l’URSS : Laize rouge (ou vermeil) rectangulaire, avec longueur double de la largeur. Dans le coin gauche supérieur une faucille et un marteau dorés, avec un rayon de 1/6 de la largeur de la laize ; au-dessus de la faucille et du marteau, une étoile rouge à cinq branches entourée d’une bordure d’or ; le diamètre de l’étoile est égal à 1/10 de la largeur de la laize.]

    Article 72.

    La capitale de l’URSS est la ville de Moscou.

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