Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le Parti Socialiste SFIO et le dilemme du groupe parlementaire

    Il est évident que, de par la faiblesse de la base, sa nullité théorique, la soumission à la CGT, il était inévitable que le groupe parlementaire acquière une place prépondérante dans le Parti, dans sa vie, dans son actualité. En principe, cela n’aurait pas dû être le cas, puisque l’unité s’était faite avec la soumission de Jean Jaurès à l’Internationale impliquant le refus du ministérialisme.

    D’ailleurs, lors du second congrès, en 1906, la motion suivante fut votée :

    « Le Congrès, considérant qu’aucun changement dans le personnel du gouvernement bourgeois ne saurait en rien modifier la politique fondamentale du Parti, met le prolétariat en garde contre l’insuffisance du programme même le plus avancé de la démocratie bourgeoise.

    Il rappelle aux travailleurs que leur libération ne sera possible que par l’avènement de la propriété sociale ; qu’il n’y a de socialisme que dans le Parti socialiste organisé et unifié, et que sa représentation au Parlement, tout en s’efforçant de réaliser les réformes qui pourront accroître la force d’action et de revendication du prolétariat, doit opposer sans cesse à tous les programmes restreints et trop souvent illusoires, la réalité et l’intégrité de l’idéal socialiste. »

    Le Parti Socialiste SFIO fut pourtant inéluctablement happé par les radicaux, la franc-maçonnerie, les principes de République sociale. La grande figure tutélaire de cette orientation est bien entendu Jean Jaurès, chef de file du courant de droite, qui en se posant comme le héraut de l’unification, en étant un orateur hors pair et en apportant l’Humanité, dont il est le directeur politique, a su verrouiller l’orientation du Parti.

    A cause du fédéralisme du Parti, l’unité de vote ne fut pas acquise, et les débats quant au rapport avec les institutions posaient le souci de fond : le fait que huit députés votèrent favorablement aux crédits pour recevoir la reine de Hollande fut un excellent exemple de cas de conscience pour la base, qui voyait bien le problème mais ne fut jamais en mesure de le gérer. A cela s’ajoute les nombreux transfuges allant rejoindre les rangs des députés radicaux.

    Pour cette raison, le Parti Socialiste SFIO avait dans ses rangs une forte tendance socialiste insurrectionnaliste, farouchement antiparlementaire, porté par Gustave Hervé, qui dans La guerre sociale aidait les anarchistes à porter des critiques massives des élections et d’une participation à celle-ci. Cela se déroulait au grand dam d’une partie de la base du Parti, qui exigeait l’exclusion de Gustave Hervé, qui lui se défaussait en disant qu’il ouvrait seulement les pages du journal à d’autres.

    Le Parti Socialiste SFIO apparaît ainsi comme bloqué entre une aile anarchiste et une aile réformiste, avec des parlementaires très actifs, mais coupés de toute liaison réelle avec les initiatives de terrain du Parti et sans s’apercevoir qu’avec leur démarche, ils contribuaient à la modernisation de l’Etat bourgeois, tout en aidant en même temps les ouvriers.

    Il interpellaient à de nombreuses reprises le gouvernement, concernant toute une foule de sujets allant de l’application du repos hebdomadaire dans les chemins de fer de l’État aux incidents du pénitencier militaire d’Albertville, en passant par l’emploi d’enfants dans les verreries à la Plane-Saint-Denis, la politique coloniale, l’organisation de l’armée (Jaurès demandant des milices populaires), la hausse du prix du blé, etc.

    Voici des exemples de propositions de loi faites par le groupe parlementaire du Parti Socialiste SFIO, en 1912-1913 :

    Paul Aubriot. Proposition tendant à modifier l’article 36 du Livre 2, Code du travail. Renvoyé à la Commission du travail.

    Basly. Proposition tendant à modifier l’article 6, loi sur les délégués mineurs. Renvoyée à la Commission des mines. 

    Briquet. Proposition .tendant à modifier les articles 68 et 620, Code procédure civile. 

    Doizy. Proposition tendant à rendre obligatoire la création d’inspecteurs départementaux d’hygiène. Renvoyée à la Commission d’hygiène. 

    Doizy. Proposition tendant à la création d’une école d’infirmiers et infirmières. Renvoyée à la Commission d’administration générale. 

    Doizy. Proposition portant modification à la loi sur la protection de la santé publique. Renvoyée à la Commission d’hygiène. 

    Doizy. Proposition portant modification à la loi sur la gestion des deniers pupillaires. Renvoyée à la Commission.

    Dozy et Lauche. Proposition portant modification à la loi sur les accidents du travail. Renvoyée à la Commission du travail. 

    Henri Ghesquière. Proposition portant modification à la loi sur les accidents du travail. Renvoyée à la Commission du travail. 

    Henri Ghesciuière. Proposition créant l’assistance maternelle obligatoire. Renvoyée à la Commission de prévoyance sociale. 

    Henri Ghesquière. Proposition sur le travail à domicile. Renvoyée à la Commission du travail. 

    Henri de la Porte. Proposition tendant à simplifier la procédure d’appel des jugements des tribunaux de paix. Renvoyée à la Commission de réforme judiciaire. 

    Lauche. Proposition tendant à la réglementation de la profession de chauffeur mécanicien dans l’industrie. Renvoyée à la Commission du travail. 

    C. Reboul. Proposition tendant à modifier la loi municipale de Renvoyée à la Commission d’administration générale. 

    E. Rognon. Proposition tendant à modifier le tarif général des douanes. 

    Edouard Vaillant. Proposition tendant à l’institution d’un domaine agricole industriel national et commercial, pour atténuer la crise de chômage et de cherté de la vie. Renvoyée à la Commission de prévoyance sociale. 

    Edouard Vaillant. Proposition tendant à l’institution de la semaine anglaise. Renvoyée à la Commission du travail. 

    Adrien Véber. Proposition tendant à modifier la procédure civile. Renvoyée à la Commission de réforme judiciaire.

    Le groupe parlementaire se retrouva, par la force des choses, dans la nécessité de faire face aux mesures modernisatrices des radicaux. Le dilemme était terrible, puisque les accepter c’était se soumettre à ceux-ci, mais les refuser impliquait de se mettre en porte-à-faux par rapport à des mesures sociales satisfaisant le prolétariat.

    Le grand défi consista en l’établissement de retraites ouvrières et paysannes par René Viviani, le ministre du travail. Socialiste indépendant, il avait été très proche de Jean Jaurès dans le Parti socialiste français, tout comme d’ailleurs le président du conseil Aristide Briand.

    Les retraites qu’il proposait devaient consister en un service public formé par les cotisations des ouvriers, des patrons, avec un appui de l’Etat. Ces cotisations devaient être investis dans les obligations d’État ou bien des emprunts d’Etat, avec le droit de les retirer à 65 ans.

    Les problèmes que cela posait était multiple. Outre l’appui à l’Etat lui-même, que le Parti Socialiste SFIO ne vit pas, il y avait le souci que la cotisation mensuelle était de 9 francs pour les ouvriers, à une époque où un facteur touche deux francs par jour, une femme de chambre 1,50 franc, un mineur 4 francs, dans une société où la consommation était particulièrement étranglée. A cela s’ajoutait que les vieux travailleurs ne pouvaient pas profiter d’un système ne faisant que s’établir, sans parler du fait d’atteindre tout simplement l’âge de 65 ans, une chose extrêmement difficile alors.

    La loi sera toutefois votée à l’unanimité moins une voix, celle de Jules Guesde, en avril 1910. Ce fut auparavant la source d’un vaste débat, lors du septième congrès, qui s’était tenu à Nîmes les 6, 7, 8 et 9 février 1910. Il est assez symbolique que les deux motions représentent l’un la soumission à la CGT, l’autre le soutien à la perspective d’une république sociale.

    Voici la motion de type syndicaliste, récusant le soutien au projet de retraite, proposé notamment par Eugène Fiancette et Alexandre Luquet :

    « Le Congrès affirme une fois de plus la volonté du Parti socialiste de réaliser au plus tôt un régime de retraites ouvrières qui donne satisfaction au prolétariat.

    Considérant que la loi, telle qu’elle ressort des délibérations du Sénat, n’est pas une réforme, mais une spéculation bourgeoise qui est masquée sous l’apparence d’une loi de retraites ouvrières,

    S’inspirant des décisions de la Confédération Générale du Travail, il repousse comme dangereux et insuffisant le projet voté par le Sénat. »

    Voici la motion d’Edouard Vaillant, qui l’emporta.

    « Si critiquables que soient nombre de dispositions de la loi sur les retraites ouvrières élaborée au Sénat, cette loi malgré ses imperfections notoires et considérables, n’en reste pas moins une reconnaissance par le Parlement du droit à l’existence du prolétaire atteint par l’âge.

    En conséquence, le Congrès charge les élus du Parti de voter la loi en discussion.

    Il les charge, en outre, de faire précéder leur vote d’une déclaration dans laquelle ils annonceront la ferme intention du Parti socialiste d’appeler la classe ouvrière à une énergique campagne de propagande destinée à obliger le Parlement à combler les lacunes de la loi et à en atténuer les vices.

    Le Parti et ses élus feront immédiatement tous leurs efforts pour l’améliorer dans le sens d’une véritable assurance ouvrière contre l’invalidité, la maladie, le chômage.

    Ils auront à faire abaisser la limite d’âge.

    Ils auront à faire augmenter la part contributive de l’État, c’est-à-dire la part de la répartition, pour donner à la loi tout son effet dès le commencement, et pour obtenir l’augmentation du taux de la retraite.

    Ils réclameront l’organisation du contrôle ouvrier par l’attribution de l’administration et de la gestion de la Caisse des retraites ouvrières aux délégués des assurés.

    Ils réclameront, en outre,que les fonds de la Caisse des retraites ne puissent, en aucun cas, être attribués à des particuliers ou à des sociétés d’industrie privée, mais soient placés sur la décision et sous le contrôle de l’association des assurés, dans des œuvres d’intérêt ouvrier pour la prévention des risques et l’amélioration de la vie des travailleurs. »

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  • Le Parti Socialiste SFIO comme une minorité très isolée avec un écho électoral

    Tout comme les brochures du Parti ne se vendent pas vraiment comme il le faudrait, que l’organe théorique du Parti n’est même pas acheté par la base, il n’y a pas de réelle presse de masse. L’Humanité, fondé par Jean Jaurès en 1904 est pourtant devenu l’organe de masse de la presse du Parti en 1911 ; il passe de quatre à six pages en juillet 1913. A cette occasion est d’ailleurs posé le principe de la fête de l’Humanité :

    « Le Conseil national, heureux des résultats qu’a donnés le lancement de l’Humanité à six pages, remercie les militants de tout le Parti dont les efforts soutenus ont assuré ce succès, et félicite les camarades de la commission nommée pour le préparer, ainsi que les camarades de l’administration et de la rédaction de l’Humanité,

    Décide l’organisation, à Paris, au nom du Parti, par les soins de la Commission administrative permanente et d’accord avec la Fédération de la Seine, d’une grande fête-manifestation pour célébrer et accroître l’extension rapide de l’Humanité ; engage les fédérations à organiser, dans le même esprit, des manifestations dans les centres urbains ou ruraux les plus favorables. »

    Cependant, s’il tirait à 130 000 exemplaires à sa fondation juste avant la naissance du Parti, il s’effondre l’année d’après à 15 000, et tire seulement à un peu plus de 100 000 exemplaires à la veille de la guerre.

    Il s’en vend environ 25 000 exemplaires à Paris, à quoi s’ajoutent 6 000 exemplaires environ dans les métros de la capitale, 9 000 exemples environ en banlieue. Les ventes en province sont d’environ 30 000 et il y a plusieurs milliers d’abonnés. On peut donc tabler sur environ 80 000 exemplaires réellement en circulation. Cela ne dépasse pas la base du Parti.

    Le Parti Socialiste SFIO est, de fait, avant 1914, une simple minorité, sans influence historique.  Il y a alors plus de vingt millions de travailleurs adultes, hommes et femmes, en France, et autour d’un un million d’électeurs socialistes. Ce n’est pas un chiffre sans importance, et il y a une progression certaine : le Parti Socialiste SFIO obtient 10% des voix (877 221 votes) en 1906, 13,3% des voix (1 110 561) en 1910, 16,8% des voix (1 413 044) en 1914.

    Néanmoins, le nombre d’adhérents est sans comparaison avec cela, le Parti n’ayant pas prise sur ces électeurs, sa base d’adhérents ne formant que bien moins de 1% de ceux-ci, et moins de 0,5% du prolétariat.

    Il y a bien une avancée du nombre d’adhérents, en soi. Au 4e congrès qui se tint à Nancy du 11 au 14 août 1907, le Parti socialiste a un peu moins de 50 000 adhérents ; il y en avait 43 000 environ au congrès de Limoges de novembre 1906, 40 000 au second congrès et un peu plus de 34 000 lors de la fondation, en 1905.

    Au 11 e Congrès, tenu à Amiens les 25, 26, 27 et 28 janvier 1914, le Parti Socialiste revendique 72 765 adhérents. La question de la guerre va lui permettre de davantage recruter – en juillet 1914, il y a 93 218 adhérents, soit une progression très forte en quelques mois -, mais le Parti est déjà en échec par rapport au militarisme et la guerre. C’est en réalité que la progression des effectifs de 1905 à 1914 tient surtout aux grandes vagues d’adhésion à la suite d’élections.

    Et, de toutes façons, il est isolé sur le terrain national. Il y a deux blocs formant le noyau dur de la vie du Parti : la fédération du Nord, place-forte des ouvriers et des mineurs, relativement unifiée sous l’égide de Jules Guesde, et la fédération de la Seine, avec une base très remuante tout à fait dans l’esprit scissionniste parisien des travailleurs des ateliers et des boutiques.

    Ces deux fédérations écrasent les autres de leur poids. En 1909, le Nord dispose de 10 400 cotisants, la Seine c’est-à-dire la région parisienne 8 125 ; suivent le Pas-de-Calais avec 2 500 cotisants, puis le Gard avec 1 500 cotisants.

    La proportion des mandats est par conséquent extrêmement significative de la main-mise sur le Parti. Au 10e congrès, à Brest en 1913, sur 2819 mandats, l’Aisne en a 33, la Corrèze 12, le Gers 5, la Marne 20, le Var 61, mais le Nord 494 et la Seine c’est-à-dire la région parisienne, 401. A ce moment-là, sur 81 fédérations, une cinquantaine progressent numériquement, 7 sont stationnaires et 22 en recul.

    Cela ne veut pas dire par contre que les fédérations les plus puissantes soient d’un grand poids. Celle du Nord ne rassemble environ qu’entre 6 et 7 adhérents pour mille habitants ; à la veille de la première guerre mondiale, la fédération de la Seine a moins de trois adhérents pour mille habitants et il n’y a qu’en fait réellement le nord-est de Paris où le Parti a une base solide, le 20e arrondissement formant son seul bastion.

    De même, alors qu’il y a 36 000 communes, le Parti Socialiste ne parvient à avoir qu’autour de 300 – 500 maires, autour de 400 adjoints au maire, moins de 3 000 – 4 000 conseillers municipaux. Les villes où le Parti a une présence marquée sont avant tout Roubaix, la première ville de 100 000 habitants gagnés, Saint-Etienne, mais également, Nîmes, Toulouse, Calais, Brest, Montluçon, Dijon.

    Le Parti Socialiste SFIO est né sur un certain terrain, où il se renforce, mais il ne parvient pas à capitaliser sa présence ; il ne parvient à faire un saut qualitatif jusqu’à une présence historique dans l’histoire du pays.

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  • Le Parti Socialiste SFIO et le refus catégorique de la théorie

    Le Parti Socialiste SFIO ne s’est pas unifié en faisant un saut qualitatif. Ce n’est pas un parti de type social-démocrate ; il n’a pas d’orientation déterminée. Et, d’ailleurs, il est possible de dire que la base du Parti s’en moque littéralement. La seule chose qu’il fait, c’est réagir au coup par coup, sur la base de principes communs, combinant collectivisme et internationalisme. Mais il ne procède pas de manière matérialiste historique.

    Voici par exemple la résolution sur l’antisémitisme, adopté en 1912 :

    « Le Parti socialiste dénonce la manoeuvre antisémitique, diversion grossière qui tend à pousser les travailleurs seulement contre le capital juif ; déclare qu’il n’a pas à connaître les travailleurs en tant que juifs, catholiques ou autres, mais en tant qu’exploités victimes du capitalisme qui n’est ni juif ni chrétien; invite les travailleurs de toutes les races, juifs ou autres, à se débarrasser des préjugés nationalistes et à rejoindre les organismes réguliers de lutte prolétarienne. »

    C’est pour le moins léger dans un contexte où l’antisémitisme est virulent encore, mais le Parti ne dispose pas d’une capacité d’analyse, de synthèse. Il ne maîtrise pas le marxisme, qu’il entrevoit mal et qu’il saisit au mieux comme un prétexte pour l’action, dans le prolongement des traditions françaises faisant du syndicalisme la méthode suffisante en soi pour lutter.

    Le catalogue du Parti

    Normalement, les structures du Parti ont comme obligation de se procurer la revue théorique du Parti, Le Socialiste. Elles ne le font pas. Au 4e congrès, en 1907, le rapport se demande avec une ironie emprunte d’inquiétude :

    « Malgré les décisions de nos Congrès, rendant obligatoires pour tous les groupes l’abonnement au Socialiste, beaucoup de ces groupes échappent à cette obligation.

    Le Socialiste publiant toutes les communications du Parti, nous nous demandons de quelle façons les militants des groupes non abonnés sont mis au courant de ce qui se passe dans le Parti, et si c’est par révélation qu’ils peuvent prendre des décisions sur les questions soumises au Congrès annuel. »

    Lors du Congrès de 1909, le rapporteur traitant de la situation de l’organe du Parti, Le Socialiste, s’exprime de manière ahurissante :

    « Est-il besoin de répéter que malgré les décisions des Congrès, malgré le règlement, beaucoup de secrétaires de groupes négligent de prendre un abonnement au Socialiste, et qu’ils sont ainsi responsables de l’ignorance de beaucoup de nos camarades en ce qui concerne les décisions du Parti ?

    Je l’ai écrit dans les rapports précédant les Congrès de Limoges, de Nancy et de Toulouse ; je l’ai dit à la tribune de ces congrès. Je le répète par acquis de conscience et sans trop espérer que nos camarades feront leur devoir. »

    Lors du 9e Congrès national du Parti Socialiste (Section française de l’Internationale ouvrière), à Lyon en février 1912, il est ainsi encore une fois de plus constaté les problèmes d’abonnements :

    « Beaucoup de critiques ont été élevées à propos des conditions où se rédige et se publie l’organe central du Parti, le Socialiste. Il est certain que le fonctionnement de ce service est défectueux.

    N’en eût-on pas d’autres preuves, il n’y aurait qu’à constater la manière dont s’applique l’article des statuts qui le concerne. En effet, d’après cet article, l’abonnement est obligatoire pour toutes les Fédérations, Sections et Groupes du Parti.

    Or, si toutes les Fédérations s’acquittent sans doute du prix d’un abonnement au Socialiste, il n’en est pas de même des Sections, et à plus forte raison des Groupes.

    Le nombre des Groupes du Parti est d’environ 1800. Or, le chiffre total des abonnés à l’organe central hebdomadaire dépasse à peine 1300, en comprenant dans les abonnés individuels en France et à l’étranger.

    Il suffit, du reste, de jeter un coup d’œil sur la colonne du tableau annexe au rapport annuel du secrétariat pour se rendre compte que le nombre d’abonnés dans chaque département n’est nullement en rapport avec celui des Groupes.

    D’autre part, la vente au numéro est fort peu de chose. D’où cette conclusion que l’organe du Parti reste à peu près ignoré d’un grand nombre de ses membres et même de ses groupements. »

    Le 10e congrès de 1913 constate ainsi amèrement :

    « La situation de notre organe central [Le « Socialiste »] ne s’améliore pas. La baisse des abonnements s’accentue. De nombreux groupes et sections refusent l’abonnement statutaire. Les raisons invoquées sont : les dettes électorales et les sacrifices consentis en faveur de l’Humanité. »

    Malgré la progression des effectifs, les ventes des ouvrages de la librairie du Parti, servant de diffuseur, ne progressent pas suffisamment.

    36000 brochures et volumes sont vendus en 1906, 80 000 l’année suivante, 130 000 en 1909, chiffre le plus élevé pour la période, et 90 000 en 1912, 1911 étant par ailleurs une année de stagnation du Parti. Entre 1906 et 1912, la moyenne se situe autour de 90 000 livres et brochures par an.

    A la veille de la première guerre mondiale, il n’y a donc environ un peu plus qu’une brochure ou livre vendu par adhérent ; 200 000 attendent dans les stocks de se voir diffuser. Le problème de la diffusion se posait d’ailleurs de manière générale. En 1912, seulement 6 000 cartes postales furent vendues, ainsi que 35 000 coquelicots et églantines, 3 500 insignes.

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  • Le Parti Socialiste SFIO: collectiviste et non pas social-démocrate

    Si le Parti Socialiste SFIO se soumet à la CGT, c’est qu’au fond il est collectiviste, et non pas social-démocrate. Sa vision de la révolution sociale ne procède pas d’une lecture matérialiste historique, avec le parti social-démocrate dirigeant le processus, mais d’une approche collectiviste, où il y aurait une sorte de grève générale portant une collectivisation fédérale de l’économie.

    Voici à tire d’exemple ce qu’on lit dans Le réveil socialiste, un organe officiel du Parti Socialiste (S.F.I.O.), qui se définit comme collectiviste-révolutionnaire. En mars 1906, dans l’article « Action syndicaliste Action politique ». Il est raisonné en termes en termes d’initiatives individuelles, tout à fait dans l’esprit communiste libertaire du syndicalisme révolutionnaire.

    « Le vocable « Révolution sociale » ne peut désigner qu’un transfert, plus ou moins violent, des moyens de production appropriés individuellement à une collectivité de coopérateurs libres.

    On ne peut donc évoquer l’hypothèse d’un transfert des moyens de production sans être amené à envisager l’organisme qui recueillera l’héritage de la bourgeoisie industrielle et son rôle directeur dans la production.

    Cet organisme, c’est le syndicat, qui dès maintenant, apparaît comme la cellule constitutive d’une société nouvelle basée sur l’universel travail. Un mode de production ne disparaît qu’à la condition que se trouvent déjà constitués des embryons d’organisations susceptibles de se développer et d’assurer à leur tour une sorte de constitution économique nouvelle.

    La transformation du mode de production implique donc l’instauration et le perfectionnement de l’organisme syndical.

    C’est ce que beaucoup de socialistes seulement électeurs ne comprennent pas. Ils croient à une substitution fortuite d’un régime à un autre. Ils se figurent que la transformation de la société bourgeoisie en société collectiviste s’opérera d’une façon toute magique, que l’organisation sortira toute vivante de la bouche des rhéteurs et des théoriciens plus ou moins décadents du marxisme.

    Évidemment, cela ne peut être. Tout s’organise, mais avec de longs et pénibles efforts. Et la production moderne est un phénomène si compliqué et si intense qu’il est nécessaire de préparer avec méthode les organes nouveaux qui devront en assurer le fonctionnement.

    Le syndicat, arme de lutte et de révolution, doit donc s’assimiler la technique industrielle, s’initier à l’organisation de l’atelier autonome de demain, instituer petit à petit la discipline volontaire indispensable, améliorer la mentalité des futurs coopérateurs, réunis plutôt dans un but de défense immédiat actuellement.

    Le syndicalisme ainsi compris est donc spécifiquement révolutionnaire. Il n’entre pas seulement en opposition avec le patronat bourgeois pour la conquête du mieux-être dans le salariat, mais il aspire à la suppression du salariat lui-même en revendiquant la direction de la production et en se préparant à l’exercer.

    Le syndicalisme devrait donc concentrer en lui la meilleure partie de l’activité prolétarienne. Car, en effet, en dehors de la fin qu’il se propose, le syndicalisme est l’arme par excellence pour abattre les privilèges patronaux.

    Le prolétariat n’acquiert des avantages nouveaux que par coalition et lutte. Le droit ouvrier ne peut s’élargir par simple représentation parlementaire. Les codes n’enregistrent que des états de faits qu’il faut créer par la force.

    D’ailleurs, les lois ne signifient rien quand elles n’ont aucune sanction et quand le patronat peut passer outre impunément, comme il le fait en ce qui touche le repos hebdomadaire, la durée de la journée de travail et les dispositions sur l’hygiène industrielle.

    Les seuls avantages acquis irrémédiablement sont ceux que les organisations ouvrières imposent par leur cohésion et leur ténacité. Quand tous les prolétaires auront compris cela et rejoindront leurs compagnons organisés au sein de leurs syndicats et fédérations, l’effort collectif de la classe ouvrière pourra s’exercer « directement » sur la classe patronale et arracher à cette dernière des améliorations importantes qu’il est inutile d’attendre des gouvernants les mieux intentionnés.

    N’oublions pas que nous devons nous sauver nous-mêmes et que ce n’est agir qu’à moitié que de donner une délégation politique à qui que ce soit.

    L’action véritablement efficace est celle qui exerce tous les individus ; le faisceau des forces individuelles vraiment conscientes et agissantes constitue le levier le plus puissant.

    Le parti socialiste unifié vient ensuite comme un adjuvant dont on ne peut nier la valeur, s’il s’érige résolument en défenseur de la classe ouvrière organisée économiquement.

    Il doit chercher à lui faciliter son action en empêchant les bourgeois affolés d’assommer le syndicalisme par des lois d’exception. Il doit se faire le défenseur hardi des militants syndicalistes traqués et persécutés dans les bourses du travail ; protester continuellement contre les jugements de classe, contre les perquisitions et arrestations arbitraires, contre l’envoi de la troupe dans les grèves, etc.

    Surtout, les élus ne doivent pas craindre d’abandonner souvent les démocrates bourgeois à leurs lois fumistes pour s’en aller porter la parole émancipatrice aux quatre vents du pays et prendre la place d’honneur dans les conflits du genre de ceux de Limoges ou Longwy.

    Aujourd’hui que les forces socialistes sont unifiées et disciplinées, nous pouvons espérer des résultats satisfaisants aux élections prochaines. C’est alors que le parti aura au Parlement la puissance suffisante pour s’opposer à tous les coups de force contre les organisations syndicales dont nous avons été témoins pendant cette fin de législature.

    Il s’appliquera à neutraliser le milieu bourgeois pour permettre au syndicalisme de vivre, de se développer et d’affirmer la force révolutionnaire qu’il porte en lui. »

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  • Le Parti Socialiste SFIO et la soumission à la CGT

    En 1907, au Congrès de Stuttgart, la seconde Internationale décida dans une motion concernant les rapports dans chaque pays entre le Parti et les syndicats, que ceux-ci devaient avoir des « relations étroites » et « rendues permanentes ». Mais les Français se défaussèrent ; après le vote, Marcel Sembat prit la parole et expliqua la chose suivante :

    « La majorité de la délégation française déclare que dans la France, l’évolution des rapports entre les organisations syndicale et politique de la classe ouvrière, a subi un cours différent et que l’indépendance réciproque et l’autonomie du Parti socialiste et de la C. G. T., sont une condition nécessaire de leur développement et de leur action et de la possibilité ultérieure d’un rapprochement spontané. »

    Les Français, ne voyant pas de protestation après avoir affirmé cela, considérèrent qu’ils pouvaient faire comme ils l’entendaient. Mais en réalité, c’était le masque d’une soumission entière à la CGT. Non pas seulement en raison de la très forte influence anarchiste ou syndicaliste dite révolutionnaire, mais tout simplement parce que la majorité des socialistes considère alors que la révolution sera le produit d’une agitation électorale combinée à une grève générale menée par le syndicat lui-même.

    Jean Jaurès expliquait ainsi au congrès de 1912 du Parti Socialiste SFIO que ce serait amener « la guerre civile dans la classe ouvrière » que d’appliquer les principes de la social-démocratie internationale ; Edouard Vaillant parla lui de « crime » si l’on appliquait ces principes, de « déclaration de guerre à la C.G.T. ».

    On a ici une différence fondamentale entre les collectivistes à la française et la social-démocratie internationale.

    C’est d’ailleurs une double intoxication, tant du Parti Socialiste SFIO sur son importance historique, que de la part de la CGT. Car celle-ci ne représente qu’une toute petite minorité agissante, d’où justement son apparente radicalité et ses discours de minorité agissante au nom de tous.

    Ce n’est pas seulement une question de taux de syndicalisation : si la France a un faible taux, elle n’est pas si mal lotie. Le vrai problème est la division syndicale, l’importance mineure de la CGT : seulement 35 % des syndiqués sont membres de la CGT. Sur un peu plus d’un million de syndiqués en général, 400 000 étant dans des syndicats patronaux. Il faut également compter 5 407 syndicats agricoles, réunissant plus de 910 000 syndiqués, à l’écart des socialistes.

    Le taux d’appartenance au syndicat lié à l’Internationale est par contre de 100 % en Espagne, de 100 % aussi en Serbie et aux Etats-Unis, de pratiquement 100 % en Hongrie, de plus de 97 % en Norvège et en Bosnie-Herzégovine, de 89 % en Croatie, de presque 89 % en Autriche, de presque 83 % au Danemark, de 78 % en Allemagne, de 73 % en Belgique, de 69 % en Suède.

    Numériquement, les chiffres ont leur importance aussi : il y a, avant 1914, seulement 355 000 syndiqués CGT sur plus de 11 millions de travailleurs. Ainsi, non seulement la CGT est largement marginale dans la classe ouvrière, malgré que 40 % des entreprises aient plus de cent ouvriers, mais la paysannerie qui forme la moitié du pays est entièrement coupée d’elle.

    La répression est également brutale. En 1906, c’est l’armée qui est envoyée pour mater la grève générale du bassin minier à la suite de la catastrophe de Courrières, ayant tué un millier de mineurs. Les gendarmes tirent en 1908 sur les carriers des sablières à Draveil, tuant deux ouvriers, puis quatre lors de l’écrasement de la manifestation de la CGT à Villeneuve. La grève dans les PTT, en mars – mai 1909, voit également une défaite complète de la CGT.

    Cela n’empêche pas celle-ci de s’imaginer au centre de tout le processus de transformation sociale. Elle est grisée par son développement : le nombre de syndicats CGT est de 1043 en 1902, 1220 en 1903, 1792 en 1904, 2399 en 1906, 2590 en 1908, 3012 en 1910. Elle s’imagine que le processus ne peut pas être interrompu et même qu’elle peut déjà se placer au centre de l’initiative, d’où l’adoption de la charte dite d’Amiens en octobre 1906.

    Cette adoption provoqua un vaste au débat au congrès du Parti socialiste (SFIO) qui se déroula du 1er au 4 novembre de la même année, d’ailleurs le moment de la charte visait évidemment à provoquer une certaine rupture entre la CGT et le Parti, avec paradoxalement l’accord de la majorité des socialistes, qui avaient par ailleurs l’obligation statutaire d’adhérer à la CGT si c’était possible dans leur activité salariale.

    Car la charte d’Amiens est très claire : il est interdit en d’amener les questions politiques dans le syndicat, ce dernier ne doit aborder que les questions économiques, ce qui serait en soi une préparation aux grandes transformations sociales, avec bien entendu à l’arrière-plan le mythe de la grève générale.

    La politique est résumée à une activité de partis et de sectes à la marge du mouvement :

    « En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

    Le socialiste Victor Renard avait pourtant proposé une motion disant que :

    « Le Comité Confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes, avec le conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. »

    Cependant, 774 voix du congrès de la CGT s’y opposèrent, contre 34 pour, alors que le positionnement anti-politique de la Charte d’Amiens aura, lors du même congrès, 834 pour, 8 contre (et une abstention). Cela signifie que non seulement les socialistes apparaissent ici comme une minorité politique très faible au congrès alors qu’ils sont physiquement massivement présents. Ils sont en fait d’accord sur cette répartition : la CGT s’appropriait la dimension économique et il ne restait plus que le terrain parlementaire pour le Parti.

    Jean Jaurès avait déjà affirmé cette ligne lors du second congrès du Parti Socialiste SFIO :

    « Ayons confiance dans la classe ouvrière agissant par l’action politique et par l’action économique, ou plutôt par une seule et grande action politique qui a deux organes, le syndicalisme et l’action parlementaire, et allons ainsi à la bataille.

    A mesure que nous agirons, le vice de chaque méthode s’éliminera et seule la partie efficace de chacune subsistera. »

    Cela ne pouvait que renforcer l’économisme syndical et l’électoralisme du Parti ; cela signifiait que le Parti socialiste (SFIO) non seulement ne dirigeait pas le syndicat comme c’est le cas en Allemagne, mais qu’en plus le terrain syndical asséchait entièrement désormais tout ce qui ressemblerait à une discussion politique. C’était là dépolitiser la classe ouvrière française et donner des ailes à l’esprit insurrectionnaliste blanquiste, anarchiste. Karl Kautsky était très clair à ce sujet :

    « Quant à la résolution de la majorité française, elle est totalement inacceptable.

    D’une part, parce qu’elle représente la grève générale comme un moyen suprême dans la lutte économique, tandis que la majorité des camarades allemands reconnaît simplement la grève générale comme un moyen de lute éventuel dans la bataille politique.

    Ensuite, c’est qu’elle conçoit l’autonomie syndicale dans l’esprit anarchiste. »

    Jules Guesde avait de son côté conscience de cela, expliquant avec justesse au second congrès :

    « On peut laisser croire à la Bourgeoisie qu’il y a là une véritable force, mais en fait, au point de vue numérique, vous savez bien que nos syndicats sont tout à faits insuffisants, que, comparés à ce qu’ils sont en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, ils n’existent à peu près pas. »

    Cela n’empêcha pas le choix de la soumission à la CGT, de toutes façons. Deux résolutions se firent face alors au troisième congrès du Parti socialiste SFIO, en 1906, pour tenter de répondre à cette crise imposée par la ligne anti-Parti de la CGT.

    La première, proposée par le guesdiste Charles Dumas soutenu par les 42 délégués du Nord acquis à Jules Guesde, affirme une tentative d’esprit d’unité :

    « Considérant que c’est la même classe, le même prolétariat qui s’organise et agit, qui doit s’organiser et agir en Syndicats ici, sur le terrain corporatif, en parti socialiste là, sur le terrain politique ;

    Que si ces deux modes d’organisation et d’action de la même classe ne sauraient être confondus, distincts qu’ils sont et doivent rester de but et de moyens, ils ne sauraient s’ignorer, s’éviter, à plus forte raison s’opposer sans diviser mortellement le prolétariat contre lui-même et le rendre incapable d’affranchissement ;

    Le Congrès déclare :

    Il y a lieu de pourvoir à ce que, selon les circonstances, l’action syndicale et l’action politique des travailleurs puissent se concerter et se combiner. »

    Cette proposition reçut 130 voix et échoua par conséquent face à la résolution suivante, faite par la Fédération du Tarn et recevant 148 voix (pour 9 abstentions). Il s’agit ici d’une capitulation ouverte et d’un appel à une sorte de « parallélisme » fondamentalement opposé aux principes socialistes.

    « Le Congrès, convaincu que la classe ouvrière ne pourra s’affranchir pleinement que par la force combinée de l’action politique et de l’action syndicale, par le syndicalisme allant jusqu’à la grève générale et par la conquête de tout le pouvoir politique en vue de l’expropriation générale du capitalisme ;

    Convaincu que cette double action sera d’autant plus efficace que l’organisme politique et l’organisme économique auront leur pleine autonomie ;

    Prenant acte de la résolution du Congrès d’Amiens, qui affirme l’indépendance du syndicalisme à l’égard de tout parti politique et qui assigne en même temps au syndicalisme un but que le socialisme seul, comme parti politique, reconnaît et poursuit ;

    Considérant que cette concordance fondamentale de l’action politique et de l’action économique du prolétariat amènera nécessairement, sans confusion, ni subordination, ni défiance, une libre coopération entre les deux organismes ;

    Invite tous les militants à travailleur de leur mieux à dissiper tout malentendu entre la Confédération du Travail et le Parti socialiste. »

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  • Le Parti Socialiste SFIO et les liens ouverts avec la franc-maçonnerie

    L’ouverture aux radicaux avait comme arrière-plan l’immense influence de la franc-maçonnerie, qui se présentait comme la grande représentante de la lutte contre l’obscurantisme, dans le prolongement des Lumières. Les socialistes français n’ayant pas de lecture matérialiste historique, ils acceptaient au moins le principe, même si eux-mêmes se considéraient comme les vrais représentants de cette perspective.

    De plus, la franc-maçonnerie jouait un important rôle de frein à la répression anti-socialiste, dans la mesure où les franc-maçons, c’est-à-dire les radicaux, appuyaient les socialistes contre les conservateurs. L’appel d’air était d’autant plus grand.

    L’aile droite du Parti Socialiste SFIO présentait donc systématiquement la franc-maçonnerie comme une sorte de club de pensée, où il serait possible de porter un discours socialiste, et dans tous les cas le coeur du front en faveur de la laïcité.

    Il faut se souvenir ici que les deux manifestations les plus marquantes eurent lieu, dans toute la France, à la suite de l’exécution par l’Espagne du pédagogue anarchiste espagnol Francisco Ferrer, grande figure de la laïcité. Le 13 octobre 1909, la manifestations parisienne de 40 000 personnes tourna à l’émeute, avec des scènes de pillage ; le 17 octobre, le Parti Socialiste SFIO organisa la manifestation où vinrent 100 000 personnes, avec un service d’ordre extrêmement organisé.

    Le mot d’ordre du rassemblement était :

    Travailleurs de Paris, socialistes et républicains de Paris, préparez-vous avec toutes les grandes villes d’Europe et de France à flétrir la domination cléricale et militaire sous laquelle étouffé l’Espagne, à dire votre espoir d’un relèvement qui fera de l’Espagne une République de plus dans le monde.

    Les radicaux faisaient de la laïcité le cœur de leur stratégie anti-conservatrice. La franc-maçonnerie en était l’un des vecteurs idéologiques. Voilà pourquoi une partie des socialistes assumait, au nom de la réflexion nécessaire et qui ne trouverait pas sa place dans le Parti, d’aller dans la franc-maçonnerie.

    Marcel Sembat est ici l’exemple le plus significatif. Marié à la peintre Georgette Agutte, membre de la mouvance post-impressionniste, il présente la franc-maçonnerie comme une œuvre « extrêmement passionnante » et justifie sa participation à celle-ci en expliquant que :

    « Il y a dans l’esprit humain toute une portion qui, dans la société présente, demeure en jachère et n’est défrichée que chez quelques bourgeois. »

    Il faut avoir en tête que de tels propos sont tenus dans une période historique où les franc-maçons verrouillent l’Etat républicain. D’ailleurs, en 1912, alors que le débat se pose enfin à un congrès du Parti Socialiste SFIO, huit ministres sont maçons, pratiquement tous les préfets et sous-préfets, et même des généraux, ainsi que des hauts responsables de la police.

    On est là, au sens strict, aux antipodes de la social-démocratie allemande, avec Karl Kautsky et l’affirmation du matérialisme historique, et des bolchéviks russes, avec Lénine valorisant le matérialisme dialectique, ayant déjà publié Matérialisme et empiriocriticisme en 1909.

    Il y avait bien entendu et heureusement des opposants à la franc-maçonnerie, qui dénonçaien non seulement le rôle de vecteur du radicalisme, mais également la neutralisation des contradictions politiques joués par les rapports entre « frères », le tout se déroulant évidemment en-dehors de toute supervision du Parti. Ils furent cependant écrasésau neuvième congrès tenu à Lyon les 18, 19, 20 et 21 février 1912, où quatre motions furent présentés.

    La première fut la motion de la minorité de la Seine :

    Le Congrès, considérant que la franc-maçonnerie est, contrairement à ses affirmations, non une organisation philosophique et mutualiste, mais la véritable organisation de classe de la petite-bourgeoisie et du parti radical.

    Décide que les membres francs-maçons du Parti devront démissionner de cette organisation dans un laps de temps de six mois, au maximum.

    La seconde fut une synthèse des motions de la majorité du Nord et du Gard:

    Le Congrès constate que ces membres du Parti socialiste ont une tendance à éparpiller leurs efforts dans toutes sortes de groupements.

    Que si ces groupements ont pour but le développement moral et matériel de l’ensemble des membres de la société, il n’en est pas moins certain que l’éparpillement de ces efforts est une cause d’amoindrissement de l’action socialiste, seule capable d’orienter le prolétariat vers son émancipation intégrale ;

    en conséquence, il rappelle à tous les membres qu’au lieu d’adhérer à des groupements même ne faisant pas de politique au bénéfice d’un parti, ils devraient consacrer tous leurs efforts à la propagande socialiste, à l’éducation, à l’organisation politique et économique du prolétariat.

    La troisième motion fut celle de la majorité de la Seine : 

    Le Congrès, en rappelant aux travailleurs que leur devoir est de se grouper dans le Parti socialiste qui est le seul parti de classe du prolétariat, déclare qu’il n’entend pas limiter à la seule action politique l’activité de ses membres, du moment où celle-ci ne les met pas en contradiction avec la doctrine, les principes et les décisions du Parti ; 

    Il déclare particulièrement qu’il ne se préoccupe pas de savoir si ses membres adhèrent à des organisations d’ordre philosophique, éducatif ou moral, telles que franc-maçonnerie, libre pensée, Universités populaires, Ligue des Droits de l’Homme, qui n’ont pas
    pour but la conquête du pouvoir politique ; 

    Il déclare en outre que, lorsque des défaillances individuelles se produisent, elles relèvent purement et simplement du contrôle réglementaire du Parti.

    La quatrième motion fut présentée par la Fédération du Gers :

    Les membres du Parti ont le devoir d’appartenir au Syndicat ouvrier de leur profession, à la Coopérative de leur localité et à la franc-maçonnerie.

    Seuls les 5 délégués du Gers votèrent pour cette dernière motion, le vote connaissant par ailleurs 32 abstentions. La grande majorité, soit 1505 voix, soutint la motion d’ouverture à la franc-maçonnerie. La seconde motion, plus circonspecte et se contentant d’appeler à éviter l’éparpillement, reçut 927 voix.

    La première motion, appelant à rejeter la franc-maçonnerie, n’eut que 103 voix : 7 mandats des Alpes-Maritimes, 1 du Cher, 1 d’Eure-et-Loir, 3 de l’Hérault, 2 du Maine-et-Loire, 3 de la Marne, 2 de Seine-et-Marne, 7 du Vaucluse, 21 de la Haute-Vienne et 56 de la Seine, c’est-à-dire de la région parisienne.

    Ce dernier point est significatif : les mandats de la Seine allèrent également aux autres motions, 52 pour la seconde, 233 pour la troisième, témoignant d’une hégémonie idéologique très claire de la franc-maçonnerie.

    Les mandats du Nord furent quant à eux 312 pour la seconde motion, 150 pour la troisième, aucune pour la première : au mieux, la ligne était celle des concessions.

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  • Le Parti Socialiste SFIO et les radicaux comme concurrents, ennemis, partenaires

    Jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, il existe tout un courant appelé le radicalisme, consistant en les rangs de la bourgeoisie libérale.

    Celle-ci était opposée aux conservateurs et au clergé, et ouverte à des mesures sociales si cela permettait de renforcer le régime républicain. Positionnés au centre, les radicaux oscillaient entre la gauche et la droite, se plaçant comme incontournables, n’hésitant pas des démarches très opportunistes pour réussir.

    Voici comment le Nantais Charles Brunellière, grande figure socialiste de la région, raconte au 8e Congrès national, tenu à Saint-Quentin, les 16, 17, 18 et 19 avril 1911, la mésaventure vécue alors.

    Charles Brunellière

    « En 1908, au lieu d’avoir comme précédemment le scrutin par canton qui nous permettait de ne présenter des candidats que dans les cantons ouvriers où nous avions des chances de succès, nous nous sommes trouvés, quelques semaines avant les élections, avec le mode de scrutin complètement changé par suite de l’annexion de deux communes voisines.

    Nous avons eu le scrutin de liste avec l’obligation de trouver 36 candidats. Nous étions, de plus, acculés à des dépenses bien au-dessus des ressource de la Fédération.

    Nous avons alors accepté l’alliance qui nous était proposée par le Comité général radical et le Comité central républicain ; nous avons, d’accord avec ces deux organisations, présenté dix candidats sur une liste commune, avec la condition expresse que nous conserverions toute notre liberté de tactique et d’intégralité de notre progamme.

    Cette expérience a été désastreuse pour nous. En effet, les élections n’étaient pas terminées que déjà nos alliés nous tendaient des pièges.

    Ensuite, il s’est produit une confusion dans l’esprit des électeurs, à tel point que lorsque sont arrivées les élections législatives, les électeurs de M. [Gabriel] Guist’hau sont allés voter pour lui en chantant l’Internationale, ce qui n’a pas empêché M. Guist’hau de se faire inscrire d’abord au groupe des socialistes indépendants, puis au groupe des radicaux et enfin d’entrer dans le ministère Briand.

    Cette confusion a produit des défections considérables parmi les électeurs socialistes qui marchaient avec nous, si bien que nous sommes sortis diminués des dernières élections législatives ; d’ailleurs, la tactique confusionniste d’un de nos élués, qui en a entraîné d’autres, n’a pas peu contribué à amener ce déplorable résultat. »

    Pourtant, le constat de la nature opportuniste des radicaux avait déjà été fait en 1907, au quatrième congrès à Nancy, où le Parti socialiste (SFIO) se posait comme faisant face de manière résolue au bloc bourgeois, formulant une grande déception vis-à-vis des radicaux. Le rapport du congrès constatait alors :

    « Au retour du congrès de Limoges [le troisième], le Groupe socialiste se trouva en présence du cabinet Clémenceau, qui venait de naître.

    Il n’est pas sans intérêt de rappeler que ce ministère ne rencontra de notre côté aucune hostilité préconçue. Alors que le cabinet précédent avait, au début de la législature, groupé contre lui presque tous les éléments d’extrême-gauche, le cabinet Clémenceau, lorsqu’il se présenta devant la Chambre, n’eut pas un vote hostile à gauche.

    On l’attendait à l’œuvre, et nous étions prêts à seconder vigoureusement tout effort sincère de réforme qui serait tenté par la majorité radicale et par le gouvernement qu’elle s’était donné.

    Les promesses de ce dernier n’étaient d’ailleurs pas négligeables. Elles étaient, sur plusieurs points, conformes au programme radical-socialiste. Le ministère annonçait la réforme générale de l’impôt et celle de la juridiction militaire, les retraites ouvrières et le rachat de l’Ouest, cette dernière mesure devant être l’amorce de plus vastes entreprises et la première tentative de mainmise de l’État sur les monopoles privés.

    Que reste-t-il aujourd’hui de ce programme ? Rien n’a été réalisé ; l’on a ajourné ce qu’on n’a pas retiré. »

    Il ne faut ici pas s’étonner. Le Parti Socialiste SFIO n’est pas marxiste, son objectif est le collectivisme à travers la république sociale. Les radicaux étant des partisans farouches du régime républicain face aux conservateurs, ils apparaissent au minimum comme un allié naturel pour beaucoup.

    Cela est d’autant plus vrai que les radicaux se revendiquent de gauche, et demandent la discipline républicaine face aux conservateurs, comme le formule habilement le parti républicain radical et radical-socialiste en 1909 pour forcer la main aux socialistes, qui apparaîtraient sinon comme des diviseurs.

    Et en utilisant habilement la laïcité comme conquête républicaine, les radicaux font en sorte de happer les socialistes, en les obligeant à se situer dans une mise en perspective laïque, et donc de reconnaissance de l’Etat, de la république comme forme idéalise. Voici la résolution adoptée par le Parti Socialiste SFIO, en 1912, sur la laïcité :

    « Le but que poursuit le Parti socialiste est l’appropriation collective des moyens de production et d’échange par l’expropriation politique et économique de la classe capitaliste. 

    Sa politique est donc plutôt une politique de lutte de classe. 

    Pour l’organisation des travailleurs en parti distinct, il fait appel à tous les exploités sans faire de distinction entre les sexes, les races, ni les religions. 

    Mais considérant que les églises organisées à l’intérieur de la nation, désireuses d’utiliser à leur profit la suprématie de l’État, mettant leurs représentants presque toujours au service de l’oppression capitaliste, sont amenées à intervenir dans l’action politique quotidienne, et qu’elles légitiment par contre-coup l’intervention des partis qui veulent assurer la neutralité laïque, sauvegarde de la liberté de conscience ; 

    Considérant que, sans jamais se prêter à la manœuvre de ceux qui chercheraient dans un anti-cléricalisme de façade une diversion aux problèmes sociaux, le Parti socialiste doit, défendre avec vigueur, avec passion, contre toutes surprises, contre toutes menaces, les institutions de laïcité; que si la séparation des Eglises et de l’Etat est un fait accompli, la lutte pour la laïcité totale des services de la nation n’est pas close et doit être poursuivie sans défaillance et jusqu’à ce que les églises et leurs défenseurs se tiennent strictement sur le terrain de la conscience individuelle ;

    Le Congrès décide que les élus législatifs, départementaux ou municipaux ont à traduire la volonté formelle du Parti en repoussant tous crédits destinés à subventionner les divers cultes, en s’opposant aussi à la reprise de toutes relations officielles avec les représentants de ces cultes. 

    Le Parti socialiste déclare en outre que la façon la plus sûre de protéger l’école laïque est de donner un enseignement scientifique aussi étranger aux dogmes capitalistes et chauvins qu’aux dogmes religieux, et de mettre tous les enfants, pour leur entretien, à la charge de la société représentée par l’Etat, les départements et les communes.

    Dans ce but, il faut établir un budget d’instruction publique qui ne soit plus dérisoire en face des budgets de la guerre et de la marine, afin de permettre l’augmentation du nombre des écoles et leur aménagement plus rationnel; faire que la tâche des éducateurs ne soit pas impossible en raison du trop grand nombre d’enfants qui leur sont confiés, donner au personnel enseignant l’indépendance et les droits nécessaires afin 
    qu’il en use, notamment pour appliquer des méthodes pédagogiques sous le contrôle de la société. »

    C’est là une reconnaissance de la valeur de l’Etat bourgeois, et ce n’est pas étonnant que le contenu soit conforme aux exigences modernisatrices de la bourgeoisie. Car intellectuellement, en l’absence de matérialisme historique, d’identité marxiste, le rapport entre socialistes et radicaux est très étroit grâce noyau dur des radicaux : la franc-maçonnerie.

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  • Le Parti Socialiste SFIO et le fédéralisme comme socle

    Pour comprendre à quel point il existait dans le Parti Socialiste SFIO une vaste dispersion à tous les niveaux, il suffit de regarder comment le groupe parlementaire socialiste a voté à la Chambre juste avant la première guerre mondiale. La Chambre a connu 217 votes dans la période allant du 1er mars 1912 au 12 février 1913.

    Or, si dans 145 scrutins il y eut unité de vote, dans 11 scrutins il y a eu unanimité moins une voix, dans 26 scrutins unanimité moins deux voix, dans 7 scrutins unanimité moins trois voix, dans 2 scrutins unanimité moins quatre voix, dans 5 scrutins unanimité moins cinq voix. Enfin, dans 21 scrutins, les divergences furent encore plus prononcées.

    On ne s’étonnera pas que le dixième congrès, de 1913, qui constate cela, note également que le député de l’Hérault a démissionné, que celui de la Drôme a été exclu, celui du Nord radié. C’est que le Parti Socialiste SFIO est également obligé souvent de faire le ménage face à l’indiscipline générale et cela se reflète bien entendu dans les congrès, qui sont particulièrement tumultueux, les invectives se combinant au bon mot, à la bonne blague, les menaces se formulant parallèlement aux valorisations de l’unité.

    C’est le grand paradoxe du Parti Socialiste SFIO. D’un côté, l’unification a imposé tout un appareil central. Cependant, de l’autre côté, cet appareil central vit parallèlement à la vie du Parti. Celui-ci se divise en fédérations, qui disposent d’une très large autonomie. Les plus fortes fédérations disposent d’ailleurs d’une propre presse, de leurs propres permanents, alors qu’elles-mêmes sont divisées en sections qui sont elles-mêmes pratiquement autonomes.

    La direction du Parti ne dispose également que de cinq permanents chargés de l’administration, appuyé par environ le même nombre de gens qui sont salariés et chargés d’épauler leur travail. Elle ne fait littéralement pas le poids et n’a aucune emprise sur la base, qui vit à l’écart, et bien souvent sans aucune connaissance des décisions prises par les congrès au sens strict du terme.

    Le Parti Socialiste SFIO fonctionne comme une sorte de très grande construction tournant en roue libre. Et à ces divisions en termes de structures s’ajoutent celles sur le plan des idées. Dans le règlement, il est de fait établi que :

    « A défaut d’entente préalable, la minorité a droit, s’il y a lieu, à une représentation proportionnelle. »

    S’il n’y a pas de fractions organisées au sens formel, cela n’empêche pas Gustave Hervé de publier  La Guerre sociale à partir de 1906 dans l’idée d’unifier anarchistes et socialistes dits insurrectionnels, et Jules Guesde de publier Le socialiste à partir de 1907. Cela signifie que les anciens regroupements se maintiennent, de manière diffuse, ce qui est pire encore car cela ne lit pas.

    De plus, l’affirmation selon laquelle tous les socialistes ont rejoint le nouveau parti est erroné. Il y a ainsi tout un courant « républicain-socialiste » qui existe à sa marge, avec un réel succès. Aux élections législatives de 1906, ces « socialistes indépendants » obtinrent 211 659 voix et 24 députés, contre 876 347 et 54 députés pour le Parti socialiste SFIO.

    C’est là un poids considérable, surtout que deux députés PS SFIO rejoignirent finalement les indépendants, qui fondèrent un parti républicain-socialiste « résolument et exclusivement réformiste » en 1911, avec environ 5 000 adhérents, après l’échec de la reconstitution d’un Parti socialiste français en 1907.

    Parmi les figures importantes, on retrouve le maire de Lyon Jean-Victor Augagneur ; il s‘agissait d’ailleurs d’un parti de notables et d’institutionnels, n’existant en très grande majorité que dans sept départements. Se querellant au sujet de la question du soutien ou non à Raymond Poincaré pour les présidentielles, Joseph Paul-Boncour et Anatole de Monzie se battent même en duel à ce sujet en 1913 !

    Sur le papier, le Parti Socialiste SFIO récusait formellement des socialistes indépendants. Toutefois, c’était aux fédérations de décider de leur positionnement durant les élections, il n’y eut jamais aucune unité sur ce plan.

    Au 8e Congrès national de 1911, le maintien systématique au second tour est rejeté par 372 voix contre 21, l’interdiction de coalitions au premier tour l’est par 289 contre 102 mandats, l’interdiction de coalitions au second tour l’est par 317 mandants contre 64.

    Cela signifie que les fédérations ont une marge de manœuvre complète dans leurs choix… Et au-delà des socialistes indépendants, il y a surtout l’ombre des radicaux.

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  • L’unité imparfaite du Parti Socialiste SFIO

    En théorie, à la suite de l’unification, seul le Cher et l’Indre ont vu leurs fédérations originaires ne pas dépasser encore les mésententes et parvenir à s’unifier. Le second congrès témoigne de bien plus de faiblesses.

    Il a lieu dans la salle du colysée à Chalon-sur-Saône, ville ayant connu un massacre ouvrier, comme par ailleurs Limoges ; lors de l’unification, il avait été tiré au sort pour savoir laquelle des deux villes accueillerait symboliquement le congrès.

    Se déroulant les 29, 30, 31 octobre et 1er novembre 1905, on y apprend dès le départ par le rapport du Conseil national que, somme toute, l’unification n’a pas encore eu lieu et qu’on ne connaît pas vraiment les contours du nouveau Parti !

    Voici comment cet aveu d’échec et d’impuissance est formulé :

    « Des forces de ce Parti nouveau, de son action déjà engagée, le Conseil national à l’ouverture de ce Congrès aurait voulu dresser un tableau exact et complet. Il aurait souhaité vous présenter le miroir fidèle qui vous eût renvoyé à tous, délégués des Fédérations, l’image d’ensemble de ce vaste corps dont vous êtes, dont nous sommes, nous et nos commettants, les unités intégrantes.

    Ce souhait ne pouvait recevoir malheureusement entière satisfaction et vous serez obligés de vous en tenir à une image imparfaite.

    L’année qui s’achève est, en effet, une année de transition. Sans doute les vieilles organisations ont disparu ; mais elles vivaient il y a six mois à peine et par les liens contractés, les formalités remplies, les cotisations versées, nous restons les uns et les autres, nos groupes, nos fédérations, marqués jusqu’au terme de l’année à leur sceau particulier.

    Les uns et les autres nous ne serons en totalités les hommes du nouveau Parti qu’en janvier 1906, lorsqu’une carte identique délivrée par les soins d’un même organisme central, nous aura consacrés tous dans l’apparence – comme il est déjà dans la réalité – membres d’une même famille, combattants d’une même armée.

    Jusque-là il nous est interdit de connaître dans le détail nos contingents non plus que nos ressources financières. Nous en sommes réduits à des approximations. »

    Étrange aveu d’une direction qu’en fait, elle ne sait pas ce qu’elle dirige, et que donc elle ne le dirige pas vraiment.

    Et cela alors que, parallèlement aux 40 000 adhérents dans 2 000 groupes locaux qui ne sont donc pas réellement unifiés, il y a 38 députés, une centaine d’élus départementaux, entre 1500 et 2000 élus municipaux, c’est-à-dire un véritable appareil lié aux élections.

    Le thème des élections obnubile d’ailleurs le Congrès, notamment la question du second tour. Le Parti socialiste SFIO est tellement marqué par cette obsession qu’il refuse de prendre position pour le second tour, appelant les Fédérations à décider d’un éventuel soutien aux radicaux.

    C’était là ne pas trancher la question fondamentale de la situation de la France alors, mais cette question relevant du matérialisme historique ne se pose nullement pour des socialistes visant une sorte de Parti syndicaliste, avec les élections comme levier. Le rapport du congrès se conclut d’ailleurs de la manière suivante :

    « [Emile] Landrin, président, se félicite de l’œuvre du Congrès, qui a resserré les liens qui unissent tous les membres du Parti. Les partis bourgeois escomptaient nos divisions. C’est un parti plus cohérent et plus fort qui sort de ce congrès.

    La question électorale a tenu une grande place dans nos débats, mais parce que l’actualité même l’imposait à nos préoccupations.

    C’est n’est pas que ce soit pour nous la seule question. Nous l’avons du reste prouvé par le vote rendu à l’unanimité pour la réduction de la journée de travail à 8 heures, affirmant ainsi notre solidarité avec l’organisme économique du prolétariat.

    La question électorale n’est pour nous qu’un moyen parmi les moyens. Le but est la Révolution sociale. Vive l’Internationale ouvrière ! Vive la Révolution sociale ! Vive le Parti unifié !

    C’est sur ce cri, par tous répété, que le Congrès est levé. »

    Ce volontarisme ne cacha pas les débats nécessaires, car l’immense croissance numérique attendue ne vint pas. Ainsi, jusqu’en 1914, le Parti socialiste SFIO mit en place des débats pour établir une ligne commune, sans parvenir à bloquer les énormes forces centrifuges agissant en son sein.

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  • L’unification par en haut du Parti Socialiste SFIO

    Le puissant développement de la social-démocratie en Allemagne et en Autriche-Hongrie ne pouvait pas ne pas toucher la classe ouvrière française, malgré l’orientation entachée d’anarchisme et de syndicalisme de celle-ci. Pour cette raison, l’existence d’un seul parti, au lieu de plusieurs mouvements eux-mêmes issus de plusieurs tendances, apparaissait comme une obligation incontournable par rapport à la pression ouvrière internationale en ce sens.

    Ainsi, au congrès d’Amsterdam de la seconde Internationale en 1904, avec notamment 101 délégués anglais, 66 délégués allemands, 38 délégués belges, 29 délégués polonais, 45 délégués russes, et 89 délégués français, la tendance de Jean Jaurès s’était faite plus que taper sur les doigts pour sa logique de participation gouvernementale : il lui fallut céder relativement pour rester dans le cadre ouvrier international. Et céder signifier aussi accepter l’exigence du Congrès voulant qu’il n’y ait qu’un seul Parti par pays.

    Délégués de l’Internationale à Amsterdam

    Le Parti socialiste français de Jean Jaurès et le Parti socialiste de France de Jules Guesde, mais aussi les Fédérations autonomes (des Bouches-du-Rhône, de Bretagne, de l’Hérault, de la Somme, de l’Yonne) où était actif Gustave Hervé et le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, se virent donc historiquement forcés de s’unir, ce qui fut fait dans le cadre d’un congrès du 23 au 25 avril 1905, avec 286 délégués se réunissant dans la Salle du Globe, boulevard de Strasbourg à Paris.

    Sont présents, comme représentants de l’Internationale, Camille Huysmans, secrétaire du Bureau socialiste international, ainsi qu’Emile Vandervelde. L’Humanité du 30 octobre 1905 parle d’un

    « vaste local orné de drapeaux rouges avec la grande inscription en lettres dorés sur fond rouge : Parti socialiste section française de l’Internationale ouvrière. Face au bureau s’étale la belle devise : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. Le Congrès est fort bien organisé. Autour de quatre rangées de tables perpendiculaires au bureau, se groupent les congressistes. La fanfare ouvrière joue l’Internationale. »

    Le congrès de 1905

    La manière dont cela fut fait souligne l’importance de cet arrière-plan : la naissance du Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière est surtout l’expression d’une logique internationale ouvrière.

    Le courant de Jean Jaurès ne représentait en effet que 8 500 membres, celui de Jules Guesde que 16 000 membres. Ces chiffres, outre qu’ils montrent l’absence d’ancrage organisé dans la classe ouvrière, allaient par contre de paire avec un ancrage électoral puissant : 406 000 et 487 000 voix respectivement. Et justement le Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière ne sortira jamais de cette opposition entre un écho organisationnel très faible et un électorat solide ; il en ira par ailleurs de même avec la SFIO d’après 1920 et le Parti Socialiste ensuite.

    Les mouvement socialistes sont en France surtout des machines électorales, sans base militante et pour cette raison d’ailleurs, le congrès d’unification ne fut pas déterminé par les membres, mais par une interprétation semi-électoraliste. La convocation au « congrès d’unification » précise en effet dans son troisième article :

    « Le Congrès est convoqué sur la base d’une représentation proportionnelle des forces socialistes constatées lors du Congrès d’Amsterdam et calculées, d’une part, sur le nombre des membres cotisants et, d’autre part, sur le chiffre des voix obtenues au premier tour des élections législatives générales de 1902. »

    C’est là une entorse fondamentale à la démarche social-démocrate qui raisonne en termes de programme et de valeurs. Les Fédérations devaient même initialement recevoir, pour les congrès, des mandats selon les résultats électoraux, mais ce point fut supprimé lors des débats de l’unification.

    Néanmoins, cette tendance de fond va avoir une conséquence significative : celle de renforcer le poids des zones d’implantations déjà existantes. Il y a ainsi 3 mandats dans l’Ain, 2 en Dordogne, 3 en Isère, 4 dans la Somme mais 8 dans l’Aube, 12 en Gironde, et surtout 47 du Nord et 47 de la Seine (soit la région parisienne grosso modo). Cette tendance à avoir de gros pôles et une présence quasi inexistante dans de nombreuses régions ne cessera pas par la suite.

    En ce sens, il faut avoir un regard particulièrement critique sur le grand accent mis, de la part de la commission d’unification, sur la nécessaire centralisation et le caractère unanime devant assurer la vie interne de la nouvelle organisation. Il ne s’agit pas d’un processus démocratique amenant un saut qualitatif à un Parti conscient de lui-même, mais d’un rassemblement chapeauté de manière administrative et asséchant immédiatement la vie interne.

    En quoi consiste d’ailleurs la direction ? Voici comment le règlement du nouveau Parti présente la chose dans les articles 20 et 21 :

    « Dans l’intervalle des Congrès nationaux, l’administration du Parti est confiée au Conseil national. Le Conseil national est constitué par les délégués des Fédérations, la délégation collective du Groupe socialiste au Parlement, la Commission administrative permanente élue par le Congrès national. »

    On voit bien qu’aux délégués de la base s’opposent non seulement les parlementaires formant une entité à part, mais en plus une « commission administrative » formant un véritable appareil séparé, d’autant plus que ses 22 membres sont élus au congrès par les délégués présents. Il ne s’agit pas d’un Comité Central élu et devenant lui-même la direction, mais d’une direction parallèle aux autres.

    Il était inévitable qu’il y ait des conflits entre ces trois appareils, reflétant une base non unifiée idéologiquement. Cela est d’ailleurs assumé, puis qu’au sujet de la contrôle de la presse du Parti, le règlement affirme la chose suivante :

    « La liberté de discussion est entière dans la presse pour toutes les questions de doctrine ou de méthode ; mais pour l’action, tous les journaux, toutes les revues socialistes doivent se conformer aux décisions des Congrès nationaux et internationaux interprétées par le Conseil national du Parti. »

    Cette absence d’unité idéologique, sans parler de la culture, en dit long sur la nature pratiquement syndicaliste du projet de Parti socialiste. La soumission à la CGT pour ce qui concerne les questions économiques sera de fait par la suite entièrement assumée, tel quel.

    Par là-même, il faut être circonspect sur les affirmations effectuées à l’occasion du document signé par les protagonistes pour entamer le processus d’unification. On y lit notamment :

    « Le Parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste et communiste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat.

    Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le Parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution.

    Les élus du Parti au Parlement forment un groupe unique, en face de toutes les fractions politiques bourgeoises. Le groupe socialiste au Parlement doit refuser au Gouvernement tous les moyens qui assurent la domination de la bourgeoisie et son maintien au pouvoir ; refuser, en conséquence, les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l’ensemble du budget. »

    Ces points ont été écrits sous l’influence de l’Internationale ; ils ne reflètent cependant nullement le sens de la démarche de nombre de dirigeants et responsables socialistes, qui n’ont en pratique aucune force vive à part le réservoir électoral.

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  • Le Parti Socialiste SFIO, une tradition collectiviste et non social-démocrate

    Le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière est né en 1905, comme unité de tous les socialistes répondant à l’appel de la social-démocratie internationale, et plus précisément la section allemande. Cette dernière, forte de son prestige, tant par l’affirmation de l’idéologie de Karl Marx et Friedrich Engels que par sa très grand puissance sur le plan de l’organisation, joua un rôle décisif pour littéralement forcer les Français à cesser leurs divisions.

    Karl Marx

    Encore faut-il noter que cela ne fut pas suffisant. Non seulement des socialistes dits « indépendants » subsistèrent à l’écart, notamment sur le plan électoral, mais même à l’intérieur du Parti unifié, les regroupements se maintenaient et s’affrontaient.

    Pire encore, le fait que ces regroupements ne soient pas formalisés amena de véritable conflits internes, à tous les niveaux. Une majorité et des minorités se combattaient au sein des sections, au sein des Fédérations, au sein du Parti lui-même, et ce fut d’autant plus puissant que le Parti Socialiste SFIO conserva toujours une structure entièrement fédérale.

    Le Parti ne disposait d’une unité qu’en apparence, que de manière formelle. Et cela ne fut pas le seul souci fondamental du Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière. En effet, celui-ci émerge au moment où la République s’affirme de manière moderne, porté par des « radicaux » se positionnant au centre et se voulant clairement anti-conservateurs. Cela se déroule parallèlement à un grand élan capitaliste, connu sous le nom de Belle Époque.

    Une partie significative des socialistes du Parti unifié était attirée par cette dynamique, au nom de la perspective d’une « république sociale ». A l’arrière-plan, il y a ici l’influence prépondérante de la franc-maçonnerie, qui phagocyte littéralement tous les aspects intellectuels au sein du Parti même.

    Pour ajouter à la complexité, l’anarchisme exerçait également une influence puissante. La majorité du Parti était tout à fait d’accord avec la ligne selon laquelle le syndicat se développant parallèlement, la Confédération générale du travail, devait rester totalement indépendante du Parti. Ce dernier était considéré comme devant s’occuper des élections, les travailleurs devant à l’opposé préparer la société future en s’organisant de manière syndicale.

    Sigle de la CGT adopté en 1904

    Or, tant le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière que la Confédération générale du travail étaient tout à fait minoritaires. Leur optimisme particulièrement volontariste ne s’appuyait sur rien de conséquent, malgré les rodomontades systématiques comme quoi la France était à la pointe du mouvement ouvrier mondial.

    Cela se lira de manière pratique avec l’effondrement en 1914. Cet effondrement n’est pas simplement idéologique : en pratique, ni le PS – SFIO ni la CGT n’avaient de base cohérente. Il y aurait dû y avoir un refus de la guerre au moins pour des raisons culturelles, par antimilitarisme, mais on avait affaire ici à un idéalisme collectiviste.

    Et cet idéalisme forçait, par définition, la réalité. Le vrai fond du problème est que, avec la guerre faisant irruption, le PS – SFIO et la CGT ont été obligés de constater la vanité de leurs conceptions de minorités agissantes.

    Ni l’un ni l’autre n’avaient de prise sur le réel, de présence authentique dans la société française toute entière. Il s’agissait de phénomènes non pas marginaux, mais en tout cas sans poids réel sur l’évolution des choses.

    Cela ne pouvait amener qu’au seul choix restant : celui de l’accompagnement. D’ailleurs, la trajectoire des socialistes après 1918 resta un simple accompagnement.

    La majorité accompagna la révolution russe, sans en comprendre les tenants et aboutissants, la minorité accompagna la république, les cadres opportunistes accompagnèrent les hautes instances institutionnelles du capitalisme et de l’Etat, d’autres encore accompagnèrent la montée du fascisme et le régime de Pétain.

    Le Parti Socialiste SFIO est un exemple de l’échec en raison de sa nature non social-démocrate ; c’est un cas d’école du collectivisme à la française, avec tous ses errements.

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  • L’expulsion du «groupe anti-parti» en URSS en 1957

    Le Comité Central du PCUS se réunit en session du 22 au 29 juin 1957, pour considérer la « question du groupe anti-parti de Malenkov, Kaganovitch et Molotov qui s’est formé au sein du Présidium du Comité Central du Parti ».

    Le bilan de la session est que le « groupe anti-parti » s’est formé à la suite du XXe congrès du PCUS pour en contrer les décisions, mais qu’en fait déjà auparavant ses membres cherchaient à s’opposer à la tendance s’affirmant, principalement la coexistence pacifique.

    Le bilan de la session explique que Georgi Malenkov, Lazare Kaganovitch et Vyatislav Molotov cherchaient à contrer la réorganisation de l’industrie et de l’agriculture, s’opposant ainsi à la croissance nécessaire. Mieux encore :

    « Les camarades Malenkov, Kaganovitch et Molotov s’opposaient de manière véhémente aux mesures prises par le Comité Central et l’ensemble du Parti pour éliminer les conséquences du culte du dirigeant individuel, pour éliminer les violations de la loi révolutionnaire qui se sont produites et pour créer des conditions ôtant le sol à cela. »

    Selon le bilan de la session, toute l’URSS soutiendrait le XXe congrès ; Malenkov, Kaganovitch et Molotov seraient restés « sourds à ce mouvement créatif des masses ».

    C’est principalement Vyatislav Molotov qui est visé, Lazare Kaganovitch étant considéré comme pratiquement équivalent dans son opposition, Georgi Malenkov étant moins impliqué mais engagé dans le même esprit :

    « Le camarade Molotov a formé des obstacles à la conclusion du traité d’État avec l’Autriche et à l’amélioration des relations avec cet État situé au centre de l’Europe. La conclusion du traité avec l’Autriche revêt une grande importance pour la réduction de la tension internationale générale. Il était également opposé à la normalisation des relations avec le Japon, alors que cette normalisation a joué un rôle important dans le relâchement des tensions internationales en Extrême-Orient.

    Il s’est opposé aux propositions fondamentales élaborées par le Parti sur la possibilité de prévenir les guerres dans les conditions actuelles, sur la possibilité de passer différemment au socialisme dans différents pays, sur la nécessité de renforcer les contacts entre le Parti communiste d’Union soviétique et les partis progressistes de pays étrangers.

    Le camarade Molotov s’est opposé à plusieurs reprises aux nouvelles mesures nécessaires du gouvernement soviétique en matière de défense de la paix et de sécurité des peuples. Il a notamment nié l’opportunité d’établir des contacts personnels entre les dirigeants de l’URSS et les hommes d’État d’autres pays, ce qui est essentiel pour parvenir à la compréhension mutuelle et améliorer les relations internationales.

    Sur nombre des questions ci-dessus, l’avis du camarade Molotov a été appuyé par le camarade Kaganovich et, dans un certain nombre de cas, par le camarade Malenkov (…).

    Ce qui sous-tend la position des camarades Malenkov, Kaganovich et Molotov – qui est en contradiction avec la ligne du parti – est le fait qu’ils étaient et sont toujours enchaînés par de vieilles notions et méthodes, qu’ils sont devenus séparés de la vie du parti et du pays et ne voient pas les nouvelles conditions, la nouvelle situation, qu’ils adoptent une attitude conservatrice et s’attachent obstinément à des formes et des méthodes de travail obsolètes qui ne correspondent plus aux intérêts du mouvement vers le communisme, rejetant ainsi ce qui est engendré par la vie et découle des intérêts du développement de la société soviétique, des intérêts de tout le camp socialiste (…).

    Tant dans les questions intérieures que dans les questions de politique étrangère, ils sont sectaires et dogmatiques et utilisent une approche scolastique et inerte du marxisme-léninisme.

    Ils ne réalisent pas que, dans les conditions actuelles, le marxisme-léninisme en action et la lutte pour le communisme se manifestent dans la mise en œuvre des décisions du XXe Congrès du Parti, dans la poursuite persistante de la politique de la coexistence pacifique, de la lutte pour l’amitié entre les peuples et la politique de consolidation de part en part du camp socialiste, dans la gestion industrielle améliorée, dans la lutte pour le progrès global de l’agriculture, pour l’abondance de produits alimentaires, pour la construction de logements à grande échelle, pour l’élargissement des pouvoirs des républiques fédérées, pour l’épanouissement des cultures nationales, pour le développement général de l’initiative des masses. »

    Toute l’argumentation profitait de la thèse de la nouvelle période censée avoir commencé en 1952. Le XXe congrès avait été la réalisation révisionniste des erreurs fondamentales du XIXe congrès de 1952.

    L’écrasement du « groupe anti-parti » marquait la fin de cette séquence.

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  • La tentative du «groupe anti-Parti» de renverser Nikita Khrouchtchev

    Le bloc autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, avec Nicolaï Boulganine comme principal soutien, ne comprenait pas le caractère erroné du XIXe congrès et par conséquent considérait qu’il fallait simplement mettre de côté une ligne erronée.

    Leur démarche fut pour cette raison entièrement machiavélique, sans proposition idéologique ni appel aux masses. L’organisation d’une réunion du Présidium du 18 juin 1957 fut ainsi choisi car les partisans de Nikita Khrouchtchev étaient loin pour beaucoup : Mikhail Souslov était en vacances depuis le 19 mai, Alexeï Kirichenko était à une session du Comité Central du Parti d’Ukraine, Maksim Sabourov (dont le positionnement était ambigu mais finalement anti-Khrouchtchev) avait une réunion du CEMA à Varsovie.

    Mikhail Souslov

    Du côté des candidats devant également être présents à la réunion, Frol Kozlov était à Leningrad pour le 250e anniversaire de la ville, Nuritdin Mukhitdinov devait a priori être en Ouzbékistan, Nicolaï Shvernik devait participer à des célébrations à Oufa.

    Nicolaï Boulganine et Nikita Khrouchtchev revinrent d’un séjour officiel en Finlande du 6 au 14 juin et à leur arrivée, Georgi Malenkov demanda la réunion du Présidium pour décider de qui participerait finalement aux célébrations à Leningrad le 22 juin. Il fut convenu du 18 juin.

    Dès le départ, le droit de présider la réunion fut dénié à Nikita Khrouchtchev, qui fut remplacé par Georgi Malenkov pour ce rôle et qui commença la dénonciation des activités, depuis 1955, menées par le secrétaire du Comité Central du PCUS.

    Vyatislav Molotov qualifia Nikita Khrouchtchev de « démagogue sans aucune base idéologique » ; l’accusation générale était qu’il avait « une approche purement pragmatique », qu’il cherchait « à placer l’économie au-dessus de la politique ».

    Nikita Khrouchtchev refusa cependant de démissionner de son poste et le bloc opposé à lui refusa d’employer la force.

    A l’enterrement de Staline : Nicolaï Boulganine, Nikita Khrouchtchev,
    ainsi que Lazare Kaganovitch et Anastas Mikoyan

    Les quelques heures de perdues permirent une mobilisation générale des partisans de Nikita Khrouchtchev au sein du Comité Central, qui se précipitèrent de tout le pays et même de l’étranger pour intervenir en sa faveur. La première chose qu’ils firent, pour gagner du temps, fut d’envoyer une pétition à la réunion du Présidium, exigeant que celui-ci lui passe la main.

    Le bloc des opposants chercha à louvoyer – en demandant la démission de Nikita Khrouchtchev comme préalable, etc. – mais il dut se rendre à l’évidence et plia face à l’initiative de tenir une session du Comité Central.

    Celle-ci ouvrit le 22 juin, avec 309 personnes en comptant les candidats. Elle dura huit jours.

    Il est frappant que le bloc des opposants, ayant limité son combat au Présidium, n’avait rien prévu pour la bataille du Comité Central – peut-être pensaient-ils que de toutes façons, elle était perdue d’avance puisque ses membres étaient nouveaux, liés à Nikita Khrouchtchev, etc.

    De toutes manières, le bloc lui-même se délita immédiatement, l’opportunisme gagnant la plupart. Au final, il resta au centre de la problématique seulement Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, ainsi que Georgi Malenkov, puis finalement Vyatislav Molotov seulement.

    Il fut le seul membre du Comité Central à ne pas voter, le 29 juin, sa propre exclusion de cet organisme, ainsi que celle de Lazare Kaganovitch, Georgi Malenkov et Dimitrii Shepilov. Kliment Vorochilov et Nicolaï Boulganine restèrent par contre membres du Présidium, avec un blâme non rendu public.

    Nicolaü Boulganine dut finalement faire face à l’offensive contre lui de Nikita Khrouchtchev en décembre 1958, tout comme Maksim Sabourov et Mikhail Pervukhine en février 1959, et finalement Kliment Vorochilov en octobre 1961.

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  • Le vacillement de la position de Nikita Khrouchtchev à la suite du XXe congrès du PCUS

    Le grand remue-ménage dans les pays de l’Est européen et une opposition diffuse en URSS même affaiblissait grandement la position de Nikita Khrouchtchev. Lorsque ce dernier alla avec Anastas Mikoyan rendre visite en Pologne à Władysław Gomułka, en octobre 1956, il fut accompagné de Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, ce qui est un gage très clair aux forces opposées à lui.

    Georgi Malenkov se rendit quant à lui à Budapest en janvier 1957 avec Nikita Khrouchtchev pour une réunion des dirigeants de l’Europe de l’Est et de l’URSS.

    Et précisément durant cette période – d’octobre 1956 au tout début de l’année 1957 – les rumeurs allèrent bon train en URSS et dans les pays de l’Est comme quoi Nikita Khrouchtchev allait être remplacé.

    Georgi Malenkov

    Il apparut toutefois clairement qu’à partir de février 1957, il a regagné ses positions acquises, comme en témoignaient les apparitions publiques nombreuses et les différents programmes de l’économie soviétique auxquels il se voyait associé.

    La clef fut la session du Comité Central de décembre 1956. Deux tendances y apparurent : celle considérant qu’il fallait en revenir au réalisme et arrêter d’imaginer un tempo incroyable amenant au dépassement du niveau américain à court terme, et celle s’appuyant sur le Parti et l’armée considérant qu’il y avait une incapacité ou une obstruction des hauts cadres de l’industrie.

    Le résultat fut une alliance temporaire des deux : d’un côté il fut officiellement affirmé que l’administration de l’économie allait réétudier le plan quinquennal pour éventuellement le réviser (à la baisse), de l’autre de manière non officielle il fut décidé d’étudier les problèmes internes d’organisation de l’administration de l’économie.

    Une photo d’avant 1953, avec :
    Georgi Malenkov, Lavrenti Beria, Nikita Khrouchtchev, Staline

    Début février 1957, Mikhail Pervukhine présenta ainsi le plan pour l’année en cours, qui prévoyait 7,7 % de croissance et non plus 10,8 %. Parallèlement, il fut décidé de procéder à une coordination accrue entre les régions et par conséquent une décentralisation significative de la planification ; cela fut validé par le Plénum de la mi-février.

    Cela signifie que Nikita Khrouchtchev avait réussi à neutraliser l’appareil économique au prix d’un compromis sur l’intensité de la production, tout en réussissant à briser en particulier l’appareil de planification, sous prétexte de la moderniser dans le cadre de « l’édification du communisme ». Cette tendance allait massivement se renforcer par la suite, avec la mise en concurrence des entreprises encadrées désormais par un nouveau type de « plan ».

    Tout cela fut considéré comme allant trop loin par des forces parfois ayant épaulé Nikita Khrouchtchev jusque-là. Un front se forma par conséquent autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch, épaulés de Nicolaï Boulganine, Kliment Vorochilov, ainsi que de Dimitrii Shepilov, lui-même trouvant trop risqué la ligne de Nikita Khrouchtchev qu’il avait appuyé pourtant de bout en bout.

    Dimitrii Shepilov, en 1955

    L’objectif de ce bloc ne fut pas de lancer une bataille idéologique dans le Parti, mais de simplement conquérir la majorité au Présidium, afin de démettre Nikita Khrouchtchev. On voit ici que sur le plan des mentalités et de la conscience, on reste totalement bloqué à l’horizon établi par le XIXe congrès et que la question de la sécurité d’État est considérée comme réglée.

    En pratique, tout le monde a accepté la thèse de 1952 comme quoi l’URSS rentrait dans une étape entièrement nouvelle et part de cette base. La construction du socialisme était terminée, et donc le rôle de Staline également ; il s’agissait simplement de gérer au mieux les forces productives. Aucun opposant à Nikita Khrouchtchev ne sort de ce cadre conceptuel après la liquidation de l’appareil de sécurité d’État.

    Le bloc autour de Georgi Malenkov, Vyatislav Molotov et Lazare Kaganovitch s’imaginait donc qu’il allait procéder à une correction du cours – peut-être à une rectification, il n’y a aucune clarté à ce sujet. Mais dans tous les cas, il ne considérait pas que l’ensemble du processus en cours était contre-révolutionnaire au sens strict.

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  • La publication du «rapport secret» de Nikita Khrouchtchev et son impact

    Si le « rapport secret » ne fut pas publié en URSS avant 1989 et si son existence même était un non-dit, le document parvint dans les pays capitalistes qui s’empressèrent de le publier dans son intégralité.

    Cela fut fait par le New York Times le 5 juin 1956, Le Monde le 6 juin 1956 et dans la version dominical du Guardian, appelé The Observer, le 10 juin 1956.

    C’est la CIA qui obtint le document par l’intermédiaire des services secrets israéliens, qui eux-mêmes l’avaient obtenu par un journaliste polonais juif tombé dessus par hasard en rendant visite à sa petite amie travaillant comme apprentie secrétaire pour le premier secrétaire du Parti en Pologne.

    Il est toutefois tout à fait possible qu’il s’agisse d’une légende et que le document fut fait passer exprès à l’Ouest à l’initiative de Nikita Khrouchtchev et de ses partisans.

    Page de garde d’une version française et d’une version polonaise éditée à Paris (en 1956)
    du pseudo rapport secret

    La publication indirecte d’un tel document déboussola en tout cas totalement le Mouvement Communiste International. Le Parti Communiste italien, par la voix de Palmiro Togliatti en fut immédiatement satisfait tout en exprimant ouvertement le regret qu’il n’aille pas plus loin quant à la lutte contre une dégénérescence de l’URSS, ce que la résolution du PCUS sur « Le dépassement du culte de la personnalité et ses conséquences » trouve d’ailleurs dommageable.

    Le Parti Communiste Français, dont Maurice Thorez, Jacques Duclos et Pierre Doize étaient à Moscou pour le XXe congrès, était bien plus réticent. Il accompagne finalement le processus, mais avec prudence.

    La Chine populaire soutint le mouvement initialement, mais les dissensions en son sein s’exprimèrent et la grande bataille anti-révisionniste commença.

    Mais, surtout, le « rapport secret » eut un impact dévastateur dans les pays de l’Est européen, nés du principe de démocratie populaire formulée justement à l’époque de Staline.

    En République Démocratique Allemande, il scella le tournant révisionniste déjà entamé. Dès le 4 mars, le dirigeant du SED Walter Ulbricht expliqua dans Neues Deutschland, l’organe du Parti, que :

    « On ne peut pas compter Staline parmi les classiques du marxisme. »

    Tout comme le Tchécoslovaque Klement Gottwald revint gravement malade de l’enterrement de Joseph Staline, le dirigeant du Parti polonais Bolesław Bierut tomba malade à la fin du XXe congrès et décéda. Dans les deux cas, la thèse de l’assassinat ne laissa guère de doutes. Le successeur de Bolesław Bierut, Edward Ochab, dut faire face à une révolte immédiate en liaison avec une hausse des prix décidée ; la répression qu’il décida fit 90 morts et 900 blessés.

    Pour cette raison, c’esdt Władysław Gomułka, autrefois emprisonné pour sa ligne contre-révolutionnaire, qui fut mis à la tête du Parti le 21 octobre 1956. Il prôna une « voie polonaise au socialisme » et obtint le départ des nombreux officiers soviétiques chapeautant l’armée polonaise et même le poste de ministre de la défense, avec le maréchal Constantin Rokossowki (d’origine polonaise).

    L’écho fut immédiat en Hongrie : dès le 23 octobre, des milliers d’étudiants détruisirent à Budapest un monument en l’honneur de Staline. Les chars soviétiques arrivèrent dans la ville dès le lendemain, mais la situation se calma relativement avec l’arrivée au pouvoir du réformiste Imre Nagy, qui obtint le départ des chars le 30 octobre.

    Cela jeta de l’huile sur le feu et les opposants commencèrent une chasse aux communistes dans Budapest. Lorsque Imre Nagy parla de quitter le pacte de Varsovie, les chars soviétiques revinrent et écrasèrent l’insurrection du 4 au 15 novembre 1956, faisant 5 000 morts et 60 000 prisonniers.

    La révolte anticommuniste de Budapest en 1956

    L’initiative de Nikita Khrouchtchev bouleversait réellement la situation et apparaissait comme un coup de tonnerre dans un ciel serein – même si ses fondements étaient en réalité profondément enracinés à partir de la grande polémique lancée par Eugen Varga dans l’URSS de l’immédiate après-guerre.

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