Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Thèses sur la question agraire du second congrès de l’Internationale communiste

    1. Le prolétariat industriel des villes, dirigé par le Parti communiste, peut seul libérer les masses laborieuses des campagnes du joug des capitalistes et des propriétaires fonciers, de la désorganisation économique et des guerres impérialistes, qui recommenceront inévitablement si le régime capitaliste subsiste. Les masses laborieuses des campagnes ne pourront être libérées qu’à condition de prendre fait et cause pour le prolétariat communiste et de l’aider sans réserve dans sa lutte révolutionnaire pour le renversement du régime d’oppression des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie.

    D’un autre côté, le prolétariat industriel ne pourra s’acquitter de sa mission historique mondiale, qui est l’émancipation de l’humanité du joug du capitalisme et des guerres, s’il se renferme dans les limites de ses intérêts particuliers et corporatifs et se borne placidement aux démarches et aux efforts tendant à l’amélioration de sa situation bourgeoise parfois très satisfaisante. C’est ainsi que se passent les choses dans nombre des pays avancés où existe une « aristocratie ouvrière », fondement des partis soi-disant socialistes de la 2e Internationale, mais en réalité ennemis mortels du socialisme, traîtres envers sa doctrine, bourgeois chauvins et agents des capitalistes parmi les travailleurs. Le prolétariat ne pourra jamais être une force révolutionnaire active, une classe agissant dans l’intérêt du socialisme, s’il ne se conduit pas comme une avant-garde du peuple laborieux que l’on exploite, s’il ne se comporte pas comme le chef de guerre à qui incombe la mission de le conduire à l’assaut des exploiteurs ; mais jamais cet assaut ne réussira si les campagnes ne participent à la lutte des classes, si la masse des paysans laborieux ne se joint pas au parti communiste prolétarien des villes et si, enfin, ce dernier ne l’instruit pas.

    2. La masse des paysans laborieux que l’on exploite et que le prolétariat des villes doit conduire au combat, ou, tout au moins, gagner à sa cause, est représentée, dans tous les pays capitalistes, par :

    1°) Le prolétariat agricole composé de journaliers ou valets de ferme, embauchés à l’année, à terme ou à la journée, et qui gagnent leur vie par leur travail salarié dans les diverses entreprises capitalistes d’économie rurale et industrielle. L’organisation de ce prolétariat en une catégorie distincte et indépendante des autres groupes de la population des campagnes (au point de vue politique, militaire, professionnel, coopératif, etc…), une propagande intense dans ce milieu, destinée à l’amener au pouvoir soviétique et à la dictature du prolétariat, telle est la tâche fondamentale des partis communistes dans tous les pays ;

    2°) Les demi-prolétaires ou les paysans, travaillant en qualité d’ouvriers embauchés, dans diverses entreprises agricoles, industrielles ou capitalistes, ou cultivant le lopin de terre qu’ils possèdent ou louent et qui ne leur rapporte que le minimum nécessaire pour assurer l’existence de leur famille. Cette catégorie de travailleurs ruraux est très nombreuse dans les pays capitalistes ; les représentants de la bourgeoisie et les « socialistes » jaunes de la 2e Internationale, cherchent à dissimuler ses conditions d’existence véritables, particulièrement la situation économique ; tantôt en trompant sciemment les ouvriers, tantôt par suite de leur propre aveuglement, qui provient des idées routinières de la bourgeoisie ; ils confondent volontiers ce groupe avec la grande masse des « paysans ». Cette manœuvre, foncièrement bourgeoise, en vue de duper les ouvriers, est surtout pratiquée en Allemagne, en France, en Amérique, et dans quelques autres pays. En organisant bien le travail du Parti communiste, ce groupe social pourra devenir un fidèle soutien du communisme, car la situation de ces demi-prolétaires est très précaire et l’adhésion leur vaudra des avantages énormes et immédiats.

    Dans certains pays, il n’existe pas de distinction claire entre ces deux premiers groupes ; il serait donc loisible, suivant les circonstances, de leur donner une organisation commune ;

    3°) Les petits propriétaires, les petits fermiers qui possèdent ou louent de petits lopins de terre et peuvent satisfaire aux besoins de leur ménage et de leur famille sans embaucher des travailleurs salariés. Cette catégorie de ruraux a beaucoup à gagner à la victoire du prolétariat ; le triomphe de la classe ouvrière donne aussitôt à chaque représentant de ce groupe les biens et les avantages qui suivent :

    a) Non-paiement du prix du bail et abolition du métayage (il en serait ainsi en France, en Italie, etc…) payés jusqu’à présent aux grands propriétaires fonciers ;

    b) Abolition des dettes hypothécaires ;

    c) Émancipation de l’oppression économique exercée par les grands propriétaires fonciers, laquelle se présente sous les aspects les plus divers (droit d’usage des bois et forêts, de friches, etc…) ;

    d) Secours agricole spécial et financier immédiat du pouvoir prolétarien, notamment secours en outillage agricole ; octroi de constructions se trouvant sur le territoire de vastes domaines capitalistes expropriés par le prolétariat, transformation immédiate par le gouvernement prolétarien de toutes les coopératives rurales et des compagnies agricoles, qui n’étaient avantageuses sous le régime capitaliste qu’aux paysans riches et aisés, en organisations économiques ayant pour but de secourir, en premier lieu, la population pauvre, c’est-à-dire les prolétaires, les demi-prolétaires et les paysans pauvres.

    Le Parti communiste doit aussi comprendre que pendant la période de transition du capitalisme au communisme, c’est-à-dire pendant la dictature du prolétariat, cette catégorie de la population rurale manifestera des hésitations plus ou moins sensibles et un certain penchant à la liberté du commerce et à la propriété privée ; car, nombre de ceux qui la composent faisant, au moins dans une petite mesure, le commerce des articles de première nécessité, sont déjà démoralisés par la spéculation et par leurs habitudes de propriété. Si, cependant, le gouvernement prolétarien réalise, dans cette question, une politique ferme et inexorable, et si le prolétariat vainqueur écrase sans merci les gros propriétaires fonciers et les paysans aisés, ces hésitations ne sauront être de longue durée et ne pourront modifier ce fait indubitable qu’en fin de compte le groupe dont il s’agit sympathise avec la révolution prolétarienne.

    3. Ces trois catégories de la population rurale, prises ensemble, forment, dans tous les pays capitalistes, la majorité de la population. Le succès d’un coup d’État prolétarien, tant dans les villes que dans les villages, peut donc être considéré comme indiscutable et certain. L’opinion opposée est cependant très en faveur dans la société actuelle. En voici les raisons : elle ne se maintient qu’à force d’agissements trompeurs de la science : de la statistique bourgeoise qui cherche à voiler par tous les moyens en son pouvoir l’insondable abîme qui sépare ces classes rurales de leurs exploiteurs, les propriétaires fonciers et les capitalistes, ainsi que les demi-prolétaires et les paysans pauvres des paysans aisés ; cette opinion persiste grâce à la maladresse des héros de la 2e Internationale Jaune et de « l’aristocratie ouvrière » dépravée par les privilèges impérialistes, et à la mauvaise volonté qu’ils mettent à faire, parmi les paysans pauvres, une propagande prolétarienne et révolutionnaire vigoureuse et un bon travail d’organisation ; les opportunistes employaient et emploient toujours leurs efforts à imaginer diverses variétés d’accord pratiques et théoriques avec la bourgeoisie, y compris les paysans riches et aisés, et ne pensent nullement au renversement révolutionnaire du gouvernement bourgeois et de la bourgeoisie elle-même ; enfin, l’opinion dont il s’agit se maintient jusqu’ici grâce à un préjuge opiniâtre et, pour ainsi dire, inébranlable, parce qu’il se trouve étroitement uni à tous les autres préjugés du parlementarisme et de la bourgeoisie démocratique ; ce préjugé consiste dans la non-compréhension d’une vérité parfaitement démontrée par le marxisme théorique et suffisamment prouvée par l’expérience de la révolution prolétarienne russe ; cette vérité est que les trois catégories de la population rurale dont nous avons parlé, abruties, désunies, opprimées et vouées, dans les pays même les plus civilisés, à une existence demi-barbare, ont, par conséquent, un intérêt économique, social et intellectuel à la victoire du socialisme, mais ne peuvent néanmoins appuyer vigoureusement le prolétariat révolutionnaire qu’après la conquête du pouvoir politique, lorsqu’il aura fait justice des gros propriétaires fonciers et capitalistes mettant ainsi les masses rurales dans l’obligation de constater qu’elles ont, en lui, un chef et un défenseur organisé, assez puissant pour les diriger et leur montrer la bonne voie.

    4. Les « paysans moyens » sont au point de vue économique de petits propriétaires ruraux qui possèdent ou prennent à terme, eux aussi, des lopins de terre peu considérables sans doute, mais leur permettant quand même, sous le régime capitaliste, non seulement de nourrir leur famille et d’entretenir en bon état leur petite propriété rurale, mais de réaliser encore un excédent de bénéfices, pouvant, tout au moins dans les années de bonne récolte, être transformé en économies relativement importantes ; ces paysans embauchent assez souvent des ouvriers (par exemple, deux ou trois ouvriers par entreprises) dont ils ont besoin pour toutes sortes de travaux. On pourrait citer ici l’exemple concret de « paysans moyens » d’un pays capitaliste avancé : ceux de l’Allemagne. Il y avait, en Allemagne, d’après le recensement de 1907, une catégorie de propriétaires ruraux possédant chacun de cinq à dix hectares, dans les propriétés desquels le nombre des ouvriers embauchés s’élevait presque au tiers du chiffre total des travailleurs des champs.

    [Note : voici quelques chiffres exacts : Allemagne : propriétés rurales de 5 à 10 hectares, employant des ouvriers embauchés : 652 798 (sur 5 736 082), ouvriers salariés : 487 764, ouvriers mariés : 2 003 633. Autriche (recensement de 1910) : 383 351 propriétés rurales, dont 126.136 employant des travailleurs embauchés, ouvriers salariés : 146 044, ouvriers mariés : 1 265 969. Le nombre total des fermes en Autriche s’élève à 2 856 349.]

    En France, où les cultures spéciales, comme la viticulture, sont plus développées, et où la terre demande beaucoup plus d’effort et de soins, les propriétés rurales de cette catégorie emploient probablement un nombre plus important de travailleurs salariés.

    Pour son avenir le plus rapproché et pour toute la première période de sa dictature, le prolétariat révolutionnaire ne peut pas se donner comme tâche la conquête politique de cette catégorie rurale et doit se borner à sa neutralisation, dans la lutte qui se livre entre le prolétariat et la bourgeoisie. Le penchant de cette couche de la population tantôt vers un parti politique, tantôt vers un autre, est inévitable et, probablement, sera-t-il au commencement de la nouvelle époque et dans les pays foncièrement capitalistes, favorable à la bourgeoisie. Tendance d’ailleurs fort naturelle, l’esprit de propriété privée jouant chez elle un rôle prépondérant. Le prolétariat vainqueur améliorera immédiatement la situation économique de cette couche de la population en supprimant le système du bail, les dettes hypothécaires et en introduisant dans l’agriculture l’usage des machines et l’emploi de l’électricité. Cependant, dans la plupart des pays capitalistes, le pouvoir prolétarien ne devra pas abolir sur le champ et complètement le droit de propriété privée, mais il devra affranchir cette classe de toutes les obligations et impositions auxquelles elle est sujette de la part des propriétaires fonciers ; le pouvoir soviétique assurera aux paysans pauvres et d’aisance moyenne la possession de leurs terres, dont il cherchera même à augmenter la superficie, en mettant les paysans en possession de terres qu’ils affermaient autrefois (abolition du fermage).

    Toutes ces mesures, suivies d’une lutte sans merci contre la bourgeoisie, assurera le succès complet de la politique de neutralisation. C’est avec la plus grande circonspection que le pouvoir prolétarien doit passer à l’agriculture collectiviste, progressivement, à force d’exemples, et sans la moindre mesure de coercition à l’égard des paysans « moyens ».

    5. Les paysans riches et aisés sont les entrepreneurs capitalistes de l’agriculture ; ils cultivent habituellement leurs terres avec le concours des travailleurs salariés et ne sont rattachés à la classe paysanne que par leur développement intellectuel très restreint, par leur vie rustique et par le travail personnel qu’ils font en commun avec les ouvriers qu’ils embauchent. Cette couche de la population rurale est très nombreuse et représente en même temps l’adversaire le plus invétéré du prolétariat révolutionnaire. Aussi, tout le travail politique des partis communistes dans les campagnes doit-il se concentrer dans la lutte contre cet élément, pour émanciper la majorité de la population rurale laborieuse et exploitée, de l’influence morale et politique, si pernicieuse, de ces exploiteurs ruraux.

    Il est bien possible que, dès la victoire du prolétariat dans les villes, ces éléments aient recours à des actes de sabotage et même à des prises d’armes, manifestement contre-révolutionnaires. Aussi, le prolétariat révolutionnaire devra-t-il commencer sur-le-champ la préparation intellectuelle et organisatrice de toutes les forces dont il aura besoin pour les désarmer et pour leur porter, tandis qu’il renversera le régime capitaliste et industriel, le coup de grâce. À cet effet, le prolétariat révolutionnaire des villes devra armer ses alliés ruraux et organiser, dans tous les villages des soviets où nul exploiteur ne sera admis et où les prolétaires et les demi-prolétaires seront appelés à jouer le rôle prépondérant. Même dans ce cas cependant, la tâche immédiate du prolétariat vainqueur ne devra pas comporter l’expropriation des grandes propriétés paysannes, parce que à ce moment même les conditions matérielles et, en partie, techniques et sociales, nécessaires à la socialisation des grandes propriétés, ne seront pas encore réalisées. Tout porte à croire que, dans certains cas isolés, des terres affermées ou strictement nécessaires aux paysans pauvres du voisinage seront confisquées ; on accordera également à ces derniers, l’usage gratuit, à certaines conditions toutefois, d’une partie de l’outillage agricole des propriétaires ruraux riches ou aisés. Mais, en règle générale, le pouvoir prolétarien devra laisser leurs terres aux paysans riches et aisés et ne s’en emparer que dans le cas d’une opposition manifeste à la politique et aux prescriptions du pouvoir des travailleurs. Cette ligne de conduite est nécessaire, l’expérience de la révolution prolétarienne russe, où la lutte contre les paysans riches et aisés traîne en longueur dans des conditions très complexes, ayant démontré que ces éléments de la population rurale, douloureusement frappés pour toutes leurs tentatives de résistance, même les moindres, sont pourtant capables de s’acquitter loyalement des travaux que leur confie l’État prolétarien et commencent même, quoique très lentement, à se pénétrer de respect envers le pouvoir qui défend tout travailleur et écrase impitoyablement le riche oisif.

    Les conditions spéciales qui ont compliqué et retardé la lutte du prolétariat russe, vainqueur de la bourgeoisie, contre les paysans riches, dérivaient uniquement du fait qu’après l’événement du 25 octobre 1917, la révolution russe avait traversé une phase « démocratique » — c’est-à-dire, au fond, bourgeoise démocratique — de lutte des paysans contre les propriétaires fonciers ; on doit encore ces conditions spéciales à la faiblesse numérique et à l’état arriéré du prolétariat des villes et, enfin, à l’immensité du pays et au délabrement de ses voies de communication. Mais les pays avancés de l’Europe et de l’Amérique ignorent toutes ces causes de retard, et c’est pourquoi leur prolétariat révolutionnaire doit briser plus énergiquement, plus rapidement, avec plus de décision et beaucoup plus de succès, la résistance des paysans riches et aisés et leur ôter, à l’avenir, toute possibilité d’opposition. Cette victoire de la masse des prolétaires, des demi-prolétaires et des paysans, est absolument indispensable, et tant qu’elle n’aura pas été remportée, le pouvoir prolétarien ne pourra se considérer comme une autorité stable et ferme.

    6. Le prolétariat révolutionnaire doit confisquer immédiatement et sans réserve toutes les terres appartenant aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire à toutes les personnes exploitant systématiquement, dans les pays capitalistes, que ce soit de façon directe ou par l’entremise de leurs fermiers, les travailleurs salariés, les paysans pauvres et même, assez souvent, les paysans moyens de la région, à tous les propriétaires qui ne participent aucunement au travail physique dans la plupart des cas, descendants des barons féodaux (nobles de Russie, d’Allemagne et de Hongrie, seigneurs restaurés de France, lords anglais, anciens possesseurs d’esclaves en Amérique), magnats de la haute finance ou, enfin, ceux qui sont issus de ces deux catégories d’exploiteurs et de fainéants.

    Les partis communistes doivent s’opposer énergiquement à l’idée d’accorder une indemnité aux grands propriétaires fonciers expropriés et lutter contre toute propagande en ce sens ; les partis communistes ne doivent pas oublier que le versement d’une semblable indemnité serait une trahison envers le socialisme et une contribution nouvelle imposée aux masses exploitées, accablées par le fardeau de la guerre qui a multiplié le nombre des millionnaires et a accru leurs fortunes.

    Dans les pays capitalistes avancés, l’Internationale Communiste estime qu’il serait bon et pratique de maintenir intactes les grandes propriétés agricoles et de les exploiter de la même façon que les « propriétés soviétiques » russes [Note : il serait bon de favoriser la création de domaines administrés par des collectivités (Communes)].

    Quant à la culture des terres enlevées par le prolétariat vainqueur aux grands propriétaires fonciers, en Russie, elles étaient jusqu’à présent partagées entre les paysans ; c’est que le pays est très arriéré au point de vue économique. Dans des cas très rares le gouvernement prolétarien russe a maintenu en son pouvoir des propriétés rurales dites « soviétiques » et que l’État prolétarien exploite lui-même, en transformant les anciens ouvriers salariés en « délégués de travail » ou en membres de soviets.

    La conservation des grands domaines sert mieux les intérêts des éléments révolutionnaires de la population, surtout des agriculteurs qui ne possèdent point de terres, des demi-prolétaires et des petits propriétaires qui vivent souvent de leur travail dans les grandes entreprises. En outre, la nationalisation des grands domaines rend la population urbaine moins dépendante à l’égard des campagnes au point de vue du ravitaillement.

    Là où subsistent encore des vestiges du système féodal, où les privilèges des propriétaires fonciers engendrent des formes spéciales d’exploitation, où l’on voit encore le « servage » et le « métayage », il est nécessaire de remettre aux paysans une partie du sol des grands domaines.

    Dans les pays où les grands domaines sont en nombre insignifiant, où un grand nombre de petits tenanciers demandent des terres, la distribution des grands domaines en lots peut être un moyen sûr pour gagner les paysans à la révolution, alors que la conservation de ces quelques grands domaines ne serait d’aucun intérêt pour les villes, au point de vue du ravitaillement.

    La première et la plus importante tâche du prolétariat est de s’assurer une victoire durable. Le prolétariat ne doit pas redouter une baisse de la production, si cela est nécessaire, pour le succès de la révolution. Ce n’est qu’en maintenant la classe moyenne des paysans dans la neutralité et en s’assurant l’appui de la majorité, si ce n’est de la totalité, des prolétaires des campagnes, que l’on pourra assurer au pouvoir prolétarien une existence durable.

    Toutes les fois que les terres des grands propriétaires fonciers seront distribuées, les intérêts du prolétariat agricole devront passer avant tout.

    Tout l’outillage agricole et technique des grandes propriétés foncières et rurales doit être confisqué et remis à l’État, à condition toutefois, qu’après la distribution de cet outillage, en quantité suffisante, aux grandes propriétés rurales de l’État, les petits paysans puissent en profiter gratuitement, en se conformant aux règlements élaborés à ce sujet par le pouvoir prolétarien.

    Si, tout au commencement de la révolution prolétarienne, la confiscation immédiate des grandes propriétés foncières, ainsi que l’expulsion ou l’internement de leurs propriétaires, leaders de la contre-révolution et oppresseurs impitoyables de toute la population rurale, sont absolument nécessaires, le pouvoir prolétarien doit tendre systématiquement, au fur et à mesure de la consolidation de sa position dans les villes et les campagnes, à l’utilisation des forces de cette classe, qui possède une expérience précieuse des connaissances et des capacités organisatrices, pour créer avec son concours, et sous le contrôle de communistes éprouvés, une vaste agriculture soviétique.

    7. Le socialisme ne vaincra définitivement le capitalisme et ne sera à jamais affermi qu’au moment où le pouvoir gouvernemental prolétarien, ayant réprimé toute résistance des exploiteurs et assuré son autorité, aura réorganisé toute l’industrie sur la base d’une nouvelle production collectiviste et sur un nouveau fondement technique (application générale de l’énergie électrique dans toutes les branches de l’agriculture et de l’économie rurale). Cette réorganisation seule peut donner aux villes la possibilité d’offrir aux campagnes arriérées une aide technique et sociale susceptible de déterminer un accroissement extraordinaire de la productivité du travail agricole et rural et d’engager, par l’exemple, les petits laboureurs à passer, dans leur propre intérêt, progressivement, à une culture collectiviste mécanique.

    C’est précisément dans les campagnes que la possibilité d’une lutte victorieuse pour la cause socialiste exige de la part de tous les partis communistes un effort pour susciter, parmi le prolétariat industriel, le sentiment de la nécessité des sacrifices à consentir pour le renversement de la bourgeoisie et pour la consolidation du pouvoir prolétarien ; chose absolument nécessaire parce que la dictature du prolétariat signifie qu’il sait organiser et conduire les travailleurs exploités et que son avant-garde est toujours prête, pour atteindre ce but, au maximum d’efforts héroïques et de sacrifices ; en outre, pour remporter la victoire définitive, le socialisme exige que les masses laborieuses les plus exploitées des campagnes puissent voir, dès la victoire des ouvriers, leur situation presque immédiatement améliorée aux dépens des exploiteurs ; s’il n’en était pas ainsi, le prolétariat industriel ne pourrait pas compter sur l’appui des campagnes et ne pourrait pas, de ce fait, assurer le ravitaillement des villes.

    8. Les difficultés énormes que présentent l’organisation et la préparation à la lutte révolutionnaire de la masse des travailleurs ruraux que le régime capitaliste avait abrutis, éparpillés et asservis, à peu près autant qu’au moyen-âge, exige de la part des partis communistes, la plus grande attention envers le mouvement gréviste rural, l’appui vigoureux et le développement intense des grèves de masses de prolétaires et des demi-prolétaires ruraux. L’expérience des révolutions russes de 1905 et 1917, confirmée et complétée actuellement par celle de la révolution allemande et d’autres pays avancés, prouve que seul le mouvement gréviste, progressant sans cesse (avec la participation, dans certaines conditions, des « petits paysans ») peut tirer les villages de leur léthargie, réveiller chez les paysans la conscience de classe et le sentiment de la nécessité d’une organisation de classe des masses rurales exploitées et montrer clairement aux habitants de la campagne l’importance pratique de leur union avec les travailleurs des villes. À ce point de vue, la création de syndicats ouvriers agricoles et la collaboration des communistes dans les organisations d’ouvriers agricoles et forestiers sont de la plus haute importance. Les communistes doivent particulièrement soutenir les organisations formées par la population agricole étroitement liée au mouvement ouvrier révolutionnaire. Une propagande énergique doit être faite parmi les paysans prolétaires.

    Le Congrès de l’Internationale Communiste flétrit et condamne sévèrement les socialistes félons et traîtres que l’on trouve malheureusement, non seulement au sein de la l’Internationale Jaune, mais aussi parmi les trois partis européens les plus importants, sortis de cette Internationale ; le congrès voue à la honte les socialistes capables non seulement de considérer d’un œil indifférent le mouvement gréviste rural, mais encore de lui résister (comme K. Kautsky), de peur qu’il n’en résulte une réduction du ravitaillement. Tous les programmes et toutes les déclarations les plus solennels n’ont aucune valeur, s’il n’est pas possible de prouver pratiquement que les communistes et les leaders ouvriers savent mettre au-dessus de toutes choses le développement de la révolution prolétarienne et sa victoire, qu’ils savent consentir pour elle aux sacrifices les plus pénibles, parce qu’il n’est pas d’autres issues, pas d’autres moyens pour vaincre la famine et la désorganisation économique et pour conjurer de nouvelles guerres impérialistes.

    9. Les partis communistes doivent faire tout ce qui dépend d’eux pour commencer au plus tôt l’organisation des soviets dans les campagnes et en premier lieu, des soviets qui représenteraient des travailleurs salariés et les demi-prolétaires. Ce n’est qu’en coopération étroite avec le mouvement gréviste des masses et avec la classe la plus opprimée que les soviets seront à même de s’acquitter de leur mission et deviendront assez forts pour soumettre à leur influence (et les incorporer par la suite) les « petits paysans ». Si cependant le mouvement gréviste n’est pas encore assez développé et la capacité d’organisation du prolétariat rural est encore trop faible, tant à cause de l’oppression des propriétaires fonciers et des paysans riches, que de l’insuffisance de l’appui fourni par les ouvriers industriels et par leurs syndicats, la création des soviets dans les campagnes demande une longue préparation ; elle doit être faite par la création des foyers communistes, par une propagande active, en termes clairs et nets, des aspirations communistes que l’on expliquera à force d’exemples illustrant les diverses méthodes d’exploitation et d’oppression, et enfin au moyen de tournées de propagande systématiques des travailleurs industriels dans les campagnes.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Thèses et additions sur les questions nationale et coloniale du second congrès de l’Internationale communiste

    A. — Thèses

    1. La position abstraite et formelle de la question de l’égalité — l’égalité des nationalités y étant incluse — est propre à la démocratie bourgeoise sous la forme de l’égalité des personnes, en général ; la démocratie bourgeoise proclame l’égalité formelle ou juridique du prolétaire, de l’exploiteur et de l’exploité, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L’idée d’égalité, qui n’était que le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient, entre les mains de la bourgeoisie, une arme contre l’abolition des classes combattue désormais au nom de l’égalité absolue des personnalités humaines. Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire, elle ne réside que dans la volonté d’abolir les classes.

    2. Conformément à son but essentiel — la lutte contre la démocratie bourgeoise, dont il s’agit de démasquer l’hypocrisie — le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat en lutte contre le joug de la bourgeoisie, doit considérer comme formant la clef de voûte de la question nationale, non des principes abstraits et formels, mais :

    une notion claire des circonstances historiques et économiques ;

    la dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités, par rapport à la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes ;

    la division tout aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes, protégées — et oppressives et exploiteuses, jouissant de tous les droits, contrairement à l’hypocrisie bourgeoise et démocratique qui dissimule, avec soin, l’asservissement (propre à l’époque du capital financier de l’impérialisme) par la puissance financière et colonisatrice, de l’immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes.

    3. La guerre impérialiste de 1914-1918 a mis en évidence devant toutes les nations et toutes les classes opprimées du monde la duperie des phraséologies démocratiques et bourgeoises — le traité de Versailles, dicté par les fameuses démocraties occidentales, ne faisant que sanctionner, à l’égard des nations faibles, des violences plus lâches et plus cyniques encore que celles des junkers et du kaiser à Brest-Litovsk. La Ligue des Nations et la politique de l’Entente dans leur ensemble ne font que confirmer ce fait et développer l’action révolutionnaire du prolétariat des pays avancés et des masses laborieuses des pays colonisés ou assujettis, hâtant ainsi la banqueroute des illusions nationales de la petite-bourgeoise, quant à la possibilité d’un paisible voisinage et d’une égalité véritable des nations, sous le régime capitaliste.

    4. Il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l’Internationale Communiste, dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie. Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme, sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales, ni l’inégalité.

    5. La conjoncture politique mondiale actuelle met à l’ordre du jour la dictature du prolétariat ; et tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d’un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d’elle d’une part les mouvements soviétiques des travailleurs avancés de tous les pays, de l’autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu’une expérience amère a convaincues qu’il n’est pas de salut, pour elles, en dehors d’une alliance avec le prolétariat révolutionnaire et avec le pouvoir soviétique victorieux de l’impérialisme mondial.

    6. On ne peut donc plus se borner à reconnaître ou proclamer le rapprochement des travailleurs de tous les pays. Il est désormais nécessaire de poursuivre la réalisation de l’union la plus étroite de tous les mouvements émancipateurs nationaux et coloniaux avec la Russie des Soviets, en donnant à cette union des formes correspondantes au degré d’évolution du mouvement prolétarien parmi le prolétariat de chaque pays, ou du mouvement émancipateur démocrate bourgeois parmi les ouvriers et les paysans des pays arriérés ou de nationalités arriérées.

    7. Le principe fédératif nous apparaît comme une forme transitoire vers l’unité complète des travailleurs de tous les pays. Le principe fédératif a déjà montré pratiquement sa conformité au but poursuivi, tant au cours des relations entre la République Socialiste Fédérative des Soviets russes et les autres républiques des Soviets (hongroise, finlandaise, lettone, par le passé ; azerbaïdjane et ukrainienne, présentement), qu’au sein même de la République russe, à l’égard de nationalités qui n’avaient auparavant ni État, ni existence autonome (exemple les républiques autonomes des Bashkirs et des Tartares, créées en Russie soviétique en 1919 et 1920).

    8. La tâche de l’Internationale Communiste est d’étudier et de vérifier l’expérience (et le développement ultérieur) de ces nouvelles fédérations basées sur la forme soviétique et sur le mouvement soviétique. Considérant la fédération comme une forme transitoire vers l’unité complète, il nous est nécessaire de tendre à une union fédérative de plus en plus étroite, en tenant compte :

    1. de l’impossibilité de défendre, sans la plus étroite union entre elles, les républiques soviétiques entourées d’ennemis impérialistes infiniment supérieurs par leur puissance militaire ;

    2. de la nécessité d’une étroite union économique des républiques soviétiques, sans laquelle la réédification des forces productrices détruites par l’impérialisme, la sécurité et le bien-être des travailleurs ne peuvent être assurés ;

    3. de la tendance à la réalisation d’un plan économique universel dont l’application régulière serait contrôlée par le prolétariat de tous les pays, tendance qui s’est manifestée avec évidence sous le régime capitaliste et doit certainement continuer son développement et arriver à la perfection par le régime socialiste.

    9. Dans le domaine des rapports sociaux à l’intérieur des États constitués, l’Internationale Communiste ne peut se borner à la reconnaissance formelle, purement officielle et sans conséquences pratiques, de l’égalité des nations, dont se contentent les démocrates bourgeois qui s’intitulent socialistes.

    Il ne suffit pas de dénoncer inlassablement dans toute la propagande et l’agitation des Partis communistes — et du haut de la tribune parlementaire comme en dehors d’elle — les violations constantes du principe de l’égalité des nationalités et des droits des minorités nationales, dans tous les États capitalistes (et en dépit de leurs « constitutions » démocratiques) ; il faut aussi démontrer sans cesse que le gouvernement des Soviets seul peut réaliser l’égalité des nationalités en unissant les prolétaires d’abord, l’ensemble des travailleurs ensuite, dans la lutte contre la bourgeoisie ; il faut aussi démontrer que le régime des Soviets assure un concours direct, par l’intermédiaire du Parti communiste, à tous les mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l’Irlande, les noirs d’Amérique, etc…) et des colonies.

    Sans cette condition particulièrement importante de la lutte contre l’oppression des pays asservis ou colonisés, la reconnaissance officielle de leur droit à l’autonomie, n’est qu’une enseigne mensongère, comme nous le voyons par la 2e Internationale.

    10. C’est la pratique habituelle non seulement des partis du centre de la 2e Internationale, mais aussi de ceux qui ont abandonné cette Internationale pour reconnaître l’internationalisme en paroles et pour lui substituer en réalité, dans la propagande, l’agitation et la pratique, le nationalisme et le pacifisme des petits-bourgeois. Cela se voit aussi parmi les partis qui s’intitulent maintenant communistes. La lutte contre ce mal et contre les préjugés petits-bourgeois les plus profondément ancrés (se manifestant sous des formes variées, telles que la haine des races, l’antagonisme national et l’antisémitisme) acquiert une importance d’autant plus grande que le problème de la transformation de la dictature prolétarienne nationale (qui n’existe que dans un pays et qui, par conséquent, est incapable d’exercer une influence sur la politique mondiale) en dictature prolétarienne internationale (celle que réaliseraient au moins plusieurs pays avancés et qui seraient capables d’exercer une influence décisive sur la politique mondiale) devient plus actuel. Le nationalisme petit-bourgeois restreint l’internationalisme à la reconnaissance du principe d’égalité des nations et (sans insister davantage sur son caractère purement verbal) conserve intact l’égoïsme national tandis que l’internationalisme prolétarien exige :

    1. La subordination des intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays à l’intérêt de cette lutte dans le monde entier ;

    2. De la part des nations qui ont vaincu la bourgeoisie, le consentement aux plus grands sacrifices nationaux en vue du renversement du capital international. Dans le pays où le capitalisme atteint déjà son développement complet, où existent les partis ouvriers formant l’avant-garde du prolétariat, la lutte contre les déformations opportunistes et pacifistes de l’internationalisme, par la petite-bourgeoise, est donc un devoir immédiat des plus importants.

    11. À l’égard des États et des pays les plus arriérés, où prédominent des institutions féodales ou patriarcales rurales, il convient d’avoir en vue :

    1. La nécessité du concours de tous les partis communistes aux mouvements révolutionnaires d’émancipation dans ces pays, concours qui doit être véritablement actif et dont la forme doit être déterminée par le Parti communiste du pays, s’il en existe un. L’obligation de soutenir activement ce mouvement incombe naturellement en premier lieu aux travailleurs de la métropole ou du pays, dans la dépendance financière duquel se trouve le peuple en question ;

    2. La nécessité de combattre l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments ;

    3. Il est aussi nécessaire de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d’utiliser la lutte émancipatrice contre l’impérialisme européen et américain pour rendre plus fort le pouvoir des impérialistes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc… ;

    4. Il est d’une importance toute spéciale de soutenir le mouvement paysan des pays arriérés contre les propriétaires fonciers, contre les survivances ou les manifestations de l’esprit féodal ; on doit avant tout s’efforcer de donner au mouvement paysan un caractère révolutionnaire, d’organiser partout où il est possible. Les paysans et tous les opprimés en Soviets et ainsi de créer une liaison très étroite du prolétariat communiste européen et du mouvement révolutionnaire paysan de l’Orient, des colonies, et des pays arriérés en général ;

    5. Il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par des mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires, pour arborer les couleurs communistes ; l’Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu’à la condition que les éléments des plus purs partis communistes — et communistes en fait — soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L’Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ;

    6. Il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérées. La duperie organisée par les puissances impérialistes, avec l’aide des classes privilégiées dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d’appeler à l’existence des États politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux — aux points de vue économique, financier et militaire. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l’égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l’impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l’affaire des sionistes en Palestine, où, sous prétexte de créer un État juif, en ce pays où les juifs sont en nombre insignifiant, le sionisme a livré la population indignée des travailleurs arabes à l’exploitation de l’Angleterre. Dans la conjoncture internationale actuelle, il n’y a pas de salut pour les peuples faibles et asservis hors de la fédération des républiques soviétiques.

    12. L’opposition séculaire des petites nations et des colonies par les puissances impérialistes a fait naître, chez les masses laborieuses des pays opprimés, non seulement un sentiment de rancune envers les nations qui oppriment en général, mais encore un sentiment de défiance à l’égard du prolétariat des pays oppresseurs. L’infâme trahison des chefs officiels de la majorité socialiste en 1914-1919, alors que le socialisme chauvin qualifiait du nom de « défense nationale » la défense des « droits » de « sa bourgeoisie » à l’asservissement des colonies et à la mise en coupe réglée des pays financièrement dépendants, n’a pu qu’accroître cette défiance bien légitime. Ces préjugés ne pouvant disparaître qu’après la disparition du capitalisme et de l’impérialisme, dans les pays avancés, et après la transformation radicale de la vie économique des pays arriérés, leur extinction ne peut être que très lente, d’où le devoir, pour le prolétariat conscient de tous les pays, de se montrer particulièrement circonspect envers les survivances du sentiment national des pays opprimés depuis un temps très long, et de voir aussi à consentir à certaines concessions utiles en vue de hâter la disparition de ces préjugés et de cette défiance. La victoire sur le capitalisme est conditionnée par la bonne volonté d’entente du prolétariat d’abord et, ensuite, des masses laborieuses de tous les pays du monde et de toutes les nations.

    B. — Thèses supplémentaires

    1. La fixation exacte des relations de l’Internationale communiste et du mouvement révolutionnaire dans les pays qui sont dominés par l’impérialisme capitaliste, en particulier de la Chine, est une des questions les plus importantes pour le 2e Congrès de l’Internationale Communiste. La révolution mondiale entre dans une période pour laquelle une connaissance exacte de ces relations est nécessaire. La grande guerre européenne et ses résultats ont montré très clairement que les masses des pays assujettis en dehors de l’Europe sont liées d’une façon absolue au mouvement prolétarien d’Europe, et que c’est là une conséquence inévitable du capitalisme mondial centralisé.

    2. Les colonies constituent une des principales sources des forces du capitalisme européen.

    Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d’exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d’Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps.

    L’Angleterre, forteresse de l’impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d’un siècle. Ce n’est qu’en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l’Angleterre a réussi à maintenir, malgré ses charges, son régime capitaliste.

    C’est par l’esclavage des centaines de millions d’habitants de l’Asie et de l’Afrique que l’impérialisme anglais est arrivé à maintenir jusqu’à présent le prolétariat britannique sous la domination bourgeoise.

    3. La plus-value obtenue par l’exploitation des colonies, est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme.

    Grâce à la possibilité d’exploiter intensément la main-d’œuvre et les sources naturelles de matières premières des colonies, les nations capitalistes d’Europe ont cherché, non sans succès, à éviter par ces moyens leur banqueroute imminente.

    L’impérialisme européen a réussi dans ses propres pays à faire des concessions toujours plus grandes à l’aristocratie ouvrière. Tout en cherchant d’un côté à maintenir les conditions de vie des ouvriers dans les pays asservis à un niveau très bas, il ne recule devant aucun sacrifice et consent à sacrifier la plus-value dans ses propres pays, celle des colonies lui demeurant.

    4. La suppression par la révolution prolétarienne de la puissance coloniale de l’Europe renversera le capitalisme européen. La révolution prolétarienne et la révolution des colonies doivent concourir, dans une certaine mesure, à l’issue victorieuse de la lutte. L’Internationale Communiste doit donc étendre le cercle de son activité. Elle doit nouer des relations avec les forces révolutionnaires qui sont à l’œuvre pour la destruction de l’impérialisme dans les pays économiquement et politiquement dominés.

    5. L’Internationale Communiste concentre la volonté du prolétariat révolutionnaire mondial. Sa tâche est d’organiser la classe ouvrière du monde entier pour le renversement de l’ordre capitaliste et l’établissement du communisme.

    L’Internationale Communiste est un instrument de lutte qui a pour tâche de grouper toutes les forces révolutionnaires du monde.

    La 2e Internationale, dirigée par un groupe de politiciens et pénétrée de conceptions bourgeoises, n’a donné aucune importance à la question coloniale. Le monde n’existait pour elle que dans les limites de l’Europe. Elle n’a pas vu la nécessité de rattacher le mouvement révolutionnaire des autres continents. Au lieu de prêter une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire des colonies, les membres de la 2e Internationale sont eux-mêmes devenus impérialistes.

    6. L’impérialisme étranger qui pèse sur les peuples orientaux, les a empêchés de se développer socialement et économiquement, simultanément avec les classes de l’Europe et de l’Amérique.

    Grâce à la politique impérialiste qui a entravé le développement industriel des colonies,une classe prolétarienne dans le sens propre de ce mot n’a pas pu y surgir, bien que, dans ces derniers temps, les métiers indigènes aient été détruits par la concurrence des produits des industries centralisées des pays impérialistes.

    La conséquence en a été que la grosse majorité du peuple s’est trouvée rejetée dans la campagne et obligée de s’y consacrer au travail agricole et à la production de matières premières pour l’exportation.

    La conséquence en a été une rapide concentration de la propriété agraire dans les mains soit des gros propriétaires fonciers, soit du capital financier, soit de l’État. De cette manière s’est créée une masse puissante de paysans sans terre. Et la grande masse de la population a été maintenue dans l’ignorance.

    Le résultat de cette politique est que, dans ceux d’entre ces pays où l’esprit révolutionnaire se manifeste, il ne trouve son expression que dans la classe moyenne cultivée.

    La domination étrangère entrave le libre développement des forces économiques. C’est pourquoi sa destruction est le premier pas de la révolution dans les colonies et c’est pourquoi l’aide apportée à la destruction de la domination étrangère dans les colonies n’est pas, en réalité, une aide apportée au mouvement nationaliste de la bourgeoisie indigène, mais l’ouverture du chemin pour le prolétariat opprimé lui-même.

    7. Il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d’indépendance politique et d’ordre bourgeois ; l’autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d’exploitation.

    Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l’Internationale Communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies.

    L’une des plus grandes tâches à cette fin est la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l’établissement de la République soviétique.

    8. Les forces du mouvement d’émancipation dans les colonies ne sont pas limitées au petit cercle du nationalisme bourgeois démocratique. Dans la plupart des colonies il y a déjà un mouvement social-révolutionnaire ou des partis communistes en relation étroite avec les masses ouvrières. Les relations de l’Internationale Communiste avec le mouvement révolutionnaire des colonies doivent servir ces partis ou ces groupes, car ils sont l’avant-garde de la classe ouvrière. S’ils sont faibles aujourd’hui, ils représentent cependant la volonté des masses et les masses les suivront dans la voie révolutionnaire. Les partis communistes des différents pays impérialistes doivent travailler en contact avec ces partis prolétariens dans les colonies et leur prêter une aide matérielle et morale.

    9. La révolution dans les colonies, dans son premier stade, ne peut pas être une révolution communiste, mais si dès son début, la direction est aux mains d’une avant-garde communiste, les masses ne seront pas égarées et dans les différentes périodes du mouvement leur expérience révolutionnaire ne fera que grandir.

    Ce serait certainement une grosse erreur que de vouloir appliquer immédiatement dans les pays orientaux à la question agraire, les principes communistes. Dans son premier stade, la révolution dans les colonies doit avoir un programme comportant des réformes petites-bourgeoises, telles que la répartition des terres. Mais il n’en découle pas nécessairement que la direction de la révolution doive être abandonnée à la démocratie bourgeoise. Le parti prolétarien doit au contraire développer une propagande puissante et systématique en faveur des Soviets, et organiser des Soviets de paysans et d’ouvriers. Ces Soviets devront travailler en étroite collaboration avec les républiques soviétiques des pays capitalistes avancés pour atteindre à la victoire finale sur le capitalisme dans le monde entier.

    Ainsi les masses des pays arriérés, conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés, arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le mouvement syndical, les comités de fabrique et d’usines

    1. Les syndicats créés par la classe ouvrière pendant la période du développement pacifique du capitalisme représentaient des organisations ouvrières destinées à lutter pour la hausse des salaires ouvriers sur le marché du travail et l’amélioration des conditions du travail salarié. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d’entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat, le Parti social-démocrate, afin d’engager une lutte commune pour le Socialisme. Les mêmes raisons qui, à de rares exceptions près, avaient fait de la démocratie socialiste non une arme de la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le renversement du capitalisme, mais une organisation entraînant l’effort révolutionnaire du prolétariat dans l’intérêt de la bourgeoisie, firent que, pendant la guerre, les syndicats se présentèrent le plus souvent en qualité d’éléments de l’appareil militaire de la bourgeoisie ; ils aidèrent cette dernière à exploiter la classe ouvrière avec la plus grande intensité et à faire mener la guerre de la manière la plus énergique, au nom des intérêts du capitalisme. N’englobant que les ouvriers spécialisés les mieux rétribués par les patrons, n’agissant que dans des limites corporatives très étroites, enchaînés par un appareil bureaucratique, complètement étranger aux masses trompées par leurs leaders opportunistes, les syndicats ont non seulement trahi la cause de la Révolution sociale, mais aussi celle de la lutte pour l’amélioration des conditions de la vie des ouvriers qu’ils avaient organisés. Ils ont abandonné le terrain de la lutte professionnelle contre les patrons et l’ont remplacé, coûte que coûte, par un programme de transactions aimables avec les capitalistes. Cette politique a été non seulement celle des Trade-Unions libérales en Angleterre et en Amérique, des syndicats libres, prétendument socialistes d’Allemagne et d’Autriche, mais aussi des Unions syndicales de France.

    2. Les conséquences économiques de la guerre, la désorganisation complète du système économique du monde entier, la cherté affolante de la vie, l’exploitation la plus intense du travail des femmes et des enfants, la question de l’habitation, qui vont progressivement de mal en pis, tout cela pousse les masses prolétariennes dans la voie de la lutte contre le capitalisme. Par son caractère et par son envergure se dessinant plus nettement de jour en jour, ce combat devient une grande bataille révolutionnaire détruisant les bases générales du capitalisme. L’augmentation des salaires d’une catégorie quelconque d’ouvriers, arrachée aux patrons au prix d’une lutte économique acharnée, est réduite le lendemain à zéro par la hausse du coût de la vie. Or, la hausse des prix doit continuer, car la classe capitaliste des pays vainqueurs, tout en ruinant par sa politique d’exploitation l’Europe orientale et centrale, n’est pas en état d’organiser le système économique du monde entier ; elle le désorganise au contraire de plus en plus. Pour s’assurer le succès dans la lutte économique, les larges masses ouvrières qui demeuraient jusqu’à présent en dehors des syndicats y affluent maintenant. On constate dans tous les pays capitalistes une croissance prodigieuse des syndicats qui ne représentent plus maintenant l’organisation des seuls éléments avancés du prolétariat, mais celle de toute sa masse. En entrant dans les syndicats, les masses cherchent à en faire leur arme de combat. L’antagonisme des classes devenant toujours de plus en plus aigu force les syndicats à organiser des grèves dont la répercussion se fait sentir dans le monde capitaliste tout entier, en interrompant le processus de la production et de l’échange capitalistes. En augmentant leurs exigences à mesure qu’augmente le prix de la vie et qu’elles-mêmes s’épuisent de plus en plus, les masses ouvrières détruisent par cela même tout calcul capitaliste qui représente le fondement élémentaire d’une économie organisée. Les syndicats, qui étaient devenus pendant la guerre les organes de l’asservissement des masses ouvrières aux intérêts de la bourgeoisie, représentent maintenant les organes de la destruction du capitalisme.

    3. Mais la vieille bureaucratie professionnelle et les anciennes formes de l’organisation syndicale entravent de toute manière cette transformation du caractère des syndicats. La vieille bureaucratie professionnelle cherche partout à faire garder aux syndicats leur caractère d’organisations de l’aristocratie ouvrière ; elle cherche à maintenir en vigueur les règles rendant impossible l’entrée des masses ouvrières mal payées dans les syndicats. La vieille bureaucratie syndicale s’efforce encore de remplacer le mouvement gréviste qui revêt chaque jour de plus en plus le caractère d’un conflit révolutionnaire entre la bourgeoisie et le prolétariat par une politique de contrats à long terme qui ont perdu toute signification en présence des variations fantastiques des prix. Elle cherche à imposer aux ouvriers la politique des communes ouvrières, des Conseils réunis de l’industrie (Joint Industrials Councils) et à entraver par la voie légale, grâce àl’aide de l’État capitaliste, l’expansion du mouvement gréviste. Aux moments critiques de la lutte, la bourgeoisie sème la discorde parmi les masses ouvrières militantes et empêche les actions isolées de différentes catégories d’ouvriers de fusionner dans une action de classe générale ; elle est soutenue dans ces tentatives par l’œuvre des anciennes organisations syndicales, morcelant les travailleurs d’une branche d’industrie en groupes professionnels artificiellement isolés, bien qu’ils soient tous rattachés les uns aux autres par le fait même de l’exploitation capitaliste. Elle s’appuie sur le pouvoir de la tradition idéologique de l’ancienne aristocratie ouvrière, bien que cette dernière soit sans cesse affaiblie par l’abolition des privilèges de divers groupes du prolétariat ; cette abolition s’explique par la décomposition générale du capitalisme, le nivellement de la situation de divers éléments de la classe ouvrière, l’égalisation de leurs besoins et leur manque de sécurité.

    C’est de cette manière que la bureaucratie syndicale substitue de faibles ruisseaux au puissant courant du mouvement ouvrier, substitue des revendications partielles réformistes aux buts révolutionnaires généraux du mouvement et entrave d’une manière générale la transformation des efforts isolés du prolétariat en une lutte révolutionnaire unique tendant à la destruction du capitalisme.

    4. Étant donnée la tendance prononcée des larges masses ouvrières à s’incorporer dans les syndicats, et considérant le caractère objectivement révolutionnaire de la lutte que ces masses soutiennent en dépit de la bureaucratie professionnelle, il importe que les communistes de tous les pays fassent partie des syndicats et travaillent à en faire des organes conscients de lutte pour le renversement du régime capitaliste et le triomphe du Communisme. Ils doivent prendre l’initiative de la création des syndicats partout où ces derniers n’existent pas encore.

    Toute désertion volontaire du mouvement professionnel, toute tentative de création artificielle de syndicats qui ne serait pas déterminée par les violences excessives de la bureaucratie professionnelle (dissolution des filiales locales révolutionnaires syndicales par les centres opportunistes) ou par leur étroite politique aristocratique fermant aux grandes masses de travailleurs peu qualifiés l’entrée des organes syndicaux, présente un danger énorme pour le mouvement communiste. Elle écarte de la masse les ouvriers les plus avancés, les plus conscients, et les pousse vers les chefs opportunistes travaillant pour les intérêts de la bourgeoisie… Les hésitations des masses ouvrières, leur indécision politique et l’influence que possèdent sur eux les leaders opportunistes ne pourront être vaincus que par une lutte de plus en plus âpre dans la mesure où les couches profondes du prolétariat apprendront par expérience, par les leçons de leurs victoires et de leurs défaites, que jamais le système économique capitaliste ne leur permettra d’obtenir des conditions de vie humaines et supportables, dans la mesure où les travailleurs communistes avancés apprendront, par l’expérience de leur lutte économique, à être non seulement des propagandistes théoriques de l’idée communiste, mais aussi des meneurs résolus de l’action économique et syndicale. Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible d’écarter des syndicats leurs leaders opportunistes, de mettre des communistes à la tête et d’en faire un organe de la lutte révolutionnaire pour le Communisme. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible d’arrêter la désagrégation des syndicats, de les remplacer par des Unions industrielles, d’écarter la bureaucratie étrangère aux masses et de lui substituer un organe formé par les représentants des ouvriers industriels (Betriebsvertreter) en n’abandonnant aux institutions centrales que les fonctions strictement nécessaires.

    5. Comme les communistes attachent plus de prix au but et à la substance des syndicats qu’à leur forme, ils ne doivent pas hésiter devant les scissions qui pourraient se produire au sein des organisations syndicales si, pour les éviter, il était nécessaire d’abandonner le travail révolutionnaire, de se refuser à organiser la partie la plus exploitée du prolétariat. S’il arrive pourtant qu’une scission s’impose comme une nécessité absolue, on ne devra y recourir que possédant la certitude que les communistes réussiront par leur participation économique à convaincre les larges masses ouvrières, que la scission se justifie non par des considérations dictées par un but révolutionnaire encore très éloigné et vague, mais par les intérêts concrets immédiats de la classe ouvrière, correspondant aux nécessités de l’action économique. Dans le cas où une scission deviendrait inévitable, les communistes devraient accorder une grande attention à ce que cette scission ne les isole pas de la masse ouvrière.

    6. Partout où la scission entre les tendances syndicales opportunistes et révolutionnaires s’est déjà produite, où il existe, comme en Amérique, des syndicats aux tendances révolutionnaires, sinon communistes, à côté des syndicats opportunistes, les communistes sont dans l’obligation de prêter leur concours à ces syndicats révolutionnaires, de les soutenir, de les aider à se libérer des préjugés syndicalistes et à se placer sur le terrain du Communisme, car ce dernier est l’unique boussole fidèle et sûre dans toutes les questions compliquées de la lutte économique. Partout où se constituent des organisations industrielles (soit sur la base des syndicats, soit en dehors d’eux), tels les Shop Stewards, les Betriebsraete (Conseils de Production), organisations se donnant pour but de lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de la bureaucratie syndicale, il est bien entendu que les communistes sont tenus de les soutenir avec toute l’énergie possible. Mais le concours prêté aux syndicats révolutionnaires ne doit pas signifier la sortie des communistes des syndicats opportunistes en état d’effervescence politique et en évolution vers la lutte de classe. Bien au contraire, c’est en s’efforçant de hâter cette révolution de la masse des syndicats qui se trouvent déjà sur la voie de la lutte révolutionnaire que les communistes pourront jouer le rôle d’un élément unissant moralement et pratiquement les ouvriers organisés pour une lutte commune tendant à la destruction du régime capitaliste.

    7. À l’époque où le capitalisme tombe en ruines, la lutte économique du prolétariat se transforme en lutte politique beaucoup plus rapidement qu’à l’époque de développement pacifique du régime capitaliste. Tout conflit économique important peut soulever devant les ouvriers la question de la Révolution. Il est donc du devoir des communistes de faire ressortir devant les ouvriers, dans toutes les phases de la lutte économique, que cette lutte ne saurait être couronnée de succès que lorsque la classe ouvrière aura vaincu la classe capitaliste dans une bataille rangée et se chargera, sa dictature une fois établie, de l’organisation socialiste du pays. C’est en partant de là que les communistes doivent tendre à réaliser, dans la mesure du possible, une union parfaite entre les syndicats et le Parti Communiste, en les subordonnant à ce dernier, avant-garde de la Révolution. Dans ce but, les communistes doivent organiser dans tous ces syndicats et Conseils de Production (Betriebsraeie) des fractions communistes, qui les aideront à s’emparer du mouvement syndical et à le diriger.

    II.

    1. La lutte économique du prolétariat pour la hausse des salaires et pour l’amélioration générale des conditions de la vie des masses accentue tous les jours son caractère de lutte sans issue. La désorganisation économique qui envahit un pays après l’autre, dans une proportion toujours croissante, démontre, même aux ouvriers les plus arriérés, qu’il ne suffit pas de lutter pour la hausse des salaires et la réduction de la journée de travail, que la classe capitaliste perd de plus en plus la capacité de rétablir la vie économique et de garantir aux ouvriers ne fut ce que les conditions d’existence qu’elle leur assurait avant la guerre. La conscience toujours croissante des masses ouvrières fait naître parmi eux une tendance à créer des organisations capables d’entamer la lutte pour la renaissance économique au moyen du contrôle ouvrier exercé sur l’industrie par les Conseils de Production. Cette tendance à créer des Conseils industriels ouvriers, qui gagne les ouvriers de tous les pays, tire son origine de facteurs différents et multiples (lutte contre la bureaucratie réactionnaire, fatigue causée par les défaites essuyées par les syndicats, tendances à la création d’organisations embrassant tous les travailleurs) et s’inspire en définitive de l’effort fait pour réaliser le contrôle de l’industrie, tâche historique spéciale des Conseils industriels ouvriers. C’est pourquoi on commettrait une erreur en cherchant à ne former ces Conseils que d’ouvriers partisans de la dictature du prolétariat. La tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l’idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant.

    2. Le Parti Communiste ne pourra s’acquitter de cette tâche qu’en consolidant dans la conscience des masses la ferme assurance que la restauration de la vie économique sur la base capitaliste est actuellement impossible ; elle signifierait d’ailleurs un nouvel asservissement à la classe capitaliste. L’organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n’est possible que si l’État est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l’abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste.

    3. La lutte des Comités de fabriques et d’usines contre le capitalisme a pour but immédiat l’introduction du contrôle ouvrier dans toutes les branches de l’industrie. Les ouvriers de chaque entreprise, indépendamment de leurs professions, souffrent du sabotage des capitalistes qui estiment assez souvent que la suspension de l’activité de telle ou telle industrie leur sera avantageuse, la faim devant contraindre les ouvriers à accepter les conditions les plus dures pour éviter à quelque capitaliste un accroissement de frais. La lutte contre cette sorte de sabotage unit la plupart des ouvriers indépendamment de leurs idées politiques, et fait des Comités d’usines et de fabriques, élus par tous les travailleurs d’une entreprise, de véritables organisations de masse du prolétariat. Mais la désorganisation de l’économie capitaliste est non seulement la conséquence de la volonté consciente des capitalistes, mais aussi et beaucoup plus celle de la décadence irrésistible de leur régime. Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l’industrie et sur son ensemble. Les tentatives d’ouvriers d’exercer leur contrôle non seulement sur l’approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l’industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

    4. La propagande en faveur des Conseils industriels doit être menée de manière à ancrer dans la conviction des grandes masses ouvrières, même de celles qui n’appartiennent pas directement au prolétariat industriel, que la responsabilité de la désorganisation économique incombe à la bourgeoisie, et que le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l’organisation de l’industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère. La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l’industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l’ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique.

    5. Les Conseils industriels ouvriers ne sauraient remplacer les syndicats. Ils ne peuvent que s’organiser au courant de l’action dans diverses branches de l’industrie et créer peu à peu un appareil général capable de diriger toute la lutte. Déjà, à l’heure qu’il est, les syndicats représentent des organes de combat centralisés, bien qu’ils n’englobent pas des masses ouvrières aussi larges que peuvent embrasser les Conseils industriels ouvriers en leur qualité d’organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières. Le partage de toutes les tâches de la classe ouvrière entre les Comités industriels ouvriers et les syndicats est le résultat du développement historique de la Révolution sociale. Les syndicats ont organisé les masses ouvrières dans le but d’une lutte pour la hausse des salaires et pour la réduction des journées ouvrières et l’ont fait sur une large échelle. Les Conseils ouvriers industriels s’organisent pour le contrôle ouvrier de l’industrie et la lutte contre la désorganisation économique ; ils englobent toutes les entreprises ouvrières, mais la lutte qu’ils soutiennent ne peut revêtir que très lentement un caractère politique général. Ce n’est que dans la mesure où les syndicats arriveront à surmonter les tendances contre-révolutionnaires de leur bureaucratie, ou deviendront des organes conscients de la Révolution, que les communistes auront le devoir de soutenir les Conseils industriels ouvriers dans leurs tendances à devenir des groupes industriels syndicalistes.

    6. La tâche des communistes se réduit aux efforts qu’ils doivent faire pour que les syndicats et les Conseils industriels ouvriers se pénètrent du même esprit de résolution combative,de conscience et de compréhension des meilleures méthodes de combat, c’est-à-dire de l’esprit communiste. Pour s’en acquitter, les communistes doivent soumettre, en fait, les syndicats et les Comités ouvriers au Parti Communiste et créer ainsi des organes prolétariens des masses qui serviront de base à un puissant Parti prolétarien centralisé, englobant toutes les organisations prolétariennes et les faisant toutes marcher dans la voie que conduit à la victoire de la classe ouvrière et à la dictature du prolétariat — au Communisme.

    7. Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l’établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. Les syndicats, organisés en qualité de piliers de l’industrie, s’appuyant sur les Conseils industriels ouvriers qui représenteront les organisations des fabriques et des usines, enseigneront aux masses ouvrières leur devoir industriel, formeront avec les ouvriers les plus avancés des directeurs d’entreprises, organiseront le contrôle technique des spécialistes ; ils étudieront et exécuteront, de concert avec les représentants du pouvoir ouvrier, les plans de la politique économique socialiste.

    III.

    Les syndicats manifestaient en temps de paix des tendances à former une Union internationale. Pendant les grèves, les capitalistes recouraient à la main-d’œuvre des pays voisins et aux services des « renards » étrangers. Mais avant la guerre, l’Internationale syndicale n’avait qu’une importance secondaire. Elle s’occupait de l’organisation de secours financiers réciproques et d’un service de statistique concernant la vie ouvrière, mais elle ne cherchait pas à unifier la vie ouvrière parce que les syndicats dirigés par des opportunistes, faisaient leur possible pour se soustraire à toute lutte révolutionnaire internationale. Les leaders opportunistes des syndicats qui, pendant la guerre, furent les serviteurs fidèles de la bourgeoisie dans leurs pays respectifs, cherchent maintenant à restaurer l’Internationale syndicale en se faisant une arme du capitalisme universel international, dirigée contre le prolétariat. Ils créent avec Jouhaux, Gompers, Legien, etc…, un « Bureau de Travail » auprès de la « Ligue des Nations », qui n’est autre chose qu’une organisation de brigandage capitaliste international. Ils tâchent d’étouffer dans tous les pays le mouvement gréviste en faisant décréter l’arbitrage obligatoire des représentants de l’État capitaliste. Ils cherchent partout à obtenir, à force de compromis avec les capitalistes, toutes espèces de faveurs pour les ouvriers capitalistes, afin de briser de cette manière l’union chaque jour plus étroite de la classe ouvrière. L’Internationale syndicale d’Amsterdam est donc la remplaçante de la 2e Internationale de Bruxelles en faillite. Les ouvriers communistes qui font partie des syndicats de tous les pays doivent, au contraire, travailler à la création d’un front syndicaliste international. Il ne s’agit plus de secours pécuniaires en cas de grève ; il faut désormais qu’au moment où le danger menacerait la classe ouvrière d’un pays, les syndicats des autres pays, en qualité d’organisations de masses, prennent sa défense et fassent tout pour empêcher la bourgeoisie de leur pays de venir en aide à celle qui est aux prises avec la classe ouvrière. Dans tous les États, la lutte économique du prolétariat devient de plus en plus révolutionnaire. Aussi les syndicats doivent-ils employer consciemment toute leur énergie à appuyer toute action révolutionnaire, tant dans leur propre pays que dans les autres. Ils doivent s’orienter dans ce but vers la plus grande centralisation de l’action, non seulement dans chaque pays à part, mais aussi dans l’Internationale ; ils le feront en adhérant à l’Internationale Communiste et en y fusionnant en une seule armée les divers éléments engagés dans le combat, afin qu’ils agissent de concert et se prêtent un concours mutuel.

    Quand et dans quelles conditions peut-on créer des soviets de députés ouvriers ?

    1. En Russie, les Soviets des députés ouvriers naquirent pour la première fois en 1905, au moment du grand enthousiasme du mouvement révolutionnaire des ouvriers russes. Déjà en 1905, le Soviet pétersbourgeois des députés ouvriers fit d’instinct ses premiers pas vers la conquête du pouvoir. À cette époque, le Soviet de la ville de Pétrograd était aussi fort que le lui permettaient les chances qu’il avait de parvenir au pouvoir politique. Mais, dès que la contre-révolution tsariste se fut raffermie et que le mouvement ouvrier eût diminué d’intensité, après une végétation de courte durée, le Soviet cessa complètement d’exister.
    2. Lorsqu’en 1916, au début d’un nouvel et puissant effort révolutionnaire, l’idée naquit en Russie de créer promptement des Soviets de députés ouvriers, le Parti bolchevik prévint les ouvriers du danger que présentait la formation immédiate des Soviets en leur faisant remarquer qu’ils ne seraient opportuns que le jour où la Révolution aurait commencé, l’heure venue de livrer combat pour le pouvoir.
    3. Au début de la Révolution de février 1917, en Russie, les Soviets des députés ouvriers se transformèrent en Soviets de députés ouvriers et soldats. Bientôt ils entraînèrent dans la sphère de leur influence les plus vastes milieux des masses populaires, obtenant ainsi une autorité prépondérante, car la force réelle était de leur côté et entre leurs mains. Mais, lorsque la bourgeoisie libérale se remît de la surprise du premier choc de la Révolution, et que les traîtres socialistes-révolutionnaires et mencheviks facilitèrent à la bourgeoisie russe l’obtention du pouvoir, l’importance des Soviets ne tarda pas à baisser. Ce n’est qu’après les journées de juillet et l’insuccès de l’attentat contre-révolutionnaire de Kornilov, que les grandes masses populaires se mirent en branle et que se produisit le krach du gouvernement contre-révolutionnaire des bourgeois-conciliateurs, que les Soviets des députés ouvriers s’épanouirent à nouveau et gagnèrent dans le pays une influence exclusive.
    4. L’histoire des révolutions allemande et autrichienne l’a prouvé de même. Lorsque les masses de la population se soulevèrent et que le flot de la révolution ébranla les remparts de la monarchie des Hohenzollern et des Habsbourg, des Soviets de députés ouvriers et soldats se formèrent spontanément en Allemagne et en Autriche. Les premiers temps, la force fut de leur côté, et ils furent à la veille de prendre le pouvoir en fait. Mais, à peine le pouvoir eut-il penché, grâce à un enchaînement de circonstances historiques, vers la bourgeoisie et les social- démocrates contre-révolutionnaires que l’on vit les Soviets dépérir, et peu à peu disparaître. Lors de l’infructueuse tentative contre-révolutionnaire de Kapp-Lüttwitz, en Allemagne, des Soviets se reformèrent pour quelques jours ; mais sitôt la lutte terminée par une nouvelle victoire de la bourgeoisie et des traîtres-socialistes, ces Soviets qui venaient de dresser la tête, disparurent à nouveau.
    5. Les faits précités prouvent que des prémisses déterminées sont nécessaires pour créer les Soviets. On ne pourra donc organiser des Soviets de députés ouvriers, et les transformer en Soviets de députés ouvriers et soldats, que lorsque seront réunies trois conditions précises, à savoir :
      1. Enthousiasme révolutionnaire général dans les milieux les plus vastes composés d’ouvriers et d’ouvrières, de soldats et de toute la population laborieuse ;
      2. Crise économique et politique poussée au point où le pouvoir échappe peu à peu des mains du gouvernement précédent ;
      3. Lorsque dans les rangs des masses de travailleurs et, avant tout, dans ceux du Parti Communiste a mûri la ferme résolution d’engager une lutte décisive, systématique et d’après un plan arrêté, pour la conquête du pouvoir.
    6. Au cas où ces conditions ne sont pas remplies, les communistes peuvent et doivent propager systématiquement et opiniâtrement l’idée des Soviets, la vulgariser dans les masse, démontrer aux plus profondes couches de la population que les Soviets constituent la seule forme gouvernementale correspondant aux besoins de la période de transition au communisme intégral. Mais, les conditions mentionnées n’étant pas remplies, il est impossible de procéder à l’organisation immédiate des Soviets.
    7. Les tentatives des social-traîtres allemands de faire entrer les Soviets dans l’engrenage constitutionnel démocrate-bourgeois constituent, au point de vue objectif, une trahison de la cause ouvrière. Les Soviets ne sont possibles que comme des organisations gouvernementales, qui se substituent à la démocratie bourgeoise, la brisent et la remplacent par la dictature ouvrière.
    8. La propagande dirigée par les chefs Indépendants de la droite, tels que Hilferding, Kautsky et d’autres, en vue de prouver la compatibilité du système des Soviets avec l’Assemblée Constituante bourgeoise, témoigne d’une incompréhension totale des principes du développement de la révolution prolétarienne, ou bien du désir de tromper sciemment la classe laborieuse. Les Soviets signifient la dictature prolétarienne, et l’Assemblée Constituante, celle de la bourgeoisie. Accorder et concilier la dictature des ouvriers avec celle des bourgeois est une chose impossible.
    9. La propagande de quelques militants isolés de la gauche des indépendants allemands, proposant aux travailleurs un plan livresque et prématuré de « Système Soviétiste » non rattaché au cours de la guerre civile, est le fait de doctrinaires qui ne font que distraire les travailleurs de la lutte authentique pour le pouvoir.
    10. Les tentatives de groupes communistes isolés en France, en Italie, en Amérique et en Angleterre, pour fonder des Soviets n’embrassant pas les grandes masses ouvrières et ne pouvant pas les embrasser dans une lutte immédiate pour le pouvoir, ne font que nuire à la préparation efficace de la révolution soviétiste. Ces Soviets artificiels, ces « fleurs de serre » se transforment, tout au plus, en petites sociétés ; au pis-aller, ils ne peuvent que compromettre, aux yeux des vastes cercles de la population, l’autorité des Soviets.
    11. Une situation spéciale s’est créée en Autriche, où la classe ouvrière a réussi à conserver des Soviets embrassant de grandes masses ouvrières. Cette situation rappelle celle de la Russie de février à octobre 1917. Les Soviets autrichiens constituent un facteur politique important et l’embryon d’un pouvoir nouveau. Il va de soi que, dans cette situation, les communistes doivent participer au travail des Soviets, les aider à s’intéresser à toute la vie économique et politique du pays, y créer des fractions communistes et concourir de toutes façons à leur développement.
    12. Sans révolution, les Soviets ne sont pas possibles. Sans révolution prolétarienne, les Soviets dégénèrent en parodie. Les Soviets authentiques des masses constituent une forme de dictature prolétarienne indiquée par l’Histoire même. Tous les partisans sérieux et sincères du pouvoir soviétiste doivent appliquer prudemment l’idée soviétiste ; en la propageant parmi les masses, ils ne devront procéder à la création immédiate des Soviets que lorsque les conditions mentionnées plus haut seront réunies.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Résolution du second congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne

    Le prolétariat mondial est à la veille d’une lutte décisive. L’époque à laquelle nous vivons est une époque d’action directe contre la bourgeoisie. L’heure décisive approche. Bientôt, dans tous les pays où il y a un mouvement ouvrier conscient, la classe ouvrière aura à livrer une série de combats acharnés, les armes à la main. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d’une solide organisation. Infatigablement la classe ouvrière doit désormais se préparer à cette lutte, sans perdre une seule heure d’un temps précieux.

    Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871) avait eu un Parti Communiste solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l’héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. Les batailles que le prolétariat aura maintenant à livrer, dans des conjonctures historiques toutes différentes, auront des résultats beaucoup plus graves qu’en 1871.

    Le 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste signale donc aux ouvriers révolutionnaires du monde entier l’importance de ce qui suit :

    1. Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu’en ce qu’il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière et s’efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.

    2. Tant que le pouvoir gouvernemental n’est pas conquis par le prolétariat et tant que ce dernier n’a pas affermi, une fois pour toutes, sa domination et prévenu toute tentative de restauration bourgeoise, le Parti Communiste n’englobera dans ses rangs organisés qu’une minorité ouvrière. Jusqu’à la prise du pouvoir et dans l’époque de transition, le Parti Communiste peut, grâce à des circonstances favorables, exercer une influence idéologique et politique incontestable sur toutes les couches prolétariennes et à demi-prolétariennes de la population, mais il ne peut les réunir organisées, dans ses rangs. Ce n’est que lorsque la dictature prolétarienne aura privé la bourgeoisie de moyens d’action aussi puissants que la presse, l’école, le Parlement, l’Église, l’administration, etc…, ce n’est que lorsque la défaite définitive du régime bourgeois sera devenue évidente aux yeux de tous, que tous les ouvriers, ou du moins la plupart, commenceront à entrer dans les rangs du Parti Communiste.

    3. Les notions de parti et de classe doivent être distinguées avec le plus grand soin. Les membres des syndicats « chrétiens » et libéraux d’Allemagne, d’Angleterre et d’autres pays, appartiennent indubitablement à la classe ouvrière. Les groupements ouvriers plus ou moins considérables qui se rangent encore à la suite de Scheidemann, de Gompers et consorts lui appartiennent aussi. Dans de telles conditions historiques, il est très possible que de nombreuses tendances réactionnaires se fassent jour dans la classe ouvrière. La tâche du communisme n’est pas de s’adapter à ces éléments arriérés de la classe ouvrière mais d’élever toute la classe ouvrière au niveau de l’avant-garde communiste. La confusion entre ces deux notions de parti et de classe peut conduire aux fautes et aux malentendus les plus graves. Il est, par exemple, évident que les Partis ouvriers devaient, en dépit des préjugés et de l’état d’esprit d’une portion de la classe ouvrière pendant la guerre impérialiste, s’insurger à tout prix contre ces préjugés et cet état d’esprit, au nom des intérêts historiques du prolétariat qui mettaient son Parti dans l’obligation de déclarer la guerre à la guerre.

    C’est ainsi, par exemple, qu’au début de la guerre impérialiste de 1914, les Partis socialistes de tous les pays, soutenant « leurs » bourgeoisies respectives, ne manquaient pas de justifier leur conduite en invoquant la volonté de la classe ouvrière. Ils oubliaient, ce faisant, que si même il en avait été ainsi, c’eut été plutôt la tâche du Parti prolétarien de réagir contre la mentalité ouvrière générale et de défendre envers et contre tous les intérêts historiques du prolétariat. C’est ainsi qu’au commencement du xxe siècle les mencheviks russes (qui se nommaient alors économistes) répudiaient la lutte ouverte contre le tsarisme parce que, disaient-ils, la classe ouvrière dans son ensemble, n’était pas encore en état de comprendre la nécessité de la lutte politique.

    C’est ainsi que les indépendants de droite en Allemagne ont justifié toujours leurs demi-mesures en disant qu’il fallait comprendre avant tout les désirs des masses, et ne comprenaient pas eux-mêmes que le Parti est destiné à marcher en avant des masses et à leur montrer le chemin.

    4. L’internationale Communiste est absolument convaincue que la faillite des anciens Partis « social-démocrates » de la 2e Internationale ne peut, en aucun cas, être considérée comme la faillite des Partis prolétariens en général. L’époque de la lutte directe en vue de la dictature du prolétariat suscite un nouveau Parti prolétarien mondial — le Parti Communiste.

    5. L’internationale Communiste répudie de la façon la plus catégorique l’opinion suivant laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans avoir son Parti politique. Toute lutte de classes est une lutte politique. Le but de cette lutte, qui tend à se transformer inévitablement en guerre civile, est la conquête du pouvoir politique. C’est pourquoi le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé que par tel ou tel Parti politique. Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un Parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis, et possédant un programme d’action susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat.

    La même lutte des classes exige aussi la centralisation et la direction unique des diverses formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, comités d’usines, enseignement, élections, etc…). Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu’un Parti politique. Se refuser à le créer et à l’affermir, se refuser à s’y soumettre équivaut à répudier le commandement unique des contingents du prolétariat agissant sur des points différents. La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d’un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l’attention du prolétariat sur les tâches qui l’intéressent dans son entier. Cela ne peut être réalisé sans un appareil politique centralisé, c’est-à-dire en dehors d’un Parti politique.

    La propagande de certains syndicalistes révolutionnaires et des adhérents du mouvement industrialiste du monde entier (I.W.W.) contre la nécessité d’un Parti politique se suffisant à lui-même n’a aidé et n’aide, à parler objectivement, que la bourgeoisie et les « social-démocrates » contre-révolutionnaires. Dans leur propagande contre un Parti Communiste qu’ils voudraient remplacer par des syndicats ou par des unions ouvrières de formes peu définies et trop vastes, les syndicalistes et les industrialistes ont des points de contact avec des opportunistes avérés.

    Après la défaite de la révolution de 1905, les mencheviks russes propagèrent pendant quelques années l’idée d’un Congrès ouvrier (ainsi le nommaient-ils) qui devait remplacer le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière ; les « travaillistes jaunes » de toutes sortes en Angleterre et en Amérique veulent remplacer le Parti politique par d’informes unions ouvrières, et ils inventent en même temps une tactique politique absolument bourgeoise. Les syndicalistes révolutionnaires et industrialistes veulent combattre la dictature de la bourgeoisie, mais ils ne savent comment s’y prendre. Ils ne remarquent pas qu’une classe ouvrière sans Parti politique est un corps sans tête. Le syndicalisme révolutionnaire et l’industrialisme ne marquent un pas fait en avant que par rapport à l’ancienne idéologie inerte et contre-révolutionnaire de la 2e Internationale. Par rapport au marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire au communisme, le syndicalisme et l’industrialisme marquent un pas en arrière. La déclaration des communistes « de la gauche allemande K.A.P.D. » (programme élaboré par leur Congrès constituant d’avril dernier) disant qu’ils forment un Parti, mais « non pas un Parti dans le sens courant du mot » (keine Partei im überlieferten Sinne) est une capitulation devant l’opinion syndicaliste et industrialiste, qui est un fait réactionnaire.

    Mais ce n’est pas par la grève générale, par la tactique des bras croisés que la classe ouvrière peut remporter la victoire sur la bourgeoisie. Le prolétariat doit en venir à l’insurrection armée. Celui qui a compris cela doit aussi comprendre qu’un Parti politique organisé est nécessaire et que d’informes unions ouvrières ne peuvent pas en tenir lieu.

    Les syndicalistes révolutionnaires parlent souvent du grand rôle que doit jouer une minorité révolutionnaire résolue. Or, en fait, cette minorité résolue de la classe ouvrière que l’on demande, cette minorité qui est communiste et qui a un programme, qui veut organiser la lutte des masses, c’est bien le Parti Communiste.

    6. La tâche la plus importante d’un Parti réellement communiste est de rester toujours en contact avec les organisations prolétariennes les plus larges. Pour arriver à cela, les communistes peuvent et doivent prendre part à des groupes qui, sans être des groupes du Parti, englobent de grandes masses prolétariennes. Tels sont par exemple ceux que l’on connaît sous le nom d’organisation d’invalides dans divers pays, de sociétés « Ne touchez pas à la Russie » (Hands off Russia) en Angleterre, les unions prolétariennes de locataires, etc… Nous avons ici l’exemple russe des conférences d’ouvriers et de paysans qui se déclarent « étrangers » aux Partis (bezpartinii). Des associations de ce genre seront bientôt organisées dans chaque ville, dans chaque quartier ouvrier et aussi dans les campagnes. A ces associations prennent part les plus larges masses comprenant même des travailleurs arriérés. On mettra à l’ordre du jour les questions les plus intéressantes : approvisionnement, habitation, questions militaires, enseignement, tâche politique du moment présent, etc… Les communistes doivent avoir de l’influence dans ces associations et cela aura les résultats les plus importants pour le Parti.

    Les communistes considèrent comme leur tâche principale un travail systématique d’éducation et d’organisation au sein de ces organisations. Mais précisément pour que ce travail soit fécond, pour que les ennemis du prolétariat révolutionnaire ne puissent s’emparer de ces organisations, les travailleurs avancés, communistes, doivent avoir leur Parti d’action organisée, sachant défendre le communisme dans toutes les conjonctures et en présence de toutes les éventualités.

    7. Les communistes ne s’écartent jamais des organisations ouvrières politiquement neutres, même quand elles revêtent un caractère évidemment réactionnaire (unions jaunes, unions chrétiennes, etc…). Au sein de ces organisations, le Parti Communiste poursuit constamment son œuvre propre, démontrant infatigablement aux ouvriers que la neutralité politique est sciemment cultivée parmi eux par la bourgeoisie et par ses agents afin de détourner le prolétariat de la lutte organisée pour le socialisme.

    8. L’ancienne subdivision classique du mouvement ouvrier en trois formes (Partis, syndicats, coopératives) a fait son temps. La révolution prolétarienne en Russie a suscité la forme essentielle de la dictature prolétarienne, les Soviets. La nouvelle division que nous mettons partout en valeur est celle-ci : 1° le Parti, 2° le Soviet, 3° le Syndicat.

    Mais le travail dans les Soviets de même que dans les syndicats d’industrie devenus révolutionnaires doit être invariablement et systématiquement dirigé par le Parti du prolétariat, c’est-à-dire par le Parti Communiste. Avant-garde organisée de la classe ouvrière, le Parti Communiste répond également aux besoins économiques, politiques et spirituels de la classe ouvrière toute entière. Il doit être l’âme des syndicats et des Soviets ainsi que de toutes les autres formes d’organisation prolétarienne.

    L’apparition des Soviets, forme historique principale de la dictature du prolétariat, ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne. Quand les communistes allemands de « gauche » (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par « le Parti ouvrier communiste allemand ») déclarent que « le Parti doit, lui aussi, s’adapter de plus en plus à l’idée soviétique et se prolétariser » (Kommunistische Arbeiterzeitung, N° 54) nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti Communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer.

    Cette idée est profondément erronée et réactionnaire.

    L’histoire de la révolution russe nous montre à un certain moment, les Soviets allant à l’encontre du Parti prolétarien et soutenant les agents de la bourgeoisie. On a pu observer la même chose en Allemagne. Et cela est aussi possible dans les autres pays.

    Pour que les Soviets puissent remplir leur mission historique, l’existence d’un Parti Communiste assez fort pour ne pas « s’adapter » aux Soviets mais pour exercer sur eux une influence décisive, les contraindre à « ne pas s’adapter » à la bourgeoisie et à la social-démocratie officielle, les conduire par le moyen de cette fraction communiste, est au contraire nécessaire.

    9. Le Parti Communiste n’est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête, du pouvoir, mais encore après celle-ci. L’histoire du Parti Communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti Communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.

    10. Au jour de la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti du prolétariat ne constitue pourtant qu’une fraction de la classe des travailleurs. Mais c’est la fraction qui a organisé la victoire. Pendant vingt ans, comme nous l’avons vu en Russie depuis une suite d’années, comme nous l’avons vu en Allemagne, le Parti Communiste lutte non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre ceux d’entre les socialistes qui ne font en réalité que manifester l’influence des idées bourgeoises sur le prolétariat ; le Parti Communiste s’est assimilé les militants les plus stoïques, les plus clairvoyants, les plus avancés de la classe ouvrière. Et l’existence d’une semblable organisation prolétarienne permet de surmonter toutes les difficultés auxquelles se heurte le Parti Communiste dès le lendemain de sa victoire. L’organisation d’une nouvelle Armée Rouge prolétarienne, l’abolition effective du mécanisme gouvernemental bourgeois et la création des premiers linéaments de l’appareil gouvernemental prolétarien, la lutte contre les tendances corporatistes de certains groupements ouvriers, la lutte contre le patriotisme régional et l’esprit de clocher, les efforts en vue de susciter une nouvelle discipline du travail, — autant de domaines où le Parti Communiste, dont les membres entraînent par leur vivant exemple les masses ouvrières, doit dire le mot décisif.

    11. La nécessité d’un Parti politique du prolétariat ne disparaît qu’avec les classes sociales. Dans la marche du communisme vers la victoire définitive il est possible que le rapport spécifique qui existe entre les trois formes essentielles de l’organisation prolétarienne contemporaine (Partis, Soviets, Syndicats d’industrie) soit modifié et qu’un type unique, synthétique, d’organisation ouvrière se cristallise peu à peu. Mais le Parti Communiste ne se dissoudra complètement au sein de la classe ouvrière que lorsque le communisme cessera d’être l’enjeu de la lutte sociale, lorsque la classe ouvrière sera, toute entière, devenue communiste.

    12. Le 2° Congrès de l’Internationale Communiste doit non seulement confirmer le Parti dans sa mission historique, mais encore indiquer au prolétariat international tout au moins les lignes essentielles du Parti qui nous est nécessaire.

    13. L’Internationale Communiste est d’avis que, surtout à l’époque de la dictature du prolétariat, le Parti Communiste doit être basé sur une inébranlable centralisation prolétarienne. Pour diriger efficacement la classe ouvrière dans la guerre civile longue et opiniâtre, devenue imminente, le Parti Communiste doit établir en son sein une discipline de fer, une discipline militaire. L’expérience du Parti Communiste russe qui a pendant trois ans dirigé avec succès la classe ouvrière à travers les péripéties de la guerre civile, a montré que sans la plus forte discipline, sans une centralisation achevée, sans une confiance absolue des adhérents envers le centre directeur du Parti, la victoire des travailleurs est impossible.

    14. Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution par voie d’élection des comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui leur est supérieur et l’existence d’un centre muni de pleins pouvoirs, dont l’autorité ne peut, dans l’intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne, tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique.

    15. Toute une série de Partis Communistes en Europe et en Amérique sont rejetés par l’état de siège en dehors de la légalité. Il convient de se rappeler que le principe électif peut avoir à souffrir, dans ces conditions, quelques atteintes et qu’il peut être nécessaire d’accorder aux organes directeurs du Parti le droit de coopter des membres nouveaux. Il en fut ainsi naguère en Russie. Durant l’état de siège le Parti Communiste ne peut évidemment pas avoir recours au référendum démocratique, toutes les fois qu’une question grave se pose (comme l’aurait voulu un groupe de communistes américains) ; il doit au contraire donner à son centre dirigeant la possibilité et le droit de décider promptement au moment opportun, pour tous les membres du Parti.

    16. La revendication d’une large « autonomie » pour les groupes locaux du Parti ne peut en ce moment qu’affaiblir les rangs du Parti Communiste, diminuer sa capacité d’action et favoriser le développement des tendances anarchistes et petites-bourgeoises contraires à la centralisation.

    17. Dans les pays où le pouvoir est encore détenu par la bourgeoisie ou par la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Partis communistes doivent apprendre à juxtaposer systématiquement l’action légale et l’action clandestine. Cette dernière doit toujours contrôler effectivement la première. Les groupes parlementaires communistes de même que les fractions communistes opérant au sein des diverses institutions de l’Etat, tant centrales que locales, doivent être entièrement subordonnées au Parti Communiste — quelle que soit la situation, légale ou non, du Parti. Les mandataires qui d’une façon ou d’une autre ne se soumettent pas au Parti doivent en être exclus. La presse légale (journaux, éditions diverses) doit dépendre en tout et pour tout de l’ensemble du Parti et de son comité central.

    18. Dans toute action organisatrice du Parti et des communistes la pierre angulaire doit être posée par l’organisation d’un noyau communiste partout où l’on trouve quelques prolétaires et quelques demi-prolétaires. Dans tout Soviet, dans tout syndicat, dans toute coopérative, dans tout atelier, dans tout comité de locataires, dans toute institution où trois personnes sympathisent avec le communisme, un noyau communiste doit être immédiatement organisé. L’organisation communiste est la seule porte permettant à l’avant-garde de la classe ouvrière d’entraîner derrière elle toute la classe ouvrière. Tous les noyaux communistes agissant parmi les organisations politiquement neutres sont absolument subordonnés au Parti dans son ensemble, que l’action du Parti soit légale ou clandestine. Les noyaux communistes doivent être classés dans une stricte dépendance réciproque, à établir de la façon la plus précise.

    19. Le Parti Communiste naît presque toujours dans les grands centres, parmi les travailleurs de l’industrie urbaine. Pour assurer à la classe ouvrière la victoire la plus facile et la plus rapide, il est indispensable que le Parti Communiste ne soit pas exclusivement un Parti urbain. Il doit s’étendre aussi dans les campagnes et, à cette fin, se consacrer à la propagande et à l’organisation des journaliers agricoles, des paysans pauvres et moyens. Le Parti communiste doit poursuivre avec un soin particulier l’organisation de noyaux communistes dans les villages.

    L’organisation internationale du prolétariat ne peut être forte que si cette façon d’envisager le rôle du Parti Communiste est admise dans tous les pays où vivent et luttent des communistes. L’Internationale Communiste invite tous les syndicats acceptant les principes de la 3e Internationale à rompre avec l’Internationale Jaune. L’Internationale organisera une section internationale des syndicats rouges qui se placent sur le terrain du communisme. L’Internationale Communiste ne refusera pas le concours de toute organisation ouvrière politiquement neutre désireuse de combattre la bourgeoisie. Mais l’Internationale Communiste ne cessera, ce faisant, de prouver aux prolétaires du monde :

    1° que le Parti communiste est l’arme principale, essentielle, de l’émancipation du prolétariat ; nous devons avoir maintenant dans tous les pays, non plus des groupes et des tendances, mais un Parti Communiste ;

    2° qu’il ne doit y avoir dans chaque pays qu’un seul et unique Parti Communiste ;

    3° que le Parti Communiste doit être fondé sur le principe de la plus stricte centralisation et doit instituer en son sein, à l’époque de la guerre civile, une discipline militaire ;

    4° que partout où il n’y a ne fut-ce qu’une dizaine de prolétaires ou de demi-prolétaires, le Parti Communiste doit avoir son noyau organisé ;

    5° que dans toute organisation apolitique il doit y avoir un noyau communiste strictement subordonné au Parti dans son entier ;

    6° que défendant inébranlablement et avec un absolu dévouement le programme et la tactique révolutionnaire du Communisme, le Parti doit rester toujours en relations étroites avec les organisations des grandes masses ouvrières et doit se garder du sectarisme autant que du manque de principes.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Les tâches principales de l’Internationale Communiste décidées au second congrès

    1. Le moment actuel du développement du mouvement communiste international est caractérisé par le fait que, dans tous les pays capitalistes, les meilleurs représentants du mouvement prolétarien ont parfaitement compris les principes fondamentaux de l’Internationale Communiste, c’est-à-dire : la dictature du prolétariat et le gouvernement des Soviets, et se sont rangés à ses côtés avec un dévouement enthousiaste. Plus important encore est le fait que les plus larges masses du prolétariat des villes et des travailleurs avancés des campagnes manifestent leur sympathie sans réserve pour ces principes essentiels. C’est là un grand pas en avant.

    D’autre part, deux fautes ou deux faiblesses du mouvement communiste international, qui croît avec une rapidité extraordinaire, se sont fait remarquer. L’une, très grave et qui présente un grand danger immédiat pour la cause de la libération du prolétariat, consiste en ce que certains anciens leaders, certains vieux partis de la 2e Internationale, en partie inconsciemment sous la pression des masses, en partie consciemment — et alors les trompant pour conserver leur ancienne situation d’agents et d’auxiliaires de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier — annoncent leur adhésion conditionnelle ou sans réserve à la 3e Internationale, tout en restant, en fait, dans tout leur travail pratique quotidien, au niveau de la 2e Internationale. Cet état de choses est absolument inadmissible. Il introduit parmi les masses un élément de corruption, il empêche la formation ou le développement d’un Parti Communiste fort, il met en cause le respect dû à la 3e Internationale en la menaçant du recommencement de trahisons semblables à celle des social-démocrates hongrois hâtivement travestis en Communistes. Une autre faute, beaucoup moins importante et qui est bien plutôt une maladie de croissance du mouvement, est la tendance « à gauche » qui conduit à une appréciation erronée du rôle et de la mission du Parti par rapport à la classe ouvrière et à la masse, et de l’obligation pour les révolutionnaires communistes de militer dans les parlements bourgeois et dans les syndicats réactionnaires.

    Le devoir des Communistes n’est pas de taire les faiblesses de leur mouvement, mais d’en faire ouvertement la critique afin de s’en débarrasser promptement et radicalement. À cette fin, il importe tout d’abord de définir, selon notre expérience pratique, le contenu des notions de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets ;en second lieu, en quoi peut et doit consister dans tous les pays le travail préparatoire, immédiat et systématique, en vue de la réalisation de ces mots d’ordre ; et en troisième lieu, quels voies et moyens nous permettent de guérir notre mouvement de ses faiblesses.

    1. — L’essence de la dictature du prolétariat et du pouvoir des Soviets.

    2. La victoire du socialisme (première étape du Communisme) sur le capitalisme exige l’accomplissement par le prolétariat, seule classe réellement révolutionnaire, des trois tâches suivantes :

    La première consiste à renverser les exploiteurs et, en premier lieu, la bourgeoisie, leur représentant économique et politique principal ; il s’agit de leur infliger une défaite totale, de briser leur résistance, de rendre impossible de leur part toute tentative de restauration du capital et de l’esclavage salarié.

    La deuxième consiste à entraîner à la suite de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire, de son Parti Communiste, non seulement tout le prolétariat, mais aussi toute la masse des travailleurs exploités par le capital, à les éclairer, à les organiser, à les éduquer, à les discipliner au cours même de la lutte impitoyable et téméraire contre les exploiteurs, — à arracher dans tous les pays capitalistes cette écrasante majorité de la population à la bourgeoisie, à lui inspirer pratiquement confiance dans le rôle de directeur du prolétariat de son avant-garde révolutionnaire.

    La troisième, de neutraliser ou de réduire à l’impuissance les inévitables hésitants entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la démocratie bourgeoise et le pouvoir des Soviets, de la classe de petits propriétaires ruraux, industriels et négociants, encore assez nombreux bien que ne formant qu’une minorité de la population et des catégories d’intellectuels, d’employés, etc…, gravitant autour de cette classe.

    La première et la deuxième tâche exigent chacune des méthodes d’action particulières à l’égard des exploités et des exploiteurs. La troisième découle des deux premières ; elle n’exige qu’une application habile, souple et opportune des méthodes appliquées aux premières et qu’il s’agit d’adapter aux circonstances concrètes.

    3. Dans la conjoncture actuelle, créée dans le monde entier, et surtout dans les pays capitalistes les plus avancés, les plus puissants, les plus éclairés, les plus libres, par le militarisme, l’impérialisme, l’oppression des colonies et des pays faibles, la tuerie impérialiste mondiale et la « paix » de Versailles, la pensée d’une paisible soumission de la majorité des exploités aux capitalistes et d’une évolution pacifique vers le socialisme, n’est pas seulement un signe de médiocrité petite-bourgeoise : c’est aussi une duperie, la dissimulation de l’esclavage du salariat, la déformation de la vérité aux yeux des travailleurs. La vérité est que la bourgeoisie la plus éclairée, la plus démocratique, ne recule pas devant le massacre de millions d’ouvriers et de paysans à seule fin de sauver la propriété privée des moyens de production. Le renversement de la bourgeoisie par la violence, la confiscation de ses propriétés, la destruction de son mécanisme d’État, parlementaire, judiciaire, militaire, bureaucratique, administratif, municipal, etc… jusqu’à l’exil ou l’internement de tous les exploiteurs les plus dangereux et les plus obstinés, sans exception, l’exercice sur leurs milieux d’une stricte surveillance pour la répression des tentatives qu’ils ne manqueront pas de faire dans l’espoir de restaurer l’esclavage capitaliste, telles sont les mesures qui peuvent seules assurer la soumission réelle de la classe entière des exploiteurs.

    D’autre part, l’idée coutumière aux vieux partis et aux vieux leaders de la 2e Internationale, que la majorité des travailleurs et des exploités peut, en régime capitaliste, sous le joug esclavagiste de la bourgeoisie — qui revêt des formes infiniment variées, d’autant plus raffinées et à la fois plus cruelles et plus impitoyables que le pays capitaliste est plus cultivé — acquérir une pleine conscience socialiste, la fermeté socialiste, des convictions et du caractère, cette idée, disons-nous, trompe aussi les travailleurs. En fait, ce n’est qu’après que l’avant-garde prolétarienne, soutenue par la seule classe révolutionnaire ou par sa majorité, aura renversé les exploiteurs, les aura brisés, aura libéré les exploités de leurs servitudes et immédiatement amélioré leurs conditions d’existence au détriment des capitalistes expropriés — ce n’est qu’alors, et au prix de la plus âpre guerre civile, que l’éducation, l’instruction, l’organisation des plus grandes masses exploitées pourra se faire autour du prolétariat, sous son influence et sa direction, et qu’il sera possible de vaincre leur égoïsme, leurs vices, leurs faiblesses, leur manque de cohésion, entretenus par le régime de la propriété privée, et de les transformer en une vaste association de libres travailleurs.

    4. Le succès de la lutte contre le capitalisme exige un juste rapport des forces entre le Parti Communiste comme guide, le prolétariat, la classe révolutionnaire et la masse, c’est-à-dire l’ensemble des travailleurs et des exploités. Le Parti Communiste, s’il est véritablement l’avant-garde de la classe révolutionnaire, s’il s’assimile tous ses meilleurs représentants, s’il est composé de Communistes conscients et dévoués, éclairés et éprouvés par l’expérience d’une longue lutte révolutionnaire, s’il a su se lier indissolublement à toute l’existence de la classe ouvrière et par son intermédiaire à celle de toute la masse exploitée et leur inspirer une pleine confiance, ce Parti seul est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale, la plus acharnée, contre toutes les forces du capitalisme. Et ce n’est que sous la direction d’un Parti semblable que le prolétariat peut annihiler l’apathie et la résistance de la petite aristocratie ouvrière, composée des leaders du mouvement syndical et corporatif corrompus par le capitalisme, et développer toutes ses énergies, infiniment plus grandes que sa force numérique parmi la population, par suite de la structure économique du capitalisme lui-même. Enfin, ce n’est que libérée effectivement du joug du capital et de l’appareil gouvernemental de l’État, ce n’est qu’après avoir obtenu la possibilité d’agir librement que la masse, c’est-à-dire la totalité des travailleurs et des exploités organisés dans les Soviets, pourra développer, pour la première fois dans l’histoire, l’initiative et l’énergie de dizaines de millions d’hommes étouffés par le capitalisme. Ce n’est que lorsque les Soviets seront devenus l’unique mécanisme de l’État, que pourra être assurée la participation effective des masses autrefois exploitées à toute l’administration du pays, participation qui, dans les démocraties bourgeoises les plus éclairées et les plus libres, était impossible quatre-vingt-quinze fois sur cent. Dans les Soviets, la masse des exploités commence à apprendre, non des livres, mais de son expérience pratique, ce qu’est l’édification socialiste, la création d’une nouvelle discipline sociale et la libre association des travailleurs libres.

    2. — EN QUOI DOIT CONSISTER LA PRÉPARATION
    IMMÉDIATE DE LA DICTATURE PROLÉTARIENNE

    5. Le développement actuel du mouvement communiste international est caractérisé par ce fait que dans nombre de pays capitalistes, le travail de préparation du prolétariat à l’exercice de la dictature n’est pas achevé et très souvent n’a pas encore été commencé de façon systématique. Il ne s’ensuit pas que la révolution prolétarienne soit impossible dans un avenir très prochain ; elle est, au contraire, tout ce qu’il y a de plus possible, la situation politique et économique étant extraordinairement riche en matières inflammables et en causes susceptibles de provoquer leur embrasement inopiné ; un autre facteur de la révolution, en dehors de l’état de préparation du prolétariat, est notamment la crise générale en présence de laquelle se trouvent tous les partis gouvernants et tous les partis bourgeois. Mais il résulte de ce qui a été dit que la tâche actuelle des Partis Communistes consiste à hâter la révolution, sans toutefois la provoquer artificiellement avant une préparation suffisante ; la préparation du prolétariat à la révolution doit être intensifiée par l’action. D’autre part, les cas signalés plus haut dans l’histoire de beaucoup de partis socialistes, obligent de bien veiller à ce que la reconnaissance de la dictature du prolétariat ne puisse pas rester purement verbale.

    Pour ces raisons, la tâche principale du Parti Communiste, du point de vue du mouvement international prolétarien, est à l’heure présente le groupement de toutes les forces communistes éparses, la formation dans chaque pays d’un Parti Communiste unique (ou le renforcement et le renouvellement des partis déjà existants) afin de décupler le travail de préparation du prolétariat à la conquête du pouvoir sous forme de dictature du prolétariat. L’action socialiste habituelle des groupes et des partis qui reconnaissent la dictature du prolétariat, est loin d’avoir subi cette modification fondamentale, ce renouvellement radical, qui est nécessaire, pour qu’on en reconnaisse l’action comme étant bien communiste et comme correspondant aux tâches de la veille de la dictature prolétarienne.

    6. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat n’interrompt pas la lutte de classe de celui-ci contre la bourgeoisie, mais au contraire, ne fait que la rendre plus large, plus acerbe, plus impitoyable. Tous les groupes, partis, militants du mouvement ouvrier qui adoptent en totalité ou en partie le point de vue du réformisme, du « centre », etc…, se placeront inévitablement, par suite de l’extrême exacerbation de la lutte, soit du côté de la bourgeoisie, soit du côté des hésitants ou (ce qui est plus dangereux) tomberont dans le nombre des amis indésirables du prolétariat victorieux. C’est pourquoi la préparation de la dictature du prolétariat exige non seulement le renforcement de la lutte contre la tendance des réformistes et des « centristes », mais aussi la modification du caractère de cette lutte. Celle-ci ne peut pas se limiter à la démonstration du caractère erroné de ces tendances, mais elle doit aussi démasquer inlassablement et impitoyablement tout militant du mouvement ouvrier qui manifestera ces tendances, le prolétariat ne pouvant pas savoir sans cela avec qui il marche à la lutte finale contre la bourgeoisie. Cette lutte est telle, qu’elle peut changer à tout instant et transformer, comme l’a déjà démontré l’expérience, l’arme de la critique en critique par les armes. Tout manque d’esprit de suite, ou toute faiblesse dans la lutte contre ceux qui se conduisent comme des réformistes ou des « centristes », a pour conséquence un accroissement direct du danger de renversement du pouvoir du prolétariat par la bourgeoisie, qui utilisera demain pour la contre-révolution ce qui ne paraît aux bornés qu’un « désaccord théorique » d’aujourd’hui.

    7. Il est impossible de se limiter à la négation habituelle de principe de toute collaboration avec la bourgeoisie, de tout « coalitionnisme ». Une simple défense de la « liberté » et de « l’égalité » avec le maintien de la propriété privée des moyens de production, se transforme dans les conditions de la dictature du prolétariat, qui ne sera jamais en état d’abolir d’un coup la propriété privée en entier, en « collaboration » avec la bourgeoisie qui sapera directement le pouvoir de la classe ouvrière. Car la dictature du prolétariat signifie l’affermissement gouvernemental et la défense, par tout le système d’État, non pas de « la liberté » pour les exploiteurs de continuer leur œuvre d’oppression et d’exploitation, non pas de « l’égalité » du propriétaire (c’est-à-dire de celui qui conserve pour sa jouissance personnelle certains moyens de production créés par le travail de la collectivité) et du pauvre. Ce qui nous paraît jusqu’à la victoire du prolétariat n’être qu’un désaccord sur la question de la « démocratie » deviendra inévitablement demain, après la victoire, une question qu’il faudra trancher par les armes. Sans transformation radicale de tout le caractère de la lutte contre les « centristes » et les « défenseurs de la démocratie » la préparation même préalable des masses à la réalisation de la dictature du prolétariat est donc impossible.

    8. La dictature du prolétariat est la forme la plus décisive et la plus révolutionnaire de la lutte de classes du prolétariat et de la bourgeoisie. Pareille lutte ne peut être victorieuse que lorsque l’avant-garde la plus révolutionnaire du prolétariat entraîne derrière elle l’écrasante majorité ouvrière. La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d’organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d’éducation, etc…

    Plus la domination de la démocratie bourgeoise a été longue et ferme, dans un pays donné, plus la bourgeoisie a réussi a amener aux postes importants du mouvement ouvrier des hommes éduqués par elle, par ses conceptions, par ses préjugés, très souvent directement ou indirectement achetés par elle. Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu’on ne l’a fait jusqu’ici, de remplacer ces représentants de l’aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse.

    9. La dictature du prolétariat est la réalisation la plus complète de la domination de tous les travailleurs et de tous les exploités, opprimés, abrutis, terrorisés, éparpillés, trompés par la classe capitaliste, mais conduits par la seule classe sociale préparée à cette mission dirigeante par toute l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi la préparation de la dictature prolétarienne doit être partout et immédiatement commencée, entre autres par les moyens que voici :

    Dans toutes les organisations sans exception, — syndicats, unions, etc… — prolétariennes d’abord et ensuite non-prolétariennes, des masses laborieuses exploitées (qu’elles soient politiques, syndicales, militaires, coopératives, postscolaires, sportives, etc…), des groupes ou des noyaux communistes doivent être formés, de préférence ouvertement, mais, s’il le faut, clandestinement — ce qui devient obligatoire toutes les fois que leur mise hors la loi et l’arrestation de leurs membres sont à craindre ; ces groupes, rattachés les uns aux autres et rattachés au centre du Parti, échangeant le résultat de leur expérience, s’occupant d’agitation, de propagande et d’organisation s’adaptent à tous les domaines de la vie sociale, à tous les aspects et à toutes les catégories de la masse laborieuse, doivent procéder par leur travail multiple à leur propre éducation, à celle du Parti, de la classe ouvrière et de la masse.

    Il est, cependant, de la plus haute importance d’élaborer pratiquement, — dans leur développement nécessaire — des méthodes d’action, d’une part, à l’égard des leaders ou des représentants autorisés des organisations, complètement corrompus par les préjugés impérialistes et petits-bourgeois (ces leaders, il faut impitoyablement les démasquer et les exclure du mouvement ouvrier) et, d’autre part, à l’égard des masses qui, surtout depuis la tuerie impérialiste, sont disposées à prêter l’oreille à l’enseignement de la nécessité de suivre le prolétariat, seul capable de les tirer de l’esclavage capitaliste. Il convient de savoir aborder les masses avec patience et circonspection, afin de comprendre les particularités psychologiques de chaque profession, de chaque groupe au sein de cette masse.

    10. Il est un groupe ou fraction de Communistes qui mérite tout particulièrement l’attention et la surveillance du Parti : c’est la fraction parlementaire, autrement dit, le groupe des membres du parti élus au Parlement (ou aux municipalités, etc…). D’une part, ces tribunes sont, aux yeux des couches profondes de la classe laborieuse retardataire ou farcie de préjugés petits-bourgeois, d’une importance capitale ; c’est d’ailleurs la raison qui fait que les Communistes doivent, du haut de ces tribunes, mener une action de propagande, d’agitation, d’organisation, et expliquer aux masses pourquoi était nécessaire en Russie (comme il le sera, le cas échéant, dans tous les pays) la dissolution du Parlement bourgeois par le congrès panrusse de Soviets. D’autre part, toute l’histoire de la démocratie bourgeoise a fait de la tribune parlementaire, notamment dans les pays avancés, la principale ou l’une des principales arènes des duperies financières et politique, de l’arrivisme, de l’hypocrisie, de l’oppression des travailleurs. C’est pourquoi la haine vivace nourrie à l’égard des parlements par les meilleurs représentants du prolétariat est pleinement justifiée. C’est pourquoi les Partis Communistes et tous les partis adhérents à la 3e Internationale (dans les cas surtout où ces partis n’ont pas été créés par suite d’une scission des anciens partis après une lutte longue et acharnée, mais se sont formés par l’adoption souvent nominale d’une nouvelle position par les anciens partis) doivent observer une attitude très rigoureuse à l’égard de leurs fractions parlementaires, c’est-à-dire exiger : leur subordination complète au Comité Central du Parti ; l’introduction de préférence dans leur composition d’ouvriers révolutionnaires ; l’analyse la plus attentive dans la presse du Parti et aux réunions de celui-ci, des discours des parlementaires du point de vue de leur attitude communiste ; la désignation des parlementaires pour l’action de propagande parmi les masses, l’exclusion immédiate de tous ceux qui manifesteraient une tendance vers la 2e Internationale, etc…

    11. Un des obstacles les plus graves au mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes développés dérive du fait que grâce aux possessions coloniales et à la plus-value du capital financier, etc…, le capital a réussi à y créer une petite aristocratie ouvrière relativement imposante et stable. Elle bénéficie des meilleures conditions de rétribution ; elle est, par-dessus tout, pénétrée d’un esprit de corporatisme étroit, de petite bourgeoisie et de préjugés capitalistes. Elle constitue le véritable « point d’appui » social de la 2e Internationale des réformistes et des « centristes », et elle est bien près, à l’heure actuelle, d’être le point d’appui principal de la bourgeoisie. Aucune préparation, même préalable, du prolétariat au renversement de la bourgeoisie n’est possible sans une lutte directe, systématique, large, déclarée, avec cette petite minorité, qui, sans aucun doute (comme l’a pleinement prouvé l’expérience) donnera nombre des siens à la garde blanche de la bourgeoisie après la victoire du prolétariat. Tous les partis adhérant à la 3e Internationale doivent, coûte que coûte, donner corps dans la vie à ce mot d’ordre, « plus profondément dans les masses », en comprenant par masse tout l’ensemble des travailleurs et des exploités par le capital, et surtout les moins organisés et les moins éclairés, les plus opprimés et les moins accessibles à l’organisation.

    Le prolétariat ne devient révolutionnaire qu’autant qu’il ne s’enferme pas dans les cadres d’un étroit corporatisme et pour autant qu’il agit dans toutes les manifestations et tous les domaines de la vie sociale, comme le chef de toute la masse laborieuse et exploitée. La réalisation de sa dictature est impossible sans préparation et sans la résolution de consentir aux pertes les plus grandes au nom de la victoire sur la bourgeoisie. Et sous ce rapport, l’expérience de la Russie a une importance pratique de principe. Le prolétariat russe n’aurait pas pu réaliser sa dictature, n’aurait pas pu conquérir la sympathie et la confiance générales de toute la masse ouvrière, s’il n’avait pas fait preuve de plus d’esprit de sacrifice et s’il n’avait pas plus profondément souffert de la faim que toutes les autres couches de cette masse, aux heures les plus difficiles des attaques, des guerres, du blocus de la bourgeoisie mondiale.

    L’appui le plus complet et le plus dévoué du Parti Communiste et du prolétariat d’avant-garde est tout particulièrement nécessaire à l’égard de tout mouvement gréviste large, violent, considérable, qui est seul en état, sous l’oppression du capital, de réveiller véritablement, d’ébranler et d’organiser les masses, de leur inspirer une confiance pleine et entière en le rôle directeur du prolétariat révolutionnaire. Sans une semblable préparation, aucune dictature du prolétariat n’est possible, et les hommes capables de prendre fait et cause contre les grèves comme le font Kautsky en Allemagne et Turati en Italie, ne doivent pas être tolérés au sein des partis qui se rattachent à la 3e Internationale. Ceci concerne certainement plus encore les leaders parlementaires et trade-unionistes qui, à tout moment, trahissent les ouvriers, en leur enseignant par la grève le réformisme et non la révolution (exemples : Jouhaux en France, Gompers en Amérique, G.-H. Thomas en Angleterre).

    12. Pour tous les pays, même pour les plus « libres », les plus « légaux », les plus « pacifiques » au sens de la plus faible exacerbation de la lutte de classe, le moment est venu où il est d’une nécessité absolue pour tout Parti communiste, d’unir l’action légale et illégale, l’organisation légale et l’organisation clandestine. Car dans les pays les plus cultivés et les plus libres, ceux du régime bourgeois-démocratique le plus « stable », les gouvernements, en dépit de leurs déclarations mensongères et cyniques, établissent déjà de secrètes listes noires de communistes, violent à tout instant leur propre constitution en soutenant plus ou moins secrètement les gardes-blancs et l’assassinat des communistes dans tous les pays, préparent dans l’ombre les arrestations des communistes, introduisent parmi eux des provocateurs, etc…

    Il n’est que le plus réactionnaire esprit petit-bourgeois, quelle que soit la beauté des phrases « démocratiques » et pacifiques dont il se pare, qui puisse nier ce fait et la conclusion obligatoire qui en découle : la formation immédiate par tous les partis communistes légaux d’organisations clandestines en vue de l’action illégale, organisations qui seront prête pour le jour où la bourgeoisie se mettra à traquer les communistes. Une action illégale dans l’armée, dans la flotte, dans la police est de la plus haute importance ; depuis la grande guerre impérialiste tous les gouvernements du monde ont pris peur de l’armée populaire et ont eu recours à tous les procédés imaginables pour constituer spécialement des unités militaires avec des éléments spécialement triés parmi la bourgeoisie et armés des engins meurtriers les plus perfectionnés.

    Il est d’autre part également nécessaire dans tous les cas, sans exception, de ne pas se borner à une action illégale, mais aussi de poursuivre l’action légale en surmontant à cet effet toutes les difficultés, en fondant des journaux légaux et des organisations légales sous les désignations les plus différentes, et le cas échéant en changeant fréquemment leurs dénominations. Ainsi agissent les partis communistes illégaux en Finlande, en Hongrie, en Allemagne et dans une certaine mesure, en Pologne, Lituanie, etc… Ainsi doivent agir les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) en Amérique, et devront agir tous les autres partis communistes légaux, au cas où il plairait aux procureurs de leur intenter des poursuites pour la seule acceptation des résolutions des Congrès de l’Internationale Communiste, etc…

    L’absolue nécessité d’unir l’action légale et illégale n’est pas déterminée en principe par l’ensemble des conditions de l’époque que nous traversons, période de veille de dictature prolétarienne, mais par le besoin de montrer à la bourgeoisie qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir de domaines et de champs d’action, que n’aient pas conquis les communistes, et aussi parce qu’il existe encore partout de profondes couches du prolétariat, et dans des proportions plus vastes encore une masse laborieuse et exploitée non prolétarienne, qui font toujours confiance à la légalité bourgeoise démocratique, et qu’il est très important pour nous de dissuader.

    13. L’état de la presse ouvrière dans les pays capitalistes les plus avancés montre de façon éclatante le mensonge de la liberté et de l’égalité en démocratie bourgeoise, de même que la nécessité d’unir systématiquement l’action légale et illégale. Tant dans l’Allemagne vaincue que dans l’Amérique victorieuse, toutes les forces de l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie et toute l’astuce des rois de l’or sont mises en mouvement pour dépouiller les ouvriers de leur presse : poursuites judiciaires et arrestations (ou assassinats commis par des spadassins) des rédacteurs, confiscation des envois postaux, confiscation du papier, etc… Et tout ce qui est nécessaire à un journal quotidien en fait d’information se trouve entre les mains des agences télégraphiques bourgeoises, les annonces sans lesquelles un grand journal ne peut pas couvrir ses frais sont à la « libre » disposition des capitalistes. En résumé, la bourgeoisie, par le mensonge, par la pression du capital et de l’État bourgeois dépouille le prolétariat révolutionnaire de sa presse.

    Pour lutter contre cet état de choses, les Partis Communistes doivent créer un nouveau type de presse périodique destiné à la diffusion en masse parmi les ouvriers, comportant :

    1° des publications légales qui apprendraient, sans se déclarer communistes et sans parler de leur dépendance du Parti, à tirer parti des moindres possibilités légales, comme les bolcheviks l’ont fait sous le tsarisme après 1905 ;

    2° des tracts illégaux, ne fût-ce que d’un format minime, paraissant irrégulièrement, mais imprimés par les ouvriers dans un grand nombre de typographies (clandestinement, ou si le mouvement s’est renforcé, par la mainmise sur les typographes) donnant au prolétariat une information libre, révolutionnaire, et des mots d’ordre révolutionnaires.

    Sans une bataille révolutionnaire, qui entraînera les masses, pour la liberté de la presse communiste, la préparation de la dictature du prolétariat est impossible.

    3. — MODIFICATION DE LA LIGNE DE CONDUITE,
    ET PARTIELLEMENT, DE LA COMPOSITION SOCIALE
    DES PARTIS ADHÉRANT OU DÉSIREUX D’ADHÉRER
    À L’INTERNATIONALE COMMUNISTE

    14. Le degré de préparation du prolétariat des pays les plus importants, au point de vue de l’économie et de la politique mondiales, à la réalisation de la dictature ouvrière se caractérise avec le plus d’objectivité et d’exactitude, par le fait que les partis les plus influents de la 2e Internationale, tels que le Parti Socialiste Français, le Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand, le Parti Ouvrier Indépendant Anglais, le Parti Socialiste Américain sont sortis de cette Internationale Jaune et ont décidé, sous condition, d’adhérer à la 3e Internationale. Il est ainsi prouvé que l’avant-garde n’est pas seule, que la majorité du prolétariat révolutionnaire a commencé, persuadée par toute la marche des événements, à passer de notre côté. L’essentiel maintenant est de savoir achever ce passage et solidement affermir par l’organisation ce qui a été obtenu, afin qu’il soit possible d’aller de l’avant sur toute la ligne sans la moindre hésitation.

    15. Toute l’activité des partis précités (auxquels il faut encore ajouter le Parti Socialiste Suisse si le télégramme nous informant de sa décision d’adhésion à la 3e Internationale est exact) prouve (et n’importe quelle publication de ces partis le confirme indubitablement), qu’elle n’est pas encore communiste et va fréquemment à l’encontre des principes fondamentaux de la 3e Internationale en reconnaissant la démocratie bourgeoise au lieu de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique.

    Pour ces raisons le 2e Congrès de l’Internationale Communiste déclare qu’il ne considère pas comme possible de reconnaître immédiatement ces partis ; qu’il confirme la réponse faite par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste aux indépendants allemands ; qu’il confirme son consentement d’entrer en pourparlers avec tout parti qui sortira de la 2e Internationale et qui exprimera le désir de se rapprocher de la 3e Internationale ; qu’il accorde voix consultative aux délégués de ces partis à tous ses Congrès et Conférences ; qu’il pose les conditions suivantes pour l’union complète de ces partis (et partis similaires) avec l’Internationale Communiste.

    1. Publication de toutes les décisions de tous les Congrès de l’Internationale Communiste et du Comité Exécutif dans toutes les éditions périodiques du Parti ;

    2. Examen de ces dernières à des réunions spéciales de toutes les organisations locales du Parti ;

    3. Convocation, après cet examen, d’un Congrès spécial du Parti afin d’en exclure les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale. Ce Congrès devra être convoqué aussi vite que possible dans un délai maximum de quatre mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste ;

    4. Expulsion du Parti de tous les éléments qui continuent à agir dans l’esprit de la 2e Internationale ;

    5. Passage de tous les organes périodiques du Parti aux mains de rédacteurs exclusivement communistes ;

    6. Les partis qui voudraient adhérer maintenant à la 3e Internationale mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent préalablement veiller à ce que les deux tiers des membres de leur comité central et des institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades qui, déjà avant le 2e Congrès, s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve aussi le droit de faire des exceptions en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste mentionnés au paragraphe 7 ;

    7. Les membres du Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

    16. En ce qui concerne l’attitude des communistes qui forment la minorité actuelle parmi les militants responsables des Partis précités et similaires, le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que par suite de l’allure rapide du développement actuel de l’esprit révolutionnaire des masses la sortie des communistes de ces Partis n’est pas désirable, aussi longtemps qu’ils auront la possibilité d’y mener une action dans le sens de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique, de critiquer les opportunistes et les centristes qui y demeurent encore.

    Toutefois lorsque l’aile gauche d’un parti centriste aura acquis une force suffisante elle pourra, si elle le juge utile au développement du communisme, quitter le Parti en bloc et former un parti communiste.

    En même temps le 2e Congrès de la 3e Internationale approuve également l’adhésion des groupes et organisations communistes ou sympathisant au communisme au Labour Party anglais, bien que ce dernier ne soit pas encore sorti de la 2e Internationale. Aussi longtemps que ce Parti laissera à ses organisations leur liberté actuelle de critique, d’action, de propagande, d’agitation et d’organisation pour la dictature du prolétariat et pour le pouvoir soviétique, aussi longtemps qu’il conservera son caractère d’union de toutes les organisations syndicales de la classe ouvrière, les communistes doivent faire toutes les tentatives et aller jusqu’à certains compromis afin d’avoir la possibilité d’exercer une influence sur les grandes masses des travailleurs, de dénoncer leurs chefs opportunistes du haut des tribunes en vue des masses, de hâter le passage du pouvoir politique des mains des représentants directs de la bourgeoisie aux mains des lieutenants ouvriers de la classe ouvrière pour délivrer au plus tôt les masses des dernières illusions a ce sujet.

    17. En ce qui concerne le Parti Socialiste Italien, le 2e Congrès de la 3e Internationale, reconnaissant que la révision du programme voté l’année dernière par ce Parti dans son Congrès de Bologne marque une étape très importante dans sa transformation vers le communisme, et que les propositions présentées par la Section de Turin au conseil général du Parti publiées dans le journal l’Ordine Nuovo du 8 mai 1920 correspondent à tous les principes fondamentaux de la 3e Internationale, prie le Parti Socialiste Italien d’examiner, dans le prochain Congrès qui doit être convoqué en vertu des statuts du Parti et des dispositions générales sur l’admission à la 3e Internationale, les susdites propositions et toutes les décisions des deux Congrès de l’Internationale Communiste, particulièrement au sujet de la fraction parlementaire, des Syndicats et des éléments non communistes du Parti.

    18. Le 2e Congrès de la 3e Internationale considère comme inadéquates les conceptions sur les rapports du Parti avec la classe ouvrière et avec la masse, sur la participation facultative des Partis Communistes à l’action parlementaire et à l’action des syndicats réactionnaires, qui ont été amplement réfutées dans les résolutions spéciales du présent Congrès, après avoir été surtout défendues par « le Parti Ouvrier Communiste Allemand », et quelque peu par le « Parti Communiste Suisse », par l’organe du bureau viennois de l’Internationale Communiste pour l’Europe Orientale, Kommunismus, par quelques camarades hollandais, par certaines organisations communistes d’Angleterre (dont la « Fédération Ouvrière Socialiste »), etc…, ainsi que par les « I.W.W. » d’Amérique et par les « Shop Stewards Committees » d’Angleterre, etc…, etc…

    Néanmoins le 2e Congrès de la 3e Internationale croit possible et désirable la réunion à la 3e Internationale de celles de ces organisations qui n’y ont pas encore officiellement adhéré, car dans le cas présent, et surtout à l’égard des « Shop Stewards Committees » anglais, nous nous trouvons en présence d’un profond mouvement prolétarien, qui se tient en fait sur le terrain des principes fondamentaux de l’Internationale Communiste. Dans de telles organisations, les conceptions erronées sur la participation à l’action des Parlements bourgeois s’expliquent moins par le rôle des éléments issus de la bourgeoisie qui apportent leurs conceptions, d’un esprit au fond petit-bourgeois, telles que le sont souvent celles des anarchistes, que par l’inexpérience politique des prolétaires vraiment révolutionnaires et liés avec la masse.

    Le 2e Congrès de la 3e Internationale prie pour ces raisons toutes les organisations et tous les groupes communistes des pays anglo-saxons de poursuivre même au cas où les « I.W.W. » et les « Shop Stewards Committees » ne se rattacheraient pas immédiatement à la 3e Internationale, une politique de relations plus amicales avec ces organisations, de rapprochement avec elles et avec les masses qui sympathisent avec elles, en leur faisant comprendre amicalement du point de vue de l’expérience de toutes les révolutions russes du xxe siècle, le caractère erroné de leurs conceptions, et en réitérant les tentatives de fusion avec ces organisations dans un Parti Communiste unique.

    19. Le Congrès attire l’attention de tous les camarades, surtout des pays romans et anglo-saxons, sur ce fait : depuis la guerre une profonde division d’idées se produit parmi les anarchistes du monde entier au sujet de l’attitude à observer vis-à-vis de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique. Dans ces conditions, parmi les éléments prolétariens qui on souvent été poussés à l’anarchisme par la haine pleinement justifiée de l’opportunisme et du réformisme de la 2e Internationale, on observe une compréhension particulièrement exacte de ces principes, et qui ne fait que s’étendre davantage au fur et à mesure que l’expérience de la Russie, de la Finlande, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Pologne et de l’Allemagne est mieux connue.

    Pour ces raisons le Congrès croit du devoir de tous les camarades de soutenir par tous les moyens le passage de tous les éléments prolétariens de masses de l’anarchisme à la 3e Internationale.

    Le Congrès considère que le succès de l’action des Partis vraiment communistes doit être apprécié entre autres, dans la mesure où ils auront réussi à attirer à eux tous les éléments vraiment prolétariens de l’anarchisme.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Conditions d’admission des partis dans l’Internationale Communiste décidées au second congrès

    Le premier Congrès constituant de l’Internationale Communiste n’a pas élaboré les conditions précises de l’admission des Partis dans la 3e Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n’y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

    Le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

    De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la 2e Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l’Internationale Communiste s’adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La 2e Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s’efforcent de s’appuyer sur l’Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L’Internationale Communiste est, d’une certaine façon, à la mode.

    Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d’adhérer à la 3e Internationale nous confirme indirectement que l’Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

    L’Internationale Communiste est menacée de l’envahissement de groupes indécis et hésitants qui n’ont pas encore pu rompre avec l’idéologie de la 2e Internationale.

    En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n’attendent que l’occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la 2e Internationale.

    Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L’union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

    C’est pourquoi le 2e Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d’admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

    Le 2e Congrès de l’Internationale Communiste décide que les conditions d’admission dans l’Internationale sont les suivantes :

    1. La propagande et l’agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la 3e Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d’une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d’éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l’autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la 3e Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

    2. Toute organisation désireuse d’adhérer à l’Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, — sans craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

    3. Dans presque tous les pays de l’Europe et de l’Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l’organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l’état de siège ou de lois d’exception, les communistes n’ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l’action légale et de l’action illégale est indubitablement nécessaire.

    4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l’affiliation à la 3e internationale.

    5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n’est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n’a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L’action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l’accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c’est renoncer à la révolution prolétarienne.

    6. Tout Parti désireux d’appartenir à la 3e Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s’agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l’humanité des guerres impérialistes.

    7. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d’une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L’action communiste conséquente n’est possible qu’à ce prix.

    L’Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L’Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, MacDonald et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la 3e Internationale, et qu’ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la 3e Internationale à la 2e.

    8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la 3e Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

    9. Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti.

    10. Tout Parti appartenant à l’Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l’« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l’idée de la nécessité de la rupture avec l’Internationale Jaune d’Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l’union internationale des syndicats rouges adhérant à l’Internationale Communiste.

    11. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d’en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d’exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l’agitation.

    12. Les Partis appartenant à l’Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

    13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d’en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

    14. Les Partis désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

    15. Les Partis qui conservent jusqu’à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l’Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale Communiste.

    16. Toutes les décisions des Congrès de l’Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l’Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l’Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

    17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l’Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d’adhérer à l’Internationale Communiste doit s’intituler Parti Communiste de… (section de la 3e Internationale Communiste). Cette question d’appellation n’est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L’Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

    18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d’imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

    19. Tous les Partis appartenant à l’Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2e Congrès de l’Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2e Congrès de l’Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

    20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la 3e Internationale, mais qui n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2e Congrès s’étaient ouvertement prononcés pour l’adhésion du Parti à la 3e Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l’approbation du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

    21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l’Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Statuts de l’Internationale Communiste au second congrès de l’Internationale communiste

    En 1864, fut fondée, à Londres, la première Association Internationale des Travailleurs : la Première Internationale. Les statuts de cette Association portaient :

    Considérant :

    Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être obtenue par la classe ouvrière seule ;

    Que la lutte pour cette émancipation ne signifie aucunement une lutte pour la création de nouveaux privilèges de classe et de monopoles, mais pour l’établissement de l’égalité des droits et des devoirs et pour la suppression de toute domination de classe ;

    Que la soumission économique de l’homme au travail sous le régime des possesseurs des moyens de production (c’est-à-dire de toutes les sources de la vie) et l’esclavage sous toutes ses formes, sont les causes principales de la misère sociale, de la dégradation morale et de la dépendance politique ;

    Que l’émancipation économique de la classe ouvrière est partout le but essentiel auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;

    Que tous les efforts en vue d’atteindre ce grand but ont échoué par suite de manque de solidarité entre les travailleurs des différentes branches du travail dans chaque pays et d’alliance fraternelle entre les travailleurs des pays différents ;

    Que l’émancipation n’est point un problème local ou national, mais un problème social embrassant tous les pays où le régime social moderne existe, et dont la solution dépend de la collaboration théorique et pratique des pays les plus avancés ; que la rénovation actuelle simultanée du mouvement ouvrier dans les pays industriels de l’Europe éveille en nous d’un côté de nouveaux espoirs, mais de l’autre, nous donne un avertissement solennel de ne pas retomber dans les anciennes erreurs, et nous appelle à la coordination immédiate du mouvement qui jusqu’à présent n’avait point de cohérence. »

    La 2e Internationale, fondée en 1889, à Paris, s’était engagée à continuer l’œuvre de la Première Internationale. Mais en 1914, au début de la guerre mondiale, elle a subi un krach complet. La 2e Internationale a péri, minée par l’opportunisme et terrassée par la trahison de ses chefs, passés dans le camp de la bourgeoisie.

    La 3e Internationale Communiste, fondée en mars 1919, dans la capitale de la République Socialiste Fédérative des Soviets, à Moscou, a déclaré solennellement à la face du monde qu’elle se chargeait de poursuivre et d’achever la grande œuvre entreprise par la Première Internationale des Travailleurs.

    La 3e Internationale Communiste s’est constituée à la fin du carnage impérialiste de 1914-1918, au cours duquel la bourgeoisie des différents pays a sacrifié 20 millions de vies.

    Souviens-toi de la guerre impérialiste ! Voilà la première parole que l’Internationale Communiste adresse à chaque travailleur, quelles que soient son origine et la langue qu’il parle. Souviens-toi que, du fait de l’existence du régime capitaliste, une poignée d’impérialistes a eu, pendant quatre longues années, la possibilité de contraindre les travailleurs de partout à s’entr’égorger ! Souviens-toi que la guerre bourgeoise a plongé l’Europe et le monde entier dans la famine et le dénuement ! Souviens-toi que sans le renversement du capitalisme, la répétition de ces guerres criminelles est non seulement possible, mais inévitable !

    L’Internationale Communiste se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république internationale des soviets, première étape dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental. L’Internationale Communiste considère la dictature du prolétariat comme l’unique moyen disponible pour arracher l’humanité aux horreurs du capitalisme. Et l’Internationale Communiste considère le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature du prolétariat qu’impose l’histoire.

    La guerre impérialiste a créé un lien particulièrement étroit entre les destinées des travailleurs d’un pays et celles du prolétariat de tous les autres pays.

    La guerre impérialiste a confirmé une fois de plus la véracité de ce qu’on pouvait lire dans les statuts de la Première Internationale : l’émancipation des travailleurs n’est pas une tâche locale, ni nationale, mais bien une tâche sociale et internationale.

    L’Internationale Communiste rompt pour tout jamais avec la tradition de la 2e Internationale pour laquelle n’existaient en fait que les peuples de race blanche. L’Internationale Communiste fraternise avec les hommes de race blanche, jaune, noire, les travailleurs de toute la terre.

    L’Internationale Communiste soutient, intégralement et sans réserves, les conquêtes de la grande révolution prolétarienne en Russie, de la première révolution socialiste, dans l’histoire, qui ait été victorieuse et invite les prolétaires du monde à marcher dans la même voie. L’Internationale Communiste s’engage à soutenir par tous les moyens qui seront en son pouvoir toute république socialiste qui serait créée en quelque lieu que ce soit.

    L’Internationale Communiste n’ignore pas que, pour hâter la victoire, l’Association Internationale des Travailleurs, qui combat pour l’abolition du capitalisme et l’instauration du communisme, doit avoir une organisation fortement centralisée. Le mécanisme organisé de l’Internationale Communiste doit assurer aux travailleurs de chaque pays la possibilité de recevoir, à tout moment, de la part des travailleurs organisés des autres pays, tout le secours possible.

    Tout cela considéré, l’Internationale Communiste adopte les statuts que voici :

    Art. 1. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs est fondée dans le but d’organiser une action d’ensemble du prolétariat des différents pays, tendant à une seule et même fin, à savoir : le renversement du capitalisme, l’établissement de la dictature du prolétariat et d’une république internationale des soviets qui permettront d’abolir totalement les classes et de réaliser le socialisme, premier degré de la société communiste.

    Art. 2. — La Nouvelle Association Internationale des Travailleurs adopte le titre d’Internationale Communiste.

    Art. 3. — Tout les partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste portent le nom de Parti Communiste de tel ou tel pays (section de l’Internationale Communiste).

    Art. 4. — L’instance suprême de l’Internationale Communiste n’est autre que le Congrès mondial de tous les partis et organisations qui y sont affiliés. Le Congrès mondial sanctionne les programmes des différents partis qui adhèrent à l’Internationale Communiste. Il examine et résout les questions essentielles de programme et de tactique ayant trait à l’activité de l’Internationale Communiste. Le nombre de voix délibératives qui, dans le Congrès mondial, appartiendront à chaque parti ou organisation, sera fixé par une décision spéciale du Congrès ; il est, en outre, indispensable de s’efforcer de fixer, le plus tôt possible, les normes de représentation, en se basant sur le nombre effectif des membres de chaque organisation, et en tenant compte de l’influence réelle du Parti.

    Art. 5. — Le Congrès international élit un Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, qui devient l’instance suprême de l’Internationale Communiste durant les intervalles qui séparent les sessions du Congrès mondial.

    Art. 6. — Le siège du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est désigné, à chaque nouvelle session, par le Congrès mondial.

    Art. 7. — Un Congrès mondial extraordinaire de l’Internationale Communiste peut être convoqué soit par décision du Comité Exécutif soit sur la demande de la moitié du nombre total des Partis affiliés lors du dernier Congrès mondial.

    Art. 8. — Le travail principal et la grande responsabilité, au sein du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste incombent principalement au Parti Communiste du pays où le Congrès mondial a fixé le siège du Comité Exécutif. Le Parti Communiste de ce pays fait entrer dans le Comité Exécutif au moins cinq représentants ayant voix délibérative. Outre cela, chacun des 12 partis communistes les plus importants fait entrer dans le Comité Exécutif un représentant, avec voix délibérative. La liste de ces partis est sanctionnée par le Congrès mondial. Les autres partis ou organisations ont le droit de déléguer auprès du Comité des représentants (à raison d’un par organisation) avec voix consultative.

    Art. 9. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste dirige dans l’intervalle qui sépare les sessions des Congrès, tous les travaux de l’Internationale Communiste, publie, en quatre langues au moins, un organe central (la revue : l’Internationale Communiste),publie les manifestes qu’il juge indispensables au nom de l’Internationale Communiste et donne à tous les Partis et organisations affiliés des instructions qui ont force de loi. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit d’exiger des Partis affiliés que soient exclus tels groupes ou tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne ; il peut exiger l’exclusion des Partis qui auraient violé les décisions du Congrès mondial. Ces Partis ont le droit d’en appeler au Congrès mondial. En cas de nécessité le Comité Exécutif organise, dans différents pays, des bureaux auxiliaires techniques et autres qui lui sont entièrement subordonnés.

    Art. 10. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le droit de coopter, en leur accordant voix consultative, les représentants des organisations et des Partis non admis dans l’Internationale Communiste, mais sympathisant avec le communisme.

    Art. 11. — Les organes de la presse de tous les Partis et organisations affiliés à l’Internationale Communiste, ou sympathisant avec elle, doivent publier tous les documents officiels de l’Internationale Communiste et de son Comité Exécutif.

    Art. 12. — La situation générale en Europe et en Amérique impose aux communistes l’obligation de créer, parallèlement à leurs organisations légales, des organisations secrètes. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a le devoir de veiller à l’observation de cet article des Statuts.

    Art. 13. — Il est de règle que toutes les relations politiques présentant une certaine importance entre les différents Partis affiliés à l’Internationale Communiste aient pour intermédiaire le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste. En cas de nécessité urgente, ces relations peuvent être directes à la condition que le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste en soit informé.

    Art. 14. — Les Syndicats qui se placent sur le terrain du communisme et qui forment des groupes internationaux sous le contrôle du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, constituent une section syndicale de l’Internationale Communiste. Les Syndicats communistes envoient leurs représentants au Congrès mondial de l’Internationale Communiste, par l’intermédiaire du Parti Communiste de leur pays. La section syndicale de l’Internationale Communiste délègue un de ses membres auprès du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif a le droit de déléguer, auprès de la section syndicale de l’Internationale Communiste, un représentant qui a voix délibérative.

    Art. 15. — L’Union Internationale de la Jeunesse Communiste est subordonnée à l’Internationale Communiste et à son Comité Exécutif. Elle délègue un représentant de son Comité Exécutif au Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, où il a voix délibérative. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a la faculté de déléguer auprès du Comité Exécutif de l’Union de la Jeunesse, un représentant, qui a voix délibérative. Les rapports mutuels qui existent entre l’Union de la Jeunesse et le Parti Communiste, en tant qu’organisations, dans chaque pays, sont basés sur le même principe.

    Art. 16. — Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste sanctionne la nomination d’un secrétaire du mouvement féminin international et organise une section des Femmes Communistes de l’Internationale.

    Art. 17. — Tout membre de l’Internationale Communiste qui se rend d’un pays à un autre, y est fraternellement accueilli par les membres de la 3e Internationale.

    =>Retour au dossier sur le Second congrès
    de l’Internationale communiste

  • Les caractéristiques générales du «national-socialisme»

    Il y a lieu de préciser, pour conclure, les caractéristiques générales du national-socialisme.

    1. Le national-socialisme n’est pas une rencontre du nationalisme et du socialisme, mais une perspective idéaliste de réponse « nationale » aux questions sociales. Pour cette raison, l’anticapitalisme romantique est nécessaire, afin de « compenser » la non-remise en question du capitalisme.

    2. La réponse « nationale » à la question sociale présuppose le fait que la nation ne connaîtrait pas de contradictions internes ; la base est ainsi la négation de la lutte des classes et du principe de dialectique en général.

    3. Le « socialisme national » ne consiste pas en la nationalisation de secteurs économiques, le national-socialisme n’a jamais remis en cause la notion de propriété privée. Le seules différences idéologiques internes reposent sur le degré de corporatisme « nécessaire » à la société.

    4. Les courants « national-révolutionnaire » et « national-bolchevik » etc. ne représentent donc nullement une « gauche » du national-socialisme, mais ses tendances davantage orientés vers le corporatisme. Les tendances « racialistes » représentant les tendances expansionnistes et les plus militaristes.

    5. Les secteurs des masses qui passent dans le camp du national-socialisme ont comme moteur idéologique le nationalisme, pas le « socialisme ». Le socialisme exigé par ces masses est happé par le nationalisme comme réponse à la crise – face au « parasite » anti-national – puis seulement par le national-socialisme.

    6. La paralysie totale des masses une fois le national-socialisme instauré est précisément le fruit de ce mouvement en trois étapes : l’énergie révolutionnaire des masses est détourné vers le nationalisme prétendant unifier la communauté. L’élan idéologique donné alors est tourné en mobilisation national-socialiste.

    7. Les courants de la « révolution conservatrice » sont le pendant intellectuel et grand-bourgeois du nationalisme venant de la « base ». Dans le cas où un régime politique offensif est nécessaire, le courant national-socialiste prime nécessairement sur le courant de la « révolution conservatrice », et inversement pour les phases de réorganisation étatique et de réimpulsion du capitalisme.

    8. Le national-socialisme exprime de manière combinée les besoins de la bourgeoisie la plus réactionnaire et de la recherche des masses d’une « sécurité » où la forme nationale se voit privilégiée. Cette combinaison est un processus long, difficile et contradictoire sur les plans idéologique, intellectuel, social et culturel.

    9. Le national-socialisme est une tendance « naturelle » de la société capitaliste où s’installe un « froid social » dû à la crise générale du capitalisme. Les courants idéalistes d’ultra-gauche participent à la formation de cette tendance ; la social-démocratie lui donne les moyens matériels d’exister de par ses errements multiples.

    10. La seule réponse au national-socialisme est la combinaison de l’exigence de la démocratie populaire avec l’affirmation de la dimension réelle de la bataille pour le communisme, en tant que résolutions de la contradiction entre travail manuel et travail intellectuel, et de celle entre les villes et les campagnes.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • La prétendue «nuit des longs couteaux» en Allemagne nazie

    La date du 25 juin 1934 est davantage connue pour la liquidation, en même temps que les putschistes de la « révolution conservatrice », de nombreux dirigeants de la S.A.. Officiellement, du côté nazi, c’est une réponse à la tentative de putsch du dirigeant de la S.A., Ernst Röhm. L’expression la « nuit des longs couteaux » n’a jamais été employée en Allemagne, seulement en France, en Angleterre, etc. comme surnom donnée à une opération qui aurait servi à liquider la « gauche » nazie.

    Ce n’est pas le cas. Preuve en est que nulle part le programme du parti nazi ne prévoyait d’expropriations, à part dans le cas d’activités dites anti-nationales, et que de plus le responsable de la S.A. à ce moment-là était Ernst Röhm, placé en réponse aux agissements populistes de Walter Stennes.

    Quant à l’arrêt des violences de la S.A. comme prétexte, une telle interprétation n’a pas de sens, alors que l’Allemagne passe sous la coup de bouchers.

    En réalité, cette opération contre la direction de la S.A. allait dans le même sens que la liquidation de la ligne de la « révolution conservatrice ». Cette dernière refusait la mobilisation totale ; inversement, les responsables de la S.A. tablaient dessus pour s’imposer.

    En raison des traités internationaux d’après-guerre, l’armée allemande ne pouvait pas dépasser 100 000 personnes, alors que les S.A., par l’intégration d’autres structures juste après 1933, principalement nationalistes conservatrices, étaient passés à 4 millions de personnes.

    On peut se douter d’ailleurs que cette base ayant quadruplé grosso modo n’est plus du tout celle d’avant 1933, ce qui est un autre argument à l’encontre de la thèse d’une révolte « populaire » de la base de la S.A..

    Enfin, citons Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser qui lui avait quitté le parti nazi. Gregor Strasser est toujours présenté comme le dirigeant de « l’aile gauche » du nazisme, notamment comme il fut exécuté en 1934. Voici ce qu’il dit on ne peut plus clairement dans une interview au journaliste Hubert Renfro Knickerbocker :

    « Nous reconnaissons la propriété privée. Nous reconnaissons l’initiative privée. Nous reconnaissons nos dettes et notre obligation de les payer. Nous sommes contre l’étatisation de l’industrie. Nous sommes contre l’étatisation du commerce. Nous sommes contre l’économie planifiée dans le sens soviétique. »

    En réalité, les S.A. étaient portées par l’idéologie du « socialisme national » dans une perspective relativement autarcique ; ce qu’on appelle la « gauche » nazie c’est en réalité la fraction la plus corporatiste.

    Par conséquent, mes S.A. poussaient pour être la base de l’armée « nouvelle », dans l’esprit « milicien » du « socialisme » prussien, tandis que l’armée comptait bien entendu conserver ses traditions et son caractère central. De ce côté, ce furent les généraux Walter von Reichenau (1884-1942) et Werner von Blomberg (1878-1946) qui poussèrent à l’intégration de l’armée dans le système nazi.

    Le président Paul von Hindenburg décéda alors opportunément le 2 août 1934, permettant à Adolf Hitler de devenir le chef du parti nazi, de l’État, du gouvernement et de l’armée, cette dernière instaurant un serment obligatoire au « Führer » dans ses rangs.

    Ce processus passa cependant par la liquidation au préalable tant du bloc de la « révolution conservatrice » ayant la conception d’une armée « prussienne » que des dirigeants de la S.A. ayant une conception plus décentralisée et conforme à leurs envies de carrière.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • Les contradictions au sein de l’Etat nazi

    L’Allemagne nazie connut bien entendu des contradictions, en fait elle ne connut que cela : contradictions entre elle et les pays conquis et opprimés, contradictions entre les larges masses et la grande bourgeoisie, contradictions entre l’armée allemande et les nouvelles factions dans l’appareil d’État, contradictions entre les factions nazies elle-même, etc. etc.

    La première grande contradiction visible fut celle entre la haute bourgeoisie et l’aristocratie partisanes de la « révolution conservatrice » et le parti nazi. Elle s’exprima par l’intermédiaire de Franz von Papen, qui avait lui-même joué un rôle essentiel pour qu’Adolf Hitler accède au rôle de chancelier.

    Franz von Papen tint un discours à l’université de Marbourg, le 17 juin 1934, qui fut ensuite publié malgré l’opposition farouche du parti nazi. Ce qui y est dit est d’une franchise politique impressionnante : Franz von Papen explique ouvertement que le camp de la « révolution conservatrice » a choisi, avec raison selon lui, de soutenir le national-socialisme. Franz von Papen dit ainsi de manière ouverte :

    « J’ai fait porté l’attention, le 17 mars 1933 à Breslau, sur le fait que dans les années d’après-guerre, un type de mouvement conservateur-révolutionnaire s’était développé, qui ne se différenciait du national-socialisme essentiellement que sur le plan de la tactique.

    Comme la révolution allemande combattait contre la démocratisation et ses conséquences fatales, le nouveau conservatisme refusait de manière conséquente toute démocratisation de plus, et croyait en la possibilité de mettre hors de fonction, par en haut, les forces pluralistes.

    Le national-socialisme, à l’opposé, alla sur la voie de la démocratie, jusqu’au bout, pour arriver ensuite devant les questions, de fait pas faciles, de savoir comment étaient à réaliser les idées de direction absolue, de principe de sélection aristocratique et d’ordre populaire organique.

    L’histoire a donné raison à la tactique national-socialiste, cette réalité comprise amenèrent les hommes d’État conservateurs à l’alliance avec le mouvement national-socialiste dans ces heures du début de l’année 1933. »

    Cependant, les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » étaient en désaccord avec un certain nombre de points, précisés par Franz von Papen dans le discours. Tout d’abord, il était considéré qu’il fallait former une élite issue d’une société corporatiste, et non pas donc sur la base d’un parti dirigeant. Ensuite, la religion chrétienne devait être au centre des valeurs, dans une optique traditionnelle, et non pas la mobilisation « permanente ».

    L’idéologie du discours est en fait celui de l’Etat clérical-corporatiste, tel qu’il se formera justement en Autriche. Celui qui l’avait écrit n’était d’ailleurs pas Franz von Papen lui-même, mais Edgar Julius Jung (1894-1934).

    On se situe ici – les services secrets nazis publieront tout un dossier à ce sujet – dans la mouvance idéologique de l’autrichien Othmar Spann (1878–1950), justement théoricien de l’État corporatiste dans l’esprit de la « révolution conservatrice », et qui menait une grande lutte d’influence idéologique en Autriche.

    Othmar Spann sera à ce titre mis de côté par les nazis ; Edgar Julius Jung sera lui arrêté dès le 25 juin 1934 et assassiné le 30 juin 1934. Les nazis avaient compris que les tenants de la « révolution conservatrice » s’étaient organisés en fraction et comptait s’appuyer sur l’armée pour mener un coup d’Etat militaire.

    Le même 25 juin 1934 furent ainsi assassinés notamment le représentant majeur du catholicisme politique Erich Klausener, le responsable de la jeunesse sportive catholique Adalbert Probst, le théologien Bernhard Stempfle, le général Ferdinand von Bredow, l’ancien chancelier Kurt von Schleicher, le politicien Herbert von Bose lui-même lié à Franz von Papen ; ce dernier ne dut sa vie qu’à Hermann Göring qui lui conseilla de « rester chez lui ».

    Les tenants de la ligne de la « révolution conservatrice » menèrent par la suite une politique clandestine, supervisée par deux comtes : Helmuth James Graf von Moltke (1907-1945) et Peter Graf Yorck von Wartenburg (1904-1944). Le premier sera arrêté, puis condamné à mort en raison de la tentative de coup d’Etat du 20 juillet 1944 à laquelle participa le second.

    Ce fut un troisième comte, Claus Schenk Graf von Stauffenberg (1907-1944), qui dirigea la tentative de coup d’État combinant attentat contre Adolf Hitler et prise de contrôle de « l’opération Valkyrie », un état d’urgence prévue par l’État nazi lui-même en cas de soulèvement populaire.

    Il s’agit ainsi d’un coup d’Etat au sens strict, pas d’une participation à un soulèvement démocratique. Voici d’ailleurs le programme de ce coup d’Etat, formulé par Claus von Stauffenberg comme dénominateur commun :

    « Nous nous sommes engagés en esprit et dans les faits aux grandes transmissions de notre peuple qui ont donné naissance à l’humanité occidentale par la fusion des origines helléniques et chrétiennes dans l’essence germanique.

    Nous voulons un nouvel ordre, qui rend porteurs de l’Etat tous les Allemands, et leur garantit le droit et la justice, mais méprisons le mensonge de l’égalité et exigeons la reconnaissance des rangs naturels.

    Nous voulons un peuple enraciné dans le sol de la patrie, qui reste proche des forces naturelles, qui trouve dans l’agissement dans ses cercles de vie donnés sa chance et sa satisfaction suffisantes, et dépasse dans la fierté libre les impulsions inférieures de l’envie et de la jalousie. »

    Parmi les 200 personnes exécutées pour la tentative de coup d’État, on trouve 20 généraux, 26 colonels, deux ambassadeurs, sept diplomates, un ministre, trois secrétaires d’Etat dont le chef de la police criminelle, etc.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • L’absence de contradictions réelles au sein des S.A.

    Les S.A. ne connurent pas de réel bouleversement à partir de 1933. Cela peut sembler paradoxal, et ce problème théorique a été « résolu » de manière totalement idéaliste au moyen d’une interprétation fondamentalement erronée de la « nuit des longs couteaux » en juin 1934.

    La liquidation de dirigeants S.A. qui a eu lieu alors ne tient pas spécifiquement à la base de la S.A., et d’ailleurs la répression frappe autant les milieux de la « révolution conservatrice ». La thèse d’une « gauche » de la S.A. se révoltant et exigeant une « seconde révolution » n’a pas de fondements.

    La base des S.A. n’était pas unifiée, même si elle provenait de couches populaires. Dans les zones ouvrières les S.A. étaient en bonne partie eux-mêmes d’origine ouvrière, alors que dans les grosses villes du sud comme Munich ou Francfort sur le Main, il n’y avait pratiquement pas de S.A. faisant partie de la classe ouvrière.

    Cette base populaire des S.A. n’avait, dans tous les cas, pas du tout la culture des grands centres ouvriers, où la classe ouvrière ne céda jamais aux nazis. Les S.A. se plaçaient donc dans une perspective assez « lumpen » ; par ailleurs au-delà des apparences « strictes », porter l’uniforme n’était pas une nécessité absolue ; en ville on était alors relégué au fond des défilés, et dans les campagnes il ne fut pas généralisé systématiquement.

    De la même manière, les S.A., pourtant l’armée d’Adolf Hitler, avaient la moitié de leurs membres n’appartenant pas au parti nazi. Les S.A. fonctionnaient en fait par affinité, formant des rassemblements d’hommes exprimant une idéologie « virile », une culture militariste issue de la première guerre mondiale où ils n’avaient pas combattu en raison de leur jeune âge.

    L’idéologie des S.A. tenait ainsi à un style, comme dans le hooliganisme, et pour cette raison, toutes les entreprises idéologiques concernant les S.A. ont échoué.

    Ainsi, lorsque la fraction portée par Otto Strasser, quitta les S.A. en lançant un manifeste le 4 juillet 1930, signé « Les national-socialistes révolutionnaires », elle n’eut pratiquement aucun impact.

    Cette rupture fut le prolongement d’une discussion houleuse, les 21 et 22 mai 1930, entre Adolf Hitler et les partisans d’Otto Strasser, qui réclamaient davantage de décentralisation dans le parti nazi et surtout qui considéraient que le concept de « communauté populaire » était central, et pas celui de « Führer ».

    Otto Strasser opposait en pratique le fascisme italien, avec son principe du dictateur, au national-socialisme compris comme « socialisme national », autarcique avant tout. Pour cette raison, Otto Strasser critiquait le non soutien à Gandhi en Inde, à ses yeux, le nationalisme devait soutenir tous les nationalismes. Par la suite, Otto Strasser soutint ensuite une ligne ethno-différentialiste, considérant « les Juifs » comme une race à part, mais devant être reconnue.

    Malgré toutes ces questions débattues et qui purent être prétexte à des batailles de fraction, seulement quelques milliers de personnes quittèrent les S.A. pour rejoindre Otto Strasser qui fonda le National-Sozialistische Kampfgemeinschaft Deutschlands (« Communauté de combat national-socialiste d’Allemagne »), structure tentant de lancer différentes publications (« Le national-socialiste », « La révolution allemande », « Le front noir »).

    Très rapidement la moitié des effectifs rejoignirent les communistes ; Otto Strasser se retrouva totalement isolé, quittant l’Allemagne en 1933, pour finalement se retrouver au Canada.

    Malgré cet épisode anecdotique dans l’histoire des S.A., et la base corporatiste d’Otto Strasser, cela fut prétexte à un « mythe » d’une « gauche » des S.A..

    En réalité, s’il faut chercher un événement d’importance dans les S.A. ayant une certaine dimension sociale, et certainement pas socialiste, ce fut la révolte organisée par Walter Stennes, « héros » de la première guerre mondiale puis corps-franc, ayant rejoint le parti nazi 1927 et immédiatement devenu le responsable pour Berlin.

    Walter Stennes avait exigé que des S.A. fassent partie des élus du parti nazi, que les gens du service d’ordre de protection soient payés, etc. Le 30 août 1930 il occupa en rébellion le bâtiment central du parti nazi à Berlin, ainsi que la rédaction du journal nazi berlinois « Der Angriff » (« L’attaque »), bastonnant les S.S. de garde présents.

    Adolf Hitler dut intervenir en catastrophe et rechercher un compromis. A cette occasion, il évinça Franz Pfeffer von Salomon du poste de direction des S.A., pour y placer Ernst Röhm avec comme tâche de contrôler Walter Stennes.

    Ce dernier réédita les occupations de bâtiment en février 1931, refusant d’accepter l’ordre d’Adolf Hitler de cesser les combats de rue, afin d’obéir à l’état d’urgence prononcé régionalement par le gouvernement. Walter Stennes attaqua à ce moment là idéologiquement violemment les « bonzes » au sein du parti nazi, et il fut alors exclu du parti nazi et des S.A..

    Walter Stennes réussit toutefois à gagner un tiers des S.A. berlinois et fonda le Nationalsozialistische Kampfbewegung Deutschlands(« Mouvement de combat national-socialiste d’Allemagne »), s’opposant totalement au parti nazi et exigeant la prédominance complète des S.A.. A ses yeux, l’existence du parti nazi était une concession intolérable au « système » et il visait particulièrement Joseph Goebbels comme représentant du courant « idéologique ».

    Selon Walter Stennes, les S.A. devaient s’opposer catégoriquement au « système » et viser le coup d’État. Le mouvement de Walter Stennes échoua cependant totalement ; arrêté en 1933, il dut sa liberté grâce à son ami Hermann Göring et à son oncle qui était cardinal. Il partit en Chine où il devint conseiller militaire de Jiǎng Jièshí (Tchang Kaï-chek).

    Enfin, il existait une autre structure indépendante du parti nazi, appelée Gruppe sozialrevolutionärer Nationalisten (« Groupe des Nationalistes sociaux-révolutionnaires  »), autour de Karl Otto Paetel et proche d’Ernst Niekisch. Cette organisation était de type « national-bolchevik », prônant une Allemagne nationaliste s’opposant aux grandes entreprises et s’alliant avec l’URSS.

    L’organisation finit par soutenir la lutte du Parti Communiste d’Allemagne contre le mouvement nazi, mais son importance idéologique et culturelle était pratiquement nulle. Il en alla de même avec Gregor Strasser, frère d’Otto Strasser, qui perdit toute responsabilité au sein du parti nazi en décembre 1932.

    Les nazis avaient perdu deux millions de voix aux élections un mois auparavant et Otto Strasser prônait une politique de compromis gouvernemental, ligne qui échoua devant celle d’Hermann Göring et Joseph Goebbels prônant qu’Adolf Hitler devienne chancelier.

    Dans tous les cas, il n’y eut jamais de scission de masse dans les S.A., ni d’expression politique ; sur le plan idéologique, on en resta toujours au niveau du hooliganisme.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • L’idéologie S.S. comme excroissance et superstructure

    Lors de la destruction de la population juive d’Europe par les nazis, seulement la moitié environ des personnes assassinées le furent de manière industrielle, au moyen des camps d’extermination, les sinistres Auschwitz, Treblinka, Bełżec, Sobibor, Chełmno, Majdanek.

    Les nazis procédèrent à la « Shoah par balles », sur le tas, parallèlement à leurs conquêtes militaires. Cet aspect est totalement négligé et incompris en France, ce qui fut largement employé par les négationnistes niant qu’il y ait eu un « plan » d’extermination et niant les chambres à gaz, sans jamais parler et pour cause de la « Shoah par balles ».

    Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est que les S.A. avaient comme base idéologique un « socialisme national » prônant l’unité de l’Allemagne sur une base pangermaniste et sa « purification » du pouvoir de « l’argent ». Les choses s’arrêtaient là en termes de dynamique idéologique ; il s’agissait d’un anticapitalisme romantique, d’une sorte de « repli sur soi » absolu.

    Or, la dynamique avait naturellement servi l’expansionnisme impérialiste des monopoles, qui profitèrent de cet élan. Seulement, une fois conquis de vastes territoires, une idéologie uniquement « allemande » ne suffisait pas : il fallait disposer de leviers pour profiter de mobilisations pro-nazies dans les autres pays, il fallait une idéologie justifiant le rôle « mondial » de l’Allemagne nazie.

    Cela, c’est la S.S. qui lui fournira ; le passage de la « Shoah par balles » au génocide industriel reflète la montée en puissance de la S.S. qui, contrairement à la S.A., agissait directement dans une perspective « mondiale ».

    A la base, la S.S. est l’escadron de protection (Schutzstaffel) d’Adolf Hitler, qui devint une structure nationale en janvier 1929, dirigée par Heinrich Himmler. Le rôle de la S.S. était à la base de protéger Adolf Hitler ; le recrutement puisait dans les « meilleurs » éléments de la S.A..

    Toutefois, la S.S. surveillait par ailleurs la S.A., servant de la « police militaire » de celle-ci le cas échéant, et également de système secret de surveillance au sein du parti nazi ; ici on retrouve le « Service de sécurité » (Sicherheitsdienst) de la SS, qui surveillait également les opposants et soutenait les forces nazies d’autres pays (Autriche, Tchécoslovaquie…).

    La S.S. fut ainsi un appareil technique, sur une base élitiste – elle n’a que 4 000 membres en 1931, 52 000 membres en 1933 – et c’est ainsi qu’avec la prise du pouvoir, elle se charge d’organiser la police allemande (Ordnungspolizei – police de l’ordre), ainsi que de gérer les camps de concentration.

    Par la suite, la S.S. forma des troupes militaires d’élite, la Waffen-SS, qui organisa ensuite notamment des regroupements militaires internationaux sous sa supervision (Divisions « Charlemagne » composée de Français, « Landstorm Nederland » de Néerlandais, « Hunyadi » de Hongrois, etc.), s’appuyant pour recruter sur le concept de « Volksdeutsche » (« Membres du peuple allemand », sans être allemand de nationalité, avec une définition « raciale »).

    La Waffen SS passa de 16 000 personnes en 1937 à 90 000 en 1940, 236 000 en 1942, 500 000 en 1943, 600 000 en 1944 ; son recrutement devint de plus en plus ouvert, et dans tous les cas les troupes étaient connues pour leur brutalité extrême et leurs massacres innombrables.

    Ce sont d’ailleurs les « Einsatzgruppen » (groupes d’intervention) de la SS qui menèrent la « Shoah par balles », liquidant par ailleurs des cadres politiques ennemis d’autres pays, des prisonniers de guerre, etc. ; bien entendu, c’est la S.S. qui supervisa le génocide industriel des populations juives, rom et sinti.

    La S.S. est ainsi la S.A. de l’époque de la conquête impérialiste ; au « socialisme national » allemand a succédé la bataille pour la suprématie mondiale « aryenne ». L’idéologue nouveau sur ce plan – toujours considéré comme non officiel par le parti nazi – est Alfred Rosenberg (1898-1946), par l’intermédiaire de son ouvrage « Le mythe du XXe siècle ».

    Toute la camelote mystique nazie puise son origine ici. Alfred Rosenberg ne s’intéresse pas à l’Allemagne historique, comme le faisaient les théoriciens nationaux-socialistes, Rudolf Jung en premier lieu. Alfred Rosenberg dresse en effet un tableau général de l’histoire du monde comme conflit entre les « Aryens » et les « races » inférieures.

    Cette idéologie totalement idéaliste alla de pair avec toute une série de fantasmes occultistes (la terre serait « creuse », l’univers « fermé », le Tibet hébergerait le « roi du monde », etc.)

    Alfred Rosenberg, à côté donc de son rôle essentiel de propagandiste antisémite, a ici synthétisé une idéologie prônant un retour au folklore païen, une « âme » aryenne traversant les époques et resurgissant – ce qui ici sert bien entendu de justificatif aux conquêtes nazies.

    Le fascisme tournait ici en roue libre, l’idéologie S.S. était une excroissance liée à l’organisation du pouvoir de manière adaptée à la guerre impérialiste, comme nouvelle superstructure historique.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • La remise du pouvoir au parti nazi

    Adolf Hitler fut nommé chancelier d’Allemagne par le président Paul von Hindenburg, le 30 janvier 1933, à la suite d’un long processus de tractations. Le parti nazi était alors financièrement exsangue et la base des S.A. toujours plus pressée d’obtenir des résultats concrets.

    En pratique, il s’agit donc d’une alliance entre le parti nazi et la fraction ultra-conservatrice, regroupant notamment le DNVP (Deutschnationale Volkspartei – Parti national-allemand du Peuple) et la « Stahlhelm, Bund der Frontsoldaten » (« Casque d’acier », ligue des soldats du front).

    Affiche anti-républicaine du DNVP aux élections de 1920 : un sous-marin aux couleurs impériales cherche à couler un navire aux couleurs républicaines. « Électeur! Il doit toucher juste! »

    Le DNVP faisait grosso modo entre 9 et 15 % des voix aux élections, quant au Stalhelm, c’était une milice d’un million de personnes. Ces structures, avec d’autres, s’étaient déjà alliées aux nazis dans le « Front de Harzburg » en 1931.

    En arrière-plan de cela, on trouve la « Industrielleneingabe », pétition en novembre 1932 de vingt représentants de l’industrie, de la finance, et de l’agriculture au président Paul von Hindenburg, appelant à la nomination de Adolf Hitler en tant que chancelier. D’autres clubs industriels firent de même en automne 1932, comme le Hamburger Nationalklub, ainsi que des clubs aristocratiques, comme le Berliner Nationalklub von 1919.

    Cela se déroulait alors que la guerre civile larvée propagée par les S.A. faisait des centaines de mort. La justice bourgeoise allemande était d’ailleurs ici « aveugle de l’oeil droit » comme il était dit en Allemagne.

    Adolf Hitler en 1932

    C’était le prolongement de l’esprit qui avait régné lors de l’effondrement de la monarchie et la révolution de 1918. Alors, 90% des meurtres par des corps-francs n’amenèrent pas à des enquêtes. Sur 314 condamnations pour meurtres, la moyenne était de deux mois de prison. Pour 15 révolutionnaires, surtout communistes, emprisonnés pour les mêmes faits, il y eut huit condamnations à mort et sept à en moyenne 14 années de prison.

    En ce qui concerne les années 1930, la situation était similaire. Par exemple, pour la période du 7 août au 7 décembre 1932, la justice allemande prononça 2297 condamnations à mort contre les antifascistes, aucune contre les nationaux-socialistes.

    Durant la même période, les condamnations d’antifascistes au pénitencier, en termes d’années, s’élevaient à 405 années, contre 21 aux nationaux-socialistes ; pour les années de prison, le total était de 827 années pour les antifascistes, de 108 ans pour les nationaux-socialistes. Enfin, pour les condamnations à une prison consistant en une sorte de résidence surveillée (« festunghaft »), les condamnations furent de 32 années au total pour les antifascistes, et rien pour les nationaux-socialistes.

    Défilé de SA, sous le mot d’ordre « Mort au marxisme »

    Cela concernait les tribunaux réguliers ; pour les tribunaux spéciaux, les condamnations au pénitencier formaient 457 années pour les antifascistes, 99 pour les nationaux-socialistes, et 498 années de prison pour les antifascistes, 149 pour les nationaux-socialistes.

    Après la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, le parlement fut dissous le premier février, et le 4 février les droits de presse et de réunion furent supprimées. Le 20 février, Adolf Hitler rencontra de manière secrète 25 industriels lui fournissant plusieurs millions pour les prochaines élections.

    Alors, le 22 février, la S.A., ainsi que la S.S., furent nommés comme auxiliaires de police. C’est le début d’une terrible vague de terreur, principalement « justifiée » par l’incendie du parlement, le Reichstag, le 27 février par un militant d’ultra-gauche.

    A partir de cette date, les activités politiques progressistes publiques sont impossibles, mais ce n’est pas tout. Non seulement la police et les services secrets procédèrent à l’arrestation de milliers d’activistes – au moins 10 000 communistes -, mais les S.A. firent de même.

    Les nazis défilent devant la centrale du KPD,
    où on reconnaît une grande affiche avec Rosa Luxembourg

    Des milliers de personnes furent enlevées et amenées dans les bases des S.A., ainsi que dans les locaux socialistes et communistes pris d’assaut par les nazis. Elles furent placées dans les caves ou des cellules improvisées, torturées de manière terrifiante, avec par exemple les cheveux arrachés et des croix gammées gravées dans la tête, toutes les dents brisées une par une, etc., voire violées.

    Malgré cela, les élections du 5 mars 1933 n’apportent pas la majorité absolue aux nazis. Le Parti Communiste d’Allemagne obtint 12,3 % des voix, la social-démocratie 18,3 % des voix, dans des conditions pourtant terrifiantes.

    Dans le prolongement de cet élan, le 22 mars 1933, le camp de concentration de Dachau fut ouvert ; 49 autres suivront durant l’année.

    En avril, 30 000 personnes étaient déjà en camp. 300 personnes au moins ont été assassinées, chiffre très faible mais les chiffres sont ici difficile à connaître bien entendu, particulièrement concernant la vague menée par les S.A..

    150 000 personnes ont subi la torture à différents degrés, 350 000 perquisitions ont eu lieu, 600 journaux ont été interdits. En février 1934, le nombre de gens en camp passe déjà à 170 000, le nombre de personnes tuées est au moins de plusieurs milliers. La terreur nazie était instaurée.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • Le parti nazi et le grand capital

    Le parti nazi disposait en réponse à cette tendance à la guerre et à la réaction de pas moins de trois organisations concernant l’économie, tissant des liens avec les grands capitalistes.

    Le 31 janvier 1931 avait été fondé le « département de politique économique du NSDAP » (Wirtschaftspolitische Abteilung der NSDAP), où l’on retrouvera à la fois le directeur général de la Deutsche Bank Emil Georg von Stauß et le théoricien nazi de l’usure Gottfried Feder…

    De cette structure sortit, d’octobre 1930 à octobre 1931, un « service de presse de politique économique » du NSDAP, à destination de 60 grands industriels, dont Fritz Thyssen, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Peter Klöckner, ou encore le responsable d’IG Farben Carl Duisberg par ailleurs chef de l’association nationale des industriels de 1925 à 1931.

    Gustav Krupp von Bohlen und Halbach en 1931

    Ce fut d’ailleurs Fritz Thyssen qui permit au parti nazi d’acheter son siège central à Munich, quant à l’association nationale des industriels – chapeautant 1000 unions industrielles, elle avait publié en décembre 1929 un manifeste intitulé pas moins que « Élévation ou effondrement ? » (Aufstieg oder Niedergang ?). En 1933, elle fera une grand donation financière à Adolf Hitler, instaurant le soutien officiel au régime dans ses rangs, avec y compris le salut nazi.

    Fritz Thyssen en 1928

    La seconde organisation touchant l’économie était le « Bureau du travail » (« Arbeitsstelle ») gérée par Hjalmar Schacht (1877-1970). Ce dernier avait été notamment le responsable de la banque centrale allemande et avait refusé de céder aux exigences lors de la conférence parisienne sur le plan Young. Obligé de le faire par le gouvernement social-démocrate, il démissionna et soutint le bloc national conservateur / nazi, puis le mouvement nazi lui-même.

    Hjalmar Schacht en 1931

    Il jouera un rôle central en redevenant responsable de la banque centrale allemande, avec les bons « Mefo », des bons de paiement garantis par l’Etat mais indirectement, servant à relancer l’industrie de l’armement sans exister officiellement dans les données monétaires et financières.

    En concurrence avec Hjalmar Schacht à l’initial existait également le « cercle d’études des questions d’économie » (« Studienkreis für Wirtschaftsfragen ») autour de Wilhelm Keppler (1882-1960), qui rassemblait des industriels le plus souvent de second rang.

    Wilhelm Keppler en 1943 à Berlin saluant la formation d’un pseudo-gouvernement
    provisoire indien pro-allemand pro-japonais

    C’est de là que vint la lettre du 19 novembre 1932 signé par des industriels et appelant à ce qu’Adolf Hitler soit nommé chancelier. Le cercle jouera un rôle essentiel, sous le nom de « Cercle d’amis du Reichsführer-SS [Himmler] », dans la déportation de masses et l’intégration à l’économie allemande des entreprises conquises par les nazis. Heinrich Himmler était ici aussi « arrosé » par des comptes secrets.

    On rejoint ici un aspect particulier, celui où une sorte d’oligarchie nazie construisait des empires économiques à côté des grands capitalistes. Le cas le plus connu est celui de Hermann Göring (1893-1946). Dépendant aux drogues, vivant de manière luxueuse et décadente, au point de posséder sept lionceaux comme « animaux de compagnie », Hermann Göring était souvent ridiculisé pour son goût pour le faste et tout ce qui était brillant.

    Hermann Göring

    A partir de 1942, il ne joue plus aucun rôle en Allemagne nazie, dépensant une fortune en biens luxueux, pillant massivement des tableaux, passant son temps à la chasse, etc. tout en profitant de multiples entreprises, dont le monopole des préservatifs pour toute l’Allemagne nazie, notamment l’armée.

    Enfin, parmi les soutiens à Adolf Hitler, il faut noter le monopole anglais des machines-outils et de l’armement Vickers, le richissime fondateur néerlandais de Shell Henri Deterding, le richissime suédois Ivar Kreuger qui obtint le monopole des allumettes (cela fut valable en RFA jusqu’en 1983), le plus grand marchand d’armes d’Europe et ultra-richissime Basil Zaharoff, l’association industrielle française le « Comité des Forges », etc.

    De manière intéressante, le dirigeant politique du centre catholique, Heinrich Brüning qui fut également chancelier, écrivit ainsi le 28 août 1937 à Winston Churchill :

    « La véritable ascension de Hitler commença seulement en 1929, lorsque les grands industriels allemands et d’autres refusèrent de continuer à distribuer de l’argent à une foule d’organisations patriotiques qui avaient jusque-là mené tout le travail pour le « Risorgimento » [« résurrection », allusion à l’Italie du 19e siècle s’unifiant] allemand.

    Leur point de vue était que ces organisations étaient trop progressistes dans leur point de vue social. Ils étaient contents que Hitler voulait radicalement priver de droit les travailleurs. Les donations d’argent retenues aux autres organisations s’en allèrent à l’organisation de Hitler. C’est naturellement tout à fait le traditionnel début du fascisme. »

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»

  • L’appui logique du grand capital au national-socialisme

    « L’ennemi est à gauche ! », tel était le titre du « journal des employeurs allemands » du 17 octobre 1929. Si en 1918 le régime monarchique s’était effondré, l’appareil d’État était lui resté le même et les généraux pesaient de tout leur poids sur le régime républicain, dans une sorte d’alliance contre-nature avec la social-démocratie qui avait été aux premières loges pour écraser la révolution de 1918 dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

    Les dirigeants de la social-démocratie étaient aux premières loges de la répression contre les communistes, avec notamment le ministre national de l’intérieur Carl Severering, le ministre prussien de l’intérieur Albert Grzesinski, le chef de la police berlinoise Karl Zörgiebel.

    Interdictions, répressions sanglantes de rassemblement furent la règle, dont le fameux « mai sanglant » à Berlin, ville sous hégémonie ouvrière (en mai 1928, la social-démocratie y faisait un score électoral de 32,9 %, les communistes de 24,7%).

    Les manifestations du premier mai 1929 avaient été interdites, et la marche du Parti Communiste d’Allemagne fut réprimée dans le sang (au moins 32 personnes tuées et 200 blessées), puis le Rote Frontkämpferbund (Union des combattants du front rouge) interdit dans la foulée.

    Le Rote Frontkämpferbund

    Cette dynamique de soutien au régime par la social-démocratie divisa bien entendu totalement la classe ouvrière, dont une partie soutenait historiquement la social-démocratie et une autre le Parti Communiste d’Allemagne ; aux élections de mai 1928, la social-démocratie avait obtenu 9,1 millions de voix soit 29,8 %, le Parti Communiste d’Allemagne 3,3 millions de voix soit 10,6 %.

    De l’autre côté, la bourgeoisie restait sur des positions particulièrement dures ; lors du conflit ouvrier de novembre 1928, la Ruhreisenstreit, 240 000 travailleurs furent licenciés pendant le mois de lutte ; par la suite un accord fut trouvé mais leurs revendications ne furent pratiquement pas satisfaites.

    Cette situation conflictuelle devint d’une complexité totale avec le plan Young, fruit d’une conférence parisienne du 5 février au 11 juin 1929 et décidant de l’organisation du paiement des « réparations » allemandes pour la guerre de 1914-1918, qui avait été décidé lors du Traité de Versailles de 1919. Le paiement devait aller jusqu’en 1988 ; l’État allemand s’endetta de son côté jusqu’en 1965 à 5,5 % d’intérêts.

    Les forces nationalistes et nazies menèrent une très vaste campagne à ce sujet, alors que la social-démocratie dans un esprit gouvernemental soutenait le plan Young, ce qui s’avéra catastrophique sur tous les plans avec l’irruption de la crise de 1929 et le recul qui a suivi de la production industrielle de 41,8 %.

    La population allemande prit la crise de plein fouet, dans le prolongement de la crise de l’après-guerre : 1 mark de juillet 1914 en valait 100 en juillet 1922, 1000 en octobre 1922, 10 000 en janvier 1923, 100 000 en juillet 1923, un million en août 1923 10 millions en septembre 1923, un milliard puis 10 milliards en octobre 1923, mille milliards en novembre 1923.

    En 1932, la crise se refait général, il y a six millions de personnes au chômage, pour 12 millions qui travaillent.

    Les communistes d’Allemagne, mais aussi de France, s’opposèrent au plan Young, mais avec retard, et n’eurent pas l’initiative, malgré une position très franche. De manière juste, on lit dans l’Humanité du 23 avril 1931, dans l’article « Un 1er Mai sous le drapeau de l’Internationale » (signé Maurice Thorez) :

    « C’est aussi plus particulièrement la solidarité active avec les prolétaires d’Allemagne écrasés sous les charges du plan Young et du système de Versailles, et soumis à la double exploitation des capitalistes allemands et des impérialistes français. »

    C’est cette mise en perspective qui permet de comprendre l’adhésion et le soutien au parti nazi de la part des grands capitalistes, oscillant souvent entre celui-ci et le parti nationaliste conservateur appelé DNVP (parti national-allemand du peuple). C’est le cas du « vieux monsieur » Emil Kirdorf, figure éminente des industriels du bassin de la Ruhr, qui aida à la diffusion dans le milieu industriel de la brochure de 1927 de la brochure d’Adolf Hitler « La voie au renouveau » (« Der Weg zum Wiederaufstieg »).

    Emil Kirdorf aura droit par la suite aux plus hauts honneurs nazis, à la plus haute décoration civile, et même au deuil national à sa mort en 1938, Adolf Hitler étant lui-même présent officiellement à l’enterrement.

    Emil Kirdorf et Adolf Hitler

    Emil Kirdorf faisait également partie d’un des nombreux « clubs » nationalistes conservateurs, en l’occurrence l’« Association économique pour le soutien aux forces morales de la reconstruction » (Wirtschaftsvereinigung zur Förderung der geistigen Wiederaufbaukräfte).

    On trouve également parmi ces clubs le « Gäa », une association de grands bourgeois et d’aristocrates, de capitaines d’industrie et d’intellectuels ; on retrouve ici tant Oswald Spengler qu’Alfred Hugenberg, le chef du parti nationaliste conservateur DNVP.

    Il y a aussi le « Hamburger Nationalklub » (Club National Hambourgeois), pareillement nationaliste conservateur et militariste, qui invitait de nombreux représentants ultra-nationalistes et nazis à ses colloques, mais également le « Deutscher Herrenklub », le « Club allemand des Messieurs », qui continua même à exister jusqu’en 1944 sous le nom de « Club allemand ».

    C’est précisément à ce club que, dix jours après avoir été nommé lui-même chancelier, Franz von Papen (1879-1969) prononça le 10 juin 1932 une conférence. Parmi les personnes présentes, on trouvait 100 des principaux industriels et banquiers, 62 grands propriétaires terriens, 94 anciens minitres, mais également des dirigeants nazis, dont l’ancien militaire Hermann Göring, le propagandiste Joseph Goebbels et le responsable des S.A. Ernst Röhm.

    Franz von Papen en 1933

    Franz von Papen prôna comme mot d’ordre franco-allemand « Mort au bolchevisme », appelant à une coalition pour une intervention militaire. Le 20 juillet il supprima l’existence du gouvernement social-démocrate en Prusse ; en novembre il comptait modifier la constitution.

    En ce sens, le 4 janvier 1933, Franz von Papen et Adolf Hitler eurent une discussion secrète chez le banquier Kurt Freiherr von Schröder, lui-même membre du « Club » et dont la banque J. H. Stein était largement présente dans IG Farben et le monopole industriel Vereinigte Stahlwerke.

    C’est cette discussion qui servit de base à la nomination de Adolf Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933, Franz von Papen devenant vice-chancelier.

    Le 20 février, une réunion d’Adolf Hitler, Hermann Göring et 27 industriels permit le financement des prochaines élections du côté nazi, asseyant la vague instaurant la terreur et la mise en place du nouveau régime.

    =>Retour au dossier sur le «national-socialisme»