Staline : Discours prononcé à la première conférence des stakhanovistes de l’URSS

Le 17 novembre 1935.

1. LA PORTEE DU MOUVEMENT STAKHANOVISTE

Camarades, on a tant et si bien parlé des stakhanovistes, ici, à cette conférence, qu’il ne me reste en somme que peu de choses à dire. Mais du moment qu’on m’a appelé à la tribune, il me faudra tout de même dire quelques mots.

On ne saurait considérer le mouvement stakhanoviste comme un mouvement ordinaire des ouvriers et des ouvrières. Le mouvement stakhanoviste, c’est un mouvement des ouvriers et des ouvrières qui inscrira dans l’histoire de notre édification socialiste une de ses pages les plus glorieuses.

Quelle est la portée du mouvement stakhanoviste ? C’est d’abord qu’il exprime un nouvel essor de l’émulation socialiste, une étape nouvelle, supérieure, de l’émulation socialiste. Pourquoi nouvelle, pourquoi supérieure ?

Parce que le mouvement stakhanoviste, lui, se distingue avantageusement, comme expression de l’émulation socialiste, de l’ancienne (étape de cette émulation. Précédemment, il y a quelque trois ans, pendant la première étape de l’émulation socialiste, celle-ci n’était pas nécessairement liée à la technique nouvelle. D’ailleurs, à ce moment, nous n’avions presque pas, à proprement parler, de technique nouvelle.

Tandis que l’étape actuelle de l’émulation socialiste, le mouvement stakhanoviste est, au contraire, nécessairement lié à la technique moderne. Le mouvement stakhanoviste ne serait pas concevable sans la technique nouvelle, supérieure.

Voici devant vous des gens tels que les camarades Stakhanov, Boussyguine, Smétanine, Krivonos, Pronine, les Vinogradova et beaucoup d’autres, des gens nouveaux, ouvriers et ouvrières, qui se sont rendus entièrement maîtres de la technique de leur métier, qui l’ont domptée et poussée en avant. Ces genslà, nous n’en avions pas ou presque pas, il y a quelque trois ans. Ce sont des hommes nouveaux d’une espèce particulière. Ensuite. Le mouvement stakhanoviste est un mouvement des ouvriers et des ouvrières qui s’assigne pour but de dépasser les normes techniques actuelles, de dépasser les capacités de rendement prévues, de dépasser les plans de production et balances existants. Dépasser — parce que ces normes-là sont, elles, déjà vieillies pour notre temps, pour nos hommes nouveaux.

Ce mouvement renverse l’ancienne façon de concevoir la technique, il renverse les anciennes normes techniques, les anciennes capacités de rendement prévues, les anciens plans de production, et il réclame des normes techniques, des capacités de rendement, des plans de production nouveaux, plus élevés. Il est appelé à faire une révolution dans notre industrie.

C’est bien pour cela que le mouvement stakhanoviste est profondément révolutionnaire en son essence. On a déjà dit ici que le mouvement stakhanoviste, comme expression de normes techniques nouvelles, plus élevées, était un exemple de la haute productivité du travail que seul peut donner le socialisme et que ne saurait donner le capitalisme.

Cela est parfaitement exact. Pourquoi le capitalisme a-t-il battu et vaincu le féodalisme ?

Parce qu’il a créé des normes de productivité du travail plus élevées, parce qu’il a donné à la société la possibilité de recevoir infiniment plus de produits qu’elle n’en recevait en régime féodal. Parce qu’il a fait la société plus riche. Pourquoi le socialisme peut-il, doit-il vaincre et vaincra-t-il nécessairement le système d’économie capitaliste ?

Parce qu’il peut fournir des exemples de travail supérieurs, un rendement plus élevé que le système d’économie capitaliste. Parce qu’il peut donner à la société plus de produits et rendre la société plus riche que ne le peut faire le système capitaliste d’économie. D’aucuns pensent que l’on peut consolider le socialisme par une certaine égalisation matérielle des hommes, sur la base d’une vie médiocre. C’est faux.

C’est une conception petite-bourgeoise du socialisme. En réalité, le socialisme ne peut vaincre que sur la base d’une haute productivité du travail, plus élevée que sous le capitalisme, sur la base d’une abondance de produits et d’objets de consommation de toute sorte, sur la base d’une vie aisée et cultivée pour tous les membres de la société.

Mais pour que le socialisme puisse atteindre ce but et faire de notre société soviétique la société la plus aisée, il faut que le pays ait une productivité du travail supérieure à celle des pays capitalistes avancés. Sinon, inutile de songer à l’abondance de produits et d’objets de consommation de toute sorte.

La portée du mouvement stakhanoviste, c’est qu’il renverse les anciennes normes techniques comme étant insuffisantes, dépasse en maintes occasions la productivité du travail des pays capitalistes avancés, et ouvre ainsi la possibilité pratique d’un renforcement sans cesse poursuivi du socialisme dans notre pays, la possibilité de faire de notre pays le pays le plus aisé.

Mais là ne se borne pas la portée du mouvement stakhanoviste. Sa portée, c’est encore qu’il prépare les conditions nécessaires pour passer du socialisme au communisme.

Le principe du socialisme est que dans la société socialiste chacun travaille selon ses capacités et reçoit les objets de consommation, non pas selon ses besoins, mais selon le travail qu’il a fourni à la société.

Cela veut dire que le niveau technique et culturel de la classe ouvrière reste peu élevé, que l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel subsiste, que la productivité du travail n’est pas encore assez élevée pour assurer l’abondance des objets de consommation — ce qui fait que la société est obligée de les répartir non pas suivant les besoins des membres de la société, mais suivant le travail qu’ils ont fourni à la société.

Le communisme est un degré de développement supérieur. Le principe du communisme est que dans la société communiste chacun travaille selon ses capacités et reçoit les objets de consommation, non pas selon le travail qu’il a fourni, mais selon ses besoins d’homme cultivé.

Cela veut dire que le niveau technique et culturel de la classe ouvrière est alors assez élevé pour saper les bases de l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; que le contraste entre le travail intellectuel et le travail manuel a déjà disparu, et que la productivité du travail atteint un si haut degré, qu’elle peut assurer une pleine abondance des objets de consommation. Ce qui fait que la société a la possibilité de répartir ces objets selon les besoins de ses membres.

D’aucuns pensent que l’on peut arriver à supprimer l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel par une certaine égalisation culturelle et technique entre travailleurs intellectuels et manuels, en abaissant le niveau culturel et technique des ingénieurs et techniciens, des travailleurs intellectuels, jusqu’au niveau des ouvriers de qualification moyenne.

C’est absolument faux. Seuls des bavards petits-bourgeois peuvent se faire une telle idée du communisme.

En réalité, on ne peut arriver à supprimer l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel qu’en élevant le niveau culturel et technique de la classe ouvrière jusqu’à celui des ingénieurs et techniciens. Il serait ridicule de penser que cette élévation est irréalisable. Elle est parfaitement réalisable dans les conditions du régime soviétique, où les forces productives du pays sont libérées des chaînes du capitalisme, où le travail est libéré du joug de l’exploitation, où lia classe ouvrière est au pouvoir et où la jeune génération ouvrière a toutes possibilités de recevoir une instruction technique suffisante.

Il est hors de doute que seul cet essor culturel et technique de la classe ouvrière peut saper les bases de l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; que lui seul peut assurer la haute productivité du travail et l’abondance des objets de consommation, nécessaires pour commencer à passer du socialisme au communisme.

A cet égard, le mouvement stakhanoviste a ceci de remarquable qu’il contient les premiers germes, encore faibles il est vrai, mais germes cependant, précisément de cet essor culturel et technique de la classe ouvrière de notre pays.

En effet, observez de plus près les camarades stakhanovistes. Que sont ces gens ? Ce sont surtout des ouvriers et des ouvrières, jeunes ou d’âge moyen, des gens développés, ferrés sur la technique, qui donnent l’exemple de la précision et de l’attention au travail, qui savent apprécier le facteur temps dans le travail et qui ont appris à compter non seulement par minutes, mais par secondes. La plupart d’entre eux ont passé ce qu’on appelle le minimum technique, et continuent de compléter leur instruction technique.

Ils sont exempts du conservatisme et de la routine de certains ingénieurs, techniciens et dirigeants d’entreprise ; ils vont hardiment de l’avant, renversent les normes techniques vieillies et en créent de nouvelles, plus élevées ; ils apportent des rectifications aux capacités de rendement prévues et aux plans économiques établis par les dirigeants de notre industrie ; ils complètent et corrigent constamment les ingénieurs et techniciens ; souvent, ils leur en remontrent et les poussent en avant, car ce sont des hommes qui se sont rendus pleinement maîtres de la technique de leur métier et qui savent tirer de la technique le maximum de ce qu’on en peut tirer.

Les stakhanovistes sont encore peu nombreux aujourd’hui, mais qui peut douter que demain leur nombre ne soit décuplé ?

N’est-il pas clair que les stakhanovistes sont des novateurs dans notre industrie ; que le mouvement stakhanoviste représente l’avenir de notre industrie ; qu’il contient en germe le futur essor technique et culturel de la classe ouvrière ; qu’il ouvre devant nous la voie qui seule nous permettra d’obtenir les indices plus élevés de la productivité du travail, indices nécessaires pour passer du socialisme au communisme et supprimer l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ?

Telle est, camarades, la portée du mouvement stakhanoviste dans notre édification du socialisme.

Stakhanov et Boussyguine songeaient-ils à cette grande portée du mouvement stakhanoviste, lorsqu’ils entreprirent de renverser les anciennes normes techniques ?

Assurément non.

Ils avaient leurs préoccupations à eux — ils travaillaient à combler la brèche ouverte dans la production de leur entreprise et à dépasser le plan économique.
Mais s’attachant à ce but, il leur a fallu renverser les anciennes normes techniques et développer une haute productivité du travail supérieure à celle des pays capitalistes avancés.

Il serait toutefois ridicule de croire que cette circonstance pût diminuer en quoi que ce soit la grande portée historique du mouvement stakhanoviste.

On peut en dire autant des ouvriers qui, pour la première fois, avaient organisé dans notre pays les Soviets de députés ouvriers en 1905. Ils ne pensaient pas, évidemment, que les Soviets serviraient de base au régime socialiste.

En créant les Soviets de députés ouvriers, ils ne faisaient que se défendre contre le tsarisme, contre la bourgeoisie.

Mais cela ne contredit nullement ce fait indubitable que le mouvement pour les Soviets des députés ouvriers, commencé en 1905 par les ouvriers de Leningrad et de Moscou, a abouti finalement à l’écrasement du capitalisme et à la victoire du socialisme sur un sixième du globe.

2. LES RACINES DU MOUVEMENT STAKHANOVISTE

Nous nous trouvons actuellement au berceau du mouvement stakhanoviste, à ses sources premières.

Il serait bon de marquer certains traits caractéristiques du mouvement stakhanoviste.

Ce qui saute aux yeux tout d’abord, c’est que ce mouvement a commencé, pour ainsi dire, de soi-même, presque spontanément, par en bas, sans qu’aucune pression ait été exercée par l’administration de nos entreprises. Bien plus.

Ce mouvement est né et s’est développé, dans une certaine mesure, contre la volonté de l’administration de nos entreprises, voire dans une lutte contre elle.

Le camarade Molotov vous a déjà dit les tourments qu’a dû subir le camarade Moussinski, scieur de bois à Arkhangelsk, lorsque, en cachette de son organisation économique, en cachette des contrôleurs, il établissait des normes techniques nouvelles, plus élevées.

Le sort de Stakhanov lui-même n’était pas meilleur, puisqu’il eut à se défendre, dans sa marche en avant, non seulement contre certains représentants de l’administration, mais aussi contre certains ouvriers qui le raillaient et le traquaient pour ses « innovations. » En ce qui concerne Boussyguine, on sait qu’il a failli payer ses « innovations » de son emploi à l’usine, et que seule l’intervention du chef d’atelier, le camarade Sokolinski, lui permit de rester à l’entreprise.

Comme vous voyez, si même l’administration de nos entreprises a réagi, cette réaction n’allait pas au-devant, mais à rencontre du mouvement stakhanoviste. Ainsi le mouvement stakhanoviste est né et s’est développé comme un mouvement venu d’en bas.

Et précisément parce qu’il est né de lui-même, précisément parce qu’il vient d’en bas, il est le mouvement le plus viable et le plus irrésistible de notre temps. Il faut ensuite nous arrêter sur un autre trait caractéristique du mouvement stakhanoviste.

Ce trait caractéristique est que le mouvement stakhanoviste a gagné toute l’Union, non pas graduellement, mais avec une rapidité inouïe, tel un ouragan. Par quoi les choses ont-elles commencé ?

Stakhanov a élevé la norme technique de l’extraction de charbon de cinq ou six fois, si ce n’est plus. Boussyguine et Smétanine en ont fait autant l’un dans les constructions mécaniques, l’autre dans l’industrie de la chaussure. Les journaux annoncèrent ces faits. Et soudain la flamme du mouvement stakhanoviste embrasa le pays tout entier.

A quoi cela tenait-il ? D’où venait cette vitesse de propagation du mouvement stakhanoviste ? Stakhanov et Boussyguine seraient-ils de grands organisateurs pourvus de vastes liaisons dans les différentes régions de l’U.R.S.S., et auraient-ils eux-mêmes organisé la chose ?

Non, évidemment non. Stakhanov et Boussyguine auraient-ils la prétention d’être de grands personnages de notre pays et auraient-ils eux-mêmes propagé les étincelles du mouvement stakhanoviste à travers le pays ?

C’est également faux. Vous avez vu ici Stakhanov et Boussyguine. Ils ont pris la parole à cette Conférence. Ce sont des gens simples et modestes, sans la moindre prétention aux lauriers de personnages connus de toute l’Union soviétique. Il me semble même qu’ils sont un peu surpris par l’ampleur du mouvement qui s’est développé chez nous au-delà même de leurs espérances.

Et si toutefois l’étincelle jetée par Stakhanov et Boussyguine a suffi pour faire jaillir la flamme, c’est que le mouvement stakhanoviste est arrivé à pleine maturité. Seul un mouvement venu à point, et qui attend une impulsion pour se manifester librement, seul un tel mouvement pouvait se propager si vite et faire boule de neige.

Comment expliquer que le mouvement stakhanoviste ait surgi comme une chose parfaitement au point ? Quelles sont les raisons de sa rapide propagation ? Quelles sont les racines du mouvement stakhanoviste ? Ces raisons, oh en compte quatre au moins.

1. Ce qui a été à la base du mouvement stakhanoviste, c’est d’abord l’amélioration radicale de la situation matérielle des ouvriers. La vie maintenant est meilleure, camarades. La vie est devenue plus joyeuse. Et quand on a de la joie à vivre, le travail va bon train. D’où les normes de rendement élevées.

D’où les héros et héroïnes du travail. Là se trouve avant tout la racine du mouvement stakhanoviste. S’il y avait la crise chez nous, s’il y avait le chômage, ce fléau de la classe ouvrière, si nous vivions mal, sans beauté, sans joie, nous n’aurions point de mouvement stakhanoviste. (Applaudissements.) Notre révolution prolétarienne est la seule révolution du monde à laquelle il ait été donné de montrer au peuple non seulement ses résultats politiques, mais aussi ses résultats matériels.

De toutes les révolutions ouvrières, nous n’en connaissons qu’une qui soit parvenue, tant bien que mal, au pouvoir. C’est la Commune de Paris. Mais elle n’a pas vécu longtemps. Elle tenta, il est vrai, de rompre les chaînes du capitalisme, mais elle n’eut pas le temps de le faire ; encore moins eut-elle le temps de montrer au peuple les bienfaits matériels de la révolution.

Notre révolution est la seule qui ait non seulement rompu les chaînes du capitalisme et donné au peuple la liberté, mais qui, en outre, ait pu lui donner les conditions matérielles d’une vie aisée. C’est ce qui fait la force de notre révolution, c’est ce qui la rend invincible.

Evidemment, il est bon de chasser les capitalistes, de chasser les grands propriétaires fonciers, de chasser les sicaires tsaristes, de prendre le pouvoir et de recevoir la liberté. Cela est fort bien.

Mais, malheureusement, la liberté seule est loin de suffire. Si l’on manque de pain, de beurre et de graisse, si l’on manque de tissus, si les habitations sont mauvaises, on n’ira pas loin avec la seule liberté. Il est très difficile, camarades, de vivre rien que de liberté. (Approbations, applaudissements.) Pour que la vie soit bonne et joyeuse, il faut que les bienfaits de la liberté politique soient complétés par les bienfaits matériels.

Le trait caractéristique de notre révolution est qu’elle a donné au peuple non seulement la liberté, mais aussi les bienfaits matériels, mais aussi la possibilité d’une vie aisée et cultivée. Voilà pourquoi maintenant nous avons de la joie à vivre, et voilà sur quel terrain a poussé le mouvement stakhanoviste.

2. La deuxième source du mouvement stakhanoviste, c’est que l’exploitation n’existe pas chez nous. Chez nous les gens ne travaillent pas pour les exploiteurs, pour enrichir les parasites, mais pour eux-mêmes, pour leur classe, pour leur société à eux, la société soviétique, où l’élite de la classe ouvrière est au pouvoir. Et c’est pourquoi le travail chez nous a une portée sociale — il est une affaire de dignité et de gloire.

En régime capitaliste, le travail revêt un caractère privé, personnel. Si tu as produit davantage, reçois davantage et vis comme tu l’entends. Personne ne te connaît et ne veut te connaître. Tu travailles pour les capitalistes, tu les enrichis ?

Mais peut-il en être autrement ? Si on t’a embauché, c’est justement pour que tu enrichisses les exploiteurs. Tu n’es pas d’accord ? — va-t’en rejoindre les chômeurs et reste à végéter comme bon te semble — nous en trouverons d’autres, plus accommodants.

Et c’est pour cela précisément que le travail des hommes n’est pas haut coté en régime capitaliste. On conçoit que dans ces conditions il ne puisse y avoir place pour un mouvement stakhanoviste. Il en va tout autrement en régime soviétique.

Ici, l’homme qui travaille est à l’honneur. Il ne travaille pas pour les exploiteurs, mais pour lui-même, pour sa classe, pour la société. Ici, l’homme qui travaille ne se sent pas abandonné et solitaire.

Au contraire, l’homme qui travaille se sent chez nous citoyen libre de son pays, un homme public en son genre. S’il travaille bien et donne à la société ce qu’il peut donner, c’est un héros du travail, il est environné de gloire. Il est évident que c’est seulement dans ces conditions que le mouvement stakhanoviste a pu naître.

3. La troisième source du mouvement stakhanoviste, c’est que nous possédons une technique nouvelle. Le mouvement stakhanoviste est organiquement lié à la nouvelle technique. Sans elle, sans les nouvelles usines et fabriques, sans l’outillage moderne, le mouvement stakhanoviste n’aurait pu naître chez nous. Sans technique nouvelle, on peut augmenter les normes techniques d’une ou deux fois, pas plus.

Si les stakhanovistes les ont quintuplées et sextuplées, c’est qu’ils s’appuient entièrement et sans réserve sur la technique nouvelle.

Il s’ensuit donc que l’industrialisation de notre pays, la reconstruction de nos usines et fabriques, l’existence d’une technique et d’un outillage modernes, ont été une des raisons qui ont engendré le mouvement stakhanoviste.

4. Mais on n’ira pas loin avec la seule technique moderne. On peut avoir une technique, des usines et des fabriques de premier ordre, mais s’il n’y a point d’hommes capables de maîtriser cette technique, la technique restera pour vous la technique tout court. Pour que la technique moderne puisse donner des résultats, il faut encore avoir des hommes, des cadres d’ouvriers et d’ouvrières capables de se placer à la tête de la technique et de la pousser en avant.

L’éclosion et la croissance du mouvement stakhanoviste signifient que ces cadres sont déjà nés chez nous parmi les ouvriers et les ouvrières. Il y a quelque deux ans, le Parti disait qu’en construisant de nouvelles usines et fabriques et en donnant à nos entreprises un outillage moderne, nous n’avions fait que la moitié de la tâche.

Le Parti a proclamé alors que l’enthousiasme que nous mettions à construire de nouvelles usines devait être complété par l’enthousiasme à en assimiler le fonctionnement, qu’ainsi seulement l’on pouvait mener les choses à bonne fin. Il est évident que, durant ces deux années, se sont poursuivi l’assimilation de cette nouvelle technique et la formation de nouveaux cadres. Il est clair maintenant que ces cadres existent déjà chez nous.

On conçoit que sans ces cadres, sans ces hommes nouveaux, nous n’aurions point de mouvement stakhanoviste. Ainsi les gens nouveaux parmi les ouvriers et les ouvrières, qui se sont rendus maîtres de la technique moderne ont été cette force qui a cristallisé et poussé en avant le mouvement stakhanoviste. Telles sont les conditions qui ont engendré et poussé en avant le mouvement stakhanoviste.

3. HOMMES NOUVEAUX,
NORMES TECHNIQUES NOUVELLES

J’ai dit que le mouvement stakhanoviste ne s’était pas développé par degrés, mais qu’il avait été comme une explosion rompant une digue. Il est évident qu’il lui a fallu vaincre des obstacles. Celui-ci le gênait, celui-là le comprimait, mais voilà que, ayant accumulé des forces, le mouvement stakhanoviste a renversé ces barrières et déferlé sur le pays.

Qu’est-ce à dire ? Qui donc gênait, à proprement parler ? C’étaient les vieilles normes techniques et les hommes qui se trouvaient derrière elles. Il y a quelques années, nos ingénieurs, nos techniciens et nos dirigeants d’entreprises avaient établi des normes de travail en rapport avec le retard technique de nos ouvriers et ouvrières.

Quelques années ont passé depuis. Pendant ce temps, les gens ont grandi et se sont formés techniquement. Cependant que les normes techniques restaient inchangées. On conçoit que maintenant elles aient vieilli pour nos hommes nouveaux. Aujourd’hui tout le monde s’en prend aux normes techniques en vigueur. Mais elles ne sont tout de même pas tombées du ciel.

Et la question n’est pas du tout dans le fait que ces normes techniques ont été établies en leur temps comme normes réduites. La question est avant tout que, maintenant, ces normes ayant déjà vieilli, l’on essaye de les défendre comme normes d’actualité. On se cramponne au retard technique de nos ouvriers et de nos ouvrières, on en fait état, on le prend pour point de départ, et l’on en arrive à jouer au retard technique.

Mais comment faire si cette infériorité tombe dans le domaine du passé ? Allons-nous vraiment nous incliner devant notre infériorité et en faire une icône, un fétiche ? Comment faire si les ouvriers, et les ouvrières ont déjà grandi et se sont formés techniquement ?

Comment faire si les vieilles normes techniques ne correspondent plus à la réalité, et que nos ouvriers et nos ouvrières les ont déjà pratiquement quintuplées, décuplées ? Avons-nous jamais juré fidélité à notre infériorité ? Il me semble qu’il n’en est rien, camarades. (Rire général.)

Sommes-nous partis de ce point de vue que nos ouvriers et nos ouvrières allaient rester, malgré tout, à jamais inférieurs ? Il semble bien que non. (Rire général.)

Mais alors ? Manquerions-nous de hardiesse pour briser le conservatisme de certains de nos ingénieurs et techniciens, pour briser les vieilles traditions et normes, pour donner carrière aux forces nouvelles de la classe ouvrière ?

On parle de science. On dit que les données de la science, les données des répertoires et recueils d’instructions techniques contredisent les exigences des stakhanovistes, quant aux normes techniques nouvelles plus élevées.

Mais de quelle science parle-t-on ? Les données de la science sont toujours vérifiées par la pratique, par l’expérience. Une science qui a rompu ses liens avec la pratique, avec l’expérience, n’est plus une science !

Si la science était comme la représentent certains de nos camarades conservateurs, il y a beau temps qu’elle serait morte pour l’humanité. La science s’appelle la science précisément parce qu’elle ne reconnaît pas les fétiches, parce qu’elle ne craint pas de porter la main sur les choses qui ont fait leur temps, qui sont vieilles ; parce qu’elle prête une oreille attentive à la voix de l’expérience, de la pratique.

S’il en était autrement, nous n’aurions pas de science du tout ; nous n’aurions pas, mettons, l’astronomie, et nous continuerons à nous accommoder du système désuet de Ptolémée ; nous n’aurions pas la biologie et nous nous en tiendrions encore à la légende de la création de l’homme ; nous n’aurions pas la chimie, et nous continuerions à nous accommoder des vaticinations des alchimistes.

Voilà pourquoi je pense que nos ingénieurs, nos techniciens et nos dirigeants d’entreprises qui se sont laissés passablement distancer par le mouvement stakhanoviste, feraient bien de ne plus se cramponner aux vieilles normes techniques et de réorganiser leur travail pour de bon, scientifiquement, sur un mode nouveau, stakhanoviste.

Fort bien, nous dira ton. Mais que faire avec les normes techniques en général ? Sont-elles nécessaires à l’industrie, ou peut-on se passer de toute norme ?

Les uns disent que nous n’avons plus besoin de normes techniques. C’est faux, camarades. Bien plus, c’est absurde. Sans les normes techniques, l’économie planifiée est impossible.

Les nommes techniques sont nécessaires encore pour amener les masses retardataires au niveau des masses avancées. Les normes techniques sont une grande force régulatrice, qui organise dans la production les grandes masses d’ouvriers autour des éléments avancés de la classe ouvrière.

Par conséquent, les normes techniques nous sont nécessaires, non pas celles qui existent aujourd’hui, mais des normes plus élevées.

D’autres disent que les normes techniques nous sont nécessaires, mais qu’il faut les élever dès maintenant au niveau des résultats obtenus par les Stakhanov, les Boussyguine, les Vinogradova et autres. Cela est également faux. Ces normes ne seraient pas réelles pour la période présente, parce que les ouvriers et les ouvrières, moins ferrés sur la technique que les Stakhanov et les Boussyguine, ne seraient pas en mesure d’exécuter ces normes.

Ce qu’il nous faut, ce sont des normes techniques qui tiendraient à peu près le milieu entre les normes actuelles et celles qui ont été établies par les Stakhanov et les Boussyguine. Prenons, par exemple, Maria Demtchenko, connue pour avoir récolté 500 quintaux de betteraves et plus à l’hectare. Peut-on faire de cette réalisation une norme de rendement pour toute la culture betteravière, par exemple de l’Ukraine ?

Non, assurément. Il est encore trop tôt pour en parler. Maria Demtchenko a obtenu 500 quintaux et plus à l’hectare, tandis que la récolte moyenne de betteraves en Ukraine, par exemple, s’élève cette année à 130132 quintaux à l’hectare.

La différence, vous le voyez, n’est pas mince. Peut-on donner une norme de rendement pour la betterave, de 400 ou de 300 quintaux ? Tous les connaisseurs en la matière soutiennent qu’on ne peut le faire pour l’instant. Apparemment, il faudra établir, pour l’année 1936, une norme de rendement à l’hectare, pour l’Ukraine, de 200 à 250 quintaux.

Et cette norme n’est pas petite, puisque, si elle était réalisée, elle pourrait nous donner deux fois plus de sucre qu’en 1935. Il faut en dire autant en ce qui concerne l’industrie. Stakhanov a dépassé la norme technique existante de dix fois, ou même plus.

Faire de cette réalisation une nouvelle norme technique pour tous ceux qui travaillent au marteau piqueur ne serait pas raisonnable. Apparemment, il faudra établir une norme tenant à peu près le milieu entre la norme technique existante et la norme réalisée par le camarade Stakhanov.

En tout cas, une chose est claire : les normes techniques actuelles ne correspondent plus à la réalité ; elles retardent, elles sont devenues un frein pour notre industrie. Or, pour ne pas freiner notre industrie, il faut les remplacer par des normes techniques nouvelles, plus élevées. Hommes nouveaux, temps nouveaux, normes techniques nouvelles.

4. LES TACHES IMMEDIATES

Quelles sont nos tâches immédiates du point de vue des intérêts du mouvement stakhanoviste ?

Pour ne pas distraire notre pensée, nous allons, si vous le voulez bien, ramener la question à deux tâches immédiates. Premièrement. Il s’agit d’aider les stakhanovistes à pousser plus loin leur mouvement, à l’étendre en largeur et en profondeur à toutes les régions de l’U.R.S.S.

Cela, d’une part. Et d’autre part, il faut maîtriser tous les éléments, parmi les dirigeants d’entreprise, les ingénieurs et les techniciens, qui se cramponnent obstinément aux choses anciennes, ne veulent pas aller de l’avant et freinent d’une façon systématique le développement du mouvement stakhanoviste.

Pour étendre résolument le mouvement stakhanoviste à tout le pays, il est évident que les stakhanovistes à eux seuls ne suffisent pas. Il faut que nos organisations du Parti viennent s’embrayer pour aider les stakhanovistes à mener à bien le mouvement. A cet égard l’organisation régionale du Donetz a fait preuve incontestablement d’une grande initiative.

Les organisations régionales de Moscou et de Leningrad font un bon travail dans ce sens. Et les autres régions ?

Apparemment elles en sont encore à « se mettre en train ». Par exemple, on n’entend pas parler ou fort peu de l’Oural, encore qu’il soit, comme on sait, un immense centre industriel. Il faut en dire autant de la Sibérie occidentale, du bassin de Kouznetsk, où, selon toute apparence, les gens ne se sont pas encore « mis en train. »

Au reste, il ne fait pas de doute que nos organisations du Parti se mettront à la tâche et aideront les stakhanovistes à vaincre les difficultés. En ce qui concerne l’autre côté de la question —maîtriser les conservateurs obstinés parmi les dirigeants d’entreprise, les ingénieurs et les techniciens, — la chose, ici, sera un peu plus compliquée.

Il nous faudra, en premier lieu, chercher à convaincre, à convaincre patiemment et en toute camaraderie, cas éléments conservateurs de l’industrie, du caractère progressif du mouvement stakhanoviste et de la nécessité qu’il y a à réorganiser leur travail selon le mode stakhanoviste.

Et si la persuasion n’y fait rien, force nous sera de prendre des mesures plus énergiques. Voyez, par exemple, le Commissariat du peuple des voies de communication.

L’appareil central de ce commissariat comptait, il n’y a pas longtemps, un groupe de professeurs, d’ingénieurs et autres connaisseurs en la matière — il y avait aussi des communistes parmi eux — qui soutenaient devant tout le monde que 13 à 14 kilomètres de vitesse commerciale à l’heure étaient une limite au-delà de laquelle on ne pouvait aller, à moins de se mettre en contradiction avec la « science de l’exploitation. »

C’était un groupe assez autorisé, qui propageait son point de vue oralement et par écrit ; il distribuait des instructions aux organismes intéressés du Commissariat du peuple des voies de communication et, d’une façon générale, était le « maître de la pensée » parmi le personnel d’exploitation. Nous qui ne sommes pas connaisseurs en la matière nous avons, en nous basant sur les propositions de nombreux praticiens des chemins de fer, soutenu à notre tour devant ces professeurs autorisés, que 13 à 14 kilomètres ne pouvaient être une limite ; que, la chose étant organisée d’une certaine manière, on pouvait reculer cette limite.

En réponse, ce groupe, au lieu d’écouter la voix de l’expérience et de la pratique et de réviser sa façon de voir, s’est jeté dans la lutte contre l’élément progressif des chemins de fer et a intensifié la propagande de ces conceptions conservatrices.

On conçoit qu’il nous ait fallu légèrement taper sur le bec de ces estimées personnes et les éconduire gentiment de l’appareil central du Commissariat du peuple des voies de communication. (Applaudissements.) Et qu’est-il advenu ? Nous avons aujourd’hui une vitesse commerciale de 18 à 19 kilomètres à l’heure. (Applaudissements.)

Il me semble, camarades, qu’à la rigueur, il nous faudra recourir à cette méthode aussi dans les autres domaines de notre économie nationale, si, bien entendu, les conservateurs obstinés ne cessent pais d’entraver le mouvement stakhanoviste, de lui jeter des bâtons dans les roues. Deuxièmement. Il s’agit d’aider à réorganiser leur travail et à se mettre à la tête du mouvement stakhanoviste, les dirigeants d’entreprise, les ingénieurs et techniciens qui ne veulent pas entraver le mouvement stakhanoviste, qui sympathisent à ce mouvement, mais qui n’ont pas encore su réorganiser le travail, ni se mettre à la tête du mouvement stakhanoviste.

Je dois dire, camarades, que ces dirigeants d’entreprise, ingénieurs et techniciens, ne sont pas peu nombreux chez mous. Et si nous venons en aide à ces camarades, ils seront certainement encore plus nombreux.

Je pense que si nous accomplissons ces tâches, le mouvement stakhanoviste se développera à fond, s’étendra à toutes les régions de notre pays et fera des prodiges de réalisations nouvelles.

5. DEUX MOTS

Quelques mots au sujet de la présente conférence et de sa portée. Lénine enseignait que seuls peuvent être de vrais dirigeants bolcheviks, ceux qui savent non seulement instruire les ouvriers et les paysans, mais aussi s’instruire auprès d’eux.

Ces paroles de Lénine n’ont pas été du goût de certains bolcheviks.

Mais l’histoire montre que là encore Lénine avait raison, à cent pour cent. En effet, des millions de travailleurs, d’ouvriers et de paysans travaillent, vivent et luttent. Qui peut douter que ces gens ne vivent pas en vain ; que, vivant et luttant, ils accumulent une riche expérience pratique ? Peut-on douter que les dirigeants qui dédaignent cette expérience ne puissent pas passer pour de vrais dirigeants ?

Ainsi donc, nous, les dirigeants du Parti et du gouvernement, devons non seulement instruire les ouvriers, mais nous instruire auprès d’eux. Que vous, membres de cette conférence, ayez appris quelque chose des dirigeants de notre gouvernement, ici, à cette conférence, je n’irai pas le nier.

Mais on ne peut nier non plus que nous, dirigeants du gouvernement, ayons appris bien des choses de vous, les stakhanovistes, membres de cette conférence. Eh bien, merci de vos leçons, camarades, grand merci ! (Vifs applaudissements.)

Enfin deux mots sur la façon dont il conviendrait de marquer la présente conférence. Après en avoir délibéré ici, au bureau, nous avons décidé qu’il serait bon de marquer cette conférence des (dirigeants du pouvoir avec les dirigeants du mouvement stakhanoviste. Et nous avons décidé de solliciter la plus haute récompense pour 100 à 120 d’entre vous.

Des voix. — Très bien ! (Vifs applaudissements.)

Staline, — Puisque vous approuvez, camarades, nous arrangerons cela.

(Les assistants font une ovation bruyante et enthousiaste au camarade Staline. La salle croule, sous les applaudissements. Un puissant « hourra » secoue les voûtes. Des acclamations innombrables saluant le chef du Parti, le camarade Staline, éclatent de toutes parts. L’ovation se termine par une puissante Internationale. Les trois mille participants de la conférence entonnent l’hymne prolétarien.)

=>Oeuvres de Staline

Staline : L’insurrection armée et notre tactique

Article paru dans la Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat] n° 10, 15 juillet 1905.

Traduit du géorgien.

Le mouvement révolutionnaire, « en est arrivé, à l’heure présente, à la nécessité d’une insurrection armée » : cette idée, formulée par le III° congrès de notre parti, se confirme chaque jour davantage. La flamme de la révolution est de plus en plus ardente, provoquant soit ici, soit là des insurrections locales.

Trois jours de barricades et de combats de rue à Lodz, la grève de dizaines et de dizaines de milliers d’ouvriers à Ivanovo-Voznessensk conduisant aux inévitables et sanglantes échauffourées avec la troupe, l’insurrection d’Odessa, la « révolte » dans la flotte de la mer Noire et parmi les équipages de la flotte à Libau, la « semaine » de Tiflis : autant de signes avant-coureurs de l’orage imminent.

Il se rapproche, il se rapproche irrésistiblement ; du jour au lendemain il éclatera sur la Russie, et de son puissant souffle purificateur il balaiera tout ce qui est caduc et pourri, il lavera le peuple russe de l’autocratie, cette honte plusieurs fois séculaire.

Les dernières convulsions du tsarisme, — renforcement des diverses formes de la répression, proclamation de la loi martiale dans la moitié du pays, multiplication des potences et, en même temps, discours engageants aux libéraux et promesses fallacieuses de réformes, — ne le sauveront pas du sort que lui réserve l’histoire. Les jours de l’autocratie sont comptés, l’orage est inévitable. Un ordre nouveau est déjà en gestation, acclamé par le peuple tout entier, qui attend de lui une rénovation et une renaissance.

Quels sont donc les nouveaux problèmes que pose devant notre parti l’orage imminent ? Comment devons-nous adapter notre organisation et notre tactique aux nouvelles exigences de la vie, pour participer de façon plus active et plus organisée à l’insurrection, ce point de départ nécessaire de la révolution ?

Détachement avancé de la classe qui est non seulement l’avant-garde, mais aussi la principale force motrice de la révolution, devons-nous, pour diriger l’insurrection, créer des appareils spéciaux, ou bien le mécanisme du parti, tel qu’il existe, suffit-il pour cela ?

Depuis plusieurs mois déjà, ces questions se posent devant le parti et exigent d’urgence une solution. Pour ceux qui s’inclinent devant la « spontanéité » ; pour qui les buts du parti se réduisent à suivre simplement la marche de la vie ; pour ceux qui sont à la remorque au lieu de marcher en tête comme il sied à un détachement d’avant-garde conscient, ces questions n’existent pas.

L’insurrection est spontanée, disent-ils, on ne peut l’organiser ni la préparer ; tout plan d’action élaboré d’avance est une utopie (ils sont hostiles à tout « plan », — car c’est là un phénomène « conscient » et non « spontané » !), une dépense de forces inutile : la vie sociale, qui suit des chemins inconnus, réduira à néant tous nos projets.

Aussi devons-nous, à les entendre, nous contenter de diffuser par la propagande et l’agitation l’idée de l’insurrection, l’idée de « l’auto-armement » des masses, nous contenter d’assumer la « direction politique » : qui voudra dirigera « techniquement » le peuple insurgé.

N’avons-nous pas toujours assumé jusqu’ici cette direction ? répondent les adversaires de la « politique du suivisme ». Il va sans dire qu’il est absolument nécessaire d’entreprendre un vaste travail d’agitation et de propagande, de diriger politiquement le prolétariat.

Mais se limiter à des tâches générales comme celles-là revient à dire ou bien que nous esquivons toute réponse à une question directement posée par la vie, ou bien que nous nous révélons absolument incapables d’adapter notre tactique aux nécessités de la lutte révolutionnaire qui grandit impétueusement.

De toute évidence, nous devons aujourd’hui décupler notre agitation politique ; nous devons nous efforcer de gagner à notre influence non seulement le prolétariat, mais aussi ces couches nombreuses du « peuple » qui se joignent peu à peu à la révolution ; nous devons nous efforcer de répandre dans toutes les classes de la population l’idée que l’insurrection est indispensable.

Mais nous ne pouvons en rester là !

Pour que le prolétariat puisse utiliser la révolution qui vient dans le sens de sa lutte de classe ; pour qu’il puisse instaurer un régime démocratique qui favorise au maximum la lutte ultérieure pour le socialisme, il faut que le prolétariat, autour duquel se groupe l’opposition, se trouve non seulement au centre de la lutte, mais qu’il devienne le guide et le dirigeant de l’insurrection.

La direction technique et la préparation concrète de l’insurrection dans toute la Russie ; telle est précisément la nouvelle tâche que la vie impose au prolétariat. Et si notre parti veut être le véritable dirigeant politique de la classe ouvrière, il ne peut ni ne doit se dérober à l’accomplissement de ces nouvelles tâches.

Ainsi, que devons-nous entreprendre pour atteindre cet objectif ?

Quelles doivent être nos premières démarches ?

Beaucoup de nos organisations ont déjà résolu pratiquement la question en consacrant une partie de leurs forces et de leurs moyens à armer le prolétariat. Notre lutte contre l’autocratie est entrée dans une phase où la nécessité de s’armer est reconnue de tous.

Mais à elle seule la conscience de la nécessité de s’armer ne suffit pas : il faut poser clairement et nettement la tâche pratique devant le parti. Voilà pourquoi nos comités doivent tout de suite, sans délai, procéder à l’armement du peuple sur place, créer des groupes spéciaux qui s’en occuperont, organiser des groupes locaux pour se procurer des armes, organiser des ateliers pour fabriquer des explosifs, dresser un plan pour s’emparer des dépôts d’armes publics ou privée et des arsenaux.

Nous ne devons pas seulement armer le peuple de « l’ardent désir de s’armer », comme nous le conseille la nouvelle Iskra ; nous devons aussi prendre pratiquement « les mesures les plus énergiques pour armer le prolétariat », comme le III° congrès du parti nous en a fait un devoir.

Sur la solution de ce problème, il nous est plus facile d’arriver à un accord que sur n’importe quelle autre question, aussi bien avec la fraction dissidente du parti (si elle prend vraiment l’armement au sérieux et ne se borne pas à bavarder sur « l’ardent désir de s’armer ») qu’avec les organisations social-démocrates nationales, comme par exemple les fédéralistes arméniens et autres, qui se proposent les mêmes buts.

Une tentative de ce genre a déjà été faite à Bakou, où, après le massacre de février, notre comité, le groupe de Balakhany-Bibi-Eibat et le comité des gntchakistes [1] ont constitué une commission pour l’organisation de l’armement.

Cette importante et grave entreprise doit à tout prix être organisée en conjuguant les efforts, et nous pensons que les différends entre fractions ne doivent surtout pas empêcher l’union, sur cette base, de toutes les forces social-démocrates.

Parallèlement à l’augmentation des stocka d’armes, à l’organisation de la recherche et de la fabrication de ces armes en usine, il faut aussi se préoccuper très sérieusement de former toutes sortes de groupes de combat, qui auront à se servir des armes ainsi obtenues.

Il ne faut en aucun cas permettre des actes comme la distribution des armes directement aux masses. Comme nous avons peu de ressources et qu’il est très difficile de soustraire les armes à la vigilance de la police, nous ne réussirons pas à armer des couches quelque peu importantes de la population, et nos efforts seront vains.

Il en ira tout autrement si nous constituons une organisation spéciale de combat.

Nos groupes de combat apprendront à manier les armes ; ils seront au cours de l’insurrection, — qu’elle commence spontanément ou qu’elle soit préparée d’avance, — les principaux détachements d’avant-garde, autour desquels se ralliera le peuple insurgé et sous la direction desquels il ira au combat.

Grâce à leur expérience et à leur esprit d’organisation, grâce aussi à leur bon armement, il deviendra possible d’utiliser toutes les forces du peuple soulevé et d’atteindre ainsi notre but immédiat : armer le peuple entier et réaliser le plan d’action établi d’avance.

Ils s’empareront rapidement des dépôts d’armes, des établissements publics et gouvernementaux, de la poste, du central téléphonique, etc…, de tout ce qui sera nécessaire aux progrès ultérieurs de la révolution. Mais ces groupes de combat ne sont pas seulement indispensables quand l’insurrection révolutionnaire a déjà gagné toute la ville : leur rôle n’est pas moins important à la veille de l’insurrection.

Nous avons acquis la conviction, depuis six mois, que l’autocratie, discréditée aux yeux de toutes les classes de la population, a consacré toute son énergie à mobiliser les forces ténébreuses du pays : voyous professionnels ou éléments fanatisés et peu conscients parmi les Tatars, pour combattre les révolutionnaires.

Armés et protégés par la police, ils terrorisent la population et créent un climat difficile pour le mouvement de libération.

Nos organisations de combat doivent toujours se tenir prêtes à riposter comme il convient à toutes les tentatives de ces forces ténébreuses et s’attacher à transformer en un mouvement antigouvernemental l’indignation et la riposte provoquées par leurs agissements.

Les groupes de combat armés, prêts à tout instant à descendre dans la rue et à se mettre à la tête des masses populaires, peuvent facilement atteindre le but assigné par le III° congrès : « organiser la résistance armée aux Cent-Noirs et, d’une façon générale, à tous les éléments réactionnaires dirigés par le gouvernement » (« Résolution sur la conduite à tenir en face de la tactique du gouvernement à la veille de la révolution ». Voir le Communiqué) [2].

L’une des tâches essentielles de nos groupes de combat et, en général, de toute organisation militaire spéciale, doit être de dresser un plan d’insurrection pour chaque quartier et de le coordonner avec le plan élaboré par le centre du parti pour toute la Russie.

Repérer les points faibles de l’adversaire, établir les points de départ de notre attaque, répartir les forces dans le quartier, étudier à fond la topographie de la ville : tout cela doit être fait d’avance pour qu’en aucune circonstance on ne soit pris au dépourvu.

Il n’y a pas lieu d’analyser ici en détail ces aspects de l’activité de nos organisations.

Le strict secret dans l’établissement du plan d’action doit s’allier à la diffusion la plus large, dans le prolétariat, des connaissances militaires spéciales absolument nécessaires pour les combats de rue. A cet effet, nous devons faire appel aux militaires adhérant à notre organisation.

Nous pouvons aussi faire appel dans ce but à bon nombre d’autres camarades qui, en raison de leurs aptitudes et dispositions naturelles, nous seront très utiles en l’occurrence.

Seule une préparation aussi étendue de l’insurrection peut garantir le rôle dirigeant de la social-démocratie dans les batailles qui viennent entre le peuple et l’autocratie.

Seule une préparation complète au combat permettra au prolétariat de transformer les engagements divers avec la police et l’armée en une insurrection générale du peuple pour substituer au gouvernement tsariste un gouvernement provisoire révolutionnaire.

Le prolétariat organisé, en dépit des adeptes d’une « politique suiviste », mettra tout en œuvre pour concentrer dans ses mains la direction tant technique que politique de l’insurrection.

Condition indispensable qui nous permettra d’utiliser la révolution qui vient dans l’intérêt de notre lutte de classe.

1] Membres du parti petit-bourgeois arménien « Gntchak », fondé en 1887 à Genève sur l’initiative d’étudiants arméniens. En Transcaucasie, le parti « Gntchak », qui s’était intitulé Parti social-démocrate arménien, fit une politique scissionniste au sein du mouvement ouvrier. Après la révolution de 1905-1907, il dégénéra en un groupe nationaliste réactionnaire. (N. Réd.).

[2] Voir Résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., Ire partie, 6e éd. Russe, 1940, p. 45. (N. Réd.).

Article paru dans la Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat] n° 10, 15 juillet 1905.

Traduit du géorgien.

Le mouvement révolutionnaire, « en est arrivé, à l’heure présente, à la nécessité d’une insurrection armée » : cette idée, formulée par le III° congrès de notre parti, se confirme chaque jour davantage. La flamme de la révolution est de plus en plus ardente, provoquant soit ici, soit là des insurrections locales.

Trois jours de barricades et de combats de rue à Lodz, la grève de dizaines et de dizaines de milliers d’ouvriers à Ivanovo-Voznessensk conduisant aux inévitables et sanglantes échauffourées avec la troupe, l’insurrection d’Odessa, la « révolte » dans la flotte de la mer Noire et parmi les équipages de la flotte à Libau, la « semaine » de Tiflis : autant de signes avant-coureurs de l’orage imminent.

Il se rapproche, il se rapproche irrésistiblement ; du jour au lendemain il éclatera sur la Russie, et de son puissant souffle purificateur il balaiera tout ce qui est caduc et pourri, il lavera le peuple russe de l’autocratie, cette honte plusieurs fois séculaire.

Les dernières convulsions du tsarisme, — renforcement des diverses formes de la répression, proclamation de la loi martiale dans la moitié du pays, multiplication des potences et, en même temps, discours engageants aux libéraux et promesses fallacieuses de réformes, — ne le sauveront pas du sort que lui réserve l’histoire. Les jours de l’autocratie sont comptés, l’orage est inévitable. Un ordre nouveau est déjà en gestation, acclamé par le peuple tout entier, qui attend de lui une rénovation et une renaissance.

Quels sont donc les nouveaux problèmes que pose devant notre parti l’orage imminent ? Comment devons-nous adapter notre organisation et notre tactique aux nouvelles exigences de la vie, pour participer de façon plus active et plus organisée à l’insurrection, ce point de départ nécessaire de la révolution ?

Détachement avancé de la classe qui est non seulement l’avant-garde, mais aussi la principale force motrice de la révolution, devons-nous, pour diriger l’insurrection, créer des appareils spéciaux, ou bien le mécanisme du parti, tel qu’il existe, suffit-il pour cela ?

Depuis plusieurs mois déjà, ces questions se posent devant le parti et exigent d’urgence une solution. Pour ceux qui s’inclinent devant la « spontanéité » ; pour qui les buts du parti se réduisent à suivre simplement la marche de la vie ; pour ceux qui sont à la remorque au lieu de marcher en tête comme il sied à un détachement d’avant-garde conscient, ces questions n’existent pas.

L’insurrection est spontanée, disent-ils, on ne peut l’organiser ni la préparer ; tout plan d’action élaboré d’avance est une utopie (ils sont hostiles à tout « plan », — car c’est là un phénomène « conscient » et non « spontané » !), une dépense de forces inutile : la vie sociale, qui suit des chemins inconnus, réduira à néant tous nos projets.

Aussi devons-nous, à les entendre, nous contenter de diffuser par la propagande et l’agitation l’idée de l’insurrection, l’idée de « l’auto-armement » des masses, nous contenter d’assumer la « direction politique » : qui voudra dirigera « techniquement » le peuple insurgé.

N’avons-nous pas toujours assumé jusqu’ici cette direction ? répondent les adversaires de la « politique du suivisme ». Il va sans dire qu’il est absolument nécessaire d’entreprendre un vaste travail d’agitation et de propagande, de diriger politiquement le prolétariat.

Mais se limiter à des tâches générales comme celles-là revient à dire ou bien que nous esquivons toute réponse à une question directement posée par la vie, ou bien que nous nous révélons absolument incapables d’adapter notre tactique aux nécessités de la lutte révolutionnaire qui grandit impétueusement.

De toute évidence, nous devons aujourd’hui décupler notre agitation politique ; nous devons nous efforcer de gagner à notre influence non seulement le prolétariat, mais aussi ces couches nombreuses du « peuple » qui se joignent peu à peu à la révolution ; nous devons nous efforcer de répandre dans toutes les classes de la population l’idée que l’insurrection est indispensable.

Mais nous ne pouvons en rester là !

Pour que le prolétariat puisse utiliser la révolution qui vient dans le sens de sa lutte de classe ; pour qu’il puisse instaurer un régime démocratique qui favorise au maximum la lutte ultérieure pour le socialisme, il faut que le prolétariat, autour duquel se groupe l’opposition, se trouve non seulement au centre de la lutte, mais qu’il devienne le guide et le dirigeant de l’insurrection.

La direction technique et la préparation concrète de l’insurrection dans toute la Russie ; telle est précisément la nouvelle tâche que la vie impose au prolétariat. Et si notre parti veut être le véritable dirigeant politique de la classe ouvrière, il ne peut ni ne doit se dérober à l’accomplissement de ces nouvelles tâches.

Ainsi, que devons-nous entreprendre pour atteindre cet objectif ?

Quelles doivent être nos premières démarches ?

Beaucoup de nos organisations ont déjà résolu pratiquement la question en consacrant une partie de leurs forces et de leurs moyens à armer le prolétariat. Notre lutte contre l’autocratie est entrée dans une phase où la nécessité de s’armer est reconnue de tous.

Mais à elle seule la conscience de la nécessité de s’armer ne suffit pas : il faut poser clairement et nettement la tâche pratique devant le parti. Voilà pourquoi nos comités doivent tout de suite, sans délai, procéder à l’armement du peuple sur place, créer des groupes spéciaux qui s’en occuperont, organiser des groupes locaux pour se procurer des armes, organiser des ateliers pour fabriquer des explosifs, dresser un plan pour s’emparer des dépôts d’armes publics ou privée et des arsenaux.

Nous ne devons pas seulement armer le peuple de « l’ardent désir de s’armer », comme nous le conseille la nouvelle Iskra ; nous devons aussi prendre pratiquement « les mesures les plus énergiques pour armer le prolétariat », comme le III° congrès du parti nous en a fait un devoir.

Sur la solution de ce problème, il nous est plus facile d’arriver à un accord que sur n’importe quelle autre question, aussi bien avec la fraction dissidente du parti (si elle prend vraiment l’armement au sérieux et ne se borne pas à bavarder sur « l’ardent désir de s’armer ») qu’avec les organisations social-démocrates nationales, comme par exemple les fédéralistes arméniens et autres, qui se proposent les mêmes buts.

Une tentative de ce genre a déjà été faite à Bakou, où, après le massacre de février, notre comité, le groupe de Balakhany-Bibi-Eibat et le comité des gntchakistes [1] ont constitué une commission pour l’organisation de l’armement.

Cette importante et grave entreprise doit à tout prix être organisée en conjuguant les efforts, et nous pensons que les différends entre fractions ne doivent surtout pas empêcher l’union, sur cette base, de toutes les forces social-démocrates.

Parallèlement à l’augmentation des stocka d’armes, à l’organisation de la recherche et de la fabrication de ces armes en usine, il faut aussi se préoccuper très sérieusement de former toutes sortes de groupes de combat, qui auront à se servir des armes ainsi obtenues.

Il ne faut en aucun cas permettre des actes comme la distribution des armes directement aux masses. Comme nous avons peu de ressources et qu’il est très difficile de soustraire les armes à la vigilance de la police, nous ne réussirons pas à armer des couches quelque peu importantes de la population, et nos efforts seront vains.

Il en ira tout autrement si nous constituons une organisation spéciale de combat.

Nos groupes de combat apprendront à manier les armes ; ils seront au cours de l’insurrection, — qu’elle commence spontanément ou qu’elle soit préparée d’avance, — les principaux détachements d’avant-garde, autour desquels se ralliera le peuple insurgé et sous la direction desquels il ira au combat.

Grâce à leur expérience et à leur esprit d’organisation, grâce aussi à leur bon armement, il deviendra possible d’utiliser toutes les forces du peuple soulevé et d’atteindre ainsi notre but immédiat : armer le peuple entier et réaliser le plan d’action établi d’avance.

Ils s’empareront rapidement des dépôts d’armes, des établissements publics et gouvernementaux, de la poste, du central téléphonique, etc…, de tout ce qui sera nécessaire aux progrès ultérieurs de la révolution. Mais ces groupes de combat ne sont pas seulement indispensables quand l’insurrection révolutionnaire a déjà gagné toute la ville : leur rôle n’est pas moins important à la veille de l’insurrection.

Nous avons acquis la conviction, depuis six mois, que l’autocratie, discréditée aux yeux de toutes les classes de la population, a consacré toute son énergie à mobiliser les forces ténébreuses du pays : voyous professionnels ou éléments fanatisés et peu conscients parmi les Tatars, pour combattre les révolutionnaires.

Armés et protégés par la police, ils terrorisent la population et créent un climat difficile pour le mouvement de libération.

Nos organisations de combat doivent toujours se tenir prêtes à riposter comme il convient à toutes les tentatives de ces forces ténébreuses et s’attacher à transformer en un mouvement antigouvernemental l’indignation et la riposte provoquées par leurs agissements.

Les groupes de combat armés, prêts à tout instant à descendre dans la rue et à se mettre à la tête des masses populaires, peuvent facilement atteindre le but assigné par le III° congrès : « organiser la résistance armée aux Cent-Noirs et, d’une façon générale, à tous les éléments réactionnaires dirigés par le gouvernement » (« Résolution sur la conduite à tenir en face de la tactique du gouvernement à la veille de la révolution ». Voir le Communiqué) [2].

L’une des tâches essentielles de nos groupes de combat et, en général, de toute organisation militaire spéciale, doit être de dresser un plan d’insurrection pour chaque quartier et de le coordonner avec le plan élaboré par le centre du parti pour toute la Russie.

Repérer les points faibles de l’adversaire, établir les points de départ de notre attaque, répartir les forces dans le quartier, étudier à fond la topographie de la ville : tout cela doit être fait d’avance pour qu’en aucune circonstance on ne soit pris au dépourvu.

Il n’y a pas lieu d’analyser ici en détail ces aspects de l’activité de nos organisations.

Le strict secret dans l’établissement du plan d’action doit s’allier à la diffusion la plus large, dans le prolétariat, des connaissances militaires spéciales absolument nécessaires pour les combats de rue. A cet effet, nous devons faire appel aux militaires adhérant à notre organisation.

Nous pouvons aussi faire appel dans ce but à bon nombre d’autres camarades qui, en raison de leurs aptitudes et dispositions naturelles, nous seront très utiles en l’occurrence.

Seule une préparation aussi étendue de l’insurrection peut garantir le rôle dirigeant de la social-démocratie dans les batailles qui viennent entre le peuple et l’autocratie.

Seule une préparation complète au combat permettra au prolétariat de transformer les engagements divers avec la police et l’armée en une insurrection générale du peuple pour substituer au gouvernement tsariste un gouvernement provisoire révolutionnaire.

Le prolétariat organisé, en dépit des adeptes d’une « politique suiviste », mettra tout en œuvre pour concentrer dans ses mains la direction tant technique que politique de l’insurrection.

Condition indispensable qui nous permettra d’utiliser la révolution qui vient dans l’intérêt de notre lutte de classe.

1] Membres du parti petit-bourgeois arménien « Gntchak », fondé en 1887 à Genève sur l’initiative d’étudiants arméniens. En Transcaucasie, le parti « Gntchak », qui s’était intitulé Parti social-démocrate arménien, fit une politique scissionniste au sein du mouvement ouvrier. Après la révolution de 1905-1907, il dégénéra en un groupe nationaliste réactionnaire. (N. Réd.).

[2] Voir Résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., Ire partie, 6e éd. Russe, 1940, p. 45. (N. Réd.).

=>Oeuvres de Staline

Staline : Des principes du léninisme

Conférences faites à l’Université Sverdlov au début d’avril 1924

A la promotion Lénine, je dédie ces pages
− J. Staline

Les principes du léninisme : le sujet est vaste. Pour le traiter à fond, il faudrait tout un ouvrage, plusieurs même. Aussi mes conférences ne sauraient-elles y suffire. Elles ne seront, dans le meilleur des cas, qu’un exposé succinct des hases du léninisme. Néanmoins, cet exposé aura son utilité, car il servira dans une certaine mesure de point de départ à une étude sérieuse du marxisme.

Exposer les principes du léninisme, ce n’est pas encore exposer les principes de la philosophie de Lénine. Lénine est marxiste et le marxisme, certes, est à la base de sa philosophie. Mais il ne s’ensuit pas que l’exposition du léninisme doive être commencée par l’exposition des principes du marxisme.

Exposer le léninisme, c’est exposer ce qu’il y a de spécial dans les travaux de Lénine, ce que Lénine a apporté de nouveau au marxisme, ce qui est lié spécialement à son nom. C’est dans ce sens seulement que je parlerai ici des principes du léninisme.

Qu’est-ce que le léninisme ?

D’après les uns, c’est l’application du marxisme aux conditions spéciales de la Russie. Cette définition renferme une part de vérité, mais une part seulement. Lénine a, en effet, appliqué, et supérieurement appliqué, le marxisme à la situation russe. Mais si le léninisme n’était que l’application du marxisme à la situation spéciale de la Russie, il aurait un caractère purement national, uniquement russe. Or, le léninisme n’est pas seulement un phénomène russe, mais un phénomène international. Voilà pourquoi cette définition est trop étroite.

D’autres déclarent que le léninisme est la résurrection des éléments révolutionnaires du marxisme de 1850 qui, soi-disant, dans les années suivantes, est devenu modéré, a perdu de son caractère révolutionnaire.

Abstraction faite de cette division stupide de la doctrine de Marx en deux parties : la partie révolutionnaire et la partie modérée, il faut reconnaître que cette définition, malgré toute son insuffisance, renferme une part de vérité.

Cette part de vérité, c’est que Lénine a, en effet, ressuscité le contenu révolutionnaire du marxisme, étouffé par les opportunistes de la IIe Internationale. Mais ce n’est là qu’une parcelle de la vérité. La vérité intégrale, c’est que le léninisme non seulement a ressuscité le marxisme, mais a fait encore un pas en avant en le développant dans les nouvelles conditions du capitalisme et de la lutte de classe du prolétariat.

Qu’est-ce, en fin de compte, que le léninisme ?

Le léninisme, c’est le marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne, ou, plus exactement, c’est la théorie et la tactique de la révolution prolétarienne en général, la théorie et la tactique de la dictature du prolétariat en particulier.

Marx et Engels vivaient à une époque prérévolutionnaire où l’impérialisme était encore à l’état embryonnaire, où les prolétaires ne faisaient encore que se préparer à la révolution, où la révolution prolétarienne n’était pas encore une nécessité directe, pratique.

Lénine, disciple de Marx et d’Engels, a vécu à une époque d’épanouissement de l’impérialisme, de développement de la révolution prolétarienne, à une époque où cette révolution, triomphante dans un pays, y détruisait la démocratie bourgeoise et ouvrait l’ère de la démocratie prolétarienne, l’ère des soviets.

Voilà pourquoi le léninisme est le développement du marxisme.

On souligne ordinairement, et avec raison, le caractère exceptionnellement combatif et révolutionnaire du léninisme.

Mais cette particularité du léninisme s’explique par deux raisons tout d’abord parce que le léninisme est sorti de la révolution prolétarienne dont il ne pouvait pas ne pas garder l’empreinte ; ensuite, parce qu’il a grandi et s’est fortifié dans la lutte contre l’opportunisme de la ne Internationale, lutte qui était et reste la condition nécessaire du succès de la lutte contre le capitalisme. Il ne faut pas oublier qu’entre Marx et Engels d’une part, et Lénine de l’autre, s’étend toute une période de domination illimitée de l’opportunisme de la ne Internationale.

Cet opportunisme, il fallait le combattre, et c’était là une des tâches les plus importantes du léninisme.

I − Les racines historiques du léninisme.

Le léninisme a grandi et s’est constitué dans les conditions de l’impérialisme, alors que les contradictions du capitalisme avaient atteint leur plus haut point d’acuité, que la révolution prolétarienne était devenue une question pratique immédiate, que la période de préparation de la classe ouvrière à la révolution était terminée et faisait place à la période de l’assaut direct contre le capitalisme.

Lénine a appelé l’impérialisme le « capitalisme dépérissant ». Pourquoi ? Parce que l’impérialisme porte les contradictions du capitalisme jusqu’à leurs limites extrêmes, après lesquelles commence la révolution. Parmi ces contradictions, il en est trois particulièrement importantes.

La première, c’est la contradiction entre le travail et le capital. L’impérialisme, c’est l’omnipotence des trusts et syndicats monopolisateurs, des banques et de l’oligarchie financière dans les pays industriels. Pour lutter contre cette omnipotence, les méthodes habituelles de la classe ouvrière : syndicats et coopératives, partis et lutte parlementaire, étaient tout à fait insuffisantes.

Se mettre à la merci du capital, végéter et dégénérer de plus en plus, ou bien adopter une nouvelle arme et engager la lutte directe : telle est l’alternative que l’impérialisme pose à l’innombrable armée du prolétariat.

L’impérialisme amène ainsi la classe ouvrière à la révolution.

La deuxième contradiction est l’antagonisme des différents groupes financiers et puissances impérialistes dans leur lutte pour les sources de matières première, pour les territoires étrangers.

L’impérialisme, c’est l’exportation du capital vers les sources de matières premières, la lutte acharnée pour la possession exclusive de ces sources, pour un nouveau partage du monde, lutte de nouveaux groupes financiers et puissances voulant leur place au soleil contre les anciens qui ne veulent pas lâcher leur proie.

Cette lutte entre capitalistes renferme inévitablement l’élément de guerres impérialistes, de guerres pour l’annexion de territoires étrangers. Or, cet état de choses lui-même entraîne l’affaiblissement des impérialistes les uns par les autres, l’affaiblissement de la position du capitalisme en général, accélère la révolution prolétarienne et impose pratiquement cette révolution.

La troisième contradiction, c’est la contradiction entre quelques nations « civilisées » puissantes et les petites nations faibles et les peuples coloniaux.

L’impérialisme, c’est l’exploitation la plus éhontée et, en même temps, l’oppression la plus inhumaine de centaines de millions d’hommes des colonies et des pays dépendants. Tirer les profits les plus considérables de ces pays : tel est le but de cette exploitation et de cette oppression.

Mais pour exploiter ces pays, l’impérialisme est obligé de construire des chemins de fer, des fabriques et des usines, de créer des centres commerciaux et industriels. Apparition d’une classe de prolétaires, formation d’une classe d’intellectuels indigènes, éveil de la conscience nationale, renforcement du mouvement libérateur : tels sont les résultats inévitables de cette « politique », résultats attestés par le renforcement du mouvement révolutionnaire dans les colonies et les pays asservis.

Or, ce mouvement a une très grande importance pour le prolétariat, car il sape la position du capitalisme en transformant les colonies et les pays asservis, réserve de l’impérialisme, en réserve de la révolution prolétarienne.

Telles sont les principales contradictions de l’impérialisme qui ont amené la décrépitude de l’ancien capitalisme « florissant ». La dernière grande guerre impérialiste a groupé toutes ces contradictions en un faisceau unique et les a jetées dans le plateau de la balance, accélérant et facilitant ainsi les batailles révolutionnaires du prolétariat.

En d’autres termes, l’impérialisme a fait de la révolution une nécessité pratique ; en outre, il a créé des conditions favorables pour l’assaut des citadelles du capitalisme.

Telle est la situation internationale qui a engendré le léninisme.

Tout cela est parfait, dira-t-on, mais que vient faire ici la Russie, qui n’était pas et ne pouvait pas être le pays classique de l’impérialisme ?

Que vient faire ici Lénine, qui a travaillé avant tout en Russie et pour la Russie ?

Pourquoi est-ce la Russie qui a été le foyer du léninisme, la terre où ont surgi la théorie et la pratique de la révolution prolétarienne ?

Parce que la Russie était en quelque sorte le nœud de toutes ces contradictions de l’impérialisme.

Parce que la Russie était, plus que tout autre pays, grosse de la révolution et que, seule, elle était en état de résoudre ces contradictions par la voie révolutionnaire.

En effet, la Russie tsariste était le foyer de l’oppression sous toutes ses formes : capitaliste, coloniale et militaire, et cette oppression s’y manifestait sous son aspect le plus barbare.

L’omnipotence du capital s’y alliait au despotisme, l’agressivité du nationalisme à l’oppression féroce des peuples non-russes, l’exploitation économique de régions entières de la Turquie, de la Perse et de la Chine à la conquête militaire de ces régions par le tsarisme. Lénine avait raison de dire que le tsarisme était un « impérialisme féodal militaire ». Le tsarisme était la quintessence des côtés les plus négatifs de l’impérialisme.

De plus, la Russie tsariste était une immense réserve pour l’impérialisme européen, non seulement parce qu’elle donnait librement accès au capital étranger (qui détenait des branches aussi importantes de l’économie russe que le combustible et la métallurgie), mais aussi parce qu’elle pouvait fournir aux impérialistes d’Occident des millions de soldats.

Ainsi, pendant la guerre, douze millions de Russes ont versé leur sang sur les fronts impérialistes pour assurer les profits effrénés des capitalistes anglo- français.

En outre, le tsarisme était non seulement le chien de garde de l’impérialisme en Europe orientale, mais encore son agence pour la perception des intérêts formidables des emprunts qui lui étaient délivrés à Paris, à Londres, à Berlin et à Bruxelles.

Le tsarisme enfin était, en ce qui concerne le partage de la Turquie, de la Perse et de la Chine, le fidèle allié de l’impérialisme occidental. La guerre impérialiste n’a-t-elle pas été menée par le tsarisme allié aux puissances de l’Entente, la Russie n’a-t-elle pas été le principal agent de cette guerre ?

Voilà pourquoi les intérêts du tsarisme et de l’impérialisme d’Occident étaient ceux de l’impérialisme en général. L’impérialisme d’Occident pouvait-il se résigner à la perte de ce puissant appui en Orient et de cette source de forces et de richesses qu’était l’ancienne Russie bourgeoise sans essayer tous les moyens, y compris la guerre contre la révolution russe, pour défendre et maintenir le tsarisme ? Évidemment, non !

Il s’ensuit que, si l’on voulait frapper le tsarisme, il fallait aussi frapper l’impérialisme, que, si l’on avait véritablement l’intention de déraciner le tsarisme, il fallait, après l’avoir renversé, renverser également l’impérialisme.

Ainsi donc, la révolution contre le tsarisme devait aboutir au renversement du capitalisme. Les communistes russes ne pouvaient agir autrement, leur voie était la seule qui leur permît d’espérer dans la situation internationale des changements susceptibles de garantir la Russie contre la restauration du régime bourgeois.

Voilà pourquoi la Russie est devenue le foyer du léninisme ; voilà pourquoi le chef des communistes russes, Lénine, est devenu le créateur du léninisme.

Il est arrivé à la Russie et à Lénine à peu près ce qui est arrivé à l’Allemagne et à Marx et Engels vers 1850.

Comme la Russie du début du XXème siècle, l’Allemagne était grosse alors de la révolution bourgeoise. Dans le Manifeste communiste, Marx écrivait : C’est vers l’Allemagne surtout que se tourne l’attention des communistes, parce que l’Allemagne se trouve à la veille d’une révolution bourgeoise, et parce qu’elle accomplira cette révolution avec une civilisation européenne plus avancée et avec un prolétariat infiniment plus développé qu’il ne l’était en Angleterre et en France au XVIIème et au XVIIIème siècle, et que, par conséquent, la révolution bourgeoise allemande ne saurait être que le prélude immédiat d’une révolution prolétarienne.

En d’autres termes, le centre du mouvement révolutionnaire était reporté sur l’Allemagne.

De même la Russie, au début du XXème siècle, était à la veille de la révolution bourgeoise. Mais alors la civilisation européenne était plus avancée, le prolétariat russe plus développé, et tout portait à croire que cette révolution serait le ferment et le prologue de la révolution prolétarienne.

En 1902 déjà, alors que la révolution russe n’était encore qu’à l’état embryonnaire, Lénine, dans Que Faire ? Écrivait : L’histoire impose aux marxistes russes une tâche immédiate, la plus révolutionnaire de celles qui incombent au prolétariat des différents pays, l’accomplissement de cette tâche, c’est-à-dire la destruction du rempart le plus puissant de la réaction européenne et asiatique, fera du prolétariat russe l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire international.

Autrement dit, le centre du mouvement révolutionnaire devait être reporté en Russie.

Le cours de la révolution, on le sait, a justifié entièrement cette prédiction de Lénine.

Est-il étonnant, après cela, qu’un pays qui a accompli une telle révolution et qui dispose d’un tel prolétariat ait été la patrie de la théorie et de la tactique de la révolution prolétarienne ?

Est-il étonnant que le chef du prolétariat, Lénine, soit devenu le créateur de cette théorie et de cette tactique et le chef du prolétariat international ?

II − La méthode

J’ai dit plus haut qu’entre Marx et Engels d’une part, et Lénine de l’autre, s’étendait toute une période de domination de l’opportunisme de la ne Internationale. Pour préciser, j’ajouterai qu’il ne s’agit pas de la domination formelle, mais uniquement de la domination effective de l’opportunisme.

Formellement, la IIe Internationale était dirigée par des marxistes orthodoxes comme Kautsky et autres. En réalité, son travail fondamental s’effectuait dans la ligne de l’opportunisme.

Petits-bourgeois de nature, les opportunistes s’adaptaient à la bourgeoisie ; quant aux « orthodoxes », ils s’adaptaient aux opportunistes pour « conserver l’unité » avec ces derniers, pour maintenir « la paix dans le parti ».

En définitive, l’opportunisme dominait, car, par les opportunistes, les « orthodoxes » étaient liés indissolublement à la politique de la bourgeoisie.

Ce fut une période de développement relativement pacifique du capitalisme, une période d’avant-guerre pour ainsi dire, où les contradictions de l’impérialisme ne s’étaient pas encore révélées dans toute leur ampleur, où les grèves économiques et les syndicats se développaient plus ou moins « normalement », où les partis socialistes remportaient des succès électoraux et parlementaires foudroyants, où les formes légales de lutte étaient portées aux nues et où l’on espérait « tuer » le capitalisme par la légalité ; en un mot, une période où les partis de la ne Internationale, grossissaient, s’empâtaient et ne songeaient plus à la révolution, à la dictature du prolétariat, à l’éducation révolutionnaire des masses.

Au lieu d’une théorie révolutionnaire intégrale, des thèses contradictoires, des fragments de théorie sans liaison avec la lutte révolutionnaire effective des masses, des dogmes abstraits et surannés. Formellement, on se référait encore à la théorie de Marx, mais uniquement pour la dépouiller de son esprit révolutionnaire.

Au lieu d’une politique révolutionnaire, un philistinisme amorphe, une politique mesquine, des combinaisons parlementaires. De temps à autre, des décisions et des mots d’ordre révolutionnaires, enterrés aussitôt qu’adoptés.

Au lieu d’apprendre au parti la tactique révolutionnaire véritable, par l’étude de ses propres fautes, on évitait soigneusement les questions épineuses. Quand, par hasard, on y touchait, c’était pour les estomper et terminer la discussion par une résolution élastique.

Tels étaient la physionomie, la méthode de travail et l’arsenal de la IIe Internationale.

Pourtant, on entrait dans une nouvelle période la période des guerres impérialistes et des combats révolutionnaires du prolétariat. Les anciennes méthodes de lutte s’avéraient nettement insuffisantes devant l’omnipotence du capital financier.

II fallait réviser tout le travail, toute la méthode de la IIe Internationale, en expulser le philistinisme, l’étroitesse mesquine, la politique à combinaisons, le social-chauvinisme, le social-pacifisme. Il fallait faire l’inventaire de l’arsenal de la IIe Internationale, en rejeter tout ce qui était rouillé et désuet, forger de nouvelles armes. Sans ce travail préliminaire, il était impossible d’engager la guerre contre le capitalisme. Sans ce travail, le prolétariat risquait de se trouver insuffisamment armé ou même complètement désarmé dans les batailles révolutionnaires futures.

C’est au léninisme qu’allait incomber cette révision générale. Tout d’abord à l’épreuve des dogmes de la IIe Internationale.

Voilà dans quelle situation est née et s’est formée la méthode du léninisme.

A quoi se ramène cette méthode ?

Tout d’abord à la vérification des dogmes de la IIe Internationale dans le creuset de la lutte révolutionnaire des masses, dans le creuset de la pratique, c’est-à-dire à la restauration de l’unité entre la théorie et la pratique, car ce n’est qu’ainsi que l’on peut former un parti véritablement prolétarien, armé d’une théorie révolutionnaire.

En second lieu, à la vérification de la politique des partis de la ne Internationale, non pas d’après leurs mots d’ordre et résolutions, mais d’après leurs œuvres, car ce n’est qu’ainsi que l’on peut conquérir et mériter la confiance des masses prolétariennes.

En troisième lieu, à la réorganisation de tout le travail du parti dans l’esprit révolutionnaire, à l’éducation des masses, à leur préparation à la lutte révolutionnaire et à la révolution prolétarienne.

En quatrième lieu, à l’autocritique des partis prolétariens, à leur éducation par l’expérience de leurs propres fautes, car ce n’est qu’ainsi qu’on peut former des cadres et des leaders véritables du parti.

Telles sont les bases et l’essence de la méthode du léninisme.

Comment cette méthode fut-elle appliquée ?

Les opportunistes de la IIe Internationale ont une série de dogmes sur lesquels pivote toute leur action. Voyons-en quelques-uns.

Premier dogme : le prolétariat ne peut pas et ne doit pas prendre le pouvoir s’il n’est pas la majorité dans le pays. A cette assertion, les opportunistes n’apportent aucune preuve, car ni théoriquement, ni pratiquement, cette thèse absurde ne saurait se justifier.

Admettons-la pour un instant, répond Lénine. Mais s’il se produit une situation (guerre, crise agraire, etc.) dans laquelle le prolétariat, minorité de la population, a la possibilité de grouper autour de lui l’immense majorité des masses laborieuses, pourquoi alors ne prendrait-il pas le pouvoir ?

Pourquoi ne profiterait-il pas de la situation intérieure et internationale favorable pour percer le front du capital et précipiter le dénouement ?

Marx n’a-t-il pas dit, vers 1850, que la révolution prolétarienne en Allemagne serait en excellente posture si on pouvait l’aider par« une réédition pour ainsi dire de la guerre paysanne » ?

Or, à cette époque, le nombre des prolétaires en Allemagne était comparativement moindre que dans la Russie de 1917.

La pratique de la révolution prolétarienne russe n’a-t-elle pas montré que ce dogme, cher aux hommes de la ne Internationale, est dénué de toute signification vitale pour le prolétariat ? N’est-il pas clair que la pratique de la lutte révolutionnaire des masses sape de plus en plus ce dogme suranné ?

Deuxième dogme : le prolétariat ne peut pas garder le pouvoir s’il ne dispose pas de cadres suffisants d’intellectuels et de techniciens capables d’organiser l’administration du pays ; il faut commencer par former ces cadres sous le capitalisme et ensuite s’emparer du pouvoir.

Admettons-le, répond Lénine, mais pourquoi ne pourrait-on tout d’abord prendre le pouvoir et créer des conditions favorables pour le développement du prolétariat, quitte ensuite à mettre les bouchées doubles, à élever le niveau culturel des masses laborieuses et à former rapidement des cadres de dirigeants et d’administrateurs recrutés parmi les ouvriers ?

La pratique russe n’a-t-elle pas montré que ces cadres ouvriers se forment mieux et plus vite sous le pouvoir prolétarien que sous le pouvoir du capital ? N’est-il pas clair que la pratique de la lutte révolutionnaire des masses réfute victorieusement ce dogme des opportunistes ?

Troisième dogme : la méthode de la grève politique générale est inacceptable pour le prolétariat, car elle est théoriquement inconsistante (voir la critique d’Engels) et pratiquement dangereuse (elle peut troubler le cours de la vie économique du pays, vider les caisses des syndicats) ; elle ne peut remplacer la lutte parlementaire, qui représente la forme principale de la lutte de classe du prolétariat.

Parfait, répondent les léninistes. Mais, premièrement, Engels n’a critiqué qu’une certaine sorte de grève générale : la grève économique générale que préconisent les anarchistes en remplacement de la lutte politique du prolétariat ; et alors, pourquoi se référer à Engels pour condamner la grève politique générale ? Deuxièmement, qu’est-ce qui prouve que la lutte parlementaire est la principale forme de lutte du prolétariat ?

L’histoire du mouvement révolutionnaire ne démontre-t-elle pas que la lutte parlementaire n’est qu’une école, qu’un point d’appui pour l’organisation de la lutte extra-parlementaire du prolétariat, que les questions essentielles du mouvement ouvrier en régime capitaliste sont résolues par la force, par la lutte directe, la grève générale, l’insurrection des masses prolétariennes ?

Troisièmement, où a-t-on vu que nous voulions remplacer la lutte parlementaire par la méthode de la grève politique générale ?

Où et quand les partisans de la grève politique générale ont-ils essayé de substituer aux formes parlementaires de lutte les formes de lutte extra-Parlementaires ?

Quatrièmement, la révolution en Russie n’a-t-elle pas montré que la grève politique générale est la plus grande école de la révolution prolétarienne, en même temps qu’un moyen unique de mobilisation et d’organisation des masses prolétariennes à la veille de l’assaut des citadelles du capitalisme ?

Alors, que viennent faire ici les lamentations sur la désorganisation de la vie économique et sur les caisses des syndicats ? N’est-il pas clair que la pratique de la lutte révolutionnaire réfute également ce dogme des opportunistes ?

Voilà pourquoi Lénine disait que « la théorie révolutionnaire n’est pas un dogme », « qu’elle ne se constitue définitivement qu’en liaison étroite avec la pratique du mouvement révolutionnaire de masse véritable » (Maladie infantile), car elle doit servir la pratique, « répondre aux questions posées par la pratique » (Les amis du peuple), être vérifiée par les données de la pratique.

En ce qui concerne les mots d’ordre et décisions politiques des partis de la ne Internationale, il suffit de se rappeler le fameux mot d’ordre : « Guerre à la guerre ! » pour comprendre le mensonge, l’abjection de la politique de ces partis qui voilent leur œuvre antirévolutionnaire de mots d’ordre et de résolutions révolutionnaires.

Qui ne se souvient du congrès de Bâle où la IIe Internationale menaça les impérialistes des foudres de l’insurrection s’ils osaient entreprendre la guerre et proclama le mot d’ordre ; « Guerre à la guerre » ?

Mais, quelque temps après, au début même de la guerre, la résolution de Bâle était jetée au panier et l’on exhortait les ouvriers à s’entre-tuer pour la plus grande gloire de la patrie capitaliste. N’est-il pas clair que les mots d’ordre et résolutions révolutionnaires ne valent pas un rouge liard s’ils ne se traduisent pas par des actes ?

Il suffit de comparer la politique léniniste de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile à la politique traîtresse de la IIe Internationale pendant la guerre pour comprendre toute la bassesse de l’opportunisme, toute la grandeur du léninisme.

Laissez-moi vous citer ici un passage de La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, dans lequel Lénine flagelle rudement Kautsky pour sa tentative de juger des partis non pas par leurs œuvres, mais par leurs mots d’ordre et leurs décisions : Kautsky pratique une politique petite-bourgeoise typique ; il s’imagine… que le fait d’arborer un mot d’ordre change quelque chose à l’affaire. Toute l’histoire de la démocratie bourgeoise réduit à néant cette illusion : pour tromper le peuple, les démocrates bourgeois ont toujours posé et seront toujours prêts à poser n’importe quel mot d’ordre. Il s’agit de vérifier leur sincérité, de comparer leurs œuvres à leurs paroles, de ne pas se contenter d’une phraséologie idéaliste ou charlatanesque et de rechercher le contenu de classe réel de leurs mots d’ordre…

Je ne parle pas de la crainte de l’autocritique, caractéristique des partis de la ne Internationale, de leur parti pris de voiler leurs fautes, d’éluder les questions épineuses, de faire accroire que tout est pour le mieux dans leur organisation, d’étouffer ainsi la pensée vive et d’entraver l’éducation révolutionnaire de leurs membres, procédés tournés en ridicule et flétris par Lénine qui, dans la Maladie infantile, écrivait : L’attitude d’un parti politique envers ses fautes est un des critériums les plus importants et les plus sûrs de son sérieux, de son aptitude à s’acquitter de ses devoirs envers sa classe et les masses laborieuses. Reconnaître ouvertement une faute, en découvrir les causes, analyser la situation qui l’a provoquée, examiner attentivement les moyens de la réparer, c’est là l’indice d’un parti sérieux, c’est là, pour un parti, ce qui s’appelle faire son devoir, faire l’éducation de la classe et, partant, de la masse.

D’aucuns déclarent que l’autocritique est dangereuse pour un parti qui, dévoilant ses propres fautes, donne ainsi à ses adversaires des armes contre lui. Lénine considérait cette objection comme dénuée de sérieux et de fondement. Voici ce qu’il disait à ce propos, en 1924, dans sa brochure Un pas en avant, deux pas en arrière, alors que notre parti était encore faible, insignifiant : Ils

[les adversaires des marxistes]

exultent à la vue de nos discussions ; ils s’efforceront, certes, d’exploiter pour leurs fins certains passages de ma brochure consacrée aux défauts et aux lacunes de notre parti. Les marxistes russes sont déjà suffisamment trempés dans les batailles pour ne pas se laisser émouvoir par ces coups d’épingle, pour continuer leur travail d’autocritique et de dévoilement de leurs propres défauts, qui disparaîtront avec la croissance du mouvement ouvrier.

Tels sont, en somme, les traits caractéristiques de la méthode du léninisme.

Ce qu’il y a dans la méthode de Lénine se trouvait déjà virtuellement dans la doctrine de Marx qui, « dans son essence, est, comme le dit Marx lui-même, critique et révolutionnaire ».

C’est précisément de cet esprit critique révolutionnaire qu’est imprégnée toute la méthode de Lénine. Mais cette méthode n’est pas simplement la restauration, elle est la concrétisation et le développement de la méthode critique et révolutionnaire de Marx, de sa dialectique matérialiste.

III − La théorie

De ce thème, je retiendrai trois questions :

a) importance de la théorie pour le mouvement prolétarien ;

b) critique de la« théorie » de la spontanéité ;

c) théorie de la révolution prolétarienne.

1. Importance de la théorie

D’aucuns estiment que le léninisme est la suprématie de la pratique sur la théorie, en ce sens que le principal dans le léninisme, c’est la traduction en actes des thèses marxistes, leur« accomplissement ».

Quant à la théorie, le léninisme soi-disant s’en soucie assez peu. Plekhanov, on le sait, s’est maintes fois moqué de l’ « insouciance » de Lénine pour la théorie, et particulièrement pour la philosophie.

La théorie n’est pas non plus très en faveur chez nombre de praticiens léninistes actuels qui, accablés de travail, n’ont guère le temps d’y songer.

Cette opinion étrange sur Lénine et le léninisme est radicalement erronée et la tendance des praticiens à faire fi de la théorie contredit tout l’esprit du léninisme et comporte des dangers sérieux pour la pratique.

La théorie est la synthétisation de l’expérience du mouvement ouvrier de tous les pays. Elle perd sa raison d’être si elle n’est pas reliée à la pratique révolutionnaire, de même que la pratique erre dans les ténèbres si elle n’est pas éclairée par la théorie révolutionnaire.

Mais la théorie peut devenir la plus grande force du mouvement ouvrier si elle est indissolublement liée à la pratique révolutionnaire, car seule elle peut donner au mouvement l’assurance, l’orientation, l’intelligence de la liaison interne des événements, seule elle peut aider à comprendre le processus et la direction du mouvement des classes au moment présent et dans l’avenir prochain.

Lénine lui-même a dit maintes fois que « sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire ».

Mieux que personne, Lénine comprenait l’importance extrême de la théorie, particulièrement pour un parti comme le nôtre, à qui incombe le rôle d’avant-garde du prolétariat international et qui a à travailler dans une situation intérieure et internationale des plus compliquées.

Prévoyant ce rôle spécial de notre parti, il jugeait nécessaire en 1902 déjà de rappeler que « seul un parti dirigé par une théorie avancée peut s’acquitter du rôle de lutteur d’avant-garde ».

Maintenant que cette prédiction de Lénine sur le rôle de notre parti s’est réalisée, ses vues sur la théorie acquièrent une valeur particulière.

Lénine accordait une importance extrême à la théorie : la preuve en est qu’il a entrepris lui-même, dans le domaine de la philosophie matérialiste, la généralisation de toutes les acquisitions de la science depuis Engels, ainsi que la critique complète des courants antimatérialistes parmi les marxistes. Engels disait que « le matérialisme doit prendre un nouvel aspect à chaque nouvelle grande découverte ».

Ce nouvel aspect, Lénine l’a donné pour son époque dans son ouvrage remarquable : Matérialisme et empiriocriticisme. Or, il est à remarquer que Plekhanov, pourtant si enclin à railler l’insouciance de Lénine pour la philosophie, ne s’est pas décidé à entreprendre sérieusement l’accomplissement de cette tâche.

2. La théorie de la spontanéité

La « théorie » de la spontanéité est la théorie de l’opportunisme. Elle s’incline devant la spontanéité du mouvement ouvrier, nie en somme le rôle dirigeant de l’avant-garde, du parti de la classe ouvrière.

Cette théorie est en contradiction avec le caractère révolutionnaire du mouvement ouvrier.

En effet, elle déclare que la lutte ne doit pas être dirigée contre les bases du capitalisme, que le mouvement doit suivre exclusivement la ligne des revendications « possibles », « admissibles » pour le capitalisme.

Elle est en somme pour la « ligne de moindre résistance » elle représente l’idéologie du trade-unionisme.

Elle n’admet pas que l’on donne au mouvement spontané un caractère conscient, méthodique ; elle ne veut pas que le parti marche à la tête de la classe ouvrière, qu’il élève la conscience des masses, qu’il mène le mouvement à sa suite.

Elle estime que les éléments conscients du mouvement ne doivent pas empêcher ce dernier de suivre sa voie et que le parti doit s’adapter au mouvement spontané et se traîner à sa remorque.

Elle est la théorie de la sous-estimation du rôle de l’élément conscient dans le mouvement, l’idéologie des « suiveurs », la base logique de tout opportunisme.

Pratiquement, cette théorie, qui est apparue avant la première révolution en Russie, conduisait ses partisans, les « économistes », à nier la nécessité d’un parti ouvrier indépendant en Russie, à s’élever contre la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière contre le tsarisme, à prêcher la politique trade-unioniste dans le mouvement, à mettre en somme le mouvement ouvrier sous l’égide, sous la direction de la bourgeoisie libérale.

La lutte de l’ancienne Iskra et la brillante critique de la théorie des « suiveurs » donnée par Lénine dans Que faire ? ont non seulement terrassé l’économisme, mais créé les bases théoriques du mouvement véritablement révolutionnaire de la classe ouvrière russe.

Sans cette lutte, il était impossible même de songer à la création en Russie d’un parti ouvrier indépendant appelé à jouer le rôle directeur dans la révolution.

Mais la théorie de la spontanéité n’est pas spéciale à la Russie. Elle est extrêmement répandue, sous une forme un peu différente, il est vrai, dans tous les partis de la IIe Internationale. Elle n’est en somme que la théorie des « forces de production », théorie ravalée par les leaders de la IIe Internationale et qui justifie tout, concilie tout, constate les faits lorsqu’ils sont déjà devenus évidents pour tous et s’arrête, satisfaite, après les avoir constatés.

Marx disait que la théorie matérialiste ne peut se borner à expliquer le monde, qu’elle doit encore le transformer. Mais Kautsky et consorts n’ont souci de cette transformation ; ils préfèrent s’en tenir à la première partie de la théorie de Marx.

Voici un des innombrables exemples de l’application de la « théorie » des forces de production.

Au congrès de Bâle, les partis de la IIe Internationale avaient menacé de déclarer « la guerre à la guerre » en cas de conflagration militaire. Or, au début même de la guerre impérialiste, ces partis mirent au rancart le mot d’ordre : « Guerre à la guerre ! » et le remplacèrent par celui de : « Guerre pour la patrie impérialiste ! »

Ce changement de mot d’ordre entraîna la mort de millions d’ouvriers. Mais ce serait, soi-disant, une erreur de croire qu’il y a là des coupables, que certaines personnes ont trahi la classe ouvrière. Tout s’est accompli selon l’ordre naturel des choses. En effet, l’Internationale est un « instrument de paix » et non de guerre.

En outre, étant donné le « niveau des forces de production » qui existait alors, il était impossible de faire autrement.

Et ainsi, comme l’explique Kautsky, la faute en est aux « forces de production ».

Mais, dira-t-on, et le rôle des partis dans le mouvement ?

Un parti, répondent Kautsky et ses adeptes, ne peut rien faire contre un facteur aussi décisif que le« niveau des forces de production ».

On pourrait rapporter une foule d’exemples analogues de cette falsification du marxisme, qui évidemment est destinée à voiler l’opportunisme et n’est en somme qu’une adaptation européenne de la théorie des « suiveurs » que Lénine combattait déjà avant la première révolution.

Il est clair que la destruction de cette théorie essentiellement fausse est la condition préalable de la création de partis véritablement révolutionnaires en Occident.

3. La théorie de la révolution prolétarienne

La théorie léniniste de la révolution prolétarienne s’appuie sur trois thèses fondamentales.

Première thèse. La domination du capital financier dans les pays capitalistes avancés, l’émission d’actions et d’obligations, principale opération du capital financier ; l’exportation du capital vers les sources de matières premières, exportation qui est une des bases de l’impérialisme ; l’omnipotence d’une oligarchie financière, résultat de la domination du capital financier, dévoilent le caractère parasite, brutal du capitalisme monopolisateur, rendent beaucoup plus insupportable le joug des trusts et des syndicats capitalistes, accroissent l’indignation de la classe ouvrière contre le capitalisme, poussent les masses à la révolution prolétarienne dans laquelle elles voient leur unique moyen de salut (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

De là une exacerbation de la crise révolutionnaire dans les pays capitalistes, un accroissement des causes de conflits sur le front prolétarien intérieur, dans les « métropoles ».

Deuxième thèse. L’exportation croissante du capital dans les colonies et les pays assujettis, l’extension des « sphères d’influence » et de la colonisation, extension allant jusqu’à la mainmise sur tous les territoires du globe, la transformation du capitalisme en système mondial de l’asservissement financier et de l’oppression coloniale de l’immense majorité de la population du globe par quelques pays « avancés » ont fait des économies nationales isolées les anneaux d’une chaîne unique appelée l’économie mondiale et divisé la population de la terre en deux camps : les pays capitalistes « avancés », qui exploitent et oppriment de vastes colonies et des pays nominalement plus ou moins indépendants, et l’immense majorité des pays coloniaux et assujettis, contraints de lutter pour s’affranchir du joug impérialiste. (V.I. Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.)

De là une aggravation de la crise révolutionnaire dans les pays coloniaux, un accroissement de l’esprit de révolte contre l’impérialisme sur le front extérieur, le front colonial.

Troisième thèse. Le monopole des « sphères d’influence » et des colonies ; le développement inégal des différents pays capitalistes, qui entraîne une lutte acharnée entre les pays qui se sont déjà partagé les territoires du globe et ceux qui veulent recevoir leur « part » ; les guerres impérialistes, unique moyen de rétablir « l’équilibre », entraînent la création d’un troisième front, le front intercapitaliste, qui affaiblit l’impérialisme et facilite l’union du front prolétarien et du front colonial contre l’impérialisme.

De là, l’inéluctabilité des guerres sous l’impérialisme, l’inévitabilité de la coalition de la révolution prolétarienne en Europe avec la révolution coloniale en Orient, la formation d’un front mondial unique de la révolution, contre le front mondial de l’impérialisme.

De ces déductions, Lénine tire la déduction générale que « l’impérialisme est le prélude de la révolution socialiste » (Cf. L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Par suite, la façon d’envisager la révolution prolétarienne, son caractère, ses grandes lignes, son ampleur, sa profondeur n’est plus la même qu’autrefois.

Auparavant, on analysait ordinairement les postulats de la révolution prolétarienne du point de vue de la situation économique de tel ou tel pays isolé.

Cette méthode est maintenant insuffisante.

Maintenant, il faut partir du point de vue de la situation économique de la totalité ou de la majorité des pays, du point de vue de l’état de l’économie mondiale. En effet, les pays et les économies nationales isolées ne sont plus des unités économiques indépendantes, mais des anneaux d’une chaîne unique appelée l’économie mondiale, et l’ancien capitalisme « civilisateur » est devenu l’impérialisme, qui est le système mondial de l’asservissement financier et de l’oppression coloniale de la majorité de la population du globe par quelques pays « avancés ».

Auparavant, on avait coutume de parler de l’existence ou de l’absence des conditions objectives de la révolution prolétarienne dans des pays isolés ou, plus exactement, dans tel ou tel pays avancé.

Ce point de vue est maintenant insuffisant. Il faut tenir compte de l’existence des conditions objectives de la révolution dans tout le système de l’économie impérialiste mondiale, qui forme un tout unique. L’existence, dans ce système, de quelques pays insuffisamment développés au point de vue industriel, ne peut être un obstacle insurmontable à la révolution du moment que le système, dans son ensemble, est déjà mûr pour la révolution.

Auparavant, on parlait de la révolution prolétarienne dans tel et tel pays avancé comme d’une grandeur indépendante. Maintenant, ce point de vue est insuffisant.

Il faut parler de la révolution prolétarienne mondiale, car les différents fronts nationaux du capital sont devenus les anneaux d’une chaîne unique : le front mondial de l’impérialisme, auquel doit être opposé le front unique du mouvement révolutionnaire de tous les pays.

Auparavant, on voyait dans la révolution prolétarienne uniquement le résultat du développement intérieur d’un pays donné. Maintenant, ce point de vue est insuffisant. Il faut considérer la révolution prolétarienne avant tout comme le résultat du développement des contradictions clans le système mondial de l’impérialisme, comme le résultat de la rupture de la chaîne du front impérialiste mondial dans tel ou tel pays.

Où commencera la révolution ; où, dans quel pays, peut être en premier lieu percé le front du capital ?

Là où l’industrie est le plus perfectionnée, où le prolétariat forme la majorité, où la civilisation est le plus avancée, où la démocratie est le plus développée, répondait-on autrefois.

Non, répond la théorie léniniste de la révolution. Le front du capital ne sera pas nécessairement percé là où l’industrie est le plus développée ; il sera percé là où la chaîne de l’impérialisme est le plus faible, car la révolution prolétarienne est le résultat de la rupture de la chaîne du front impérialiste mondial à l’endroit le plus faible.

Donc, il peut se faire que le pays qui commence la révolution, qui fait brèche dans le front du capital, soit moins développe au point de vue capitaliste que d’autres qui restent pourtant dans le cadre du capitalisme.

En 1917, la chaîne du front impérialiste mondial s’est trouvée plus faible en Russie que dans les autres pays. C’est là qu’elle s’est rompue et qu’elle a donné issue à la révolution prolétarienne.

Pourquoi ?

Parce que, en Russie, se déroulait une grande révolution populaire dirigée par le prolétariat qui avait pour lui un allié important : la paysannerie opprimée et exploitée par les grands propriétaires fonciers.

Parce que la révolution avait comme adversaire le représentant le plus hideux de l’impérialisme, le tsarisme, privé de toute autorité morale et haï de toute la population. En Russie, la chaîne s’est trouvée plus faible, quoique ce pays fût moins développé au point de vue capitaliste que, par exemple, la France, l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Amérique.

Où va se briser prochainement la chaîne ? Là où elle est le plus faible. Il n’est pas impossible, par exemple, que ce soit dans l’Inde.

Pourquoi ?

Parce qu’il y a là un jeune prolétariat révolutionnaire combatif qui a pour allier le mouvement de libération nationale, mouvement incontestablement très puissant. Parce que, dans ce pays, la révolution a pour adversaire l’impérialisme étranger, privé de toute autorité morale et haï des masses exploitées et opprimées de l’Inde.

Il est possible, également, que la chaîne se brise en Allemagne. Pourquoi ? Parce que les facteurs qui agissent dans l’Inde commencent à agir également en Allemagne. Evidemment, la différence immense du niveau de développement entre l’Inde et l’Allemagne ne peut pas ne pas mettre son empreinte spéciale sur la marche et l’issue de la révolution en Allemagne.

Voilà pourquoi Lénine dit que : Les pays capitalistes d’Europe occidentale parachèveront leur évolution vers le socialisme, non pas par la maturation régulière du socialisme dans ces pays, mais au moyen de l’exploitation de certains Etats par d’autres, au moyen de l’exploitation du premier Etat vaincu dans la guerre impérialiste… L’Orient, d’autre part, est entré définitivement dans le mouvement révolutionnaire par suite de cette première guerre impérialiste et a été entraîné dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.

Brièvement parlant, la chaîne du front impérialiste, en règle générale, doit se briser là où les anneaux sont le plus fragiles et non nécessairement là où le capitalisme est le plus développé, où il y a un pourcentage considérable de prolétaires, relativement peu de paysans, etc.

Voilà pourquoi les données statistiques sur la proportion du prolétariat dans la population d’un pays isolé perdent, dans la solution de la question de la révolution prolétarienne, l’importance exceptionnelle que leur assignaient les statisticiens de la ne Internationale, qui n’ont pas compris l’impérialisme et craignent la révolution comme le feu.

Les hommes de la IIe Internationale affirmaient (et continuent d’affirmer) qu’entre la révolution démocratique bourgeoise et la révolution prolétarienne il existe un abîme ou, en tout cas, un très long intervalle de temps (des dizaines et même des centaines d’années), au cours duquel la bourgeoisie arrivée au pouvoir développe le capitalisme, tandis que le prolétariat accumule des forces et se prépare à la « lutte décisive » contre le capitalisme.

Cette théorie est évidemment dénuée de tout fondement scientifique sous l’impérialisme : elle n’est et ne peut être qu’un moyen de voiler les aspirations contre-révolutionnaires de la bourgeoisie.

Il est clair qu’à l’époque où règne l’impérialisme, qui porte en lui le germe de collisions et de guerres ; où l’ancien capitalisme « florissant » n’est plus qu’un capitalisme « dépérissant » ; où le mouvement révolutionnaire croît dans tous les pays du inonde ; où l’impérialisme s’allie à toutes les forces réactionnaires, y compris l’autocratie et le servage, rendant par là même d’autant plus nécessaire le bloc de toutes les forces révolutionnaires, depuis le mouvement prolétarien d’Occident jusqu’au mouvement de libération nationale d’Orient ; au moment où la suppression des survivances du régime féodal devient impossible sans une lutte révolutionnaire contre l’impérialisme, il est clair, dis-je, que la révolution démocratique bourgeoise, dans un pays plus ou moins développé, doit tendre à la révolution prolétarienne, se transformer en cette dernière.

L’histoire de la révolution en Russie a démontré péremptoirement la justesse de cette proposition. Aussi Lénine avait-il raison quand, en 1905, à la veille de la première révolution russe, il représentait dans sa brochure : Deux tactiques, la révolution démocratique bourgeoise et la révolution socialiste comme deux anneaux d’une même chaîne, comme les deux stades naturels de la révolution russe : Le prolétariat doit pousser à fond la révolution démocratique en ralliant à lui la masse paysanne pour écraser par la force la résistance de l’autocratie et paralyser la bourgeoisie instable. Il doit accomplir la révolution socialiste en ralliant à lui les éléments semi-prolétariens pour briser par la violence la résistance de la bourgeoisie et paralyser les paysans et la petite bourgeoisie instables. Telles sont ses tâches, que restreignent considérablement les partisans de la nouvelle Iskra dans leurs raisonnements et résolutions sur l’ampleur de la révolution.

Je ne parlerai pas ici des travaux ultérieurs de Lénine, où l’idée de la transformation de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne est exprimée encore plus nettement et forme une des pierres angulaires de la théorie de la révolution.

Certains communistes croient que Lénine n’est venu à cette idée qu’en 1916, qu’auparavant il estimait que la révolution en Russie resterait dans le cadre bourgeois, que le pouvoir, par suite, passerait à la bourgeoisie et non au prolétariat. Cette opinion, paraît-il, a même pénétré dans notre presse communiste.

Or, elle est complètement erronée.

Pour le prouver, je pourrais me référer au discours dans lequel Lénine, au 3e congrès du parti (1905), qualifie la dictature du prolétariat et de la paysannerie, c’est-à-dire la victoire de la révolution démocratique, non pas d’« organisation de l’ordre », mais d’« organisation de la guerre ».

Je pourrais en outre rapporter les articles sur le Gouvernement provisoire (1905) dans lesquels Lénine, dépeignant le développement de la révolution en Russie, déclare : Le parti doit faire en sorte que la révolution russe soit un mouvement non pas de quelques mois, mais de plusieurs années ; qu’elle n’amène pas seulement à de légères concessions de la part des autorités, mais au renversement complet de ces autorités.

Développant le tableau de cette révolution, qu’il rattache à celle d’Europe, Lénine continue : Et si l’on y parvient, l’incendie révolutionnaire embrasera l’Europe ; l’ouvrier européen, incapable de supporter plus longtemps la réaction bourgeoise, se lèvera à son tour et nous montrera comment il faut faire ; et alors, la poussée révolutionnaire en Europe exercera sur la Russie un choc en retour et réduira chez nous la durée de la révolution à quelques années.

Je pourrais également citer l’article publié en novembre 1915 dans lequel Lénine écrit : Le prolétariat lutte et luttera pour la conquête du pouvoir, la République, la confiscation des terres, la participation des masses populaires non-prolétariennes à la libération de la Russie bourgeoise du joug de cet impérialisme féodal militaire qui a nom le tsarisme. Et il profitera immédiatement de cette libération du joug du tsarisme, du pouvoir des propriétaires fonciers, non pour venir en aide aux paysans aisés dans leur lutte contre les ouvriers agricoles, mais pour effectuer la révolution socialiste en union avec le prolétariat européen (Contre le courant).

Je pourrais enfin rapporter un passage bien connu de La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, où Lénine, se référant à son tableau de la révolution russe dans Deux tactiques, arrive à la conclusion suivante : Le développement de la révolution a confirmé la justesse de notre raisonnement. D’abord, il faut marcher avec toute la paysannerie contre la monarchie, les propriétaires fonciers, le régime moyenâgeux (et dans cette mesure la révolution reste bourgeoise, démocratique-bourgeoise). Ensuite, il faut marcher avec les paysans pauvres, les demi-prolétaires, tous les exploités, contre le capitalisme et ses représentants à la campagne : richards, koulaks, spéculateurs ; et ainsi la révolution devient socialiste. Tenter d’élever une barrière artificielle entre la première et la seconde révolution, séparées uniquement par le degré de préparation du prolétariat, son degré d’union avec les paysans pauvres, c’est dénaturer le marxisme, le ravaler, le remplacer par le libéralisme.

Mais, nous dira-t-on, s’il en est ainsi, pourquoi Lénine a-t-il combattu l’idée de la « révolution permanente » ?

Parce qu’il voulait utiliser à fond les capacités et l’énergie révolutionnaires de la paysannerie pour la liquidation complète du tsarisme et le passage à la révolution prolétarienne, alors que les partisans de la « révolution permanente » ne comprenaient pas le rôle important de la paysannerie dans la révolution russe, sous-estimaient son énergie révolutionnaire ainsi que la force du prolétariat et son aptitude à entraîner la paysannerie à sa suite et, par-là, empêchaient, dans une certaine mesure, cette dernière de se libérer de l’influence bourgeoise et de se grouper autour du prolétariat.

Parce qu’il voulait couronner la révolution par l’avènement du prolétariat au pouvoir, alors que les partisans de la révolution permanente voulaient commencer directement par l’instauration du pouvoir du prolétariat, ne comprenant pas que, par là-même, ils fermaient les yeux sur l’existence des survivances du servage, négligeaient une force aussi importante que la paysannerie et entravaient ainsi le ralliement de cette dernière au prolétariat.

Ainsi donc, Lénine combattait les partisans de la révolution permanente, non pas parce qu’ils affirmaient la permanence de la révolution, thèse qu’il ne cessa jamais lui-même de soutenir, mais parce qu’ils sous-estimaient le rôle de la paysannerie, qui est la plus grande réserve de force du prolétariat, parce qu’ils ne comprenaient pas l’idée de l’hégémonie du prolétariat.

L’idée de la révolution permanente n’est pas nouvelle. Elle a été exposée pour la première fois par Marx, en 1850, dans l’Adresse à la Ligue des communistes.

C’est là que nos « théoriciens » russes sont allés la chercher, mais la modification qu’ils lui ont fait subir a suffi à la rendre impropre à l’usage pratique. Il a fallu la main exercée de Lénine pour réparer cette erreur, dégager l’idée de la révolution permanente de ses scories et en faire une des pierres angulaires de la théorie de la révolution.

Voici ce que dit Marx sur la révolution permanente, dans son Adresse, après avoir énuméré les revendications démocratiques révolutionnaires que doivent poser les communistes : Alors que les petits-bourgeois démocrates veulent, par la satisfaction du plus grand nombre des revendications précitées, terminer le plus vite possible la révolution, nos intérêts et notre tâche consistent à rendre la révolution permanente tant que toutes les classes plus ou moins possédantes ne seront pas écartées du pouvoir, que le prolétariat n’aura pas conquis le pouvoir d’Etat, que les associations des prolétaires dans les principaux pays du monde ne se seront pas développées suffisamment pour faire cesser la concurrence entre les prolétaires de ces pays et que les principales forces de production, tout au moins, ne seront pas concentrées entre les mains des prolétaires.

Autrement dit :

1° Marx, quoi qu’en disent nos partisans de la « révolution permanente », n’a pas proposé de commencer la révolution dans l’Allemagne de 1850 directement par l’instauration du pouvoir prolétarien ;

2° Marx a proposé uniquement de couronner la révolution par le pouvoir politique prolétarien en jetant à bas du pouvoir successivement toutes les fractions de la bourgeoisie pour allumer, après l’avènement du prolétariat au pouvoir, l’incendie de la révolution dans tous les pays.

Or, cela est en conformité parfaite avec tout ce qu’a enseigné Lénine, avec tout ce qu’il a fait au cours de notre révolution prolétarienne sous l’impérialisme.

Ainsi, nos partisans russes de la « révolution permanente » non seulement ont sous-estimé le rôle de la paysannerie dans la révolution russe, mais ont modifié l’idée de la révolution permanente de Marx et lui ont enlevé sa valeur pratique.

Voilà pourquoi Lénine raillait leur théorie et les accusait de ne pas vouloir « réfléchir aux raisons pour lesquelles la vie, durant des dizaines d’années, avait passé à côté de cette magnifique théorie ».

Voilà pourquoi il considérait cette théorie comme semi-menchéviste et disait qu’elle « emprunte aux bolcheviks l’appel à la lutte révolutionnaire décisive et à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, et aux menchéviks la négation du rôle de la paysannerie ». (V. l’article : Deux lignes de la révolution.)

Voilà donc comment Lénine concevait la transformation de la révolution démocratique bourgeoise en révolution prolétarienne, l’utilisation de la révolution bourgeoise pour le passage « immédiat » à la révolution prolétarienne.

Auparavant, on considérait que la victoire de la révolution dans un seul pays était impossible, car, croyait-on, pour vaincre la bourgeoisie, il faut l’action combinée des prolétaires de la totalité ou, tout au moins, de la majorité des pays avancés.

Ce point de vue ne correspond plus à la réalité.

Il faut maintenant partir de la possibilité de la victoire sur la bourgeoisie dans un seul pays, car le développement inégal, saccadé des pays capitalistes sous l’impérialisme, l’aggravation des contradictions internes de l’impérialisme, qui aboutissent fatalement à des guerres, la croissance du mouvement révolutionnaire dans tous les pays du globe, entraînent non seulement la possibilité, mais la nécessité de la victoire du prolétariat dans des pays isolés. L’histoire de la révolution russe en est une preuve éclatante.

Seulement, il convient de ne pas oublier que, pour le renversement de la bourgeoisie, il faut certaines conditions indispensables, sans lesquelles le prolétariat ne saurait même songer à la prise du pouvoir.

Voici ce que dit Lénine de ces conditions dans la Maladie infantile du communisme : La loi fondamentale, confirmée par toutes les révolutions, et en particulier par les trois révolutions russes du XXe siècle, est la suivante : pour la révolution, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées conçoivent l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des modifications ; il faut que les exploiteurs ne puissent vivre et gouverner comme autrefois. Ce n’est que lorsque les « basses classes » ne veulent plus et que les « classes supérieures » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière que la révolution peut triompher. Autrement dit : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant les exploités et les exploiteurs). Ainsi donc, pour la révolution, il faut en premier lieu que la majorité des ouvriers conscients, politiquement actifs, comprennent parfaitement la nécessité de la révolution et soient prêts à mourir pour elle ; en second lieu, que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la politique les masses, même les plus retardataires, affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son renversement rapide…

Mais renverser le pouvoir de la bourgeoisie et instaurer celui du prolétariat dans un seul pays, ce n’est pas encore assurer la victoire complète du socialisme. Son pouvoir, une fois consolidé, le prolétariat du pays victorieux peut et doit, tout en menant la paysannerie à sa suite, construire la société socialiste.

Mais s’ensuit-il qu’il puisse arriver par-là à la victoire complète, définitive du socialisme, c’est-à-dire qu’il puisse, réduit aux seules forces de son pays, instaurer définitivement le socialisme et garantir complètement le pays contre l’intervention et, partant, contre la restauration de l’ancien régime ?

Non.

Pour cela, la victoire de la révolution dans plusieurs pays au moins est nécessaire.

Aussi la révolution victorieuse dans un pays a-t-elle pour tâche essentielle de développer et de soutenir la révolution dans les autres. Aussi ne doit-elle pas se considérer comme une grandeur indépendante, mais comme un auxiliaire, un moyen d’accélérer la victoire du prolétariat dans les autres pays.

Lénine a exprimé lapidairement cette pensée en disant que la tâche de la révolution victorieuse consistait à faire le « maximum dans un pays pour le développement, le soutien, l’éveil de la révolution dans les autres pays » (v. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky.)

IV − La dictature du prolétariat

De ce thème, je retiendrai trois questions fondamentales :

a) la dictature du prolétariat, instrument de la révolution prolétarienne ;

b) la dictature du prolétariat, domination du prolétariat sur la bourgeoisie ;

c) le pouvoir des Soviets, forme d’Etat de la dictature du prolétariat.

1. La dictature du prolétariat, instrument de la révolution prolétarienne.

La question de la dictature du prolétariat est avant tout la question du contenu essentiel de la révolution prolétarienne. La révolution prolétarienne, son mouvement, son envergure, ses conquêtes ne deviennent une réalité que par la dictature du prolétariat.

Cette dictature est le point d’appui principal de la révolution prolétarienne, son organe, son instrument destiné, tout d’abord, à écraser la résistance des exploiteurs terrassés, à consolider les conquêtes de la révolution et, ensuite, à mener cette révolution jusqu’au bout, jusqu’à la victoire complète du socialisme.

La révolution pourrait renverser le pouvoir de la bourgeoisie, sans la dictature du prolétariat. Mais elle ne peut écraser la résistance de la bourgeoisie si, à un certain degré de son développement, elle ne se crée pas un organe spécial : la dictature du prolétariat, qui sera son point d’appui fondamental.

« La question essentielle de la révolution est la question du pouvoir » (Lénine). Est- ce à dire que la révolution soit terminée avec la prise du pouvoir ?

Non.

La prise du pouvoir n’en est que le commencement. Renversée dans un pays, la bourgeoisie, pour une série de raisons, reste encore plus forte que le prolétariat qui l’a renversée.

C’est pourquoi il s’agit de garder le pouvoir, de le consolider, de le rendre invincible.

Que faut-il pour y arriver ? S’acquitter tout au moins des trois tâches principales suivantes qui s’imposent dès le lendemain de la victoire :

a) Briser la résistance des seigneurs terriens et des capitalistes expropriés par la révolution, liquider toutes leurs tentatives de restauration du pouvoir du capital ;

b) Organiser la construction socialiste en rassemblant tous les travailleurs autour du prolétariat et en préparant la disparition progressive des classes ;

c) Armer la révolution, organiser l’armée de la révolution pour la lutte contre l’ennemi extérieur, contre l’impérialisme.

La dictature du prolétariat est nécessaire pour l’accomplissement de ces trois tâches. Le passage du capitalisme au communisme − dit Lénine − représente toute une époque historique. Tant qu’elle n’est pas terminée, les exploiteurs conservent toujours l’espoir d’une restauration, et cet espoir se traduira par des tentatives de restauration… Or, à la remorque des capitalistes exploiteurs qui ne s’y attendaient pas, qui n’en admettaient même pas la possibilité, s’élancent avec un redoublement d’énergie, une passion furieuse, une haine implacable à la bataille pour recouvrer le « paradis » perdu, assurer le sort de leurs familles, qui vivaient d’une vie si facile et que la « canaille populaire » condamne maintenant à la misère et à la ruine (ou au « vil » labeur…). Or, à la remorque des capitalistes exploiteurs se traîne la masse de la petite-bourgeoisie qui, comme l’atteste l’expérience de tous les pays, oscille et hésite perpétuellement, marche aujourd’hui avec le prolétariat, demain s’effraye des difficultés du coup de force, s’épouvante à la première défaite ou au premier échec des ouvriers, est en proie à la nervosité, ne sait où donner de la tête, pleurniche et court d’un camp à l’autre (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

Or, la bourgeoisie a tout lieu de faire des tentatives de restauration, car après son renversement, elle reste, longtemps encore, plus forte que le prolétariat qui l’a renversée. Si les exploiteurs, écrit Lénine, ne sont vaincus que dans un seul pays − et c’est là le cas le plus fréquent, car la révolution simultanée dans une série de pays est une exception − ils restent plus forts que les exploités (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

En quoi réside la force de la bourgeoisie renversée ?

Premièrement : Dans la puissance du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie (La maladie infantile du communisme).

Deuxièmement : Dans le fait que longtemps encore après le coup de force, les exploiteurs conservent inévitablement une série d’avantages énormes : l’argent (qu’il est impossible de supprimer immédiatement), des biens mobiliers, souvent considérables, des relations, des procédés d’organisation et de gestion économique, la connaissance de tous les « secrets » de l’administration, une instruction supérieure, des liaisons avec le haut personnel technique (bourgeois par sa vie et son idéologie), une connaissance approfondie de l’art militaire (ce qui est très important), etc., etc. (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

Troisièmement :Dans la force de l’habitude, dans la force de la petite production, car cette dernière, par malheur, subsiste encore sur une vaste échelle et constamment, journellement, spontanément, engendre le capitalisme et la bourgeoisie… Supprimer les classes, ce n’est pas seulement expulser les propriétaires fonciers et les capitalistes − ce que nous avons fait relativement facilement − c’est aussi supprimer les petits producteurs de marchandises ; or il est impossible de les expulser, il est impossible de les écraser, il faut faire bon ménage avec eux, il faut (et c’est là chose possible) les transformer, les rééduquer ; mais on ne le peut que par un travail d’organisation lent et prudent (La maladie infantile du communisme).

Voilà pourquoi Lénine déclare : La dictature du prolétariat est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classe contre son ennemi plus puissant qu’elle, contre la bourgeoisie, dont la force de résistance est décuplée par son renversement… La dictature du prolétariat est une lutte acharnée, avec et sans effusion de sang, une lutte violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, une lutte contre les forces et les traditions de l’ancienne société (La maladie infantile du communisme).

Il est évident qu’il est absolument impossible d’accomplir ces tâches rapidement, dans l’espace de quelques années.

C’est pourquoi il faut considérer la dictature du prolétariat, le passage du capitalisme au communisme, non pas comme une période rapide d’actes et de décrets extrêmement révolutionnaires, mais comme toute une période historique remplie d’organisation et de construction économique, d’offensives et de retraites, de victoires et de défaites.

Cette époque historique est nécessaire non seulement pour créer les prémisses économiques et culturelles de la victoire complète du socialisme, mais aussi pour permettre au prolétariat, premièrement, de s’éduquer et de devenir une force capable de diriger le pays et, secondement, de rééduquer et de transformer les couches petites-bourgeoises de façon à assurer l’organisation de la production socialiste. Il vous faudra − écrivait Marx aux ouvriers − traverser quinze, vingt, cinquante années de guerres civiles et internationales, non seulement pour changer les rapports sociaux, mais aussi pour vous transformer vous-mêmes et vous rendre aptes à la domination politique.

Développant la pensée de Marx, Lénine écrit : Sous la dictature du prolétariat, il faudra rééduquer des millions de paysans et de petits propriétaires, des centaines de milliers d’employés, de fonctionnaires, d’intellectuels bourgeois, les soumettre à l’Etat prolétarien et à la direction prolétarienne, vaincre en eux leurs habitudes et leurs traditions bourgeoises… rééduquer dans une longue lutte les prolétaires eux-mêmes qui ne s’affranchissent pas de leurs préjugés petits-bourgeois du premier coup, par miracle, par ordre supérieur, par l’injonction de la révolution ou d’un décret quelconque, mais seulement au cours d’une lutte longue et difficile contre les innombrables influences petites-bourgeoises (La maladie infantile du communisme).

2. la dictature du prolétariat, domination du prolétariat sur la bourgeoisie

Ce que nous avons dit montre déjà que la dictature du prolétariat ne consiste pas simplement dans le fait de changer les personnes qui sont au pouvoir, de changer le « cabinet » tout en laissant intact l’ancien ordre de choses économique et politique.

Les menchéviks et opportunistes de tous les pays, qui craignent la dictature comme le feu et en remplacent la conception par celle de « conquête du pouvoir », réduisent ordinairement la conquête du pouvoir au changement de « cabinet », à l’apparition d’un nouveau ministère composé d’hommes comme Scheidemann et Noske, Mac Donald et Henderson.

Point n’est besoin de démontrer que de tels changements de cabinet n’ont rien de commun avec la dictature du prolétariat, avec la conquête du pouvoir véritable par le prolétariat.

Avec la conservation de l’ancien état de choses bourgeois, le gouvernement des Mac Donald et des Scheidemann servira à voiler les monstruosités de l’impérialisme ; il ne sera qu’un instrument entre les mains de la bourgeoisie contre le mouvement révolutionnaire des masses opprimées et exploitées. De tels gouvernements sont nécessaires au capital en tant que paravent lorsqu’il lui est malséant, désavantageux ou difficile d’opprimer ou d’exploiter ouvertement les masses.

Certes, leur apparition est symptomatique ; elle montre que les affaires vont mal chez les capitalistes, mais ils n’en restent pas moins, sous une forme voilée, des gouvernements du capital. Du gouvernement Mac Donald ou Scheidemann à la conquête du pouvoir par le prolétariat, il y a aussi loin que de la terre au ciel.

La dictature du prolétariat n’est pas un simple changement de ministère, mais un nouvel Etat avec de nouveaux organes centraux et locaux, l’Etat du prolétariat, qui surgit sur les ruines de l’ancien Etat de la bourgeoisie.

La dictature du prolétariat ne naît pas de l’état de choses bourgeois, mais de sa destruction après le renversement de la bourgeoisie, de l’expropriation des propriétaires fonciers et des capitalistes, de la socialisation des instruments et des moyens essentiels de production, du développement de la révolution prolétarienne par la violence. La dictature du prolétariat est le pouvoir révolutionnaire s’appuyant sur la violence contre la bourgeoisie.

L’Etat est, entre les mains de la classe dominante, une machine pour l’écrasement de la résistance de ses ennemis de classe. Sous ce rapport, la dictature du prolétariat ne se distingue pas de la dictature d’une autre classe quelconque, car l’Etat prolétarien est une machine pour l’écrasement de la bourgeoisie. Mais, différence fondamentale, alors que tous les Etats de classe qui ont existé jusqu’à présent ont été la dictature de la minorité exploiteuse sur la majorité exploitée, la dictature du prolétariat, elle, est la dictature de la majorité exploitée sur la minorité exploiteuse.

Autrement dit, la dictature du prolétariat est la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, domination non limitée par la loi, s’appuyant sur la violence et jouissant de la sympathie et de l’appui des masses laborieuses et exploitées (L’État et la Révolution).

De là, deux déductions essentielles :

Première déduction. La dictature du prolétariat ne peut être la démocratie « intégrale », la démocratie pour tous, pour les riches et pour les pauvres ; elle « doit être un Etat démocratique, mais uniquement pour le prolétariat et les non-possédants ; un Etat dictatorial, mais uniquement contre la bourgeoisie… » (L’Etat et la révolution).

Les discours de Kautsky et consorts sur l’égalité universelle, la démocratie pure, parfaite, ne sont que des phrases bourgeoises voilant l’inadmissibilité d’une égalité entre les exploiteurs et les exploités. La théorie de la démocratie « pure » est celle de l’aristocratie ouvrière apprivoisée et entretenue par les pillards impérialistes.

Elle a été élaborée pour couvrir les plaies du capitalisme, farder l’impérialisme et lui conférer une force morale dans sa lutte contre les masses exploitées.

En régime capitaliste, il n’y a pas et il ne peut y avoir de libertés véritables pour les exploités, car les locaux, les imprimeries, les entrepôts de papier, etc., nécessaires pour l’utilisation de ces libertés, sont le monopole des exploiteurs.

En régime capitaliste, il n’y a et il ne peut y avoir de participation véritable des masses exploitées à l’administration du pays, parce que, dans les pays les plus démocratiques, les gouvernements sont instaurés non pas par le peuple, mais par les Rothschild et les Stinnes, les Rockefeller et les Morgan.

En régime capitaliste, la démocratie est une démocratie capitaliste ; c’est la démocratie de la minorité exploiteuse basée sur la limitation des droits de la majorité exploitée et dirigée contre cette majorité.

Ce n’est que sous la dictature du prolétariat que sont possibles les libertés véritables pour les exploités et la participation réelle des ouvriers et des paysans à l’administration du pays. Sous la dictature du prolétariat, la démocratie est prolétarienne ; c’est la démocratie de la majorité exploitée, basée sur la limitation des droits de la minorité exploiteuse et dirigée contre cette minorité.

Deuxième déduction. La dictature du prolétariat ne peut pas être le résultat du développement pacifique de la société et de la démocratie bourgeoise ; elle ne peut être que le résultat de la destruction de la machine étatique de l’armée, de l’appareil administratif et de la police bourgeoise. La classe ouvrière ne peut se borner à s’emparer d’une machine gouvernementale toute faite et à la mettre en mouvement pour ses propres buts. (Marx et Engels : Préface à la Guerre civile.) La révolution prolétarienne ne doit pas, comme on l’a fait jusqu’à présent, transmettre la machine militaire bureaucratique d’une main dans une autre, mais la briser… Telle est la condition indispensable de toute révolution populaire véritable sur le continent. (Marx : Lettre à Kugelmann.)

La restriction de Marx relative au « continent » a fourni aux opportunistes et aux menchéviks de tous les pays un prétexte pour déclarer que Marx admettait la possibilité de la transformation pacifique de la démocratie bourgeoise en démocratie prolétarienne, tout au moins pour quelques pays (Angleterre, Amérique).

Marx, en effet, admettait cette possibilité pour l’Angleterre et l’Amérique de 1860, où le capitalisme monopolisateur et l’impérialisme n’existaient pas encore, et où le militarisme et le bureaucratisme n’étaient encore que très peu développés.

Mais, maintenant, la situation dans ces pays a changé radicalement, l’impérialisme y a atteint son apogée, le militarisme et la bureaucratie y règnent et, par suite, la restriction de Marx n’a plus de raison d’être. Maintenant, en 1917, à l’époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx tombe d’elle-même. L’Angleterre et l’Amérique, qui, jusqu’à présent, par suite de l’absence de militarisme et de bureaucratisme, étaient dans le monde entier les derniers et les plus importants représentants de la « liberté » anglo-saxonne, ont roulé maintenant dans la bourbe sanglante des institutions militaires et bureaucratiques qui se subordonnent tout, qui compriment tout. Maintenant, en Angleterre et en Amérique, la condition préalable de toute révolution véritablement populaire est le bris, la destruction de la machine gouvernementale (L’Etat et la révolution).

En d’autres termes, la destruction de la machine gouvernemental de la bourgeoise est la condition indispensable de la révolution prolétarienne, la loi fatale du mouvement révolutionnaire des pays impérialistes.

Certes, si plus tard le prolétariat triomphe dans les principaux pays capitalistes et que l’encerclement capitaliste actuel fasse place à l’encerclement socialiste, la voie « pacifique » du développement est parfaitement possible pour certains pays où les capitalistes, devant la situation internationale « défavorable », jugeront rationnel de faire eux-mêmes des concessions sérieuses au prolétariat. Mais cette supposition ne concerne que l’avenir lointain et problématique. Pour l’avenir prochain, elle n’a absolument aucune raison d’être. La révolution prolétarienne est impossible sans la destruction violente de la machine gouvernementale bourgeoise et son remplacement par une nouvelle (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

3. le pouvoir des Soviets, forme d’Etat de la dictature du prolétariat

Le triomphe de la dictature du prolétariat, c’est l’écrasement de la bourgeoisie, la destruction de son appareil gouvernemental, le remplacement de la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne.

Voilà qui est clair.

Mais quelles sont les organisations qui permettront de venir à bout de ce travail colossal ? Il est évident que les anciennes formes d’organisation du prolétariat qui se sont constituées sur la base du parlementarisme bourgeois ne sauraient y suffire.

Quelle est donc la nouvelle forme d’organisation du prolétariat susceptible non seulement de briser cette machine gouvernementale et de remplacer la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne, mais aussi de devenir la base du pouvoir étatique prolétarien ?

Cette nouvelle forme d’organisation du prolétariat, c’est les soviets.

En quoi consiste la force des soviets comparativement aux anciennes formes d’organisation ?

En ce que les soviets sont les organisations de masse les plus vastes du prolétariat, car seules elles englobent tous les ouvriers sans exception.

En ce que les soviets sont les seules organisations englobant tous les opprimés et exploités : ouvriers et paysans, soldats et matelots, et que, par suite, la direction politique de la lutte des masses par leur avant-garde, le prolétariat, peut y être le plus facilement et le plus complètement réalisée.

En ce que les soviets sont les organes les plus puissants de la lutte révolutionnaire des masses, de leurs interventions politiques, de leur insurrection, les organes les plus capables de briser l’omnipotence du capital financier et de ses satellites politiques.

En ce que les soviets sont les organisations directes des masses elles-mêmes, c’est-à-dire les organisations les plus démocratiques et, partant, celles qui ont le plus d’autorité parmi les masses, qui leur facilitent le plus la participation à l’organisation et à l’administration du nouvel Etat, qui développent au maximum leur énergie révolutionnaire, leur initiative, leurs facultés créatrices dans la lutte pour la destruction de l’ancien régime et l’instauration du nouveau régime prolétarien.

Le pouvoir soviétiste est l’unification des soviets locaux en une organisation étatique générale qui est la République des soviets.

Avec le pouvoir soviétiste, les organisations les plus vastes et les plus révolutionnaires des classes opprimées auparavant par les capitalistes et les seigneurs terriens sont maintenant « l’appui permanent et unique de tout le pouvoir étatique, de tout l’appareil gouvernemental ». Les masses auxquelles, « dans les républiques les plus démocratiques », la loi confère l’égalité intégrale et qui, « par différents moyens et manœuvres, sont évincées en réalité de la participation à la vie politique et ne peuvent jouir de leurs droits et libertés démocratiques, participent maintenant de façon permanente décisive à l’administration démocratique de l’Etat ». Lénine, Œuvres complètes, édition russe, t. XVI.)

Voilà pourquoi le pouvoir soviétiste est une nouvelle forme d’organisation étatique, différant essentiellement de l’ancienne forme démocratique et parlementaire bourgeoise, un nouveau type d’Etat adapté non pas à l’exploitation et à l’oppression des masses laborieuses, mais à leur affranchissement intégral, à l’œuvre de la dictature du prolétariat.

Lénine a raison de dire que l’avènement du pouvoir soviétiste « a marqué le terme du parlementarisme démocratique bourgeois, le début d’une nouvelle ère de l’humanité : l’ère de la dictature prolétarienne ».

En quoi consistent les traits caractéristiques du pouvoir soviétiste ?

En ce que le pouvoir soviétiste est, de toutes les organisations étatiques possibles tant que subsistent les classes, celle qui a le caractère de masse le plus prononcé, celle qui est le plus démocratique. En effet, permettant l’alliance et la collaboration des ouvriers et des paysans exploités dans leur lutte contre les exploiteurs et s’appuyant dans son travail sur cette alliance et collaboration, il est par là même le pouvoir de la majorité de la population sur la minorité, l’Etat de cette majorité, l’expression de sa dictature.

En ce que le pouvoir soviétiste est la plus internationaliste de toutes les organisations étatiques de la société de classes, car supprimant toute oppression nationale et s’appuyant sur la collaboration de masses laborieuses de nationalités différentes, il facilite par là même l’union do tes masses en un Etat unique.

En ce que le pouvoir soviétiste, par sa structure, facilite la direction des masses opprimées et exploitées par leur avant-garde, le prolétariat, qui représente l’élément le plus cohérent et le plus conscient des soviets. « L’expérience de tous les mouvements des classes opprimées, l’expérience du mouvement socialiste mondial, dit Lénine, nous apprend que, seul, le prolétariat est capable de grouper les différentes couches retardataires de la population laborieuse exploitée et de les mener à sa suite. »

Or, la structure du pouvoir soviétiste facilite l’application des enseignements de cette expérience.

En ce que le pouvoir soviétiste, réunissant le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en un seul organe et remplaçant les circonscriptions électorales territoriales par des circonscriptions (fabriques et usines) basées sur le principe de la production, relie par là même directement les ouvriers et les masses laborieuses à l’appareil de l’Etat et leur apprend l’administration du pays.

En ce que le pouvoir soviétiste seul est capable de soustraire l’armée au commandement bourgeois et de la transformer, d’instrument d’oppression du peuple, en instrument de son affranchissement du joug de la bourgeoisie indigène et étrangère.

En ce que, comme le dit Lénine, « seule, l’organisation soviétiste de l’Etat peut détruire immédiatement et définitivement l’ancien appareil administratif et juridique bourgeois ».

En ce que, seul, l’Etat soviétiste, permettant la participation constante des organisations des travailleurs à la gestion des affaires publiques, est capable de préparer cette disparition progressive de l’Etat à laquelle tend naturellement le développement de la société communiste.

Ainsi donc, la République des soviets est la forme politique, si longtemps cherchée, dans le cadre de laquelle doit se réaliser l’émancipation économique du prolétariat, le triomphe complet du socialisme.

La Commune de Paris a été l’embryon de cette forme. Le pouvoir soviétiste en est le développement et le parachèvement.

Voilà pourquoi Lénine dit que : La République des soviets des députés ouvriers, soldats et paysans est non seulement un type plus élevé d’institution démocratique, mais aussi la forme susceptible d’assurer la réalisation la plus indolore du socialisme. (Thèse sur l’Assemblée constituante.)

V − La question paysanne

De ce thème, je retiendrai quatre questions :

a) position de la question ;

b) la paysannerie pendant la révolution démocratique bourgeoise ;

c) la paysannerie pendant la révolution prolétarienne ;

d) la paysannerie après la consolidation du pouvoir des Soviets.

1. Position de la question

D’aucuns pensent que la base, le point de départ du léninisme est la question de la paysannerie, de son rôle, de son importance.

C’est là une opinion erronée. La question fondamentale du léninisme, son point de départ est la question de la dictature du prolétariat, des conditions de son établissement et de sa consolidation. La question paysanne, en tant que question de la recherche d’un allié pour le prolétariat dans sa lutte pour le pouvoir, n’en est qu’un corollaire.

Néanmoins ce fait ne lui enlève rien de son importance pour la révolution prolétarienne. C’est à la veille de la révolution de 1905 que la question paysanne a commencé à attirer sérieusement l’attention des marxistes russes. La question du renversement du tsarisme et de la réalisation de l’hégémonie du prolétariat imposait alors au parti la recherche d’un allié pour le prolétariat dans la révolution bourgeoise imminente.

La question paysanne a revêtu un caractère encore plus urgent en 1917, lorsque la question de l’instauration et du maintien de la dictature du prolétariat a posé la question des alliés éventuels de ce dernier dans la révolution prolétarienne imminente. Il est évident, en effet, que, si l’on se dispose à prendre le pouvoir, on a intérêt à connaître les alliés sur lesquels on peut compter.

En ce sens, la question paysanne est partie de la question générale de la dictature du prolétariat et, comme telle, représente une des questions les plus importantes du léninisme.

Si les partis de la IIe Internationale n’ont que de l’indifférence ou même de l’aversion pour la question paysanne, la raison n’en est pas seulement dans les conditions spéciales de l’Occident, mais surtout dans le fait que ces partis ne croient pas à la dictature du prolétariat, redoutent la révolution et ne songent nullement à mener le prolétariat à la conquête du pouvoir.

Or, si l’on ne veut pas mener les prolétaires à la bataille, il est évidemment inutile de leur chercher des alliés. La IIe Internationale considère son attitude ironique envers la question paysanne comme l’indice du marxisme véritable. En réalité, il n’y a dans cette attitude rien de marxiste, car l’indifférence pour une question aussi importante, à la veille de la révolution prolétarienne, est une négation indirecte de la dictature du prolétariat, une trahison indubitable du marxisme.

Les possibilités révolutionnaires que recèle la paysannerie sont-elles déjà épuisées et si non, y a-t-il un espoir, une raison de les exploiter pour la révolution prolétarienne, de faire de la masse rurale, qui a été pendant les révolutions d’Occident et reste encore une réserve de forces pour la bourgeoisie, un allié du prolétariat ? C’est ainsi que se pose la question.

Le léninisme y répond affirmativement. En d’autres termes, il reconnaît que, parmi la majorité de la paysannerie exploitée, il existe des capacités révolutionnaires et qu’on peut les utiliser dans l’intérêt de la révolution prolétarienne. L’histoire des trois révolutions russes confirme entièrement ses déductions sur ce point.

De là, la nécessité de soutenir les masses rurales laborieuses dans leur lutte contre leur exploitation et leur oppression. Cela ne signifie pas, certes, que le prolétariat doive soutenir tous les mouvements paysans. II doit soutenir ceux qui facilitent directement ou indirectement le mouvement émancipateur du prolétariat, profitent à la révolution prolétarienne, contribuent à faire de la paysannerie une réserve et une alliée de la classe ouvrière.

2. La paysannerie pendant la révolution démocratique bourgeoise

Durant cette période, qui va de la révolution de 1905 à celle de février 1917 (incluse), la paysannerie s’affranchit de l’influence de la bourgeoisie libérale, se détache des cadets, se tourne vers le prolétariat, vers le parti bolchevik. L’histoire de cette période est l’histoire de la lutte des cadets (bourgeoisie libérale) et des bolcheviks (prolétariat) pour la conquête de la paysannerie.

La période parlementaire décida de l’issue de cette lutte. Les quatre Douma furent une excellente leçon de choses pour les paysans.

Elles leur montrèrent qu’ils ne recevraient des cadets ni la terre, ni la liberté, que le tsar était entièrement pour les grands propriétaires fonciers, que les cadets soutenaient le tsar, que la seule force sur laquelle ils pussent compter était représentée par les ouvriers urbains, par le prolétariat.

La guerre impérialiste ne fit que confirmer les enseignements de la période parlementaire ; elle acheva de détacher la paysannerie de la bourgeoisie et d’isoler les libéraux en montrant l’impossibilité d’obtenir la paix du tsar et de ses alliés bourgeois. Sans les leçons de choses de la période parlementaire, l’hégémonie du prolétariat eût été impossible.

C’est ainsi que se constitua l’alliance des ouvriers et des paysans dans la révolution démocratique bourgeoise. C’est ainsi que s’établit l’hégémonie du prolétariat dans la lutte commune pour le renversement du tsarisme, hégémonie qui amena la révolution de février 1917.

Les révolutions bourgeoises d’Occident (Angleterre, France, Allemagne, Autriche) avaient, on le sait, suivi une autre voie. Le rôle directeur y avait appartenu non pas au prolétariat, trop faible pour représenter une force politique indépendante, mais à la bourgeoisie libérale.

Ce n’est pas par le prolétariat, peu nombreux et inorganisé, mais par la bourgeoisie, que la paysannerie avait été délivrée du joug de la féodalité. La paysannerie avait marché à l’assaut de l’ancien régime aux côtés de la bourgeoisie libérale. Elle avait été en Occident la réserve de la bourgeoisie. Par suite, la révolution avait eu pour résultat de renforcer considérablement l’importance politique de cette dernière.

En Russie, la révolution bourgeoise donna des résultats diamétralement opposés. Loin de renforcer politiquement la bourgeoisie, elle l’affaiblit et lui enleva sa réserve fondamentale, la paysannerie.

Elle mit au premier plan non pas la bourgeoisie libérale, mais le prolétariat révolutionnaire autour duquel se rallia la masse rurale. Par suite, elle se transforma rapidement en révolution prolétarienne. L’hégémonie du prolétariat fut l’embryon de sa dictature.

Pourquoi la révolution russe a-t-elle suivi une voie si différente de celle des révolutions bourgeoises d’Occident ?

Parce qu’au moment où elle a éclaté en Russie, la lutte de classe y était plus développée que naguère en Occident.

En 1917, en effet, le prolétariat russe avait déjà réussi à se constituer en force politique indépendante, tandis que la bourgeoisie libérale, effrayée par le révolutionnarisme du prolétariat, avait perdu tout caractère révolutionnaire et fait bloc avec le tsar et les seigneurs terriens contre les ouvriers et les paysans.

Pour bien comprendre le caractère spécial de la révolution bourgeoise russe, il convient de tenir compte des circonstances suivantes :

a) A la veille de la révolution, l’industrie était extraordinairement concentrée. Les entreprises de plus de 500 ouvriers chacune occupaient 54 % des ouvriers, alors que, dans un pays aussi développé que les Etats-Unis, elles n’en employaient que 33 %.

Ce seul fait, allié à l’existence d’un parti aussi révolutionnaire que celui des bolcheviks, faisait de la classe ouvrière russe la plus grande force politique du pays ;

b) Avec les formes monstrueuses de l’exploitation dons l’industrie, alliées à un régime policier intolérable, chaque grève sérieuse devenait un acte politique d’une importance immense contribuant à tremper la classe ouvrière et à en faire une force radicalement révolutionnaire ;

c) Epouvantée par le révolutionnarisme du prolétariat, dépendant en outre étroitement de l’Etat qui lui fournissait des commandes, la bourgeoisie russe s’était faite depuis 1905 la servante du tsarisme ;

d) Les survivances les plus odieuses du régime féodal dans la campagne, où le seigneur terrien était tout-puissant, ne pouvaient que rendre la révolution populaire parmi les paysans ;

e) Comprimant tout ce qu’il y avait de vivant dans la nation, le tsarisme, par son arbitraire, renforçait le joug du capitalisme et du propriétaire foncier − ce qui contribuait à fondre la lutte des ouvriers et des paysans en un torrent révolutionnaire unique ;

f) Transformant toutes ces contradictions de la vie politique russe en une crise révolutionnaire, la guerre impérialiste avait donné à la révolution une impulsion formidable.

Où la paysannerie pouvait-elle chercher un appui contre, l’omnipotence du propriétaire foncier, l’arbitraire du tsar, la guerre dévastatrice qui la ruinait ?

Auprès de la bourgeoisie libérale ? Mais cette dernière était son ennemie − ce qu’avait prouvé éloquemment l’expérience des quatre Douma. Auprès des s.-r. ?

Les s.-r., certes, valaient « mieux » que les cadets, leur programme « convenait » à peu près aux paysans ; mais que pouvaient-ils faire puisqu’ils ne s’appuyaient que sur la masse rurale et qu’ils étaient faibles dans les villes, base principale de la puissance de l’adversaire !

Où était la nouvelle force qui ne s’arrêterait devant rien, marcherait hardiment au premier rang dans la lutte contre le tsar et le seigneur terrien, aiderait la paysannerie à s’affranchir, à obtenir la terre, à sortir de la guerre ?

Cette force, c’était le prolétariat qui, en 1905 déjà, avait montré sa vaillance, son esprit révolutionnaire, son aptitude à mener la lutte jusqu’au bout.

Voilà pourquoi la paysannerie, qui avait abandonné les cadets pour s’accrocher aux s.-r., comprit la nécessité de se soumettre à la direction d’un chef révolutionnaire aussi valeureux que le prolétariat russe.

Tels sont les facteurs qui ont déterminé le caractère spécial de la révolution bourgeoise russe.

3. La paysannerie pendant la révolution prolétarienne

Cette période est relativement courte (février-octobre 1917), mais, au point de vue de la formation politique des masses, les huit mois qu’elle englobe équivalent à des dizaines d’années ordinaires, car ce sont huit mois de révolution.

De plus en plus, la paysannerie perd confiance dans les s.-r. et se détache de ces derniers pour se rapprocher du prolétariat, qui lui apparaît comme la seule force révolutionnaire véritable capable de donner la paix au pays. L’histoire de cette période est l’histoire de la lutte des s.-r. (démocratie petite-bourgeoise) et des bolcheviks (démocratie prolétarienne) pour la conquête de la majorité des paysans.

Gouvernement de coalition, ministère Kérensky, refus des s.-r. et des menchéviks de confisquer la terre des grands propriétaires, efforts des socialistes pour continuer la guerre, offensive de juin sur le front autrichien, rétablissement de la peine de mort pour les soldats, insurrection de Kornilov, tels furent les facteurs qui décidèrent de l’issue de cette lutte.

La question fondamentale, durant la période précédente, avait été celle du renversement de l’autocratie et du pouvoir des seigneurs terriens. Mais après la révolution de février, le tsar étant détrôné, la liquidation de la guerre, qui minait les forces vives du pays et ruinait les paysans, devenait la tâche essentielle de la révolution. Le centre de gravité n’était plus dans les questions d’ordre intérieur, mais dans la question de la guerre. « Terminons la guerre », tel était le en général du pays épuisé et principalement de la masse rurale.

Mais, pour sortir de la guerre, il fallait abattre le Gouvernement provisoire, terrasser les s.-r. et les menchéviks, car c’étaient eux qui voulaient continuer la guerre jusqu’à « la victoire finale ». Pratiquement, l’unique moyen de terminer la guerre était de renverser la bourgeoisie.

Ce fut l’œuvre de la révolution prolétarienne, qui enleva le pouvoir à la dernière réserve de la bourgeoisie impérialiste, à sa fraction d’extrême gauche, les s.-r. et les menchéviks, pour le donner au parti du prolétariat révolutionnaire, opposé à la guerre impérialiste. La majorité des paysans soutint la lutte des ouvriers pour ta paix et le pouvoir soviétiste.

Ainsi donc, le régime Kérensky fut une excellente leçon de choses pour les masses laborieuses des campagnes, car il montra que les s.-r. et les menchéviks au pouvoir ne donneraient ni la paix au pays, ni la terre ni la liberté au paysan, qu’ils ne se distinguaient des cadets que par leurs discours doucereux et leurs promesses trompeuses, qu’en réalité, ils poursuivaient la même politique impérialiste, que le seul pouvoir capable de tirer la Russie de l’impasse était le pouvoir des soviets.

La prolongation de la guerre ne fit que confirmer la justesse de cette leçon ; elle accéléra la révolution et poussa les masses rurales et les soldats à faire bloc avec le prolétariat.

L’isolement des s.-r. et des menchéviks devint un fait incontestable. Sans l’expérience de la période de coalition, la dictature du prolétariat eût été impossible.

Tels sont les facteurs qui ont facilité la transformation de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne.

4. La paysannerie après la consolidation du pouvoir des Soviets

Après le renversement du tsarisme, suivi bientôt du renversement de la bourgeoisie et de la liquidation de la guerre impérialiste, le pouvoir soviétiste a eu à soutenir une longue guerre civile, dont il est sorti victorieux et considérablement affermi.

Les questions de l’organisation économique sont alors venues au premier plan.

Accroître le rendement de l’industrie nationalisée ; la relier à cet effet avec l’économie paysanne par le commerce régularisé par l’Etat ; remplacer la réquisition des produits alimentaires par l’impôt en nature ; diminuer progressivement ce dernier de façon à réaliser l’échange équitable des produits industriels contre les produits agricoles ; intensifier le commerce et développer la coopération en y faisant participer la masse rurale : telles sont les mesures d’organisation économique préconisées par Lénine pour la pose des fondements de l’économie socialiste.

Mais cette tâche est-elle réalisable dans un pays rural comme la Russie ? Les sceptiques le nient, déclarant que la paysannerie se compose de petits producteurs et, par suite, ne peut être utilisée pour l’organisation des bases de la production socialiste.

Mais ils se trompent, car ils négligent certains facteurs d’une importance capitale en l’occurrence.

En premier lieu, on ne saurait assimiler la paysannerie de l’Union des Républiques soviétistes à la paysannerie d’Occident.

Une paysannerie qui a traversé trois révolutions, qui a lutté contre le tsar et le pouvoir de la bourgeoisie avec le prolétariat et sous la direction de ce dernier, qui a reçu la terre et la paix grâce à la révolution prolétarienne et est devenue par suite un auxiliaire fidèle du prolétariat, est forcément différente d’une paysannerie qui a lutté pendant la révolution bourgeoise sous la direction de la bourgeoisie libérale, qui a reçu la terre des mains de cette bourgeoisie et est devenue par suite son appui.

Redevable de sa liberté à son alliance politique avec le prolétariat qui l’a soutenue de toutes ses forces, la paysannerie russe ne peut pas ne pas comprendre qu’il est également de son intérêt de collaborer étroitement avec ce dernier dans le domaine économique.

Engels disait que « la conquête du pouvoir politique par le parti socialiste était l’œuvre de l’avenir prochain », qu’à cet effet « le parti devait aller de la ville au village et devenir fort dans la campagne ».

Les communistes russes ont suivi ce précepte : durant trois révolutions, ils n’ont cessé de travailler la campagne, où ils disposent maintenant d’une influence à laquelle nos camarades d’Occident n’osent même pas songer.

Comment nier que ce fait est de nature à faciliter considérablement la collaboration économique des ouvriers et des paysans russes ?

Nos sceptiques affirment que l’existence du petit propriétaire rural représente un facteur incompatible avec l’organisation socialiste.

Mais voyez ce que dit Engels à ce propos : Nous sommes résolument pour le petit paysan. Nous ferons tout notre possible pour lui rendre la vie plus tolérable, pour lui faciliter l’association s’il le désire. Au cas où il ne s’y déciderait pas, nous lui donnerions le temps d’y réfléchir sur son lopin de terre. Nous agirons ainsi non seulement parce que nous considérons que le petit paysan autonome peut parfaitement se ranger de notre côté, mais aussi parce que c’est l’intérêt direct du parti. Plus nombreux seront les paysans que nous laisserons se prolétariser et que nous attirerons à nous lorsqu’ils sont encore des paysans, et plus la transformation sociale sera rapide et facile. Four cette transformation, il est inutile d’attendre le moment où la production capitaliste si sera développée partout jusqu’à ses extrêmes limites ; où le dernier artisan et le dernier petit paysan tomberont victimes de la grande production capitaliste. Les sacrifices matériels que, dans l’intérêt des paysans, la société aura à supporter peuvent, du point de vue de l’économie capitaliste, paraître un gaspillage d’argent ; pourtant, c’est un excellent emploi du capital, parce que cela économisera une somme peut-être dix fois supérieure dans les dépenses nécessaires à la transformation de la société tout entière. C’est pourquoi, dans ce sens, nous pouvons être très généreux pour les paysans (La question paysanne).

Voilà ce que disait Engels au sujet de la paysannerie d’Occident. Mais n’est-il pas clair que cela ne peut être réalisé nulle part aussi facilement et aussi complètement que dans les pays de dictature du prolétariat ?

N’est-il pas évident que c’est uniquement en Russie soviétiste que le « petit paysan autonome » peut passer peu à peu de notre côté, que les « sacrifices matériels nécessaires peuvent être faits, que « la générosité envers les paysans » est possible, que ces mesures en faveur des paysans et d’autres analogues sont déjà appliquées en Russie ?

Comment nier que cette circonstance à son tour soit de nature à faciliter et à faire progresser l’organisation économique au pays des soviets ?

En second lieu, l’économie rurale russe ne saurait être assimilée à l’économie rurale d’Occident. Cette dernière se développe dans la ligne du capitalisme, amenant par suite la formation de domaine immenses, parallèlement à des parcelles infimes, et une différenciation profonde de la paysannerie (grands propriétaires terriens, petits cultivateurs, journaliers agricoles).

Il n’en est pas de même en Russie. Dans son évolution, l’économie rurale ne peut y suivre cette voie, par le simple fait de l’existence du pouvoir soviétiste et de la nationalisation des principaux instruments et moyens de production. Elle se développera par l’adhésion de la petite et de la moyenne paysannerie à la coopération, que soutiendra l’Etat en lui octroyant des crédits à des conditions favorables.

Dans ses articles sur la coopération, Lénine a indiqué avec justesse que cette dernière devrait désormais suivre une nouvelle voie ; qu’il fallait par son intermédiaire attirer la majorité des paysans à l’œuvre de l’organisation socialiste, inculquer graduellement à la population rurale les principes du collectivisme, tout d’abord dans le domaine de la vente, puis dans celui de la production des produits agricoles.

L’action de la coopération agricole est, sous ce rapport, extrêmement intéressante. Il s’est formé, au sein du Selsko-soyouz, de nouvelles grandes organisations dans les différentes branches de l’économie rurale : lin, pommes de terre, beurre, etc. Parmi ces organisations qui ont le plus grand avenir, la Coopération Centrale du Lin, par exemple, englobe tout un réseau de sociétés de producteurs de lin.

Fournissant aux paysans des graines et des instruments, elle leur achète ensuite toute leur production linière, qu’elle écoule en gros sur le marché, leur assure une participation aux profits et relie ainsi l’économie paysanne par le Selsko-soyouz à l’industrie étatique. Cette forme d’organisation de la production est un des nombreux indices de la voie dans laquelle se développera l’économie rurale en Russie.

Il est évident que la paysannerie s’engagera volontiers dans cette voie, qui la garantira de la restauration de la grande propriété foncière, de l’esclavage salarié, de la misère et de la ruine.

Voici ce que dit Lénine du rôle de la coopération : Possession par l’Etat des principaux instruments de production, possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce prolétariat avec la masse immense des petits paysans qu’il dirige, n’est-ce pas là tout ce qu’il nous faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant jusqu’à un certain point le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste ? Ce n’est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction (De la Coopération.)

Parlant ensuite de la nécessité de soutenir la coopération par une aide financière et autre, préconisant la coopération comme « nouveau principe de l’organisation de la population » et nouveau « régime social » sous la dictature du prolétariat, Lénine déclare : Chaque régime social ne surgit qu’avec l’aide financière d’une classe déterminée. Inutile de rappeler les centaines de millions de roubles qu’a coûtés la naissance du capitalisme « libre ». Maintenant, nous devons comprendre que le régime social que nous devons soutenir plus que tout est le régime coopératif. Mais il faut le soutenir au sens véritable du mot ; en d’autres ternies, il ne s’agit pas de soutenir un mode quelconque de coopération ; il s’agit de soutenir une coopération à laquelle participe effectivement la masse de la population (De la Coopération.)

Que montrent tous ces faits ?

Que les sceptiques ont tort.

Que le léninisme a raison de considérer les masses paysannes laborieuses comme la réserve du prolétariat.

Que le prolétariat au pouvoir peut et doit utiliser cette réserve pour souder l’industrie à l’économie rurale et poser solidement les fondations de l’économie socialiste.

VI − La question nationale

De ce thème, je retiendrai deux questions principales :

a) position de la question

b) le mouvement de libération des peuples opprimés et la révolution prolétarienne.

1. Position de la question

Au cours des vingt dernières années, la question nationale a subi une série de modifications extrêmement importantes. Actuellement, par son ampleur comme par son caractère interne, elle diffère profondément de ce qu’elle était sous la Ile Internationale.

Elle était alors limitée presque exclusivement à la question de l’oppression des nationalités « cultivées ».

Irlandais, Hongrois, Polonais, Finlandais, Serbes : tels étaient les principaux peuples plus ou moins asservis dont le sort intéressait la IIe Internationale. Quant aux centaines de millions d’Asiatiques et d’Africains, écrasés sous le joug le plus brutal, presque personne ne s’en souciait. Il semblait impossible de mettre sur le même plan les blancs et les noirs, les « civilisés » et les « sauvages ».

L’action de la IIe Internationale en faveur des colonies se bornait à de rares et vagues résolutions où la question de l’émancipation des colonies était soigneusement évitée.

Cet opportunisme dans la question nationale a vécu.

Le léninisme l’a démasqué ; il a détruit la barrière entre blancs et noirs, Européens et exotiques, assimilé les esclaves « civilisés » aux esclaves « non civilisés » de l’impérialisme et relié ainsi la question nationale à la question coloniale. Par, là même, la question nationale est devenue une question internationale : celle de la libération des peuples opprimés des colonies et des pays asservis par l’impérialisme.

Jadis, le droit des nations à disposer d’elles-mêmes était fréquemment réduit au droit à l’autonomie.

Certains leaders de la IIe Internationale allaient même jusqu’à le transformer en droit à l’autonomie culturelle ; autrement dit, ils accordaient aux nations opprimées le droit d’avoir leurs institutions culturelles, mais leur refusaient celui de se libérer du joug politique de la nation dominante. Par suite, le principe du droit des nations à disposer d’elles-mêmes risquait de servir à justifier les annexions. Cette confusion est maintenant dissipée.

Le léninisme a élargi la conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; il a reconnu aux colonies et aux pays assujettis le droit de se séparer complètement de l’Etat auquel ils sont rattachés, de se constituer en Etats indépendants.

Par là même a été écartée la possibilité de justifier les annexions. Et ainsi, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui, durant la guerre impérialiste, a été aux mains des social-patriotes un instrument de duperie des masses, sert maintenant à dévoiler les tendances impérialistes et les manœuvres chauvines, et représente un instrument d’éducation politique des masses dans l’esprit de l’internationalisme.

Auparavant, la question des nations opprimées était ordinairement considérée comme une question juridique.

Proclamation solennelle de l’égalité des citoyens, d’un même pays, déclarations innombrables sur l’égalité des nations ; voilà ce à quoi s’amusaient les partis de la IIe Internationale, voilant soigneusement le fait que, sous l’impérialisme, qui permet à quelques peuples de vivre de l’exploitation des autres, « l’égalité des nations » n’est qu’une fiction.

Le léninisme a démasqué l’hypocrisie de ce point de vue juridique dans la question nationale. Il a montré que, sans un appui direct des partis prolétariens à la lutte des peuples opprimés, les déclarations pompeuses sur l’égalité des nations n’étaient que des phrases mensongères.

Ainsi, la question des nations opprimées est devenue la question du soutien constant des peuples opprimés dans leur lutte contre l’impérialisme pour leur indépendance nationale.

Pour le réformisme, la question nationale était une question indépendante, sans rapport avec la question de la domination du capital, du renversement de l’impérialisme, de la révolution prolétarienne.

On admettait tacitement que la victoire du prolétariat en Europe est possible sans une alliance directe avec Je mouvement de libération nationale des colonies, que la solution de la question coloniale peut être trouvée en dehors de la révolution prolétarienne, en dehors de la lutte contre l’impérialisme.

Ce point de vue antirévolutionnaire est maintenant démasqué. Le léninisme a prouvé et la guerre impérialiste et la révolution en Russie ont confirmé que la question nationale ne peut être résolue que sur le terrain de la révolution prolétarienne, que la victoire de la révolution en Occident exige l’alliance du prolétariat européen avec le mouvement des colonies et des pays assujettis contre l’impérialisme. La question nationale est partie de la question générale de la révolution prolétarienne, partie de la question de la dictature du prolétariat.

Existe-t-il dans le mouvement d’indépendance nationale des pays opprimés des possibilités révolutionnaires, et, si oui, y a-t-il lieu de les utiliser pour la révolution prolétarienne, de transformer les pays coloniaux et assujettis, de réserve de la bourgeoisie impérialiste, en alliés du prolétariat révolutionnaire ? C’est ainsi que se pose la question.

Le léninisme y répond affirmativement ; autrement dit, il reconnaît l’existence de ces possibilités révolutionnaires et juge nécessaire de les utiliser pour le renversement de l’ennemi commun, l’impérialisme. Le mécanisme du développement de l’impérialisme, la guerre impérialiste et la révolution russe confirment entièrement les déductions du léninisme sur ce sujet.

De là, pour le prolétariat, la nécessité de soutenir activement, résolument le mouvement libérateur des peuples opprimés.

Il ne s’ensuit pas évidemment que le prolétariat doive soutenir n’importe quel mouvement national. Il doit appuyer ceux qui tendent à l’affaiblissement, au renversement de l’impérialisme et non à son maintien et à sa consolidation.

Il arrive que les mouvements nationaux de certains pays opprimés soient en conflit avec les intérêts du mouvement prolétarien.

Dans ces cas, il ne saurait être question de les soutenir. La question des droits d’une nation n’est pas une question isolée, indépendante, mais une partie de la question générale de la révolution prolétarienne. Par suite, elle doit être adaptée, subordonnée à cette dernière.

Vers 1850, Marx était pour le mouvement national des Polonais et des Hongrois contre celui des Tchèques et des Slaves du Sud. Pourquoi ? Parce que ces derniers étaient alors des « peuples réactionnaires », des avant-postes de la Russie autocratique en Europe, alors que les Polonais et les Hongrois étaient des « peuples révolutionnaires », luttant contre l’autocratie.

Parce que soutenir alors le mouvement national des Tchèques et des Slaves du Sud, c’eût été soutenir indirectement le tsarisme, l’ennemi le plus dangereux du mouvement révolutionnaire en Europe. Les différentes revendications de la démocratie, et entre autres le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ne sont pas un absolu, mais une parcelle du mouvement démocratique (socialiste) mondial. Il est possible que dans certains cas la partie soit en contradiction avec le tout, et alors il faut la rejeter. (Lénine : Le bilan de la discussion.)

Ainsi donc, envisagés non pas au point de vue formel du droit abstrait, mais sous l’angle de la réalité, au point de vue des intérêts du mouvement révolutionnaire, certains mouvements nationaux peuvent avoir un caractère réactionnaire.

De même, le caractère incontestablement révolutionnaire de la plupart des mouvements nationaux est aussi relatif et particulier que le réactionnarisme de certains autres. Pour être révolutionnaire, un mouvement national ne doit pas nécessairement être composé d’éléments prolétariens, avoir un programme révolutionnaire ou républicain, une base démocratique.

La lutte de l’émir d’Afghanistan pour l’indépendance de son pays est objectivement une lutte révolutionnaire malgré le monarchisme de l’émir et de ses lieutenants, car elle affaiblit, désagrège, sape l’impérialisme, alors que la lutte de démocrates, de « socialistes », de « révolutionnaires » et de républicains comme Kérensky et Tsérételli, Renaudel et Scheidernann, Tchernov et Dan, Henderson et Clynes pendant la guerre impérialiste était une lutte réactionnaire, car elle avait pour résultat de farder l’impérialisme, de le consolider, d’amener sa victoire.

De même, la lutte des marchands et intellectuels bourgeois égyptiens pour l’indépendance de l’Égypte est une lutte objectivement révolutionnaire, malgré l’origine et la condition bourgeoises des leaders du mouvement national, malgré leur opposition au socialisme, alors que la lutte du gouvernement ouvrier anglais pour le maintien de l’Égypte sous la tutelle de la Grande-Bretagne est une lutte réactionnaire, malgré l’origine et la condition prolétariennes des membres de ce gouvernement, malgré leurs soi-disant convictions socialistes.

De même, le mouvement national des autres grands pays coloniaux et assujettis de l’Inde et la Chine n’en est pas moins, si même il contredit les principes de la démocratie formelle, un coup direct contre l’impérialisme, partant un .mouvement révolutionnaire.

Lénine a raison de dire qu’il faut envisager le mouvement national des peuples opprimés non pas du point de vue de la démocratie formelle, mais du point de vue de ses résultats effectifs dans la lutte générale contre l’impérialisme ; autrement dit, il faut apprécier ce mouvement« non pas isolément, mais sur l’échelle mondiale ».

2. Le mouvement de libération des peuples opprimés et la révolution prolétarienne

Dans la solution de la question nationale, le léninisme part des thèses suivantes :

a) Le monde est divisé en deux camps : d’un côté, une infime minorité de nations civilisées détenant la presque totalité du capital financier et exploitant le reste de la population du globe ; de l’autre, les peuples opprimés et exploités des colonies et des pays assujettis, qui forment la majorité de la population ;

b) Les colonies et les pays assujettis et exploités par le capital financier constituent une immense réserve de forces pour l’impérialisme ;

c) Ce n’est que par la lutte révolutionnaire contre l’impérialisme que les peuples opprimés des pays coloniaux et assujettis arriveront à se libérer du joug et de l’exploitation ;

d) Les principaux peuples assujettis sont déjà entrés dans la voie du mouvement libérateur national, qui doit infailliblement amener la crise du capitalisme mondial ;

e) Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays avancés et du mouvement national dans les colonies exigent que ces deux mouvements révolutionnaires fassent front unique contre l’ennemi commun, l’impérialisme ;

f) La victoire de la classe ouvrière dans les pays avancés et ]a libération des peuples opprimés par l’impérialisme sont impossibles sans la formation et la consolidation d’un front révolutionnaire commun ;

g) La formation d’un front révolutionnaire commun n’est possible que si le prolétariat des pays oppresseurs soutient directement et résolument le mouvement d’indépendance nationale des peuples opprimés contre l’impérialisme de la métropole, car « un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre » (Marx) ;

h) Ce soutien consiste dans la défense, l’application du principe du droit des nations à se séparer de la métropole, à se constituer en Etats indépendants ;

i) Sans l’application de ce principe, il est impossible de réaliser l’union des nations en une économie mondiale unique, base matérielle de la victoire socialiste ;

j) Cette union ne peut être que volontaire, fondée sur la confiance mutuelle et les rapports fraternels des différents peuples.

De là, deux tendances dans la question nationale : la tendance à l’émancipation politique du joug de ]’impérialisme et à la création d’Etats nationaux indépendants, tendance qui a sa source dans une réaction contre l’oppression impérialiste et l’exploitation coloniale, et la tendance au rapprochement économique des nations, tendance déterminée par la formation d’un marché mondial et d’une économie mondiale. L’histoire du capitalisme nous montre deux tendances dans la question nationale. La première, c’est l’éveil de la vie nationale et des mouvements nationaux, la lutte contre toute oppression nationale, la création d’Etats nationaux. La seconde, c’est le développement des relations de toute sorte entre les nations, la destruction des barrières nationales, la création de l’unité internationale du capital, de l’unité économique, politique, scientifique, etc. Ces deux tendances sont la loi mondiale du capitalisme. La première prédomine au début de son développement ; ]a seconde caractérise la maturité du capitalisme qui marche à sa transformation en société socialiste. (Lénine : Remarques critiques.)

Pour l’impérialisme, ces deux tendances représentent des contradictions irréductibles, car il ne peut vivre sans exploiter les colonies, sans les maintenir par la force dans le cadre d’un « tout unique » ; il ne peut rapprocher les nations que par des annexions et des extensions coloniales, sans lesquelles il ne saurait se concevoir.

Pour le communisme, au contraire, ces tendances ne sont que les deux phases d’un seul processus : celui de l’émancipation des peuples opprimés du joug de l’impérialisme.

Nous savons, en effet, que la fusion économique universelle n’est possible que sur les bases de la confiance mutuelle et en vertu d’un accord librement consenti, que la formation d’une union volontaire des peuples doit être précédée de la séparation des colonies d’avec le « tout » impérialiste « unique », de la transformation de ces colonies en Etats indépendants.

De là, la nécessité d’une lutte incessante, acharnée contre le chauvinisme des « socialistes » des grandes puissances (Angleterre, France, Amérique, Italie, Japon, etc.) qui ne veulent pas combattre leurs gouvernements impérialistes et soutenir la lutte des colonies opprimées pour leur affranchissement, leur séparation d’avec la métropole.

Sans cette lutte, il est impossible d’éduquer la classe ouvrière des nations dominantes dans l’esprit de l’internationalisme véritable, de la rapprocher des masses laborieuses des colonies et des pays assujettis, de la préparer à la révolution prolétarienne.

La révolution n’aurait pas triomphé en Russie, Koltchak et Dénikine n’auraient pas été vaincus si le prolétariat russe n’avait eu pour lui la sympathie et l’appui des peuples opprimés de l’ancien empire tsariste. Mais, pour obtenir leur sympathie et leur appui, il a dû d’abord briser leurs chaînes, les libérer du joug de l’impérialisme russe.

Sans cela, il aurait été impossible d’asseoir solidement le pouvoir soviétiste, d’implanter l’internationalisme véritable et de créer cette remarquable organisation de collaboration des peuples qui s’appelle l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et qui représente le prototype de l’union future des peuples dans une économie mondiale.

De là, la nécessité de combattre dans les pays opprimés l’étroitesse des socialistes qui ne voient que leurs intérêts nationaux directs, se renferment dans leur action locale et ne veulent pas comprendre la liaison du mouvement libérateur de leur pays avec le mouvement prolétarien des pays dominants.

Sinon, il est impossible de maintenir la solidarité de classe du prolétariat des nations opprimées avec celui des pays dominants dans leur lutte contre leur ennemi commun, l’impérialisme ; sinon il est impossible de réaliser l’internationalisme.

Telle est la voie à suivre pour l’éducation des masses laborieuses des nations opprimées et des nations dominantes dans l’esprit de l’internationalisme révolutionnaire. Voici ce que dit Lénine de cette éducation : Cette éducation peut-elle être identique dans les grandes nations qui en oppriment d’autres et dans les petites nations opprimées, dans les pays qui annexent et dans les pays annexés ? Evidemment non. La marche vers un but unique : l’égalité complète, le rapprochement étroit, la fusion de toutes les nations, peut emprunter divers chemins, Ainsi, pour arriver à un point situé au centre d’une page, on peut partir du bord gauche ou droit de cette page. Si, prêchant la fusion des peuples, le social-démocrate d’un grand pays oppresseur oublie que Nicolas II, Guillaume, George Poincaré et autres sont aussi pour la « fusion » avec les petites nations (au moyen de l’annexion) − Nicolas II est pour la « fusion » avec la Galice, Guillaume II avec la Belgique, etc., − un tel social-démocrate ne sera qu’un doctrinaire ridiculeen théorie, qu’un doctrinaire ridicule en théorie et, en pratique, qu’un auxiliaire de l’impérialisme. Le centre de gravité de l’éducation internationaliste des ouvriers dans les pays oppresseurs doit résider dans la propagande et Je soutien effectif du droit des peuples opprimés de se séparer de la métropole. Sans cela, il n’y a pas d’internationalisme possible. Nous pouvons et devons traiter d’impérialiste et de coquin tout socialiste d’un Etat oppresseur s’il ne fait pas cette propagande. Le droit de séparation d’avec la métropole est une revendication indispensable, quoique jusqu’à l’avènement du socialisme cette séparation ne soit possible que dans un cas sur mille. Au contraire, le socialiste d’une petite nation doit reporter le centre de gravité de son agitation sur la deuxième partie de noire formule : « union volontaire » des nations. Il peut être, sans violer ses devoirs d’internationaliste, et pour l’indépendance politique de sa nation et pour son inclusion dans un Etat voisin quelconque. Mais, dans tous les cas, il doit lutter contre l’étroitesse nationale, ne pas se renfermer dans son mouvement, envisager l’ensemble du mouvement, comprendre qu’il faut subordonner l’intérêt particulier à l’intérêt général. Les gens qui n’ont pas approfondi la question voient une « contradiction » dans le fait que les socialistes des Etats oppresseurs doivent réclamer la « liberté de séparation », et les socialistes des nations opprimées la « liberté d’union » avec un autre peuple. Mais il suffit d’un peu de réflexion pour voir qu’il n’est pas d’autre voie vers l’internationalisme et la fusion des nations que celle que nous indiquons dans notre thèse. (Lénine : Le bilan de la discussion.)

VII − Stratégie et tactique

De ce thème, je retiendrai six questions :

a) la stratégie et la tactique, science de la direction de la lutte de classe du prolétariat ;

b) les étapes de la révolution et la stratégie ;

c) les flux et les reflux du mouvement et la tactique ;

d) direction stratégique ;

e) direction tactique ;

f) réformisme et révolutionnisme.

1. La stratégie et la tactique, science de la direction de la lutte de classe du prolétariat

La période de la IIe Internationale a été par excellence celle de la formation et de l’instruction des armées prolétariennes à une époque de tranquillité relative Le parlementarisme était alors la forme principale de la lutte de classe.

Les grands conflits de classe, la préparation aux batailles révolutionnaires, les moyens d’instauration de la dictature du prolétariat n’étaient pas à l’ordre du jour. On se bornait à profiter des possibilités légales pour la formation et l’instruction des armées prolétariennes, à utiliser le parlementarisme dans le cadre d’un régime qui restreignait et semblait devoir restreindre indéfiniment le prolétariat au rôle d’opposition.

Il est évident que dans une telle période et avec une telle conception des tâches du prolétariat, il ne pouvait y avoir ni stratégie ni tactique véritables, mais seulement des fragments de tactique et de stratégie.

La grande faute de la IIe Internationale n’est pas d’avoir utilisé les formes parlementaires de lutte, mais d’en avoir surestimé l’importance, de les avoir considérées presque comme les seules possibles et, quand vint la période des combats révolutionnaires, de la lutte extra-parlementaire, de s’être dérobée, refusée à l’accomplissement de ses nouvelles tâches.

Ce n’est qu’à la période suivante, période de l’action directe, de la révolution prolétarienne, où le renversement de la bourgeoisie s’imposa comme une nécessité, où la question des réserves du prolétariat (stratégie) s’avéra urgente, où les formes de lutte et d’organisation − parlementaires et extra-parlementaires (tactique) − se manifestèrent nettement, que pouvaient s’élaborer une stratégie et une tactique véritables de la lutte du prolétariat.

C’est alors que Lénine fit revivre les pensées géniales de Marx et d’Engels sur la tactique et la stratégie, dissimulées par les opportunistes de la ne Internationale. Mais il ne se borna pas à reprendre leurs thèses. Il les développa, les compléta et les réunit en un système de règles et de préceptes’ pour la direction de la lutte de classe du prolétariat.

Des ouvrages comme : Que faire ? Deux tactiquesL’impérialismeL’Etat et la révolutionLa révolution prolétarienneLa maladie infantile sont incontestablement un apport extrêmement précieux à l’arsenal du marxisme. La stratégie et la tactiques léninistes sont la science de la lutte révolutionnaire du prolétariat.

2. Les étapes de la révolution et la stratégie

La stratégie consiste à déterminer la direction du coup principal du prolétariat et à régler en conséquence la disposition des forces révolutionnaires au cours d’une étape donnée de la révolution.

Notre révolution a varié dans sa stratégie suivant les étapes qu’elle a traversées.

Première étape : 1903-février 1917. But : renverser le tsarisme, abolir les dernières survivances féodales. Force essentielle de la révolution : le prolétariat. Réserve directe : la paysannerie.

Coup principal : isoler la bourgeoisie monarchiste libérale qui s’efforçait de gagner la paysannerie et de liquider la révolution par un accord avec le tsarisme. Disposition des forces : alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie. « Le prolétariat doit pousser à fond la révolution démocratique en ralliant à lui la masse de la paysannerie pour écraser la résistance de l’autocratie et paralyser la bourgeoisie instable » (Deux tactiques).

Deuxième étape : mars 1917-octobre 1917. But : renverser l’impérialisme en Russie et sortir de la guerre impérialiste. Force essentielle de la révolution : le prolétariat. Réserve directe : les couches pauvres de la paysannerie. Réserve probable : le prolétariat des pays voisins. Circonstances favorables : la prolongation de la guerre et la crise de l’impérialisme. Coup principal : isoler la démocratie petite-bourgeoise (menchéviks, s.-r.) s’efforçant de gagner les masses rurales laborieuses et de terminer la révolution par un accord avec l’impérialisme. Disposition des forces : alliance du prolétariat et des paysans pauvres. Le prolétariat doit accomplir la révolution socialiste en ralliant à lui la masse des éléments semi-prolétariens de la campagne afin de briser par la force la résistance de la bourgeoisie et de paralyser la paysannerie et la petite-bourgeoisie instable. (Lénine : Deux tactiques.)

Troisième étape (consécutive à la révolution d’Octobre). But : consolider la dictature du prolétariat dans un pays. La révolution ne reste pas limitée à une seule contrée, elle entre dans sa phase mondiale.

Forces essentielles : la dictature du prolétariat dans un pays, le mouvement révolutionnaire du prolétariat dans les autres. Principales réserves : les masses semi-prolétariennes et les petits paysans dans les pays avancés, le mouvement national dans les colonies et les pays asservis.

Coup principal : isoler la démocratie petite-bourgeoise, les partis de la IIe Internationale, promoteurs de la politique de conciliation avec l’impérialisme. Disposition des forces : alliance de la révolution prolétarienne avec le mouvement national des colonies et des pays asservis.

La stratégie porte sur les forces essentielles de la révolution et ses réserves. Restant la même durant une étape donnée, elle change à chaque nouvelle étape de la révolution.

3. Les flux et les reflux du-mouvement et la tactique

La tactique consiste à déterminer la ligne de conduite du prolétariat pendant une période relativement courte de flux ou de reflux, d’ascension ou de dépression du mouvement révolutionnaire, à suivre cette ligne en remplaçant les anciens mots d’ordre, formes de lutte et d’organisation, par de nouveaux, en alliant ces formes les unes aux autres, etc.

Si la tragédie a pour but, par exemple, de mener jusqu’au bout et de gagner la guerre contre le tsarisme ou la bourgeoisie, la tactique, elle, s’assigne des objectifs plus restreints.

Elle s’efforce de gagner telle ou telle bataille, de faire aboutir telle ou telle campagne, telle ou telle intervention appropriée à la situation pendant une période donnée de poussée ou de dépression révolutionnaire.

Elle est partie de la stratégie et, comme telle, subordonnée à cette dernière. La tactique varie selon les périodes de poussée ou de dépression. Ainsi, dans la première étape de la révolution (1903- février 1917), elle a varié à maintes reprises, alors que le plan stratégique restait inchangé. De 1903 à 1905, elle était offensive, car alors le mouvement se développait.

Grèves politiques locales, manifestations politiques, grève politique générale, boycottage de la Douma, insurrection, mois d’ordre révolutionnaires de combat : telles sont alors les formes successives de la lutte révolutionnaire, parallèlement auxquelles varient les formes d’organisation. Comités d’usines, comités paysans révolutionnaires, comités de grève, soviets des députés ouvriers, parti ouvrier agissant plus ou moins ouvertement : telles sont les formes d’organisation durant cette période.

De 1907 à 1912, le mouvement traversant une phase de dépression, le parti fut oblige d’adopter la tactique de la retraite. Par suite, les formes de lutte et d’organisation changèrent. Le boycottage du Parlement fit place à la participation à la Douma, l’action révolutionnaire directe aux interventions et au travail parlementaires, la grève politique générale aux grèves économiques partielles, ou même au calme complet. Le parti fut réduit à l’action clandestine et les organisations révolutionnaires de niasse remplacées par différentes organisations légales (sociétés d’éducation, coopératives, caisses d’assurance, etc.).

De même, au cours de la deuxième et de la troisième étapes de la révolution, la tactique changea fréquemment alors que la stratégie restait invariable.

La tactique a pour objet les formes de la lutte et de l’organisation du prolétariat, qu’elle allie ou substitue les unes aux autres suivant la situation. Dans une étape donnée de la révolution, elle varie en fonction de la poussée ou de la dépression du mouvement.

4. La direction stratégique

Les réserves de la révolution peuvent être :

Directes : a) paysannerie et couches intermédiaires de la population ; b) prolétariat des pays voisins ; c) mouvement révolutionnaire dans les colonies et les pays assujettis ; d) dictature du prolétariat.

Le prolétariat, tout en conservant sa suprématie, peut renoncer temporairement à une partie de ces réserves, afin de neutraliser un adversaire puissant ou d’en obtenir une trêve.

Indirectes : a) antagonismes et conflits entre les classes indigènes non-prolétariennes, susceptibles d’être utilisés par le prolétariat pour affaiblir l’adversaire et renforcer ses propres réserves ; b) antagonismes, conflits et guerres qui éclatent entre les Etats bourgeois hostiles à l’Etat prolétarien, et que le prolétariat peut utiliser pour mener son offensive ou couvrir sa retraite.

L’importance des réserves directes est évidente.

Quant à celle des réserves indirectes, quoiqu’elle n’apparaisse pas toujours clairement, elle est capitale pour la révolution. On ne saurait nier, par exemple, l’importance immense du conflit entre la démocratie petite-bourgeoise (s.-r.) et la bourgeoisie monarchiste libérale (cadets) pendant et après la première révolution, conflit qui a incontestablement contribué à soustraire la paysannerie à l’influence de la bourgeoisie.

De même, la guerre à mort que se livraient les principaux groupes impérialistes au moment de la révolution d’Octobre les empêcha de concentrer leurs forces contre la Russie soviétiste et permit au prolétariat d’organiser les siennes, de consolider son pouvoir et de préparer l’écrasement de Koltchak et de Dénikine.

Maintenant que les antagonismes entre les groupes impérialistes s’accentuent au point de rendre une nouvelle guerre inévitable, ces réserves indirectes auront pour le prolétariat une importance de plus en plus grande.

La direction stratégique consiste à utiliser rationnellement toutes ces réserves pour atteindre le but essentiel de la révolution au cours d’une étape donnée.

En quoi consiste principalement l’utilisation rationnelle des réserves ?

Premièrement, à concentrer le gros de ses forces sur le point le plus vulnérable de l’adversaire au moment décisif, lorsque la révolution est déjà mûre, que l’offensive se développe, que l’insurrection va éclater et que le ralliement des réserves à l’avant-garde est nécessaire pour assurer le succès. Comme exemple, nous prendrons la stratégie du parti, d’avril à octobre 1917.

Le point le plus vulnérable de l’adversaire était alors incontestablement la guerre. Aussi le parti, sur cette question, rassemblera-t-il autour de l’avant-garde prolétarienne la masse de la population. Sa stratégie consista à former, à entraîner l’avant-garde par des démonstrations, des manifestations et des actions de rue, et, par l’intermédiaire des soviets à l’arrière et des comités de soldats sur le iront, à rallier les réserves autour de l’avant-garde. L’issue de la révolution a montré la justesse de cette stratégie.

Voici ce que, paraphrasant les thèses de Marx et Engels sur l’insurrection, Lénine dit de cette utilisation des forces de la révolution : Ne jamais jouer avec l’insurrection et, lorsqu’on la commence, être bien pénétré de l’idée qu’elle doit être menée jusqu’au bout. Rassembler, à l’endroit et au moment décisifs, des forces de beaucoup supérieures à celles de l’ennemi ; sinon, ce dernier, mieux préparé, mieux organisé, anéantira les insurgés. L’insurrection une fois commencée, agir avec le maximum de vigueur et prendre, coûte que coûte, l’offensive. « La défensive est la mort de l’insurrection armée. » S’efforcer de prendre l’ennemi au dépourvu, de profiter du moment où ses troupes sont dispersées. Remporter chaque jour des succès, même peu considérables (on pourrait même dire « chaque heure » s’il s’agit d’une seule ville), et conserver à tout prix la « supériorité morale ». (Lénine : Sur la route de l’insurrection.)

Deuxièmement, à bien choisir le moment du coup décisif, le moment de l’insurrection, qui doit être celui où la crise a atteint son plus extrême degré d’acuité, où l’avant-garde, sûre de l’appui de ses réserves, est prête à se battre jusqu’au bout, où le désarroi est le plus fort dans les rangs de l’adversaire. On peut, dit Lénine,considérer le moment venu pour la bataille décisive lorsque toutes les forces de classes qui nous sont hostiles se sont suffisamment entre-déchirées, affaiblies dans leur lutte mutuelle ; lorsque tous les éléments intermédiaires hésitants et instables, c’est-à-dire la petite bourgeoisie, la démocratie petite-bourgeoise, se sont suffisamment démasqués, déconsidérés par leur faillite dans la pratique ; lorsque l’ensemble du prolétariat commence à réclamer les actes révolutionnaires les plus décisifs contre la bourgeoisie. Alors, la révolution est mûre ; alors, si nous avons bien tenu compte de toutes les conditions énoncées plus haut et bien choisi le moment, notre victoire est assurée (La maladie infantile du communisme).

L’insurrection d’Octobre peut être considérée comme un modèle de l’application de cette stratégie.

Si le parti n’observe pas cette deuxième condition, il commet, soit en retardant sur le mouvement, soit en le devançant par trop, une faute dangereuse, susceptible d’entraîner un échec.

Un exemple de cette faute, c’est-à-dire du choix inopportun du moment de l’insurrection : la tentative d’une partie de nos camarades de commencer l’insurrection par l’arrestation de la Conférence démocratique en août 1917, alors qu’il régnait encore une certaine hésitation dans les soviets, que nous étions à un tournant et que les réserves n’avaient pas encore rallié l’avant-garde.

Troisièmement, à suivre invariablement, malgré tous les obstacles, la direction une fois adoptée afin que l’avant-garde ne perde pas de vue le but essentiel de la lutte et que les masses marchent sans dévier vers ce but en s’efforçant de se grouper le plus étroitement possible autour de l’avant-garde.

La violation de cette règle est des plus dangereuses, car elle amène la « perte de la direction ». Un exemple : la décision prise par notre parti, immédiatement après la Conférence démocratique, de participer au Pré-Parlement. A ce moment, le parti semblait avoir oublié que la création du Pré-Parlement était uniquement une tentative de la bourgeoisie de faire dévier le pays de la voie des soviets pour l’entraîner dans celle du parlementarisme bourgeois, que sa participation à une telle institution pouvait brouiller toutes les cartes et dévoyer les ouvriers et les paysans menant la lutte révolutionnaire sous le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ».

Cette faute fut réparée par la sortie des bolcheviks du Pré-Parlement.

Quatrièmement, à manœuvrer avec ses réserves lorsque l’ennemi est supérieur en force, qu’il est notoirement désavantageux d’accepter la bataille et que la retraite, vu la corrélation des forces, est le seul moyen pour l’avant-garde d’échapper à l’écrasement et de conserver ses réserves. Les partis révolutionnaires doivent parachever leur instruction. Ils ont appris à mener l’offensive. Maintenant, ils doivent comprendre la nécessité de compléter cette science par celle de la retraite. Instruite par une amère expérience, la classe révolutionnaire commence à comprendre qu’il est impossible de vaincre sans connaître à la fois l’art de l’offensive et celui de la retraite (La maladie infantile du communisme).

Le but de cette stratégie est de gagner du temps, de désagréger l’adversaire et d’accumuler des forces pour passer ensuite à l’offensive. Ainsi la conclusion de la paix de Brest permit au parti de gagner du temps, d’exploiter les conflits de l’impérialisme, de désagréger les forces de l’adversaire, de conserver la paysannerie et de préparer l’offensive contre Koltchak et Dénikine. En concluant une paix séparée, nous nous libérons, autant qu’il est possible à l’heure actuelle, des deux groupes impérialistes belligérants, nous exploitons leur hostilité, leur guerre qui les empêche jusqu’à un certain point de conclure un accord contre nous, nous nous assurons une période de tranquillité qui nous permettra de poursuivre et de consolider la révolution socialiste. (Lénine : Thèses sur la paix.) Maintenant – disait Lénine trois ans après Brest-Litovsk − les imbéciles eux-mêmes voient que la paix de Brest était une concession qui nous a renforcés et a morcelé les forces de l’impérialisme international (Les nouveaux temps).

5. La direction tactique

La direction tactique est une partie de la, direction stratégique, à laquelle elle est subordonnée. Elle consiste à assurer l’utilisation rationnelle de toutes les formes de lutte et d’organisation du prolétariat afin d’obtenir, dans une situation donnée, le maximum de résultats nécessaire pour la préparation de la victoire stratégique.

En quoi consiste principalement l’utilisation rationnelle des formes de lutte et d’organisation du prolétariat ?

Premièrement, à mettre au premier plan les formes de lutte et d’organisation qui, correspondant le mieux à l’état du mouvement, permettent d’amener et de répartir convenablement les masses sur le front de la révolution.

Il faut que les masses conçoivent l’impossibilité du maintien de l’ancien ordre de choses, la nécessité d’y mettre fin et le montrent prêtes à soutenir l’avant-garde. Mais cette conscience réfléchie ne leur viendra que de leur propre expérience. Leur donner la possibilité de comprendre l’inéluctabilité du renversement de l’ancien pouvoir, mettre en avant des moyens de lutte et des formes d’organisation leur permettant de constater expérimentalement la justesse des mots d’ordre révolutionnaires : telle est la tâche à accomplir.

L’avant-garde se serait détachée de la classe ouvrière et cette dernière aurait perdu contact avec les masses, si jadis les bolcheviks n’avaient pas résolu de participer à la Douma, d’y lutter, de concentrer leurs forces sur l’action parlementaire afin de permettre aux masses de constater la nullité de la Douma, le mensonge des promesses des cadets, l’impossibilité d’un accord avec le tsarisme, la nécessité de l’alliance de la paysannerie et de la classe ouvrière. Sans cette expérience des masses dans la période de la Douma, il eût été impossible de démasquer les cadets et d’assurer l’hégémonie du prolétariat.

La tactique de l’otzovisme était dangereuse parce qu’elle menaçait de détacher l’avant-garde de ses réserves innombrables.

Le parti se serait détaché de la classe ouvrière et celle-ci aurait perdu son influence sur les paysans et les soldats si le prolétariat avait suivi les communistes de gauche qui réclamaient l’insurrection en avril 1917, alors que les menchéviks et les s.-r., partisans de la guerre et de l’impérialisme, n’avaient pas encore eu le temps de se discréditer aux yeux des masses, qui devaient constater à leurs dépens le mensonge des discours menchévico-socialistes-révolutionnaires sur la paix, la terre, la liberté. Sans l’expérience des masses sous Kérensky, les menchéviks et les s.-r. n’auraient pas été isolés et la dictature du prolétariat aurait été impossible.

C’est pourquoi la seule tactique juste consistait à mettre en lumière les fautes des partis petits-bourgeois et à mener la lutte ouverte au sein des soviets.

La tactique des communistes de gauche était dangereuse parce qu’elle menaçait d’enlever au parti son rôle de chef de la révolution prolétarienne et d’en faire un ramassis de conspirateurs vides et inconsistants.

Il est impossible de vaincre avec la seule avant-garde. La lancer à la bataille décisive avant que les larges masses ne soient prêtes à la soutenir, ou tout au moins n’observent une neutralité bienveillante…serait non seulement une folie, mais un crime. Or, pour que la masse des travailleurs et de ceux qu’opprime le capital adopte une telle attitude, la propagande et l’agitation à elles seules ne suffisent pas ; il faut l’expérience politique des masses elles-mêmes. Telle est la loi fondamentale pour les grandes révolutions, loi confirmée maintenant d’une façon frappante par la Russie comme par l’Allemagne. Aussi bien que les masses russes incultes, souvent illettrées, les masses allemandes, incomparablement plus cultivées, ont dû constater à leurs dépens l’impuissance, la veulerie, la platitude, l’infamie du gouvernement des hommes de la IIe Internationale, l’inévitabilité soit de la dictature de la réaction extrême (Kornilov en Russie, Kapp et consorts en Allemagne), soit de la dictature du prolétariat, pour évoluer résolument vers le communisme (La maladie infantile du communisme).

Deuxièmement, à trouver dans la chaîne des processus l’anneau auquel on pourra se raccrocher au moment donné et dont la possession permettra de tenir toute la chaîne et de préparer les conditions de la victoire stratégique.

Il s’agit de choisir parmi les tâches qui se posent au parti celle qui est la plus urgente, la plus importante et dont l’accomplissement permettra l’exécution des autres.

Nous démontrerons cette proposition par deux exemples empruntés, l’un au passé lointain, l’autre au passé récent.

Lorsque le parti était encore en voie de formation, que les innombrables organisations n’étaient pas reliées entre elles, que le primitivisme, l’esprit de cercle et la confusion idéologique y régnaient en maîtres, l’anneau essentiel de la chaîne, la tâche fondamentale entre toutes était la création d’un journal illégal pour toute la Russie. En effet, dans les conditions d’alors, ce n’était qu’au moyen d’un tel journal que l’on pouvait créer un noyau solide, capable de fondre en un tout unique les innombrables cercles et organisations, de préparer les conditions de l’unité idéologique et tactique et de poser ainsi les bases d’un parti véritable.

Après la guerre, au début de la restauration de l’économie, alors que l’industrie était en proie à la désorganisation, que l’agriculture soutirait du manque de produits industriels, que la soudure de l’industrie étatique avec l’économie paysanne était la condition essentielle de la réalisation du socialisme, l’anneau essentiel, la lâche fondamentale était le développement du commerce.

Pourquoi ? Parce que, sous la Nep, la soudure de l’industrie et de l’économie paysanne est impossible autrement que par le commerce ; parce que la production sans l’écoulement des marchandises est la mort de l’industrie ; parce qu’on ne peut élargir cette dernière qu’en développant la vente ; parce que ce n’est qu’après s’être consolidé dans le domaine commercial que l’on peut lier l’industrie à l’agriculture, résoudre les autres problèmes à l’ordre du jour et créer par là même les conditions pour la pose des fondements de l’économie socialiste. Il ne suffit pas d’être révolutionnaire et partisan du socialisme ou du communisme ; il faut savoir trouver à chaque moment donné l’anneau de la chaîne auquel on puisse s’accrocher, qui permettra de tenir fortement toute la chaîne et de s’accrocher à l’anneau suivant… Au moment actuel, cet anneau, c’est le développement du commerce intérieur et sa régularisation par l’Etat. Le commerce, voilà l’anneau auquel, dans la chaîne historique des événements, dans les formes transitoires de notre construction socialiste, il nous faut nous accrocher de toutes nos forces. ( Lénine : De l’importance de l’or.)

6. Réformisme et révolutionnisme

En quoi la tactique révolutionnaire se distingue-t-elle de la tactique réformiste ?

D’aucuns pensent que le léninisme est contre les réformes, contre les compromis et les accords. C’est faux. Les bolcheviks savent que, dans un certain sens, « tout est bon à prendre », que, dans certaines circonstances, les réformes en général, les compromis et les accords en particulier, sont nécessaires et utiles. Mener la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile, plus longue, plus compliquée que la guerre la plus acharnée qui puisse exister entre des Etats quelconques, et renoncer à l’avance à louvoyer, à exploiter (ne serait-ce que temporairement) les antagonismes d’intérêt entre ses ennemis, à passer des accords et des compromis (quoique temporaires, conventionnels, instables) avec des alliés possibles, n’est-ce pas ridicule au plus haut point ? N’est-ce pas là la même chose que si dans l’ascension d’une montagne abrupte, inexplorée, on se refusait à l’avance à faire des zigzags, à revenir parfois en arrière, à s’écarter de la direction fixée pour en essayer une autre ? (La maladie infantile du communisme.)

Ce qui importe, évidemment, ce ne sont pas les réformes, les compromis ou les accords, mais l’usage que l’on en fait.

Pour le réformiste, la réforme est tout ; quant au travail révolutionnaire, il n’est là que pour la forme. C’est pourquoi, avec la tactique réformiste sous le pouvoir bourgeois, toute réforme tend inévitablement à consolider ce pouvoir, à désagréger la révolution.

Pour le révolutionnaire, au contraire, le principal, c’est le travail révolutionnaire et non la réforme ; pour lui, la réforme n’est que le produit accessoire de la révolution. C’est pourquoi, avec la tactique révolutionnaire sous le pouvoir de la bourgeoisie, toute réforme tend inévitablement à désagréger ce pouvoir, à consolider la révolution, à devenir un point d’appui pour le développement du mouvement révolutionnaire.

Le révolutionnaire acceptera une réforme pour allier l’action légale à l’action illégale, dissimuler le renforcement du travail clandestin, faire l’éducation des masses et préparer le renversement de la bourgeoisie.

Le réformiste, au contraire, acceptera des réformes pour se reposer sur ses lauriers, renoncer à tout travail illégal et entraver la préparation des masses à la révolution.
Ainsi en est-il des réformes et des accords sous l’impérialisme.

Sous la dictature du prolétariat, la situation change quelque peu.

Dans certains cas, le pouvoir prolétarien peut se trouver forcé de renoncer temporairement à la refonte immédiate totale de l’état de choses existant pour procéder à sa transformation progressive, pour s’engager, comme le dit Lénine, dans la voie réformiste, dans la voie des zigzags, des concessions aux classes non-prolétariennes afin de désagréger ces dernières, de donner à la révolution le temps de respirer, de rassembler ses forces et de préparer une nouvelle offensive.

Cette voie, on ne saurait le nier, est dans un certain sens réformiste. Mais il faut se souvenir qu’en l’occurrence la réforme émane du pouvoir prolétarien, qu’elle lui donne la trêve nécessaire, qu’elle est destinée à désagréger non pas la révolution, mais les classes non-prolétariennes. Par suite, elle est utile et nécessaire.

Si le pouvoir prolétarien peut se permettre cette politique, c’est uniquement parce que, dans la période précédente, l’avance de la révolution a été considérable et lui a donné assez d’espace pour reculer temporairement quand la nécessité s’en fait sentir.

Ainsi donc, si auparavant, sous le pouvoir bourgeois, les réformes étaient un produit accessoire de la révolution, maintenant, sous la dictature du prolétariat, elles ont leur source dans les conquêtes révolutionnaires du prolétariat, dans les réserves accumulées par ce dernier. Ce n’est que par le marxisme, dit Lénine, que le rapport des réformes à la révolution est déterminé exactement et rationnellement. Mais Marx ne pouvait voir ce rapport que sous l’angle de son époque, où le prolétariat n’avait encore remporté de victoire tant soit peu solide et durable dans aucun pays. Dans cette situation, il n’existait pas de base pour un rapport juste, car la réforme est le produit accessoire de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat… Après la victoire du prolétariat, ne serait-ce que dans un seul pays, quelque chose de nouveau apparaît dans le rapport des réformes à la révolution. En principe, rien n’est changé ; mais dans la forme, il survient une modification que Marx ne pouvait prévoir, mais que l’on ne peut concevoir que sur Je terrain de la philosophie et de la politique du marxisme… Après la victoire, les réformes (tout en restant sur l’échelle internationale un produit accessoire) sont, pour le pays où le prolétariat a vaincu, une trêve nécessaire et légitime lorsque les forces ne sont pas suffisantes pour franchir telle ou telle étape. La victoire donne une telle « réserve de forces » qu’elle permet, même au cours d’une retraite forcée, de tenir bon matériellement et moralement.

VIII – Le parti

Dans la période prérévolutionnaire, période de domination de la ne Internationale, où les formes parlementaires de lutte étaient considérées comme les principales, le parti n’avait pas et ne pouvait pas avoir l’importance décisive qu’il a acquise dans la suite au cours des grandes batailles révolutionnaires.

D’après Kautsky, la IIe Internationale était essentiellement un instrument de paix ; par suite, il lui était impossible de rien entreprendre de sérieux pendant la guerre, pendant la période des actions révolutionnaires du prolétariat.

Qu’est-ce à dire ? Que les partis de la IIe Internationale ne sont pas adaptés à la lutte révolutionnaire du prolétariat, qu’ils ne sont pas des partis de combat menant les ouvriers à la conquête du pouvoir, mais des appareils de campagne électorale et de lutte parlementaire. C’est pourquoi, sous la ne Internationale, l’organisation politique essentielle du prolétariat était non pas le parti, mais la fraction parlementaire.

Le parti était alors l’appendice, le serviteur de la fraction parlementaire. Il est évident que, dans ces conditions, il ne pouvait être question de préparer le prolétariat à la révolution.

Mais il n’en est plus de même dans la nouvelle période, qui est celle des collisions ouvertes de classe, des interventions révolutionnaires du prolétariat, de la préparation au renversement de l’impérialisme et à la conquête du pouvoir.

Réorganisation du travail du parti sur la base révolutionnaire, préparation des ouvriers à la lutte directe pour le pouvoir, préparation et ralliement des réserves, alliance avec les prolétaires des pays voisins, instauration d’une liaison solide avec le mouvement colonial : telles sont les principales tâches qui s’imposent au prolétariat.

Compter pour leur accomplissement sur les anciens partis social-démocrates formés à l’école du parlementarisme pacifique, c’est se condamner à la défaite. Demeurer sous leur direction, c’est consentir à rester désarmé devant l’ennemi.

Le prolétariat, évidemment, n’a pu se résigner à cette situation. Il a compris la nécessité d’un parti combatif, révolutionnaire, assez courageux pour le mener à la lutte pour le pouvoir, assez expérimenté pour se débrouiller dans la complexité des facteurs et des événements et assez souple pour lui faire contourner les écueils. II s’est rendu compte que, sans un tel parti, il ne pouvait songer à renverser l’impérialisme et à instaurer sa dictature.

Or, ce parti, c’est le parti du léninisme.

Quelles sont les particularités de ce nouveau parti ?

1. Le Parti, détachement d’avant-garde de la classe ouvrière

Le parti doit être l’avant-garde de la classe ouvrière. Il doit en grouper les meilleurs éléments, incarner leur expérience, leur esprit révolutionnaire, leur dévouement illimité à la cause du prolétariat. Mais pour remplir son rôle, il doit être armé de la théorie révolutionnaire, connaître les lois du mouvement, les lois de la révolution.

Sinon, il n’est pas en état d’entraîner le prolétariat à sa suite et de diriger sa lutte. Il ne peut être un parti véritable s’il se borne à enregistrer ce que sent et pense la masse ouvrière et à suivre le mouvement spontané, routinier et indifférent à la politique ; s’il ne sait pas s’élever au-dessus des intérêts passagers du prolétariat et inculquer à la masse la conscience de classe.

Il doit marcher en tête de la classe ouvrière, voir plus loin que cette dernière, entraîner à sa suite le prolétariat et non se traîner à sa remorque comme les partis de la IIe Internationale, qui font ainsi du prolétariat l’instrument de la bourgeoisie. Seul, un parti conscient de son rôle d’avant-garde et capable d’élever la masse prolétarienne à la conscience de classe est en état de détourner la classe ouvrière de la voie du trade-unionisme et de la transformer en une force politique indépendante. Le parti est le chef politique de la classe ouvrière.

J’ai exposé plus haut les difficultés de la lutte de la classe ouvrière, la nécessité de la stratégie et de la tactique, les règles de la manœuvre et de l’utilisation des réserves, les procédés de l’offensive et de la défensive. Comment la musse innombrable des prolétaires pourra-t-elle se débrouiller dans cette complexité, comment trouvera-t-elle l’orientation juste ?

Une armée en guerre ne peut se passer d’un état-major si elle ne veut pas être battue. A plus forte raison, le prolétariat ne peut-il s’en passer, s’il ne veut pas se livrer pieds et poings liés à ses ennemis. Mais où trouver cet état-major ? Uniquement dans le parti révolutionnaire. Sans lui, la classe ouvrière est une armée privée de direction.

Mais le parti ne peut être seulement l’avant-garde. Il doit être en même temps une partie de la classe, partie intimement liée à cette dernière.

La distinction entre l’avant-garde el le reste de la masse ouvrière, les membres du parti et les sans-parti, ne peut cesser tant que les classes n’auront pas disparu, tant que le prolétariat verra affluer dans ses rangs des transfuges d’autres classes, tant que la classe ouvrière tout entière ne pourra s’élever au niveau de son avant-garde.

Mais le parti faillirait à son rôle si cette distinction se transformait en rupture, s’il se renfermait en lui-même el se détachait des masses sans-parti. Pour diriger la classe, il faut qu’il soit lié avec les sans-parti, que ceux-ci acceptent sa direction, qu’il jouisse parmi eux d’une autorité morale et politique incontestable.

Deux cent mille ouvriers viennent d’entrer dans notre parti. Fait remarquable ils sont moins venus d’eux-mêmes qu’ils n’y ont été envoyés par leurs camarades sans-parti, qui les ont présentés et ont été en général appelés à ratifier leur admission.

Cela prouve que la masse des ouvriers sans-parti considère notre parti comme le sien, comme le parti au développement duquel elle est vitalement intéressée et auquel elle confie librement son sort. Il est évident que, sans ces liens moraux invisibles qui la relient à notre parti, ce dernier perdrait considérablement de sa force. Le parti est partie indissoluble de la classe ouvrière. Nous sommes le parti de la classe, qui, par suite, doit presque totalement (en temps de guerre civile, totalement) agir sous la direction de notre parti, se serrer le plus possible autour de lui. Mais il serait erroné de croire que, sous le capitalisme, toute la classe ou presque soit en état de s’élever à la conscience et à l’activité de son avant-garde, de son parti socialiste. Sous le capitalisme, on le voit, l’organisation professionnelle elle-même (plus primitive, plus accessible aux couches arriérées) peut arriver à englober toute ou presque toute la classe ouvrière. Mais ne pas comprendre l’étendue de nos tâches, les restreindre, ce serait oublier la différence entre l’avant-garde et la masse dont elle est l’aimant, ce serait oublier l’obligation constante de l’avant-garde qui est d’élever progressivement les larges couches prolétariennes à son niveau. (Lénine : Un pas en avant, deux en arrière).

2. Le Parti, détachement organisé de la classe ouvrière

Le parti n’est pas seulement l’avant-garde de la classe ouvrière. S’il veut diriger véritablement la lutte de cette dernière, il doit en être également le détachement organisé. En régime capitaliste, il a des tâches extrêmement importantes et variées.

Il doit diriger Je prolétariat dans sa lutte parmi les difficultés de toute sorte, le mener à l’offensive lorsque la situation l’exige, le soustraire par la retraite aux coups de son adversaire quand il risque d’être écrasé par ce dernier, inculquer à la masse des ouvriers sans-parti l’esprit de discipline, de méthode, d’organisation, de fermeté nécessaire à la lutte.

Mais il ne peut s’acquitter de ces tâches que s’il est lui-même la personnification de la discipline et de l’organisation, que s’il est lui-même le détachement organisé du prolétariat. Sinon, il ne saurait prétendre à la direction de la masse prolétarienne. Le parti est le détachement organisé de la classe ouvrière.

Le premier point de notre statut, rédigé par Lénine, détermine que le parti est un tout organisé ; il le considère comme la somme de ses organisations et ses membres comme les membres d’une de ses organisations.

Les menchéviks qui, en 1903 déjà, combattaient cette formule, proposaient un « système » d’admission automatique dans le parti. D’après eux, la qualité de membre du parti devait être accordée à tout professeur, collégien, sympathisant ou gréviste soutenant de façon ou d’autre le parti, mais n’adhérant et ne voulant adhérer à aucune de ses organisations.

II est clair que l’adoption de ce système aurait eu pour résultat de remplir le parti de professeurs et de collégiens, d’en faire une institution amorphe, perdue dans la masse des « sympathisants », où il eût été impossible d’établir une distinction entre le parti et la classe et d’élever les masses inorganisées au niveau de leur avant-garde. Avec ce système opportuniste, notre parti n’aurait pu, évidemment, accomplir son rôle d’organisateur de la classe ouvrière au cours de la révolution. Si l’on admet le point de vue de Martov, les frontières du parti restent indéterminées, car « chaque gréviste » peut « se déclarer membre du parti ». Quelle est l’utilité de cet amorphisme ? L’extension d’une simple « appellation ». Sa nocivité ? La confusion, essentiellement désorganisatrice, de la classe et du parti (Un pas en avant, deux en arrière).

Mais le parti est non seulement la somme, mais aussi le système unique de ses organisations, leur union formelle en un tout unique, comportant des organes supérieurs et inférieurs de direction, où la minorité se soumet à la majorité et où les décisions pratiques adoptées sont obligatoires pour tous les membres. S’il n’en était pas ainsi, le parti ne pourrait réaliser la direction méthodique et organisée de la lutte de la classe ouvrière.Auparavant, notre parti n’était pas un tout formellement organisé, mais seulement la somme des groupes particuliers. Aussi ces groupes ne pouvaient-ils exercer les uns sur les autres qu’une influence idéologique. Maintenant, nous sommes devenus un parti organisé ; autrement dit, nous avons un pouvoir, en venu duquel les instances inférieures du parti sont subordonnées aux instances supérieures (Un pas en avant, deux en arrière).

Le principe de la soumission de la minorité à la majorité, de la direction du travail par un organisme central, a été souvent attaqué par les éléments instables, qui le qualifiaient de bureaucratisme, de formalisme, etc. Mais sans ce principe, dont le léninisme, en matière d’organisation est l’application stricte, le parti ne pourrait accomplir un travail méthodique, ni diriger la lutte de la classe ouvrière. L’opposition à ce principe est qualifiée de « nihilisme russe » par Lénine, qui déclare qu’il faut en finir avec cet « anarchisme de grand seigneur ».

Voici ce qu’il dit à ce propos dans Un pas en avant, deux en arrière : Cet anarchisme de grand seigneur est caractéristique, du nihiliste russe, auquel l’organisation du parti semble une monstrueuse « fabrique » ; la soumission de la partie au tout et de la minorité à la majorité, une servitude ; la division du travail sous la direction d’un organisme central, une transformation des hommes en « rouages » ; le statut d’organisation du parti, une chose inutile dont on pourrait fort bien se passer… Il est clair que ces protestations contre le « bureaucratisme » ne servent qu’à masquer chez leurs auteurs un mécontentement personnel de la composition des organismes centraux. Tu es un bureaucrate parce que tu as été nommé par le congrès non pas avec, mais contre mon agrément ; tu es un formaliste parce que tu t’appuies sur la décision formelle du congrès et non sur mon consentement ; tu agis mécaniquement parce que tu te réfères à la majorité du congrès du parti et que tu ne tiens pas compte de mon désir d’être coopté ; tu es un autocrate parce que tu ne veux pas remettre le pouvoir aux mains du vieux groupe de copains. [Il s’agit ici d’Axelrod, Martov, Polressov et autres qui ne se soumettaient pas aux décisions du 3e congrès et accusaient Lénine de bureaucratisme.]

3. Le Parti, forme suprême de l’organisation de classe du prolétariat

Le parti est le détachement organisé, mais non la seule organisation de la classe ouvrière.

Cette dernière en a une série d’autres qui lui sont indispensables dans la lutte contre le capital : syndicats, coopératives, comités d’usines, fractions parlementaires, unions de femmes sans-parti, presse, associations culturelles, unions des jeunesses, organisations combatives révolutionnaires (au cours de l’action révolutionnaire directe), soviets de députés, Etat (si le prolétariat est au pouvoir), etc. La plupart de ces organisations sont sans-parti ; quelques-unes seulement adhèrent au parti ou en sont une ramification.

Toutes elles sont, dans certaines conditions, absolument nécessaires à la classe ouvrière, pour consolider ses positions de classe dans les différentes sphères de la lutte et en faire une force capable de remplacer l’ordre bourgeois par l’ordre socialiste.

Mais comment réaliser l’unité de direction avec des organisations aussi diverses ? Comment éviter que leur multiplicité n’entraîne des dissentiments dans la direction ?

Ces organisations, dira-t-on, accomplissent chacune leur travail dans leur sphère spéciale et, par suite, elles doivent mener leur action dans une direction unique, car elles servent une seule classe : celle des prolétaires. Qui donc détermine cette direction unique ?

Quelle est l’organisation centrale assez expérimentée pour élaborer cette ligne générale et capable, grâce à son autorité, d’inciter toutes ces organisations à la suivre, d’obtenir l’unité de direction et d’exclure la possibilité des à-coups ?

Cette organisation, c’est le parti du prolétariat.

Il a, en effet, toutes les qualités. « Tout d’abord, parce qu’il l’enferme l’élite de la classe ouvrière, élite liée directement avec les organisations sans-parti du prolétariat, que fréquemment elle dirige. En second lieu, parce qu’il est la meilleure école pour la formation de leaders ouvriers capables de diriger les différentes organisations de leur classe.

En troisième lieu, parce qu’il est, par son expérience et son autorité, la seule organisation capable de centraliser la lutte du prolétariat et de transformer ainsi toutes les organisations sans-parti de la classe ouvrière en organes desservant cette dernière. » Le parti est la forme supérieure de l’organisation de classe du prolétariat.

Ce n’est pas à dire, certes, que les organisations sans-parti : syndicats, coopératives, etc., doivent être formellement subordonnées à la direction du parti. Ce qu’il faut, c’est que les communistes affiliés à ces organisations, où ils jouissent d’une grande influence, s’efforcent par la persuasion de les rapprocher du parti du prolétariat et de leur en faire accepter la direction politique.

Voilà pourquoi Lénine dit que « le parti est la forme supérieure de l’union de classe des prolétaires », dont la direction politique doit s’étendre à toutes les autres formes d’organisation du prolétariat.

Voilà pourquoi la théorie opportuniste de l’ « indépendance » et de la « neutralité » des organisations sans-parti, théorie qui engendre des parlementaires indépendants et des publicistes détachés du parti, des syndicalistes étroits et des coopérateurs embourgeoisés, est absolument incompatible avec la théorie et la pratique du léninisme.

4. Le Parti, instrument de la dictature du prolétariat

Le parti est la forme supérieure de l’organisation du prolétariat. Il est le principe directeur de la classe prolétarienne et de ses organisations. Mais il ne s’ensuit pas qu’on doive le considérer comme une fin en soi, comme une force se suffisant à elle-même.

Le parti est, en même temps que la forme supérieure de l’union de classe des prolétaires, un instrument entre les mains du prolétariat, tout d’abord pour l’instauration de la dictature, puis pour sa consolidation et son élargissement.

Il ne pourrait avoir une telle importance si la question de la conquête du pouvoir ne se posait pas au prolétariat, si l’existence de l’impérialisme, l’inévitabilité des guerres, l’existence d’une crise n’exigeaient la concentration de toutes les forces du prolétariat et de tous les fils du mouvement révolutionnaire entre les mains d’un organe unique.

Le parti est nécessaire au prolétariat tout d’abord comme état-major pour la prise du pouvoir. Il est évident que, sans un parti capable de rassembler autour de lui les organisations de masse du prolétariat et de centraliser au cours de la lutte la direction de tout le mouvement, les ouvriers n’auraient pu réaliser en Russie leur dictature révolutionnaire.

Mais le parti n’est pas nécessaire seulement pour l’instauration de la dictature ; il l’est encore davantage pour maintenir la dictature, la consolider et l’élargir afin d’assurer la victoire complète du socialisme. On se rend compte maintenant que les bolcheviks n’auraient pu garder le pouvoir, je ne dis pas deux années et demie, mais deux mois et demi, si notre parti n’avait été régi par une discipline de fer et soutenu sans réserve par la masse de la classe ouvrière, c’est-à¬-dire par tous ses éléments conscients, honnêtes, dévoués et assez influents pour entraîner à leur suite les autres couches (La maladie infantile du communisme).

Mais qu’est-ce que « maintenir » et « élargir » la dictature ?

C’est inculquer aux masses prolétariennes l’esprit de discipline et d’organisation, les prémunir contre l’influence délétère de l’élément petit-bourgeois, rééduquer les couches petites-bourgeoises et transformer leur mentalité, aider les masses prolétariennes à devenir une force capable de supprimer les classes et de préparer les conditions pour l’organisation de la production socialiste. Mais tout cela est impossible à accomplir sans un parti fort par sa cohésion et sa discipline. La dictature du prolétariat est une lutte acharnée, avec et sans effusion de sang, une lutte violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative contre les forces et les traditions de l’ancienne société. La force de l’habitude de millions et de dizaines de millions d’hommes est la plus terrible. Sans un parti de fer, sans un parti trempé dans la lutte, jouissant de la confiance de tous ]es éléments honnêtes de la classe, sachant observer l’état d’esprit de la masse et millier sur elle, il est impossible de mener une telle lutte (La maladie infantile du communisme).

Le parti est nécessaire au prolétariat pour l’instauration et le maintien de la dictature. Le parti est l’instrument de la dictature du prolétariat.

Par suite, la disparition des classes et de la dictature du prolétariat doit entraîner celle du parti.

5. Le Parti, unité de volonté incompatible avec l’existence de fractions

La conquête et le maintien de la dictature du prolétariat sont impossibles sans un parti fort par sa cohésion et sa discipline. Mais la discipline de fer ne saurait se concevoir sans l’unité de volonté, sans l’unité d’action intégrale de tous les membres du parti. Cela ne signifie pas que la possibilité de lutte d’opinions soit exclue au sein du parti.

La discipline, en effet, loin d’exclure, présuppose la critique et la lutte des opinions. A plus forte raison, cela ne signifie pas que la discipline doive être « aveugle ».

La discipline n’exclut pas, mais présuppose la conscience, la soumission volontaire, car seule une discipline consciente peut être une discipline de fer. Mais lorsque la controverse est terminée et que la décision est prise, l’unité de volonté et l’unité d’action de tous les membres du parti sont la condition indispensable sans laquelle il n’y a ni parti, ni discipline. A l’époque actuelle d’exacerbation de la guerre civile, le parti communiste ne peut accomplir sa tâche que s’il est organisé sur les bases centralistes, régi par une discipline de fer, presque militaire, dirigé par un organisme central investi d’une forte autorité, disposant de pouvoirs étendus et jouissant de la confiance générale des membres du parti (Conditions d’admission dans l’Internationale communiste).

Telle doit être la discipline dans le parti, non seulement avant, mais après l’instauration de la dictature. Affaiblir tant soit peu la discipline de fer dans le parti du prolétariat (particulièrement pendant sa dictature), c’est aider effectivement la bourgeoisie contre le prolétariat (La maladie infantile du communisme).

Il s’ensuit que l’existence de fractions est incompatible avec l’unité et la discipline du parti. Il est évident qu’elle amène l’existence de plusieurs centres de direction, par suite l’absence d’une direction générale, le morcellement de la volonté unique qui doit présider à l’accomplissement des tâches du parti, le relâchement de la discipline, l’affaiblissement de la dictature.

Certes, les partis de la IIe Internationale qui combattent la dictature du prolétariat et ne veulent pas mener les prolétaires à la conquête du pouvoir peuvent se permettre le luxe des fractions, car ils n’ont pas besoin d’une discipline de fer.

Mais les partis de l’Internationale communiste, qui organisent leur action en vue de la conquête du pouvoir et du maintien de la dictature du prolétariat, ne peuvent s’offrir ce luxe. Le parti, c’est l’unité de volonté excluant tout fractionnement, tout morcellement du pouvoir dans son sein.

C’est pourquoi, dans une résolution spéciale du Xe congrès, Lénine montre le « danger du fractionnement pour l’unité du parti et la réalisation de l’unité de volonté de l’avant-garde du prolétariat, unité qui est la condition essentielle du succès de la dictature du prolétariat ».

C’est pourquoi, au même congrès, il réclame « la suppression complète de toute fraction » et la « dissolution immédiate de tous les groupes qui se sont constitués sur telle ou telle plate-forme », sous peine « d’exclusion immédiate du parti. (V.I. Lénine, la résolution : Sur l’unité du parti.)

6. Le Parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes

Les éléments opportunistes du parti sont la source des fractions. Le prolétariat n’est pas une classe fermée. Paysans, petits-bourgeois, intellectuels prolétarisés par le développement du capitalisme ne cessent d’affluer dans ses rangs.

En même temps, ses couches supérieures (dirigeants syndicaux et parlementaires, entretenus par la bourgeoisie avec la plus-value des colonies) ont une tendance continuelle à se désagréger. Ces ouvriers embourgeoisés, cette « aristocratie ouvrière », petite-bourgeoise par son genre de vie, ses salaires, son idéologie, est la principale force de la IIe Internationale et, actuellement, le plus sûr rempart social de la bourgeoisie. Ces gens sont de véritables agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, des commis du capitalisme, des propagateurs du réformisme et du chauvinisme (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Tous ces groupes petits-bourgeois pénètrent de façon ou d’autre dans le parti, où ils introduisent l’esprit d’opportunisme. Ils représentent la principale source de fractionnement et de désagrégation ; ils désorganisent le parti, le sapent de l’intérieur.
Engager la bataille contre l’impérialisme avec de tels « alliés », c’est s’exposer à être attaqué à la fois par devant et par derrière. C’est pourquoi, il faut combattre impitoyablement ces éléments opportunistes et ne pas hésiter à les expulser du parti.

Prétendre qu’il faut en triompher par une lutte idéologique au sein du parti est une théorie dangereuse qui condamne le parti à la paralysie, à un malaise chronique, qui menace de le livrer à l’opportunisme, de laisser le prolétariat sans parti révolutionnaire, de le priver de son arme principale dans la lutte contre l’impérialisme.

Notre parti n’aurait pu prendre Je pouvoir et organiser la dictature du prolétariat, il n’aurait pu vaincre dans la guerre civile, s’il avait eu parmi ses membres des Martov et des Dan, des Potressov et des Axelrod. S’il a réussi à créer son unité intérieure et à souder fortement ses rangs, c’est surtout parce qu’il a su s’épurer à temps des scories de l’opportunisme et expulser les liquidateurs et les menchéviks.

Pour se développer et se fortifier, les partis prolétariens doivent se débarrasser des opportunistes et des réformistes, des social-impérialistes et des social-chauvins, des social-patriotes et des social-pacifistes. Le parti se fortifie en se libérant des éléments opportunistes. Avec des réformistes et des menchéviks dans ses rangs, il est impossible à la révolution prolétarienne de vaincre, de se maintenir. Cela est évident a priori. En outre, cela a été confirmé par l’expérience de la Russie et de la Hongrie… En Russie, le régime soviétiste a traversé à maintes reprises des situations difficiles où il aurait été certainement renversé si les menchéviks, les réformistes, les démocrates petits-bourgeois étaient restés dans notre parti. En Italie, de l’avis général, le prolétariat va bientôt engager les batailles décisives avec la bourgeoisie pour la conquête du pouvoir politique. En un pareil moment, il est indispensable d’éloigner le menchéviks, les réformistes, les turatistes du parti ; bien plus, il sera peut-être utile d’écarter de tout poste important les communistes tant soit peu hésitants ou enclins à réaliser l’unité avec les réformistes. A la veille ainsi qu’au moment de la bataille pour le triomphe de la révolution, les plus légères hésitations dans le parti peuvent tout perdre, faire échouer la révolution, arracher au prolétariat le pouvoir encore mal assuré et en butte à des attaques furieuses. Si, à ce moment, les chefs hésitants se retirent, il en résulte, non pas un affaiblissement, mais un renforcement du parti, du mouvement ouvrier et de la révolution. (Lénine : Discours mensongers sur la liberté.)

IX − Le style dans le travail

Il ne s’agit pas ici du style littéraire, mais de ce que l’on pourrait appeler le style du travail. Le léninisme est une école théorique et pratique qui forme un type spécial de militants, un style particulier de travail. Quelles sont les caractéristiques de ce style ?

Il y en a deux :

a) l’élan révolutionnaire russe et

b) le sens pratique américain.

Le style du léninisme, c’est l’alliance de ces deux particularités dans le travail au sein du Parti et des organismes d’Etat.

L’élan révolutionnaire russe est un antidote contre l’inertie, la routine, le conservatisme, la stagnation idéologique, la soumission servile aux traditions ancestrales. L’élan révolutionnaire russe, c’est la force vivifiante qui éveille la pensée, pousse en avant, brise le passé, ouvre de vastes perspectives et sans laquelle aucune progression n’est possible.

Mais, dans la pratique, l’élan révolutionnaire russe dégénérerait en phraséologie révolutionnaire si elle n’était alliée au praticisme américain. Nombreux sont les exemples de cette dégénérescence. Qui ne connaît la manie de la construction « révolutionnaire » abstraite, dont la source est une foi aveugle au plan-force, au décret capable de tout créer et de tout arranger ?

Dans un récit intitulé : L’homme communiste perfectionné, un écrivain russe, I. Ehrenburg, a très bien décrit, quoique avec quelques exagérations, un type de bolchevik qui, atteint de cette manie, s’est donné pour but de faire le schéma de l’homme idéal et… s’est complètement enlisé dans ce « travail ». Mais personne n’a raillé avec autant de vigueur que Lénine, qui la qualifiait de « vanité communiste », cette foi maladive en la puissance des plans et la force souveraine des décrets. La vanité communiste est le fait du communiste qui se figure pouvoir venir à bout de toutes ses tâches au moyen de décrets communistes (Discours au congrès de la Section d’Education politique).

Au révolutionnarisme creux, Lénine opposait généralement les tâches ordinaires, quotidiennes, soulignant par-là que la fantaisie révolutionnaire est contraire à l’esprit et à la lettre du léninisme. Moins de phrases pompeuses − dit-il − et plus de travail journalier… moins de trépidation politique et plus d’attention aux faits les plus simples, mais les plus tangibles de la construction communiste…

L’esprit pratique américain est au contraire un antidote contre la fantaisie « révolutionnaire. » C’est la force tenace pour qui l’impossible n’existe pas, qui surmonte patiemment tous les obstacles et mène à bout toute tâche commencée, même infime. Mais ce praticisme dégénère presque fatalement en affairisme vulgaire s’il ne s’allie à l’élan révolutionnaire.

Cette déformation spéciale a été décrite par B. Pilniak dans sa nouvelle : La Faim. L’auteur dépeint des types de « bolcheviks » russes, volontaires, décidés, énergiques, mais sans horizon, ne voyant pas la portée lointaine de leurs actes, le but à atteindre, et déviant par suite de la voie révolutionnaire. Personne n’a combattu aussi rudement que Lénine cet affairisme.

Il le qualifiait de « praticisme étroit, acéphale » et lui opposait ordinairement l’œuvre révolutionnaire inspirée, la perspective révolutionnaire dans les moindres tâches journalières, soulignant par-là que ce praticisme est aussi contraire au léninisme véritable que la fantaisie « révolutionnaire ».

L’élan révolutionnaire russe avec l’esprit pratique américain : telle est l’essence du léninisme dans le travail au sein du Parti et des organismes d’Etat.

Seule cette alliance nous donne le type achevé du militant léniniste, le style du léninisme dans le travail.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Pour une formation bolchévik

Défauts du travail du Parti et mesures à prendre pour liquider les gens à double face, trotskistes et autres.

Des rapports que nous avons entendus à l’Assemblée plénière et des débats qui les ont suivis, il apparaît que nous avons affaire aux trois faits principaux suivants :

Premièrement, le travail de sabotage, d’espionnage et de diversion des agents des Etats étrangers, parmi lesquels les trotskistes jouaient un rôle assez actif, a plus ou moins touché toutes ou presque toutes nos organisations, aussi bien économiques qu’administratives et du Parti.

Deuxièmement, des agents des Etats étrangers, et parmi eux des trotskistes, se sont glissés non seulement dans les organisations de base, mais aussi à certains postes responsables.

Troisièmement, certains de nos dirigeants, au centre comme en province, non seulement n’ont pas su discerner le vrai visage de ces saboteurs, agents de diversion, espions et assassins, mais se sont montrés insouciants, débonnaires et naïfs au point qu’ils ont souvent eux-mêmes contribué à faire accéder les agents des Etats étrangers à tels ou tels postes responsables.

Tels sont les trois faits incontestables qui découlent naturellement des rapports et des débats qui les ont suivis.

 I. Insouciance politique

Comment expliquer que nos dirigeants, qui ont une riche expérience de la lutte contre les courants hostiles au Parti et antisoviétiques de tout genre, se soient montrés en l’occurrence si naïfs et si aveugles qu’ils n’ont pas su discerner le vrai visage des ennemis du peuple, qu’ils n’ont pas su reconnaître les loups déguisés en moutons, qu’ils n’ont pas su leur arracher le masque ?

Peut-on affirmer que l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des agents des Etats étrangers oeuvrant sur le territoire de l’U.R.S.S., puisse être pour nous quelque chose d’inattendu, qui ne s’est jamais vu ? Non, on ne saurait l’affirmer.

Témoins les actes de sabotage commis dans les diverses branches de l’économie nationale au cours des dix dernières années, depuis l’époque de l’affaire de Chakhti, et qui « ont enregistrés dans des documents officiels.

Peut-on affirmer que ces derniers temps aucun signal ne nous ait mis en garde, ni averti au sujet de l’activité de sabotage, d’espionnage ou de terrorisme des agents trotskistes-zinoviévistes du fascisme ? Non, on ne saurait l’affirmer.

Il y a eu de ces signaux et les bolcheviks n’ont pas le droit de les oublier. L’assassinat scélérat de Kirov fut le premier avertissement sérieux attestant que les ennemis du peuple allaient jouer double jeu et que, ce faisant, ils se camoufleraient en bolcheviks, en membres du Parti pour gagner la confiance et s’ouvrir l’accès de nos organisations.

Le procès du « Centre de Léningrad », de même que le procès « Zinoviev-Kaménev » ont donné un nouveau fondement aux leçons qui découlaient de l’assassinat scélérat de Kirov.

Le procès du « Bloc zinoviéviste-trotskiste » a amplifié les enseignements des procès antérieurs et montré, en toute évidence, que les zinoviévistes et les trotskistes groupent autour d’eux tous les éléments bourgeois hostiles, qu’ils sont devenus une agence d’espionnage, de diversion et de terreur de la Gestapo allemande, que le double jeu et le camouflage sont pour les zinoviévistes et les trotskistes l’unique moyen de pénétrer dans nos organisations, que la vigilance et la perspicacité politique constituent le moyen le plus sûr pour empêcher cette pénétration, pour liquider la bande zinoviéviste-trotskiste.

Dans sa lettre confidentielle du 18 janvier 1935, relative à l’assassinat scélérat de Kirov, le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. mettait résolument les organisations du Parti en garde contre la bénignité politique et la badauderie philistine.

Voici ce que dit cette lettre confidentielle :

Il faut en finir avec la bénignité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces croissent, l’ennemi deviendrait plus apprivoisé et inoffensif.

Cette supposition est foncièrement erronée. Elle est un relent de la déviation de droite, assurant à tous et a chacun que les ennemis s’intégreront tout doucement dans le socialisme, qu’ils deviendront en définitive de véritables socialistes.

Il n’appartient pas aux bolcheviks de se reposer sur leurs lauriers et de bayer aux corneilles. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bénignité, mais la vigilance, la véritable vigilance révolutionnaire bolchevik.

Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée et plus volontiers ils se raccrocheront aux moyens extrêmes, comme unique recours de gens voués à leur perte dans leur lutte contre le pouvoir soviétique. Il faut s’en souvenir et être vigilant.

Dans sa lettre confidentielle du 29 juillet 1936, sur l’activité terroriste et d’espionnage du Bloc trotskiste-zinoviéviste, le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. appelait de nouveau les organisations du Parti à déployer le maximum de vigilance, à savoir reconnaître les ennemis du peuple, si habilement masqués fussent-ils.

Voici ce que dit la lettre confidentielle :

Maintenant que la preuve a été faite que, dans la lutte contre le pouvoir des Soviets, les monstres trotskistes-zinoviévistes groupent tous les ennemis jurés, les ennemis les plus haineux des travailleurs de notre pays, – espions, provocateurs, fauteurs de diversion, gardes blancs, koulaks, etc., et qu’entre ces éléments, d’une part, et les trotskistes et les zinoviévistes de l’autre, toutes les démarcations se sont effacées, – toutes nos organisations du Parti, tous les membres du Parti doivent comprendre que la vigilance des communistes est indispensable sur tous les secteurs et dans toutes les conditions. La qualité indispensable à tout bolchevik, dans les conditions présentes, doit être la capacité de reconnaître l’ennemi du Parti, si bien masqué qu’il soit.

Ainsi donc, il y a eu signaux et avertissements.

A quoi appelaient ces signaux et avertissements ?

Ils appelaient à liquider la faiblesse du travail d’organisation dans le Parti à faire du Parti une forteresse inexpugnable où pas un homme à double face ne pût pénétrer.

Ils appelaient à en finir avec la sous-estimation du travail politique du Parti et à opérer un tournant décisif, destiné à renforcer la vigilance politique.

Eh bien ? Les faits ont montré que, pour entendre ces avertissements et signaux, nos camarades avaient l’oreille plus que dure.

C’est ce qu’attestent avec éloquence les faits connus de tous, empruntés à la campagne pour la vérification et l’échange des cartes du Parti.

Comment expliquer que ces avertissements et signaux n’aient pas eu l’effet voulu ?

Comment expliquer que nos camarades du Parti, malgré leur expérience de la lutte contre les éléments antisoviétiques, malgré toute une série de signaux et de mises en garde, se soient montrés politiquement des myopes, en présence de l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des ennemis du peuple ?

Peut-être, nos camarades du Parti ont-ils perdu les qualités qu’ils avaient autrefois, sont-ils devenus moins conscients et moins disciplinés ? Non, certes non.

Peut-être, sont-ils en voie de dégénérescence ? Non plus ! Une telle supposition est dénuée de tout fondement.

Mais alors ? D’où viennent cette badauderie, cette insouciance, cette bénignité, cette cécité ?

La vérité est que nos camarades du Parti, emportés par les campagnes économiques et les succès prodigieux remportés sur le front de l’édification économique, ont simplement oublié certains faits très importants que les bolcheviks n’ont pas le droit d’oublier.

Ils ont oublié un fait essentiel touchant la situation internationale de l’U.R.S.S., et ils n’ont pas remarqué deux faits très importants qui sont en rapport direct avec les actuels saboteurs, espions, agents de diversion et assassins, lesquels s’abritent derrière la carte du Parti et se déguisent en bolcheviks.

 II. Encerclement capitaliste

Quels sont donc les faits qu’ont oubliés ou que n’ont simple ment pas remarqués nos camarades du Parti ?

Ils ont oublié que le pouvoir des Soviets n’a triomphé que sur un sixième du globe, que les cinq sixièmes du globe sont la possession des Etats capitalistes. Ils ont oublié que l’Union soviétique se trouve dans l’encerclement capitaliste.

On a coutume, chez nous, de bavarder sur l’encerclement capitaliste ; mais, pour ce qui est de réfléchir à ce qu’est cette chose-là, l’encerclement capitaliste, on s’y refuse. L’encerclement capitaliste n’est pas une phrase creuse, c’est une chose très réelle et fort désagréable.

L’encerclement capitaliste, cela veut dire qu’il existe un pays, l’Union soviétique, qui a instauré chez lui l’ordre socialiste, et qu’il existe, en outre, un grand nombre de pays, pays bourgeois, qui continuent à mener un genre de vie capitaliste et qui encerclent l’Union soviétique, guettant une occasion de l’attaquer, de la briser ou, en tout cas, de saper sa puissance et de l’affaiblir.

Ce fait essentiel, nos camarades l’ont oublié. Et c’est pourtant bien lui qui détermine la base des relations entre l’encerclement capitaliste et l’Union soviétique.

Prenons, par exemple, les Etats bourgeois. Des gens naïfs pourraient croire qu’il n’existe entre eux que de bonnes relations, comme entre Etats d’un seul et même type.

Mais, seuls, des gens naïfs peuvent penser ainsi. En réalité, les rapporta entre ces Etats sont loin d’être des rapports de bon voisinage.

Il a été démontré, comme deux fois deux font quatre, que les Etats bourgeois se dépêchent mutuellement, sur leurs arrières, leurs espions, leurs saboteurs, leurs agents de diversion, et, parfois aussi, leurs assassins ; qu’ils leur donnent comme tâche de s’insinuer dans les établissements et entreprises de ces Etats, et les noyauter, et, « en cas de nécessité », de faire sauter les arrières de ces Etats, pour les affaiblir et saper leur puissance.

Il en est ainsi à l’heure présente.

Il en fut ainsi dans le passé également. Prenons, par exemple, les Etats européens de l’époque de Napoléon Ier. La France grouillait alors d’espions et d’agents de diversion, venus du camp des Russes, Allemands, Autrichiens, Anglais.

Et, inversement, l’Angleterre, les Etats d’Allemagne, l’Autriche, la Russie avaient alors sur leurs arrières un nombre non moins grand d’espions et d’agents de diversion du camp français.

Par deux fois, les agents de l’Angleterre attentèrent à la vie de Napoléon et ils soulevèrent à plusieurs reprises les paysans vendéens, en France, contre le gouvernement de Napoléon.

Et qu’était le gouvernement de Napoléon ? Un gouvernement bourgeois qui étouffa la Révolution française et conserva seulement les résultats de la révolution qui étaient avantageux pour la grosse bourgeoisie.

Il va de soi que le gouvernement de Napoléon n’était pas en reste avec ses voisins et lui aussi prenait des mesures de diversion. Il en était ainsi autrefois, il y a de cela cent trente ans.

Il en est ainsi maintenant, cent trente ans après Napoléon Ier. A l’heure actuelle, la France et l’Angleterre grouillent d’espions et d’agents de diversion allemands ; et, inversement, les espions et agents de diversion anglo-français agissent, de leur côté, en Allemagne.

Les Etats-Unis d’Amérique grouillent d’espions et d’agents de diversion japonais, et le Japon d’espions et d’agents de diversion américains.

Telle est la loi des rapports entre Etats bourgeois.

On se demande pourquoi les Etats bourgeois devraient observer envers l’Etat soviétique socialiste une attitude plus délicate et de meilleur voisinage qu’envers les Etats bourgeois de même type qu’eux ?

Pourquoi doivent-ils dépêcher à l’arrière de l’Union soviétique moins d’espions, de saboteurs, d’agents de diversion et d’assassins qu’ils n’en ont sur les arrières des Etats bourgeois congénères ? Où avez-vous été chercher cela ?

Ne serait-il pas plus juste de supposer, du point de vue marxiste, que les Etats bourgeois doivent dépêcher à l’arrière de l’Union soviétique deux fois et trois fois plus de saboteurs, d’espions, d’agents de diversion et d’assassins qu’ils n’en envoient à l’arrière de n’importe quel Etat bourgeois ?

N’est-il pas clair que tant qu’existe l’encerclement capitaliste, existeront chez nous les saboteurs, les espions, les agents de diversion et les assassins dépêchés à l’arrière de notre pays par les agents des Etats étrangers ?

Tout cela, nos camarades du Parti l’avaient oublié ; ils ont été pris au dépourvu.

Voilà pourquoi l’activité de diversion et d’espionnage des agents trotskistes de la police secrète japonaise et allemande a été une chose tout à fait inattendue pour certains de nos camarades.

 III. Le trotskisme de nos jours

Poursuivons. Dans la lutte qu’ils mènent contre les agents trotskistes, nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, ont laissé échapper le fait que le trotskisme actuel n’est plus ce qu’il était, disons, sept ou huit ans plus tôt ; que le trotskisme et les trotskistes ont passé durant ce temps par une sérieuse évolution qui a modifié à fond le visage du trotskisme ; qu’en conséquence, la lutte contre le trotskisme, les méthodes de lutte contre ce dernier, doivent être radicalement changées.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué que le trotskisme a cessé d’être un courant politique dans la classe ouvrière ; que, de courant politique qu’il était sept ou huit ans plus tôt, le trotskisme est devenu une bande forcenée et sans principes de saboteurs, d’agents de diversion et d’assassins agissant sur ordre des services d’espionnage des Etats étrangers.

Qu’est-ce qu’un courant politique dans la classe ouvrière ?

Un courant politique dans la classe ouvrière, c’est un groupe ou un parti qui a sa physionomie politique propre, nettement déterminée, une plate-forme, un programme ; qui ne cache pas et ne peut cacher sa façon de voir à la classe ouvrière, la préconise ouvertement et honnêtement, sous les yeux de la classe ouvrière ; qui ne craint pas de montrer sa physionomie politique à la classe ouvrière, ni de faire la démonstration de ses buts et objectifs réels devant la classe ouvrière, mais qui, au contraire, va à celle-ci, le visage découvert, pour la convaincre de la justesse de son point de vue.

Dans le passé, il y a de cela sept ou huit ans, le trotskisme était au sein de la classe ouvrière un des courants politiques de ce genre anti-léniniste, il est vrai, et partant profondément erroné, mais malgré tout un Gourant politique.

Peut-on dire que le trotskisme actuel, par exemple, le trotskisme de 1936, soit un courant politique dans la classe ouvrière ?

Non, on ne peut le dire.

Pourquoi ? Parce que les trotskistes de nos jours craignent de montrer à la classe ouvrière leur vrai visage ; parce qu’ils craignent de lui découvrir leurs buts et objectifs réels ; parce qu’ils cachent soigneusement à la classe ouvrière leur physionomie politique, de peur que si la classe ouvrière apprend leurs véritables intentions, elle les maudisse comme des hommes qui lui sont étrangers et les chasse loin d’elle.

Ainsi, s’explique que, à proprement parler, la méthode essentielle de l’action trotskiste ne soit pas aujourd’hui la propagande ouverte et loyale de ses points de vue au sein de la classe ouvrière, mais leur camouflage, la louange obséquieuse et servile des points de vue de ses adversaires, la façon pharisaïque et hypocrite de traîner dans la boue ses propres points de vue.

Au procès de 1936, si vous vous en souvenez, Kaménev et Zinoviev ont catégoriquement nié avoir une plate-forme politique quelconque. Ils avaient la pleine possibilité de développer pendant le procès leur plate-forme politique.

Or, ils ne l’ont pas fait ; ils ont déclaré n’avoir aucune plate-forme politique.

Il ne fait pas doute que tous deux mentaient lorsqu’ils niaient avoir une plate-forme. Aujourd’hui, les aveugles eux-mêmes voient qu’ils avaient une plate- forme politique à eux.

Mais pourquoi ont-ils nié avoir une plate- forme politique ?

Parce qu’ils craignaient de découvrir leur vrai visage politique, parce qu’ils craignaient de montrer leur plate- forme réelle de restauration du capitalisme en U.R.S.S., de peur qu’une telle plate-forme provoque l’aversion de la classe ouvrière.

Au procès de 1937, Piatakov, Radek et Sokolnikov ont pris un autre chemin. Ils n’ont pas nié l’existence d’une plate-forme politique chez les trotskistes et les zinoviévistes.

Ils ont reconnu que ceux- ci avaient une plate-forme politique déterminée ; ils ont reconnu et développé celle-ci dans leurs déclarations.

Mais s’ils l’ont développée, ce n’était point pour appeler la classe ouvrière, pour appeler le peuple à soutenir la plate-forme trotskiste, mais pour la maudire et la stigmatiser comme plateforme antipopulaire et anti- prolétarienne.

Restauration du capitalisme, liquidation des kolkhoz et des sovkhoz, rétablissement du système d’exploitation ; alliance avec les forces fascistes de l’Allemagne et du Japon pour hâter le déclenchement d’une guerre contre l’Union soviétique ; lutte pour la guerre et contre la politique de paix ; démembrement territorial de l’Union soviétique, l’Ukraine devant être livrée aux Allemands et la Province maritime aux Japonais ; préparation de la défaite militaire de l’Union soviétique au cas où elle serait attaquée par les Etats ennemis ; et, comme moyen d’atteindre ces buts : sabotage, diversion, terrorisme individuel contre les dirigeants du pouvoir des Soviets, espionnage au profit des forces fascistes nippo-allemandes, telle est la plate-forme politique du trotskisme actuel, exposée par Piatakov, Radek et Sokolnikov.

On comprend qu’une telle plate-forme, les trotskistes ne pouvaient pas ne pas la cacher au peuple, à la classe ouvrière.

Et ils ne la cachaient pas seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais aussi à l’équipe dirigeante des trotskistes, composée d’une petite poignée de trente à quarante hommes.

Lorsque Radek et Piatakov ont demandé à Trotski l’autorisation de réunir une petite conférence de trente à quarante trotskistes, afin de les informer du caractère de cette plate-forme, Trotski le leur a interdit, en déclarant qu’il n’était pas rationnel d’exposer le caractère réel de la plate- forme, même à une petite poignée de trotskistes, une « opération » de ce genre pouvant provoquer la scission.

Des « hommes politiques » qui cachent leurs convictions, leur plate- forme non seulement à la classe ouvrière, mais aussi à la masse trotskiste, et non seulement à la masse trotskiste, mais aussi à l’équipe dirigeante des trotskistes : telle est la physionomie du trotskisme de nos jours.

Il s’ensuit que le trotskisme actuel ne peut plus être appelé un courant politique dans la classe ouvrière.

Le trotskisme de nos jours n’est pas un courant politique dans la classe ouvrière, mais une bande sans principes et sans idéologie de saboteurs, d’agents de diversion et de renseignements, d’espions, d’assassins, une bande d’ennemis jurés de la classe ouvrière, une bande à la solde des services d’espionnage des Etats étrangers.

Tel est le résultat incontestable de l’évolution du trotskisme au cours des sept ou huit dernières années. Telle est la différence entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui. L’erreur de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué cette différence profonde entre le trotskisme d’autrefois et le trotskisme d’aujourd’hui.

Ils n’ont pas remarqué que les trotskistes ont depuis longtemps cessé d’être des hommes d’idées ; que, depuis longtemps, les trotskistes sont devenus des bandits de grand chemin capables de toutes les vilenies, de toutes les infamies, jusques et y compris l’espionnage et la trahison directe de leur patrie, pourvu qu’ils puissent faire du tort à l’Etat soviétique et au pouvoir des Soviets. Nos camarades ne l’ont pas remarqué et n’ont pas su, pour cette raison, se réorganiser en temps opportun pour engager la lutte contre les trotskistes d’une manière nouvelle, d’une façon plus énergique.

Voilà pourquoi les ignominies commises par les trotskistes, en ces dernières années, ont été une chose tout à fait inattendue pour certains de nos camarades du Parti.

Poursuivons.

Nos camarades du Parti n’ont pas remarqué, enfin, qu’il existe une différence essentielle, d’une part entre les actuels saboteurs et agents de diversion, parmi lesquels les agents trotskistes du fascisme jouent un rôle actif, et les saboteurs et agents de diversion de l’époque de l’affaire de Chakhti, d’autre part.

Premièrement. Les saboteurs de Chakhti et les membres du Parti industriel étaient pour nous des hommes franchement étrangers.

C’étaient, pour la plupart, d’anciens propriétaires d’entreprises, d’anciens administrateurs des patrons d’autrefois, d’anciens associés de vieilles sociétés anonymes où simplement de vieux socialistes bourgeois qui, au point de vue politique, « nous étaient » franchement hostiles.

Aucun d’entre nous ne doutait du vrai visage politique de ces messieurs.

Au reste, les hommes de Chakhti eux-mêmes ne dissimulaient pas leur attitude hostile envers le régime soviétique. On ne saurait en dire autant des actuels saboteurs et agents de diversion, des trotskistes : ce sont, pour la plupart, des membres du Parti, qui ont en poche la carte du Parti ; par conséquent, des hommes qui, officiellement, ne nous sont pas étrangers.

Si les vieux saboteurs agissaient contre nos hommes, les nouveaux saboteurs, au contraire, leur font des courbettes, font l’éloge de nos hommes, rampent devant nos hommes pour gagner leur confiance.

La différence, comme vous le voyez, est essentielle.

Deuxièmement.

Ce qui faisait la force des saboteurs de Chakhti et des membres du Parti industriel, c’est qu’ils possédaient, à un degré plus ou moins grand, les connaissances techniques nécessaires, tandis que nos hommes à nous, qui n’avaient pas ces connaissances, étaient contraints de se mettre â leur école.

Cela donnait un grand avantage aux saboteurs de l’époque de Chakhti, cela leur permettait de nuire en toute liberté et sans obstacle, cela leur permettait de tromper nos hommes techniquement. Il en va autrement des saboteurs de nos jours, des trotskistes.

Les saboteurs d’aujourd’hui n’ont aucun avantage technique sur nos hommes.

Au contraire, au point de vue technique, nos hommes sont mieux préparés que les saboteurs actuels, que les trotskistes.

Dans l’intervalle de l’époque de Chakhti à nos jours, de véritables cadres bolcheviks techniquement ferrés ont grandi chez nous et comptent des dizaines de milliers d’hommes.

On pourrait nommer des milliers et des dizaines de milliers de dirigeants bolcheviks qui se sont développés au point de vue technique et en comparaison desquels tous ces Piatakov et ces Livchitz, ces Chestov et Bogouslavski, ces Mouralov et Drobnis, ne sont que de vains bavards et des blancs-becs sous le rapport de la formation technique.

Qu’est-ce qui fait donc la force des saboteurs actuels ?

Leur force réside dans la carte du Parti, dans la possession de la carte du Parti.

Leur force c’est que la carte du Parti leur donne la confiance politique et leur ouvre accès à tous nos établissements et organisations. Leur avantage, c’est que, possédant cette carte et se faisant passer pour les amis du pouvoir des Soviets, ils trompaient nos hommes politiquement, abusaient de leur confiance, nuisaient en sous-main et dévoilaient nos secrets d’Etat aux ennemis de l’Union soviétique.

« Avantage » douteux quant à sa valeur politique et morale, mais « avantage » qui, en somme, explique le fait que les saboteurs trotskistes, comme possesseurs de la carte du Parti et ayant accès à tous les postes de nos établissements et organisations, ont été une véritable aubaine pour les services d’espionnage des Etats étrangers.

L’erreur de certains de nos camarades du Parti, c’est qu’ils n’ont pas remarqué, qu’ils n’ont pas compris toute cette différence entre les anciens et les nouveaux saboteurs, entre les hommes de Chakhti et les trotskistes, et, ne rayant pas remarquée, ils n’ont pas su se réorganiser en temps opportun pour engager leur lutte, d’une manière nouvelle, contre les nouveaux saboteurs.

 IV. Les côtés négatifs des succès économiques

Tels sont les faits principaux touchant notre situation internationale et intérieure, que nombre de nos camarades du Parti ont oubliés ou n’ont pas remarqués.

Voilà pourquoi nos gens ont été pris au dépourvu par les événements des dernières années, en ce qui concerne le sabotage et les actes de diversion.

On peut demander : mais pourquoi nos hommes n’ont-ils pas remarqué tout cela, pourquoi ont-ils oublié toutes ces choses t D’où viennent cette amnésie, cette cécité, cette insouciance, cette bénignité ? N’est-ce pas là un vice organique dans le travail de nos hommes ?

Non, ce n’est pas un vice organique. C’est un phénomène temporaire, qui peut être rapidement liquidé à la condition que nos hommes fassent certains efforts.

Mais alors, de quoi s’agit-il ?

La vérité est que, ces dernières années, nos camarades du Parti étaient entièrement absorbés par le travail économique, les succès économiques les exaltaient à l’extrême ; devant cette exaltation, ils ont oublié toute autre chose, délaissé tout le reste.

La vérité est qu’étant exaltés par les succès économiques, ils y ont vu le commencement et la fin de tout ; quant aux problèmes touchant la situation internationale de l’Union soviétique, l’encerclement capitaliste, le renforcement du travail politique du Parti, la lutte contre le sabotage, etc., ils ont simplement cessé d’y faire attention, estimant que toutes ces questions sont choses de deuxième et même de troisième ordre.

Certes, les succès et les réalisations sont une grande chose.

Nos succès dans le domaine de l’édification socialiste sont immenses en effet.

Mais les succès, comme tout ce qui existe au monde, ont aussi leurs ombres. Les grands succès et les grandes réalisations font souvent naître chez des hommes peu rompus a la politique l’insouciance, la bénignité, le contentement de soi, une assurance excessive, la suffisance, la vantardise, vous ne pouvez nier que, ces derniers temps, les vantards pullulent chez nous.

Il n’est pas étonnant que, dans cette ambiance de grands et sérieux succès dans le domaine de l’édification socialiste, des tendances se font jour à la fanfaronnade, à la démonstration pompeuse de nos succès, des tendances à sous-estimer les forces de nos ennemis et à surestimer nos propres forces et, comme conséquence de tout cela, la cécité politique se manifeste.

A ce propos, je dois dire quelques mots sur les dangers liés aux succès, sur les dangers liés aux réalisations.

Les dangers liés aux difficultés, nous les connaissons par expérience.

Voilà plusieurs années que nous menons la lutte contre les dangers de ce genre, et, il faut le dire, non sans succès. Les dangers liés aux difficultés font souvent naître chez les gens instables des tendances à l’abattement, au manque de foi en leurs forces, des tendances au pessimisme.

Et, au contraire, là où il s’agit de vaincre les dangers résultant des difficultés, les hommes se trempent dans cette lutte et en sortent de véritables bolcheviks de silex. Telle est la nature des dangers liés aux difficultés. Tels sont les résultats que donne la lutte menée pour triompher des difficultés.

Mais il est un autre genre de dangers, dangers liés aux succès, liés aux réalisations. Parfaitement, des dangers liés aux succès, aux réalisations.

Ces dangers consistent en ceci : chez les hommes peu rompus à la politique et n’ayant pas beaucoup d’expérience, l’ambiance des succès, – succès sur succès, réalisation sur réalisation, dépassement de plan sur dépassement de plan, – engendre des tendances à l’insouciance et au contentement de soi, crée une atmosphère de solennité, d’apparat et de félicitations mutuelles qui tue le sens de la mesure et émousse le flair politique, désaimante les hommes et les incite à se reposer sur leurs lauriers.

Il n’est pas étonnant que dans cette atmosphère grisante de suffisance et de contentement de soi, que dans cette atmosphère de démonstrations pompeuses et de tapageuses louanges réciproques, les gens oublient certains faits essentiels d’une importance primordiale pour les destinées de notre pays ; les gens commencent à ne pas remarquer des choses désagréables comme l’encerclement capitaliste, les nouvelles formes de sabotage, les dangers attachés à nos succès, etc. Encerclement capitaliste ? Bah ! mais c’est une bagatelle !

Quelle importance peut bien avoir un encerclement capitaliste, si nous accomplissons et dépassons nos plans économiques ? Nouvelles formes de sabotage, lutte contre le trotskisme ? Bêtises que tout cela !

Quelle importance peuvent bien avoir toutes ces vétilles, si nous accomplissons et dépassons nos plans économiques ? Statut du Parti, caractère électif des organes du Parti, devoir pour les dirigeants du Parti de rendre compte de leur mandat devant la masse des militants du Parti ? Mais tout cela est-il bien nécessaire ?

D’une façon générale, est-ce la peine de perdre son temps à ces vétilles, si notre économie croît, et si la situation matérielle des ouvriers et des paysans s’améliore de plus en plus ? Bêtises que tout cela !

Nous dépassons nos plans, nous avons un Parti qui n’est pas mal ; le Comité central du Parti n’est pas mal non plus. Du diable si nous avons besoin d’autre chose ?

Drôles de gens que ceux qui siègent là-bas à Moscou, au Comité central du Parti : ils inventent un tas de problèmes, ils discutent d’on ne sait quel sabotage, ils ne dorment pas eux-mêmes et empêchent les autres de dormir…

Voilà un exemple démonstratif de la facilité et de la « simplicité » avec laquelle certains de nos camarades sans expérience, emportés par le vertige des succès économiques, contractent la cécité politique.

Tels sont les dangers liés aux succès, aux réalisations. Voilà ce qui fait que nos camarades du Parti, s’étant laissés emporter par les succès économiques, ont oublié les faits d’ordre international et intérieur, dont l’importance est essentielle pour l’Union soviétique et n’ont pas remarqué tout un ensemble de dangers qui entourent notre pays.

Telles sont les racines de notre insouciance, de notre amnésie, de notre bénignité, de notre cécité politique.

Telles sont les racines des défauts de notre travail économique et du Parti.

 V. Nos tâches

Comment liquider ces défauts de notre travail ?

Que faut-il faire pour cela ?

Il est nécessaire de réaliser les mesures suivantes :

1. – Il faut avant tout orienter l’attention de nos camarades du Parti, qui restent embourbés dans les « questions courantes » de tel ou tel service, vers les grandes questions politiques d’ordre international et intérieur.

2. – Il faut élever le travail politique de notre Parti au niveau nécessaire, en plaçant au premier plan l’instruction politique et la trempe bolchevik des cadres du Parti, de l’Etat et de l’économie nationale.

3. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti que les succès économiques, dont l’importance est incontestablement très grande, et auxquels nous continuerons à travailler de jour en jour, d’année en année, n’épuisent cependant pas tous les problèmes de notre édification socialiste.

Expliquer que les côtés négatifs des succès économiques, qui sont le contentement de soi, l’insouciance, l’émoussement du flair politique, ne peuvent être liquidés que si, aux succès économiques s’ajoutent les succès de l’édification du Parti et d’un vaste travail politique de notre Parti.

Expliquer que les succès économiques eux-mêmes, leur solidité et leur durée dépendent entièrement et sans réserve des succès du travail d’organisation et du travail politique du Parti ; qu’en l’absence de ces conditions, les succès économiques peuvent s’avérer bâtis sur le sable.

4. – Il faut se rappeler et ne jamais oublier que l’encerclement capitaliste est le fait essentiel qui détermine la situation internationale de l’Union soviétique.

Il faut se rappeler et ne jamais oublier que tant qu’existe l’encerclement capitaliste, existeront les saboteurs, les agents de diversion, les espions, les terroristes dépêchés à l’arrière de l’Union soviétique par les services d’espionnage des Etats étrangers : il faut s’en souvenir et mener la lutte contre les camarades qui sous-estiment l’importance de l’encerclement capitaliste, qui sous-estiment les forces et l’importance du sabotage.

Expliquer à nos camarades du Parti qu’il n’est point de succès économiques, si grands soient-ils, qui puissent annuler le fait de l’encerclement capitaliste et les conséquences découlant de ce fait. Appliquer les mesures nécessaires pour que nos camarades, les bolcheviks, membres et non-membres du Parti, aient la possibilité de prendre connaissance des buts et des tâches, de la pratique et de la technique de l’action de sabotage, d’espionnage et de diversion des services d’espionnage étrangers.

5. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti que les trotskistes, qui sont des éléments actifs de l’action de sabotage, de diversion et d’espionnage des services d’espionnage étrangers, ont depuis longtemps déjà cessé d’être un courant politique dans la classe ouvrière ; qu’ils ont depuis longtemps déjà cessé de servir quelque idée que ce soit, compatible avec les intérêts de la Classe ouvrière ; qu’ils sont devenus une bande, sans principes et sans idées, de saboteurs, d’agents de diversion, d’espions, d’assassins à la solde des services d’espionnage étrangers.

Expliquer que, dans la lutte contre le trotskisme de nos jours, ce qu’il faut maintenant, ce ne sont pas les vieilles méthodes, les méthodes de discussion, mais les méthodes nouvelles, les méthodes consistant à extirper, à mettre en déroute.

6. – Il faut expliquer à nos camarades du Parti la différence qui existe entre les saboteurs actuels et les saboteurs de l’époque de l’affaire de Chakhti ; expliquer que si les saboteurs de l’époque de Chakhti trompaient nos hommes sur le terrain technique, en exploitant leur retard technique, les saboteurs actuels, en possession de la carte du Parti, trompent nos hommes par la confiance politique qui leur est faite, comme à des membres du Parti, en exploitant l’insouciance politique de nos hommes.

Il faut compléter l’ancien mot d’ordre sur l’assimilation de la technique, mot d’ordre qui correspondait à l’époque de Chakhti, par un nouveau mot d’ordre sur l’éducation politique des cadres, sur l’assimilation du bolchévisme et la liquidation de notre crédulité politique, mot d’ordre qui correspond parfaitement à l’époque que nous vivons.

On peut demander : n’était-il pas possible, dix ans plus tôt, pendant l’époque de Chakhti, de formuler d’emblée les deux mots d’ordre, le premier sur l’assimilation de la technique, et le deuxième sur l’éducation politique des cadres ?

Non, cela n’était pas possible. Ce n’est pas ainsi que les choses se font dans notre Parti bolchevik.

Aux moments où le mouvement révolutionnaire opère un tournant, toujours est formulé un mot d’ordre essentiel, un mot d’ordre crucial dont nous nous saisissons pour pouvoir, grâce à lui, tirer à nous toute la chaîne.

Voici ce que Lénine nous a enseigné : trouvez l’anneau essentiel dans la chaîne de notre travail, saisissez-vous-en et tirez-le pour pouvoir, grâce à lui, tirer à vous toute la chaîne et marcher de l’avant.

L’histoire du mouvement révolutionnaire montre que cette tactique est la seule juste.

A l’époque de Chakhti, la faiblesse de nos hommes résidait dans leur retard technique.

Ce n’étaient pas les questions politiques, mais les questions techniques qui étaient alors pour nous le point faible.

Quant à notre attitude politique à l’égard des saboteurs de ce temps, elle est parfaitement claire : attitude de bolcheviks à l’égard d’hommes politiques étrangers.

Cette faiblesse technique, nous l’avons liquidée en formulant le mot d’ordre de l’assimilation de la technique et en éduquant, pendant la période écoulée, des dizaines et des centaines de milliers de bolcheviks techniquement ferrés.

Il en va autrement maintenant que nous possédons des cadres bolcheviks techniquement ferrés, et que le rôle de saboteurs est tenu non plus par des hommes ouvertement étrangers, mais par des hommes qui n’ont, par-dessus le marché, aucun avantage technique sur nos hommes à nous, mais par des hommes possédant la carte du Parti et jouissant de tous les droits réservés aux membres du Parti.

Maintenant, la faiblesse de nos hommes, ce n’est pas leur retard technique, mais leur insouciance politique, leur confiance aveugle envers ceux qu’un hasard a mis en possession de la carte du Parti ; l’absence d’un contrôle sur les hommes, non d’après leurs déclarations politiques, mais d’après les résultats de leur travail.

Maintenant, la question cruciale pour nous n’est pas de liquider le retard technique de nos cadres, celui-ci l’étant déjà dans l’essentiel, mais de liquider l’insouciance politique et la crédulité politique à l’égard des saboteurs qu’un hasard a mis en possession de la carte du Parti.

Telle est la différence essentielle entre la question cruciale de la lutte pour les cadres à l’époque de Chakhti, et la question cruciale de la période présente.

Voilà pourquoi, il y a dix ans, nous ne pouvions, ni ne devions lancer ensemble les deux mots d’ordre, celui de l’assimilation de la technique et celui de l’éducation politique des cadres.

Voilà pourquoi il est nécessaire maintenant de compléter l’ancien mot d’ordre de l’assimilation de la technique par un nouveau mot d’ordre sur l’assimilation du bolchévisme, sur l’éducation politique des cadres et la liquidation de notre insouciance politique.

7. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la théorie pourrie selon laquelle, à chaque pas que nous faisons en avant, la lutte de classe, chez nous, devrait, prétend-on, s’éteindre de plus en plus ; qu’au fur et à mesure de nos succès, l’ennemi de classe s’apprivoiserait de plus en plus.

C’est non seulement une théorie pourrie, mais une théorie dangereuse, car elle assoupit nos hommes, elle les fait tomber au piège et permet à l’ennemi de classe de se reprendre, pour la lutte contre le pouvoir des Soviets.

Au contraire, plus nous avancerons, plus nous remporterons de succès et plus la fureur des débris des classes exploiteuses en déroute sera grande, plus ils recourront vite aux formes de la lutte plus aiguës, plus ils nuiront à l’Etat soviétique, plus ils se raccrocheront aux procédés de lutte les plus désespérés, comme au dernier recours d’hommes voués à leur perte.

Il ne faut pas perdre de vue que les débris des classes défaites en U.R.S.S. ne sont pas solitaires.

Ils bénéficient de l’appui direct de nos ennemis, au delà des frontières de l’U.R.S.S. Ce serait une erreur de croire que la sphère de la lutte de classe est limitée aux frontières de l’U.R.S.S.

Si une aile de la lutte de classe agit dans le cadre de l’U.R.S.S., son autre aile s’étend jusque dans les limites des Etats bourgeois qui nous entourent.

Les débris des classes défaites ne peuvent l’ignorer. Et, justement parce qu’ils le savent, ils continueront à l’avenir encore leurs attaques désespérées.

C’est ce que nous enseigne l’histoire. C’est ce que nous enseigne le léninisme.

Il faut se rappeler tout cela et se tenir sur le qui-vive.

8. – Il faut démolir et rejeter loin de nous une autre théorie pourrie, selon laquelle ne pourrait être saboteur celui qui ne se livre pas constamment au sabotage et qui, ne serait-ce que de temps à autre, montre des succès dans son travail.

Cette étrange théorie dénonce la naïveté de ses auteurs. Il n’est pas de saboteur qui s’avise de saboter continuellement, s’il ne veut pas être démasqué à bref délai.

Au contraire, un vrai saboteur doit, de temps en temps, montrer des succès dans son travail, cela étant pour lui l’unique moyen de se préserver comme saboteur, de gagner la confiance et de poursuivre son travail de sabotage. Je pense que cette question est claire et se passe d’explications complémentaires.

9. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la troisième théorie pourrie, selon laquelle l’exécution systématique des plans de l’économie réduirait à néant le sabotage et ses résultats. Une telle théorie ne peut poursuivre qu’un but : chatouiller un peu l’amour-propre bureaucratique de nos administrateurs, les tranquilliser et affaiblir leur lutte contre le sabotage.

Que signifie « exécution systématique de nos plans de l’économie » ?

Premièrement, il a été prouvé que tous nos plans économiques sont infériorisés, car ils ne tiennent pas compte des immenses réserves et des possibilités que recèle notre économie nationale.

Deuxièmement, l’exécution globale et dans leur ensemble des plans économiques par les commissariats du peuple, ne signifie pas encore que les plans soient aussi exécutés par certaines branches très importantes.

Au contraire, les faits attestent que tout un ensemble de commissariats du peuple, qui ont accompli et même dépassé les plans économiques annuels, systématiquement n’exécutent pas les plans de certaines branches très importantes de l’économie nationale.

Troisièmement, il ne peut faire doute que si les saboteurs n’avaient pas été démasqués et boutés dehors, les choses iraient infiniment plus mal en ce qui concerne l’exécution des plans économiques, ce dont devraient se souvenir les auteurs myopes de la théorie analysée.

Quatrièmement, les saboteurs, ordinairement, choisissent, pour leur principale action de sabotage, non pas le temps de paix, mais la veille de la guerre ou le temps de guerre même.

Admettons que nous nous laissions bercer par la théorie pourrie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » et que nous ne touchions pas aux saboteurs.

Les auteurs de cette théorie pourrie se représentent-ils le tort immense que les saboteurs feraient à notre Etat en cas de guerre, si nous les laissions au sein de notre économie nationale, à l’ombre de la théorie pourrie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » ?

N’est-il pas clair que la théorie de l’ « exécution systématique des plans de l’économie » est une théorie avantageuse pour les saboteurs ?

10. – Il faut démolir et rejeter la quatrième théorie pourrie, selon laquelle le mouvement Stakhanov serait le moyen essentiel de liquidation du sabotage.

Cette théorie a été inventée pour pouvoir, à la faveur de bavardages sur les stakhanovistes et le mouvement Stakhanov, détourner les coups destinés aux saboteurs.

Dans son rapport, Molotov nous a signalé toute une série de faits attestant que les saboteurs trotskistes et non-trotskistes du bassin de Kouznetsk et de celui du Donetz, abusant de la confiance de nos camarades atteints d’insouciance politique, ont systématiquement mené par le bout du nez les stakhanovistes, leur ont mis des bâtons dans les roues, ont créé artificiellement des obstacles au succès de leur travail et sont parvenus, finalement, à désorganiser leur travail.

Que peuvent faire les stakhanovistes à eux seuls, si, dans le bassin du Donetz, par exemple, le sabotage dans la conduite des grands travaux a causé une rupture entre les travaux préparatoires de l’extraction du charbon, lesquels retardent sur les rythmes, et tous les autres travaux ?

N’est-il pas clair que le mouvement stakhanoviste lui-même a besoin d’une aide réelle de notre part, contre toutes les machinations des saboteurs, pour faire avancer les choses et accomplir sa grande mission ?

N’est-il pas clair que la lutte contre le sabotage, la lutte pour liquider le sabotage, pour mater le sabotage, est la condition indispensable pour que le mouvement stakhanoviste puisse prendre toute son ampleur ?

Je pense que cette question est également claire et se passe d’explications complémentaires.

11. – Il faut démolir et rejeter loin de nous la cinquième théorie pourrie, selon laquelle les saboteurs trotskistes n’auraient plus de réserves, qu’ils achèveraient d’épuiser leurs derniers cadres. Cela est faux. Seuls les gens naïfs ont pu inventer cette théorie. Les saboteurs trotskistes ont des réserves.

Celles-ci se composent, tout d’abord, des débris des classes exploiteuses battues en U.R.S.S. Elles se composent de toute une série de groupes et organisations, au delà des frontières de l’U.R.S.S. et hostiles à l’Union soviétique.

Prenons, par exemple, la IVe Internationale contre-révolutionnaire trotskiste, composée, pour les deux tiers, d’espions et d’agents de diversion. N’est-ce pas là une réserve ? N’est-il pas clair que cette Internationale d’espions formera des cadres pour l’action d’espionnage et de sabotage des trotskistes ?

Ou bien prenons, par exemple, le groupe de l’aigrefin Schefflo, en Norvège, qui abrita chez lui le maître espion Trotski et l’aida à nuire à l’Union soviétique. Ce groupe n’est-il pas une réserve ? Qui peut nier que ce groupe contre-révolutionnaire continuera, comme par le passé, à servir les espions et les saboteurs trotskistes ?

Ou bien encore, prenons, par exemple, un autre groupe, celui d’un aigrefin du même acabit que Schefflo, le groupe Souvarine, en France. N’est-ce pas là une réserve ? Peut-on nier que ce groupe d’aigrefins aidera aussi les trotskistes dans leur activité d’espionnage et de sabotage contre l’Union soviétique ?

Et tous ces messieurs d’Allemagne, tous ces Ruth Fischer, ces Maslov, ces Urbans, qui se sont vendus corps et âme aux fascistes, ne sont-ils pas une réserve pour l’action trotskiste d’espionnage et de sabotage ?

Ou bien, par exemple, la fameuse horde des écrivains bien connus d’Amérique, avec, en tête, la célèbre fripouille Eastman, tous ces bandits de la plume qui ne vivent qu’en calomniant la classe ouvrière de l’U.R.S.S., ne constituent-ils pas une réserve pour le trotskisme ?

Oui, il faut rejeter loin de nous la théorie pourrie qui prétend que les trotskistes achèvent d’épuiser leurs derniers cadres.

12. – Enfin, il faut démolir et rejeter encore une théorie pourrie : qu’étant donné que nous, bolcheviks, sommes nombreux et que les saboteurs sont en petit nombre ; que nous, bolcheviks, sommes soutenus par des dizaines de millions d’hommes, tandis que les saboteurs trotskistes ne sont soutenus que par des unités et des dizaines, nous, les bolcheviks, pourrions bien ne pas faire attention à une malheureuse poignée de saboteurs.

C’est faux, camarades. Cette théorie plus qu’étrange a été imaginée pour consoler ceux de nos camarades dirigeants dont l’incapacité à combattre le sabotage les a fait échouer dans leur travail, et pour assoupir leur vigilance et les laisser dormir tranquilles.

Que les saboteurs trotskistes soient soutenus par des unités, tandis que les bolcheviks le sont par des dizaines de millions d’hommes, cela est évidemment exact.

Mais il ne s’ensuit nullement que les saboteurs ne peuvent causer le plus sérieux préjudice à notre oeuvre. Pour faire du tord et nuire, il n’est pas besoin d’une grande quantité d’hommes. Pour construire le Dniéprostroï, il a fallu des dizaines de milliers d’ouvriers.

Tandis que pour le faire sauter, il faudrait peut-être quelques dizaines d’hommes, pas plus. Gagner une bataille pendant la guerre peut nécessiter plusieurs corps de l’Armée rouge.

Tandis que pour empêcher cette victoire, sur le front, il suffit de quelques espions à l’état-major de l’armée, voire même à l’état-major de la division, qui puissent voler le plan des opérations et le communiquer à l’ennemi.

Pour construire un grand pont de chemin de fer, il faut des milliers d’hommes. Mais pour le faire sauter, quelques hommes suffisent. On pourrait citer des dizaines et des centaines de ces exemples.

Par conséquent, on ne saurait se consoler à l’idée que nous sommes nombreux, tandis qu’eux, les saboteurs trotskistes, sont en petit nombre.

Il faut faire en sorte qu’il n’y ait point du tout de saboteur » trotskistes dans nos rangs.

C’est ainsi que se pose la question de savoir comment liquider les défauts de notre travail, communs à toutes nos organisations tant économiques et de l’Etat, qu’administratives et du Parti. Telles sont les mesures à prendre pour liquider ces défauts. En ce qui concerne spécialement les organisations du Parti, et les défauts de leur travail, il est parlé de façon suffisamment détaillée des mesures à prendre pour liquider ces défauts dans le projet de résolution soumis à votre examen. C’est pourquoi je pense qu’il n’est pas nécessaire d’insister ici sur ce côté de la question.

Je voudrais simplement dire quelques mots de la préparation politique et du perfectionnement de nos cadres du Parti. Je pense que si nous pouvions, que si nous savions préparer idéologiquement et aguerrir politiquement nos cadres du Parti, depuis le bas jusqu’en haut, afin qu’ils puissent s’orienter aisément dans la situation intérieure et internationale, si nous savions en faire des léninistes, des marxistes d’une maturité totale, capables de résoudre sans fautes graves les problèmes de la direction du pays, nous résoudrions les neuf dixièmes de toutes nos tâches.

Comment les choses se présentent-elles pour les cadres dirigeants de notre Parti ?

Notre Parti comprend, si l’on considère ses couches dirigeantes, environ de 3 à 4.000 dirigeants supérieurs. Je dirais que c’est là le haut commandement de notre Parti.

Puis viennent 30 à 40.000 dirigeants moyens. Ce sont nos cadres d’officiers du Parti.

Puis vient un effectif de commandement subalterne du Parti, d’environ 100 à 150.000. Ce sont, pour ainsi dire, nos cadres de sous-officiers du Parti.

Elever le niveau idéologique et la préparation politique de ces cadres de commandement, verser dans ces cadres les forces nouvelles qui attendent leur promotion et élargir ainsi l’effectif des cadres dirigeants, telle est la tâche.

Que faut-il pour cela ?

Tout d’abord, il faut inviter nos dirigeants du Parti, depuis les secrétaires de cellules jusqu’aux secrétaires des organisations de régions et de Républiques, à trouver, dans un délai fixé, deux hommes, deux militants du Parti, capables de les suppléer effectivement.

On peut dire : mais où trouver deux suppléants pour chacun de nous, nous n’avons pas de tels hommes, nous n’avons pas de militants appropriés.

C’est faux. Les hommes capables, les hommes de talent, nous en avons des dizaines de milliers. Il faut seulement les repérer et les promouvoir en temps voulu, afin qu’ils n’entrent pas en décomposition en végétant à leur vieille place. Cherchez et vous trouverez.

Ensuite. Pour l’éducation de Parti et le perfectionnement des secrétaires de cellules, il faut créer, dans chaque centre régional, des cours du Parti, comportant quatre mois d’étude.

Il faut envoyer à ces cours les secrétaires de toutes les organisations primaires du Parti (cellules), et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours et regagné leur poste, on y enverra, leurs suppléants et les membres les plus capables des organisations primaires du Parti.

Ensuite. Pour le perfectionnement politique des premiers secrétaires des organisations de rayon, il faut créer en U. R. S. S., disons, dans les dix principaux centres, des cours léninistes de huit mois.

A ces cours, il faut envoyer les premiers secrétaires des organisations de rayon et d’arrondissement du Parti, et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours et regagné leurs postes, on y enverra leurs suppléants et les membres les plus capables des organisations de rayon et d’arrondissement.

Ensuite. Pour le perfectionnement idéologique et le perfectionnement politique des secrétaires des organisations de ville, il faut créer, auprès du Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S., des cours d’histoire et de politique du Parti comportant six mois d’étude.

A ces cours, il faut envoyer les premiers ou les seconds secrétaires des organisations de ville, et puis, lorsqu’ils auront terminé ces cours, regagné leur poste, on enverra les membres les plus capables des organisations de ville.

Enfin, il faut créer, auprès du Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S., une conférence de six mois pour les questions de politique intérieure et internationale.

On y enverra les premiers secrétaires des organisations de région et de territoire et des comités centraux des Partis communistes nationaux. Ces camarades devront fournir non pas une, mais plusieurs équipes capables de remplacer les dirigeants du Comité central de notre Parti. La chose est indispensable et doit être faite.

Je termine.

Nous avons donc exposé les défauts essentiels de notre travail, ceux qui sont communs à toutes nos organisations économiques, administratives et du Parti, et ceux qui sont propres uniquement aux organisations du Parti, défauts qu’exploitent les ennemis de la classe ouvrière pour leur action de sabotage et de diversion, d’espionnage et de terrorisme.

Nous avons établi ensuite les mesures essentielles nécessaires pour liquider ces défauts et mettre hors d’état de nuire les menées de diversion et de sabotage, d’espionnage et de terrorisme des agents trotskistes-fascistes des services d’espionnage étrangers. Une question se pose : pouvons-nous réaliser toutes ces mesures, avons-nous pour cela toutes les possibilités nécessaires ?

Nous le pouvons, incontestablement. Nous le pouvons parce que nous disposons de tous les moyens nécessaires pour effectuer ces mesures. Qu’est-ce donc qui nous manque ?

Il ne nous manque qu’une chose : être prêts à liquider notre propre insouciance, notre propre bénignité, notre propre myopie politique. Là est la difficulté.

Mais se peut-il vraiment que nous ne sachions pas nous débarrasser de cette maladie ridicule et idiote, nous, qui avons renversé le capitalisme, qui avons construit le socialisme dans l’essentiel, et avons levé le grand drapeau du communisme mondial ?

Nous n’avons pas de raisons de douter que nous nous en débarrasserons certainement, bien entendu, si nous en avons la volonté. Nous ne nous en débarrasserons pas simplement, mais en bolcheviks, pour de bon.

Et, lorsque nous nous serons débarrassés de cette maladie idiote, nous pourrons dire en toute certitude que nous n’avons à craindre aucun ennemi, ni les ennemis de l’intérieur, ni les ennemis de l’extérieur, que leurs menées ne nous font pas peur, car nous les briserons dans l’avenir comme nous les brisons aujourd’hui, comme nous les avons brisées dans le passé.

 Discours de clôture de la discussion

5 Mars 1937

J’ai exposé dans mon rapport les principaux points du problème envisagé.

Les débats ont montré que, maintenant, la question est parfaitement claire, que nous avons la compréhension des tâches à accomplir et la volonté de liquider les défauts de notre travail.

Mais les débats ont montré aussi qu’il est certaines questions concrètes de notre travail pratique, politique et d’organisation, dont nous n’avons pas encore la compréhension tout à fait claire. Ces questions sont au nombre de sept.

Permettez-moi de dire quelques mots sur ces questions.

1. – Il faut croire que, maintenant, tous ont compris, ont conscience que l’engouement excessif pour les campagnes économiques et les succès économiques, alors que les questions politiques du Parti sont sous-estimées et oubliées, aboutit à une impasse.

Il est donc nécessaire d’orienter l’attention des militants vers les questions du Parti, de sorte que les succès économiques s’allient et marchent de pair avec les succès du travail politique du Parti.

Comment réaliser pratiquement la tâche qui consiste à renforcer le travail politique du Parti, la tâche qui consiste à libérer, des petites besognes de l’économie, les organisations du Parti ?

Les débats ont montré que certains camarades sont enclins à en tirer une déduction fausse, à savoir que, maintenant, il faudra prétendument abandonner tout à fait le travail économique.

Du moins, des voix se sont fait entendre : enfin, grâce à Dieu, nous serons débarrassés des problèmes de l’économie, nous allons pouvoir maintenant nous occuper du travail politique du Parti.

Cette déduction est-elle juste ? Non, elle est fausse.

Lorsque nos camarades du Parti, emportés par les succès économiques, abandonnaient la politique, ça été un extrême qui nous a coûté de grands sacrifices.

Si, maintenant, certains de nos camarades, soucieux de renforcer le travail politique du Parti, pensent abandonner le travail économique, ce sera un autre extrême qui ne nous coûtera pas moins de sacrifices.

On ne peut pas se jeter d’un extrême dans l’autre. On ne peut pas séparer la politique de l’économie.

Nous ne pouvons abandonner l’économie, de même que nous ne pouvons abandonner la politique.

Pour la commodité des études, les gens séparent d’ordinaire, méthodologiquement, les problèmes de l’économie et ceux de la politique.

Mais cela ne se fait que méthodologiquement, artificiellement, pour la seule commodité des études.

Dans la vie, au contraire, la politique et l’économie sont en pratique inséparables.

Elles existent ensemble et agissent ensemble.

Et celui qui, dans notre travail politique, pense séparer l’économie et la politique, renforcer le travail économique en diminuant l’importance du travail politique, ou, inversement, renforcer le travail politique en diminuant l’importance du travail économique, celui-là sera nécessairement acculé dans une impasse.

Le sens du paragraphe que l’on connaît du projet de résolution sur la libération des organisations du Parti des petites besognes de l’économie, et le renforcement du travail politique du Parti, ne consiste pas à abandonner le travail économique et la direction de l’économie, mais simplement à ne plus tolérer, dans la pratique, le remplacement et la dépersonnalisation des organismes économiques, y compris et surtout les organismes agraires, par nos organisations du Parti.

Il est donc nécessaire de s’assimiler la méthode de direction bolchevik des organismes de l’économie, méthode qui consiste à aider systématiquement ces organismes, à les renforcer systématiquement et à diriger l’économie, non pas en dehors de ces organismes, mais par leur intermédiaire.

Il faut donner aux organismes économiques et, avant tout, aux organismes agraires, les meilleurs hommes ; il faut compléter ces organismes parmi des militants nouveaux et de choix, capables de s’acquitter des tâches dont ils sont chargés.

C’est seulement après que ce travail aura été fait que l’on pourra considérer les organisations du Parti comme entièrement libérées des petites questions de l’économie.

On conçoit que c’est là une affaire sérieuse et qui demande du temps.

Mais tant que cela n’aura pas été fait, les organisations du Parti devront continuer, pour un délai déterminé de brève durée, à s’occuper de près des choses de l’agriculture, dans tous leurs détails : labours, semailles, moissons, etc.

2. – Deux mots à propos des saboteurs, agents de diversion, espions, etc. Maintenant, il est clair pour tous, je pense, que les actuels saboteurs et agents de diversion, de quelque drapeau qu’ils se couvrent, trotskiste ou boukharinien, ont, depuis longtemps déjà, cessé d’être un courant politique dans le mouvement ouvrier ; qu’ils se sont transformés en une bande, sans principes et sans idées, de saboteurs, agents de diversion, espions, assassins professionnels.

On conçoit que ces messieurs, il faudra les écraser et les extirper sans merci, comme des ennemis de la classe ouvrière, comme des traîtres à notre patrie. Cela est net et se passe d’explications complémentaires.

Mais voilà la question : comment accomplir pratiquement la tâche consistant à écraser et à extirper les agents nippo-allemands du trotskisme ?

Est-ce à dire qu’il faille frapper et extirper non seulement les véritables trotskistes, mais aussi ceux qui, autrefois, oscillaient vers le trotskisme, et qui, par la suite, il y a longtemps déjà, ont abandonné le trotskisme ; non seulement ceux qui sont réellement les agents trotskistes du sabotage, mais aussi ceux à qui il est arrivé de passer dans la rue où était passé naguère tel ou tel trotskiste ?

Du moins, des voix ont retenti dans ce sens, ici, à cette assemblée plénière. Peut-on considérer comme juste une telle interprétation de la résolution ?

Non, on ne saurait la considérer comme juste.

Dans cette question, comme dans toutes les autres, pour juger d’un homme, on doit s’en tenir au principe individuel, différencié.

On ne peut mettre tout le monde sur le même plan. Cette manière simpliste de juger les hommes ne peut que nuire à la lutte contre les véritables saboteurs et espions trotskistes.

Parmi nos camarades responsables, il est un certain nombre d’anciens trotskistes qui ont, depuis longtemps déjà, abandonné le trotskisme et mènent la lutte contre lui pas plus mal, mais mieux que certains de nos honorables camarades, lesquels n’ont pas eu l’occasion d’osciller vers le trotskisme.

Il serait absurde, maintenant de tenir ces camarades pour des hommes tarés.

Parmi nos camarades, il en est aussi qui, idéologiquement, se sont toujours affirmés contre le trotskisme, mais entretenaient néanmoins des relations personnelles avec certains trotskistes, relations qu’ils n’ont pas tardé à rompre dès qu’ils ont compris ce qu’était dans la pratique la physionomie du trotskisme.

Qu’ils n’aient pas rompu du premier coup, mais avec retard, leurs relations personnelles d’amitié avec certains trotskistes, cela est, certes, regrettable. Mais il serait absurde de jeter ces camarades dans un même tas avec les trotskistes.

3. – Que signifie : choisir judicieusement les militants et leur répartir judicieusement le travail ?

Cela signifie : choisir les militants, premièrement, d’après l’indice politique, c’est-à-dire voir s’ils méritent la confiance politique, et, deuxièmement, d’après l’indice pratique, c’est-à- dire voir s’ils conviennent à tel ou tel travail concret.

Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger sérieuse en un praticisme étroit, ce qui arrive lorsqu’on s’occupe des capacités des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leur physionomie politique.

Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger politique en la seule et unique manière de juger, à laquelle on arrive lorsqu’on s’occupe de la physionomie politique des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leurs capacités.

Peut-on dire que cette règle bolchevik soit appliquée par nos camarades du Parti ?

Malheureusement, on ne saurait le dire. On en a déjà parlé ici, à l’Assemblée plénière.

Mais on n’a pas tout dit. La vérité est que cette règle éprouvée est violée constamment dans notre pratique, et encore de la façon la plus grossière. La plupart du temps, les militants sont choisis, non point d’après des indices objectifs, mais d’après des indices fortuits, subjectifs, étroits et mesquins.

On choisit la plupart du temps ce qu’on appelle des connaissances, des amis, des compatriotes, des hommes personnellement dévoués, passés maîtres dans l’art d’exalter leurs chefs, sans égard à leurs capacités politiques et pratiques.

On comprend qu’au lieu d’un groupe dirigeant de militants responsables, on obtient une petite famille d’hommes proches les uns des autres, une artel dont les membres s’appliquent à vivre en paix, à ne pas se faire de tort, à laver leur linge sale en famille, à se louer les uns les autres, et à envoyer de temps en temps au centre des rapports vides de sens et écœurants sur les succès réalisés.

Il n’est pas difficile de comprendre que, dans cette ambiance de famille, il ne peut y avoir de place ni pour la critique des défauts du travail, ni pour l’autocritique de ceux qui dirigent le travail.

On comprend qu’une telle ambiance de famille crée un milieu favorable à la formation de lèche-bottes, d’hommes sans dignité et qui, pour cette raison, n’ont rien de commun avec le bolchévisme. Prenons, par exemple, Mirzoïan et Vaïnov.

Le premier est secrétaire de l’organisation de territoire du Parti au Kazakstan ; le second, secrétaire de l’organisation de la région de Iaroslav. Ces hommes ne sont pas les premiers venus dans notre milieu. Eh bien, comment ont-ils choisi leurs collaborateurs ?

Le premier a traîné avec lui au Kazakstan, de l’Azerbaïdjan et de l’Oural où il travaillait précédemment, trente ou quarante de ses hommes « à lui », et leur a confié des postes chargés de responsabilité au Kazakstan.

Le second, aussi, a traîné avec lui à Iaroslav, du bassin du Donetz où il travaillait auparavant, plus d’une dizaine de ses hommes « à lui » et leur a également confié des postes importants.

Ainsi donc, Mirzoïan possède sa propre artel. Vaïnov en possède une également. N’était-il vraiment pas possible de choisir des collaborateurs parmi les hommes du pays, en se conformant à la règle bolchevik, que l’on connaît, sur le choix et la répartition des hommes ?

Evidemment, la chose était possible. Pourquoi donc ne l’ont-ils pas fait ?

Parce que la règle bolchevik du choix des militants exclut la possibilité de se placer à un point de vue étroit et mesquin, exclut la possibilité de choisir les militants parmi ses relations de famille, d’artel.

En outre, en choisissant comme collaborateurs des hommes qui leur sont personnellement dévoués, ces camarades voulaient, visiblement, se créer une atmosphère d’indépendance tant à l’égard des gens qu’à l’égard du Comité central du Parti.

Admettons que Mirzoïan et Vaïnov, en raison de telles ou telles circonstances, soient déplacés du lieu actuel de leur travail dans un autre. Que doivent-ils faire, en ce cas, de leurs « traînes » ?

Vont-ils les emmener encore au nouveau lieu de leur travail ? Voilà à quelle absurdité conduit la violation de la règle bolchevik sur le choix et la répartition judicieux des militants.

4. – Que signifie contrôler les militants, vérifier l’exécution des tâches ?

Contrôler les militants, c’est les contrôler non d’après leurs promesses et déclarations, mais d’après les résultats de leur travail.

Vérifier l’exécution des tâches, c’est les vérifier non seulement dans les bureaux, non seulement d’après les comptes rendus officiels, mais, avant tout, sur les lieux du travail, d’après les résultats effectifs de l’exécution.

Une telle vérification est-elle nécessaire, en général ?

Incontestablement. Elle est nécessaire, d’abord, parce que seule une telle vérification permet de mieux connaître le militant, d’établir ses qualités réelles.

Elle est nécessaire, ensuite, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts de l’appareil d’exécution. Elle est nécessaire, enfin, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts des tâches elles-mêmes.

Certains camarades pensent qu’on ne peut contrôler les gens que par en haut, lorsque les dirigeants contrôlent les dirigés d’après les résultats de leur travail.

C’est faux. Le contrôle par en haut est évidemment nécessaire comme une des mesures effectives permettant de contrôler les hommes et de vérifier l’exécution des tâches. Mais le contrôle par en haut est loin d’épuiser toute l’oeuvre de vérification.

Il existe encore un autre genre de contrôle, le contrôle par, en bas, lorsque les masses, lorsque les dirigés contrôlent les dirigeants, signalent leurs fautes et indiquent le moyen de les corriger. Ce genre de contrôle est un des moyens les plus efficaces pour vérifier les hommes.

La masse des membres du Parti contrôlent leurs dirigeants aux réunions de l’actif, aux conférences, aux congrès où ils entendent leurs comptes rendus d’activité, en critiquant les défauts, enfin en élisant ou n’élisant pas aux organismes de direction tels ou tels camarades dirigeants.

Application stricte du centralisme démocratique dans le Parti, ainsi que l’exige le statut de notre Parti ; constitution des organismes du Parti absolument par voie d’élection ; droit de présenter et de récuser les candidatures ; vote secret, liberté de critique et d’autocritique, toutes ces mesures et autres analogues, il est nécessaire de les mettre en pratique pour pouvoir, entre autres, faciliter la vérification et le contrôle des dirigeants du Parti par la masse des membres du Parti.

Les masses sans-parti contrôlent leurs dirigeants économiques, syndicaux et autres, aux réunions de l’actif sans-parti, aux conférences de masse de tout genre, où elles entendent les comptes rendus d’activité de leurs dirigeants, critiquent les défauts et indiquent les moyens de les corriger.

Enfin, le peuple contrôle les dirigeants du pays pendant les élections aux organismes du pouvoir de l’Union soviétique, par le suffrage universel, égal, direct et secret.

La tâche consiste à réunir le contrôle d’en haut au contrôle d’en bas.

5. – Que signifie : instruire les cadres par l’expérience de leurs propres erreurs ?

Lénine nous a enseigné que révéler consciencieusement les erreurs du Parti, étudier les causes qui ont engendré ces erreurs, et envisager les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, est un des moyens les plus sûrs pour une instruction et une éducation véritablement justes des cadres du Parti ; pour une instruction et une éducation véritablement justes de la classe ouvrière et des masses travailleuses.Lénine dit :

L’attitude d’un parti politique en face de ces erreurs est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il s’acquitte réellement de ses devoirs envers sa classe et envers les masses laborieuses. Reconnaître franchement son erreur, en découvrir les causes, analyser les circonstances qui lui ont donné naissance, examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, s’acquitter de ses devoirs, éduquer et instruire sa classe et, ensuite, les masses. (V. I. Lénine : la Maladie Infantile du Communisme.)

Cela signifie que le devoir des bolcheviks n’est pas de voiler leurs erreurs, d’en éluder la discussion, comme cela arrive souvent chez nous, mais de reconnaître honnêtement et ouvertement leurs erreurs, d’envisager honnêtement et ouvertement les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, de corriger leurs erreurs honnêtement et ouvertement.

Je ne dirais pas que beaucoup de nos camarades se prêtent volontiers à cette besogne.

Mais les bolcheviks, s’ils veulent être réellement des bolcheviks, doivent trouver en eux le courage de reconnaître ouvertement leurs erreurs, d’en découvrir les causes, d’indiquer le moyen de les corriger et d’aider ainsi le Parti à donner aux cadres une vraie instruction et une vraie éducation politique.

Car ce n’est que dans cette voie, ce n’est que dans les conditions d’une autocritique franche et honnête, que l’on peut former des cadres véritablement bolcheviks, que l’on peut former de véritables leaders bolcheviks.

Deux exemples qui montrent la justesse de la thèse de Lénine. Prenons, par exemple, nos erreurs dans l’édification des kolkhoz.

Vous vous rappelez sans doute l’année 1930, lorsque nos camarades du Parti pensaient résoudre, en quelque trois ou quatre mois, ce problème éminemment complexe – faire passer la paysannerie dans la voie de l’édification des kolkhoz – et lorsque le Comité central du Parti fut obligé de mettre au pas les camarades trop fougueux.

Ce fut une des périodes les plus dangereuses de la vie de notre Parti.

L’erreur, c’était que nos camarades du Parti avaient oublié le principe de l’adhésion libre, dans l’édification des kolkhoz ; ils avaient oublié qu’on ne pouvait faire passer les paysans dans la voie kolkhozienne en exerçant sur eux une pression administrative ; ils avaient oublié que l’édification des kolkhoz nécessitait non pas quelques mois, mais plusieurs années d’un travail minutieux et réfléchi.

Ils avaient oublié tout cela et ne voulaient pas reconnaître leurs erreurs.

Vous vous souvenez, sans doute, que l’indication du Comité central relative au vertige du succès, et disant que nos camarades de la base ne devaient pas aller trop vite et méconnaître la situation réelle, fut accueillie par une levée de boucliers.

Mais cela n’empêcha pas le Comité central de marcher contre le courant et d’orienter nos camarades du Parti dans la voie juste.

Eh bien ? Maintenant, il est clair pour tous que le Parti a obtenu ce qu’il voulait, en orientant nos camarades du Parti dans la voie juste.

Aujourd’hui, nous possédons d’excellents cadres, comptant des dizaines de milliers de paysans pour l’édification et la direction des kolkhoz.

Ces cadres ont grandi et se sont formés, par l’expérience des erreurs de 1930.

Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si, à l’époque, le Parti n’avait pas compris ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.

Un autre exemple emprunté, cette fois, au domaine de l’édification industrielle. Je veux parler de nos erreurs de la période du sabotage de Chakhti.

Notre erreur était que nous ne nous rendions pas compte de tout le danger que présentait le retard technique de nos cadres de l’industrie ; nous nous accommodions de ce retard et nous pensions pouvoir déployer une vaste édification industrielle socialiste avec l’aide de spécialistes à tendances hostiles, en vouant nos cadres économiques au rôle de mauvais commissaires auprès des spécialistes bourgeois.

Vous vous souvenez, sans doute, de la mauvaise grâce que nos cadres économiques mettaient à reconnaître leurs erreurs, à reconnaître leur retard technique, et avec quelle difficulté ils s’assimilaient le mot d’ordre : « se rendre maître de la technique ».

Eh bien ? Les faits montrent que le mot d’ordre « se rendre maître de la technique » a agi et a donné de bons résultats. Nous possédons aujourd’hui d’excellents cadres comptant des dizaines et des centaines de milliers de dirigeants bolcheviks de l’industrie qui, d’ores et déjà, se sont rendus maîtres de la technique et font avancer notre industrie.

Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si le Parti avait cédé devant l’obstination des dirigeants de l’industrie qui refusaient de reconnaître leur retard technique, si, à l’époque, le Parti n’avait pas pris conscience de ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.

Certains camarades disent qu’on aurait tort de parler ouvertement de nos erreurs, la reconnaissance ouverte de nos erreurs pouvant être interprétée par nos ennemis comme un signe de ; notre faiblesse, et exploitée par eux. Ce sont des bêtises, camarades, des bêtises et rien de plus.

Au contraire, reconnaître ouvertement nos erreurs et les corriger honnêtement, ne peut que renforcer notre Parti, élever l’autorité de notre Parti aux yeux des ouvriers, des paysans, des travailleurs intellectuels, augmenter la force, la puissance de notre Etat.

Et c’est là l’essentiel.

Pourvu que les ouvriers, les paysans, les travailleurs intellectuels soient avec nous, tout le reste viendra par surcroît.

D’autres camarades disent que la reconnaissance ouverte de nos erreurs peut amener, non à la formation et au renforcement de nos cadres, mais à leur affaiblissement et à leur désorganisation ; que nous devons ménager et épargner nos cadres, que nous devons ménager leur amour-propre et leur tranquillité.

Pour cela, ils proposent de voiler les erreurs de nos camarades, d’atténuer la critique et, mieux encore, de passer outre à ces erreurs.

Un tel point de vue n’est pas seulement faux à la racine, mais dangereux au plus haut point, dangereux avant tout pour les cadres que l’on veut « ménager » et « épargner ».

Ménager et conserver les cadres en voilant leurs erreurs, c’est à coup sûr détruire ces mêmes cadres.

Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks kolkhoziens, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de 1930 et n’avions pas instruit les cadres par l’expérience de ces erreurs.

Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks de l’industrie, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de nos camarades dans la période de sabotage de Chakhti, et si nous n’avions pas instruit nos cadres industriels par l’expérience de ces erreurs.

Celui qui pense ménager l’amour- propre de nos cadres en voilant leurs erreurs, celui-là détruit et les cadres et l’amour-propre de ces cadres ; car, en voilant leurs erreurs, il facilite la répétition de nouvelles erreurs, peut-être plus graves et qui, il y a lieu de le croire, conduiront à un effondrement complet des cadres au préjudice de leur « amour-propre » et de leur « tranquillité ».

6. – Lénine nous a enseigné, non seulement à instruire les masses, mais à nous instruire auprès des masses.

Cela signifie d’abord que nous, les dirigeants, nous ne devons pas tomber dans la présomption et devons comprendre que si nous sommes membres du Comité central ou commissaires du peuple, cela ne veut pas encore dire que nous possédons toutes les connaissances nécessaires pour diriger d’une façon juste.

Le grade par lui-même ne donne pas les connaissances et l’expérience.

Et, à plus forte raison, le titre ne les donne pas.

Qu’est-ce à dire ?

Cela signifie, en second lieu, que notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, ne suffit pas pour diriger d’une façon juste ; qu’il est nécessaire, par conséquent, de compléter notre expérience, l’expérience des dirigeants, par l’expérience des masses, par l’expérience de la masse des membres du Parti ; par l’expérience de la masse ouvrière, par l’expérience du peuple.

Cela signifie, en troisième lieu : ne pas relâcher une minute et, à plus forte raison, ne pas rompre nos liens avec les masses. Cela signifie, en quatrième lieu : prêter une oreille attentive à la voix des masses, à la voix des simples membres du Parti, à la voix de ce qu’on appelle les « petites gens », à la voix du peuple. Que signifie diriger d’une façon juste ?

Cela ne veut pas dire du tout : rester dans un bureau et aligner des directives.

Diriger d’une façon juste, cela veut dire : Premièrement, trouver la juste solution du problème.

Or, il est impossible de trouver la juste solution sans tenir compte de l’expérience des masses qui éprouvent, sur leur propre dos, les résultats de notre direction ;

Deuxièmement, organiser l’application de la juste solution ; or, on ne saurait le faire sans une aide directe des masses ;

Troisièmement, organiser le contrôle de l’exécution de cette solution, chose également impossible sans l’aide directe des masses.

Nous, dirigeants, nous ne voyons les choses, les événements, les hommes, que d’un côté, pour ainsi dire d’en haut ; notre champ visuel est, par conséquent, plus ou moins limité.

Les masses, au contraire, voient les choses, les événements, les hommes d’un autre côté, pour ainsi dire d’en bas. Par conséquent, leur champ visuel est, lui aussi, dans une certaine mesure, limité.

Pour avoir une juste solution du problème, il faut réunir ces deux expériences. C’est dans ce cas seulement que la direction sera juste. Voilà ce que c’est non seulement instruire les masses, mais aussi s’instruire auprès des masses.

Deux exemples qui montrent la justesse de cette thèse de Lénine : C’était il y a quelques années.

Nous, membres du Comité central, nous discutions le problème de l’amélioration de la situation dans le bassin du Donetz. Le projet des mesures présenté par le commissariat du peuple à l’Industrie lourde était manifestement insuffisant. Le projet fut renvoyé par trois fois au commissariat à l’Industrie lourde.

Par trois fois, nous reçûmes de ce dernier des projets différents. Et cependant il était impossible de les reconnaître pour satisfaisants.

Nous avons décidé de faire venir du bassin du Donetz quelques ouvriers et quelques dirigeants subalternes de l’industrie et des syndicats.

Trois jours durant nous nous sommes entretenus avec ces camarades.

Et nous tous, membres du Comité central, nous avons dû reconnaître que seuls ces militants du rang, ces « petites gens », avaient su nous suggérer la solution juste.

Vous vous souvenez sans doute de la décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple sur les mesures à prendre pour intensifier l’extraction de la houille dans le bassin du Donetz.

Eh bien ! cette décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple, que tous nos camarades ont reconnue comme une solution juste et même fameuse, nous a été suggérée par de simples hommes de la base.

Un autre exemple. Je veux parler de l’exemple de la camarade Nikolaenko.

Qui est Nikolaenko ? Nikolaenko est un simple membre du Parti. Elle est du nombre des « petites gens » ordinaires. Une année durant, elle avait signalé la mauvaise situation de l’organisation du Parti à Kiev ; elle avait dénoncé l’esprit de famille, la façon étroite et mesquine de traiter les militants, l’étouffement de l’autocritique, l’autorité qu’avaient les saboteurs trotskistes.

On cherchait à se défaire de Nikolaenko comme d’une mouche importune. Enfin, pour s’en débarrasser, on l’avait simplement exclue du Parti. Ni l’organisation de Kiev, ni le Comité central du Parti communiste ukrainien ne l’ont aidée à trouver justice. Seule, l’intervention du Comité central du Parti a permis de démêler cet écheveau.

Et qu’est-il résulté de l’examen de cette affaire ? Il en est résulté que Nikolaenko avait raison, tandis que l’organisation de Kiev avait tort. Ni plus ni moins. Et pourtant, qui est cette Nikolaenko ?

Elle n’est évidemment ni membre du Comité central, ni commissaire du peuple ; elle n’est pas secrétaire de l’organisation régionale de Kiev, elle n’est même pas secrétaire d’une cellule quelconque ; elle n’est qu’un simple membre du Parti.

Comme vous voyez, les simples gens sont parfois autrement plus près de la vérité que certaines institutions supérieures. On pourrait citer encore des dizaines et des centaines de ces exemples.

Il s’ensuit donc que pour diriger notre oeuvre, notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, est encore loin de suffire.

Pour diriger d’une façon juste, il est nécessaire de compléter l’expérience des dirigeants par l’expérience de la masse des membres du Parti, par l’expérience des masses, par l’expérience des travailleurs, par l’expérience de ce qu’on appelle les « petites gens ».

Mais quand cela est-il possible ?

Cela n’est possible que lorsque les dirigeants sont le plus étroitement liés aux masses ; lorsqu’ils sont liés à la masse des membres du Parti, à la classe ouvrière, à la paysannerie, aux travailleurs intellectuels.

La liaison avec les masses, le renforcement de cette liaison, la volonté de prêter l’oreille à la voix des masses, voilà ce qui fait la force et l’invincibilité de la direction bolchevik.

On peut établir comme règle générale, qu’aussi longtemps que les bolcheviks conserveront leur liaison avec les grandes masses du peuple, ils seront invincibles.

Et, au contraire, il suffit que les bolcheviks se détachent des masses et rompent leur liaison avec elles, il leur suffit de se couvrir de la rouille bureaucratique, pour perdre toute leur force et se transformer en néant.

La mythologie des Grecs de l’antiquité comptait un héros fameux, Antée, qui était, selon la mythologie, le fils de Poséidon, dieu de la mer, et de Gê, déesse de la terre.

Il était particulièrement attaché à sa mère qui lui avait donné le jour, qui l’avait nourri et élevé. Il n’y avait point de héros qu’Antée ne pût vaincre. Il passait pour un héros invincible.

Qu’est-ce qui faisait sa force ? C’est que chaque fois qu’en combattant un adversaire il se sentait faiblir, il touchait la terre, sa mère, qui lui avait donné le jour et l’avait nourri, et reprenait des forces.

Cependant, il avait un point faible : c’était le danger d’être d’une façon quelconque détaché de la terre. Ses ennemis connaissaient cette faiblesse et guettaient Antée.

Et il se trouva un ennemi qui, profitant de cette faiblesse, vainquit Antée. Ce fut Hercule. Mais comment réussit-il à le vaincre ? Il l’arracha de terre, le souleva en l’air et, l’empêchant de prendre contact avec le sol, l’étouffa.

Les bolcheviks nous rappellent, selon moi, le héros de la mythologie grecque, Antée. De même qu’Antée, ils sont forts parce qu’ils ont des attaches avec leur mère, avec les masses qui leur ont donné naissance, qui les ont nourris et les ont formés. Et aussi longtemps qu’ils restent attachés à leur mère, au peuple, ils ont toutes les chances de rester invincibles. Là est le secret de l’invincibilité de la direction bolchevik.

7. – Enfin, encore une question. Je veux parler de l’attitude formaliste et sèchement bureaucratique de certains de nos communistes pour le sort de tels ou tels membres du Parti, pour les exclusions du Parti ou la réintégration des exclus dans leurs droits de membres du Parti.

La vérité est que certains de nos dirigeants du Parti pèchent par un manque d’attention pour les hommes, pour les membres du Parti, pour les militants.

Bien plus, ils ne cherchent pas à connaître les membres du Parti, ils ne savent pas ce qui fait leur vie, ni comment ils progressent ; d’une façon générale, ils ne connaissent pas les militants. C’est pourquoi, dans leur façon d’aborder les membres du Parti, les militants du Parti, ils ne tiennent pas compte du facteur individuel.

Et, justement parce qu’ils ne tiennent pas compte du facteur individuel en jugeant les membres du Parti et les militants du Parti, ils agissent habituellement au hasard : ou bien ils les vantent en bloc et sans mesure, ou bien ils les frappent aussi en bloc et sans mesure, ils les excluent du Parti par milliers et par dizaines de milliers.

En général, ces dirigeants s’efforcent de penser en grand, par dizaines de mille, sans se soucier des « unités », des membres isolés du Parti, de leur sort.

Exclure du Parti des milliers et des dizaines de milliers de membres, c’est, selon eux, très peu de chose, et ils se consolent à l’idée que notre Parti est fort de deux millions de membres, et que les dizaines de mille exclus ne peuvent rien changer à la situation du Parti. Mais, seuls, des gens foncièrement hostiles au Parti peuvent traiter de la sorte des membres du Parti.

Cette attitude de sèche indifférence à l’égard des gens, à l’égard des membres et des militants du Parti engendre artificiellement le mécontentement et l’irritation de certains contingents du Parti ; et les traîtres trotskistes se saisissent avec habileté de ces camarades aigris et les entraînent savamment dans le bourbier du sabotage trotskiste.

Les trotskistes par eux-mêmes n’ont jamais représenté une grande force dans notre Parti.

Rappelez-vous la dernière discussion qui s’était instituée dans notre Parti en 1927. Ce fut un véritable référendum du Parti. Sur 854.000 membres du Parti, ont voté alors 730.000 membres dont 724.000 pour le Parti, pour le Comité central, contre les trotskistes.

Pour les trotskistes votèrent 4.000 membres du Parti, soit environ 1/2 %, et 2.600 se sont abstenus.

123.000 membres du Parti n’ont pas pris part au vote, soit qu’ils fussent en voyage, soit qu’ils fussent de service.

Si aux 4.000 qui votèrent pour les trotskistes l’on ajoute tous ceux qui se sont abstenus, en supposant qu’ils sympathisaient également avec les trotskistes, et si l’on ajoute à ce chiffre, non pas 1/2 % de ceux qui n’ont pas participé au vote, ainsi qu’il faudrait le faire selon la règle, mais 5 % de non participants, soit environ 6.000 membres du Parti, on obtiendra environ 12.000 membres qui sympathisaient d’une façon ou d’une autre avec le trotskisme.

Voilà toute la force de messieurs les trotskistes. Ajoutez encore que beaucoup de ces membres ont été déçus par le trotskisme et l’ont abandonné et vous aurez une idée de l’insignifiance des forces trotskistes.

Et si, malgré cela, les saboteurs trotskistes possèdent néanmoins quelques réserves autour de notre Parti, c’est parce que la politique erronée de certains de nos camarades en ce qui concerne les exclusions du Parti et la réintégration des exclus, la sèche indifférence de certains de nos camarades pour le sort de tels ou tels membres du Parti et de tels ou tels militants, multiplient artificiellement le nombre des mécontents et des aigris, et crée, de la sorte, des réserves pour les trotskistes.

La plupart du temps, on exclut du Parti pour ce qu’en appelle la passivité. Qu’est-ce que la passivité ?

On considère, paraît-il, que si un membre du Parti ne s’est pas assimilé le programme du Parti, il est passif et doit être exclu.

Mais c’est faux, camarades. On ne peut pourtant pas interpréter de façon aussi pédantesque le statut de notre Parti.

Pour s’assimiler le programme du Parti, il faut être un vrai marxiste, un marxiste éprouvé et possédant une formation théorique.

Je ne sais s’il se trouvera beaucoup de membres dans notre Parti, qui se soient déjà assimilé notre programme, qui soient devenus de vrais marxistes éprouvés et possédant une formation théorique.

Si l’on continuait à marcher dans cette voie, il ne nous faudrait laisser dans le Parti que les intellectuels, et, en général, les hommes savants.

Qui a besoin d’un tel Parti ? Nous avons pour l’appartenance au Parti une formule léniniste vérifiée et qui a résisté à toutes les épreuves.

Selon cette formule, est considéré comme membre du Parti celui qui reconnaît le programme du Parti, paie les cotisations et travaille dans une de ses organisations.

Remarquez bien : la formule léniniste ne parle pas d’assimilation du programme, mais de reconnaissance du programme.

Ce sont deux choses absolument différentes. Inutile de démontrer qu’ici c’est Lénine qui a raison, et non pas nos camarades du Parti, qui bavardent inutilement d’assimilation du programme. Et cela se conçoit.

Si le Parti partait du point de vue que, seuls, les camarades qui se sont assimilés le programme et sont devenus des marxistes théoriquement formés peuvent être membres du Parti, il ne créerait pas dans son sein des milliers de cercles communistes, des centaines d’écoles du Parti, où l’on enseigne le marxisme aux membres du Parti et où on les aide à s’assimiler notre programme.

Il est parfaitement clair que si le Parti organise ces écoles et ces cercles pour ses membres, c’est parce qu’il sait que les membres du Parti n’ont pas encore eu le temps de s’assimiler le programme du Parti, qu’ils n’ont pas encore eu le temps de devenir des marxistes ayant une formation théorique.

Ainsi donc, pour redresser notre politique dans la question de l’appartenance au Parti et des exclusions, il faut en finir avec cette façon stupide d’interpréter la question de la passivité.

Mais nous péchons encore sur un autre point, dans ce domaine. La vérité est que nos camarades ne reconnaissent pas de milieu entre les deux extrêmes.

Il suffit qu’un ouvrier, membre du Parti, commette une faute légère, qu’il arrive en retard une ou deux fois à une réunion du Parti, qu’il ne paye pas pour une raison ou pour une autre sa cotisation, pour qu’aussitôt il soit chassé du Parti.

On ne cherche pas à établir le degré de sa culpabilité, le motif pour lequel il n’est pas venu à la réunion, la raison pour laquelle il n’a pas payé sa cotisation.

Le bureaucratisme, dans ces questions, est tout simplement inouï.

Il n’est pas difficile de comprendre que, justement par suite de cette politique de sèche indifférence, de remarquables ouvriers de vieille souche, d’excellents stakhanovistes, ont été jetés hors du Parti.

Ne pouvait-on pas, avant d’exclure du Parti, donner un avertissement ?

Si cela n’agit pas, faire une réprimande ou Infliger un blâme, et si cela n’agit pas non plus, fixer un délai pour que le coupable puisse se corriger, ou à la rigueur le faire rétrograder dans la catégorie des candidats, mais non pas exclure, du premier coup, du Parti ? Evidemment on pouvait le faire.

Mais pour cela il faut se montrer attentif aux hommes, aux membres du Parti, au sort des membres du Parti. Et c’est justement ce qui manque à certains de nos camarades.

Il est temps, il est grand temps d’en finir avec cette situation scandaleuse.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Réponse à la lettre du camarade Razine

23 février 1946 – Bolchevik, n° 3, 1947

J’ai reçu votre lettre du 30 janvier au sujet de Clausewitz, et vos courtes thèses sur la guerre et l’art militaire.

1. Vous demandez : Les thèses de Lénine dans son appréciation de Clausewitz ne sont-elles pas vieillies ? Selon moi la question est mal posée.

D’après une telle présentation de la question on peut penser que Lénine a étudié la doctrine militaire et les œuvres militaires de Clausewitz, leur a donné une appréciation militaire et nous a laissé en héritage une série de thèses directrices sur les questions militaires que nous acceptons comme telles. Poser ainsi la question n’est pas juste car, en fait, il n’existe aucune thèse directrice de Lénine à propos de la doctrine et des œuvres de Clausewitz.

Contrairement à Engels, Lénine ne se considérait pas comme un connaisseur dans les affaires militaires.

Il ne se considérait pas comme un connaisseur dans les affaires militaires, non seulement dans le passé, avant la Révolution d’Octobre, mais aussi par la suite, après la Révolution d’Octobre, jusqu’à la fin de la guerre civile. Pendant la guerre civile Lénine nous obligeait, quand nous étions encore de jeunes camarades du CC à « étudier à fond l’art militaire ».

En ce qui le concerne, il nous a carrément déclaré qu’il est déjà pour lui trop tard d’étudier l’art militaire. Et ceci, en somme, explique que dans ses avis sur Clausewitz et ses remarques sur le livre de Clausewitz, Lénine ne touche pas les questions purement militaires, du genre question sur la stratégie et la tactique militaires et leurs rapports réciproques, sur les rapports réciproques entre l’offensive et la retraite, la défense et la contre-offensive, etc.

Dans ce cas qu’est-ce qui intéressait Lénine dans Clausewitz et pourquoi le louait-il ?

Il louait Clausewitz avant tout parce que, le non-marxiste Clausewitz, faisant de son temps autorité en tant que connaisseur des affaires militaires, confirmait dans ses travaux la célèbre thèse marxiste qu’entre la guerre et la politique il existe une relation directe, que la politique engendre la guerre, que la guerre est la continuation de la politique par des moyens violents.

La référence à Clausewitz était ici nécessaire à Lénine pour une fois de plus convaincre Plekhanov, Kautsky et d’autres de social-chauvinisme, de social-impérialisme.

Ensuite, il louait Clausewitz parce que Clausewitz confirmait dans ses travaux la thèse juste du point de vue du marxisme, que la retraite dans des conditions défavorables déterminées est de la même façon tout aussi légitime dans la lutte que l’offensive.

La référence à Clausewitz était ici nécessaire à Lénine pour encore une fois convaincre les communistes de « gauche », ne reconnaissant pas la retraite comme forme légitime de la lutte.

Par conséquent, Lénine approchait les œuvres de Clausewitz non comme un militaire, mais comme un politique, et s’intéressait dans les œuvres de Clausewitz aux questions qui montrent la relation de la guerre et de la politique.

Ainsi, dans le cas de la critique de la doctrine militaire de Clausewitz, nous, héritiers de Lénine, ne sommes liés par aucune indication de Lénine, limitant notre liberté critique.

Mais de ceci découle que votre estimation de l’article du camarade Mechtcheriakov (cf. Voênnaia mysl [la Pensée Militaire], n°s 6-7, 1945) critiquant la doctrine militaire de Clausewitz, comme « sortie anti-léniniste » et comme « révision » de l’appréciation léniniste, manque sa cible.

2. Devons-nous critiquer au fond la doctrine militaire de Clausewitz ?

Oui nous le devons.

Nous sommes obligés du point de vue des intérêts de notre cause et de la science militaire de notre temps de critiquer sévèrement non seulement Clausewitz, mais aussi Moltke, Schlieffen, Lüdendorf, Keitel et d’autres porteurs de l’idéologie militaire en Allemagne. Les dernières trente années l’Allemagne a par deux fois imposé au monde la guerre la plus sanglante, et les deux fois elle s’est trouvée battue.

Est-ce par hasard ? Evidemment non.

Cela ne signifie-t-il pas que non seulement l’Allemagne dans son entier, mais aussi son idéologie militaire n’ont pas résisté à l’épreuve ? Absolument, cela le signifie.

Tout le monde sait quel respect témoignaient les militaires du monde entier, et parmi eux nos militaires russes, envers les sommités militaires d’Allemagne. Faut-il en finir avec ce respect non mérité ? Il faut en finir.

Et pour cela il faut la critique, particulièrement de notre côté, du côté des vainqueurs de l’Allemagne.

En ce qui concerne, en particulier, Clausewitz, il a évidemment vieilli comme sommité militaire.

Clausewitz était, au fond, un représentant de l’époque de la guerre des manufactures.

Mais maintenant nous sommes à l’époque de la guerre mécanisée.

Il est évident que la période de la machine exige de nouveaux idéologues militaires.

Il est drôle à présent de prendre des leçons auprès de Clausewitz.

On ne peut avancer de l’avant et faire avancer la science sans soumettre à l’examen critique les thèses et les énonciations vieillies de sommités connues.

Ceci concerne non seulement les sommités de la science militaire, mais aussi les classiques du marxisme.

Engels a dit une fois que de tous les chefs militaires de la période de 1812, le Général Barclay de Tolly est le seul qui méritait l’intérêt.

Engels évidemment se trompait, car Koutouzov en tant que chef militaire, dépasse sans conteste Barclay de Tolly de deux mesures.

Et pourtant il peut se trouver des gens de notre temps qui, avec rage, vont défendre cette opinion erronée d’Engels.

Dans notre critique nous devons nous diriger non pas d’après des thèses et des énonciations isolées des classiques, mais d’après cette célèbre indication, qu’a donnée Lénine de son temps : Nous ne tenons nullement la doctrine de Marx pour quelque chose d’achevé et d’intangible ; au contraire, nous sommes persuadés qu’elle a seulement posé les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions s’ils ne veulent pas retarder sur la vie. Nous pensons que les socialistes russes surtout doivent absolument développer par eux-mêmes la théorie de Marx, car celle-ci n’indique que des principes directeurs généraux, qui s’appliquent dans chaque cas particulier, à l’Angleterre autrement qu’à la France, à la France autrement qu’à l’Allemagne, à l’Allemagne autrement qu’à la Russie. (Lénine, tome II, p. 252)

Une telle approche est encore plus obligatoire pour nous dans le domaine des sommités militaires.

3. En ce qui concerne vos courtes thèses sur la guerre et l’art militaire, vu leur caractère schématique, je ne peux que donner des remarques générales.

Dans les thèses il y a trop de philosophie et de thèses abstraites.

La terminologie de Clausewitz à propos de la grammaire et de la logique de l’armée blesse l’oreille.

La question de la science militaire comme ayant caractère de parti est posée d’une façon trop primitive.

Les dithyrambes en l’honneur de Staline blessent l’oreille : à les lire, on se sent carrément mal à l’aise.

La division à propos de la contre-offensive n’existe pas (ne pas confondre avec la contre-attaque). Je parle de contre-offensive après une offensive réussie de l’ennemi, n’ayant pas donné, cependant, de résultats décisifs, et durant laquelle le défenseur rassemble ses forces, passe à la contre-offensive et fait subir à l’ennemi une défaite décisive.

Je pense qu’une contre-offensive bien organisée est une forme très intéressante d’offensive.

Il conviendrait pour vous, en tant qu’historien, de vous intéresser à cette chose.

Déjà les anciens Parthes connaissaient cette contre-offensive, quand ils ont entraîné le général romain Crassus et ses troupes dans la profondeur de leur pays, et après ont frappé dans une contre-offensive et les ont défaits. Notre génial chef militaire Koutouzov connaissait aussi cela très bien, il a défait Napoléon et son armée grâce à une contre-offensive bien préparée.

Dans le même numéro de la revue Bolchevik où a été publiée la lettre de J. Staline, se trouve la lettre de Razine, ainsi rédigée :

« Cher camarade Staline ! Si cela était possible je vous prierai instamment de me donner des éclaircissements sur les questions suivantes : 1° Les thèses de Lénine dans l’appréciation de Clausewitz ne sont-elles pas vieillies ? ; 2° Comment doit-on traiter l’héritage théorico-militaire de Clausewitz ?

Je suis hésitant sur ces questions, après avoir lu l’article de notre revue théorique militaire directrice Voennaïa mysl [la Pensée militaire] n° 6-7 de l’année 1945, « Clausewitz et l’idéologie militaire allemande » (du lieutenant-colonel Mechtcheriakov).

En 1944, à l’Académie militaire supérieure Vorochilov, il m’a fallu prendre la parole contre les propos du directeur en second de l’Académie, de la section politique, le colonel Baz, qui disait qu’il fallait réviser Lénine sur cette question.

A ce qu’il me semble, l’article de la Voennaïa mysl concrétise de fait cette thèse du colonel Baz. En publiant un tel article, la rédaction a-t-elle agi correctement ? Si l’on considère l’appréciation de principe des œuvres de Clausewitz dans l’article de la revue, cela aboutit aux thèses suivantes : « Une prédominance de vues réactionnaires dans les oeuvres de Clausewitz » (p. 93) ; « Il n’a pas compris la nature et l’essence de la guerre » (p. 110) ; « Il se place au-dessous de la pensée théorico-militaire de son époque » (p. 116).

Comme on le sait Lénine considérait Clausewitz comme un des plus profonds écrivains sur les questions militaires, un des grands écrivains militaires, un des plus célèbres écrivains sur la philosophie des guerres et sur l’histoire des guerres, dont les idées essentielles, aujourd’hui, sont sans conteste devenues le patrimoine de tout homme pensant (Lénine, Œuvres, t. XVIII, p. 197, 249, t. XXII, p. 511, t. XXX, p. 333). Ainsi, l’appréciation léninienne de Clausewitz est en contradiction directe avec celle qui a été portée dans l’article de la revue Voennaïa mysl.

Si, dans l’appréciation de Clausewitz, Mechtcheriakov a raison, et non pas Lénine, la compétence de l’auteur de l’article est trop insignifiante pour une telle position sur cette question. De plus, il ne contredit pas Lénine ouvertement.

Ainsi l’article désoriente nos officiers, nos généraux, ce qui peut causer du tort à l’Armée rouge. Et si Mechtcheriakov, dans ses idées sur cette question, a tort, alors on ne peut qualifier son article autrement que comme une sortie anti-léniniste, qu’il faut repousser. C’est en ceci, je pense, que réside le tort politique de l’article en question.

Ainsi, ce n’est pas une question « théorico-militaire étroite », mais une question politique. C’est pourquoi j’ai décidé de m’adresser au sein du CC du PC(b)US, à vous, cher camarade Staline.

Des indications complètes sur cette question ont une grande importance en ce qui concerne l’exécution de l’ordre par lequel vous avez souligné les sérieuses lacunes de la revue théorico-militaire Voennaïa mysl, lui assignant une série d’importantes tâches concrètes.

Pour la science militaire soviétique la plus d’avant-garde en général, et pour notre science militaire historique en particulier, la question essentielle se trouve être celle de l’attitude envers l’héritage théorique du passé.

Dans les classiques du marxisme-léninisme nous avons à ce propos des directives claires et précises : assimilation complète de tout ce qu’a donné la science passée, évaluation critique de tout ce qui a été créé par la pensée humaine, vérification dans la pratique. (Lénine, t. XXV, p. 387).

« La culture prolétarienne doit être le développement logique de la somme de connaissances que l’humanité a accumulées sous le joug de la société capitaliste, de la société des propriétaires fonciers et des bureaucrates. » (Lénine, même endroit). Ceci concerne également la culture militaire. Par conséquent, nous ne rejetons pas les acquisitions de la culture bourgeoise, par exemple, pour cette raison que les fascistes, comme l’on sait, ont profité de ces acquisitions avec pour objectif la barbarie la plus sauvage.

Nous utiliserons les acquisitions de la culture bourgeoise pour la construction socialiste, pour l’édification de la société communiste. Mais nous n’assimilons pas mécaniquement toute la somme des connaissances de la science bourgeoise, nous remanions tout cela d’une façon critique, et sur des bases socio-économiques et politiques nouvelles, nous faisons avancer la science de l’avant.

Il y a deux formes avérées de critique de base : − la forme inférieure, recherche d’altérations, d’idéalisme, des vues mécanistes, réactionnaires, etc., et le rejet du tout, en entier ; − la forme supérieure, évaluation critique, recherche des noyaux de contenu positif derrière une forme erronée, les conserver, et les développer. Il est bien plus facile de déceler des lacunes générales (idéalisme, métaphysique, vues mécanistes), ce qui dans un stade critique est beaucoup plus difficile, là où il faut rechercher les noyaux rationnels, les conserver et les développer.

« Les chercheurs d’or creusent beaucoup de terre et trouvent peu d’or » (Héraclite). C’est justement à ce degré élevé de la critique que doit se placer notre pensée théorico-militaire. Mais l’article de Mechtcheriakov nous tire en arrière. Et c’est là, je pense, son tort théorique.

Ai-je raison de penser que l’auteur de l’article n’a pas compris Clausewitz et à cause de cela nous recommande de renoncer à cet héritage théorico-militaire ?

Mais pourtant Engels a raison quand il dit que « l’homme qui juge chaque philosophe, non pas sur ce qu’il apporte à la science, non pas sur ce qu’il y avait de progressiste dans son activité, mais sur ce qui était inévitablement transitoire, réactionnaire, qui juge sur le système, un tel homme aurait mieux fait de se taire ». (Engels, Lettre à Conrad Schmidt du 1er juillet 1891).

Serait-il juste, avec l’idéalisme, la métaphysique, etc., de jeter par-dessus bord tout ce qu’il y a de positif dans l’étude de la théorie militaire qu’a donnée Clausewitz ?

Mechtcheriakov ne répète-t-il pas les fautes de Pokrovski, qui ont été rejetées par le CC du PC (b) US ? Ou peut-être qu’à travers l’expérience de la Grande Guerre patriotique l’ensemble de l’œuvre théorico-militaire de Clausewitz est évaluée tout à fait autrement que chez Lénine ?

Une compréhension juste de l’ensemble de cette question est importante pour ceux qui travaillent sur l’histoire de l’art militaire, l’ai consacré près de quinze années à la préparation de la publication d’un ouvrage en huit volumes, les cinq premiers étant en grande partie prêts.

Les deux tomes édités avant la guerre ont été remaniés par moi d’une manière radicale, en particulier d’après les indications du maréchal Chopochnikov.

D’après les thèses adjointes au premier tome et la préface à toute l’œuvre, les points de départ de mon travail sont clairs.

Il est tout à fait évident que des données de départ erronées, si elles existaient, déprécieraient tout ce travail, dont on m’a dit plus d’une fois qu’il est nécessaire à l’Armée rouge. C’est justement pourquoi je vous demande cher camarade Staline, de me donner des éclaircissements sur ces questions.

Professeur, colonel E. Razine, le 30 janvier 1946. »

=>Oeuvres de Staline

Lettre de Staline et Molotov au CC du Parti Communiste de Yougoslavie (mars 1948)

27 mars 1948

Dans votre lettre, vous exprimez, le désir que nous vous communiquions quels sont les autres faits qui provoquent le mécontentement de l’URSS et qui entraînent l’aggravation des rapports entre l’URSS et la Yougoslavie.

De tels faits existent, en réalité, et bien qu’ils soient étrangers au rappel des conseillers civils et militaires, nous estimons nécessaire de vous les communiquer.

Premièrement.

Nous savons que, parmi les camarades dirigeants en Yougoslavie, circulent des déclarations antisoviétiques telles que par exemple « le PC(b) dégénère », qu’« en URSS règne un chauvinisme de grande puissance », que « l’URSS aspire à subjuguer économiquement la Yougoslavie », que « le Kominform est un instrument du PC (b) pour subjuguer les autres partis » et ainsi de suite.

Ces déclarations antisoviétiques se dissimulent généralement derrière des phrases gauchistes, comme quoi « le socialisme en URSS a cessé d’être révolutionnaire », que seule la Yougoslavie est le véritable champion du « socialisme révolutionnaire ».

Certes, il est ridicule d’entendre de pareilles histoires sur le PC(b) venant de marxistes douteux du type Djilas, Voukmanovitch, Kidritch, Rankovitcn et autres.

Mais il s’agit ici du fait que ces déclarations circulent depuis longtemps parmi de nombreux travailleurs dirigeants de Yougoslavie et qu’on continue à en faire, ce qui naturellement crée une atmosphère antisoviétique qui aggrave les rapports entre le PC(b) et le PCY.

Nous reconnaissons sans condition le droit au parti communiste yougoslave de même qu’à chaque parti communiste, de critiquer le PC(b) comme le PC(b) a également le droit de critiquer tout autre parti communiste.

Mais le marxisme exige que la critique soit franche et honnête, et non dissimulée et calomnieuse, privant celui qui est critiqué de la possibilité de répondre.

Cependant, la critique de la part des dirigeants yougoslaves n’est ni franche ni honnête, mais de derrière les coulisses et malhonnête.

C’est une critique hypocrite car, tout en discréditant par leur « critique » le PC(b) derrière son dos, les dirigeants yougoslaves le vantent publiquement et relèvent jusqu’aux cieux.

C’est justement pourquoi une semblable critique devient calomnieuse, une tentative de discréditer le PC(b), une tentative de détrôner le système soviétique.

Nous ne doutons pas que les masses yougoslaves du parti rejetteraient avec indignation cette critique antisoviétique, comme leur étant étrangère et hostile, si elles pouvaient seulement supposer son existence.

Nous pensons que les dirigeants yougoslaves en question s’efforcent, justement à cause de cela, de faire ces critiques secrètement, dans les coulisses, derrière le dos des masses.

Il n’est pas inutile de rappeler que lorsqu’il entreprit de déclarer la guerre au PC(b), Trotsky commenta également par accuser le PC(b) de dégénérescence, d’étroitesse nationaliste, de chauvinisme.

Bien entendu, il dissimulait tout cela derrière des phrases gauchistes sur la révolution mondiale.

Néanmoins, on sait que Trotsky était un renégat, et que plus tard, étant démasqué, il passa ouvertement au camp des ennemis jurés du PC(b) et de l’Union soviétique.

Nous pensions que la carrière politique de Trotsky était suffisamment instructive.

Deuxièmement.

La situation actuelle du Parti communiste yougoslave suscite nos craintes.

Le fait que le Parti communiste de Yougoslavie, tout en étant le parti dirigeant, n’est toujours pas complètement légalisé, qu’il se trouve toujours dans une position semi-légale, laisse une impression étrange.

Les décisions des organes du Parti ne sont généralement pas publiées dans la presse. On ne publie également pas de rapports sur les réunions du Parti.

Dans la vie du Parti communiste de Yougoslavie on ne sent pas de démocratie intérieure.

Le CC du Parti, dans sa majorité, n’est pas élu mais coopté.

Il n’y a pas de critique et d’autocritique dans le Parti, ou presque pas. Il est caractéristique que le secrétaire administratif du Parti est ministre de la Sûreté d’Etat, en d’autres termes, les cadres du Parti sont mis sous la surveillance du ministre de la Sûreté d’État.

Selon la théorie marxiste, le parti doit contrôler tous les organes d’État du pays, et parmi eux le ministre de la Sûreté d’État également.

Or en Yougoslavie c’est l’inverse, puisqu’en réalité c’est le parti qui est contrôlé par le ministre de la Sûreté d’État. C’est ce qui explique probablement le fait que l’initiative des masses du parti en Yougoslavie n’est pas ce qu’elle devrait être.

Il est compréhensible que nous ne pouvons pas considérer une telle organisation du parti communiste comme marxiste-léniniste, comme bolchevique.

Dans le Parti communiste de Yougoslavie on ne sent pas l’esprit d’une politique de lutte de classe.

L’accroissement des éléments capitalistes dans les campagnes comme dans les villes avance à grand pas, et la direction du parti ne prend aucune mesure pour limiter les éléments capitalistes.

Le Parti communiste de Yougoslavie se berce dans l’illusion de la théorie opportuniste pourrie d’une intégration pacifique des éléments capitalistes dans le socialisme, théorie empruntée à Bernstein, Folmar, Boukharine.

Selon la théorie marxiste-léniniste, le parti est considéré comme la force dirigeante fondamentale d’un pays, possédant son programme propre et ne se diluant pas dans la masse des sans-parti.

En Yougoslavie au contraire, c’est le Front populaire qui est considéré comme la force dirigeante fondamentale tandis qu’on tend à diluer le parti dans le Front populaire.
Dans son discours au second Congrès du Front populaire de Yougoslavie, le camarade Tito a dit :

« Le Parti communiste de Yougoslavie a-t-il un autre programme, différent de celui du Front populaire ? Non. Le Parti communiste n’a pas d’autre programme. Le programme du Front populaire est son programme. »

La Yougoslavie, il se trouve que l’on considère cette bizarre théorie comme une théorie nouvelle. Mais en réalité, il n’y a là rien de nouveau.

En Russie, il y a déjà 40 ans, une partie des menchéviks proposait que le parti marxiste se dissolve dans l’organisation ouvrière de masse sans-parti et que le premier soit remplacé par la seconde ; l’autre partie des menchéviks proposait que le parti marxiste se dissolve dans l’organisation de masse sans-parti – travailleurs ouvriers et paysans, et que le premier soit remplacé par la seconde.

On sait que Lénine qualifia alors ces menchéviks de méchants opportunistes et de liquidateurs du parti. [ … ]

Ces faits, ainsi qu’il a déjà été dit, ne sont pas liés à la question du rappel des techniciens militaires et civils, mais cela ne veut pas dire qu’ils louent pour cela un rôle moindre dans l’aggravation des rapports entre nos pays.

Le Comité Central du PC(b)

=>Oeuvres de Staline

Lettre de Staline et Molotov au CC du Parti Communiste de Yougoslavie (mai 1948)

22 mai 1948

Vos lettres du 17 mai 1943 et du 20 mai 1943, portant les signatures des camarades Tito et Kardelj ont été reçues.

Le CC du PC (b) estime que les dirigeants du Parti communiste yougoslave font avec ces lettres un nouveau pas sur la voie qui aggrave les erreurs de principe les plus grossières dont le CC du PC (b) a souligné le danger et la nuisance dans sa lettre du 4 mai 1943.

1. Les camarades Tito et Kardelj écrivent qu’ils se sentent « si inégaux en droits, qu’il nous est impossible d’accepter que cette affaire soit débattue devant le Kominform », et ils se permettent de nouveau d’insinuer que c’est le CC du PC (b) qui les a mis dans cette position.

Le CC du PC (b) estime qu’il n’y a pas la moindre parcelle de vérité dans cette affirmation. Il n’y a aucune inégalité en droits du parti communiste yougoslave et il ne peut y en avoir au sein du Bureau d’Information des neuf partis communistes.

Chacun sait que lors de la formation du Bureau d’Information des neuf partis communistes tous les partis communistes ont décidé sans conteste que chaque parti devait soumettre ses rapports au Bureau d’Information, de même que chaque parti avait le droit de critiquer les autres partis.

C’est justement de ce point de vue qu’est partie la conférence des neuf partis lorsqu’à ses réunions de septembre 1947, elle entendit les rapports des CC de tous les partis communistes sans exception.

Lorsqu’elle soumit l’activité des partis communistes italiens et français a la sévère critique bolchevique, la conférence des neuf partis se basait sur l’égalité en droits permettant a chaque parti de critiquer les autres partis.

On sait que les camarades français et italiens, non seulement n’ont pas refusé aux autres partis le droit de critiquer leurs erreurs, mais ont eu, au contraire, une attitude bolchevique devant cette critique et en ont tiré les conclusions nécessaires.

On sait encore que les camarades yougoslaves, de même que tous les autres, ont utilisé a la conférence la possibilité de critiquer les erreurs des camarades italiens et français et n’ont pas jugé, de même que tous les autres, qu’en critiquant les italiens et les français, les autres partis communistes détruisaient l’égalité en droits des partis communistes italien et français.

Mais pourquoi les camarades yougoslaves font-ils maintenant ce retour complet, exigeant la liquidation de l’ordre établi au Bureau d’Information ?

Justement parce qu’ils pensent que le parti yougoslave et sa direction doivent avoir la faveur d’une position privilégiée, que les statuts du Kominform ne sont pas pour eux, qu’ayant le droit de critiquer les autres partis, ils ne doivent pas eux-mêmes subir la critique de ceux-ci.

Mais une telle morale, si l’on peut ainsi s’exprimer, n’a rien de commun avec l’égalité de droits.

Ce n’est rien d’autre qu’une exigence de la part des camarades yougoslaves de privilèges pour le PCY, comme n’en a pas et ne peut en avoir aucun parti.

Nous avons soutenu et nous soutenons un point de vue sans lequel l’existence et l’activité du Bureau d’Information deviendraient impossibles : chaque parti communiste est tenu de soumettre son rapport au Bureau d’Information, chaque parti communiste a le droit de critiquer chaque autre parti communiste.

Le refus de la part des yougoslaves de faire un rapport sur leur activité devant le Bureau d’Information, et d’entendre la critique des autres partis communistes est une atteinte a l’égalité en droits des partis communistes.

2. Dans leur lettre du 17 mai, les camarades Tito et Kardelj répètent, comme dans leur dernière lettre, que la critique des erreurs de la direction du parti communiste yougoslave par le CC du PC (b) est soi-disant fondée sur des informations inexactes.

Mais les camarades yougoslaves ne citent aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

De sorte que la déclaration reste phrase creuse, et la critique du CC du PC (b) reste une fois de plus sans réponse, bien que les camarades Tito et Kardelj écrivent dans leur lettre qu’ils « ne cherchent par a fuir la critique sur les questions de principe ».

Peut-être que les dirigeants yougoslaves n’ont tout simplement rien a dire pour se justifier ?

C’est l’un ou l’autre : ou bien le Bureau politique du CC du PCY, conscient de la gravité des erreurs qu’il a commises, mais désirant les cacher au Parti communiste de Yougoslavie et induire celui-ci en erreur, établit une version sur l’inexistence de ces erreurs et accuse, comme coupables, des personnes innocentes qui auraient soi-disant mal informé le CC du PC (b) ou bien il ne comprend réellement pas que par ses erreurs il s’éloigne du marxisme-léninisme.

Mais il faut alors reconnaître que l’ignorance des questions du marxisme est trop grande au Bureau politique du CC du PCY.

3. Évitant de répondre aux questions directes du CC du PC (b) et aggravant leurs fautes par leur entêtement, ne désirant ni les reconnaître ni les corriger, les camarades Tito et Kardelj affirment en paroles qu’ils prouveront a l’oeuvre qu’ils restent fidèles a l’Union soviétique, fidèles aux leçons de Marx, Engels, Lénine et Staline.

Après tout ce qui s’est passé, nous n’avons aucune raison de croire a ces affirmations.

Les camarades Tito et Kardelj ont déjà fait au CC du PC (b) bien des promesses, sans les tenir.

Leurs lettres, et en particulier la dernière, nous en ont encore plus convaincus.

Le Bureau politique du CC du PCY, et en particulier le camarade Tito doivent savoir que, par leur politique antisoviètique et antirusse qui a été appliquée ces derniers temps dans la pratique quotidienne, ils ont tout fait pour saper la confiance du parti communiste et du gouvernement de l’URSS.

4. Les camarades Tito et Kardelj se plaignent d’être dans une situation difficile et disent que les conséquences de tout cela sont très lourdes pour la Yougoslavie.

Cela est, bien entendu, exact, mais les camarades Tito et Kardelj en sont exclusivement coupables et, de concert avec eux, les autres membres du Bureau politique du CC du parti communiste yougoslave qui ont placé leur prestige et leur ambition au-dessus des intérêts du peuple yougoslave et qui, au lieu de reconnaître et de corriger leurs erreurs, dans l’intérêt de leur peuple, nient opiniâtrement ces erreurs, dangereuses pour le peuple yougoslave.

5. Les camarades Tito et Kardelj déclarent que le CC du PCY refuse de se présenter à la session du Bureau d’Information pour y discuter la question de la situation dans le parti communiste yougoslave.

Si c’est la leur décision définitive, cela veut dire alors qu’ils n’ont rien a dire au Bureau d’Information pour se justifier, que par cela même ils reconnaissent tacitement qu’ils sont coupables et qu’ils craignent de se montrer en face des partis communistes frères.

De plus, leur refus de venir devant le Bureau d’Information signifie que le CC du PCY est entré dans la voie d’une scission avec le front socialiste unique des démocraties populaires, avec l’Union soviétique et que maintenant il prépare son parti et le peuple yougoslave a trahir le front unique des démocraties populaires et l’URSS.

Étant donné que le Bureau d’Information est la base de parti du front unique, une telle politique mène à la trahison de la cause de la solidarité internationale des travailleurs et au passage sur les positions du nationalisme, hostile à la cause de la classe ouvrière.

Que les représentants du CC du PCY se présentent ou non a la session du Bureau d’Information, le CC du PC (b) insiste pour que la question de la situation dans le parti communiste yougoslave soit débattue a la prochaine session du Bureau d’Information.

Les camarades tchécoslovaques et hongrois demandant que la convocation du Bureau d’Information soit remise a la seconde moitié de juin, le CC du PC (b) déclare être d’accord avec cette proposition.


Staline : Au sujet de l’arme atomique

Pravda, 6 Octobre 1951

Que pensez-vous du bruit soulevé ces jours-ci dans la presse étrangère à l’occasion de l’essai d’une bombe atomique en Union soviétique ?

   Staline. En effet, il a été procédé récemment chez nous à l’essai d’un des types de la bombe atomique. L’expérimentation de bombes atomiques de différents calibres se poursuivra également à l’avenir d’après le plan de défense de notre pays contre une attaque de la part du bloc agressif anglo-américain.

Diverses personnalités des Etats-Unis d’Amérique sonnent l’alarme à propos de l’essai d’une bombe atomique et clament que la sécurité des Etats-Unis d’Amérique est menacée. Y a-t-il un fondement quelconque à cette alarme ?

   Staline. Cette alarme est dépourvue de tout fondement. Les personnalités des Etats-Unis d’Amérique ne peuvent ignorer que l’Union soviétique est non seulement contre l’emploi de l’arme atomique, mais encore pour son interdiction, pour la cessation de sa fabrication.

   Comme on le sait, l’Union soviétique a exigé à plusieurs reprises l’interdiction de l’arme atomique, mais elle s’est heurtée, chaque fois, à un refus de la part des puissances du bloc Atlantique.

   Cela signifie qu’en cas d’agression des Etats-Unis contre notre pays, les milieux gouvernants des Etats-Unis d’Amérique feront usage de la bombe atomique.

   C’est précisément cette circonstance qui a contraint l’Union soviétique à se doter de l’arme atomique afin de recevoir les agresseurs dans la plénitude de ses moyens.

   Naturellement, les agresseurs voudraient que l’Union soviétique se trouve désarmée en cas d’agression de leur part contre elle. Mais l’Union soviétique n’est pas de cet avis et pense que c’est dans la plénitude de ses moyens qu’elle doit recevoir l’agresseur.

   Par conséquent, si les Etats-Unis ne pensent pas attaquer l’Union soviétique, il faut considérer l’alarme des personnalités des Etats-Unis d’Amérique comme sans objet et simulée, car l’Union soviétique ne pense pas attaquer les Etats-Unis d’Amérique ou quelque autre pays à quelque moment que ce soit.

   Les personnalités des Etats-Unis d’Amérique sont mécontentes de ce que le secret de l’arme atomique soit détenu non seulement par les Etats-Unis d’Amérique mais par d’autres pays également et, en premier lieu, par l’Union soviétique.

   Elles voudraient que les Etats-Unis d’Amérique aient le monopole de la fabrication de la bombe atomique, que les Etats-Unis d’Amérique aient la possibilité illimitée d’intimider les autres pays et d’user de chantage à leur égard.

   Mais quelle raison ont-elles, en somme, de penser ainsi, et quel droit ?

   L’intérêt du maintien de la paix exige-t-il un tel monopole ?

   Ne serait-il pas plus exact de dire que le contraire est vrai, que c’est précisément l’intérêt du maintien de la paix qui exige en premier lieu la liquidation de ce monopole et, ensuite, l’interdiction absolue de l’arme atomique ?

   Je pense que les partisans de la bombe atomique ne pourront consentir à l’interdiction de l’arme atomique que dans le cas où ils verront qu’ils n’en détiennent plus le monopole.

Que pensez-vous du contrôle international de l’arme atomique ?

   Staline. L’Union soviétique est pour l’interdiction de l’arme atomique et pour la cessation de sa fabrication. L’Union soviétique est pour l’établissement d’un contrôle international afin que la décision sur l’interdiction de l’arme atomique, sur la cessation de la fabrication de cette arme et sur l’emploi exclusivement à des fins civiles des bombes atomiques déjà fabriquées soit observée de la façon la plus stricte et la plus consciencieuse.

   L’Union soviétique est précisément pour un tel contrôle international.

   Les personnalités américaines parlent également de «contrôle», mais leur « contrôle » entend non la cessation de la fabrication de l’arme atomique mais la continuation de cette fabrication, et cela en des quantités correspondant à la quantité de matières premières dont disposent tels ou tels pays.

   Par conséquent, le « contrôle » américain entend non l’interdiction de l’arme atomique mais sa légalisation et sa légitimation.

   Par là même se trouve légalisé le droit des fauteurs de guerre d’exterminer au moyen de l’arme atomique des dizaines et des centaines de milliers d’habitants paisibles.

   Il n’est pas difficile de comprendre que ce n’est pas un contrôle mais une parodie de contrôle, que c’est là tromper les aspirations pacifiques des peuples.

   On comprend que ce « contrôle » ne peut satisfaire les peuples attachés à la paix, qui exigent l’interdiction de l’arme atomique et la cessation de sa fabrication.

=>Oeuvres de Staline

Lénine, organisateur et chef du Parti Communiste de Russie

   A L’OCCASION DU 50e ANNIVERSAIRE DE SA NAISSANCE

   Publié dans la Pravda n° 86 le 23 avril 1920

Il y a deux groupes de marxistes. Tous deux travaillent sous le drapeau du marxisme et se croient « authentiquement » marxistes.

Et cependant ils ne sont pas identiques, loin de là. Bien plus : un abîme les sépare, leurs méthodes de travail étant diamétralement opposées. Le premier de ces groupes se borne d’ordinaire à reconnaître extérieurement le marxisme, à le proclamer avec solennité.

Ne sachant pas ou ne voulant pas pénétrer l’essence du marxisme, ne sachant pas ou ne voulant pas le faire passer dans la vie, il transforme les principes vivants et révolutionnaires du marxisme en formules mortes, qui ne disent rien.

Il fait reposer son activité, non sur l’expérience, ni sur les enseignements du travail pratique, mais sur des citations de Marx. Indications et directives, il les puise non dans l’analyse de la réalité vivante, mais dans les analogies et les parallèles historiques.

Divorce entre la parole et les actes, tel est le vice essentiel de ce groupe. De là les déceptions et cet éternel mécontentement du destin qui, à tout moment, le trahit, le laisse « Gros-Jean comme devant ». Ce groupe a nom menchévisme (en Russie), opportunisme (en Europe). Au congrès de Londres, le camarade Tyszko (Ioguichès) a donné une caractéristique assez heureuse de ce groupe ; il a dit de lui qu’il ne se tenait pas, mais gisait sur la plate-forme marxiste.

Le second groupe, au contraire, reporte le centre de gravité du problème, de la reconnaissance extérieure du marxisme à son application, à sa mise en œuvre.

Déterminer, selon la situation, les voies et moyens permettant de réaliser le marxisme, modifier ces voies et moyens lorsque la situation change, voilà ce qui retient principalement l’attention de ce groupe. Ce n’est pas dans les analogies et les parallèles historiques qu’il puise directives et indications, mais dans l’étude des conditions environnantes.

Dans son activité il ne s’appuie pas sur des citations et des sentences, mais sur l’expérience pratique dont il se sert pour vérifier chacun de ses pas, tirer parti de ses propres erreurs et apprendre aux autres à édifier la vie nouvelle. C’est ce qui explique à proprement parler que dans l’activité de ce groupe l’action ne dément pas la parole et que la doctrine de Marx conserve entièrement sa force révolutionnaire vive.

A ce groupe s’appliquent parfaitement les paroles de Marx, selon lesquelles les marxistes ne peuvent se contenter d’expliquer le monde, mais doivent aller plus loin pour le modifier. Ce groupe a nom : bolchévisme, communisme. L’organisateur et le chef de ce groupe est V. I. Lénine.

1. LÉNINE, ORGANISATEUR
DU PARTI COMMUNISTE DE RUSSIE

La formation du parti du prolétariat s’est poursuivie en Russie dans des conditions particulières, différentes de celles des pays d’Occident, au moment où s’y organisait le parti ouvrier.

En Occident, — France, Allemagne, — le parti ouvrier est né des syndicats, alors que syndicats et partis fonctionnaient légalement ; alors que la révolution bourgeoise était déjà faite, et qu’existait le Parlement bourgeois, quand la bourgeoisie qui s’était faufilée au pouvoir se trouvait face à face avec le prolétariat.

En Russie, au contraire, le parti du prolétariat s’est formé sous l’absolutisme le plus féroce, dans l’attente de la révolution démocratique bourgeoise, alors que d’une part les organisations du Parti regorgeaient d’éléments « marxistes légaux » bourgeois, avides d’utiliser la classe ouvrière pour la révolution bourgeoise.

D’autre part, les gendarmes du tsar arrachaient des rangs du Parti ses meilleurs militants, cela au moment où l’essor du mouvement révolutionnaire spontané réclamait l’existence d’un noyau de révolutionnaires, noyau apte à la lutte, ferme, uni et suffisamment clandestin, capable de diriger le mouvement en vue de renverser l’absolutisme.

Il s’agissait de séparer les boucs et les brebis, de se délimiter des intrus, de former des cadres de révolutionnaires expérimentés à la base, de leur donner un programme clair et une tactique ferme ; il s’agissait enfin de rassembler ces cadres en une seule organisation de combat composée de révolutionnaires professionnels, suffisamment clandestine pour pouvoir tenir contre les coups de main de la gendarmerie, et en même temps, suffisamment liée aux masses pour, le moment venu, les mener à la lutte.

Les menchéviks, ceux-là même qui « gisent » sur la plate-forme marxiste, tranchaient le problème simplement : du moment qu’en Occident le parti ouvrier était né des syndicats sans-parti en lutte pour l’amélioration de la situation économique de la classe ouvrière, il fallait, dans la mesure du possible, en faire autant pour la Russie, c’est-à-dire se borner pour l’instant à la « lutte économique des ouvriers contre le patronat et le gouvernement », à l’échelle locale, sans créer d’organisation de combat pour toute la Russie, et puis … et puis, si d’ici là les syndicats ne faisaient pas leur apparition, on convoquerait un congrès ouvrier sans-parti et on le proclamerait parti.

Que ce « plan » « marxiste » des menchéviks, utopique pour la Russie, supposât néanmoins un vaste travail d’agitation visant à ravaler l’idée même du parti, à en détruire les cadres, à priver de son parti le prolétariat et à donner la classe ouvrière en pâture aux libéraux, — c’est ce dont les menchéviks, et peut-être aussi nombre de bolcheviks, ne se doutaient guère à l’époque.

Le plus grand mérite de Lénine devant le prolétariat russe et son Parti, c’est d’avoir montré tout le danger du « plan » menchévik d’organisation, au moment où ce « plan » venait tout juste d être conçu, où les auteurs eux-mêmes de ce « plan » avaient peine à s’en représenter clairement les contours ; et, l’ayant montré, d’avoir déclenché une attaque à fond contre le débraillé qui régnait chez les menchéviks, en matière d’organisation, en concentrant sur ce problème toute l’attention des militants Car il s’agissait de l’existence du Parti, de la vie ou de la mort du Parti.

Mettre sur pied un journal politique pour toute la Russie, comme centre de ralliement des forces du Parti ; organiser des cadres stables à la base, comme « formation régulière » du Parti ; rassembler ces cadres en un tout au moyen d’un journal et les cimenter en un parti de combat à l’échelle de toute la Russie, parti aux limites nettement déterminées, au programme clair, à la tactique ferme et à la volonté unique : tel est te plan que Lénine développa dans ses célèbres brochures : Que faire ? et Un pas en avant, deux pas en arrière. 

Ce plan avait le mérite de répondre strictement à la réalité russe et de résumer de façon magistrale l’expérience des meilleurs militants en matière d’organisation.

Dans la lutte pour ce plan, ta majorité des militants russes suivirent résolument Lénine, sans reculer devant la scission. La victoire de ce plan permit de jeter les fondements d’un parti communiste, cohérent et aguerri, qui n’a pas son égal au monde.

Nos camarades (pas seulement les menchéviks !) accusaient souvent Lénine d’avoir un penchant excessif pour la polémique et la scission, d’avoir mené une lutte implacable contre les conciliateurs, etc Sans doute l’un et l’autre ont-ils eu lieu en leur temps.

Mais il n’est pas difficile de comprendre que notre Parti n’aurait pu se débarrasser de sa faiblesse intérieure et de son défaut de précision, ni acquérir la force et la vigueur qui le caractérisent, s’il n’avait chassé de son sein les éléments non prolétariens, opportunistes.

A l’époque de la domination de la bourgeoisie, le Parti du prolétariat ne peut croître et se fortifier que dans la mesure où il mène la lutte contre les éléments opportunistes, hostiles à la Révolution et au Parti, dans son propre milieu et parmi la classe ouvrière Lassalle avait raison de dire : « Le Parti se fortifie en s’épurant. »

Les accusateurs invoquaient d’ordinaire le parti allemand, où florissait l’« unité ».

Mais d’abord, toute unité n’est pas signe de force ; ensuite, il suffit de considérer aujourd’hui l’ancien Parti allemand, déchiré en trois partis, pour comprendre tout ce qu’il y avait de faux, d’illusoire dans l’« unité » entre Scheidemann-Noske et Liebknecht-Luxembourg.

Et qui sait s’il n’eût pas mieux valu pour le prolétariat d’Allemagne que les éléments révolutionnaires du parti allemand se fussent séparés à temps de ses éléments antirévolutionnaires…

Oui, Lénine avait mille fois raison de conduire le Parti dans la voie d’une lutte irréconciliable contre les éléments hostiles au Parti et à la Révolution Car ce n’est que grâce à cette politique d’organisation que notre Parti a su réaliser dans son sein cette unité intérieure et cette étonnante cohésion, dont la possession lui a permis de sortir indemne de la crise de juillet sous Kérenski (1) de porter sans défaillance le poids de l’insurrection d’Octobre, de traverser sans perturbation la crise de la période de Brest-Litovsk (2), d’organiser la victoire sur l’Entente et, enfin, d’acquérir cette souplesse sans analogue qui lui permet à tout moment de reformer ses rangs et de concentrer les centaines de milliers de ses membres sur quelque grande tâche que ce soit, sans jeter la confusion dans son milieu.

2. LÉNINE, CHEF DU PARTI COMMUNISTE DE RUSSIE

Mais les qualités du Parti communiste de Russie dans le domaine d’organisation ne sont qu’un des aspects du problème. Le Parti n’aurait pu croître ni se fortifier avec cette rapidité si le contenu politique de son activité, son programme et sa tactique ne répondaient pas à la situation russe, si ses mots d’ordre n’enflammaient pas les masses ouvrières et ne poussaient le mouvement révolutionnaire en avant. C’est cet aspect que nous allons analyser.

La révolution démocratique bourgeoise russe (1905) s’est faite dans des conditions différentes de celles des pays d’Occident lors des bouleversements révolutionnaires, par exemple, en France et en Allemagne.

La révolution survint en Occident en période manufacturière, à une époque où la lutte de classes n’était pas développée, où le prolétariat faible et peu nombreux ne possédait pas de parti propre, capable de formuler ses revendications, et où la bourgeoisie était assez révolutionnaire pour inspirer confiance aux ouvriers et aux paysans et les mener à la lutte contre l’aristocratie.

En Russie, au contraire, la révolution (1905) a commencé à l’époque du machinisme et de la lutte de classes évoluée, alors que le prolétariat russe, relativement nombreux et soudé par le capitalisme, avait déjà livré maint combat à la bourgeoisie, possédait son propre parti, plus uni que les partis bourgeois, et formulait ses revendications de classe ; cependant que la bourgeoisie russe, qui d’ailleurs vivait des commandes du gouvernement, était effrayée par l’esprit révolutionnaire du prolétariat au point de rechercher une alliance avec le gouvernement et les grands propriétaires fonciers contre les ouvriers et les paysans.

Le fait que la révolution russe ait éclaté à la suite des échecs militaires sur les champs de bataille de la Mandchourie, n’a pu qu’accélérer le cours des événements sans toutefois modifier en rien le fond du problème.

La situation exigeait du prolétariat qu’il se mît à la tête de la révolution, qu’il ralliât autour de lui la paysannerie révolutionnaire et engageât simultanément une lutte décisive contre le tsarisme et la bourgeoisie, en vue de la démocratisation complète du pays et pour assurer ses propres intérêts de classe.

Mais les menchéviks, ceux-là mêmes qui « gisent » sur la plateforme marxiste, résolurent le problème à leur manière : puisque la révolution russe est bourgeoise, et que dans les révolutions bourgeoises ce sont les représentants de la bourgeoisie qui dirigent (voir l’ « histoire » des révolutions française et allemande), le prolétariat ne peut exercer l’hégémonie dans la révolution russe dont la direction doit être laissée à la bourgeoisie russe (à celle-là même qui trahit la révolution) ; la paysannerie, elle aussi, doit être livrée en tutelle à la bourgeoisie; quant au prolétariat, il doit rester à l’état d’opposition d’extrême-gauche.

Et ces plates rengaines de libéraux chétifs, les menchéviks les présentaient comme le dernier mot du marxisme « authentique » !

Le plus grand mérite de Lénine devant la révolution russe, c’est d’avoir révélé jusqu’à la racine l’inanité des parallèles historiques chers aux menchéviks et tout le danger que présentait leur « schéma de la révolution », qui livrait la cause ouvrière en pâture à la bourgeoisie. Dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, au lieu de la dictature de la bourgeoisie, boycottage de la Douma de Boulyguine (3) et insurrection armée au lieu de la participation à la Douma et d’un travail organique dans son sein ; idée d’un « bloc de gauche » lorsque la Douma s’est malgré tout réunie, et utilisation de la tribune de la Douma pour la lutte en dehors de celle-ci, au lieu d’un ministère cadet et d’un « ménagement » réactionnaire de la Douma ; lutte contre le parti cadet (4) comme force de contre-révolution, au lieu d’un bloc avec lui : tel est le plan tactique développé par Lénine dans ses célèbres brochures — Deux tactiques, la Victoire des cadets. Le mérite de ce plan est que, formulant avec netteté et résolution les revendications de classe du prolétariat, à l’époque de la révolution démocratique bourgeoise en Russie, il facilitait le passage à la révolution socialiste et portait en germe l’idée de dictature du prolétariat. 

Dans leur lutte pour ce plan tactique, la majorité des militants russes suivit Lénine résolument et sans retour. Le triomphe de ce plan permit de jeter les bases de la tactique révolutionnaire, grâce à laquelle notre Parti ébranle aujourd’hui les fondements de l’impérialisme mondial.

Le développement ultérieur des événements, les quatre années de guerre impérialiste et les perturbations de toute l’économie nationale, la révolution de Février et la fameuse dualité du pouvoir — le Gouvernement provisoire, foyer de la contre-révolution bourgeoise, et le Soviet de Pétersbourg, forme de la dictature naissante du prolétariat —, la Révolution d’Octobre et la dissolution de la Constituante, l’abolition du parlementarisme bourgeois et la proclamation de la République des Soviets, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et l’intervention de l’impérialisme mondial de concert avec les pseudo-marxistes contre la révolution prolétarienne, enfin la situation pitoyable des menchéviks, cramponnés à la Constituante, jetés par-dessus bord par le prolétariat et poussés par la vague de la révolution vers le rivage du capitalisme : tout cela n’a fait que confirmer la justesse des principes de la tactique révolutionnaire formulée par Lénine dans les Deux tactiques. 

Un parti disposant d’un pareil héritage pouvait naviguer hardiment sans craindre les écueils. A notre époque de révolution prolétarienne, où chaque mot d’ordre du Parti et chaque phrase du chef sont vérifiés dans les faits, le prolétariat exige de ses chefs des qualités particulières. L’histoire connaît des chefs prolétariens, des chefs des temps d’orage, des chefs-praticiens, pleins d’abnégation et d’audace, mais faibles en théorie.

Les masses n’oublient pas de sitôt les noms de ces chefs. Tels, par exemple, Lassalle en Allemagne, Blanqui en France. Mais le mouvement dans son ensemble ne peut vivre uniquement de souvenirs : il lui faut un objectif clair (un programme), une ligne ferme (une tactique).

Il est aussi des chefs d’un autre genre, des chefs du temps de paix, forts en théorie, mais faibles en matière d’organisation et de travail pratique.

Ces chefs ne sont populaires que parmi les couches supérieures du prolétariat, et cela jusqu’à un certain moment. Avec l’avènement d’une époque révolutionnaire, où l’on demande aux chefs des mots d’ordre révolutionnaires pratiques, les théoriciens, faisant place à des hommes nouveaux, quittent la scène. Tels, par exemple, Plékhanov en Russie, Kautsky en Allemagne.

Pour se maintenir au poste de chef de la révolution prolétarienne et du Parti du prolétariat, il faut allier en soi la force de la théorie et l’expérience pratique de l’organisation du mouvement prolétarien. P. Axelrod, du temps qu’il était marxiste, écrivait que Lénine « réunissait en lui de façon heureuse l’expérience d’un bon praticien, l’instruction théorique et un vaste horizon politique » (voir la préface de P. Axelrod à la brochure de Lénine : Les tâches des socialdémocrates russes) Il n’est pas difficile de deviner ce que dirait aujourd’hui de Lénine monsieur Axelrod, l’idéologue du capitalisme « civilisé ».

Mais pour nous qui connaissons Lénine de près et pouvons voir les choses avec objectivité, il est certain que Lénine n’a rien perdu de cette vieille qualité.

C’est là du reste qu’il faut chercher l’explication du fait que Lénine, et pas un autre, est aujourd’hui le chef du parti prolétarien le plus puissant et le mieux aguerri du monde.

NOTES

1. La crise de juillet sous Kérenski fut provoquée par les événements des 3-5 juillet 1917 à Pétrograd. Ces jours-là les ouvriers et les soldats de la capitale manifestèrent spontanément sous le mot d’ordre de passage du pouvoir aux Soviets. Malgré le caractère pacifique de la manifestation, le gouvernement provisoire bourgeois, à la tête duquel se trouvait le socialiste-révolutionnaire Kérenski, lança la troupe contre les manifestants.

Après avoir réprimé la manifestation, le gouvernement s’abattit sur le parti bolchevik. Il fit interdire l’organe central des bolcheviks, la Pravda, lança un mandat d’arrêt contre Lénine qui fut obligé de passer à l’illégalité, arrêta des bolcheviks en vue, etc. Mais sous la direction de Lénine et de Staline, le Parti sut préparer dans ces conditions extrêmement pénibles la victoire de la Révolution prolétarienne d’Octobre 1917.

2. La période de Brest-Litovsk est liée à la paix de Brest-Litovsk. La jeune République soviétique, relativement faible encore, s’était trouvée dans la nécessité d’accepter, le 3 mars 1918, la paix rapace imposée par l’Allemagne impérialiste et ses alliés — l’Autriche-Hongrie, la Turquie et la Bulgarie — la paix de Brest-Litovsk. Après la chute du Kaiser en Allemagne (novembre 1918), elle fut annulée par le gouvernement soviétique.

3. Au mois d’août 1905, le ministre de l’Intérieur Boulyguine élabora un projet de décret sur la convocation d’une Assemblée représentative et consultative. Cependant, la Douma de Boulyguine ne fut jamais convoquée. Sous la pression des événements révolutionnaires de l’automne 1905, le gouvernement du tsar dut renoncer à ce projet et promettre la convocation d’un organe représentatif aux fonctions législatives.

4. Parti cadet — principal parti de la bourgeoisie monarchiste libérale russe, fondé en 1905. Il s’appelait parti constitutionnel-démocrate (de là, l’abréviation — c.-d.).

=>Oeuvres de Staline

Staline : Câble de Staline à Clément Gottwald

Câble de Staline à Clément Gottwald

Filippov (Joseph Staline)

27 août 1950

   Notre appréciation sur le retrait de l’Union soviétique du Conseil de Sécurité [de l’ONU] le 27 juin [1950] et les événements subséquents est assez différente de celle du camarade Gottwald.

   Nous avons quitté le Conseil de Sécurité pour quatre raisons : premièrement, pour démontrer la solidarité de l’Union Soviétique envers la Chine nouvelle.

   Deuxièmement, pour faire ressortir la folie et la stupidité de la politique nord-américaine cherchant à faire siéger un clown du Guomindang en tant que représentant de la Chine au Conseil de Sécurité; troisièmement, pour rendre illégale la décision du Conseil de Sécurité suite à l’absence des représentants de deux grandes puissance pour sa ratification; quatrièmement, pour laisser à l’Etat américain les mains libres de gagner à sa cause la majorité des votes du Conseil de Sécurité, de faire davantage d’erreurs et ainsi de montrer ses vraies couleurs au public.

   Je pense que nous avons atteint tous ces objectifs.

   Suite à notre retrait du Conseil de Sécurité, l’Amérique s’est empêtrée dans l’intervention militaire en Corée, et est en train de perdre son prestige militaire et son autorité morale.

   Peu de gens honnêtes peuvent désormais douter du fait que l’Amérique agit en tant qu’agresseur et tyran en Corée, et qu’en termes militaires, elle n’est pas aussi puissante qu’elle le prétend.

   En outre, il est clair que l’attention des Etats Unis d’Amérique est à l’heure actuelle éloignée de l’Europe et de l’Extrême-Orient.

   Cela ne nous donne-t-il pas l’avantage dans la balance globale du pouvoir? Assurément.

   Supposons que l’Etat américain continue de s’engager en Extrême- Orient et pousse la Chine dans la lutte pour la libération de la Corée et pour sa propre indépendance. Qu’est-ce qui pourrait en ressortir ?

   Tout d’abord, l’Amérique, comme n’importe quel autre Etat, ne peut pas se mesurer à la Chine, un pays aux si grandes capacités militaires.

   Il en résulterait que l’Amérique se casserait le cou dans cette lutte.

   Ensuite, ayant échoué de cette façon, l’Amérique ne serait pas en position d’entamer une troisième guerre mondiale.

   Par conséquent, la troisième guerre mondiale serait remise à une date ultérieure indéterminée, ce qui donnerait du temps pour renforcer le socialisme en Europe.

   D’autre part, la lutte entre l’Amérique et la Chine mettrait l’ensemble de l’Extrême-Orient dans un état de révolution. Cela nous donne-t-il l’avantage dans la balance globale du pouvoir ? Assurément.

   Comme vous pouvez le voir, la question de savoir s’il faut que l’Union Soviétique soit membre du Conseil de Sécurité n’est pas aussi simple qu’elle pourrait paraître.

   Donc, nous ne pouvons pas dire que le « camp de la démocratie n’a pas besoin de quitter le Conseil de Sécurité ». Que nous y restions ou que nous en sortions dépend des circonstances.

   Il se peut que nous soyons amenés à le quitter à nouveau et à y revenir, cela dépendra de l’état de la situation internationale.

   On pourrait demander pourquoi nous sommes revenus au Conseil de Sécurité. Nous y sommes revenus pour continuer à dénoncer la politique agressive de l’Etat américain et pour l’empêcher d’utiliser le Conseil de Sécurité comme couverture pour son agression.

   Maintenant que l’Amérique s’est engagée de façon agressive en Corée, il serait plus facile d’atteindre ce but en restant membre du Conseil de Sécurité. Je pense que ce point est suffisamment clair et ne demande pas plus d’explications.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Discours au IIe congrès des soviets de l’URSS

26 JANVIER 1924

Camarades, nous sommes, nous communistes, des gens d’une facture à part. Nous sommes taillés dans une étoffe à part. Nous formons l’armée du grand stratège prolétarien, l’armée du camarade Lénine. Il n’est rien de plus haut que l’honneur d’appartenir à cette armée.

Il n’est rien de plus haut que le titre de membre du Parti qui a pour fondateur et pour dirigeant le camarade Lénine. Il n’est pas donné à tout le monde d’être membre d’un tel Parti.

Il n’est pas donné à tout le monde de résister aux adversités et aux tempêtes qu’entraîne l’adhésion à ce parti Les fils de la classe ouvrière, enfants du besoin et de la lutte, des privations sans nom et des efforts héroïques, voilà ceux qui, avant tout, doivent être membres de ce parti. Voilà pourquoi le parti des léninistes, le parti des communistes s’appelle encore le parti de la classe ouvrière.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de tenir haut et de garder dans sa pureté le glorieux titre de membre du Parti Nous te jurons, camarade Lénine, d’accomplir avec honneur ta volonté !

Pendant vingt-cinq ans le camarade Lénine a été l’éducateur constant de notre Parti, dont il a fait le Parti ouvrier le plus vigoureux et le mieux aguerri du monde.

Les coups portés par le tsarisme et ses prétoriens, la rage de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, les attaques armées de Koltchak et de Dénikine, l’intervention armée de l’Angleterre et de la France, les mensonges et les calomnies de la presse bourgeoise aux cent bouches, — tous ces scorpions s’acharnèrent constamment contre notre Parti pendant un quart de siècle.

Mais notre Parti se dressait comme un roc, repoussant les innombrables coups de ses ennemis et menant la classe ouvrière en avant, vers la victoire. C’est dans de rudes batailles que notre Parti a forgé l’unité et la cohésion de ses rangs. C’est par son unité et sa cohésion qu’il a pu triompher des ennemis de la classe ouvrière.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de garder l’unité de notre Parti comme la prunelle de nos yeux. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

Dur et insupportable est le sort de la classe ouvrière. Lourdes et accablantes sont les souffrances des travailleurs. Esclaves et maîtres, serfs et seigneurs, paysans et grands propriétaires fonciers, ouvriers et capitalistes, opprimés et oppresseurs, — ainsi s’édifia le monde à travers les siècles, tel il demeure aujourd’hui encore dans l’immense majorité des pays.

Des dizaines et des centaines de fois les travailleurs ont tenté tout au long des siècles de secouer le joug de leurs oppresseurs et de se rendre maîtres de leur destinée. Mais chaque fois, battus et déshonorés, ils ont dû reculer, avec, au fond du cœur, l’offense et l’humiliation, la colère et le désespoir, et les yeux levés vers un ciel impénétrable où ils espéraient trouver la délivrance.

Les chaînes de l’esclavage demeuraient intactes, ou bien les vieilles étaient remplacées par de nouvelles, aussi lourdes, aussi humiliantes. Dans notre pays seulement les masses laborieuses opprimées et accablées ont pu secouer la domination des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, et y substituer la domination des ouvriers et des paysans. Vous savez, camarades, et le monde entier le reconnaît à présent, que cette lutte gigantesque fut dirigée par le camarade Lénine et son Parti.

La grandeur de Lénine est avant tout d’avoir, en créant la République des Soviets, montré en fait aux masses opprimées du monde entier, que l’espoir de la délivrance n’est pas perdu, que la domination des grands propriétaires fonciers et des capitalistes n’est pas éternelle, que le règne du travail peut être institué par les efforts des travailleurs eux-mêmes, qu’il faut instituer ce règne sur la terre, et non dans le ciel.

Il a allumé ainsi dans le cœur des ouvriers et des paysans du monde entier, l’espoir de la libération. C’est ce qui explique que le nom de Lénine soit devenu le nom le plus cher aux masses laborieuses et exploitées.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de sauvegarder et d’affermir la dictature du prolétariat. Nous te jurons, camarade Lénine, de ne pas épargner nos forces pour, là encore, accomplir avec honneur ta volonté !

La dictature du prolétariat s’est établie dans notre pays sur la base de l’alliance des ouvriers et des paysans. C’est là la base première et fondamentale de la République des Soviets. Les ouvriers et les paysans n’auraient pu vaincre les capitalistes et las grands propriétaires fonciers, si cette alliance n’avait pas existé.

Les ouvriers n’auraient pu battre les capitalistes s’ils n’avaient pas eu l’appui des paysans. Les paysans, s’ils n’avaient pas été dirigés par les ouvriers, n’auraient pu battre les grands propriétaires fonciers. C’est ce qu’atteste toute l’histoire de la guerre civile dans notre pays. Mais la lutte pour l’affermissement de la République des Soviets est loin d’être achevée, elle a simplement pris une forme nouvelle.

D’abord l’alliance des ouvriers et des paysans a revêtu la forme d’une alliance militaire, puisqu’elle était dirigée contre Koltchak et Dénikine. Maintenant l’alliance des ouvriers et des paysans doit prendre la forme d’une collaboration économique entre villes et campagnes, entre ouvriers et paysans, car cette alliance est dirigée contre le marchand et le koulak ; car elle a pour objet de permettre aux paysans et aux ouvriers de se pourvoir mutuellement de tout le nécessaire. Vous savez que nul n’a poursuivi cette tâche avec autant de persévérance que le camarade Lénine.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de consolider de toutes nos forces l’alliance des ouvriers et des paysans. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

La deuxième base de la République des Soviets est l’alliance des travailleurs des nationalités peuplant notre pays. Russes et Ukrainiens, Bachkirs et Biélorussiens, Géorgiens et Azerbaïdjans, Arméniens et Daghestanais, Tatars et Kirghiz, Ouzbeks et Turkmènes, tous ont également intérêt à voir s’affermir la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat affranchit ces peuples de leurs chaînes et de l’oppression ; et ces peuples à leur tour, par leur dévouement absolu à la République des Soviets, par leur volonté de se sacrifier pour elle, la mettent à l’abri des intrigues et des attaques des ennemis de la classe ouvrière.

Voilà pourquoi le camarade Lénine nous a toujours parlé de la nécessité d’une alliance librement consentie des peuples de notre pays, de la nécessité de leur collaboration fraternelle dans le cadre de l’Union des Républiques.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de consolider et d’étendre l’Union des Républiques. Nous te jurons, camarade Lénine, que là encore nous accomplirons avec honneur ta volonté !

La troisième base de la dictature du prolétariat, c’est notre Armée rouge, notre Flotte rouge. Lénine nous a dit maintes fois que la trêve arrachée par nous aux Etats capitalistes pouvait être de courte durée.

Maintes fois Lénine nous a indiqué que le renforcement de l’Armée rouge et son perfectionnement sont une des tâches les plus importantes de notre Parti. Les événements rattaches à l’ultimatum de Curzon et à la crise en Allemagne ont confirmé une fois de plus que Lénine, comme toujours, avait raison. Jurons donc, camarades, de ne pas épargner nos efforts pour renforcer notre Armée rouge, notre Flotte rouge !

Notre pays se dresse, tel un roc formidable, au milieu de l’océan des Etats bourgeois. Les vagues pressées déferlent sur lui, menaçant de le submerger, de l’emporter. Mais le roc reste inébranlable.

Qu’est-ce qui fait sa force ?

Ce n’est pas seulement que notre pays soit fondé sur l’alliance des ouvriers et des paysans ; qu’il personnifie l’alliance des nationalités libres et qu’il est défendu par le bras puissant de l’Armée et de la Flotte rouges.

Ce qui fait la force de notre pays, sa vigueur, sa solidité, c’est la sympathie profonde et l’indestructible appui qu’il trouve dans le cœur des ouvriers et des paysans du monde entier.

Les ouvriers et les paysans de tous les pays veulent sauvegarder la République des Soviets, flèche lancée de la main sûre du camarade Lénine dans le camp ennemi ; base de l’espoir qu’ils ont de se libérer de l’oppression et de l’exploitation ; phare infaillible qui leur indique le chemin de l’affranchissement. Ils veulent la sauvegarder, et ils ne permettront pas aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes de la détruire. Là est notre force, là est la force des travailleurs de tous les pays.

Là aussi est la faiblesse de la bourgeoisie du monde entier. Lénine n’a jamais regardé la République des Soviets comme un but en soi. Il l’a toujours considérée comme un chaînon indispensable pour renforcer le mouvement révolutionnaire dans les pays d’Occident et d’Orient, comme un chaînon indispensable pour faciliter la victoire des travailleurs du monde entier sur le Capital.

Lénine savait que cette conception était la seule juste, au point de vue international comme au point de vue de la sauvegarde de la République soviétique Lénine savait que c’était le seul moyen d’enflammer le cœur de tous les travailleurs du monde pour les batailles décisives en vue de leur affranchissement.

Voilà pourquoi Lénine, le plus grand génie parmi les chefs géniaux du prolétariat, posait, au lendemain de l’instauration de la dictature du prolétariat, les fondements de l’Internationale des ouvriers. Voilà pourquoi il ne se lassa pas d’étendre et de consolider l’union des travailleurs de tous les pays : l’Internationale communiste.

Vous avez vu, ces derniers jours, le pèlerinage de dizaines et de centaines de milliers de travailleurs venus saluer la dépouille mortelle de Lénine. D’ici quelque temps, vous verrez le pèlerinage à son tombeau des représentants de millions de travailleurs.

Vous pouvez être certains qu’après ces représentants de millions de travailleurs, afflueront de tous les points du monde les représentants de dizaines et de centaines de millions d’hommes ; ils viendront témoigner que Lénine ne fut pas seulement le chef du prolétariat russe, des ouvriers d’Europe, des travailleurs de l’Orient colonial, mais aussi de toute l’humanité laborieuse du globe.

   En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé la fidélité aux principes de l’Internationale communiste. Nous te jurons, camarade Lénine, que nous n’épargnerons pas notre vie pour consolider et étendre l’union des travailleurs du monde entier, l’Internationale communiste !

=>Oeuvres de Staline

Staline : Réponse au camarade Notkine Alexandre Ilitch

21 avril 1952

   Camarade Notkine,

   Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que je ne juge pas urgentes les questions que vous posez. D’autant plus qu’il est d’autres questions ayant un caractère d’urgence et qui, naturellement, retiennent l’attention et la détournent de votre lettre.

   Je réponds point par point.

   Premier point.

   Dans mes « Remarques » figure la thèse selon laquelle la société n’est pas impuissante devant les lois de la science, que les hommes, en connaissant les lois économiques, peuvent les utiliser dans l’intérêt de la société.

Vous prétendez que cette thèse ne peut être étendue aux autres formations de la société, qu’elle n’est valable que pour le socialisme et le communisme, que le caractère spontané des processus économiques, par exemple, sous le capitalisme ne permet pas à la société d’utiliser les lois économiques dans son intérêt.

   C’est faux. A l’époque de la révolution bourgeoise, par exemple en France, la bourgeoisie a utilisé centre le féodalisme la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production féodaux, elle a créé des rapports de production nouveaux, bourgeois, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives, formées au sein du régime féodal.

La bourgeoisie l’a fait non pas en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée.

Les féodaux s’y opposaient non par stupidité, mais parce qu’ils étaient vivement intéressés à empêcher l’application de cette loi. Il faut en dire autant de la Révolution socialiste dans notre pays.

La classe ouvrière a utilisé la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production bourgeois, elle a créé des rapports de production nouveaux, socialistes, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives.

Elle a pu le faire, non en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée. La bourgeoisie qui, de force d’avant-garde à l’aube de la révolution bourgeoise, avait eu le temps de se transformer en une force contre-révolutionnaire, a résisté par tous les moyens à l’application de cette loi, — résisté non point par manque d’organisation ni parce que le caractère spontané des processus économiques la poussait à la résistance, mais principalement parce qu’elle était vivement intéressée à la non-application de cette loi.

   Par conséquent :

   1° L’utilisation des processus économiques, des lois économiques dans l’intérêt de la société a lieu, dans telle ou telle mesure, non seulement sous le socialisme et le communisme, mais aussi sous d’autres formations ;

   2° L’utilisation des lois économiques dans une société de classe, a toujours et partout des mobiles de classe, et le promoteur de l’utilisation des lois économiques dans l’intérêt de la société, est toujours et partout la classe d’avant-garde, tandis que les classes déclinantes s’y opposent.

   En l’occurrence, la différence entre le prolétariat, d’une part, et les autres classes qui accomplirent jadis, au cours de l’histoire, des révolutions dans les rapports de production, d’autre part, c’est que les intérêts de classe du prolétariat se fondent avec les intérêts de l’immense majorité de la société, car la révolution du prolétariat ne signifie pas la suppression de telle ou telle forme d’exploitation, mais la suppression de toute exploitation, tandis que les révolutions des autres classes, en supprimant simplement telle ou telle forme d’exploitation, n’allaient pas au delà de leurs intérêts de classe étroits, qui se trouvaient en contradiction avec les intérêts de la majorité de la société.

Les « Remarques » parlent des mobiles de classe qui font que les lois économiques sont utilisées dans l’intérêt de la société. Il y est dit :

   Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l’application d’une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l’application d’une nouvelle loi, qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces.

   Or vous n’avez prêté aucune attention à ce passage.

   Deuxième point.

   Vous prétendez que l’entière correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives, ne peut être obtenue que sous le socialisme et le communisme, et que sous les autres formations on ne peut réaliser qu’une correspondance incomplète.

   C’est faux. Dans l’époque qui a suivi la révolution bourgeoise, lorsque la bourgeoisie a détruit les rapports de production féodaux et instauré des rapports de production bourgeois, il y a eu incontestablement des périodes où les rapports de production bourgeois ont été entièrement conformes au caractère des forces productives. Autrement, le capitalisme n’aurait pas pu se développer aussi rapidement qu’il l’a fait après la révolution bourgeoise.

   Ensuite. On ne peut pas prendre dans leur acception absolue les mots « entière correspondance ». On ne peut pas les interpréter en ce sens que, sous le socialisme, les rapports de production ne marqueraient aucun retard sur l’accroissement des forces productives.

Les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production. Elles devancent, sans conteste, les rapports de production, en régime socialiste également. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les rapports de production s’adaptent au caractère des forces productives.

   Dès lors, comment faut-il comprendre les mots « entière correspondance » ? Il faut les comprendre en ce sens que d’une façon générale, sous le socialisme, les choses n’aboutissent pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives, que la société a la possibilité d’assurer en temps utile la correspondance entre les rapports de production retardataires et le caractère des forces productives.

La société socialiste a la possibilité de le faire parce qu’elle n’a pas, dans son sein, de classes déclinantes pouvant organiser la résistance. Certes, sous le socialisme également, il y aura des forces d’inertie retardataires, ne comprenant pas la nécessité de modifier les rapports de production, mais il sera, évidemment, facile d’en venir à bout, sans pousser les choses jusqu’à un conflit.

   Troisième point.

   Il ressort de vos raisonnements que vous considérez comme une marchandise les moyens de production et, tout d’abord, les instruments de production fabriqués par nos entreprises nationalisées.

   Peut-on considérer les moyens de production, dans notre régime socialiste, comme une marchandise ? Selon moi, on ne le peut en aucune façon.

La marchandise est un produit de la production, qui se vend à tout acheteur ; au moment de la vente, le propriétaire de la marchandise perd son droit de propriété, tandis que l’acheteur devient propriétaire de la marchandise ; il peut la revendre, la mettre en gage, la laisser pourrir. Cette définition convient-elle pour les moyens de production ? Il est clair que non.

D’abord, les moyens de production ne « se vendent » pas à tout acheteur, ils ne « se vendent » pas même aux kolkhozes ; ils sont simplement répartis par l’État entre ses entreprises. En second lieu, le propriétaire des moyens de production, l’Etat, lorsqu’il les remet à telle ou telle entreprise ne perd aucunement le droit de propriété sur les moyens de production, mais, au contraire, le conserve intégralement.

Troisièmement, les directeurs d’entreprises, qui ont reçu de l’État des moyens de production, non seulement n’en deviennent pas les propriétaires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l’État soviétique pour l’utilisation des moyens de production, en accord avec les plans fixés par l’État.

   Comme on le voit, les moyens de production, sous notre régime, ne sauraient aucunement être classés dans la catégorie des marchandises.

   Pourquoi alors parle-t-on de la valeur des moyens de production, de leur prix de revient, de leur prix de vente, etc. ?

   Pour deux raisons.

   Premièrement, cela est nécessaire pour les calculs, pour les règlements de comptes, pour établir la rentabilité ou la non-rentabilité des entreprises, pour vérifier et contrôler ces dernières. Mais ce n’est là que le côté formel de la question. Deuxièmement, cela est nécessaire pour pouvoir, dans l’intérêt du commerce extérieur, vendre des moyens de production aux États étrangers.

Ici, dans le domaine du commerce extérieur, mais seulement dans ce domaine, nos moyens de production sont effectivement des marchandises et se vendent effectivement (sans guillemets). Ainsi donc, dans le domaine du commerce extérieur, les moyens de production fabriqués par nos entreprises conservent les propriétés de marchandises tant pour le fond que pour la forme, tandis que dans les échanges économiques à l’intérieur du pays, les moyens de production perdent les propriétés des marchandises, cessent d’être des marchandises, sortent de la sphère d’action de la loi de la valeur et ne conservent que l’apparence extérieure de marchandises (calculs, etc.).

   Comment expliquer cette particularité ?

   C’est que dans nos conditions socialistes le développement économique se fait non par révolutions, mais par modifications graduelles, lorsque l’ancien n’est pas purement et simplement aboli, mais change de nature pour s’adapter au nouveau, et ne conserve que sa forme ; le nouveau, pour sa part, ne supprime pas purement et simplement l’ancien, mais le pénètre, modifie sa nature, ses fonctions, n’en brise pas la forme mais l’utilise pour le développement du nouveau.

Il en est ainsi des marchandises, mais aussi de la monnaie dans nos échanges économiques, il en va de même en ce qui concerne les banques qui, en perdant leurs anciennes fonctions et en en acquérant de nouvelles, conservent leur forme ancienne, utilisée par le régime socialiste.

   Si l’on envisage la question du point de vue formel, du point de vue des processus qui s’opèrent à la surface des événements, on en arrive à cette fausse conclusion que les catégories du capitalisme conservent soi-disant leur vigueur dans notre économie.

Mais si l’on analyse la question du point de vue marxiste, qui distingue strictement entre le contenu du processus économique et sa forme, entre les processus profonds de développement et les phénomènes superficiels, − on ne petit arriver qu’à cette conclusion, la seule juste : c’est que chez nous se sont principalement conservés la forme, l’aspect extérieur des anciennes catégories du capitalisme ; quant au fond, ces catégories ont changé radicalement, selon les nécessités du développement de l’économie nationale, de l’économie socialiste.

   Quatrième point.

   Vous prétendez que la loi de la valeur exerce une action régulatrice sur les prix des « moyens de production » produits par l’agriculture et livrée à l’État aux prix de stockage. Ce disant, vous avez en vue des « moyens de production » comme les matières premières, par exemple, le coton. Vous auriez pu ajouter le lin, la laine et autres matières premières agricoles.

   Notons tout d’abord qu’en l’occurrence l’agriculture ne produit pas les « moyens de production », mais un des moyens de production : les matières premières. On ne doit pas jouer sur les mots « moyens de production ».

Lorsque les marxistes parlent de la production des moyens de production, ils entendent tout d’abord la production des instruments de production, ce que Marx appelle les « moyens mécaniques de travail, dont l’ensemble peut être appelé l’ossature et la musculature de la production », système qui constitue les « indices distinctifs caractéristiques d’une époque donnée de la production sociale ».

Mettre sur le même plan une partie des moyens de production (matières premières) et les moyens de production, y compris les instruments de production, c’est pécher contre le marxisme, qui part du rôle déterminant des instruments de production par rapport à tous les autres moyens de production.

Chacun sait que les matières premières par elles-mêmes ne peuvent produire des instruments de production, bien que certaines variétés de matières premières soient indispensables à la fabrication des instruments de production, tandis qu’aucune matière première ne peut être produite sans instruments de production.

   Poursuivons.

L’action que la loi de la valeur exerce sur le prix des matières premières produites dans l’agriculture, est-elle une action régulatrice, comme vous le prétendez, camarade Notkine ?

Elle serait régulatrice si le « libre » jeu des prix des matières premières agricoles existait chez nous, si la loi de concurrence et d’anarchie de la production s’exerçait chez nous, si nous n’avions pas d’économie planifiée, si la production des matières premières n’était pas réglée par un plan.

Mais étant donné que tous ces « si » sont inexistants dans notre système d’économie nationale, l’action de la loi de la valeur sur les prix des matières premières agricoles ne peut en aucune façon être régulatrice. Premièrement, les prix qui existent chez nous sur les matières premières agricoles sont stables, établis par un plan, et non « libres ».

Deuxièmement, le volume de la production des matières premières agricoles n’est pas établi spontanément, ni par des éléments fortuits, mais par un plan. Troisièmement, les instruments de production nécessaires à la production des matières premières agricoles, ne sont pas concentrées entre les mains d’individus, ou de groupes d’individus, mais entre les mains de l’État.

Que reste-t-il après cela du rôle régulateur de la loi de la valeur ? On voit qu’elle-même est réglée par les faits indiqués plus haut, inhérente à la production socialiste. Par conséquent, on ne peut nier que la loi de la valeur agit sur la formation des prix des matières premières agricoles, qu’elle en est un des facteurs. A plus forte raison ne doit-on nier le fait que cette action n’est, ni ne peut être régulatrice.

   Cinquième point.

   En parlant de la rentabilité de l’économie nationale, de l’économie socialiste, j’ai élevé des objections dans mes « Remarques » contre certains camarades qui prétendent 
que, étant donné que notre économie nationale planifiée n’accorde pas une préférence marquée aux entreprises rentables et admet, à côté de celles-ci, des entreprises non rentables, notre économie tue soi-disant le principe même de la rentabilité dans l’économie.

Dans mes « Remarques », il est dit que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production, ne saurait aucunement être comparée à la rentabilité supérieure que nous donne la production socialiste, qui nous prémunit contre les crises de surproduction et nous garantit une augmentation incessante de la production.

   Mais on aurait tort d’en tirer la conclusion que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production n’a pas de valeur particulière et ne mérite pas une sérieuse attention.

Évidemment, c’est faux. La rentabilité des différentes entreprises et branches de production a une importance énorme pour le développement de notre production. On doit en tenir compte en planifiant la construction aussi bien que la production. C’est l’abc de notre activité économique au stade de développement actuel.

   Sixième point.

   On ne sait pas au juste comment il faut comprendre ce que vous dites à propos du capitalisme : « la production élargie sous un aspect sensiblement déformé ».

Pareilles productions, et encore élargies, n’existent pas dans la réalité. Après que le marché mondial s’est scindé et que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (États-Unis, Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales a commencé à se rétrécir, il est évident que le caractère cyclique du développement du capitalisme − accroissement et réduction de la production − doit cependant persister. Toutefois, l’accroissement de la production dans ces pays se fera sur une base restreinte, car le volume de la production ira diminuant dans ces pays.

   Septième point.

   La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la première guerre mondiale, notamment du fait que l’Union soviétique s’est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale. Pendant la deuxième guerre mondiale, la deuxième étape de la crise générale s’est développée, surtout après que se sont détachés du système capitaliste les pays de démocratie populaire en Europe et en Asie.

La première crise à l’époque de la première guerre mondiale et la seconde crise à l’époque de la seconde guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises distinctes, indépendantes, coupées l’une de l’autre, mais comme des étapes de développement de la crise générale du système capitaliste mondial.

   Cette crise générale du capitalisme mondial est-elle une crise uniquement politique ou uniquement économique ? Ni l’un ni l’autre.

Elle est générale, c’est-à-dire une crise généralisée du système capitaliste mondial, englobant l’économie aussi bien que la politique. On conçoit qu’à la base de cette crise se trouvent la décomposition toujours plus accentuée du système économique capitaliste mondial, d’une part, et la puissance économique grandissante des pays qui se sont détachés du capitalisme : l’U.R.S.S., la Chine et les autres pays de démocratie populaire, d’autre part.

=>Oeuvres de Staline

Staline : Lettre de Koutaïs

Ecrit en septembre-octobre 1904.
Traduit du géorgien.

[On a retrouvé, dans la correspondance de Lénine et de Nadiejda Kroupskaïa avec les organisations bolchéviks de Russie, deux lettre de Staline expédiées de Koutaïs. Ces lettres ont été écrites pendant le séjour qu’il y fit en septembre-octobre 1904, et elles sont adressées à un camarade, M. Davitachvili, comme lui militant révolutionnaire de Transcaucasie, qui, résidant alors à Leipzig, en Allemagne, faisait partie du groupe bolchévik de cette ville.

Dans ses souvenirs, un autre membre du groupe bolchévik de Leipzig, D. Souliachvili, écrit au sujet de ces lettres : « Nous recevions du camarade Staline des lettres chaleureuses sur Lénine, elles étaient adressées au camarade M. Davitachvili.

Il y admirait Lénine, la fermeté de sa tactique, purement marxiste, les solutions qu’il apportait aux problèmes de l’organisation du parti, etc…

Dans une de ces lettres, le camarade Staline disait de Lénine qu’il était un « aigle des montagnes » et s’enthousiasmait pour la lutte intransigeante que celui-ci menait contre les menchéviks.

Nous avions fait parvenir ces lettres à Lénine et bientôt nous reçûmes de lui une réponse où il appelait Staline « l’ardent Colchidien ». (Voir L. Béria : Contribution à l’histoire des organisations bolchéviks de Transcaucasie, 6e édition russe, p. 89). Les originaux géorgiens de ces lettres n’ont pas été retrouvés. ]

Maintenant on a besoin ici de l’Iskra [2] [l’Etincelle] (bien qu’elle manque d’étincelle, on en a quand même besoin : elle a du moins sa chronique et, que diable, il faut bien connaître aussi l’ennemi) à partir du numéro 63. Nous avons grand besoin des publications de Bontch-Brouévitch [3] : « La lutte pour le congrès », « Au Parti » (ne s’agit-il pas de la déclaration des 22 [4]), « Nos malentendus », « Sur l’essence du socialisme » et « A propos des grèves » de Riadovoï (si elles ont paru), la brochure de Lénine contre Rosa et Kautsky [5], les Procès-verbaux du congrès de la Ligue [6], Un pas en avant [7] (cela peut attendre, si le temps manque). Il nous faut les moindres nouveautés, depuis les simples déclarations jusqu’aux grosses brochures, tout ce qui concerne tant soit peu la lutte actuelle à l’intérieur du parti.

J’ai lu la brochure de Galiorka : A bas le bonapartisme ! Ce n’est pas mal. S’il martelait plus fortement et plus profondément, cela vaudrait mieux. En prenant un ton badin et en demandant grâce, il ôte de la force et du poids à ses coups et gâte l’impression produite sur le lecteur. Ce défaut saute d’autant plus aux yeux que, visiblement, l’auteur comprend fort bien notre position ; il explique et développe parfaitement certains problèmes. Un homme qui professe notre point de vue doit parler d’une voix ferme et résolue. Sous ce rapport, Lénine est un véritable aigle des montagnes.

J’ai lu de même les articles de Plékhanov, dans lesquels il analyse Que faire ? Cet homme a perdu la raison, ou bien ce sont la haine et l’animosité qui parlent en lui. Je pense que l’une et l’autre de ces explications sont valables. Je pense aussi que Plékhanov est en retard sur les nouveaux problèmes.

Il se croit toujours en présence de ses anciens contradicteurs et répète comme par le passé : « La conscience sociale est déterminée par l’être social », « les idées ne tombent pas du ciel ». Comme si Lénine disait que le socialisme était possible du temps de l’esclavage et du servage ! Aujourd’hui les lycéens eux-mêmes savent que « les idées ne tombent pas du ciel ». Mais le fait est qu’il s’agit maintenant de tout autre chose. Il y a beau temps que nous nous sommes assimilé cette question générale.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de savoir comment, à partir d’idées isolées s’élabore un système d’idées (la théorie du socialisme) ; comment des idées isolées et des bribes d’idées s’ordonnent en un système cohérent, — la théorie du socialisme, — et qui les élabore et les relie les unes aux autres. Qui donne un programme et les fondements théoriques du programme : les masses à leurs dirigeants ou les dirigeants aux masses ?

Si ce sont les masses elles-mêmes et leur mouvement spontané qui nous donnent la théorie du socialisme, point n’est besoin de les préserver de l’influence néfaste du révisionnisme, du terrorisme, du zoubatovisme [8], de l’anarchisme : « le mouvement spontané engendre de lui-même le socialisme ». Mais si le mouvement spontané n’engendre pas de lui-même la théorie du socialisme) c’est donc que cette dernière naît en dehors du mouvement spontané, qu’elle naît de l’observation et de l’étude du mouvement spontané faites par des hommes qui sont armés des connaissances de notre époque.

Autrement dit, la théorie du socialisme s’élabore « tout à fait indépendamment du progrès du mouvement spontané », et même à l’encontre de ce mouvement ; c’est ensuite seulement qu’elle est introduite du dehors dans ce mouvement, qu’elle le rectifie conformément à son propre contenu, c’est-à-dire conformément aux exigences objectives de la lutte de classe du prolétariat.

La conclusion (la déduction pratique), la voici : élevons le prolétariat jusqu’à la conscience de ses intérêts de classe véritables, jusqu’à la conscience de l’idéal socialiste, au lieu de galvauder cet idéal en vétilles et de l’accommoder au mouvement spontané.

Lénine a établi la base théorique sur laquelle s’édifie précisément cette déduction pratique. Il suffit d’adopter cette prémisse théorique pour être immunisé contre tout opportunisme. En cela réside l’importance de l’idée léniniste, parce que personne, dans les publications russes, ne l’a exprimée avec autant de clarté que Lénine. Plékhanov se croit toujours aux années 1890-1900 et il remâche ce qui a déjà été mâché dix-huit fois : à savoir que deux et deux font quatre. Et il n’a pas honte d’en arriver à reprendre les idées de Martynov…

Tu connais certainement la déclaration des 22… Il est venu ici un camarade de chez vous, qui a emporté les résolutions des comités du Caucase, favorables à un congrès extraordinaire du parti.

Tu as tort de désespérer : seul le comité de Koutaïs hésitait, mais je suis parvenu à les convaincre, et ils ne jurent plus à présent que par le bolchévisme.

Il n’a pas été difficile de les convaincre : la politique de duplicité du Comité central est devenue évidente grâce à la déclaration des 22, et après les nouveaux renseignements recueillis là-dessus, le doute n’était plus permis. Il (le C.C.) se rompra le cou, les camarades russes et ceux d’ici feront tout pour cela. Tout le monde a une dent contre lui.

Notes

[2] Il s’agit de la nouvelle Iskra, de l’Iskra menchévik. Après le IIe Congrès du POSDR, les menchéviks, s’étant emparé de l’Iskra avec le concours de Plékhanov, l’utilisèrent pour lutter contre Lénineet les bolchéviks. Ils se mirent à diffuser ouvertement dans ses colonnes leurs vues opportunistes . L’Iskra menchévik parut jusqu’en octobre 1905.

[3] Après que les menchéviks se furent emparé de la rédaction de l’Iskra, V. Bontch-Brouévitch, sur mandat de Lénine, organisa en automne 1904 un service d’édition chargé de publier « la littérature du parti, consacrée notamment à la défense de la position de principe de la majorité du IIe congrès du parti ». Le Conseil du parti et le Comité central, qui se trouvaient alors aux mains des menchéviks, entravaient de mille manières l’impression et la diffusion de la littérature bolchévik. Aussi la conférence des comités bolchéviks du Caucase, qui se tint en novembre 1904, adopta-t-elle la résolution suivante « Sur la littérature de la majorité » : « La conférence invite le Comité central à fournir aux comités du parti les publications du groupe de Bontch-Brouévitch et de Lénine, en même temps que toutes les autres publications du parti, traitant des divergences dans le parti ». A la fin de décembre 1904, c’est le journal V périod [En avant], organisé par Lénine, qui se chargea de ce service d’édition.

[4] « La déclaration des 22 », est un message Au Parti, rédigé par Lénine. Ce message fut adoptée à une conférence bolchévik qui se tint en Suisse sous la direction de Lénine au mois d’août 1904. La brochure Au Parti, mentionnée dans la lettre de Staline, contient, outre le message Au Parti, les résolutions des comités de Riga et de Moscou, et aussi celle du groupe bolchévik de Genève, qui s’étaient ralliés aux résolutions de la conférence des 22 bolchéviks. Le message Au Parti devint pour les bolchéviks le programme de lutte en vue du IIIe congrès. La plupart des comités du P.O.S.D.R. se solidarisèrent avec les résolutions de la conférence bolchévik. En septembre 1904, le Comité de l’Union caucasienne, les comités de Tiflis et d’Imérétie-Mingrélie se rallièrent à la « Déclaration des 22 » et entreprirent un travail d’agitation pour la convocation immédiate du IIIe congrès du parti.

[5] L’article de Lénine : « Un pas en avant, deux pas en arrière » , rédigé en septembre 1904, est une réponse à celui de Rosa Luxembourg ; « Les questions d’organisation de la social-démocratie russe », publié dans le n°69 de l’Iskra et dans les n°42 et 43 de la Neue Zeit, ainsi qu’à la lettre de Karl Kautsky, parue dans le n°66 de l’Iskra. Lénine destinait sa réponse à la Neue Zeit , mais la rédaction de celle-ci, qui sympathisait avec les menchéviks, refusa de la publier.

[6] Procès-verbaux du IIe congrès de la Ligue de la social-démocratie révolutionnaire russe à l’étranger, publiés par la Ligue en 1904, à Genève.

[7] Le livre de Lénine : Un pas en avant, deux pas en arrière, écrit en février-mai, parut le 6 (19) mai 1904. (Voir Œuvres, 4e éd. russe, t. VII, p. 185 à 392, et Œuvres choisies, en français, t. Ier, p. 324 à 414, Moscou, 1948).

[8] Zoubatov (1864-1917) : chef de l’Okhrana (police politique du tsar) de Moscou, inspirateur de ce que l’on a appelé le socialisme politique. Zoubatov créa de prétendus organisations ouvrières, notamment en 1902, des sociétés de secours mutuels dans les usines de Saint-pétersbourg et de Moscou, pour détourner les ouvriers de la lutte révolutionnaire et les placer sous le contrôle de la police.

=>Oeuvres de Staline

Staline : À tous les ouvriers

Publié d’après le texte du tract édité le 19 octobre 1905
par l’imprimerie clandestine (d’Avlabar) de l’Union caucasienne du P.O.S.D.R.
Signé :
 Le Comité de Tiflis.
Traduit du géorgien.

La révolution gronde ! Le peuple révolutionnaire de Russie est debout ; il presse de toutes parts le gouvernement tsariste pour lui livrer assaut !

Les drapeaux rouges flottent au vent ; on dresse des barricades, le peuple prend les armes et attaque les établissements publics. De nouveau retentit l’appel des braves ; de nouveau gronde la vie qui s’était comme assoupie. Le vaisseau de la révolution, toutes voiles dehors, cingle vers la liberté. C’est le prolétariat de Russie qui le conduit.

Que veulent les prolétaires de Russie et où vont-ils ? Renversons la Douma tsariste et instituons une Assemblée nationale constituante : voilà ce que disent aujourd’hui les prolétaires de Russie. Le prolétariat ne demandera pas au gouvernement de menues concessions ; il ne lui demandera pas d’abroger la « loi martiale » et de mettre un terme aux « exécutions militaires » dans quelques villes et villages, — le prolétariat ne s’abaissera pas à de pareilles bagatelles.

Qui demande des concessions au gouvernement ne croit pas à la mort de ce gouvernement ; or le prolétariat est tout pénétré de cette croyance.

Qui attend du gouvernement certains « avantages », ne croit pas à la force de la révolution ; or le prolétariat est animé par cette croyance. Non ! le prolétariat ne dispersera pas son énergie en revendications déraisonnables. Il n’a qu’une revendication à présenter à l’autocratie tsariste : à bas l’autocratie, mort à l’autocratie !

Et voici qu’à travers les étendues de la Russie retentit, toujours plus hardi, l’appel révolutionnaire des ouvriers : A bas la Douma d’Etat ! Vive l’Assemblée nationale constituante ! Voilà vers quoi s’oriente aujourd’hui le prolétariat de Russie.

Le tsar n’accorde pas une Assemblée nationale constituante ; le tsar n’abolira pas sa propre autocratie, — non, cela, il ne le fera pas ! La « constitution » étriquée qu’il « octroie » est une concession, nous ne refuserons pas d’arracher la noix à la corneille pour lui casser la tête avec. Mais le fait n’en reste pas moins que le peuple ne peut se fier à la promesse du tsar, qu’il ne doit se fier qu’à lui-même, qu’il ne doit compter que sur sa force : l’émancipation du peuple doit être l’oeuvre du peuple lui-même. Ce n’est que sur les ossements des oppresseurs que peut être édifiée la liberté du peuple ; ce n’est qu’avec le sang des oppresseurs que peut être fertilisé le sol où s’épanouira le pouvoir absolu du peuple !

C’est seulement quand le peuple en armes entrera en action, avec le prolétariat à sa tête, et quand il brandira le drapeau de l’insurrection générale, que pourra être renversé le gouvernement tsariste, fort de ses baïonnettes. Pas de phrases creuses, pas d’ « auto-armement » absurde, mais un armement réel et l’insurrection armée : voilà vers quoi s’orientent aujourd’hui les prolétaires de toute la Russie.

L’insurrection victorieuse aboutira à la défaite du gouvernement. Mais plus d’une fois les gouvernements battus se sont relevés. Le nôtre aussi peut le faire. Les forces ténébreuses qui, pendant l’insurrection, se cachent dans les trous, en sortiront dés le lendemain et voudront remettre sur pied le gouvernement. C’est ainsi que les gouvernements vaincus ressuscitent d’entre les morts. Le peuple doit absolument juguler ces forces ténébreuses, les anéantir ! Il faut pour cela que, dés le lendemain de l’insurrection, du plus petit combattant au plus grand, le peuple vainqueur s’arme et devienne une armée révolutionnaire, toujours prête à défendre, les armes à la main, les droits qu’il aura conquis.

C’est seulement quand le peuple vainqueur sera devenu armée révolutionnaire qu’il sera en mesure d’écraser définitivement les forces ténébreuses tapies dans leurs antres. Seule l’armée révolutionnaire peut donner de la force aux actes du gouvernement provisoire ; seul le gouvernement provisoire pourra convoquer l’Assemblée nationale constituante qui doit instaurer la république démocratique. Une armée révolutionnaire et un gouvernement provisoire révolutionnaire, voilà vers quoi s’orientent aujourd’hui les prolétaires de Russie.

Telle est la voie où s’est engagée la révolution russe. Elle conduit au pouvoir absolu du peuple, et le prolétariat appelle tous les amis du peuple à suivre ce chemin.

L’absolutisme tsariste barre la route à la révolution populaire ; il veut par son manifeste d’hier, freiner ce grand mouvement : il est clair que les vagues de la révolution submergeront et balaieront l’absolutisme tsariste…

Mépris et haine pour tous ceux qui ne suivront pas la voie du prolétariat, car ils trahissent bassement la révolution. Honte à ceux qui en fait se sont engagés dans cette voie, mais tiennent un autre langage : ceux-là craignent la vérité par pusillanimité !

Quant à nous, nous ne craignons pas la vérité, nous ne craignons pas la révolution ! Que le tonnerre gronde plus fort, que la tempête se déchaîne avec plus de violence ! L’heure de la victoire est proche !

Proclamons donc avec enthousiasme les mots d’ordre du prolétariat de Russie :

À bas la Douma d’Etat !
Vive l’insurrection armée !
Vive l’armée révolutionnaire !
Vive l’Assemblée nationale constituante !
Vive la république démocratique !
Vive le prolétariat !

=>Oeuvres de Staline

Staline : Sur le projet de constitution de l’URSS

Rapport présenté au VIIIe congrès extraordinaire des Soviets de l’URSS le 25 novembre 1936.

I – LA COMMISSION DE LA CONSTITUTION,
SA FORMATION ET SES TACHES

Camarades,

La Commission de la Constitution, dont le projet est soumis à l’examen de ce congrès, a été formée, comme on sait, par décision spéciale du VIIe congrès des Soviets de l’U.R.S.S.

Cette décision fut adoptée le 6 février 1935.

On y lit :

1. Apporter à la Constitution de l’U.R.S.S. des modifications en vue a) de démocratiser encore le système électoral, en remplaçant les élections incomplètement égales par des élections égales, les élections à plusieurs degrés par des élections directes, le vote public par le scrutin secret ;b) de préciser la base sociale et économique de la Constitution, pour faire correspondre celle-ci avec l’actuel rapport des forces de classes en U.R.S.S. (création d’une nouvelle industrie socialiste ; écrasement de la classe des koulaks ; victoire du régime kolkhozien ; affermissement de la propriété socialiste comme base de la société soviétique, etc.)

2. Inviter le Comité exécutif central de l’U.R.S.S. à élire une Commission de la Constitution, chargée d’établir le texte rectifié de la Constitution sur les bases indiquées au paragraphe 1, et de le soumettre à l’approbation de la session du Comité exécutif central de l’U.R.S.S.

3. Procéder aux prochaines élections ordinaires des organes du pouvoir soviétique de l’U.R.S.S. sur la base du nouveau système électoral.

Cela se passait le 6 février 1935. Un jour après l’adoption de cette décision, c’est à dire le 7 février 1935, se réunissait la première session du Comité exécutif central de l’U.R.S.S., qui, en exécution de la décision du Vile congrès des Soviets de l’U.R.S.S., formait la Commission de la Constitution, composée de 31 membres. Elle chargea cette Commission d’établir le projet du texte rectifié de la Constitution de l’U.R.S.S.

Tels sont les motifs officiels et les directives de l’organisme suprême de l’U.R.S.S., qui devaient servir de base aux travaux de la Commission de la Constitution. Ainsi donc, la Commission de la Constitution devait apporter des changements à la Constitution adoptée en 1924, actuellement en vigueur, en tenant compte des transformations qui ont été réalisées dans la vie de l’U.R.S.S. vers le socialisme, depuis 1924 jusqu’à nos jours.

II – LES CHANGEMENTS INTERVENUS DANS LA VIE DE L’U.R.S.S. PENDANT LA PERIODE 1924-1936

Quels sont les changements qui sont intervenus dans la vie de l’U.R.S.S. pendant la période 1924-1936, et que la Commission de la Constitution devait refléter dans son projet de Constitution ?

Quel est le fond de ces changements ?

Qu’avions-nous en 1924 ?

C’était la première période de la Nep, alors que le pouvoir soviétique avait permis une certaine reprise du capitalisme, tout en faisant le maximum ; pour développer le socialisme ; alors qu’il se proposait, au cours de la compétition entre les deux systèmes économiques — capitaliste et socialiste — d’organiser la prépondérance du système socialiste sur le système capitaliste. La tâche était de consolider pendant cette compétition les positions du socialisme, d’obtenir la liquidation des éléments capitalistes et d’achever la victoire du système socialiste, système fondamental de l’économie nationale. Notre industrie offrait alors un tableau peu enviable, l’industrie lourde surtout.

Il est vrai qu’elle se rétablissait peu à peu, mais elle était encore loin d’avoir porté sa production au niveau d’avant-guerre. Elle était basée sur une technique vieille, arriérée et pauvre. Certes, elle se développait vers le socialisme. La part du secteur socialiste de notre industrie était alors d’environ 80 %. Cependant le secteur capitaliste ne détenait pas moins de 20 % de l’industrie. Notre agriculture offrait un tableau encore moins attrayant.

Il est vrai que la classe des grands propriétaires fonciers était déjà liquidée ; par contre la classe des capitalistes agricoles, la classe des koulaks, représentait encore une force assez considérable. Dans son ensemble l’agriculture était comme un immense océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée, médiévale.

Dans cet océan, kolkhoz et sovkhoz formaient des points et des îlots ; ils n’avaient pas encore, à proprement parler, une importance tant soit peu sérieuse dans notre économie nationale. Les kolkhoz et sovkhoz étaient faibles, tandis que le koulak était encore en force. Nous parlions alors non de la liquidation de la classe des koulaks, mais de sa limitation.

Il faut en dire autant des échanges dans le pays. Le secteur socialiste dans le domaine des échanges représentait quelque 50 ou 60 %, pas plus, et tout le reste du champ d’activité était occupé par les marchands, les spéculateurs et autres commerçants privés. Tel était le tableau de notre économie en 1924.

Où en sommes-nous maintenant, en 1936 ?

Si nous étions alors à la première période de la Nep, au début de la Nep, dans la période d’une certaine reprise du capitalisme, nous en sommes maintenant dans la dernière période de la Nep, à la fin de la Nep, en période de liquidation complète du capitalisme dans toutes les sphères de l’économie nationale.

Ainsi, par exemple, notre industrie, durant cette période, est devenue une force gigantesque. Maintenant, on ne peut plus la qualifier d’industrie faible et techniquement mal équipée. Au contraire, elle est maintenant basée sur une technique nouvelle, riche et moderne, avec une industrie lourde fortement développée et des constructions mécaniques encore plus développées.

Mais le plus important, c’est que le capitalisme a été complètement chassé de notre industrie, et que la forme socialiste de production y domine actuellement sans partage. On ne saurait négliger le fait que la production de notre industrie socialiste d’aujourd’hui dépasse de plus de sept fois celle de l’industrie d’avant-guerre.

Dans l’agriculture, au lieu d’un océan de petites exploitations paysannes individuelles, avec leur technique arriérée et l’emprise des koulaks, nous avons maintenant la plus grande production mécanisée du monde, et armée d’une technique moderne : un vaste système de kolkhoz et de sovkhoz.

Tout le monde sait que lia classe des koulaks a été liquidée dans l’agriculture, et que le secteur des petites exploitations paysannes individuelles, avec sa technique arriérée, médiévale, occupe maintenant une place insignifiante ; sa part dans l’agriculture, pour l’étendue des surfaces ensemencées, représente 2 à 3 % au plus.

On ne peut s’empêcher de constater que les kolkhoz disposent aujourd’hui de 316.000 tracteurs d’une puissance de 5.700.000 CV, et, avec les sovkhoz, ils totalisent plus de 400.000 tracteurs d’une puissance de 7.580.000 CV. En ce qui concerne les échanges dans le pays, les marchands et spéculateurs ont été chassés complètement de ce domaine. Tout le commerce est aujourd’hui entre les mains de l’Etat, des coopératives et des kolkhoz.

Un nouveau commerce est né et s’est développé, le commerce soviétique, commerce sans spéculateurs, sans capitalistes. Ainsi la victoire totale du système socialiste dans toutes les sphères de l’économie nationale est désormais un fait acquis.

Et qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que l’exploitation de l’homme par l’homme a été supprimée, liquidée, et que la propriété socialiste des instruments et moyens de production s’est affirmée comme la base inébranlable de notre société soviétique. (Applaudissements prolongés.) Ces changements dans l’économie nationale de l’U.R.S.S. font que nous avons aujourd’hui une nouvelle économie, l’économie socialiste, qui ignore les crises et le chômage, qui ignore la misère et la ruine, et offre aux citoyens toutes possibilités d’une vie d’aisance et de culture.

Tels sont pour l’essentiel les changements survenus dans notre économie, de 1924 à 1936.

Ces changements dans l’économie de l’U.R.S.S. ont entraîné des changements dans la structure de classe de notre société. On sait que la classe des grands propriétaires fonciers avait déjà été liquidée à la suite de notre victoire finale dans la guerre civile. Les autres classes exploiteuses ont partagé le même sort. Plus de classe des capitalistes dans l’industrie. Plus de classe des koulaks dans l’agriculture. Plus de marchands et spéculateurs dans le commerce. De sorte que toutes les classes exploiteuses ont été liquidées. Est restée la classe ouvrière. Est restée la classe des paysans.

Sont restés les intellectuels.

Mais on aurait tort de croire que ces groupes sociaux n’ont subi aucun changement pendant la période envisagée et qu’ils sont demeurés ce qu’ils étaient, disons, à l’époque du capitalisme. Prenons, par exemple, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. On, l’appelle souvent, par vieille habitude, prolétariat. Mais qu’est-ce que le prolétariat ?

Le prolétariat est une classe privée des instruments et moyens de production dans le système économique où instruments et moyens de production appartiennent aux capitalistes, et où la classe des capitalistes exploite le prolétariat.

Le prolétariat est une classe exploitée par les capitalistes. Mais chez nous, on le sait, la classe des capitalistes est déjà liquidée ; les instruments et moyens de production ont été enlevés aux capitalistes et remis à l’Etat, dont la force dirigeante est la classe ouvrière.

Par conséquent, il n’y a plus de classe de capitalistes qui pourrait exploiter la classe ouvrière. Par conséquent notre classe ouvrière, non seulement n’est pas privée des instruments et moyens de production ; au contraire, elle les possède en commun avec le peuple entier. Et du moment qu’elle les possède, et que la classe des capitalistes est supprimée, toute possibilité d’exploiter la classe ouvrière est exclue.

Peut-on après cela appeler notre classe ouvrière prolétariat ? Il est clair que non. Marx disait : pour s’affranchir, le prolétariat doit écraser la classe des capitalistes, enlever aux capitalistes les instruments et moyens de production et supprimer les conditions de production qui engendrent le prolétariat. Peut-on dire que la classe ouvrière de l’U.R.S.S. a déjà réalisé ces conditions de son affranchissement ?

On peut et on doit le dire incontestablement. Et qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que le prolétariat de l’U.R.S.S. est devenu une classe absolument nouvelle, la classe ouvrière de l’U.R.S.S., qui a anéanti le système capitaliste de l’économie, affermi la propriété socialiste des instruments et moyens de production, et qui oriente la société soviétique dans la voie du communisme.

Comme vous voyez, la classe ouvrière de l’U.R.S.S. est une classe ouvrière absolument nouvelle, affranchie de l’exploitation, une classe ouvrière comme n’en a jamais connu l’histoire de l’humanité. Passons à la question de la paysannerie.

On a coutume de dire que la paysannerie est une classe de petits producteurs dont les membres, atomisés, dispersés sur toute la surface du pays, besognant chacun de leur côté dans leurs petites exploitations, avec leur technique arriérée, sont esclaves de la propriété privée et sont impunément exploités par les grands propriétaires fonciers, les koulaks, les marchands, les spéculateurs, les usuriers, etc.

En effet, la paysannerie des pays capitalistes, si l’on considère sa masse fondamentale, constitue précisément cette classe.

Peut-on dire que notre paysannerie d’aujourd’hui, la paysannerie soviétique, ressemble dans sa grande masse à cette paysannerie-là ? Non, on ne peut le dire.

Cette paysannerie-là n’existe plus chez nous. Notre paysannerie soviétique est une paysannerie absolument nouvelle. Il n’existe plus chez nous de grands propriétaires fonciers ni de koulaks, de marchands ni d’usuriers, pour exploiter les paysans. Par conséquent, notre paysannerie est une paysannerie affranchie de l’exploitation.

Ensuite notre paysannerie soviétique, dans son immense majorité, est une paysannerie kolkhozienne, c’est-à-dire qu’elle base son travail et son avoir non sur le travail individuel et une technique arriérée, mais sur le travail collectif et la technique moderne. Enfin l’économie de notre paysannerie est fondée, non sur la propriété privée, mais sur la propriété collective qui a grandi sur la base du travail collectif.

La paysannerie soviétique, vous le voyez, est comme n’en a pas encore connu l’histoire de l’humanité. une paysannerie absolument nouvelle.

Passons enfin à la question des intellectuels, des ingénieurs et techniciens, des travailleurs du front culturel, des employés en général, etc. Les intellectuels ont eux aussi subi de grands changements au cours de la période écoulée.

Ce ne sont plus ces vieux intellectuels encroûtés, qui prétendaient se placer au-dessus des classes, mais qui, dans leur masse, servaient en réalité les grands propriétaires fonciers et les capitalistes. Nos intellectuels soviétiques, ce sent des intellectuels absolument nouveaux, liés par toutes leurs racines à la classe ouvrière et à la paysannerie.

Tout d’abord, la composition sociale des intellectuels a changé. Les éléments issus de la noblesse et de la bourgeoisie représentent un faible pourcentage de nos intellectuels soviétiques. 80 à 90 % des intellectuels soviétiques sont issus de la classe ouvrière, de la paysannerie et d’autres catégories de travailleurs.

Enfin le caractère même de l’activité des intellectuels a changé. Autrefois ils devaient servir les classes riches, parce qu’ils n’avaient pas d’autre issue. Maintenant ils doivent servir le peuple, parce qu’il n’existe plus de classes exploiteuses.

Et c’est précisément pourquoi ils sont aujourd’hui membres égaux de la société soviétique, où, avec les ouvriers et les paysans attelés à la même besogne, ils travaillent à l’édification d’une société nouvelle, de la société socialiste sans classes. Ce sont, vous le voyez bien, des travailleurs intellectuels absolument nouveaux, comme vous n’en trouverez dans aucun pays du globe. Tels sont les changements survenus au cours de la période écoulée dans la structure sociale de la société soviétique.

Qu’attestent ces changements ?

Ils attestent, premièrement, que les démarcations entre la classe ouvrière et la paysannerie, de même qu’entre ces classes et les intellectuels, s’effacent et que disparaît le vieil exclusivisme de classe. C’est donc que la distance entre ces groupes sociaux diminue de plus en plus.

Ils attestent, deuxièmement, que les contradictions économiques entre ces groupes sociaux tombent, s’effacent.

Ils attestent enfin que tombent et s’effacent également les contradictions politiques qui existent entre eux.

Il en est ainsi des changements survenus dans la structure de classe de l’U.R.S.S. Le tableau des changements dans la vie sociale de l’U.R.S.S. serait incomplet, si l’on ne disait quelques mots des changements intervenus dans un autre domaine encore. Je veux parler des rapports entre nations, en U.R.S.S. Comme on sait, l’Union soviétique comprend environ 60 nations, groupes nationaux et nationalités. L’Etat soviétique est un Etat multinational. On conçoit que la question des rapports entre les peuples de l’U.R.S.S. soit pour nous d’une importance de premier ordre.

L’Union des Républiques socialistes soviétiques s’est formée, on le sait, en 1922, au Premier congrès des Soviets de l’U.R.S.S. Elle s’est formée sur la base de l’égalité et de la libre adhésion des peuples de l’U.R.S.S. La Constitution adoptée en 1924, actuellement en vigueur, est la première constitution de l’U.R.S.S.

C’était une période où les relations entre les peuples n’étaient pas encore dûment établies, où les survivances de la défiance à l’égard des Grands-Russes n’avaient pas encore disparu, où les forces centrifuges continuaient encore à agir.

Dans ces conditions il fallait établir la collaboration fraternelle des peuples sur la base d’une assistance mutuelle, économique, politique et militaire, en les groupant dans un seul Etat multinational fédéral. Le pouvoir soviétique voyait bien les difficultés de cette tâche. Il avait devant lui les expériences malheureuses des Etats multinationaux dans le monde bourgeois. Il avait devant lui l’expérience avortée de l’ancienne Autriche Hongrie. Et cependant il décida de faire l’expérience de la création d’un Etat multinational, parce qu’il savait qu’un Etat multinational, ayant pour base le socialisme, devait triompher de toutes les épreuves.

Depuis, quatorze ans ont passé. Période suffisante pour vérifier l’expérience. Eh bien ?

La période écoulée a montré indubitablement que l’expérience de la formation d’un Etat multinational, basé sur le socialisme, a pleinement réussi. C’est là une victoire incontestable de la politique léniniste dans la question nationale. (Applaudissements prolongés.) Comment expliquer cette victoire ?

Absence de classes exploiteuses, principales organisatrices des collisions entre nations ; absence de l’exploitation qui entretient la méfiance réciproque et attise les passions nationalistes ; présence, au pouvoir, de la classe ouvrière, ennemie de tout asservissement et fidèle champion des idées d’internationalisme ; réalisation pratique de l’assistance mutuelle entre peuples dans tous les domaines de la vie économique et sociale ; enfin, épanouissement de la culture nationale des peuples de l’U.R.S.S., nationale par la forme, socialiste par le contenu : tous ces facteurs et autres analogues ont fait que la physionomie des peuples de l’U.R.S.S. a radicalement changé ; que le sentiment de la méfiance réciproque a disparu chez eux ; qu’en eux s’est développé un sentiment d’amitié réciproque, et que s’est établie ainsi une véritable collaboration fraternelle des peuples, au sein de l’Etat fédéral unique.

C’est ce qui fait que nous avons aujourd’hui un Etat socialiste multinational parfaitement constitué, qui a triomphé de toutes les épreuves et dont la solidité peut faire envie à n’importe quel Etat fondé sur une seule nation, de n’importe quelle partie du monde. (Vifs applaudissements.)

Tels sont les changements survenus pendant la période écoulée dans les rapports entre nations, en U.R.S.S.

Tel est le bilan général des changements intervenus dans la vie économique, politique et sociale de l’U.R.S.S., au cours de la période 1924-1936.

III – PARTICULARITES ESSENTIELLES
DU PROJET DE CONSTITUTION

Comment tous ces changements de la vie de l’U.R.S.S. ont-ils été marqués dans le projet de la nouvelle Constitution ?

Autrement dit : quelles sont les particularités essentielles du projet de Constitution soumis à l’examen de ce congrès ?

La Commission de la Constitution avait été chargée d’apporter des changements au texte de la Constitution de 1924. Des travaux de cette Commission est sorti un texte nouveau, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. En établissant ce projet la Commission est partie du principe qu’une constitution ne doit pas être confondue avec un programme.

Cela veut dire qu’entre un programme et une constitution il existe une différence essentielle. Alors qu’un programme expose ce qui n’est pas encore et ce qui doit seulement être obtenu et conquis dans l’avenir, une constitution, au contraire, doit exposer ce qui est déjà, ce qui a déjà été obtenu et conquis maintenant, dans le présent. Le programme concerne principalement l’avenir ; la Constitution, le présent. Deux exemples à titre d’illustration.

Notre société soviétique a d’ores et déjà réalisé le socialisme, dans l’essentiel ; elle a créé l’ordre socialiste, c’est-à-dire qu’elle a atteint ce que, en d’autres termes, les marxistes appellent la première phase ou phase inférieure du communisme.

Cela veut dire que la première phase du communisme, le socialisme, est déjà réalisée chez nous, dans l’essentiel. (Applaudissements prolongés.) Le principe fondamental de cette phase du communisme est, on le sait, la formule : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » Notre Constitution doit-elle marquer ce fait, celui de la conquête du socialisme ? Doit-elle être basée sur cette conquête ?

Elle doit l’être incontestablement. Elle doit l’être parce que le socialisme, pour l’U.R.S.S., est ce qui a déjà été obtenu et conquis. Mais la société soviétique n’a pas encore réalisé le communisme dans sa phase supérieure, où le principe dominant sera la formule : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », encore qu’elle se fixe comme but de réaliser le communisme dans sa phase supérieure.

Notre Constitution peut-elle être basée sur la phase supérieure du communisme, qui n’est pas encore et qui doit encore être conquise ? Non, elle ne peut pas l’être, car la phase supérieure du communisme c’est, pour l’U.R.S.S., ce qui n’est pas encore réalisé et ce qui doit l’être dans l’avenir. Elle ne peut pas l’être si on ne veut pas transformer la Constitution en programme ou en simple déclaration sur les futures conquêtes.

Tel est le cadre de notre Constitution dans le moment historique actuel. Ainsi le projet de la nouvelle Constitution marque le bilan du chemin parcouru, le bilan des conquêtes déjà acquises. Il est, par conséquent, l’enregistrement et la consécration législative de ce qui en fait a déjà été obtenu et conquis. (Vifs applaudissements.)

C’est là la première particularité du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.

Poursuivons. Les constitutions des pays bourgeois partent habituellement de la conviction que l’ordre capitaliste est immuable.

La base essentielle de ces constitutions, ce sont les principes du capitalisme, ses principaux fondements : propriété privée de la terre, des forêts, fabriques, usines et autres instruments et moyens de production ; exploitation de l’homme par l’homme et existence d’exploiteurs et d’exploités ; à un pôle de la société, c’est la majorité des travailleurs dont le lendemain n’est pas assuré ; à l’autre pôle, c’est le luxe de la minorité non travailleuse, mais dont le lendemain est assuré, etc., etc. Ces constitutions s’appuient sur ces fondements du capitalisme et autres analogues. Elles les reflètent, elles les consacrent par voie législative.

A la différence de ces constitutions, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. part de la liquidation de l’ordre capitaliste, de la victoire de l’ordre socialiste en U.R.S.S. La base essentielle du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S., ce sont les principes du socialisme, ses principaux fondements déjà conquis et établis : propriété socialiste de la terre, des forêts, des fabriques, des usines et autres instruments et moyens de production ; suppression de l’exploitation et des classes exploiteuses ; suppression de la misère de la majorité et du luxe de la minorité ; suppression du chômage ; le travail comme obligation et devoir d’honneur de chaque citoyen apte au travail, selon la formule : « Qui ne travaille pas ne mange pas ». Le droit au travail, c’est-à-dire le droit de chaque citoyen de recevoir un travail garanti ; le droit au repos ; le droit à l’instruction, etc., etc.

Le projet de la nouvelle Constitution s’appuie sur ces fondements et autres analogues du socialisme. Il les reflète, il les consacre par voie législative. Telle est la deuxième particularité du projet de la nouvelle Constitution. Poursuivons.

Les constitutions bourgeoises partent tacitement de cette prémisse que la société est composée de classes antagonistes, de classes possédant la richesse et de classes ne la possédant pas ; que, quel que soit le parti accédant au pouvoir, la direction politique de la société (dictature) doit appartenir à la bourgeoisie ; que la constitution est nécessaire pour fixer l’ordre social au gré et à l’avantage des classes possédantes.

A la différence des constitutions bourgeoises, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. part du fait que dans la société il n’existe plus de classes antagonistes ; que la société est composée de deux classes amies, d’ouvriers et de paysans ; que ce sont justement ces classes laborieuses qui sont au pouvoir ; que la direction politique de la société (dictature) appartient à la classe ouvrière, en tant que classe avancée de la société ; que la Constitution est nécessaire pour fixer l’ordre social au gré et à l’avantage des travailleurs.

Telle est la troisième particularité du projet de la nouvelle Constitution. Poursuivons. Les constitutions bourgeoises partent tacitement de cette prémisse que les nations et les races ne peuvent être égales en droits, qu’il est des nations jouissant de la plénitude des droits et d’autres qui n’en jouissent pas ; qu’en outre il existe une troisième catégorie de nations ou de races, par exemple, dans les colonies, qui ont encore moins de droits que les nations ne jouissant pas de la plénitude de leurs droits.

Cela signifie que toutes ces constitutions sont nationalistes en leur fond, c’est-à-dire qu’elles sont des constitutions de nations dominantes. Contrairement à ces constitutions, le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. est profondément internationaliste. Il part du principe que toutes les nations et races sont égales en droits.

Il part du principe que la différence de couleur ou de langue, de niveau de culture ou de niveau de développement politique, aussi bien que toute autre différence entre nations et races, ne peut justifier l’inégalité de droits entre nations. Il part du principe que toutes les nations et races, indépendamment de leur situation passée et présente, indépendamment de leur force ou de leur faiblesse, doivent jouir de droits identiques dans toutes les sphères de la vie économique, sociale, politique et culturelle de la société. Telle est la quatrième particularité du projet de la nouvelle Constitution.

La cinquième particularité du projet de la nouvelle Constitution, c’est son démocratisme conséquent et sans défaillance. Du point de vue du démocratisme, on peut diviser les constitutions bourgeoises en deux groupes : un groupe de constitutions nie ouvertement ou, en fait, réduit à néant l’égalité en droits des citoyens et les libertés démocratiques.

L’autre groupe de constitutions accepte volontiers et affiche même les principes démocratiques ; mais en même temps il fait de telles réserves et restrictions que les droits et libertés démocratiques s’en trouvent complètement mutilés.

Ces constitutions parlent de droits électoraux égaux pour tous les citoyens, mais aussitôt les restreignent par les conditions de résidence et d’instruction, voire de fortune. Elles parlent de droits égaux pour les citoyens, mais aussitôt font cette réserve que cela ne concerne pas les femmes, ou ne les concerne que partiellement. Etc., etc.

Le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. a ceci de particulier qu’il est exempt de pareilles réserves et restrictions. Pour lui, il n’existe point de citoyens actifs ou passifs ; pour lui, tous les citoyens sont actifs. Il n’admet point de différence de droits entre hommes et femmes, entre « domiciliés » et « non-domiciliés », entre possédants et non-possédants, entre gens instruits et non instruits. Pour lui, tous les citoyens ont des droits égaux. Ce n’est pas la situation de fortune, ni l’origine nationale, ce n’est pas le sexe ni la fonction ou le grade, mais les qualités personnelles et le travail personnel de chaque citoyen, qui déterminent sa situation dans la société. Enfin, une autre particularité du projet de la nouvelle Constitution.

Les constitutions bourgeoises se contentent habituellement de fixer les droits officiels des citoyens, sans se préoccuper des conditions garantissant l’exercice de ces droits, de la possibilité de les exercer, des moyens de les exercer.

Elles parlent de l’égalité des citoyens, mais oublient qu’il ne peut pas y avoir d’égalité véritable entre patron et ouvrier, entre grand propriétaire foncier et paysan, si les premiers ont la richesse et le poids politique dans la société, et les seconds sont privés de l’un et de l’autre ; si les premiers sont des exploiteurs et les seconds des exploités.

Ou encore : elles parlent de la liberté de la parole, de réunion et de la presse, mais elles oublient que toutes ces libertés peuvent n’être pour la classe ouvrière qu’un son creux, si elle est mise dans l’impossibilité de disposer de locaux appropriés pour tenir ses réunions, de bonnes imprimeries, d’une quantité suffisante de papier d’imprimerie, etc.

Le projet de la nouvelle Constitution a ceci de particulier qu’il ne se borne pas à fixer les droits officiels des citoyens, mais qu’il reporte le centre de gravité sur la garantie de ces droits, sur les moyens de les réaliser.

Il ne proclame pas simplement l’égalité des citoyens, mais il la garantit en consacrant par voie législative la suppression du régime d’exploitation, l’affranchissement des citoyens de toute exploitation. Il ne proclame pas simplement le droit au travail, mais il le garantit en consacrant par voie législative l’absence de crises dans la société soviétique, la suppression du chômage. Il ne proclame pas simplement les libertés démocratiques, mais il les garantit par voie législative, avec des moyens matériels déterminés.

On conçoit, par conséquent, que le démocratisme du projet de la nouvelle Constitution ne soit pas un démocratisme en général, « habituel » et « généralement reconnu », mais le démocratisme socialiste. Telles sont les particularités essentielles du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. C’est ainsi que le projet de la nouvelle Constitution reflète les transformations et les changements réalisés dans la vie économique, politique et sociale de l’U.R.S.S., durant la période 1924-1936.

IV – LA CRITIQUE BOURGEOISE
DU PROJET DE CONSTITUTION

Quelques mots sur la critique bourgeoise du projet de Constitution. L’attitude observée par la presse bourgeoise de l’étranger à l’égard du projet de Constitution offre sans contredit un certain intérêt.

Pour autant que la presse étrangère reflète l’opinion des différentes catégories de la population dans les pays bourgeois, nous ne pouvons passer outre à la critique que cette presse a développée contre le projet de Constitution. Les premières réactions de la presse étrangère au projet de Constitution se sont manifestées dans une tendance bien nette : passer sous silence le projet de Constitution.

Je veux parler ici de la presse la plus réactionnaire, de la presse fasciste. Ce groupe de critiques a jugé que le mieux était simplement de passer sous silence le projet de Constitution, de présenter les choses comme si le projet n’existait pas et n’avait jamais existé.

On peut dire que la tactique du silence n’est pas de la critique. Mais c’est faux. La méthode du silence comme moyen particulier de méconnaître les faits, est aussi une forme de critique, sotte et ridicule, il est vrai, mais une forme de critique tout de même. (Rire général. Applaudissements.)

Mais la méthode du silence ne leur a pas réussi. Finalement ils ont été obligés d’ouvrir la soupape et d’informer le monde que, si triste que cela soit, le projet de Constitution de l’U.R.S.S. existe pourtant ; que non seulement il existe, mais commence à exercer une action pernicieuse sur les esprits.

D’ailleurs il ne pouvait en être autrement, car il existe tout de même dans le monde une opinion publique, des lecteurs, des hommes vivants, qui veulent savoir la vérité sur les faits, et il est absolument impossible de les maintenir longtemps dans l’étau de la tromperie. Avec la tromperie on n’ira pas loin…

Le deuxième groupe de critiques reconnaît que le projet de Constitution existe réellement, mais estime qu’il n’est pas d’un grand intérêt, puisque, au fond, ce n’est pas un projet de Constitution, mais un chiffon de papier, une vaine promesse, visant à opérer une certaine manœuvre et à duper les gens. A cela ils ajoutent que l’U.R.S.S. ne pouvait d’ailleurs pas donner un meilleur projet, puisque l’U.R.S.S. elle-même n’est pas un Etat, mais une simple notion géographique (rire général) ; dès lors, sa Constitution ne saurait être une vraie constitution.

Le représentant typique de ce groupe de critiques est, si étrange que cela paraisse, l’officieux allemand, la Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz. Cette revue « déclare expressément que le projet de Constitution de l’U.R.S.S. est une vaine promesse, une tromperie, un « village à la Potemkine ». Elle déclare sans hésiter que l’U.R.S.S. n’est pas un Etat ; que l’U.R.S.S. « n’est autre chose qu’une notion géographique exactement définie » (rire général) ; que la Constitution de l’U.R.S.S. ne peut donc, pour cette raison, être considérée comme une vraie constitution.

Que peut-on dire de semblables critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ? Dans un de ses contes et nouvelles, le grand écrivain russe Chtchédrine dépeint le type du bureaucrate et yranneau, très borné et obtus, mais suffisant et zélé à l’extrême.

Après avoir établi « l’ordre et le calme » dans la région à lui « confiée », en exterminant des milliers d’habitants et en brûlant des dizaines de villes, ce bureaucrate jette un regard autour de lui et aperçoit à l’horizon l’Amérique, pays évidemment peu connu, où il existe, paraît-il, des libertés qui troublent le peuple, et où l’Etat est gouverné par d’autres méthodes. Le bureaucrate aperçoit l’Amérique et s’indigne : Qu’est-ce que ce pays ? D’où sort-il ?

De quel droit existe-t-il, voyons ?

(Rire général, applaudissements.) Evidemment, on l’a découvert par hasard quelques siècles plus tôt, mais est-ce qu’on ne peut pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ?

(Rire général.) Et ceci dit, il décrète : « Recouvrir l’Amérique ! » (Rire général.)

Il me semble que ces messieurs de Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz ressemblent comme deux gouttes d’eau au bureaucrate de Chtchédrine. (Rire général, applaudissements.) Il y a longtemps que l’U.R.S.S. blesse la vue de ces messieurs.

Voilà dix-neuf ans que l’U.R.S.S. se dresse comme un phare, infusant l’esprit de libération à la classe ouvrière du monde entier et provoquant la fureur des ennemis de la classe ouvrière. Et voilà que cette U.R.S.S., non contente simplement d’exister, grandit même, et non seulement grandit, mais prospère, et non seulement prospère, mais rédige même un projet de nouvelle Constitution, projet qui exalte les esprits, qui inspire de nouveaux espoirs aux classes opprimées. (Applaudissements.) Comment ces messieurs de l’organe officieux allemand ne s’indigneraient ils pas après cela ?

Qu’est-ce que c’est que ce pays ? clament-ils ; de quel droit existe-t-il, voyons ?

(Rire général.) Et si on l’a découvert en octobre 1917, pourquoi ne pourrait-on pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ? Et ceci dit, ils décident : Recouvrir l’U.R.S.S. ; proclamer haut et clair que l’U.R.S.S. n’existe pas en tant qu’Etat, que l’U.R.S.S. n’est autre chose qu’une simple notion géographique ! (Rire général.)

Après avoir décrété de recouvrir l’Amérique, le bureaucrate de Chtchédrine, en dépit de toute son étroitesse d’esprit, avait cependant trouvé en lui des éléments de compréhension de la réalité, car il se dit aussitôt : « Mais je crois que ladite chose n’est pas en mon pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.)

J’ignore si ces messieurs de l’organe officieux allemand auront assez d’esprit pour se douter qu’ils peuvent bien, évidement, « recouvrir » sur le papier tel ou tel Etat, mais à parler sérieusement, « ladite chose n’est pas en leur pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.)

Quant à l’affirmation que la Constitution de l’U.R.S.S. est soi-disant une vaine promesse, un « village à la Potemkine », etc., je tiens à invoquer une série de faits établis, qui parlent d’eux-mêmes. En 1917, les peuples de l’U.R.S.S. ont renversé la bourgeoisie et instauré la dictature du prolétariat, instauré le pouvoir soviétique. C’est un fait, et non une promesse.

Ensuite, le pouvoir soviétique a liquidé la classe des grands propriétaires fonciers et remis aux paysans plus de 150 millions d’hectares de terres ayant appartenu aux grands propriétaires fonciers, à l’Etat et aux couvents ; cela, en plus des terres qui se trouvaient auparavant déjà entre les mains des paysans. C’est un fait, et non une promesse.

Ensuite, le pouvoir soviétique a exproprié la classe des capitalistes ; il lui a enlevé les banques, les usines, les chemins de fer et autres instruments et moyens de production, proclamés propriété socialiste, et il a placé à la tête de ces entreprises l’élite de la classe ouvrière. C’est un fait, et non une promesse. (Applaudissements prolongés.)

Ensuite, ayant organisé l’industrie et l’agriculture selon des principes nouveaux, socialistes, avec une nouvelle base technique, le pouvoir des Soviets est arrivé à ceci qu’aujourd’hui l’agriculture de l’U.R.S.S. fournit une production une fois et demie supérieur à celle d’avant-guerre ; l’industrie produit sept fois plus qu’avant-guerre et le revenu national a quadruplé par rapport à la période d’avant-guerre.

Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.)

Ensuite, le pouvoir soviétique a supprimé le chômage, réalisé le droit au travail, le droit au repos, le droit à l’instruction, assuré les meilleures conditions matérielles et culturelles aux ouvriers, aux paysans et aux intellectuels ; assuré aux citoyens l’application du suffrage universel, direct et égal, au scrutin secret.

Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.) Enfin l’U.R.S.S. a donné le projet d’une nouvelle Constitution qui n’est pas une promesse, mais l’enregistrement et la consécration législative de ces faits connus de tous, l’enregistrement et la consécration législative de ce qui a déjà été obtenu et conquis.

On se demande à quoi se réduit, après tout cela, le verbiage de ces messieurs de l’organe officieux allemand sur les « villages à la Potemkine », sinon à ceci qu’ils se proposent de cacher au peuple la vérité sur l’U.R.S.S., d’induire le peuple en erreur, de le tromper. Tels sont les faits. Or les faits, comme on dit, sont têtus. Ces messieurs de l’organe officieux allemand peuvent dire que c’est tant pis pour les faits. (Rire général.)

Mais alors on peut leur répondre par ce proverbe russe que l’on connaît : « Pour les imbéciles, il n’y a pas de loi qui tienne ». (Rires joyeux, applaudissements prolongés.)

Le troisième groupe de critiques est prêt à reconnaître certains mérites au projet de Constitution ; il le considère comme un événement positif, mais, voyez-vous, il doute fort que certaines de ses dispositions puissent être mises en pratique, convaincu qu’il est que ces dispositions en général sont irréalisables et doivent rester sur le papier. Ce sont, pour parler délicatement, des sceptiques. Ces sceptiques-là existent dans tous les pays.

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que nous les rencontrons. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir en 1917, les sceptiques disaient : Les bolcheviks ne sont peut- être pas de mauvaises gens, mais pour ce qui est du pouvoir, ils ne s’en tireront pas, ils se casseront le nez. Il s’est avéré que ce ne sont pas les bolcheviks, mais les sceptiques qui se sont cassé le nez.

Pendant la guerre civile et l’intervention étrangère, ce groupe de sceptiques disait : Évidemment, le pouvoir des Soviets n’est pas une mauvaise chose, mais il y a des chances pour que Dénikine avec Koltchak, plus les étrangers, en viennent à bout.

Cependant les sceptiques, cette fois encore, se sont trompés dans leurs calculs. Lorsque le pouvoir soviétique a publié le premier plan quinquennal, les sceptiques ont réapparu sur la scène, disant : Le plan quinquennal est, certes, une bonne chose, mais il n’est guère réalisable ; il faut croire que les bolcheviks s’enferreront sur leur plan quinquennal.

Les faits ont cependant montré que les sceptiques, cette fois encore, n’ont pas eu de chance : le plan quinquennal fut réalisé en quatre ans.

Il faut en dire autant du projet de la nouvelle Constitution et de la critique qu’en ont fait les sceptiques. Il a suffi de publier le projet pour que ce groupe de critiques réapparaisse sur la scène, avec leur morne scepticisme, leurs doutes sur la possibilité de réaliser certaines dispositions de la Constitution. Il n’y a aucune raison de douter que les sceptiques échoueront cette fois encore, qu’ils échoueront aujourd’hui comme ils ont échoué mainte fois dans le passé.

Le quatrième groupe de critiques, en attaquant le projet de la nouvelle Constitution, le caractérise comme une « évolution à droite », comme un « abandon de la dictature du prolétariat », comme la « liquidation du régime bolchevik ». « Les bolcheviks ont obliqué à droite, c’est un fait », déclarent-ils sur divers tons. Certains journaux polonais et, en partie, les journaux américains, se montrent particulièrement zélés à cet égard.

Que peut-on dire de ces critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ?

Si l’élargissement de la base de la dictature de la classe ouvrière et la transformation de la dictature en un système plus souple, et par conséquent plus puissant, de direction politique de la société, sont interprétés par eux, non comme un renforcement de la dictature de la classe ouvrière, mais comme son affaiblissement ou même comme son abandon, il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce que c’est que la dictature de la classe ouvrière ?

Si la consécration législative de la victoire du socialisme, la consécration législative des succès de l’industrialisation, de la collectivisation et de la démocratisation, ils l’appellent « évolution à droite », il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce qui distingue la gauche de la droite ?

(Rire général, applaudissements)

Il ne peut faire de doute que ces messieurs se sont définitivement embrouillés dans leur critique du projet de Constitution, et s’étant embrouillés, ils ont confondu la droite avec la gauche. On ne peut s’empêcher de songer à Pélagie, cette « gamine » servante des Ames mortes de Gogol.

L’auteur raconte qu’an jour elle s’était chargée de montrer le chemin à Sélifane, cocher de Tchitchikov, mais n’ayant pas su distinguer le côté droit du côté gauche de la route, elle s’était embrouillée et mise en fâcheuse posture.

Il faut avouer que les critiques des journaux polonais, malgré toute leur présomption, ne dépassent pas de beaucoup le niveau de compréhension de Pélagie, la « gamine » servante des Ames mortes. (Applaudissements.)

Si vous vous rappelez bien, le cocher Sélifane trouva bon de tancer Pélagie pour avoir confondu le côté droit et le côté gauche, en lui disant : « Hé, va donc, pieds sales… tu ne sais même pas distinguer ta droite de ta gauche. » Il me semble qu’on ferait bien de tancer de même nos critiques à la manque, en leur disant : « Hé, allez donc, critiques de malheur…. vous ne savez même pas distinguer votre droite de votre gauche. » (Applaudissements prolongés.)

Enfin, encore un groupe de critiques. Si le groupe précédent accuse le projet de Constitution de renoncer à la dictature de la classe ouvrière, ce groupa ci l’accuse, au contraire, de ne rien changer à l’état de choses existant en U.R.S.S., de laisser intacte la dictature de la classe ouvrière, de ne pas admettre la liberté des partis politiques et de maintenir la position dirigeante du Parti communiste en U.R.S.S. Au surplus, ce groupe de critiques estime que l’absence de libertés pour les partis en U.R.S.S. est une violation des principes du démocratisme.

Je dois avouer qu’en effet le projet de la nouvelle Constitution maintient le régime de la dictature de la classe ouvrière, de même qu’il conserve sans changement la position dirigeante du Parti communiste de l’U.R.S.S. (Vifs applaudissements.) Si les honorables critiques considèrent ceci comme un défaut du projet de Constitution, on ne peut que le regretter. Nous, bolcheviks, considérons cela comme un mérite du projet de Constitution. (Vifs applaudissements.)

En ce qui concerne la liberté pour les différents partis politiques, nous sommes ici d’un avis quelque peu différent. Un parti est une portion d’une classe, sa portion d’avant-garde. Plusieurs partis et, par conséquent, la liberté des partis, ne peuvent exister que dans une société où existent des classes antagonistes, dont les intérêts sont hostiles, inconciliables ; où il y a, par exemple, capitalistes et ouvriers, grands propriétaires fonciers et paysans, koulaks et paysans pauvres, etc.

Mais en U.R.S.S., il n’y a plus de classes telles que les capitalistes, les grands propriétaires fonciers, les koulaks, etc. Il n’existe en U.R.S.S. que deux classes, les ouvriers et les paysans, dont les intérêts, loin d’être hostiles, sont au contraire basés sur l’amitié. Par conséquent, il n’y a pas en U.R.S.S. de terrain pour plusieurs partis, ni par conséquent pour la liberté de ces partis.

En U.R.S.S. il n’existe de terrain que pour un seul parti, le Parti communiste. En U.R.S.S. il ne peut y avoir qu’un seul parti, le Parti communiste, qui défend hardiment et jusqu’au bout les intérêts des ouvriers et des paysans. Et qu’il ne défende pas mal les intérêts de ces classes, on ne saurait guère en douter. (Vifs applaudissements.) On parle de démocratie. Mais qu’est-ce que la démocratie ?

La démocratie dans les pays capitalistes, où il y a des classes antagonistes, c’est en dernière analyse la démocratie pour les forts, une démocratie pour la minorité possédante. La démocratie en U.R.S.S. est, au contraire, une démocratie pour les travailleurs, c’est à dire la démocratie pour tous.

Il s’ensuit donc que les principes du démocratisme sont violés, non par le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S., mais par les constitutions bourgeoises. Voilà pourquoi je pense que la
Constitution de l’U.R.S.S. est la seule au monde qui soit démocratique jusqu’au bout. Voilà ce qu’il en est de la critique bourgeoise du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.

V – AMENDEMENTS ET ADDITIONS
AU PROJET DE CONSTITUTION

Passons aux amendements et additions que les citoyens ont proposés au cours de la discussion du projet par l’ensemble du peuple. On sait que la discussion populaire du projet de Constitution a donné un nombre assez considérable d’amendements et d’additions qui, tous, ont été publiés dans la presse soviétique.

Etant donné la grande diversité des amendements et leur valeur inégale, il serait bon à mon avis de les diviser en trois catégories. Le trait distinctif des amendements de la première catégorie, c’est qu’ils ne traitent pas des problèmes de la Constitution, mais de l’activité législative courante des futurs organismes législatifs. Certaines questions d’assurances, certaines questions touchant l’édification des kolkhoz, l’édification industrielle, les finances, tel est le sujet de ces amendements. Les auteurs de ces amendements n’ont visiblement pas compris la différence entre les problèmes constitutionnels et les problèmes de législation courante.

C’est pour cela précisément qu’ils s’efforcent de faire rentrer dans la Constitution le plus de lois possible, ce qui conduirait à faire de la constitution quelque chose comme un code des lois. Or la Constitution n’est pas un code. Elle est la loi fondamentale, et rien que la loi fondamentale. La Constitution n’exclut pas mais suppose l’activité législative courante des futurs organismes législatifs.

La Constitution donne une base juridique à la future activité législative de ces organismes. Aussi les amendements et additions de ce genre doivent-ils être, selon moi, renvoyés aux futurs organismes législatifs du pays, comme n’ayant pas de rapport direct avec la Constitution.

Dans la deuxième catégorie doivent être rangés les amendements et additions qui visent à introduire dans la Constitution des données historiques ou des déclarations sur ce que le pouvoir soviétique n’a pas encore conquis, et qu’il doit conquérir.

Marquer dans la Constitution les difficultés que le Parti, la classe ouvrière et tous les travailleurs ont surmontées durant de longues années dans la lutte pour la victoire du socialisme ; indiquer dans la Constitution le but final du mouvement soviétique, c’est-à-dire l’édification de la société communiste intégrale : tel est le sujet de ces amendements, qui se répètent en de nombreuses variantes.

Je pense que ces amendements et additions doivent eux aussi être mis de côté, comme n’ayant pas de rapport direct avec la Constitution. Celle-ci est l’enregistrement et la consécration législative des conquêtes déjà obtenues et assurées. Si nous ne voulons pas altérer ce caractère fondamental de la Constitution, nous ne devons pas la remplir de données historiques sur le passé ou de déclarations sur les conquêtes futures des travailleurs de l’U.R.S.S. Nous avons pour cela d’autres voies et d’autres documents.

Enfin, dans la troisième catégorie il convient de ranger les amendements et additions ayant un rapport direct avec le projet de Constitution. Une partie considérable des amendements de cette catégorie ont un caractère rédactionnel. On pourrait donc les renvoyer à la Commission de rédaction qui, je pense, sera constituée à ce congrès et à laquelle on confiera la rédaction définitive du texte de la nouvelle Constitution.

Quant aux autres amendements de la troisième catégorie, ils ont une importance substantielle, et il faut, à mon avis, en dire ici quelques mots.

1. Tout d’abord en ce qui concerne les amendements à l’article 1 du projet de Constitution. Il y a quatre amendements. Les uns proposent au lieu des mots « Etat des ouvriers et des paysans », de dire : « Etat des travailleurs ». D’autres proposent d’ajouter aux mots « Etat des ouvriers et des paysans » les mots : « et des travailleurs intellectuels ».

D’autres encore proposent au lieu des mots « Etat des ouvriers et des paysans », de dire : « Etat de toutes les races et nationalités peuplant le territoire de l’U.R.S.S. ». D’autres enfin proposent de remplacer les mots « des paysans » par les mots « des kolkhoziens » ou par les mots : « des travailleurs de l’agriculture socialiste ». Faut-il accepter ces amendements ?

Je pense que non. De quoi parle l’article 1 du projet de Constitution ?

De la composition de classe de la société soviétique. Nous, marxistes, pouvons-nous dans la Constitution ne rien dire de la composition de classe de notre société ? Evidemment non. La société soviétique se compose, comme on sait, de deux classes : les ouvriers et les paysans. C’est de cela précisément que traite l’article 1 du projet de Constitution. Par conséquent, l’article 1 reflète bien la composition de classe de notre société. On peut demander : Et les travailleurs intellectuels ?

Les intellectuels n’ont jamais été et ne peuvent être une classe, ils ont été et demeurent une couche sociale recrutant ses membres parmi toutes les classes de la société. Dans l’ancien temps, les intellectuels se recrutaient parmi les nobles, la bourgeoisie, en partie parmi les paysans et, seulement dans une proportion très insignifiante, parmi les ouvriers. A notre époque, à l’époque soviétique, les intellectuels se recrutent surtout parmi les ouvriers et les paysans.

Mais quelle que soit la façon dont ils se recrutent, quel que soit le caractère qu’ils revêtent, les intellectuels sont néanmoins une couche sociale, et non une classe. Cet état de choses ne portetil pas atteinte aux droits des travailleurs intellectuels ? Pas du tout !

L’article 1 du projet de Constitution parle, non des droits des diverses couches de la société soviétique, mais de la composition de classe de cette société. Quant aux droits des diverses couches de la société soviétique, y compris ceux des travailleurs intellectuels, il en est parlé principalement aux chapitres X et XI du projet de Constitution.

De ces chapitres il ressort que les ouvriers, les paysans et les travailleurs intellectuels sont complètement égaux en droits, dans toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays. Par conséquent, il ne peut être question d’atteinte aux droits des travailleurs intellectuels.

Il faut en dire autant des nations et des races faisant partie de l’U.R.S.S. Au chapitre II du projet de Constitution il est dit déjà que l’U.R.S.S. est une union librement consentie de nations égales en droits. Faut-il répéter cette formule à l’article I du projet de Constitution, qui traite non de la composition nationale de la société soviétique, mais de sa composition de classe ?

Il est clair que non. Quant aux droits des nations et des races faisant partie de l’U.R.S.S., il en est parlé aux chapitres II, X et XI du projet de Constitution. De ces chapitres il ressort que les nations et les races de l’U.R.S.S. jouissent des mêmes droits dans toutes les sphères de la vie économique, politique, sociale et culturelle du pays.

Par conséquent, il ne peut être question d’atteinte aux droits des nationalités. On aurait également tort de remplacer le mot « paysan » par le mot « kolkhozien » ou par les mots « travailleur de l’agriculture socialiste ». D’abord, il existe encore parmi les paysans, outre les kolkhoziens, plus d’un million de foyers de non-kolkhoziens. Comment faire ? Les auteurs de cet amendement pensent-ils ne pas en tenir compte ?

Ce ne serait pas raisonnable. En second lieu, si la majorité des paysans ont passé à l’économie kolkhozienne, cela ne veut pas encore dire qu’ils aient cessé d’être des paysans, qu’ils n’aient plus d’économie personnelle, de foyer personnel, etc. Troisièmement, il faudrait substituer également au mot « ouvrier » les mots « travailleur de l’industrie socialiste », ce que pourtant les auteurs de l’amendement ne proposent pas. Enfin, est-ce que la classe des ouvriers et la classe des paysans ont déjà disparu chez nous ?

Et si elles n’ont pas disparu, faut-il rayer du vocabulaire les dénominations établies pour elles ?

Les auteurs de l’amendement ont sans doute en vue, non pas la société actuelle, mais la société future, lorsqu’il n’y aura plus de classes et que les ouvriers et les paysans seront devenus les travailleurs d’une société communiste unique. C’est dire qu’ils anticipent manifestement. Or, en rédigeant la Constitution, il faut prendre comme point de départ, non le futur, mais le présent, ce qui existe déjà. La Constitution ne peut ni ne doit anticiper.

2. Vient ensuite l’amendement à l’article 17 du projet de Constitution. Cet amendement propose de retrancher complètement l’article 17 selon lequel les Républiques fédérées conservent le droit de se retirer librement de l’U.R.S.S.

Je pense que cette proposition n’est pas juste et que le congrès ne doit pas l’adopter. L’U.R.S.S. est une union librement consentie de Républiques fédérées égales en droits. Retrancher de la Constitution l’article relatif au droit de se retirer librement de l’U.R.S.S., c’est violer le principe de libre adhésion à cette union.

Pouvons-nous prendre ce parti ?

Je pense que nous ne pouvons ni ne devons le faire. On dit qu’en U.R.S.S. il n’est pas une seule République qui veuille se retirer de l’U.R.S.S. ; que, pour cette raison, l’article 17 n’a pas de portée pratique. Qu’il n’y ait pas chez nous une seule République désireuse de se retirer de l’U.R.S.S., c’est exact évidemment.

Mais il ne s’ensuit nullement que nous ne devions pas fixer dans la Constitution le droit des Républiques fédérées à se retirer librement de l’U.R.S.S. Il n’existe pas en U.R.S.S. de République fédérée qui veuille prévaloir sur une autre. Mais il ne s’ensuit nullement que l’on doive retrancher de la Constitution l’article relatif à l’égalité en droits des Républiques fédérées.

3. Ensuite, on propose de compléter le chapitre II du projet de Constitution par un nouvel article qui dit en substance que les Républiques socialistes soviétiques autonomes, après avoir atteint le niveau de développement économique et culturel voulu, peuvent être transformées en Républiques socialistes soviétiques fédérées. Peut-on accepter cette proposition ? Je pense que non. Elle est erronée non seulement en sa substance mais aussi en ses motifs.

On ne peut motiver le passage des Républiques autonomes au rang de Républiques fédérées par leur maturité économique et culturelle, de même qu’on ne peut motiver le maintien de telle ou telle autre République sur la liste des Républiques autonomes, par son retard économique ou culturel. Ce ne serait pas là une manière de voir marxiste, léniniste. La République de Tatarie, par exemple, reste autonome, tandis que la République de Kazakhie devient fédérée ; mais cela ne signifie pas encore que la République de Kazakhie, du point de vue du développement culturel et économique, soit supérieure à la République de Tatarie.

C’est le contraire qui est vrai. Il faut en dire autant, par exemple, de la République autonome des Allemands de la Volga et de la République fédérée de Kirghizie, dont la première, au point de vue culturel et économique, est supérieure à la seconde, bien que demeurant République autonome. Quels sont les indices motivant le passage des Républiques autonomes dans la catégorie des Républiques fédérées ?

Ces indices sont au nombre de trois.

Premièrement, il faut que la République soit périphérique, qu’elle ne soit pas entourée de tous côtés par le territoire de l’U.R.S.S. Pourquoi ?

Parce que si la République fédérée conserve le droit de se retirer de l’U.R.S.S., il faut que cette République, devenue fédérée, ait la possibilité de poser, logiquement et pratiquement, la question de sa sortie de l’U.R.S.S. Or, cette question ne peut être posée que par la République qui, par exemple, est limitrophe d’un Etat étranger quelconque et, par conséquent, n’est pas entourée de tous côtés par le territoire de l’U.R.S.S. Certes, nous n’avons pas de Républiques qui posent pratiquement la question de leur sortie de l’U.R.S.S.

Mais du moment qu’une République fédérée conserve le droit de se retirer de l’U.R.S.S. il faut faire en sorte que ce droit ne devienne pas un chiffon de papier dénué de sens. Prenons, par exemple, la République de Bachkirie ou de Tatarie.

Admettons que ces Républiques autonomes aient été portées dans la catégorie des Républiques fédérées. Pourraient- elles poser la question, logiquement et pratiquement, de leur sortie de l’U.R.S.S. ? Non, elles ne le pourraient pas. Pourquoi ?

Parce qu’elles sont entourées de tous côtés par des républiques et régions soviétiques, et elles n’ont pas à proprement parler par où sortir de l’U.R.S.S. (Rire général, applaudissements.) Aussi bien, l’on aurait tort de porter ces Républiques dans la catégorie des Républiques fédérées. Deuxièmement, il faut que la nationalité qui a donné son nom à la République soviétique y représente une majorité plus ou moins compacte. Prenons, par exemple, la République autonome de Crimée.

C’est une république périphérique, mais les Tatars de Crimée ne forment pas la majorité dans cette République ; au contraire, ils y représentent la minorité.

Par conséquent, il serait faux et illogique de faire passer la République de Crimée dans la catégorie des Républiques fédérées. Troisièmement, il faut que la république ne soit pas trop petite au point de vue de la population, que celle-ci, disons, ne soit pas inférieure, mais supérieure à un million au moins.

Pourquoi ?

Parce que ce serait une erreur de supposer qu’une petite république soviétique ayant une population minime et une armée insignifiante, pût exister comme Etat indépendant. On ne peut guère douter que les rapaces impérialistes auraient tôt fait de mettre la main dessus.

Je pense qu’à défaut de ces trois indices objectifs, on aurait tort de poser en ce moment historique la question du transfert de telle ou telle république autonome dans la catégorie de Républiques fédérées.

4. On propose ensuite de supprimer dans les articles 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29 l’énumération détaillée de la division administrative et territoriale des République fédérées, en territoires et régions. Je pense que cette proposition est également inacceptable. Il est des gens en U.R.S.S. qui sont prêts, très volontiers et sans se lasser, à tailler et retailler territoires et régions, en jetant ainsi la confusion et l’incertitude dans le travail.

Le projet de Constitution met un frein à ces gens-là. Et cela est fort bien, parce qu’ici comme en beaucoup d’autres choses, il nous faut une atmosphère de certitude, de la stabilité, de la clarté.

5. Le cinquième amendement concerne l’article 33. On estime qu’il n’est pas rationnel de créer deux Chambres et l’on propose de supprimer le Soviet des nationalités. Je pense que cet amendement n’est pas juste non plus.

Le système à Chambre unique serait meilleur que le système à deux Chambres, si l’U.R.S.S. était un Etat national homogène. Mais ce n’est pas le cas. L’U.R.S.S. est, on le sait bien, un Etat multinational. Nous possédons un organisme suprême, où sont représentés les intérêts communs à tous les travailleurs de l’U.R.S.S., indépendamment de leur nationalité.

C’est le Soviet de l’Union. Mais outre les intérêts communs, les nationalités de l’U.R.S.S. ont encore leurs intérêts particuliers, spécifiques, liés à leurs particularités nationales. Peut-on négliger ces intérêts spécifiques ? Evidemment non.

Est-il besoin d’avoir un organisme suprême spécial, reflétant ces intérêts spécifiques ? Incontestablement. Il ne peut faire de doute que sans cet organisme il serait impossible de gouverner un Etat multinational comme l’U.R.S.S. Cet organisme est la seconde Chambra, le Soviet des nationalités de l’U.R.S.S.

On invoque l’histoire parlementaire des Etats d’Europe et d’Amérique ; on rappelle que le système à deux Chambres dans ces pays n’a eu que des résultats négatifs, que la seconde Chambre dégénère habituellement en un centre de réaction, qui freine la marche en avant. Tout cela est exact. Mais cela vient de ce que, dans ces pays, il n’y a pas d’égalité entre les Chambres.

On sait que souvent l’on accorde à la seconde Chambre plus de droits qu’à la première ; ensuite, la seconde Chambre ne se constitue pas en règle générale par voie démocratique : souvent ses membres sont nommés par en haut. Il est certain que ces résultats négatifs n’existeront pas, si l’on établit l’égalité entre les deux Chambres et si l’on organise la seconde de façon aussi démocratique que la première.

6. On propose ensuite une addition au projet de Constitution, demandant que soit égalisé l’effectif des deux Chambres. Je pense qu’on pourrait accepter cette proposition. Elle offre à mon avis des avantages politiques évidents, puisqu’elle souligne l’égalité des deux Chambres.

7. Vient ensuite une addition au projet de Constitution, proposant d’élire les députés au Soviet des nationalités de la même manière que ceux du Soviet de l’Union par voie d’élections directes. Je pense que cette proposition, on pourrait également l’accepter.

Il est vrai qu’elle peut présenter certains inconvénients d’ordre technique lors des élections. Mais en revanche elle offre un important avantage politique, parce qu’elle augmentera l’autorité du Soviet des nationalités.

8. Vient ensuite une addition à l’article 40, qui propose de réserver au Présidium du Soviet suprême le droit d’édicter des actes législatifs provisoires. Je pense que cette addition n’est pas juste, et que le congrès ne doit pas l’adopter.

Il faut enfin mettre un terme à cette situation où ce n’est pas un organisme unique qui légifère, mais toute une série d’organismes. Cette situation est contraire au principe de la stabilité des lois. Or, la stabilité des lois nous est nécessaire aujourd’hui plus que jamais. Le pouvoir législatif en U.R.S.S. doit être exercé par un seul organisme, le Soviet suprême de l’U.R.S.S.

9. On propose ensuite une addition à l’article 48 du projet de Constitution, demandant que le président du Soviet suprême de l’U.R.S.S. soit élu, non par le Soviet suprême de l’U.R.S.S. mais par toute la population du pays. Je pense que cette addition n’est pas juste, car elle n’est pas conforme à l’esprit de notre Constitution. Suivant le système de notre Constitution, il ne doit pas y avoir en U.R.S.S. de président unique, élu comme tel par la population entière, au même titre que le Soviet suprême, et pouvant s’opposer à ce dernier.

En U.R.S.S. la présidence est collective, elle est assurée par le Présidium du Soviet suprême, y compris le président du Présidium du Soviet suprême, élu non pas par toute la population, mais par le Soviet suprême, et tenu de rendre compte de son activité devant ce dernier. L’histoire montre que cette structure des organismes suprêmes est la plus démocratique, et qu’elle garantit le pays contre des éventualités indésirables.

10. Vient ensuite un amendement au même article 48 proposant de porter vice-présidents au Présidium du Soviet le nombre des suprêmes à 11, à raison d’un vice-président par République fédérée. Je pense que l’on pourrait accepter cet amendement, qui améliore les choses et ne peut que renforcer l’autorité du Présidium du Soviet suprême de l’U.R.S.S.

11. Vient ensuite un amendement à l’article 77. Il demande que soit organisé un nouveau commissariat de l’U.R.S.S., le commissariat du peuple de l’Industrie de la Défense. Je pense qu’il serait bon d’accepter aussi cet amendement (applaudissements), car le moment est venu de faire une place spéciale à notre industrie de la Défense et de la doter d’un commissariat. Il me semble que ceci ne pourrait qu’améliorer la défense de notre pays.

12.Vient ensuite un amendement à l’article 124 du projet de Constitution, demandant que soit interdit l’exercice des cultes religieux. Je pense qu’il faut rejeter cet amendement, comme n’étant pas conforme à l’esprit de notre Constitution.

13. Enfin, encore un amendement plus ou moins essentiel. Je parle de l’amendement à l’article 135 du projet de Constitution. Il propose de priver des droits électoraux les desservants du culte, les anciens gardes blancs, tous les ci devant et les personnes qui ne font pas un travail d’utilité publique, ou tout au moins de limiter les droits électoraux des individus de cette catégorie en ne leur accordant que le droit d’élire sans pouvoir être élu. Je pense que cet amendement doit également être rejeté.

Le pouvoir soviétique a privé de leurs droits électoraux les éléments non travailleurs et exploiteurs, non à perpétuité mais provisoirement, pendant une certaine période. Il fut un temps où ces éléments faisaient ouvertement la guerre au peuple et s’opposaient aux lois soviétiques.

La loi soviétique qui les privait du droit électoral fut la réponse du pouvoir des Soviets à cette opposition. Depuis lors il s’est passé pas mal de temps. Durant la période écoulée, nous avons obtenu ce résultat que les classes exploiteuses ont été supprimées et le pouvoir soviétique est devenu une force invincible.

Le moment n’est-il pas venu de raviser cette loi ?

Je pense que oui. On dit qu’il y a là un danger, parce que dans les organismes suprêmes du pays peuvent se glisser des éléments hostiles au pouvoir soviétique, anciens gardes blancs, koulaks, popes, etc. Mais que peut-on craindre ici ? Qui craint le loup n’aille pas au bois. (Joyeuse animation dans la salle, vifs applaudissements.)

D’abord, les anciens koulaks, gardes blancs ou popes ne sont pas tous hostiles au pouvoir soviétique. Ensuite, si le peuple élit, çà et là, des hommes hostiles, cela voudra dire que notre travail d’agitation ne vaut rien, et que nous avons parfaitement mérité cette honte ; si au contraire notre travail d’agitation est fait à la manière bolchevique, le peuple ne laissera pas pénétrer les éléments hostiles dans ses organismes suprêmes. Par conséquent, il faut travailler et ne pas pleurnicher. (Vifs applaudissements.)

Il faut travailler et ne pas attendre que les choses vous soient servies toutes prêtes, par la voie de dispositions administratives.

Déjà en 1919 Lénine disait que le temps était proche où le pouvoir des Soviets jugerait utile d’introduire le suffrage universel sans aucune restriction. Notez-le bien : sans aucune restriction. Il le disait alors que l’intervention militaire étrangère n’était pas encore liquidée, et que notre industrie et notre agriculture étaient dans une situation désespérée. Dix-sept ans ont passé depuis. N’est-il pas temps, camarades, de nous conformer à cette indication de Lénine ?

Je crois qu’il est temps.

Voici ce que Lénine disait en 1919 dans son ouvrage « Projet de programme du Parti communiste (bolchevik) russe ». Permettez-moi de vous en donner lecture : Le Parti communiste russe doit expliquer aux masses laborieuses, généralisation erronée des nécessités historiques passagères, que le électoraux à une partie des citoyens en République soviétique, ne comme ce fut le cas dans la plupart des républiques démocratiques afin d’éviter une retrait des droits concerne nullement, bourgeoises, une catégorie déterminée de citoyens, que l’on déclare privés de droits pour la vie ; il ne concerne que les exploiteurs, que ceux qui, en dépit des lois fondamentales de la République socialiste soviétique, persistent à défendre leur position d’exploiteurs, à maintenir les rapports capitalistes.

Par conséquent, dans la République des Soviets, d’une part, à mesure que le socialisme se fortifie de jour en jour et que diminue le nombre de ceux qui ont la possibilité objective de rester des exploiteurs ou de maintenir les rapports capitalistes, la proportion des individus privés du droit électoral diminue.

Aujourd’hui, cette proportion ne dépasse guère en Russie, 2 ou 3 %. D’autre part, dans le plus proche avenir, la fin de l’invasion étrangère et l’achèvement de l’expropriation des expropriateurs, peuvent sous certaines conditions, créer un état de choses tel que le pouvoir d’Etat prolétarien choisira d’autres moyens pour écraser la résistance des exploiteurs, et introduira le suffrage universel sans aucune restriction. (t. XXIV, p. 94, éd. Russe.)

C’est clair, je pense.

Voilà ce qu’il en est des amendements et additions au projet de la Constitution de l’U.R.S.S.

VI – IMPORTANCE DE LA NOUVELLE
CONSTITUTION DE L’U.R.S.S.

A en juger par les résultats de la discussion populaire, qui a duré à peu près 5 mois, il est permis de supposer que le projet de Constitution sera approuvé par ce congrès. (Vifs applaudissements qui tournent en ovation. La salle se lève.)

D’ici quelques jours, l’Union soviétique aura une Constitution nouvelle, socialiste, basée sur les principes d’un large démocratisme socialiste.

Ce sera un document historique, traitant avec simplicité et concision, presque dans un style de procès-verbal, des victoires du socialisme en U.R.S.S., de l’affranchissement des travailleurs de l’U.R.S.S. de l’esclavage capitaliste, des victoires remportées en U.R.S.S. par une démocratie conséquente et développée jusqu’au bout. Ce sera un document attestant que ce dont rêvaient et continuent de rêver des millions d’hommes honnêtes dans les pays capitalistes, est déjà réalisé en U.R.S.S. (Vifs applaudissements.)

Ce sera un document attestant que ce qui a été réalisé en U.R.S.S. peut très bien l’être aussi dans les autres pays. (Vifs applaudissements)

II s’ensuit donc que la portée internationale de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. ne saurait guère être surestimée. Maintenant que le fascisme vomit ses flots troubles sur le mouvement socialiste de la classe ouvrière et traîne dans la boue les aspirations démocratiques des meilleurs hommes du monde civilisé, la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera un réquisitoire contre le fascisme, réquisitoire témoignant que le socialisme et la démocratie sont invincibles. (Applaudissements.)

La nouvelle Constitution de l’U.R.S.S. sera une aide morale et un soutien efficace pour tous ceux qui mènent actuellement la lutte contre la barbarie fasciste. (Vifs applaudissements.)

Pour les peuples de l’U.R.S.S., l’importance de la nouvelle Constitution est encore plus grande. Alors que pour les peuples des pays capitalistes, la Constitution de l’U.R.S.S. sera un programme d’action, pour les peuples de l’U.R.S.S. elle est comme le bilan de leur lutte, le bilan de leurs victoires sur le front de la libération de l’humanité. Quand on a parcouru ce chemin de lutte et de privations, quelle satisfaction et quelle joie d’avoir sa Constitution, qui parle du fruit de nos victoires.

Quelle satisfaction et quelle joie de savoir pour quoi ont combattu nos hommes, et comment ils ont remporté leur victoire historique et mondiale.

Quelle satisfaction et quelle joie de savoir que le sang répandu abondamment par nos hommes ne l’a pas été en vain, qu’il a donné ses résultats. (Applaudissements prolongés.)

C’est ce qui arme moralement notre classe ouvrière, notre paysannerie, nos intellectuels travailleurs. C’est ce qui pousse en avant et stimule notre sentiment d’orgueil légitime.

C’est ce qui affermit la foi que nous avons en nos forces et nous mobilise pour une lutte nouvelle, pour remporter de nouvelles victoires dans la voie du communisme. (Ovation enthousiaste, toute la salle se lève. Des « hourras » éclatent en tonnerre. Acclamations unanimes : « Vive le camarade Staline ! » Le congrès, debout, entonne l’Internationale. Puis, nouvelle ovation. On crie : « Hourra ! », « Vive notre chef, le camarade Staline ! »)

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