Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La notion de tribunal de classe en URSS socialiste

    Il y a donc le principe de la « preuve formelle », qui s’appuie sur une démarche mécanique des éléments existant dans un procès, et le principe de « l’intime conviction » où le juge évalue prétendument en étant un « homme du commun ».

    Le tribunal soviétique dépasse tant le premier principe que le second. En assumant ouvertement la nature de classe de tout procès, le droit soviétique assume la formulation de preuves sur une base objective, et une analyse de celles-ci en profitant d’une compréhension des tendances propres à cette base objective.

    Andreï Vychinski expose de la manière suivante cette formulation du principe du tribunal de classe du droit soviétique dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.

    « La science de la preuve, ou la théorie de la preuve de la moralité, est universellement reconnue comme la théorie centrale la plus importante de tout droit judiciaire.

    Un certain nombre de processualistes attachent tellement d’importance à cette partie de la science procédurale que l’ensemble du processus se réduit à l’art d’utiliser des preuves (…).

    Mais la « logique du processus pénal » ne peut être réduite aux règles de la collecte et de l’utilisation des preuves, c’est-à-dire à la technique procédurale.

    La logique de la procédure pénale, contraire à l’idée fausse du professeur Vladimirova, est beaucoup plus large que la technique fondée sur des preuves. La logique du processus pénal ne se limite pas à l’aspect juridique formel de la question.

    Dans un tribunal de classe, les processus sont déterminés par l’équilibre réel des forces de classe dans le pays. La logique de la lutte des classes trouve ici inévitablement une expression, subordonnant finalement le cours et l’issue de chaque procès à l’action de ses lois.

    La perception même des faits qui font l’objet d’un contrôle juridictionnel, la compréhension même et l’application des lois juridiques sont soumises aux lois du développement social, à l’influence des relations sociales prévalant dans le pays et aux opinions, idées et idéologies qui en résultent (…).

    La preuve même qui constitue le contenu de la logique de la justice judiciaire n’est pas dépourvue de sa propre logique, causée par les rapports de classe et la lutte de classe, dont l’instrument entre les mains de la classe dirigeante dans une société donnée, c’est le tribunal, le procès et les preuves.

    Dans les voix d’un juge foncier, d’un juge bourgeois, d’un juge officiel, les mêmes faits, les mêmes « preuves » n’ont pas le même sens ni la même force probante. Cela est dû à la différence de classe des juges, à leur psychologie, à leur idéologie, à leurs habitudes, à leur nature de classe (…).

    Il est clair que la « logique du procès » ne se réduit pas aux règles de collecte et d’utilisation des preuves, supposées indépendantes des intérêts de la classe, remplissant le procès de son contenu concret.

    Mais même si la reconnaissance du procès aux règles de collecte et d’évaluation des preuves est reconnue comme correcte, il ne faut pas oublier que ces règles mêmes sont élaborées sous le feu des contradictions de classe et de la lutte des classes et qu’elles ne peuvent donc porter que des traces de leur origine de classe.

    Les règles de procédure prescrivant un certain traitement des faits et dirigeant d’une certaine manière la conscience du juge dans l’évaluation de ces faits sont établies de manière à être le plus rentable et le plus approprié aux yeux du législateur, agissant toujours dans l’intérêt de sa classe.

    Dans le domaine du droit de la preuve, c’est-à-dire des règles qui régissent le processus de collecte et d’évaluation des preuves judiciaires, le rôle déterminant appartient au critère qui constitue la base de cette évaluation.

    Lors de l’évaluation du pouvoir de preuve de l’une ou l’autre des prétendues circonstances d’une affaire, ce critère de classement revêt une extrême importance, qui détermine l’attitude du juge ou de l’enquêteur à l’égard de ces circonstances, qui détermine le point de vue idéologique de l’évaluateur.

    Ce point de vue n’est pas séparable de la personnalité de l’évaluateur, tout comme sa personnalité est indissociable de la classe à laquelle il appartient.

    C’est pourquoi la science de la preuve ne peut être limitée au côté technique des choses.

    Il est faux de penser que le système de preuve, comme tout le droit de la preuve (principes de preuve, méthodes de recherche de preuves, classification des preuves, etc.) dans son ensemble, constitue dans une certaine mesure une catégorie au-delà des classes et apolitique.

    Tout le droit de la preuve est aussi saturé d’esprit de classe que n’importe quelle loi.

    Comme toute loi, il s’agit d’un instrument pointu et subtil entre les mains des classes qui dominent la société: il sert les intérêts de classe complètement et sans partage dans chaque société.

    C’est ici qu’il faut chercher une explication des différences de principes et de théories procédurales à différentes époques de l’histoire, sous la domination de diverses classes sociales.

    Donc les principes de la théorie de la preuve formelle s’expliquent non seulement par le niveau général de l’état mental et moral du servage féodal, mais surtout par les exigences des intérêts de classe des seigneurs féodaux.

    Au contraire, la théorie de la prétendue intime conviction judiciaire libre, dans son interprétation par les avocats bourgeois, exprime les principes de l’ère du capitalisme, exigeant « liberté » et « égalité » (au sens bourgeois de ces concepts) des parties dans le processus d’initiative personnelle contradictoire, expression restreinte de volonté personnelle, semblable à la manière dont elle se déroule dans le domaine de la propriété et des relations économiques, construite sous le signe du principe « laissez faire, laissez passer ».

    Tout tribunal a une base de classe, que ce soit dans la reconnaissance de la preuve, son interprétation, son utilisation. Le droit soviétique a pour cette raison une approche socialiste.

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    de l’État de l’URSS socialiste

  • Le rejet de l’application subjectiviste-réductrice de «l’intime conviction» par le droit de l’URSS socialiste

    La remise en cause du principe de la preuve formelle par la bourgeoisie aboutit à la thèse toujours plus subjectiviste de « l’intime conviction » du juge, qui adopte un point de vue censé être celui de l’homme du commun.

    Voici sa critique par Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.

    « Lorsqu’on analyse le processus d’élaboration d’un droit fondé sur des preuves, marqué par le passage d’un système de preuves formelles à un système dit de libre évaluation des preuves, ou à un système de condamnation judiciaire interne, il ne faut pas perdre de vue les particularités des relations sociopolitiques dans les pays capitalistes de l’époque (…).

    Ce que le juge établit (reconnaît ou affirme) doit être vrai. Mais pour cela, il est nécessaire que le juge lui-même soit convaincu de la réalité des circonstances de l’affaire.

    Le juge, tenant compte des circonstances de l’affaire, formule un avis sur le degré de probabilité ou de fiabilité de l’événement; dans ce cas, le juge peut reconnaître que les circonstances sont valides (le juge est convaincu de sa validité) ou invalides (le juge est convaincu de son invalidité), ou aucune des deux (le juge doute) (…).

    On ne peut que constater l’influence déterminante sur la base de la théorie bourgeoise de l’intime conviction de la philosophie idéaliste, fondée sur les enseignements de Hume, Berkeley, Kant.

    L’influence de cette philosophie, qui nie la possibilité de connaître les « choses en soi », aboutissant à la reconnaissance de la relativité et à l’affirmation de l’impossibilité de connaître le monde extérieur, affecte le champ de la preuve – la fiabilité de la preuve et le contenu de la vérité matérielle.

    Infestés par le subjectivisme philosophique, les tenants de ce processus, à la fin du 19e siècle et surtout au début du 20e siècle, réduisent toute la tâche d’une décision de justice à la confiance subjective d’un juge dans l’exactitude de sa décision.

    Parlant de vérité objective ou matérielle, ils sont loin de reconnaître la possibilité d’établir une vérité absolue et incontestable dans le procès. Ils sont prêts à se contenter d’une affaire plus simple et plus facile : obtenir des impressions imputables, involontaires, intimes, etc.

    Conformément à cet agnosticisme philosophique, des prêtres ou des demi-prêtres légaux bourgeois soutiennent que, dans le domaine de la recherche judiciaire, « il ne peut y avoir aucun doute » qu’un « juge soit obligé, par manque de moyens de la justice humaine, de satisfaire plus ou moins si nécessaire un degré moindre de probabilité », « qu’il n’y a pas de certitude inconditionnelle et qu’elle ne peut pas appartenir à la justice », et que, pour cette raison, une décision de justice ne constitue toujours qu’une approximation de la vérité, car une décision qui épuise complètement l’attitude procédurale – l’idéal de justice – est pratiquement inaccessible.

    À la lumière de telles allégations, la disposition même sur l’établissement de la vérité objective en tant que but du procès semble être très conditionnelle. Cette vérité, avec toute son « objectivité », s’avère très relative, relativement fiable.

    D’où l’affirmation non seulement sur la relativité et les limites de la recherche judiciaire, qui repose avant tout sur une « conviction instinctive » (Vladimirov), sur un minimum de doutes, etc., mais également sur l’affirmation concernant la décision subconsciente ou intuitive de la cour (…).

    La doctrine de la valeur relative d’un élément de preuve pour la justice bourgeoise joue le rôle d’un écran bien connu contre les accusations d’impartialité des peines prononcées et les décisions rendues par les tribunaux bourgeois. En même temps, cet enseignement joue un certain rôle en déguisant l’essence de classe du système de preuves bourgeois et de toute la justice bourgeoise.

    En faisant de « l’intime conviction » un critère de la recherche judiciaire, cet enseignement est formulé en termes de « justice », « moralité », « certitude morale », «morale» (…).

    L’appel à cette « personne moyenne » du droit civil, ainsi qu’à la « personne prudente » du droit de la procédure pénale, a pour objectif de masquer le contenu de classe des lois et de couvrir leur visage de classe avec le masque des intérêts du peuple (…).

    Un « homme prudent » qui, selon sa « conviction » ou sa « conscience », envoie les chômeurs à la guillotine ou aux travaux forcés est le même « bourgeois prudent » que Marx a décrit dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : « Le bourgeois, et avant tout le bourgeois gonflé à la dignité d’homme d’État, complète sa bassesse pratique d’une redondance théorique. »

    La théorie de « l’intime conviction » dans les mains de la bourgeoisie joue exactement ce rôle de « grandiloquence théorique », qui vise à dissimuler la « bassesse pratique » de la bourgeoisie et sa politique judiciaire oppressive.

    En parlant de justice bourgeoise et de juges bourgeois, il ne faut bien sûr pas tomber dans la simplification, présenter le cas de manière à ce que la théorie de « l’intime conviction »soit perçue consciemment par chaque juge bourgeois comme un moyen hypocrite de protéger les intérêts de la bourgeoisie.

    Ce n’est pas le cas. On peut imaginer des juges bourgeois individuels, semblables au héros de Molière qui ne savait pas qu’il faisait de la prose [Monsieur Jourdain dans Le bourgeois gentilhomme], n’avouant même pas que leur « conviction » et leur « justice » sont nourries par le fruit du sol de classe de la société capitaliste.

    Certains d’entre eux pensent consciencieusement qu’ils exercent réellement une fonction socialement utile dans leur activité, qu’ils agissent au nom de « personnes » et des « intérêts du peuple » ; certains – probablement beaucoup – agissent en étant vraiment convaincus (…).

    La théorie de « l’intime conviction » est en harmonie avec l’ensemble du système des rapports sociaux de la société bourgeoise, qui vient alors d’être affirmé et libéré des liens du féodalisme.

    Elle correspondait pleinement aux intérêts de la bourgeoisie qui, au moment de son accession au pouvoir, proclamait largement et à haute voix le principe du « laissez-faire, laissez-passer » comme norme principale de son comportement social et économique, ce qui signifiait la liberté la plus complète possible de l’autodétermination bourgeoise, la liberté illimitée du propriétaire privé (…).

    Cependant, il ne faut pas exagérer l’importance de ce nouveau système de preuves, ni des principes qui le sous-tendent. Les avocats bourgeois essaient de décrire ce système comme le couronnement de la perfection procédurale.

    Ils le décrivent de telle manière qu’il garantirait prétendument l’exercice d’une justice véritable, que le tribunal d’une société capitaliste, utilisant ce système de preuves, ne servirait prétendument pas les intérêts de classe des capitalistes, mais les intérêts de la société tout entière, protégeant la prospérité universelle et non sociale.

    En réalité, la conviction « intime » des juges bourgeois, sur laquelle les érudits bourgeois parlent avec zèle, n’est en rien la conviction d’une personne « prudente » ou « moyenne »; c’est la conviction du bourgeois moyen, exprime les vues, les habitudes, les intérêts du bourgeois en tant que représentant de sa classe.

    Il est formé en dépendance directe des conceptions juridiques dominantes dans la société bourgeoise, qui résultent directement de la nature bourgeoise de la production et des relations économiques. »

    Le droit soviétique ne reconnaît donc pas le principe de l’intime conviction, qui non seulement est un subjectivisme propre à l’approche bourgeoise, mais qui en plus se fonde sur les valeurs d’un « homme du commun » qui est entièrement fictif.

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    de l’État de l’URSS socialiste

  • La lecture historique du droit bourgeois par le droit soviétique

    La théorie de la « preuve formelle » a été l’apanage de l’unification monarchiste à l’encontre de la dispersion féodale. La bourgeoisie l’a remplacée par une approche conforme à sa propre vision du monde. Voici comment la remise en cause s’est présentée historiquement, décrit ici par Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.

    « Vers la première moitié du 19e siècle, la théorie de la preuve formelle a finalement été discréditée et rejetée à la fois par la science du droit et par la jurisprudence.

    La principale raison de cela tenait à la contradiction totale entre la théorie de la preuve formelle et les nouveaux besoins du système capitaliste, les nouvelles idées, les nouveaux points de vue et les nouvelles institutions politiques de l’ère de l’établissement du capitalisme.

    Les changements dans les conditions matérielles de la société, les nouveaux rapports de production qui se sont développés sur la base de la propriété capitaliste des moyens de production ont fondamentalement changé toute la structure de la vie, y compris la structure de la vie spirituelle de la société.

    Le marxisme-léninisme enseigne que « il faut chercher la source de la vie spirituelle de la société, l’origine des idées sociales, des théories sociales, des opinions politiques, des institutions politiques, non pas dans les idées, théories, opinions et institutions politiques elles-mêmes, mais dans les conditions de la vie matérielle de la société, dans l’être social dont ces idées, théories, opinions, etc., sont le reflet » (Staline, Le matérialisme dialectique et historique) (…).

    L’affirmation du système capitaliste et la victoire de la bourgeoisie dans les années 40 du 19e siècle, qui ont provoqué une révolution dans tous les domaines de la science de l’époque, ont également influencé l’idéologie juridique, en particulier le droit de la preuve judiciaire.

    Le développement de l’économie capitaliste et des rapports sociaux, qui ont conduit au développement, dès le début et surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, des sciences historiques, des sciences sociales et philosophiques, avaient enlevé le sol aux alchimistes en quête de la « pierre philosophale », aux charlatans et aux guérisseurs.

    L’état de la pensée juridique et, en particulier, du droit pénal et du droit de la procédure pénale, a jeté à bas le processus de recherche inquisitoriale et sa théorie de la preuve formelle, et ouvert un nouveau chapitre du développement de la société bourgeoise (…).

    Tous ces discours [de Christian Thomasius, Montesquieu, Voltaire, Jacques Pierre Brissot, Gaetano Filangieri] ont préparé l’effondrement final de cette « théorie » [de la preuve formelle], en montrant toutes ses incohérences internes et absurdités au moyen les exigences de la « raison » et de la « conscience » humaines, c’est-à-dire les exigences de la société capitaliste.

    Ces discours en matière de droit pénal et de procédure pénale ont joué le même rôle que les idées des grands éducateurs du XVIIIe siècle, qui ont préparé les esprits et les vues des peuples aux victoires de la Révolution française de 1789.

    Sous l’influence de l’évolution des conditions matérielles de la vie de la société d’alors, la théorie de la preuve formelle est tombée. Le coup de grâce à cette théorie a été porté par la Révolution française de 1789, qui a remplacé le système de preuve juridique par un système de preuve jugé par la conviction profonde du juge.

    Le processus pénal, fondé sur la théorie de la preuve formelle, ne répondait pas aux exigences de la bourgeoisie qui, dans sa lutte contre le féodalisme et l’État policier, s’appuyait sur les nouveaux principes de la démocratie, proclamant l’égalité de tous devant la loi, défendant « les droits de l’homme et du citoyen », construisant ses institutions étatiques sur la base de l’humanisme bourgeois (…).

    Les intérêts de classe de la bourgeoisie capitaliste, les intérêts du basculement économique réclamaient un tribunal plus qualifié que le tribunal d’instruction et des règles plus rationnelles de son activité, du point de vue de la bourgeoisie, que la théorie de la preuve formelle, liée de manière organique à des méthodes de « preuve » comme la torture dans les formes les plus diverses et les plus sadiques.

    Ni le processus d’enquête, ni le système de preuves formelles ne protégeaient et ne défendaient de manière adéquate les intérêts de la bourgeoisie industrielle qui s’était emparée du pouvoir, qui avait renversé le système féodal et avait ainsi détruit le tribunal féodal et l’ordre de procédure féodal.

    L’assemblée constituante de 1790 a rejeté la théorie de la preuve formelle (…).

    S’exprimant au nom de l’ensemble de la société, la bourgeoisie a attaché à ses institutions étatiques le caractère de l’impartialité politique, de l’objectivité et de la neutralité qui lui avait servi avec tant de succès et continue de servir dans nombre de pays capitalistes, même à l’heure actuelle. »

    Le droit soviétique considère donc le droit bourgeois non pas comme la forme la plus développée, la plus aboutie, à quoi doit succéder immédiatement le droit communiste, mais comme une forme propre au mode de production capitaliste. Il est donc relatif et remplaçable, car il a des limites historiques.

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  • L’URSS socialiste et le rejet du principe mécanique de la «preuve formelle»

    L’URSS socialiste a formulé un droit où le tribunal n’est qu’application de la loi. Cela ne signifie aucunement un formalisme, bien au contraire. Une approche formelle serait le rejet de la dignité du réel et par conséquent étranger au matérialisme dialectique.

    Contrairement à l’accusation faite par de nombreux théoriciens bourgeois (qui s’orientent notamment par l’interprétation fantasmatique d’ Alexandre Soljénitsyne d’un droit de nouveau médiéval), le droit soviétique rejetait le principe de la « preuve formelle » comme étant par définition mécanique-abstraite.

    Voici la critique formulée à cette conception par Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, en 1941.

    « Sous le nom de théorie de la preuve formelle, une théorie est entrée dans l’histoire des procédures pénales, selon laquelle la force de la preuve judiciaire est déterminée à l’avance par la loi.

    Selon cette théorie, chaque preuve avait un poids, une valeur, prédéterminée par la loi. Le tribunal et l’enquête chargée d’apprécier les éléments de preuve auraient dû répondre aux exigences de la loi.

    Ni le tribunal ni l’enquête n’avaient le droit d’évaluer eux-mêmes des preuves ; leur tâche consistait à appliquer mécaniquement la mesure établie par la loi à chaque fait traité comme preuve et à tirer la conclusion prescrite par la loi.

    Cette théorie considérait les propriétés et qualités des preuves comme une sorte de propriétés et qualités figées et immuables de choses ou de phénomènes qui ne changent jamais.

    Le système de preuves construit conformément à cette théorie était une simple affiliation du processus d’inquisition, qui agissait à l’aide d’une force mécanique brutale, qui ne laissait pas de place à la réflexion et à l’analyse des circonstances.

    Dans le processus d’inquisition, le juge et l’enquêteur n’ont pas étudié les affaires, ils n’ont pas raisonné, n’ont pas analysé les faits en fonction de leur signification interne.

    Le système de preuves formelles a également levé cette obligation. En vertu de la règle de cette théorie, un juge ou un enquêteur avait pour seule tâche de calculer le pourcentage de certitude attribué préalablement à la loi à chaque type de preuve.

    Le processus de l’Inquisition a joué un rôle majeur dans la lutte de l’absolutisme contre le féodalisme (…). La monarchie absolutiste ne pouvait permettre les activités incontrôlées des tribunaux locaux, indépendantes du pouvoir royal.

    Elle ne pouvait pas permettre l’indépendance de la procédure de ces tribunaux, guidés par leur propre discrétion et les seigneurs féodaux.

    La monarchie absolutiste a déclaré une campagne contre « l’arbitraire » des juges féodaux, contre la justice féodale, cherchant à centraliser les procès et à contrôler l’activité judiciaire.

    D’où l’effet énergique sur les juges à l’aide de diverses instructions et règles, revêtues d’une forme juridique, conçues pour réglementer les activités des tribunaux et des juges de manière à ne pas laisser de place à leur discrétion personnelle.

    Le processus de l’inquisition était un moyen très pratique d’atteindre ces objectifs. Le processus de l’Inquisition a engendré un système de soi-disant preuves formelles. Ce système était une série de règles préétablies par le législateur, contraignantes pour les tribunaux et les enquêtes dans les enquêtes et l’examen des affaires pénales.

    La théorie de la preuve formelle a atteint son état le plus développé aux XVIe et XVIIIe siècles, soumettant tous les codes de procédure pénale des pays européens à son influence et conservant cette influence, comme nous l’avons dit, jusqu’à presque la moitié du XIXe siècle.

    Cette théorie, dans sa forme développée, part de l’hypothèse qu’il est possible d’établir des signes objectifs, des indicateurs objectifs pour évaluer des éléments de preuve, prédéterminant la valeur différente de chaque élément de preuve à l’avance (…).

    La théorie de la preuve formelle, à un certain stade de l’histoire du droit procédural, était un pas en avant, car elle limitait l’arbitraire illimité et le pouvoir illimité de certains groupes et individus puissants qui existaient auparavant, bien que cette restriction soit exercée dans l’intérêt de l’autocratie.

    Les intérêts de l’absolutisme, à un certain stade de l’histoire, dans certaines limites, coïncidaient avec les intérêts publics, exigeant un ordre et une légitimité plus grands que sous le féodalisme.

    Malgré la cruauté et parfois le non-sens de certaines règles procédurales de cette prétendue théorie juridique de la preuve, sa caractéristique positive est qu’elle impose certaines limites à l’arbitraire du juge ; elle a placé le juge dans une position où, comme tout fonctionnaire, il ne pouvait être guidé par une simple discrétion.

    La théorie de la preuve formelle était – nous parlons spécifiquement de la théorie, c’est-à-dire d’un système d’opinions scientifiques – une tentative de justifier une décision de justice non pas à la discrétion personnelle et arbitraire d’un juge, mais pour des motifs objectifs (…).

    La théorie de la preuve formelle présentait des avantages significatifs principalement pour le nouveau gouvernement absolutiste.

    Cette théorie correspondait pleinement aux aspirations du pouvoir d’assujettir la justice féodale déchirée et dispersée dans tout l’État, de transformer par les juges de « sa majesté royale » qui exerçaient « la justice » dans leur intérêt royal les princes féodaux (…).

    L’objectif principal de la création, par exemple, au XVe siècle en France, d’une magistrature royale indépendante des parlements locaux et subordonnée exclusivement au pouvoir du roi, était de créer « une solide forteresse pour la victoire finale sur le féodalisme » en la personne de cet appareil judiciaire.

    L’une des conséquences les plus importantes de cette tâche a été de fixer une limite ou, comme le dit l’historien de l’ancienne loi judiciaire russe Dmitriev, de mettre « le premier obstacle à la liberté judiciaire totale dans la décision » (…).

    Dans les mains de la monarchie absolutiste, de la cour, le processus d’enquête criminelle et la théorie de la preuve formelle, organiquement liés par ce processus, ont joué le rôle politique le plus important dans la lutte contre le féodalisme, dans la lutte pour nettoyer le terrain pour le développement et le renforcement de la propriété capitaliste, qui a remplacé la propriété féodale.

    C’est dans ces circonstances qu’il est nécessaire de rechercher une explication à la fois de l’aspect même et de la capacité de survie significative de la théorie de la preuve formelle, qui a existé jusqu’au milieu du XIXe siècle (…).

    Le système de preuve formelle se croyait en fait une certaine limite à « l’arbitraire judiciaire », réglementant strictement les activités du juge pour évaluer les preuves avant l’application des règles établies par la loi.

    Mais la nature même de ce règlement, qui réduisait le rôle du juge au rôle d’automate à actionnement mécanique, transformait le processus de preuve – la partie la plus importante de tout processus, l’âme du processus – en une procédure très éloignée de la tâche d’établir la vérité matérielle, qui était le processus de recherche dans son ensemble.

    Pénétrée par les tendances de la police et cherchant à renforcer et à protéger les intérêts de l’État exploiteur, opposés à ceux de l’individu, à ceux de l’Homme et du citoyen, la procédure de recherche tenait compte de l’accusé comme un simple matériel d’enquête, un simple objet d’expérimentation.

    Cela a été exprimé de manière très nette dans le prétendu processus de torture, où la torture était la méthode principale et dominante de « preuve ».

    Pour le processus de torture, il était important de définir uniquement les conditions dans lesquelles il était possible et autorisé de recourir à la torture, dont l’issue a été décidée. Le rôle de ces conditions a été joué par les éléments de preuve déterminant l’admissibilité ou l’irrecevabilité de la torture.

    Est-il possible de rompre le lien organique entre le « processus de torture » et la théorie de la preuve formelle, qui reposait sur le principe de l’importance prédominante de la propre reconnaissance de l’accusé ? C’est bien sûr impossible, tout aussi impossible que de parler de la contradiction supposée exister entre l’inquisition, le processus de recherche et la théorie juridique [de la preuve formelle].

    La critique est dévastatrice et ce qui est extrêmement intéressant, c’est qu’incapable de comprendre le droit socialiste, les théoriciens bourgeois l’ont justement accusé… de revenir à la théorie de la « preuve formelle » !

    La bourgeoisie, avec sa conception de la « conviction interne », ne pouvait interpréter le droit socialiste que comme une sorte de retour à la monarchie absolue.

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  • La reconnaissance de la plénitude du droit en URSS socialiste

    Le droit se voyait reconnaître sa pleine valeur comme norme sociale, avec une importance fondamentale accordée au tribunal. Andreï Vychinski, dans La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, expose cela en 1941 en soulignant les points importants de cette approche, notamment le fait que la valeur du tribunal n’est pas dans son équivalence avec la loi, mais dans son affirmation de la loi conformément aux différentes situations rencontrées.

    C’est là un point essentiel. Si on rate cela, on accorde au droit une histoire propre, une autonomie dans le cadre de la réalité, alors que le droit condense les rapports dans les luttes de classe.

    « Ce devoir du tribunal est extrêmement complexe et responsable, puisqu’une décision ou un verdict de tribunal qui est entré en vigueur acquiert un caractère généralement contraignant, devient une obligation dont le citoyen doit s’acquitter sans scrupule.

    En ce sens, il y a la formule romaine correcte, reconnaissant la vérité du jugement (Res judicata pro veritate habetur, La chose jugée est tenue pour vérité).

    Le principe de la décision judiciaire ayant force obligatoire, son inviolabilité et son exécution inconditionnelle est l’un des principes les plus importants de l’administration publique.

    L’autorité du pouvoir judiciaire repose en grande partie sur ce principe, qui ne permet pas de faire abstraction d’une décision de justice entrée en vigueur (…).

    Une telle exigence catégorique de la loi sur l’exécution inconditionnelle des peines et des décisions judiciaires est pour ainsi dire une condition sine qua non de l’activité judiciaire – une telle condition sans laquelle cette activité elle-même ne serait pas possible.

    C’est précisément en vertu de ce principe que le droit procédural doit fournir des conditions appropriées à l’activité du tribunal, en lui donnant la possibilité de résoudre de manière objective les actions en justice, la possibilité de prendre des décisions (…).

    Une sentence ou un résultat est prononcé par un tribunal de la part de l’État. En donnant aux décisions judiciaires la force des actes de l’État, l’État, pour ainsi dire, assume toute la responsabilité de leur maintien et de toutes les décisions qui en découlent.

    Le pouvoir de l’État, avec tout le pouvoir de son autorité, donne au tribunal le verdict ou la décision de son exécution, autorisant l’application inconditionnelle des mesures de répression nécessaires à quiconque tente de désobéir au verdict ou à la décision du tribunal entré en vigueur (…).

    Quelle que soit notre conception de l’activité judiciaire du point de vue de son rapprochement avec les fonctions législatives, il n’y a aucun doute : l’activité judiciaire est l’une des fonctions les plus puissantes de l’administration de l’État, l’un des moyens puissants de sa politique.

    L’importance de cette activité est telle que parfois même l’une des sources du droit existant est perçue dans l’activité judiciaire, ce qui est totalement faux en ce qui concerne le droit soviétique (…).

    L’activité judiciaire n’est pas une source de droit; au contraire, la loi est une source d’activité judiciaire. La qualité de l’activité judiciaire est déterminée par sa conformité aux principes et aux exigences de la loi (…).

    La crédibilité de la décision de justice signifie également la confiance dans une analyse exhaustive de toutes les circonstances de l’affaire, qui est résolue en tenant compte de toutes les circonstances qui n’ont pu qu’être établies et précisées.

    Appliqué aux affaires pénales, cela signifie une analyse de toutes les circonstances de l’affaire, dans laquelle les actions et les faits qui constituent le crime sont pleinement divulgués, les conditions et les faits qui ont contribué à sa mise en œuvre sont clarifiés, les principaux motifs du crime sont établis de manière exhaustive.

    Cette partie de la question a toujours attiré l’attention particulière de la bourgeoisie, qui est très préoccupée par le fait que les peines et les décisions de ses tribunaux soient aussi convaincantes et autoritaires que possible, inspirent le respect qui convient, suscitent une « sainte crainte » dans l’esprit et dans le cœur des gens (…).

    Il est absolument incontestable qu’à partir du moment où les décisions et les décisions des tribunaux perdent leur crédibilité aux yeux du grand public, les tribunaux perdent toute leur autorité. »

    Le tribunal représente la loi et dans les États bourgeois il est fait en sorte de masquer le caractère de classe des tribunaux, ainsi que des lois elles-mêmes. Les tribunaux ont pour ce faire également des marges de manœuvre et interagissent avec les lois.

    Tel n’est pas le cas dans le droit socialiste. Les tribunaux soviétiques ne faisaient que retranscrire la loi dans les faits, en analysant les faits et exposant de manière partisane la tendance correcte, par opposition à celle erronée.

    Cela implique une pleine reconnaissance de la valeur du droit – à l’opposé des courants de pensée anarchiste ou ultra-gauchiste, pour qui le droit disparaît dès la fin du droit bourgeois.

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  • L’appareil de sécurité d’État de l’URSS socialiste et l’affirmation du droit soviétique

    Il va de soi que la conception juridique prévalant en URSS socialiste n’a rien à voir avec celle d’un État bourgeois. Dans ce dernier, le capitalisme est déjà instauré et il suffit de protéger sa base, la propriété privée des moyens de production. S’il faut une rupture terroriste, cela passe par le fascisme modifiant l’appareil d’État, dans le sens de la militarisation.

    L’État socialiste construit par contre, quant à lui, le socialisme, en allant au communisme. Il connaît donc des étapes et il y a des interférences selon les séquences. Le droit a ainsi une portée politique dans le cadre de chacune de ces séquences, au sens où la dimension objective l’emporte de manière franche sur la dimension subjective.

    Ainsi, Evgueni Pachoukanis fut le principal théoricien soviétique du droit dans les années 1920 et au début des années 1930. Cependant, sa position fut unilatéralement que l’État devait disparaître et, qu’au sens strict, il ne pouvait pas exister de droit socialiste. Il fut pour cette raison exécuté comme contre-révolutionnaire, puisque relevant de la démarche favorable à la capitulation.

    Cette analyse objective des séquences par l’État socialiste que fut l’URSS de Staline à la suite de Lénine fut évidemment dénoncée par les contre-révolutionnaires et la bourgeoisie internationale comme un déni du droit, et cela d’autant plus que les uns et les autres ne comprenaient rien au droit socialiste, ne pouvant même le concevoir.

    Voici comment l’une des grandes figures du camp contre-révolutionnaire, Alexandre Soljénitsyne, décrit cette question juridique dans son ouvrage fantasmatique, L’archipel du Goulag, publié au début des années 1970 :

    « Il s’avère qu’en cette année de sinistre mémoire [1937], Andreï Ianouarévitch (…) Vychinski fit un exposé devenu célèbre dans les cercles spécialisés : dans l’esprit de la dialectique la plus souple (que nous ne permettons ni aux sujets de l’État, ni maintenant aux machines électroniques, car pour celles-ci un oui est un oui, un non est un non), il rappela qu’en ce qui concernait les hommes, il n’était jamais possible d’établir de vérité absolue, mais seulement relative.

    À partir de là, il fit un pas que, depuis deux mille ans, les juristes n’avaient jamais osé franchir : il déclara qu’en conséquence, la vérité établie par l’instruction et le tribunal ne pouvait être absolue, elle non plus, mais seulement relative.

    C’est pourquoi, en signant une condamnation à mort, jamais nous ne pouvons de toute façon être absolument sûrs de punir un coupable, mais seulement dans les limites d’une certaine approximation, en émettant certaines suppositions, en un certain sens.

    Concrètement, il s’ensuit que c’est une pure et simple perte de temps que la recherche de pièces à conviction absolues (elles sont toutes relatives) et de témoins irréfutables (ils peuvent se contredire).

    Quant à trouver des preuves relatives, approximatives de la culpabilité, cela, le commissaire instructeur peut fort bien y arriver sans pièces à conviction et sans témoins, sans sortir de son bureau, « en s’appuyant non seulement sur sa propre intelligence, mais aussi sur son flair de membre du parti, sur ses forces morales » (c’est-à-dire sur la supériorité de celui qui a bien dormi, bien mangé et qui n’a pas reçu de coups) « et sur son caractère » (c’est-à-dire sa volonté d’exercer sa cruauté) ! (…)

    C’est ainsi que de déduction en déduction, suivant un développement en spirale, notre science juridique d’avant-garde en est revenue à des conceptions pré-antiques et médiévales.

    À l’instar des exécuteurs des hautes œuvres du Moyen-Âge, nos commissaires instructeurs, nos procureurs et nos juges s’accordent à voir la preuve principale de la culpabilité dans l’aveu qu’en fait l’inculpé. »

    L’accusation d’Alexandre Soljénitsyne est tout à fait classique et représente le reflet de l’incompréhension complète de la méthode matérialiste dialectique, exigeant une analyse objective impliquant une subjectivité révolutionnaire pour avoir une position correcte.

    Contrairement à la lecture bourgeoise, l’URSS socialiste avait en réalité révolutionné le droit et formulé un droit socialiste.

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  • La structure de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS socialiste

    De par sa substance, l’appareil de sécurité d’État de l’URSS présente une nature largement clandestine quant à l’organisation de ses structures, voire de ses structures elles-mêmes. Seul le Parti, au plus haut niveau, avait un aperçu détaillé de sa structure.

    La raison de cela est que l’appareil de sécurité est la conséquence logique des articles 130-133. Il n’agit pas depuis l’extérieur, mais légalement de la structure soviétique elle-même. Le processus est réellement ancré à partir des années 1930.

    On ne connaît pratiquement rien de l’organisation initiale, celle de la Tchéka, mais on sait qu’elle s’appuyait sur différentes branches, chargées chacune d’une activité bien déterminée :

    – la section opérationnelle ;

    – la section économique (visant le sabotage dans l’industrie et l’agriculture, la corruption, la contrebande, etc.) ;

    – la section des transports (visant leur protection, ainsi que le transport des dirigeants) ;

    – le contre-espionnage au sein de l’armée rouge ;

    – la répression de la contre-révolution organisée clandestinement dans le pays.

    A cela s’ajoute une sous-section étrangère, s’occupant particulièrement des émigrés blancs.

    Il y eut concernant ce dernier point deux exemples marquants plus tard, avec l’enlèvement, à chaque fois à Paris, des dirigeants de « l’Union générale des combattants russes » fondée par le baron Wrangel : le général Alexandre Koutepov en 1930, Ievgueni Miller en 1937.

    L’OGPU fut une systématisation des activités de la Tchéka et c’est avec le NKVD qu’on passe à un système bien établi.

    Son noyau dur, la GUGB NKVD – l’Administration centrale de la sécurité d’État du commissariat du peuple aux Affaires intérieures, était structurée de la manière suivante en 1937 :

    1re division : protection des dirigeants

    2e division : contre-espionnage

    3e division : économie

    4e division : politique

    5e division : armée

    6e division : transports

    7e division : à l’étranger

    8e division : prisons et lieux de détention

    1re division spéciale : registre des éléments antisoviétiques et des agents du NKVD

    2e division spéciale : centre des techniques d’opération

    Comme on le voit, les affaires intérieures sont considérées dans leur intégralité, à partir du principe de norme socialiste à laquelle il faut correspondre. Vouloir s’écarter de cette norme implique une condamnation, plus exactement une exclusion de la société.

    Il existe de ce fait désormais des branches parfaitement structurées, telles que :

    – la GURKM : direction générale des milices ouvrières-paysannes (c’est-à-dire la police) ;

    – la GUPV : direction générale des troupes aux frontières ;

    – la GTU : direction générale des prisons ;

    – la Gulag : direction générale des camps de travaux forcés.

    On a également une modification juridique, puisque la Tchéka et l’OGPU appliquaient une justice d’exception, propre à la situation de guerre civile de formation du régime, tandis que le NKVD doit désormais systématiquement transmettre les dossiers des enquêtes aux institutions judiciaires soviétiques.

    Agents du NKVD

    Cela connut une remise en cause relative au milieu des années 1930, avec le principe de la troïka, c’est-à-dire un groupe de trois responsables menant un procès rapide dans des conditions exceptionnelles : le dirigeant régional du NKVD, le secrétaire du comité régional du Parti, le procureur de la région.

    On retrouve ici la division tripartite de l’URSS (l’appareil de sécurité / le Parti / l’État).

    Cela ne signifie nullement une autonomie des éléments de cette division, on parle en effet seulement de l’autonomie relative des appareils : la figure dirigeante du NKVD appartenait nécessairement au Comité Central, voire au Bureau Politique, et les hauts responsables du NKVD étaient également membres du Parti.

    Il y avait également quatre députés du commissaire du peuple, agissant comme secrétaires du commissaire du peuple lui-même.

    Le premier député était d’ordinaire le dirigeant du GUGB NKVD – Administration centrale de la sécurité d’État.

    Le second député s’occupait notamment de la protection des dirigeants, de la section du personnel, de la section de la communication, des bureaux et des cadres administratifs.

    Le troisième député s’occupait des milices (c’est-à-dire la police) et de la police criminelle, de l’administration des camps (Gulag), des routes principales et des transports, ainsi que de l’enregistrement administratif des citoyens.

    Le quatrième député s’occupait des garde-frontières et de l’administration du franchissement des frontières, des troupes propres au NKVD, de la coordination de ces opérations avec les responsables militaires et ceux de l’économie.

    Le NKVD présentait deux particularités dans son organisation. Déjà, la Russie n’avait pas de NKVD propre, contrairement aux autres républiques : c’était la structure centrale qui s’en occupait directement. Ensuite, dans le même ordre d’idées, le NKVD s’organisait très différemment selon la taille et l’importance économique, politique, militaire, etc. de telle ou telle zone.

    Il existait également un conseil spécial, avec le commissaire du peuple des affaires intérieures dirigeant le NKVD de l’URSS, le secrétaire du comité du Parti au sein du NKVD agissant au nom du Comité Central du PCUS(b), ainsi que le procureur général de l’URSS. C’est l’organe judiciaire le plus haut du NKVD, qui se réunit de fait uniquement pour les affaires les plus essentielles.

    Il existe également un noyau dur d’agents représentatifs du NKVD, chargés de superviser le bon fonctionnement de l’organisation en termes de discipline et de décisions. Un secrétariat au NKVD en tant que commissariat du peuple est chargé du bon fonctionnement administratif. Le NKVD dispose évidemment d’un bureau composé d’ingénieurs en bâtiment, chargé des prisons et des camps de travail.

    A ce titre, les membres du NKVD sont principalement de deux types : ils travaillent soit dans l’administration, soit sur le terrain dans des opérations. A partir de 1937, ils sont organisés par rang militaire. Toutefois, un rang militaire au NKVD est l’équivalent de celui de l’armée deux rangs plus haut, tant en termes de droit qu’en termes de salaire.

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  • Les articles 130, 131 et 133 de la constitution de l’URSS socialiste

    L’appareil de sécurité d’État de l’URSS est à la fois l’expression du droit et son affirmation au sens strict. Il y a là un double caractère, qui implique une fonction : celle de servir de levier pour l’affirmation de la morale socialiste sur la base du droit socialiste.

    Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, synthétise cela de la manière suivante :

    « Le droit socialiste est un instrument de création, de consolidation et de développement régulier des relations socialistes par le biais d’une réglementation appropriée du comportement des citoyens, de leur organisation et de leur mobilisation pour résoudre les problèmes de construction du socialisme, et la transition vers le communisme.

    Ainsi, le droit soviétique consolide non seulement ce qui a déjà été réalisé et gagné, mais facilite également à tous égards de nouvelles transformations créatrices, contribuant activement à la progression progressive vers la construction d’une société communiste sans classes. »

    Ce processus d’affirmation, de consolidation et de développement de la nature socialiste du droit et de la morale passe principalement par trois articles de la constitution de l’URSS établie en 1936, également souvent surnommée constitution de Staline, en raison du rôle moteur de celui-ci dans son établissement.

    Il faut considérer ces articles – les 130, 131 et 133 – non pas simplement comme des droits, mais également comme des devoirs. Ils ont une grande nature dialectique et sont par ailleurs en interaction les uns avec les autres.

    Article 130.

    Chaque citoyen de l’URSS est tenu d’observer la Constitution de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, d’exécuter les lois, d’observer la discipline du travail, de remplir honnêtement son devoir social, de respecter les règles de la vie en société socialiste.

    Article 131.

    Tout citoyen de l’URSS est tenu de sauvegarder et d’affermir la propriété commune, socialiste, qui est la base sacrée et inviolable du régime soviétique, la source de la richesse et de la puissance de la patrie, la source d’une vie aisée et cultivée pour tous les travailleurs. Les personnes qui attentent à la propriété sociale, socialiste, sont les ennemis du peuple.

    Article 132.

    Le service militaire général est une obligation. Le service militaire dans l’armée rouge ouvrière et paysanne est un devoir d’honneur pour les citoyens de l’URSS.

    Article 133.

    La défense de la patrie est le devoir sacré de tout citoyen de l’URSS. La trahison de la patrie : la violation du serment, le passage à l’ennemi, le préjudice porté à la puissance militaire de l’État, l’espionnage sont punis selon toute la rigueur de la loi comme le pire forfait.

    L’article 132, intercalé entre le 131 et le 133, a comme origine évidente le fait que le dernier de la série porte sur la défense de l’URSS. Le 133 a sa justification légale par le 132 ; c’est parce que chaque citoyen est en même temps l’État et donc l’armée, légalement, que toute atteinte, à quelque niveau que ce soit, à l’intégrité de l’URSS, est condamnable.

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  • Chronologie concernant l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

    Le 20 décembre 1917, le conseil des commissaires du peuple décida de la formation d’une Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage. En 1918, son nom devint Commission extraordinaire panrusse de combat de la contre-révolution, du sabotage et de la spéculation. Ses initiales donnaient Ch.K et elle fut connue sous le nom de Tchéka.

    Une impulsion déterminante fut l’attentat contre Lénine et l’assassinat du responsable de la Tchéka de Petrograd, Moïsseï Ouritski, en août 1918. La terreur rouge s’élança alors particulièrement sur la contre-révolution.

    La Tchéka fut réorganisée alors que la victoire dans la guerre civile se posait comme définitive. En février 1922, elle fut transformée en administration étatique dénommée Administration politique d’État, GPU.

    Dès 1923, elle devint l’Administration unifiée politique d’État, OGPU, en raison de l’unification des républiques soviétiques, centralisant désormais chaque GPU existant à l’échelle de chaque république.

    OGPU

    Le 10 juin 1934, l’OGPU connut une réorganisation et devint le NKVD de l’URSS, c’est-à-dire le Commissariat du peuple aux Affaires intérieures de l’URSS.

    NKVD

    Sa dimension était celle de l’URSS, sa nature était centralisée, au niveau pansoviétique, son noyau dur étant la GUGB NKVD – l’Administration centrale de la sécurité d’État du commissariat du peuple aux Affaires intérieures.

    En pratique, cela signifiait alors un élargissement des activités, car le nouvel organisme s’occupait désormais également de l’administration des passeports (pour l’étranger mais également à l’intérieur du pays), des enquêtes criminelles, de l’administration des transports, celle des pompiers, de l’enregistrement des actes de l’état civil. A cela s’ajoute le système de prisons et de camps de travail.

    Le 5 février 1941, le NKVD de l’URSS vit une partie de son activité être séparée. Le contre-espionnage militaire passa au commissariat du peuple à la défense (sous le nom de SMERSH, acronyme de Smiert chpionam !, mort aux espions!), et un commissariat du peuple à la Sécurité d’État (NKGB) fut également formé.

    SMERSH

    Cela signifie qu’on avait alors :

    – le NKVD s’occupant des milices (c’est-à-dire la police), de l’administration des camps de travail (dénommée Gulag, Administration principale des camps), de la production des passeports, des transports, des pompiers, de l’administration du secteur de la santé, etc. ;

    – le NKGB s’occupant de la répression des espions, des saboteurs et des terroristes.

    L’invasion allemande empêcha ce processus de se réaliser entièrement et il fut alors temporairement annulé pour éviter des soucis de coordination, amenant la fusion des deux organismes, sous la direction de Laurenti Beria et sous la dénomination de NKVD.

    Le processus de séparation fut de nouveau établi en mai 1943, les deux organismes, NKVD et NKGB, étant renommés en mars 1946 Ministre de la sécurité d’État (MGB) et Ministre des affaires intérieures (MVD).

    MGB

    En 1947 fut formé un Comité d’information pour le Conseil des ministres chargé de coordonner les services de renseignement de l’armée et du MVD, avec une prééminence du MVD, mais le projet échoua devant les réticences militaires au bout d’environ une année, le Comité disparaissant officiellement en 1951.

    En 1953, le MVD et le MGB furent brièvement réunifiés sous la direction de Laurenti Beria, mais la prise du pouvoir par les révisionnistes amena un bouleversement complet. Le MGB fut séparé et liquidé, pour être remplacé par une commission de la sûreté nationale (KGB) placée directement dans l’orbite du Conseil des ministres.

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  • La nature du décalage entre les masses et l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

    Il existe par définition un décalage entre les masses et l’appareil de sécurité d’État de l’URSS. En effet, comme l’a souligné Staline, la révolution socialiste est l’annonce d’une société future, alors que les anciennes révolutions venaient seulement confirmer un développement largement déjà réalisé.

    Les masses lancent le processus, mais ont besoin d’être entraînées par l’avant-garde – cela est vrai également dans le socialisme, période de vaste apprentissage des masses.

    Le droit socialiste, affirmé par les masses, est ainsi en même temps confronté à un certain retard des masses sur le plan moral. D’où la nécessité d’une correction par l’État. Les masses se corrigent par l’État des masses, grâce au renforcement de la base socialiste dans la production et l’action du Parti déblayant le chemin au communisme.

    Dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, de 1951, Maria Pavlovna Kareva explique cette dimension essentielle du socialisme.

    « L’une des conditions qui ont assuré la victoire de la révolution socialiste était sans aucun doute la reconnaissance par les masses de la justice, les objectifs éthiques, les slogans de cette révolution et l’injustice, l’immoralité du système exploiteur.

    En obtenant de manière révolutionnaire la liberté, le droit de travailler, de mener une vie digne d’un homme, les masses savaient bien qu’elles se battaient pour la vérité contre l’injustice qui sévissait depuis des siècles.

    Mais, répétons-nous, la victoire de la révolution socialiste ne signifie pas encore l’assimilation par les masses des principes de la morale communiste en tant que régulateur de leur comportement quotidien.

    La structure économique et de classe de la société, qui déterminait la préservation de l’influence des anciens systèmes moraux, ainsi que le retard inévitable de la conscience des masses face aux modifications des fondements matériels de la société, ont été un obstacle à cette évolution.

    Il en ressort que, si la moralité socialiste est devenue le système moral dominant avec la victoire de la révolution socialiste, il n’était pas encore, dans la première phase du développement de notre État, un système de normes généralement reconnu régissant le comportement quotidien des membres de la société (…).

    Les masses ont accepté la signification éthique des slogans et des tâches proposés par le Parti communiste dans la révolution et ne l’ont suivi, non pas parce qu’elles étaient déjà complètement imprégnées de conscience socialiste, mais parce que ces slogans et tâches correspondaient à des besoins matériels et à leurs idées sur l’injustice du système d’exploitation dans son ensemble.

    Mais comme la conscience des masses n’était pas encore élevée au niveau de la conscience socialiste, elles continuaient dans bien des cas de se laisser guider par les anciennes règles de comportement habituelles.

    Bien sûr, avec les leçons apprises par les masses dans la révolution, avec un changement radical dans les rapports des classes, ainsi que la transformation de la moralité socialiste en dominante dès les premières années de l’existence de l’État soviétique, tout cela ne pouvait que saper considérablement l’influence des normes de l’ancienne moralité.

    Mais cette influence ne pouvait être éliminée immédiatement.

    Les normes de la moralité socialiste, prises dans leur ensemble, ne pourraient pas automatiquement se transformer en un régulateur du comportement des masses, mais nécessitaient une assimilation consciente, impossible sans un changement radical de la conscience d’une personne élevée dans les conditions d’un système d’exploitation.

    Et surtout, une rupture si décisive de la psyché humaine, le remplacement des idées anciennes par des idées nouvelles n’était pas encore prévu au début de l’existence de la société soviétique avec ses fondements matériels. »

    Ce qui se pose ici, c’est le remplacement de l’ancien par le nouveau et le rapport entre les masses et l’État durant la période socialiste, jusqu’à ce qu’avec le communisme l’État disparaisse avec son dépérissement parallèle au développement dialectique du niveau des masses.

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  • La nature de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS

    L’URSS socialiste est une société organisée, rassemblée autour des principes socialistes. Cela signifie qu’aucun aspect de la vie sociale n’échappe à une réflexion et à un choix. Ce qui n’est pas validé est considéré comme déviant et est par conséquent réprimé, ou plus précisément, écarté.

    Telle est la logique inexorable de la marche au communisme.

    Il y a ainsi deux aspects. Le premier, c’est que l’URSS, à l’époque de Staline, mais également auparavant au moment de Lénine, se définit comme ouvrière et paysanne, d’où le symbole du marteau et de la faucille. Elle se conçoit par rapport à cette réalité sociale et son droit le reflète, le condense.

    L’article 97 de la constitution soviétique, mise en place en 1936, explique ainsi que :

    « Les soviets de députés des travailleurs dirigent l’activité des organes de l’administration qui leur sont subordonnés, assurent le maintien de l’ordre public, l’observation des lois et la protection des droits des citoyens, dirigent l’édification économique et culturelle locale, établissent le budget local. »

    Le second, c’est qu’il existe des éléments anti-sociaux qui sont exclus de la société. Au sens strict, ils ne sont plus considérés comme relevant de la société, soit parce qu’ils ont été exécutés, soit parce qu’on les a déchu temporairement de leur citoyenneté, soit parce qu’on les a bannis.

    La mise en place de cette exclusion a historiquement été organisé de manière administrative, depuis le cœur de la société elle-même, au moyen de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS.

    Cela présuppose une division tripartite de la réalité soviétique de l’époque de Staline.

    La vie sociale consiste en le système des soviets s’établissant en liaison centralisée, république par république, formant l’URSS au sens strict, le pouvoir des soviets organisé et centralisé, avec un gouvernement.

    La réflexion et les choix quant à la société sont effectués par le Parti, qui joue le rôle dirigeant.

    Enfin, la répression des déviances et leur exclusion sociale est réalisée par l’appareil de sécurité d’État de l’URSS, lié à l’État soviétique et dirigé au plus haut niveau par la direction du Parti.

    L’URSS socialiste a ici réalisé une opération d’une double nature. D’un côté, la tête de l’appareil de sécurité d’État relève entièrement du Parti. De l’autre, tout son corps est directement structuré dans la société elle-même.

    Il faut saisir ici que la réalisation de l’ordre public ayant lieu dans un cadre socialiste n’est pas réalisée par la police, qui en tant qu’institution – en URSS les milices ouvrières et paysannes – est très faible. Elle ne relève pas non plus de l’armée, institution entièrement subordonnée sur le plan des décisions, et dont le renseignement militaire passa dans le giron des affaires intérieures.

    Elle vient du cœur de la société elle-même, par un appareil de sécurité totalement imbriquée dans la société, dans son organisation même. Il s’agit, concrètement, d’un énorme système de contrôle des actions à partir de la réalité de la vie quotidienne elle-même.

    Pour cette raison, l’appareil de sécurité soviétique était d’une puissance absolue dans les faits et a impressionné de manière particulièrement terrifiante l’ensemble de la bourgeoisie dans le monde, ainsi que les États bourgeois.

    Pour cette raison également, ce qui était non conforme aux valeurs soviétiques était expulsée de son champ. C’est cette approche qui est à la base de l’ouverture des camps de travail.

    Pour cette raison également, dans le cadre de l’intensification de la lutte des classes, l’appareil de sécurité en URSS a été impliqué en première ligne dans la confrontation.

    Cela a également particulièrement impressionné la bourgeoisie, hallucinant littéralement devant la capacité de l’État socialiste à écraser les tendances bourgeoises dans la société soviétique elle-même, et ce à partir de la société soviétique elle-même.

    Le problème historique est que cela a confié à l’appareil de sécurité d’État soviétique la forme d’un appareil administratif au sein de la société elle-même, qu’il y a ainsi un manque de lisibilité significative sur le plan politique.

    Cet aspect deviendra principal au moment des problèmes de 1952-1953 aboutissant à la transformation de l’URSS en un social-impérialisme, avec comme agence terroriste le KGB formé à l’extérieur de la société au début de l’année 1954.

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  • Le droit en expansion par l’opinion publique en URSS socialiste

    En URSS socialiste, le droit était considéré comme la condensation des rapports économiques, ce qui dans un cadre socialiste reflète par conséquent une assimilation du droit par la morale et inversement.

    Droit et morale restent évidemment deux choses séparées tant qu’il y a un État encore. Dans le communisme, la situation sera différente, puisque les membres de la société se considéreront à la base même par l’intermédiaire des valeurs de la citoyenneté socialiste universelle.

    De fait, le rapport entre le droit et la morale tient au niveau de développement atteint par la société. Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, dit à ce sujet la chose suivante :

    « En parlant de la connexion la plus étroite et inextricable du droit socialiste et de la moralité, nous ne devrions pas perdre de vue que, en dernière analyse, le facteur déterminant de notre droit, comme toute loi, est le facteur économique et les besoins matériels de la société.

    Le caractère commun des principes de base et de nombreuses exigences spécifiques du droit et de la moralité est principalement dû au fait qu’ils ont une base économique commune qui les génère et les conditionne.

    La structure sociale du socialisme est objectivement morale et toute norme juridique qui contribue à son développement et à son renforcement renforce ainsi la moralité communiste et en exprime le principe directeur – subordonnant le comportement des personnes à un objectif supérieur, à savoir la construction du communisme. »

    Il y a ainsi une contradiction entre la base morale de la société et le fait que ses membres ne soient pas encore à la hauteur de cette base, qu’ils sont en train d’être façonnés par cette base. Cela signifie qu’il y a à la fois assimilation du droit par le fait de vivre en tant que citoyens du pays, mais également affirmation de ce droit par le fait même de relever d’une société socialiste.

    On a une conscience socialiste qui est celle des citoyens de la société socialiste, mais est par sa nature en expansion et a une base encore non entièrement fixée. Et on a un droit socialiste qui lui garantit justement le socle de la société de par sa stabilité, mais cela implique qu’il sera en retard sur la progression faite.

    Maria Pavlovna Kareva dit avec justesse que :

    « Tout d’abord, il convient de souligner que si la moralité est une forme de conscience sociale, la loi, faisant également partie de la superstructure, ne peut être réduite à une forme de conscience.

    Ce n’est pas par hasard que nous distinguons clairement le droit, c’est-à-dire l’ensemble des normes pertinentes, et la conscience juridique, c’est-à-dire un système de vues juridiques, tandis que les normes de moralité et de conscience morale sont représentées par des synonymes.

    Le fait est que l’état de droit, qui reflète en soi la conscience juridique de la classe dirigeante et, dans une société socialiste, la conscience juridique de l’ensemble du peuple soviétique, constitue un élément particulier de la superstructure sociale qui ne se confond pas avec la conscience juridique.

    Cela s’explique par le fait que les normes juridiques représentent un type particulier de normes sociales qui diffère des normes morales à la fois par la manière dont elle est établie et par la manière dont elle est fournie, avec des garanties pour son application, et un certain nombre d’autres fonctionnalités.

    Dans le même temps, les normes juridiques diffèrent de l’ensemble des points de vue, idées, idées selon lesquels elles sont établies et qui constituent le contenu de la conscience juridique.

    Les points de vue, les idées qui composent le contenu de la conscience morale ont cette particularité d’être eux-mêmes normatifs. Les concepts de bien et de mal, qui sont au centre de la conscience morale, signifient également la nécessité de faire le bien et de combattre le mal.

    Le concept d’honnête et déshonorant, méritoire et honteux, etc. signifie également l’exigence d’un certain comportement. »

    La clef de cette contradiction réside dans l’affirmation de l’opinion publique, qui lève le drapeau du bien et exige du droit qu’il soit à la hauteur. Le droit socialiste s’affirme dans l’exigence populaire.

    Comme le dit Maria Pavlovna Kareva :

    « Dans les conditions de la victoire du socialisme, le droit consolide l’unité morale et politique prédominante du peuple et favorise la pénétration dans tous les secteurs de notre société des principes de la moralité communiste et des coutumes socialistes qui les concrétisent.

    Dans la deuxième phase, l’interaction du droit et de la moralité s’approfondit et prend une nouvelle qualité.

    Les moments d’influence morale revêtent une grande importance en droit: les encouragements, la stimulation, la culture de bonnes actions et autres moyens d’éducation analogues au droit soviétique, mais dans des conditions où en comparaison les classes exploiteuses étaient incapables d’obtenir une part aussi importante.

    Un rôle encore plus important qu’auparavant est dans la conviction.

    Cela ne signifie pas que, comme l’ont prêché les ennemis du peuple, sous le socialisme, les méthodes répressives de droite commencent à mourir ; réduire la loi sous le socialisme est caractérisé par le remplacement de la répression criminelle par une condamnation morale de l’opinion publique. »

    La contradiction entre le droit et le niveau moral des citoyens soviétiques se résout dans l’affirmation des exigences de l’opinion publique concernant tant le droit que la morale.

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    de l’État de l’URSS socialiste

  • Le juge, ingénieur des esprits en URSS socialiste

    Le rapport entre morale et droit en URSS socialiste s’appuie sur l’analyse matérialiste historique de ce qu’est le droit. Le droit est un aboutissement, c’est le reflet d’un rapport de force, c’est la condensation de la situation dans la lutte des classes.

    Voici comment la chose est présentée par Andreï Vychinski, le principal juriste de l’URSS socialiste, dans son ouvrage La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, paru en 1941 :

    « ‘‘Plus tard’’, écrivent Marx et Engels dans L’idéologie allemande, ‘‘lorsque la bourgeoisie eut acquis assez de puissance pour que les princes se chargent de ses intérêts, utilisant cette bourgeoisie comme un instrument pour renverser la classe féodale, le développement proprement dit du droit commença dans tous les pays — en France au XVI° siècle — et dans tous les pays, à l’exception de l’Angleterre, ce développement s’accomplit sur les bases du droit romain. Même en Angleterre, on dut introduire des principes du droit romain (en particulier pour la propriété mobilière) pour continuer à perfectionner le droit privé.’’

    A cela, Marx et Engels ont ajouté [juste après la citation] une remarque définissant de manière classique la nature du droit : ‘‘N’oublions pas que le droit n’a pas davantage que la religion une histoire qui lui soit propre.’’

    La dépendance du droit et des formes de son développement à l’égard des relations économiques et industrielles est prouvée par toute l’histoire de l’humanité.

    La loi autorise de nouveaux types d’acquisition de biens, sert de médiateur aux nouveaux rapports économiques en leur donnant une expression de rapports juridiques. »

    Le droit est à la fois un intermédiaire entre des forces sociales déterminées et l’inscription d’un rapport de forces dans les rapports sociaux eux-mêmes. Le droit est ainsi toujours lié à un phénomène historique ou une conclusion d’un phénomène historique. Il n’a pas d’existence propre, il est un aspect de la réalité, dont il dépend pour la configuration de son existence.

    Pour cette raison, le droit a connu des évolutions, établissant des vérités déjà présentes ou se formant en même temps qu’elles. Le droit d’avant une société socialiste parachève par conséquent toujours un état de fait, dans certains cas il l’accompagne.

    Le droit bourgeois confère à la propriété sa reconnaissance : elle existait au préalable, elle a fini par s’imposer.

    Dans un pays socialiste, cela est différent, car la société va au socialisme ; le droit au lendemain de la révolution ne fait qu’affirmer une nouvelle tendance. Le droit devient ainsi toujours plus un levier pour drainer les comportements et les attitudes vers une formulation socialiste adéquate, et mieux encore un calibrage communiste, des comportements et des attitudes sociales.

    Une citation connue d’Andreï Vychinski en URSS est à ce titre que :

    « Tout verdict et toute décision de justice revêtent une grande importance.

    Ils ont cette valeur non seulement en raison des exigences formelles qui sont présentées à cette occasion au nom des autorités de l’État à toutes les personnes touchées par les décisions de justice et les peines prononcées, mais également en raison de leur poids moral et sociopolitique. »

    Ce poids ne fige pas un état de fait comme dans le droit du passé, non-socialiste. Il indique au contraire une tendance, une direction. Tout comme un écrivain est un ingénieur des âmes, on peut qualifier le juge d’ingénieur des esprits.

    Il s’agit en effet, de faire correspondre les tournures d’esprit à ce qui correspond à la moralité d’un État socialiste toujours plus développé, et au-delà : à la moralité communiste.

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    de l’État de l’URSS socialiste

  • Les fondements matérialistes dialectiques du droit soviétique en URSS socialiste

    Pour comprendre l’appareil de sécurité de l’État de l’URSS socialiste, il faut saisir la nature du droit servant de base juridique aux actions étatiques et son rapport avec la morale socialiste.

    Contrairement aux prétentions « objectivistes » ou inversement « relativistes » du droit bourgeois, le droit socialiste pose en effet comme noyau du procès la subjectivité révolutionnaire du jugement, fondée sur l’objectivité de l’analyse des faits.

    Cette combinaison n’est pas seulement combattue par la bourgeoisie ; elle lui semble surtout de fait littéralement incompréhensible. Bien entendu, l’accusation est celle du règne de « l’arbitraire ».

    En réalité, il s’agit simplement du fait que le droit a une fonction non pas simplement négative et représentative comme dans le droit bourgeois, mais qu’il sert également de mise en perspective du juste et l’injuste, avec une mise en valeur du juste et cela de manière toujours plus poussée.

    Cela correspond à l’affirmation de la dignité du réel, caractéristique du matérialisme dialectique. Le titan Andreï Vychinski, dans son ouvrage de 1941, La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, formule de manière magistrale cela en affirmant :

    « Lénine écrivait en 1915 [dans La faillite de la II° Internationale], exposant l’opportunisme de Plekhanov, que : « La dialectique exige qu’un phénomène social soit étudié sous toutes ses faces, à travers son développement, et que l’apparence, l’aspect extérieur soit ramené aux forces motrices capitales, au développement des forces productives et à la lutte des classes. »

    La vraie dialectique se concentre sur le concret, sur la base de la règle: « il n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète ».

    Cela nécessite une compréhension claire de toutes les connexions ou du moins des plus importantes, des transitions, des interdépendances dans leur spécificité et leur causalité, sans lesquelles une évaluation correcte des actions humaines et de la personne elle-même est impossible.

    La logique formelle est ici insuffisante, impuissante.

    Formelle, la logique est incapable d’établir la vérité matérielle, c’est-à-dire ce qui existe réellement, ce qui constitue le contenu réel des choses et des phénomènes, et ce qui constitue pourtant l’une des tâches les plus importantes de la justice.

    La logique formelle se limite donc à ce que les avocats appellent la vérité juridique, c’est-à-dire comment certains phénomènes ou choses se caractérisent par des faits présentés au tribunal par les parties, quelle que soit la manière dont ces faits reflètent les rapports de la vie réelle.

    Cette méthode juridique formelle d’évaluation des faits dans les affaires judiciaires est directement liée à la compréhension formelle du droit.

    Une compréhension formelle de la loi se traduit par l’incapacité à aller au-delà de sa lettre, l’incapacité à approfondir la reconnaissance de ces relations réelles et vitales qui sont cachées derrière l’extérieur de la question. »

    Le droit soviétique implique ainsi la recherche du mouvement de la réalité à l’origine des phénomènes relevant du droit. Cela n’est toutefois pas une démarche aboutissant elle-même à un nouveau formalisme, un formalisme anti-formaliste. En effet, pour être authentique, cette démarche doit elle-même s’appuyer, au niveau de la réalisation du droit, sur la transformation de l’ancien par le nouveau.

    Cela veut dire que le droit soviétique doit, par définition même, venir de la société socialiste en construction elle-même, de sa substance même. L’appareil de sécurité d’État de la société socialiste doit donc consister en une structure de la société elle-même. Tel est le principe socialiste.

    Il y a une convergence de la défense du droit soviétique par l’appareil de sécurité d’État et l’affirmation du socialisme, de sa morale, par une société réalisant dans les faits l’affirmation historique d’un nouveau mode de production.

    La morale et le droit sont ainsi en rapport dialectique dans le cadre de la construction du socialisme.

    Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, explique à ce sujet que :

    « La spécificité de la corrélation du droit et de la morale sous le socialisme n’est pas seulement que notre loi exprime et renforce les vues morales et les exigences du travail du peuple tout entier, tandis que le droit bourgeois n’exprime et ne consolide que les vues et les exigences morales de la bourgeoisie, c’est-à-dire la partie non significative du point de vue numérique, exploitant la société.

    La spécificité de cette corrélation réside dans le fait que notre loi, consolidant les fondements matériels et politiques de la société, favorise l’opposition inconciliable entre les peuples et l’exploitation de l’homme par l’homme, et toute forme d’oppression de l’homme, de la nation et des peuples, que notre loi éduque les gens dans l’esprit de la démocratie véritable, leur inspire de nobles sentiments.

    La loi bourgeoise, qui consolide les fondements matériels qui donnent lieu à l’exploitation, et le système étatique qui assure la domination des exploiteurs, c’est-à-dire des minorités, instaure dans les peuples une moralité qui est le reflet du capitalisme, que les moralistes officiels préfèrent passer sous silence – l’égoïsme, l’inimitié et la méfiance réciproques, l’hypocrisie. »

    Le droit a ainsi une dimension active, au sens où les masses le voient et cherchent à voir le reflet non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur propre évolution, de leur propre amélioration sur le plan de la conscience morale.

    C’est la base d’un État qui, parce qu’il est en passe d’être assumé par l’ensemble de la population, disparaît ; le droit de l’État disparaît parce qu’il est devenu le droit du peuple lui-même, qui le prend en charge de lui-même. L’État a alors cessé sa fonction.

    La transition au communisme d’un État socialiste consiste en la remise du droit au peuple lui-même. L’État socialiste a une « fonction économique-organisationnelle et culturelle-éducative », comme cela était appelé en URSS à partir des années 1930, qui doit être assimilée et assumée par le peuple.

    Maria Pavlovna Kareva, dans le même ouvrage, explique à ce titre que :

    « Les émotions elles-mêmes ne doivent donc pas être considérées comme définissant l’essence des devoirs moraux et légaux, mais comme une réponse de la psyché à des responsabilités objectives et légales dans la vie.

    Là où, en raison de la structure antagoniste entre le droit et la moralité de la majorité de la société, un gouffre est creusé, où, par conséquent, les devoirs juridiques ne peuvent être à la fois des devoirs moraux, du moins pour la majorité de la population, des différences profondes d’émotions accompagnent les devoirs moraux.

    Dans nos conditions [socialistes], pour la majorité des gens, une telle différence profonde entre les émotions lors de la réalisation de leurs obligations légales et morales ne peut avoir lieu.

    Pour un homme soviétique conscient, l’accomplissement des devoirs juridiques et moraux est lié aux mêmes nobles émotions – le désir d’accomplir son devoir social, le respect des lois juridiques et morales de son pays socialiste. »

    Les citoyens soviétiques ne sont à terme plus des citoyens de l’URSS, mais l’URSS elle-même.

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  • Lénine : Tolstoï, miroir de la révolution russe

    11 (24) septembre 1908, Proletari.

    Il peut sembler, à première vue, étrange et artificiel d’accoler le nom du grand artiste à la révolution qu’il n’a manifestement pas comprise et dont il s’est manifestement détourné. On ne peut tout de même pas nommer miroir d’un phénomène ce qui, de toute évidence, ne le reflète pas de façon exacte.

    Mais notre révolution est un phénomène extrêmement complexe ; dans la masse de ses réalisateurs et de ses participants immédiats, il existe beaucoup d’éléments sociaux qui, eux aussi, ne comprenaient manifestement pas ce qui se passait et qui, de même, se détournaient des tâches historiques véritables qui leur étaient assignées par le cours des événements.

    Et si nous sommes en présence d’un artiste réellement grand, il a dû refléter dans ses œuvres quelques-uns au moins des côtés essentiels de la révolution.

    La presse russe légale, remplie d’articles, de lettres et de notices à l’occasion du 80e anniversaire de Tolstoï, s’intéresse fort peu à l’analyse de ses œuvres, du point de vue du caractère de la révolution russe et de ses forces motrices.

    Toute cette presse déborde jusqu’à l’écœurement d’hypocrisie, d’une double hypocrisie officielle et libérale. La première est l’hypocrisie grossière des écrivassiers vénaux qui avaient, hier, ordre de traquer L. Tolstoï et, aujourd’hui, de rechercher en lui le patriote et de tâcher d’observer les convenances devant l’Europe.

    Que les écrivassiers de cette espèce soient payés pour leurs écrits, tout le monde le sait, et ils ne tromperont personne. Beaucoup plus raffinée et, par suite, beaucoup plus nuisible et dangereuse, est l’hypocrisie libérale. A écouter les Balalaïkine de la Riétch, leur sympathie pour Tolstoï est la plus complète et la plus chaude.

    En fait, cette déclamation calculée et ces phrases pompeuses sur « le grand chercheur de Dieu » ne sont que faussetés, car le libéral russe n’a ni foi dans le Dieu de Tolstoï, ni sympathie pour la critique de Tolstoï à l’égard du régime existant.

    Il s’accroche à un nom populaire pour augmenter son petit capital politique, pour jouer le rôle de chef de l’opposition nationale, il essaie d’étouffer sous le tonnerre et le fracas des phrases le besoin d’une réponse directe et claire à la question : d’où viennent les contradictions criantes du « tolstoïsme », quels défauts et quelles faiblesses de notre révolution reflètent-elles ?

    Les contradictions dans les œuvres, les opinions et la doctrine de l’école de Tolstoï sont, en effet, criantes. D’une part, un artiste génial qui, non seulement, a peint des tableaux incomparables de la vie russe, mais qui a donné à la littérature mondiale des oeuvres de premier ordre. D’autre part, un propriétaire foncier faisant l’innocent du village.

    D’une part, une protestation d’une énergie remarquable, directe et sincère contre l’hypocrisie et la fausseté sociales ; de l’autre, un « tolstoïen », c’est-à-dire cet être débile, usé, hystérique, dénommé l’intellectuel russe, qui, se frappant publiquement la poitrine, dit : « Je suis un méchant, je suis un vilain, mais je m’occupe d’auto-perfectionnement moral ; je ne mange plus de viande et je me nourris maintenant de boulettes de riz. »

    D’une part, la critique impitoyable de l’exploitation capitaliste, la dénonciation des violences exercées par le gouvernement, de la comédie de la justice et de l’administration de l’Etat, la révélation de toute la profondeur des contradictions entre l’accroissement des richesses, les conquêtes de la civilisation, et l’accroissement de la misère, de la sauvagerie et des souffrances des masses ouvrières ; d’autre part, l’innocent qui prêche la « non-résistance au mal par la violence ».

    D’une part, le réalisme le plus lucide, l’arrachement de tous les masques quels qu’ils soient ; d’autre part, la prédication d’une des choses les plus ignobles qui puissent exister au monde, à savoir : la religion, la tendance à substituer aux popes fonctionnaires d’Etat des popes par conviction, c’est-à-dire une propagande en faveur du règne des popes sous sa forme la plus raffinée et, par suite, la plus abjecte. En vérité :

    Tu es misérable, et tu es féconde,
    Tu es puissante, et tu es sans forces,
    Mère Russie !

    Il est évident qu’avec de pareilles contradictions Tolstoï ne pouvait absolument pas comprendre le mouvement ouvrier et son rôle dans la lutte pour le socialisme, ni la révolution russe.

    Mais les contradictions dans les vues et les enseignements de Tolstoï ne sont pas l’effet du hasard, elles sont l’expression des conditions contradictoires dans lesquelles se déroulait la vie russe durant le dernier tiers du XIXe siècle.

    La campagne patriarcale qui venait seulement de se libérer du servage avait été livrée au Capital et au fisc pour être littéralement mise à sac. Les vieux fondements de l’économie paysanne et de la vie paysanne, qui s’étaient maintenus au cours des siècles, furent démolis avec une rapidité incroyable.

    Aussi faut-il juger les contradictions dans les opinions de Tolstoï, non du point de vue du mouvement ouvrier contemporain et du socialisme contemporain (un tel jugement est, certes, nécessaire, pourtant il ne suffit pas), mais du point de vue de la protestation contre le capitalisme en marche, contre la ruine des masses dépouillées de leurs terres, protestation qui devait venir de la campagne patriarcale russe.

    Tolstoï prête à rire en tant que prophète qui aurait découvert de nouvelles recettes pour le salut de l’humanité, – et c’est pourquoi ils sont vraiment pitoyables, les « tolstoïens », étrangers et russes, qui ont voulu transformer en dogme le côté justement le plus faible de sa doctrine.

    Tolstoï est grand comme interprète des idées et des états d’âme qui se sont formés chez les millions de paysans russes, à l’avènement de la révolution bourgeoise en Russie.

    Tolstoï est original, car l’ensemble de ses idées, prises en bloc, exprime justement les particularités de notre révolution, en tant que révolution bourgeoise paysanne.

    Les contradictions dans les idées de Tolstoï, de ce point de vue, sont un véritable miroir des conditions contradictoires dans lesquelles s’est déroulée l’activité historique de la paysannerie au cours de notre révolution.

    D’un côté, les siècles d’oppression servile et les dizaines d’années de ruine à marche forcée, consécutive à la réforme, avaient accumulé des montagnes de haine, de colère et de résolutions désespérées.

    Le désir de balayer d’une façon radicale et l’Eglise officielle et les grands propriétaires fonciers et le gouvernement de ces propriétaires fonciers, d’anéantir toutes les anciennes formes et coutumes de propriété foncière, de nettoyer la terre, de créer à la place de l’État policier de classe une communauté de petits paysans libres et égaux en droits, – ce désir traverse comme un fil rouge toute l’action historique des paysans dans notre révolution, et il n’est pas douteux que le contenu idéologique des écrits de Tolstoï correspond beaucoup plus à ce désir paysan qu’à l’« anarchisme chrétien » abstrait, comme on définit parfois le « système » de ses idées.

    D’un autre côté, la paysannerie, qui aspirait à de nouvelles formes de communauté, avait une attitude fort inconsciente, patriarcale, une attitude d’innocents de village à l’égard de ce que devait être cette communauté, des moyens de lutte par lesquels il lui fallait conquérir sa liberté, des chefs qu’elle pouvait avoir dans cette lutte, des sentiments de la bourgeoisie et des intellectuels bourgeois envers la révolution paysanne, des raisons qui rendaient nécessaire le renversement par la violence du pouvoir tsariste, afin d’anéantir la propriété foncière des hobereaux.

    Toute la vie passée de la paysannerie lui avait appris à haïr le seigneur et le fonctionnaire, mais ne lui avait pas appris et n’avait pu lui apprendre où chercher la réponse à toutes ces questions.

    Dans notre révolution, la minorité de la paysannerie a effectivement lutté, en s’organisant tant soi peu à cette fin, et une partie infime s’est levée, les armes à la main, pour exterminer ses ennemis, pour abattre les serviteurs du tsar et les défenseurs des grands propriétaires fonciers.

    La plus grande partie de la paysannerie pleurait et priait, ratiocinait et rêvait, écrivait des requêtes et envoyait des « solliciteurs », – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

    Et comme il arrive toujours dans des cas pareils, l’abstention tolstoïenne de toute politique, la renonciation tolstoïenne à la politique, l’absence d’intérêt et de compréhension pour elle ont fait qu’une minorité seulement a suivi le prolétariat conscient et révolutionnaire, et que la majorité est devenue la proie de ces intellectuels bourgeois serviles et sans principes, qui, sous le nom de cadets, couraient, de l’assemblée des troudoviks, faire antichambre chez Stolypine, mendiaient, marchandaient, conciliaient, promettaient de concilier, – jusqu’à ce qu’un soldat les chassât à coups de botte.

    Les idées de Tolstoï sont le miroir de la faiblesse, des insuffisances de notre insurrection paysanne, le reflet de l’apathie de la campagne patriarcale et de la lâcheté foncière du « moujik aisé ».

    Prenez les insurrections de soldats en 1905-1906. La composition sociale de ces lutteurs de notre révolution c’est le milieu entre la paysannerie et le prolétariat. Ce dernier est en minorité ; c’est pourquoi le mouvement dans les troupes ne montre pas, même approximativement, cette cohésion nationale, cette conscience de parti que manifeste le prolétariat devenu, comme au signal d’un coup de baguette, social-démocrate.

    D’autre part, il n’est pas d’opinion plus erronée que celle qui attribue l’échec des insurrections de soldats à l’absence de dirigeants officiers. Au contraire, le progrès gigantesque de la révolution, depuis les temps de la Narodnaïa Volia, s’est manifesté justement dans le fait que c’est le « bétail obscur » qui a recouru aux armes contre ses supérieurs et dont l’indépendance a tellement fait peur aux propriétaires fonciers libéraux et aux officiers libéraux.

    Le soldat était rempli de sympathie pour la cause paysanne ; ses yeux s’allumaient au seul mot de terre. Plus d’une fois, le pouvoir passa, dans l’armée, aux mains de la masse des soldats – mais il n’y eut presque pas d’utilisation résolue de ce pouvoir ; les soldats hésitaient ; au bout de quelques jours, quelquefois au bout de quelques heures, après avoir tué quelque chef haï, ils rendaient la liberté aux autres, entraient en pourparlers avec les autorités et se laissaient ensuite fusiller, fouetter, se mettaient de nouveau sous le joug – tout à fait dans l’esprit de Léon Nicolaïévitch Tolstoï !

    Tostoï a reflété la haine accumulée, l’aspiration enfin mûre vers un avenir meilleur, le désir de s’affranchir du passé – et la non-maturité des rêveries, le manque d’éducation politique, l’apathie en face de la révolution.

    Les conditions historiques et économiques expliquent à la fois la nécessité de l’apparition de la lutte révolutionnaire des masses et leur manque de préparation pour cette lutte, la non résistance tolstoïenne au mal, qui fut parmi les causes les plus sérieuses de la défaite de la première campagne révolutionnaire.

    On dit que la défaite est une bonne école pour les armées. Sans doute, comparer les classes révolutionnaires à des armées n’est juste que dans un sens très limité. Le développement du capitalisme modifie et aggrave à chaque heure les conditions qui poussaient à la lutte révolutionnaire démocratique les millions de paysans, unis par la haine contre les propriétaires féodaux et leur gouvernement.

    Dans la paysannerie même, l’accroissement des échanges, de la domination du marché et du pouvoir de l’argent, éliminent de plus en plus les anciennes moeurs patriarcales et l’idéologie patriarcale tolstoïenne.

    Mais il est une conquête des premières années de la révolution et des premières défaites dans la lutte révolutionnaire des masses qui n’est pas douteuse : c’est le coup mortel porté à l’ancienne mollesse, à l’ancienne veulerie des masses. Les lignes de démarcation sont devenues plus tranchées. Les classes et les partis se sont délimités.

    Sous le marteau des leçons de Stolypine, grâce à l’agitation obstinée, organisée des social-démocrates révolutionnaires, non seulement le prolétariat socialiste, mais encore les masses démocratiques de la paysannerie pousseront inévitablement en avant des lutteurs toujours plus aguerris, de moins en moins capables de tomber dans notre péché historique du tolstoïsme !

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