Cycle de conférences faites par Mao Zedong à Yenan du 26 mai au 3 juin 1938 devant l’Association pour l’Etude de la Guerre de Résistance contre le Japon.
Comment se pose la question ?
1. Nous approchons du 7 juillet, premier anniversaire du
déclenchement de la grande Guerre de Résistance contre le Japon.
Voilà donc bientôt un an que notre
nation tout entière, unissant ses forces, persévérant dans la
Résistance et maintenant fermement le front uni, se bat avec
héroïsme contre l’ennemi.
C’est là une guerre comme on n’en
avait jamais vu dans l’histoire de l’Orient, et une place
éminente lui reviendra dans l’histoire de l’humanité.
Les peuples du monde entier en
suivent le déroulement avec attention.
Victime des calamités de la guerre
et luttant pour l’existence de la nation, chaque Chinois aspire
ardemment à la victoire.
Mais comment cette guerre va-t-elle
se dérouler ?
Pourrons-nous vaincre ?
Pourrons-nous vaincre rapidement ? Beaucoup parlent d’une
guerre prolongée, mais pourquoi la guerre serait-elle prolongée
?
Comment conduire une guerre prolongée
?
Beaucoup parlent de la victoire
finale, mais pourquoi remporterons-nous la victoire finale, et
comment remporter cette victoire ?
Plus d’un parmi nous ne peut encore
trouver la réponse à ces questions, et c’est même le cas de la
plupart.
Alors se présentent les partisans de
la théorie défaitiste de l’asservissement inéluctable de la
Chine, qui disent : « La Chine sera asservie, la victoire
finale ne sera pas à la Chine. »
Ou bien certains de nos amis par trop
impétueux s’empressent d’annoncer : « La Chine peut
remporter la victoire très rapidement et sans grands efforts. »
Ces opinions sont-elles justes ?
Nous avons toujours dit qu’elles ne
l’étaient pas.
Cependant, la plupart des gens n’ont
pas encore compris ce que nous avons dit.
Cela vient en partie de ce que notre
travail de propagande et d’explication était insuffisant, et en
partie de ce que les événements objectifs n’avaient pas encore
révélé complètement, en se développant, leur caractère
véritable et ne s’étaient pas encore manifestés tout à fait
clairement, de sorte qu’on n’a pu discerner leurs tendances et
leurs perspectives ni, par suite, déterminer entièrement la
politique et les méthodes d’action qui convenaient.
Maintenant, c’est différent.
L’expérience de dix mois de guerre
de résistance suffit amplement à ruiner la théorie, dénuée de
tout fondement, de l’asservissement inéluctable de la Chine et à
convaincre du même coup nos amis par trop impétueux que leur
théorie d’une victoire rapide est erronée.
Dans ces circonstances, beaucoup
demandent des éclaircissements qui fassent le point de la situation,
d’autant plus qu’une guerre prolongée suscite l’opposition
aussi bien des partisans de la théorie de l’asservissement
inéluctable de la Chine que des partisans de la théorie de la
victoire rapide, alors que d’autres s’en font une idée bien
vague.
Une formule comme celle-ci :
« Depuis l’Incident de Loukeoukiao, 400 millions de Chinois
déploient tous ensemble leurs efforts et la victoire finale sera à
la Chine » est largement répandue.
Cette formule est juste, mais il faut
lui donner un contenu concret.
Si nous avons pu persévérer dans la
Guerre de Résistance et maintenir le front uni, c’est grâce au
concours de nombreux facteurs.
Ce sont, en Chine, tous les partis
politiques, du Parti communiste au Kuomintang ; le peuple tout
entier, depuis les ouvriers et les paysans jusqu’à la bourgeoisie
; toutes les forces armées, depuis les troupes régulières
jusqu’aux détachements de partisans ; sur le plan international,
le pays du socialisme et tous les peuples épris de justice ; dans le
camp ennemi, ceux parmi la population et les soldats du front qui
sont contre la guerre.
Bref, tous ces facteurs contribuent,
à divers degrés, à soutenir notre Guerre de Résistance.
Toute personne de bonne foi doit leur
rendre hommage.
Nous, communistes, avec les autres
partis politiques de la Résistance et le peuple tout entier, n’avons
d’autre voie que de lutter pour l’union de toutes les forces en
vue de la victoire sur les bandits japonais exécrés.
Le premier juillet de cette année,
nous célébrerons le XVIIe anniversaire de la fondation du Parti
communiste chinois.
Pour que chaque communiste puisse
fournir un effort toujours plus grand et plus efficace dans la Guerre
de Résistance, il faut aussi attacher à l’étude de la guerre
prolongée une importance particulière.
C’est pourquoi mes conférences
seront consacrées à cette étude.
Je tâcherai de traiter toutes les
questions concernant cette guerre, mais il ne m’est pas possible
d’entrer dans tous les détails au cours d’un seul cycle de
conférences.
2. Toute l’expérience de dix mois de guerre
atteste que la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine et la théorie de la victoire rapide sont fausses l’une comme
l’autre.
La première engendre la tendance au
compromis, la seconde la tendance à la sous-estimation des forces de
l’ennemi. Les partisans de ces théories abordent la question d’une
façon subjective, unilatérale, en un mot, anti-scientifique.
3 Avant la Guerre de Résistance, bien des
opinions défaitistes avaient cours.
On disait par exemple : « La
Chine est moins bien armée que l’ennemi, se battre c’est perdre
la guerre. »
« Si nous résistons, le
destin de l’Abyssinie nous attend. »
Depuis le début de la guerre, la
propagande sur la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine ne se fait plus ouvertement, elle se poursuit sous une forme
voilée, mais très activement, comme le montrent, par exemple, les
bruits de compromis qui tantôt s’élèvent et tantôt s’apaisent.
Les partisans du compromis ont
recours à l’argument suivant :
« Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable1
Cela s’explique par le fait que le gouvernement du Kuomintang
était corrompu et incapable et qu’il essuyait dans la guerre
défaite sur défaite, tandis que l’armée japonaise progressait
rapidement et parvenait près de Wouhan au cours même de la première
année de la guerre. Ce qui engendra des sentiments profondément
pessimistes dans des couches arriérées de la population..«
Un étudiant nous écrit du Hounan :
« A la campagne, je me heurte partout à des difficultés. Faisant
le travail de propagande tout seul, je suis obligé de saisir toutes
les occasions pour causer avec les gens. Mes interlocuteurs ne sont
pas des ignares, ils sont plus ou moins au courant de ce qui se passe
et manifestent un grand intérêt pour tout ce que je leur dis.
Mais
lorsque je me trouve avec les quelques parents que j’ai ici, ils
disent invariablement : « La Chine ne peut pas vaincre, elle
est perdue. » J’en suis malade. Encore heureux qu’ils ne
fassent pas de la propagande, ce serait désastreux. Les paysans,
bien entendu, leur donnent crédit plus qu’à moi ! »
Les partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine constituent la base
sociale de la tendance au compromis. Il existe de ces gens dans tous
les coins de la Chine.
Voilà pourquoi l’esprit de
compromis peut se manifester au sein du front anti-japonais à
n’importe quel moment, et peut-être jusqu’à la fin de la
guerre.
Maintenant que Siutcheou vient de
tomber et que la situation est critique à Wouhan, il ne sera pas
mauvais, me semble-t-il, de donner a ces partisans de la
théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine une riposte
cinglante.
4 Durant les dix mois de la Guerre de
Résistance, toutes sortes de vues dénotant de l’impétuosité ont
également fait leur apparition.
Par exemple, dans les premiers jours
de la guerre, beaucoup se sont laissés aller à l’optimisme, sans
la moindre justification.
Ils sous-estimaient le Japon et
pensaient même que l’ennemi n’atteindrait pas la province du
Chansi.
Certains sous-estimaient le rôle
stratégique des opérations de partisans dans la Guerre de
Résistance et mettaient en doute la formulation suivante : « Pour
les opérations militaires considérées dans leur ensemble, la
guerre de mouvement est la forme principale, et la guerre de
partisans la forme auxiliaire ; dans les situations particulières,
la guerre de partisans est la forme principale, et la guerre de
mouvement la forme auxiliaire. »
Ils n’approuvaient pas ce principe
stratégique de la VIIIe Armée de Route : « Faire
essentiellement une guerre de partisans, sans se refuser à la guerre
de mouvement lorsque les circonstances sont favorables », point
de vue qu’ils trouvaient « mécaniste »
Des camarades pensaient que le Japon
succomberait au premier coup. Ce n’est pas du tout qu’ils
estimaient comme très grandes les forces des troupes et des masses
populaires organisées dirigées par le Parti communiste : ils
savaient au contraire qu’en ce temps-là ces forces étaient
encore très faibles. Ils partaient de l’idée que le Kuomintang
participait à la Guerre de Résistance et qu’il disposait, à ce
qu’il leur semblait, de grandes forces, capables de briser les
envahisseurs japonais, en agissant de concert avec les forces du
Parti communiste. Ils ne voyaient qu’un seul aspect des choses, la
participation du Kuomintang à la Résistance, et oubliaient l’autre,
le caractère réactionnaire et la corruption du Kuomintang. D’où
cette appréciation erronée de la situation..
Lors de la bataille de Changhai’,
certains disaient : « Il suffit de tenir trois mois et la
situation internationale changera, l’Union soviétique entrera en
guerre et la guerre sera terminée. »
Ils envisageaient l’avenir de la
Guerre de Résistance en fondant leurs espoirs principalement sur
l’aide étrangère.
Après la victoire à Taieultchouang,
certains pensaient que la bataille de Siutcheou devait être « une
bataille quasi décisive » et qu’il convenait de réviser la
thèse antérieure sur la guerre prolongée.
[Taieultchouang, petite ville située dans
la partie méridionale de la province du Chantong. En mars 1938,
une bataille se déroula dans la région de Taieultchouang entre
l’année chinoise et les troupes d’invasion japonaises. Forte de
400.000 hommes, l’armée chinoise remporta la victoire sur l’armée
japonaise qui ne comptait que 70.000 à 80.000 hommes.]
Ils disaient : « Cette bataille
marque l’effort désespéré de l’ennemi », « si nous
remportons la victoire dans cette bataille, nous ébranlerons le
moral des militaristes japonais et il ne leur restera qu’à
attendre le jour du jugement ».
La victoire de Pinghsingkouan avait
déjà tourné la tête à quelques-uns, puis celle de
Taieultchouang a tourné la tête à un bien plus grand nombre
encore.
On a commencé alors à se demander
si l’ennemi marcherait sur Wouhan. Beaucoup pensaient : « Ce
n’est pas sûr. » D’autres affirmaient : « Certainement
pas. »
Or, de tels doutes peuvent avoir des
répercussions sur la réponse à donner à tout un ensemble de
questions importantes.
Par exemple, à la question : Les
forces anti-japonaises sont-elles suffisantes ? on pourrait
donner une réponse affirmative.
Et si l’on pense que nos forces
actuelles empêchent déjà l’ennemi de poursuivre son offensive,
alors pourquoi les accroître ?
Ou encore, si on pose la question :
Le mot d’ordre de la consolidation et de l’élargissement du
front uni national anti-japonais reste-t-il toujours juste
? la réponse peut être : Non, puisque le front uni, dans son état
actuel, est déjà capable de repousser l’ennemi, pourquoi le
consolider et l’élargir ?
De même, une réponse négative
pourrait être donnée à la question : Faut-il renforcer notre
activité diplomatique et notre travail de propagande à l’étranger
? ou aux suivantes : Faut-il s’attacher sérieusement à
réformer les systèmes militaire et politique, à développer le
mouvement de masse, à mettre en vigueur une éducation au service de
la défense nationale, à réprimer les traîtres à la nation et les
trotskistes, à développer l’industrie de guerre et à améliorer
les conditions de vie du peuple ?
Il en va de même pour la question :
Les mots d’ordre pour la défense de Wouhan, de Canton et du
Nord-Ouest et pour le développement énergique de la guerre de
partisans à l’arrière de l’ennemi restent-ils toujours
valables ?
Il arrive même que, la situation
militaire s’améliorant tant soit peu, certains s’apprêtent à
accroître les « frictions » entre le Kuomintang et le
Parti communiste, détournant ainsi l’attention des problèmes
extérieurs pour la diriger vers les problèmes intérieurs.
Cela se produit presque
infailliblement chaque fois qu’une victoire plus ou moins
importante a été remportée ou que l’ennemi suspend momentanément
son offensive.
Tout cela peut être qualifié de
myopie politique et militaire.
Sous un air logique, ce sont en
réalité des bavardages absolument inconsistants, qui n’ont que
l’apparence de la vérité.
Dans l’intérêt de la conduite
victorieuse de la Guerre de Résistance, il serait bon de mettre fin
à ce verbiage.
5 La question se pose donc ainsi : La Chine
sera-t-elle asservie ?
Réponse : Non, elle ne le sera pas,
et la victoire finale lui reviendra. La Chine peut-elle vaincre
rapidement ?
Réponse : Non, elle ne le pourra
pas, la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée.
6 Les principaux arguments sur ces questions ont
été exposés dans leurs grandes lignes il y a déjà deux ans.
Dès le 16 juillet 1936,
c’est-à-dire cinq mois avant l’Incident de Sian et un
an avant l’Incident de Loukeoukiao, dans un entretien avec M. Edgar
Snow, journaliste américain, j’ai donné une appréciation
générale de la situation touchant la guerre sino-japonaise et
formulé divers principes pour remporter la victoire. Ce que ces
quelques passages de l’entretien pourront nous remettre en mémoire
:
Question : Dans quelles conditions la Chine
pourra-t-elle vaincre et détruire les forces du Japon ?
Réponse : Trois conditions sont
nécessaires : premièrement, la création d’un front uni
anti-japonais en Chine ; deuxièmement, la formation d’un front uni
anti-japonais mondial ; troisièmement, l’essor du mouvement
révolutionnaire du peuple au Japon et dans les colonies japonaises.
Pour le peuple chinois, la plus importante de ces trois conditions
est la réalisation de sa grande union.
Question : Combien de temps, à votre avis,
cette guerre durera-t-elle ?
Réponse : Cela dépendra de la force du
front uni anti-japonais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs
décisifs en Chine et au Japon. En d’autres termes, à part la
force de la Chine, dont le rôle est essentiel, l’aide
internationale ainsi que le soutien qu’apporterait une révolution
au Japon auront aussi leur importance.
Si le front uni anti-japonais en
Chine se développe puissamment, s’il est organisé efficacement en
largeur et en profondeur, si les gouvernements et les peuples qui se
rendent compte que l’impérialisme japonais menace leurs propres
intérêts apportent à la Chine l’aide nécessaire, si la
révolution éclate sous peu au Japon, la guerre sera courte, et
rapide la victoire de la Chine. Si ces conditions ne se réalisent
pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les résultats
seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera victorieuse ;
seulement les sacrifices seront grands, et il y aura une période
douloureuse à supporter.
Question : Quelle est votre opinion sur le
développement probable de cette guerre du point de vue politique et
militaire ?
Réponse : La politique continentale du
Japon, est déjà fixée. Ceux qui s’imaginent qu’il suffit, pour
arrêter l’avance japonaise, de faire des compromis avec le Japon
en sacrifiant de nouveaux territoires et droits souverains de la
Chine s’abandonnent à des illusions.
Nous savons parfaitement que le
bassin du bas Yangtsé et nos ports maritimes du Sud sont d’ores et
déjà inclus dans la politique continentale de l’impérialisme
japonais. De plus, le Japon veut occuper les Philippines, le Siam, le
Vietnam, la presqu’île de Malacca et les Indes néerlandaises,
afin d’isoler la Chine des autres pays et d’établir sa
domination sans partage sur la zone sud-ouest du Pacifique.
Telle est la politique maritime du
Japon. Dans une telle période, la situation de la Chine sera
incontestablement des plus difficiles. Toutefois, le peuple chinois,
dans sa majorité, est persuadé que ces difficultés sont
surmontables ; seuls les riches des grands ports commerciaux sont
défaitistes, car ils craignent pour leurs biens. Beaucoup pensent
que la Chine sera dans l’impossibilité de poursuivre la guerre dès
que ses côtes auront été soumises au blocus par le Japon. Ce sont
là des balivernes.
Pour réfuter ce point de vue, il
nous suffit de rappeler l’histoire de l’Armée rouge. Dans la
Guerre de Résistance, la Chine est en bien meilleure posture que ne
l’était l’Armée rouge au temps de la guerre civile.
La Chine est un pays immense ; même
si le Japon parvenait à occuper des territoires peuplés de cent,
voire de deux cents millions d’habitants, nous serions encore loin
de la défaite ; nous aurions encore une force amplement suffisante
pour résister aux Japonais qui, durant toute la guerre, auraient à
livrer sans répit des combats défensifs sur leurs arrières.
Le manque d’unité et le
développement inégal de l’économie chinoise favorisent plutôt
la Résistance. Par exemple, séparer Changhaï du reste de la Chine
n’est pas aussi désastreux pour le pays que ne le serait
l’isolement de New-York du reste des Etats-Unis. Le Japon
peut imposer son blocus aux côtes chinoises, mais non à la Chine du
Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l’Ouest.
C’est pourquoi, le cœur du
problème reste l’union de tout le peuple chinois et la création
d’un front anti-japonais de toute la nation. Et cela, il y a
longtemps que nous le préconisons.
Question : Si la guerre devait se prolonger
et que le Japon ne soit pas complètement battu, le Parti communiste
accepterait-il de négocier la paix avec le Japon et de
reconnaître sa domination sur la Chine du Nord-Est ?
Réponse : Non. Le Parti communiste
chinois, comme le peuple chinois tout entier, n’admettra pas que le
Japon garde un seul pouce du territoire chinois.
Question : Quelle doit être, à votre
avis, la stratégie fondamentale pour cette guerre de libération ?
Réponse : Notre stratégie doit consister
à employer nos forces principales sur un front étiré et
indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises
opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de
mobilité : avances et replis rapides, concentration et dispersion
rapides des forces.
Ce sera une vaste guerre de mouvement
plutôt qu’une guerre de position reposant exclusivement sur des
ouvrages défensifs avec de profondes tranchées, des remparts élevés
et des lignes de défense en profondeur.
Cela ne signifie pas l’abandon de
tous les points stratégiques importants, qui doivent être défendus
par une guerre de position tant qu’il y a avantage à le faire.
Toutefois, la stratégie décisive doit être axée sur la guerre de
mouvement.
La guerre de position est nécessaire,
mais elle ne jouera qu’un rôle auxiliaire, secondaire.
Du point de vue géographique, le
théâtre d’opérations est tellement vaste qu’il nous sera
possible d’y poursuivre avec le plus grand succès la guerre de
mouvement. Face à l’action énergique de nos troupes, les forces
japonaises devront agir avec prudence.
Leur machine de guerre est lourde,
lente à se mouvoir et est d’une efficacité limitée. Une forte
concentration de nos troupes en un secteur étroit du front, pour
résister à l’ennemi par la guerre d’usure, nous priverait des
avantages de notre situation géographique et de notre organisation
économique, et nous commettrions l’erreur de l’Abyssinie.
Dans la période initiale de la
guerre, nous devons éviter toute grande bataille décisive et
commencer par saper progressivement le moral et la capacité de
combat des troupes ennemies en recourant à la guerre de mouvement.
Tout en utilisant pour la guerre de
mouvement des troupes bien entraînées, nous devons organiser un
grand nombre de détachements de partisans parmi les paysans.
Ce que les unités de volontaires
anti-japonais ont accompli dans les trois provinces du Nord-Est
n’est qu’une bien pâle illustration de ce que peuvent les forces
potentielles de la paysannerie susceptibles d’être mobilisées
pour la Résistance.
Les paysans chinois disposent de
forces potentielles énormes. Organisés et dirigés comme il faut,
ils mettront sur les dents les troupes japonaises vingt-quatre heures
par jour sans leur laisser un instant de répit.
Il ne faut pas oublier que la guerre
se déroule sur le sol chinois. Cela signifie que l’armée
japonaise se trouvera complètement encerclée par le peuple chinois
qui lui est hostile ; elle sera obligée de faire venir du Japon tous
ses approvisionnements et d’en assurer elle-même la protection ;
elle devra utiliser des forces importantes pour protéger ses lignes
de communication et être constamment en garde contre des attaques
par surprise ; il lui faudra en outre laisser de fortes garnisons en
Mandchourie comme au Japon.
Au cours de la guerre, la Chine
pourra faire prisonniers un grand nombre de soldats japonais et
s’emparer d’une grande quantité d’armes et de munitions, qui
serviront à son propre armement ; en même temps, l’aide étrangère
qu’elle recevra lui permettra d’améliorer graduellement
l’équipement de ses troupes.
Elle sera donc en mesure de conduire
une guerre de position dans la période finale de la guerre et
d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées
par les Japonais.
Ainsi, minée par une longue
résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et
le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables
et épuisants combats.
Quant à la Chine, elle verra croître
avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les masses
révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.
Ces facteurs, joints à d’autres
encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives
contre les places fortes et les bases des régions d’occupation
japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs.
L’expérience de dix mois de guerre
a montré que ces considérations étaient justes ; leur justesse
apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.
7 Dès le 25 août 1937, c’est-à-dire
un peu plus d’un mois après l’Incident de Loukeoukiao, le Comité
central du Parti communiste chinois a indiqué clairement dans la
Résolution sur la situation actuelle et les tâches du Parti
:
La provocation militaire des
envahisseurs japonais à Loukeoukiao et l’occupation de Peiping et
de Tientsin ne sont que le début d’une vaste offensive dirigée
contre la partie de la Chine située au sud de la Grande Muraille.
Ils ont déjà commencé à mobiliser
leur pays en vue de la guerre.
Leur propagande affirmant qu’ils
n’ont « aucun désir d’aggraver la situation » n’est
qu’un rideau de fumée destiné à camoufler leur offensive.
La résistance à Loukeoukiao, le 7
juillet, marque le début de la Guerre de Résistance contre le Japon
menée à l’échelle nationale.
La situation politique en Chine est
entrée désormais dans une étape nouvelle, celle de la Guerre de
Résistance.
L’étape de la préparation à la
guerre est déjà dépassée.
A cette nouvelle étape, notre tâche
capitale est de mobiliser toutes les forces pour remporter la
victoire.
Développer la guerre, déjà
déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est
la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette
guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la
victoire finale.
Comme il subsiste de grandes
faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de
nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites,
scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.
C’est pourquoi il faut s’attendre
à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que,
grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance
qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous
les obstacles sur sa route.
L’expérience de dix mois de guerre
a également montré que ces considérations étaient justes ; leur
justesse apparaîtra encore plus clairement à l’avenir.
8 Au point de vue de la connaissance, toutes les
opinions erronées sur la guerre proviennent de l’idéalisme et du
mécanisme. Ceux qui partagent ces opinions abordent la question de
la guerre d’une façon subjective et unilatérale.
Ils se livrent à un bavardage dénué
de tout fondement et entièrement subjectiviste, ou bien, considérant
seulement un côté des faits, leur état à un moment donné,
exagèrent de façon tout aussi subjective ce côté, cette situation
temporaire, les prenant pour le tout.
Cependant, il y a erreurs et erreurs.
Les unes, qui ont un caractère
fondamental et donc permanent, sont difficiles à redresser ; les
autres, qui ont un caractère accidentel, donc temporaire, sont
faciles à corriger.
Mais, les unes et les autres étant
des erreurs, il est indispensable de les corriger toutes.
C’est pourquoi il n’est possible
d’arriver à des conclusions justes qu’en luttant contre les
tendances idéalistes et mécanistes dans la question de la guerre et
en examinant cette question objectivement et sous tous ses aspects.
Notre argumentaire sur la question
9 Pourquoi la Guerre de Résistance sera-t-elle une
guerre prolongée ? Pourquoi la victoire finale appartiendra-t-elle
à la Chine ? Quels arguments peut-on présenter à l’appui de
ces affirmations ?
La guerre sino-japonaise n’est
pas une guerre quelconque, c’est une guerre à mort entre la Chine
semi-coloniale et semi-féodale et le Japon impérialiste,
et elle se déroule dans les années 30 du XXe siècle. Toute notre
argumentation est bâtie là-dessus.
Considérée séparément, chacune
des deux parties belligérantes possède tout un ensemble de
particularités qui sont contraires à celles de l’autre.
10 Le Japon : Premièrement, c’est une grande
puissance impérialiste ; ses forces armées, sa puissance économique
et la puissance de son appareil d’Etat le placent au premier rang
en Orient ; c’est même l’une des cinq ou six plus grandes
puissances impérialistes du monde.
Tels sont les facteurs de base de la
guerre d’agression que fait le Japon.
Le caractère inéluctable de cette
guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une prompte
victoire s’expliquent précisément par le fait que le Japon est un
pays impérialiste qui dispose d’une puissante force militaire,
d’une puissante économie et d’un puissant appareil d’Etat.
Mais, deuxièmement, la nature
impérialiste de l’économie sociale du Japon détermine le
caractère impérialiste, c’est-à-dire rétrograde et
barbare, de la guerre qu’il poursuit.
Dans les années 30 du XXe siècle,
les contradictions internes et externes de l’impérialisme japonais
ne l’ont pas seulement contraint à se lancer dans une guerre
d’aventure d’une ampleur sans précédent, mais l’ont aussi
placé au seuil d’une faillite définitive.
Du point de vue de son développement
social, le Japon n’est plus un pays en voie d’essor ; la guerre
n’apportera pas aux classes dirigeantes du Japon la prospérité
qu’elles en attendent, elle aboutira au résultat exactement
inverse : la ruine de l’impérialisme japonais.
C’est ce que nous entendons par le
caractère rétrograde de la guerre que poursuit le Japon.
C’est cela qui, joint au caractère
militaire et féodal de l’impérialisme japonais, détermine la
barbarie particulière avec laquelle le Japon poursuit cette guerre.
L’ensemble de ces facteurs poussera
à l’extrême l’antagonisme entre les classes au Japon même,
l’antagonisme entre les nations japonaise et chinoise, et
l’antagonisme entre le Japon et la plupart des pays du monde.
Le caractère rétrograde et barbare
de la guerre que poursuit le Japon est la raison principale de sa
défaite inévitable.
Mais ce n’est pas tout.
Troisièmement, bien que le Japon fasse la guerre en s’appuyant sur
la puissance de sa force militaire, de son économie et de son
appareil d’Etat, sa base n’en est pas moins insuffisante en
elle-même.
Du point de vue militaire, économique
et de l’appareil d’Etat, la puissance du Japon est grande, mais
quantitativement insuffisante.
Le Japon est un pays relativement
petit ; il manque de ressources humaines, militaires, financières et
matérielles ; il ne pourra pas supporter une guerre de longue durée.
Ses gouvernants espèrent surmonter
ces difficultés grâce à la guerre, mais là aussi ils aboutiront
au résultat exactement inverse ; en d’autres termes, ils ont
déclenché une guerre pour résoudre ces difficultés, mais la
guerre finira par les augmenter encore et par engloutir même ce que
le Japon possédait au début.
Enfin, quatrièmement, bien que le
Japon puisse recevoir une aide extérieure des pays fascistes, les
forces internationales à l’opposition desquelles il ne manquera
pas de se heurter l’emporteront sur celles qui lui apportent de
l’aide.
Ces forces internationales grandiront
graduellement et, finalement, elles neutraliseront l’aide des pays
fascistes et feront pression sur le Japon lui-même.
Ici entre en jeu une loi découlant
de la nature même de la guerre poursuivie par le Japon : une cause
injuste trouve peu de soutien.
En résumé, la supériorité du
Japon consiste en sa puissance de guerre et ses points faibles
résident dans le caractère rétrograde et barbare de la guerre
qu’il poursuit, dans l’insuffisance de ses ressources en forces
humaines et matérielles et dans son état d’isolement
international.
Telles sont les caractéristiques du
Japon.
11 La Chine : Premièrement, elle est un pays
semi-colonial et semi-féodal. La Guerre de l’Opium, la Guerre
des Taiping, le Mouvement réformiste de 1898, la Révolution de
1911, l’Expédition du Nord, bref, tous les mouvements
révolutionnaires ou réformistes qui s’étaient donné pour but
d’arracher la Chine à son état de pays semi-colonial et
semi-féodal ont essuyé de graves échecs, et c’est pourquoi
la Chine reste un pays semi-colonial et semi-féodal.
Nous sommes toujours un pays faible :
notre force militaire, la puissance de notre économie et de notre
appareil d’Etat sont manifestement inférieures à celles de
l’ennemi, ce qui détermine également le caractère inéluctable
de la guerre et l’impossibilité pour la Chine de remporter une
prompte victoire.
Deuxièmement, cependant, le
mouvement de libération qui n’a cessé de se développer en Chine
tout au long des cent dernières années se distingue de celui de
toute autre période historique antérieure.
Si les diverses forces intérieures
et extérieures qui s’opposaient à ce mouvement lui ont infligé
de sérieux échecs, elles ont trempé en même temps le peuple
chinois.
Aujourd’hui, notre pays retarde sur
le Japon tant du point de vue militaire, économique et culturel que
du point de vue de l’appareil d’Etat, mais il y a chez nous des
forces plus progressistes qu’à n’importe quelle période de
notre histoire.
Le Parti communiste chinois et
l’armée qu’il dirige représentent ces forces de progrès, et
c’est sur la base de ce progrès que la guerre de libération,
poursuivie actuellement par la Chine, pourra prendre le caractère
d’une guerre prolongée et aboutir à la victoire finale.
Par contraste avec l’impérialisme
japonais qui est sur son déclin, la Chine est comme le soleil qui se
lève.
La guerre que poursuit la Chine est
une guerre pour le progrès, et par suite une guerre juste, qui, en
tant que telle, peut rallier tout le pays, susciter la sympathie du
peuple du pays ennemi, et faire bénéficier la Chine du soutien de
la majorité des pays du monde.
Troisièmement, la Chine est un grand
pays, avec un vaste territoire, d’abondantes ressources
matérielles, une population nombreuse et une grande armée.
Par conséquent, elle est à même de
soutenir une guerre de longue durée et, là encore, elle est dans
une situation contraire à celle du Japon.
Enfin, quatrièmement, le large
soutien international que vaut à la Chine le caractère progressiste
et juste de la guerre qu’elle poursuit est, lui aussi, l’exact
contraire du maigre soutien donné à la cause injuste du Japon.
En résumé, le point vulnérable de
la Chine réside dans sa faible puissance de guerre, et sa
supériorité, dans le caractère progressiste et juste de la guerre
qu’elle poursuit, dans sa qualité de grand pays et dans le large
soutien international dont elle bénéficie.
Telles sont les particularités de la
Chine.
12 Ainsi, le Japon dispose d’une puissante force
militaire, d’une puissante économie et d’un puissant appareil
d’Etat, mais la guerre qu’il poursuit est de caractère
rétrograde et barbare, les ressources humaines et matérielles qu’il
possède sont insuffisantes et la situation internationale lui est
défavorable.
Pour la Chine, c’est tout le
contraire ; sa force militaire, son économie et son appareil d’Etat
sont relativement faibles, mais elle connaît une époque de progrès
et la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et juste.
En outre, elle est un grand pays, ce
qui lui donne la possibilité de soutenir une longue guerre. De plus,
la Chine recevra de l’aide de la plupart des pays du monde.
Telles sont les particularités
fondamentales, réciproquement contraires, de la Chine et du Japon en
tant que parties belligérantes.
Ces particularités ont déterminé
et déterminent encore toute l’orientation politique et toute la
stratégie et la tactique militaire des deux parties ; elles ont
déterminé et déterminent encore le caractère prolongé de la
guerre et elles annoncent la victoire définitive de la Chine et non
du Japon.
La guerre est une compétition entre
ces particularités.
Elles changeront au cours de la
guerre, chacune suivant sa propre nature ; et tout ce qui se produira
découlera de ces particularités et de leurs changements.
Ces particularités existent
réellement, elles n’ont pas été inventées pour duper les gens.
Elles constituent tous les éléments
essentiels de la guerre, elles ne représentent pas des aspects
séparés et isolés.
Elles sont sous-jacentes à tous
les problèmes, grands et petits, qui se posent aux deux parties à
toutes les étapes de la guerre, elles ne sont aucunement quelque
chose d’accessoire.
Si, dans l’examen de la guerre
sino-japonaise, on perd de vue ces particularités, on tombe
inévitablement dans l’erreur, et même si certaines opinions
paraissent justes au début et prennent crédit un certain temps, le
développement ultérieur de la guerre n’en montrera pas moins
qu’elles sont fausses.
En nous fondant sur ces
particularités, nous allons maintenant passer à l’explication des
questions que nous avons à traiter.
Réfutation de la théorie de l’asservissement
inéluctable de la Chine
13 Ne considérant qu’un seul facteur, le fait que l’ennemi
est fort et que nous sommes faibles, les partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine disaient déjà autrefois
: « Si nous menons une guerre de résistance, c’est
l’asservissement. »
Maintenant, ils affirment : »
Poursuivre la guerre, c’est l’asservissement inéluctable. «
Si nous nous contentons de répondre à
cela que l’ennemi, tout en étant fort, est un petit pays, et que
la Chine, tout en étant faible, constitue un grand pays, nous ne
convaincrons pas les partisans de cette théorie.
Ils peuvent trouver dans l’histoire les
exemples du renversement des Song par les Yuan ou des Ming par les
Tsing, et prouver ainsi que l’assujettissement d’un pays grand
mais faible par un pays petit mais fort, et, qui plus est, d’un
pays avancé par un pays retardataire, est possible.
Si nous leur disons que tout cela s’est
produit dans un passé lointain et ne peut servir de preuve dans la
situation actuelle, ils peuvent aussi s’appuyer sur le cas de
l’assujettissement de l’Inde par l’Angleterre pour démontrer
qu’un pays capitaliste petit, mais fort, peut asservir un pays
grand, mais faible et retardataire.
C’est pourquoi nous devons donner
d’autres raisons encore afin qu’il soit possible de contraindre
les partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine à se taire et à reconnaître leur erreur, et de fournir en
même temps à tous ceux qui poursuivent un travail de propagande des
arguments suffisants pour convaincre ceux dont les idées restent
confuses ou ceux qui sont encore indécis et pour renforcer leur foi
dans notre victoire.
14 Quels sont donc les arguments que nous devons
apporter ? Ils résident dans les particularités de notre époque,
soit, concrètement, dans le caractère rétrograde du Japon et le
faible appui dont il jouit, dans le caractère progressiste de la
Chine et le large soutien dont elle bénéficie.
15 Cette guerre n’est pas une guerre quelconque,
c’est une guerre entre la Chine et le Japon dans les années 30 du
XXe siècle.
Si l’on considère notre ennemi, il est
avant tout un impérialisme moribond, un impérialisme sur son
déclin, qui non seulement ne ressemble pas à l’Angleterre du
temps de l’assujettissement de l’Inde, alors que le capitalisme
britannique était encore ascendant, mais diffère aussi de ce
qu’était le Japon il y a vingt ans, dans la période de la
Première guerre mondiale.
La guerre actuelle a éclaté à la veille
de la grande débâcle de l’impérialisme mondial et, en premier
lieu, des Etats fascistes.
C’est justement pour cela que l’ennemi
s’est lancé dans une guerre d’aventure, qui n’est au fond
qu’une guerre désespérée.
Pour la même raison, la guerre aura pour
résultat non pas la ruine de la Chine, mais celle de la clique
dirigeante de l’impérialisme japonais.
C’est là une issue inévitable, à
laquelle il lui est impossible d’échapper.
En outre, le Japon a entrepris cette guerre
à un moment où d’autres pays du monde sont déjà entraînés
dans la guerre ou vont l’être, alors que tous ensemble nous
combattons déjà l’agression barbare ou bien nous nous préparons
à la combattre.
Et les intérêts de la Chine se confondent
avec les intérêts de la majorité des pays et des peuples du monde.
Telles sont les raisons profondes de
l’opposition que le Japon suscite et suscitera de plus en plus
contre lui dans ces pays et parmi ces peuples.
16 Quelle est la situation de la Chine ?
La Chine d’aujourd’hui ne peut déjà
plus être comparée à celle d’autrefois, à une période
quelconque de l’histoire.
Le caractère semi-colonial et
semi-féodal de la Chine la fait considérer comme un pays
faible.
Mais, en même temps, la Chine traverse une
époque de progrès dans son développement historique, et c’est là
notre principal argument pour affirmer qu’elle peut vaincre le
Japon.
Lorsque nous disons que la Guerre de
Résistance contre le Japon est une guerre progressiste, nous ne
prenons pas ce mot dans son sens courant ou général, nous
n’entendons pas qu’elle est progressiste comme l’était la
résistance de l’Abyssinie à l’agression italienne, ou comme
l’était la Guerre des Taiping ou la Révolution de 1911, nous
voulons parler du caractère progressiste de la Chine d’aujourd’hui.
En quoi la Chine d’aujourd’hui est-elle progressiste ?
En ce que, déjà, elle n’est plus un
Etat féodal dans toute la force du terme.
Le capitalisme y est apparu, ainsi que la
bourgeoisie et le prolétariat ; de larges masses du peuple se sont
éveillées ou s’éveillent à une vie consciente ; la Chine a un
Parti communiste, elle a une armée progressiste au point de vue
politique, l’Armée rouge chinoise dirigée par le Parti communiste
; et elle a accumulé les traditions et l’expérience de dizaines
d’années de révolutions et, en particulier, l’expérience des
dix sept années écoulées depuis la fondation du Parti
communiste chinois.
C’est cette expérience qui a éduqué le
peuple chinois et les partis politiques de Chine, c’est elle qui
forme aujourd’hui la base même de l’union du peuple dans la
résistance contre le Japon.
S’il est vrai que la victoire de 1917
aurait été impossible en Russie sans l’expérience de 1905, nous
pouvons dire que si nous n’avions pas l’expérience des dix
sept dernières années, la victoire future dans la Guerre de
Résistance serait également impossible.
Telles sont nos conditions intérieures.
Les conditions internationales font que la
Chine ne se trouve plus isolée dans la guerre, et c’est là encore
une situation sans précédent dans l’histoire.
Dans le passé, la Chine aussi bien que
l’Inde ont toujours fait la guerre dans l’isolement.
C’est de nos jours seulement qu’un
mouvement populaire aussi large et aussi profond, né ou sur le point
de naître dans le monde entier, apporte son aide à la Chine.
La Révolution de 1917 en Russie a reçu,
elle aussi, une aide internationale, et les ouvriers et les paysans
russes ont triomphé, mais cette aide n’était pas aussi étendue
et elle n’avait pas un caractère aussi profond que celle dont
bénéficie la Chine de nos jours.
Le mouvement populaire dans le monde se
développe aujourd’hui avec une ampleur et une profondeur sans
précédent.
Un facteur encore plus important de la
politique internationale contemporaine est l’existence de l’Union
soviétique, pays qui, sans aucun doute, apportera de l’aide à la
Chine avec un immense enthousiasme ; c’est là un fait qui
n’existait pas il y a vingt ans. L’ensemble de ces facteurs a
créé et continue de créer d’importantes conditions,
indispensables pour la victoire finale de la Chine.
Une aide directe et étendue n’existe pas
pour le moment et n’interviendra que plus tard, mais la Chine, qui
est dans une ère de progrès et qui est un grand pays, pourra
soutenir une longue guerre et, par là même, promouvoir l’aide
internationale et avoir le temps de la recevoir.
17 Si l’on ajoute à ce qui vient d’être dit
que le Japon est un petit pays ayant un territoire peu étendu, des
ressources matérielles limitées, une population et une armée peu
nombreuses, et que la Chine est un grand pays au vaste territoire,
aux ressources matérielles abondantes, ayant une population
nombreuse et une grande armée, on verra dans le rapport des forces
entre le Japon et la Chine, à côté du fait que le Japon est un
pays fort et la Chine un pays faible, un autre aspect : sur la voie
de son déclin et faiblement appuyé, un petit pays s’oppose à un
grand pays engagé dans une ère de progrès et bénéficiant d’un
large soutien.
C’est la raison pour laquelle la Chine ne
sera jamais asservie.
Le premier aspect du rapport des forces :
un pays faible s’opposant à un pays fort fait que le Japon pourra
se déchaîner en Chine pendant un certain temps et jusqu’à un
certain point, que la Chine aura nécessairement à passer par une
période d’épreuves et que la Guerre de Résistance sera une
guerre prolongée et non pas une guerre de décision rapide.
Cependant, le deuxième aspect du rapport
des forces, à savoir qu’un petit pays sur son déclin, faiblement
appuyé, s’oppose à un grand pays engagé dans une ère de progrès
et bénéficiant d’un large soutien, fait à son tour que le Japon
ne pourra pas se déchaîner indéfiniment en Chine et qu’il subira
nécessairement, en fin de compte, la défaite, que la Chine ne sera
jamais asservie et qu’elle est sûre de remporter la victoire
finale.
18 Pourquoi l’Abyssinie a-t-elle été
asservie ?
Premièrement, elle n’était pas
seulement faible, elle était aussi un petit pays.
Deuxièmement, elle n’était pas aussi
progressiste que la Chine : c’était un pays passant de l’antique
régime esclavagiste au régime du servage, un pays où il n’y
avait ni capitalisme ni parti politique bourgeois ni, à plus forte
raison, de parti communiste, et qui n’avait pas une armée comme la
Chine en possède, ni, à plus forte raison, comme notre VIIIe Armée
de Route.
Troisièmement, elle ne put tenir le temps
nécessaire pour recevoir une aide internationale et elle dut faire
la guerre toute seule.
Quatrièmement, et c’est là le
principal, des erreurs furent commises dans la conduite de la guerre
contre les envahisseurs italiens.
C’est pour toutes ces raisons que
l’Abyssinie fut asservie. Toutefois, une guerre de partisans assez
étendue s’y maintient et si les Abyssins la poursuivent avec
ténacité, ils pourront reconquérir l’indépendance de leur
patrie à la faveur d’un changement dans la situation
internationale.
19 Si maintenant les partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine utilisent les exemples
d’échec du mouvement de libération dans la Chine moderne pour
démontrer que « si nous menons une guerre de résistance,
c’est l’asservissement » et que « poursuivre la
guerre, c’est l’asservissement inéluctable », nous
pouvons, ici encore, leur répondre que les temps ont changé.
La situation en Chine aussi bien que la
situation au Japon et la situation internationale sont aujourd’hui
différentes.
Le Japon est devenu plus fort
qu’auparavant, tandis que la Chine demeure toujours un pays
semi-colonial et semi-féodal assez faible.
C’est là une grave circonstance.
Les dirigeants du Japon peuvent encore
maintenir leur peuple sous leur joug et profiter des contradictions
internationales pour envahir la Chine.
Tout cela est vrai.
Mais au cours d’une longue guerre, des
changements en sens inverse se produiront inévitablement.
Actuellement, ils ne sont pas encore
accomplis, mais ils le seront dans l’avenir.
Voilà ce dont les partisans de la théorie
de l’asservissement inéluctable de la Chine ne veulent justement
pas tenir compte.
Et en Chine ?
Nous avons déjà des hommes nouveaux, un
parti nouveau, une armée nouvelle et une politique nouvelle, une
politique de résistance contre le Japon, notre situation est fort
différente de celle d’il y a dix ans et, qui plus est, elle
évoluera nécessairement vers de nouveaux progrès.
Certes, l’histoire du mouvement de
libération en Chine a connu de nombreux insuccès, qui ont empêché
la Chine d’accumuler des forces plus importantes pour la présente
Guerre de Résistance ; c’est là une leçon historique
particulièrement amère dont il faut bien se pénétrer pour ne plus
permettre, à l’avenir, la destruction par les Chinois eux-mêmes
de leurs forces révolutionnaires.
Cependant, si nous faisons des efforts
énergiques en nous appuyant sur ce qui existe déjà, nous pouvons
assurément progresser pas à pas et accroître nos forces pour
résister aux envahisseurs japonais. Un grand front uni national
anti-japonais, voilà l’objectif vers lequel doivent tendre tous
ces efforts.
En ce qui concerne le soutien
international, bien qu’une aide directe et massive ne soit pas
encore à portée, elle se prépare, la situation internationale
étant déjà foncièrement différente de ce qu’elle était
auparavant.
Les innombrables insuccès du mouvement de
libération dans la Chine moderne s’expliquent aussi bien par des
causes objectives que par des causes subjectives, mais la situation
actuelle est entièrement différente sous ces deux rapports.
Bien qu’il y ait aujourd’hui de
nombreuses conditions défavorables, qui rendent la Guerre de
Résistance difficile, par exemple le fait que le Japon est un Etat
fort et la Chine un Etat faible, que l’ennemi commence seulement à
éprouver des difficultés et que nous n’avons pas encore atteint
un degré de développement suffisant, il n’en existe pas moins un
très grand nombre de conditions favorables à notre victoire sur
l’ennemi.
Il suffit donc que nous fassions des
efforts, et nous pourrons surmonter les difficultés et remporter la
victoire.
Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de
la Chine, de période qui présentât des conditions aussi favorables
pour nous que la période actuelle.
Voilà pourquoi la Guerre de Résistance
contre le Japon ne se terminera pas, comme les mouvements de
libération d’autrefois, un échec.
Le compromis ou la résistance ? Le pourrissement
ou le progrès ?
20 Nous avons montré que la théorie de l’asservissement
inéluctable de la Chine est dénuée de tout fondement.
Cependant, beaucoup de Chinois, qui
ne sont nullement des partisans de cette théorie mais de bons
patriotes, sont fort inquiets de la situation actuelle : d’une part
ils craignent qu’on ne fasse un compromis avec le Japon et d’autre
part ils ont des doutes sur la possibilité d’un progrès politique
en Chine.
Ces deux questions, qui sont sujets
de préoccupations, sont débattues dans de larges milieux, mais on
ne sait sur quoi se fonder pour les résoudre. Examinons les
donc maintenant.
21 Nous avons dit plus haut que l’esprit de
compromis a ses racines sociales. Aussi longtemps que celles-ci
existeront, cet esprit se manifestera inévitablement.
Mais les tentatives de compromis ne
pourront réussir.
Il faut en chercher la preuve, une
fois de plus, dans la situation du Japon, dans celle de la Chine et
dans la situation internationale. Voyons d’abord le Japon.
Dès le début de la Guerre de
Résistance, nous avons prévu que le moment viendrait où il se
créerait une atmosphère de compromis, c’est-à-dire qu’après
l’occupation de la Chine du Nord et des provinces du Kiangsou et du
Tchékiang, l’ennemi pourrait essayer d’amener la Chine à
capituler.
Cette tentative eut effectivement
lieu par la suite. Toutefois, ce moment critique fut rapidement
franchi, en partie parce que l’ennemi s’est mis à appliquer
partout une politique barbare et s’est livré ouvertement au
pillage.
En cas de capitulation de la Chine,
le sort d’esclaves coloniaux attendait tous les Chinois.
Cette politique de rapine de
l’ennemi, tendant à l’asservissement de la Chine, a deux
aspects, matériel et moral, et elle s’applique à tous les Chinois
sans exception, aussi bien aux masses populaires qu’aux couches
supérieures de la société, à ces dernières évidemment sous une
forme un peu plus modérée, mais il n’y a qu’une différence de
degré, et non de principe.
D’une façon générale, l’ennemi
reprend en Chine intérieure les procédés mêmes qu’il a
appliqués dans les trois provinces du Nord-Est.
Du point de vue matériel, cela
consiste à enlever aux simples gens nourriture et vêtements, vouant
les larges masses de la population à la faim et au froid.
L’ennemi s’empare aussi des
moyens de production, détruisant et asservissant ainsi l’industrie
nationale chinoise.
Du point de vue moral, sa politique
est de détruire la conscience nationale du peuple chinois.
Sous le drapeau du « Soleil
levant », le Chinois ne peut être qu’un serviteur soumis,
qu’une bête de somme, et on ne lui permet pas la moindre
manifestation d’esprit national.
Cette politique barbare, l’ennemi
va la porter plus profondément encore au cœur de notre pays.
Insatiable, il ne veut pas arrêter la guerre.
La politique proclamée par le cabinet japonais le 16 janvier I931
est toujours appliquée résolument, et il est impossible qu’il en
soit autrement.
Toutes les couches de la population
chinoise en sont indignées.
Cette indignation vient du caractère
rétrograde et barbare de la guerre poursuivie par l’ennemi, et,
comme « personne n’échappe au destin », on en vient à
opposer une résistance implacable aux envahisseurs japonais.
Il faut s’attendre qu’à un
moment donné l’ennemi essaiera de nouveau d’amener la Chine à
la capitulation, et que certains partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine recommenceront à bouger,
et ne manqueront pas d’entrer en collusion avec certains éléments
à l’étranger (il s’en trouvera en Angleterre, aux Etats-Unis
et en France, surtout dans les hautes sphères de l’Angleterre)
pour accomplir leur mauvais coup.
Mais la situation générale est
telle qu’elle ne permettra pas la capitulation.
L’opiniâtreté et la barbarie
exceptionnelle avec lesquelles le Japon poursuit la guerre sont l’une
des raisons qui rendent la capitulation impossible.
22 Voyons ensuite la Chine.
Il existe trois facteurs qui
conditionnent la poursuite résolue de la Guerre de Résistance par
la Chine.
Le premier de ces facteurs, c’est
le Parti communiste, force sur laquelle on peut compter et qui dirige
le peuple dans sa lutte contre l’envahisseur japonais.
Le deuxième facteur, c’est le
Kuomintang. Comme il dépend de l’Angleterre et des États-Unis, il
ne capitulera pas tant que ces pays ne lui diront pas de le faire.
Le troisième facteur, ce sont les
autres partis politiques qui, dans leur grande majorité, sont contre
l’esprit de compromis et soutiennent la Guerre de Résistance.
Dans les conditions résultant de la conjonction
de ces trois facteurs, quiconque recherchera l’entente avec
l’ennemi se retrouvera aux côtés des traîtres à la nation et
tout le monde aura le droit de le châtier.
Tous ceux qui ne veulent pas être
des traîtres à la nation n’ont d’autre choix que de s’unir et
de poursuivre la Guerre de Résistance jusqu’au bout ; le compromis
sera donc difficile à réaliser.
23 Considérons enfin la situation internationale.
A l’exception des alliés du Japon
et de certains éléments dans les hautes sphères d’autres pays
capitalistes, le monde entier est favorable à la résistance de la
Chine et non à un compromis de sa part.
Cette situation renforce notre
espoir.
A l’heure actuelle, notre peuple
entier espère que les forces internationales accroîtront peu à peu
leur aide à la Chine.
Et cet espoir n’est pas vain.
L’existence de l’Union soviétique encourage particulièrement la
Chine dans la Guerre de Résistance.
Aujourd’hui plus forte que jamais,
l’Union soviétique, Etat socialiste, a toujours été aux côtés
de la Chine, dans les bons comme dans les mauvais jours.
Contrairement à tous les Etats
capitalistes, où les couches supérieures de la société aspirent
uniquement au profit, l’Union soviétique considère qu’il est de
son devoir d’aider toutes les nations faibles et de soutenir toutes
les guerres révolutionnaires. Que la Chine, en poursuivant la
guerre, ne se trouve pas isolée, résulte non seulement de l’aide
internationale en général, mais de l’aide de l’Union soviétique
en particulier.
La proximité géographique de la
Chine et de l’Union soviétique rend encore plus critique la
situation du Japon et favorise la Chine dans sa Guerre de Résistance.
Rendue plus difficile par la
proximité géographique du Japon, la résistance de la Chine trouve
au contraire une condition favorable dans la proximité géographique
de l’Union soviétique.
24 De là on peut tirer la conclusion suivante :
Le danger de compromis existe, mais il peut être conjuré, car la
politique de l’ennemi, même si elle se modifie jusqu’à un
certain point, ne peut changer radicalement.
L’esprit de compromis a des racines
sociales en Chine, mais les adversaires du compromis forment
l’immense majorité.
Parmi les forces internationales
aussi, certains éléments sont en faveur du compromis, mais les
forces principales sont pour la Résistance. L’action commune de
ces trois facteurs crée la possibilité d’écarter le danger de
compromis et de poursuivre fermement jusqu’au bout la Guerre de
Résistance.
25 Répondons maintenant à la seconde question.
L’amélioration de la situation politique du pays est inséparable
de la poursuite résolue de la Guerre de Résistance.
Plus la situation politique
s’améliore, plus il sera possible de poursuivre la guerre
résolument.
Réciproquement, plus la guerre sera
poursuivie résolument et plus s’améliorera la situation
politique. Toutefois, le rôle essentiel revient ici à la poursuite
résolue de la guerre.
Il y a bien des facteurs
indésirables, gros de conséquences, dans différents domaines de
l’activité du Kuomintang, facteurs qui se sont accumulés durant
de longues années et qui préoccupent et inquiètent beaucoup les
milieux patriotiques les plus larges.
Mais, comme l’a déjà montré
l’expérience de la Guerre de Résistance, le peuple chinois a fait
en dix mois autant de progrès qu’il en faisait autrefois en de
nombreuses années, aussi n’y a-t-il pas de raison d’être
pessimiste.
Bien que de longues années de
corruption, en accumulant leurs effets, aient fortement ralenti le
rythme de développement des forces populaires qui prennent part à
la Guerre de Résistance, qu’elles nous aient enlevé la
possibilité de remporter certains succès militaires et qu’elles
aient entraîné des pertes inutiles dans la guerre, la situation
générale, en Chine comme au Japon et dans le monde entier, est
telle que le peuple chinois ne peut piétiner sur place.
Le progrès sera lent, parce que des
phénomènes de décomposition l’entravent. Le progrès et la
lenteur de ce progrès sont deux traits caractéristiques de la
situation actuelle, et le second de ces traits caractéristiques ne
répond manifestement pas aux exigences pressantes de la guerre,
c’est ce qui inquiète beaucoup les patriotes chinois.
Mais nous poursuivons une guerre
révolutionnaire, et une guerre révolutionnaire agit comme une sorte
de contrepoison, non seulement sur l’ennemi, dont elle brisera la
ruée forcenée, mais aussi sur nos propres rangs, qu’elle
débarrassera de tout ce qu’ils ont de malsain.
Toute guerre juste, révolutionnaire,
est une grande force, elle peut transformer bien des choses ou ouvrir
la voie à leur transformation. La guerre sino-japonaise
transformera et la Chine et le Japon.
Il suffit que la Chine poursuive
fermement la Guerre de Résistance et applique fermement une
politique de front uni pour que l’ancien Japon se transforme
immanquablement en un Japon nouveau, et l’ancienne Chine en une
Chine nouvelle.
Aussi bien en Chine qu’au Japon,
les gens et les choses se transformeront, au cours de la guerre et
après la guerre.
Nous avons raison de lier la Guerre
de Résistance aux tâches de la construction nationale.
Lorsque nous disons que le Japon peut
aussi être transformé, nous entendons que la guerre d’agression
poursuivie par les dirigeants du Japon leur apportera la défaite et
peut susciter une révolution populaire au Japon.
Le jour de la victoire de la
révolution populaire japonaise sera le jour de la transformation du
Japon. Cela est étroitement lié à la Guerre de Résistance que
poursuit la Chine, et il ne faudra pas perdre de vue cette
perspective.
La théorie de l’asservissement inéluctable de
la chine est erronée, mais la théorie de la victoire rapide ne
l’est pas moins
26 Ainsi, nous avons soumis à une étude comparative les
particularités fondamentales et réciproquement contraires de notre
pays et de l’ennemi, lesquelles consistent en ce que le Japon est
un pays fort, mais petit, qui est sur son déclin et ne jouit que
d’un maigre appui international, et que la Chine est un pays
faible, mais grand, engagé dans une époque de progrès et
bénéficiant d’un large soutien international.
Nous avons réfuté la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine, et nous avons expliqué
pourquoi le compromis est peu probable et pourquoi le progrès
politique est possible en Chine.
Les partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine donnent une grande
importance à l’une des contradictions, à savoir que l’ennemi
est fort et que nous sommes faibles, ils la grossissent jusqu’à en
faire la base de leur argumentation pour toute la question, et ils
négligent les autres contradictions.
En ne parlant que de cette
contradiction, ils manifestent le caractère unilatéral de leur
pensée et, en donnant à ce seul aspect de la question les
dimensions du tout, ils font preuve de subjectivisme.
A considérer la question dans son
ensemble, leur théorie est donc sans fondement, elle est erronée.
Quant à ceux qui ne sont ni des
partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine, ni des pessimistes invétérés, mais qui s’abandonnent pour
un certain temps au pessimisme simplement parce qu’ils se sont
laissé troubler par la disparité des forces entre l’ennemi et
nous à un moment donné et sous certains aspects ou par les signes
de corruption à l’intérieur du pays, nous devons leur montrer que
leurs idées reposent aussi sur une base unilatérale et
subjectiviste.
Il est d’ailleurs assez facile de
corriger leurs erreurs ; il suffit de les leur montrer pour qu’ils
comprennent, car ils sont patriotes et leurs erreurs ne sont que
passagères.
27 Mais les partisans de la théorie de la
victoire rapide sont également dans l’erreur.
Ou bien ils oublient complètement
que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles, ne retenant que
les autres contradictions ; ou bien ils exagèrent les avantages de
la Chine au point de donner de notre pays une image altérée ; ou
bien encore ils prennent le rapport des forces à un moment donné et
en un lieu donné pour l’expression de la situation en général ;
« une feuille devant les yeux leur dérobe le mont Taichan »,
et ils se croient dans le vrai.
En somme, ils n’ont pas le courage
de reconnaître que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.
Ils se dissimulent fréquemment ce
fait et, par là, ils estompent l’un des aspects de la vérité.
Ils n’ont pas non plus le courage
de reconnaître le caractère limité de nos avantages, et, par là,
ils estompent un autre aspect de la vérité.
D’où leurs erreurs, grandes et
petites. Ici encore, c’est le subjectivisme et le point de vue
unilatéral qui sont en cause.
Ces amis sont pleins de bonnes
intentions, eux aussi sont des patriotes ; mais « quelque
généreuses que soient les aspirations de ces messieurs »,
leur point de vue est erroné, et agir d’après leur recette
conduirait à une impasse.
Car, avec une appréciation inexacte
de la réalité, les actions entreprises ne sauraient atteindre les
buts fixés ; si l’on voulait forcer les choses, l’armée serait
détruite, la patrie asservie, et le résultat serait le même
qu’avec les défaitistes.
C’est pourquoi la théorie de la
victoire rapide est à rejeter, elle aussi.
28 Nions-nous le danger d’asservissement
qui menace la Chine ? Non, nous ne le nions pas.
Nous reconnaissons que la Chine se
trouve devant deux avenirs possibles, la libération ou
l’asservissement, et qu’un conflit violent les oppose.
Notre tâche, c’est de libérer la
Chine, d’empêcher son asservissement.
Ce qui rend la libération possible,
c’est principalement le progrès de la Chine, mais ce sont aussi
les difficultés de l’ennemi et l’aide internationale.
A la différence des partisans de la
théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, nous
abordons la question objectivement et sous tous ses aspects, et nous
reconnaissons qu’il existe en même temps deux possibilités :
l’asservissement de la Chine et sa libération.
Nous soulignons que la possibilité
de sa libération prédomine, nous en indiquons les conditions
indispensables et nous appliquons tous nos efforts à réaliser ces
conditions.
Quant aux partisans de la théorie de
l’asservissement inéluctable de la Chine, ils abordent la question
subjectivement et unilatéralement ; ils ne reconnaissent qu’une
seule possibilité, l’asservissement de la Chine, et nient la
possibilité de sa libération.
Inutile de dire qu’ils ne peuvent
pas indiquer les conditions nécessaires à la libération et qu’ils
n’appliqueront pas leurs efforts à les réaliser.
Nous reconnaissons également
l’existence de tendances au compromis et de phénomènes de
corruption, mais nous voyons aussi d’autres tendances et phénomènes
; nous montrons que ce sont les seconds qui l’emporteront peu à
peu dans le violent conflit qui les oppose aux premiers ; en outre,
nous indiquons les conditions pour leur réalisation et nous nous
efforçons de surmonter les tendances au compromis et de supprimer
les phénomènes de corruption.
Voilà pourquoi, contrairement aux
pessimistes, nous ne nous laissons pas abattre.
29 Ce n’est pas que nous ne souhaitions une
victoire rapide ; qui ne voudrait pas que les « diables
nippons » fussent chassés de notre pays dès demain matin ?
Mais nous disons que, faute de
certaines conditions bien définies, la victoire rapide n’existe
qu’en pensée et non dans la réalité, qu’elle n’est qu’une
pure illusion, le produit d’un faux raisonnement.
C’est pourquoi, en appréciant
objectivement et sous tous ses aspects la situation chez nous et chez
l’ennemi, nous indiquons la stratégie de la guerre prolongée
comme la seule voie nous permettant de remporter la victoire finale
et nous repoussons comme dénuée de tout fondement la théorie de la
victoire rapide.
Nous soutenons que tous nos efforts
doivent tendre à nous assurer les conditions indispensables de la
victoire finale.
Nous assurerons d’autant mieux
notre victoire, nous la remporterons d’autant plus vite que nous
aurons su réaliser ces conditions plus largement et plus tôt.
Nous estimons que c’est là le seul
moyen de réduire la durée de la guerre et nous rejetons comme un
vain bavardage la théorie de la victoire rapide, née du désir
d’obtenir les choses à bon compte.
Pourquoi une guerre prolongée ?
30 Venons-en maintenant à la question de la guerre
prolongée.
A cette question : « Pourquoi
une guerre prolongée ? » on ne peut donner une réponse
correcte qu’en se référant à tous les contrastes fondamentaux
entre l’ennemi et nous.
Par exemple, si nous prêtons attention au seul
fait que le Japon est une grande puissance impérialiste et la Chine
un pays faible, semi-colonial et semi-féodal, nous
risquons de tomber dans la théorie de l’asservissement inéluctable
de la Chine.
Car la longue durée de la guerre ne
découle, ni en théorie ni en pratique, de cette seule circonstance
que le faible s’oppose au fort.
Elle ne découle pas non plus du seul
fait que l’un des pays est grand et l’autre petit, que l’un est
progressiste et l’autre rétrograde, ou que l’un bénéficie d’un
large soutien international et l’autre non.
Il arrive souvent que le grand
engloutisse le petit ou, au contraire, que le petit engloutisse le
grand.
Pour les Etats comme pour les choses,
il n’est pas rare que ce qui est progressiste mais faible soit
anéanti par ce qui est rétrograde mais plus fort.
L’ampleur de l’aide extérieure
est un facteur important, mais secondaire, dont la portée dépend
des particularités fondamentales des parties belligérantes.
Aussi notre conclusion, selon
laquelle la Guerre de Résistance sera longue, repose-t-elle
sur l’appréciation, dans leur action réciproque, de toutes les
particularités qui caractérisent aussi bien l’ennemi que notre
pays.
Le danger de notre asservissement
réside dans le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes
faibles.
Mais, en même temps, l’ennemi a
ses propres côtés faibles, et nous avons nos avantages. Par nos
efforts, nous pouvons réduire l’avantage de l’ennemi et aggraver
ses points faibles.
D’autre part, nous pouvons, par nos
efforts, accroître nos avantages et surmonter notre point faible.
Voilà pourquoi nous serons à même
de remporter la victoire finale et d’échapper à l’asservissement,
tandis que l’ennemi sera finalement vaincu et verra s’écrouler
inéluctablement tout son régime impérialiste.
31 Puisque l’ennemi n’a qu’un avantage et
que toutes ses autres particularités comptent au nombre de ses
points faibles, et puisque nous n’avons qu’un point faible et que
toutes nos autres particularités comptent au nombre de nos
avantages, pourquoi n’en résulte-t-il pas un équilibre
mais bien la supériorité de notre ennemi et notre infériorité à
l’heure actuelle ?
Il est évident que l’on ne peut
aborder cette question d’une façon aussi formelle.
En vérité, la disparité des forces
entre l’ennemi et nous est actuellement si grande que les côtés
faibles de l’ennemi ne se sont pas encore aggravés et ne peuvent
pour le moment s’aggraver au point de contrebalancer sa puissance,
et nos avantages ne se sont pas encore développés et ne peuvent
pour le moment se développer au point de compenser notre faiblesse.
Voilà pourquoi l’équilibre n’est
pas encore possible, mais seulement le déséquilibre.
32 Si nos efforts pour persévérer dans la Guerre
de Résistance et pour maintenir le front uni ont modifié quelque
peu le rapport de la force et de la supériorité de l’ennemi à
notre faiblesse et à notre infériorité, le changement n’est
toutefois pas encore radical.
De ce fait, à une étape donnée de
la guerre, l’ennemi peut être victorieux jusqu’à un certain
point alors que nous pouvons dans une certaine mesure connaître la
défaite.
Mais pourquoi dans l’étape en
question, la victoire de l’ennemi et notre défaite gardentelles
ce caractère strictement limité, sans pouvoir devenir une victoire
ou une défaite complètes ?
En voici les raisons : Premièrement,
si l’ennemi est fort et nous faibles, cette force et cette
faiblesse ont été, dès le début, toutes relatives et non absolues
; deuxièmement, nos efforts pour persévérer dans la Guerre de
Résistance et maintenir le front uni ont encore accentué ce
caractère relatif.
Considérons la situation de départ
et son évolution : L’ennemi est fort, mais des facteurs
défavorables minent sa force, toutefois pas encore au point de
réduire sa supériorité à néant.
Nous sommes faibles, mais des
facteurs favorables compensent notre faiblesse, toutefois pas encore
au point de mettre fin à notre infériorité.
Aussi l’ennemi reste-t-il
relativement fort, et nous relativement faibles ; l’ennemi ne
l’emporte sur nous que relativement et nous ne le lui cédons que
relativement.
Des deux côtés, force et faiblesse,
supériorité et infériorité n’ont jamais eu un caractère
absolu, et de plus, nos efforts persévérants, pendant la guerre,
pour résister au Japon et maintenir le front uni ont modifié encore
davantage le rapport initial des forces.
Par conséquent, la victoire de
l’ennemi et notre défaite ont, au cours de cette étape, un
caractère strictement limité, et voilà pourquoi la guerre sera de
longue durée.
33 Mais la situation ne cesse de se modifier.
Si nous savons appliquer une tactique
militaire et politique correcte au cours des différentes phases de
la guerre, sans commettre d’erreurs de principe, et si nous
déployons au mieux tous nos efforts, les facteurs avantageux pour
nous et défavorables pour l’ennemi se renforceront au fur et à
mesure que durera la guerre et continueront à modifier la situation
donnée au départ, à savoir que l’ennemi est fort et nous
faibles, qu’il l’emporte sur nous et que nous le lui cédons.
Ainsi, à une autre étape donnée,
il se produira dans cette situation un grand changement, qui aboutira
à la défaite du Japon et à la victoire de la Chine.
34 Actuellement, l’ennemi arrive encore,
tant bien que mal, à exploiter sa force, et notre Guerre de
Résistance ne l’a pas encore sérieusement affaibli.
Son insuffisance en ressources
humaines et matérielles n’est pas encore assez grave pour faire
obstacle à son offensive ; au contraire, il peut encore la
poursuivre jusqu’à un certain point.
Le caractère rétrograde et barbare
de la guerre menée par le Japon, facteur qui est de nature à
aggraver l’antagonisme entre les classes au Japon même et à
renforcer la résistance de la nation chinoise, n’a pas encore créé
une situation qui puisse empêcher radicalement l’ennemi de
poursuivre son offensive.
Enfin, l’isolement international du
Japon s’aggrave, mais il n’est pas encore complet.
Dans nombre de pays qui ont exprimé
leur volonté d’aider la Chine, les capitalistes qui font commerce
de munitions et de matières premières stratégiques et ne songent
qu’à leur profit continuent à fournir au Japon de grandes
quantités de matériel de guerre.
Leurs gouvernements se montrent
encore peu disposés à se joindre à l’Union soviétique pour
appliquer des sanctions contre le Japon.
Tout cela justifie cette thèse que
notre Guerre de Résistance ne peut triompher rapidement et qu’elle
ne peut être qu’une guerre prolongée.
Pour ce qui est de la Chine, des
progrès ont été réalisés au cours des dix mois de guerre dans
les domaines militaire, économique, culturel et de l’appareil
d’Etat, où se manifeste notre faiblesse, mais ils sont encore loin
d’être suffisants pour faire cesser l’offensive de l’ennemi et
nous permettre de préparer notre contre-offensive.
En outre, du point de vue
quantitatif, nous avons eu à subir certaines pertes.
Quant aux facteurs qui nous sont favorables, ils jouent certes déjà un rôle actif, mais il nous faut encore déployer de grands efforts pour qu’ils atteignent un degré de développement tel qu’ils nous permettent de stopper l’offensive de l’ennemi et de préparer notre contre-offensive.
Pour l’instant, à l’intérieur du pays, les phénomènes de corruption n’ont pas disparu et les progrès ne sont pas assez rapides ; à l’extérieur, les forces qui aident le Japon agissent toujours et les forces antijaponaises ne se sont pas encore assez développées. Tout cela fait que notre guerre ne peut être gagnée rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre de longue durée.
Les trois étapes de la guerre prolongée
35 Etant donné que la guerre sino-japonaise sera une guerre
de longue durée et que la victoire finale reviendra à la Chine, on
peut logiquement prévoir que cette guerre prolongée traversera
trois étapes au cours de son développement.
La première sera l’étape de
l’offensive stratégique de l’ennemi et de notre défensive
stratégique ; la deuxième, l’étape de la consolidation
stratégique des positions de l’ennemi et de notre préparation à
la contre-offensive ; la troisième, l’étape de notre
contre-offensive stratégique et de la retraite stratégique de
l’ennemi.
Il est impossible de prévoir quelle
sera la situation concrète à chacune de ces trois étapes ; mais, à
en juger par les conditions actuelles, il est possible d’indiquer
quelques tendances fondamentales du développement de la guerre.
La réalité objective sera
exceptionnellement riche en événements et suivra un cours sinueux,
et aucun d’entre nous n’est à même d’établir « l’horoscope »
de la guerre sino-japonaise, mais la direction stratégique de la
guerre exige que soient définies les lignes essentielles des
tendances de son développement.
C’est pourquoi, bien que ces lignes
ne puissent concorder entièrement avec les événements ultérieurs
qui permettront de les rectifier, il n’en reste pas moins
nécessaire de les tracer, dans l’intérêt d’une direction
stratégique ferme et bien définie de cette guerre prolongée.
36 La première étape de la guerre n’est pas
encore terminée. L’ennemi cherche à occuper Canton, Wouhan et
Lantcheou et à établir la liaison entre ces trois points.
Pour atteindre ce but, l’ennemi
devra jeter dans l’action au moins cinquante divisions avec un
million et demi de soldats, y consacrer un an et demi à deux ans, et
dépenser plus de dix milliards de yens. En pénétrant aussi
profondément au cœur de notre pays, l’ennemi se créera d’énormes
difficultés dont les conséquences seront désastreuses.
Et si l’ennemi voulait occuper
entièrement la voie ferrée Canton-Hankeou et la route de Sian à
Lantcheou, il aurait à soutenir des combats périlleux, et encore il
ne serait pas sûr de réaliser pleinement ses desseins.
Toutefois, en établissant notre plan
d’opérations, nous devons supposer que l’ennemi pourra occuper
ces trois points et même certaines régions en plus et qu’il
pourra les relier entre eux ; et nous devons en conséquence prendre
nos dispositions pour une guerre de longue durée, de façon que,
même si l’ennemi agit de la sorte, nous soyons en état de lui
tenir tête.
La forme essentielle des opérations
militaires dans la première étape sera pour nous la guerre de
mouvement, et les formes auxiliaires seront la guerre de partisans et
la guerre de position.
Bien que la guerre de position ait
occupé la première place au début de cette étape, en raison des
erreurs commises par les autorités militaires du Kuomintang, elle ne
jouera qu’un rôle auxiliaire au cours de l’étape prise dans son
ensemble.
Déjà, à cette étape, on a créé
en Chine un large front uni et réalisé une unité sans précédent.
L’ennemi a recouru et continuera à recourir à des procédés
éhontés et lâches pour amener la Chine à capituler, dans
l’intention de réaliser son plan de décision rapide et de
conquérir toute la Chine sans grands efforts, mais il n’y a pas
réussi jusqu’à présent et il n’y réussira pas davantage à
l’avenir.
Cette étape permettra à la Chine,
malgré les pertes considérables qu’elle aura subies, de réaliser
de grands progrès, qui constitueront la base principale pour la
poursuite de la Guerre de Résistance à la deuxième étape.
Déjà l’Union soviétique a
apporté une aide substantielle à notre pays.
Quant à notre ennemi, son moral a
commencé à baisser, l’élan offensif de l’armée de terre
japonaise est plus faible au milieu de cette étape qu’à son début
; il s’affaiblira encore plus au stade final.
Déjà des symptômes indiquent que
le Japon commence à s’épuiser du point de vue financier et
économique, sa population et ses soldats commencent à avoir assez
de la guerre ; et au sein de la clique qui la dirige, la « lassitude
de la guerre » commence à se manifester et le pessimisme
devant les perspectives de la guerre va s’accentuant.
37 On peut appeler la deuxième étape l’étape
de stabilisation stratégique.
A la fin de la première étape, par
suite de son insuffisance en forces armées et de notre résistance
résolue, l’ennemi sera contraint de fixer certains points limites
à son offensive stratégique.
Lorsqu’il les aura atteints, il
mettra fin à celle-ci et passera à l’étape de la
consolidation des territoires occupés.
A cette deuxième étape, il
s’efforcera de consolider à son profit les territoires occupés, à
l’aide d’artifices tels que l’organisation de gouvernements
fantoches, tout en pillant systématiquement le peuple chinois ; mais
alors, il aura à faire face à une guerre de partisans acharnée.
Dans la première étape, profitant
de ce qu’il reste à l’arrière de l’ennemi des régions
inoccupées, les partisans auront déjà développé largement la
guerre de partisans et créé un certain nombre de bases d’appui,
ce qui constituera une sérieuse menace pour l’ennemi dans sa
tentative de consolider les territoires occupés.
C’est pourquoi les opérations
militaires continueront à se dérouler sur une vaste échelle au
cours de la deuxième étape.
La forme principale de la guerre y
sera la guerre de partisans, alors que la guerre de mouvement jouera
un rôle auxiliaire.
La Chine aura pu conserver une grande
armée régulière, mais il lui sera difficile de passer
immédiatement à la contre-offensive stratégique, en partie
parce que l’ennemi passera à la défensive stratégique dans les
grandes villes et sur les principales lignes de communication
occupées par lui, et en partie parce que l’armée chinoise ne sera
pas encore suffisamment équipée du point de vue technique.
A l’exception des troupes occupées
à défendre les fronts, nos forces passeront en grand nombre à
l’arrière de l’ennemi pour y être utilisées en ordre
relativement dispersé.
S’appuyant sur toutes les régions
que l’ennemi n’aura pu occuper, et coopérant avec les
détachements armés créés par la population, ces forces
déploieront énergiquement une vaste guerre de partisans dans la
zone occupée, elles forceront autant que possible l’ennemi à se
déplacer, pour l’anéantir par la guerre de mouvement, ainsi que
cela se passe actuellement dans la province du Chansi.
A cette étape, la guerre sera
acharnée et les régions d’opérations militaires seront
sérieusement dévastées.
Mais la guerre de partisans obtiendra
des succès, et si elle est bien conduite, l’ennemi ne conservera
qu’un tiers des territoires qu’il aura occupés, tandis que les
deux autres seront entre nos mains, ce qui serait une sérieuse
défaite pour l’ennemi et une grande victoire pour la Chine.
Alors, l’ensemble des territoires
occupés par l’ennemi se divisera en trois sortes de régions : la
première comprendra les bases d’appui de l’ennemi, la deuxième
les bases d’appui de la guerre de partisans, et la troisième les
régions de partisans que se disputeront les deux parties.
La durée de cette étape dépendra
de l’importance des changements qui surviendront dans le rapport
des forces entre l’ennemi et nous, ainsi que des changements dans
la situation internationale.
D’une façon générale, nous
devons nous attendre à ce que cette deuxième étape soit
relativement longue et qu’il nous faille gravir un chemin
difficile.
Ce sera pour la Chine une période de
terribles souffrances ; le pays se trouvera devant deux problèmes
très graves : les difficultés économiques et les activités
subversives des traîtres à la patrie.
L’ennemi déploiera une activité
fébrile pour saper le front uni en Chine, et toutes les
organisations fantoches dans les territoires occupés par l’ennemi
se fondront en un soi-disant gouvernement unifié.
Comme nous aurons perdu les grandes
villes et que nous souffrirons des difficultés causées par la
guerre, les éléments instables que nous avons parmi nous
propageront activement l’esprit de compromis, le pessimisme prendra
des proportions inquiétantes.
Notre tâche consistera alors à
mobiliser les masses populaires de tout le pays pour poursuivre sans
fléchir la guerre dans l’unanimité, à élargir et consolider le
front uni, à surmonter toutes les tendances au pessimisme et au
compromis, à exhorter au rude combat et à appliquer une politique
nouvelle pour le temps de guerre, de façon à soutenir l’épreuve
jusqu’au bout.
A cette deuxième étape, il faudra
absolument appeler le pays tout entier à soutenir résolument un
gouvernement uni, à combattre la division ; il faudra améliorer
systématiquement notre technique de combat, réformer notre armée,
mobiliser tout le peuple et nous préparer à la contre-offensive.
A cette étape, la situation
internationale deviendra encore plus défavorable pour le Japon, et
les principales forces internationales apporteront une aide plus
importante à la Chine, encore que des tours de passepasse dans
le genre de l’accommodement « réaliste » de
Chamberlain s’inclinant devant les « faits accomplis »
soient possibles.
La menace que fait peser le Japon sur
les pays du Sud-Est asiatique et sur la Sibérie sera plus
sérieuse que jamais, et une nouvelle guerre pourra même éclater.
En ce qui concerne l’ennemi,
plusieurs dizaines de ses divisions seront enlisées en Chine, et il
lui sera impossible de les en retirer.
Une puissante guerre de partisans et
le mouvement populaire antijaponais épuiseront cette énorme armée
japonaise : nous lui infligerons de lourdes pertes et développerons
en elle le mal du pays, l’aversion et même l’hostilité à
l’égard de la guerre, de façon à miner cette armée moralement.
Certes, on ne peut pas dire que le
pillage de la Chine ne rapportera absolument rien au Japon, mais
comme celui-ci manque de capitaux et qu’il est harcelé par
notre guerre de partisans, il ne lui sera pas donné d’aboutir à
des succès rapides et importants à cet égard.
La deuxième étape sera une étape
de transition dans toute la guerre et par cela même l’étape la
plus difficile, mais elle marquera un tournant.
Ce ne sera pas la perte des grandes
villes à la première étape, mais l’effort de toute la nation
dans la deuxième étape qui décidera si la Chine deviendra un Etat
indépendant ou une colonie.
Si nous persévérons dans la Guerre
de Résistance, le front uni et la guerre prolongée, la Chine
acquerra, au cours de cette étape, la force nécessaire pour
surmonter sa faiblesse et devenir la plus forte des deux parties
belligérantes.
Dans le drame en trois actes de la
Guerre de Résistance de la Chine, ce sera le deuxième acte.
Et si toute la troupe unit ses
efforts, un dernier acte extrêmement brillant pourra être joué.
38 La troisième étape est l’étape de la
contre-offensive pour recouvrer les territoires perdus.
Pour récupérer ses territoires, la
Chine s’appuiera principalement sur les forces qu’elle aura
préparées elle-même au cours de l’étape précédente et
qui continueront de grandir à la troisième étape.
Mais ses propres forces ne lui
suffiront pas, elle devra encore s’appuyer sur l’aide que lui
apporteront les forces internationales et sur les changements à
l’intérieur du pays ennemi ; autrement, il lui serait impossible
de vaincre.
Aussi la propagande à l’étranger
et l’activité diplomatique de la Chine prendront-elles une
plus grande importance.
A cette étape, nous ne serons déjà
plus sur la défensive stratégique, mais nous passerons à la
contre-offensive stratégique, qui prendra la forme d’offensives
stratégiques.
La guerre ne se déroulera plus
stratégiquement à l’intérieur des lignes, mais passera peu à
peu à l’extérieur des lignes.
Elle ne se terminera que lorsque nous
aurons atteint le Yalou.
La troisième étape est l’étape
finale de la guerre prolongée, et quand nous parlons de poursuivre
la guerre jusqu’au bout, nous voulons dire qu’il faut franchir
toute cette étape.
La guerre de mouvement restera, dans
cette étape, la forme principale de nos opérations militaires, mais
la guerre de position prendra aussi de l’importance.
Tandis que la défense de nos
positions ne peut être regardée comme importante à la première
étape, en raison des conditions existant alors, l’attaque contre
les positions ennemies deviendra d’une grande importance à la
troisième étape, par suite des changements dans ces conditions et
des exigences des tâches.
A la différence de ce qui se passe à
la deuxième étape, où elle est la forme principale des opérations
militaires, la guerre de partisans, à la troisième étape, jouera
de nouveau un rôle auxiliaire d’appui stratégique à la guerre de
mouvement et à la guerre de position.
39 Il est évident, dans ces conditions, que la
guerre sera longue et donc acharnée.
L’ennemi n’est pas en état
d’avaler la Chine tout entière, mais il peut en occuper,
relativement longtemps, bien des régions.
La Chine n’est pas en état de
chasser rapidement les Japonais, mais elle gardera en main la majeure
partie des territoires du pays.
Finalement, l’ennemi essuiera la
défaite et nous remporterons la victoire, mais il nous faudra pour
cela parcourir un chemin pénible.
40 De cette guerre longue et acharnée le peuple
chinois sortira fortement trempé.
Les différents partis politiques qui
prennent part à la guerre se tremperont aussi et seront mis à
l’épreuve.
Il faut maintenir fermement le front
uni ; sans maintenir fermement le front uni, on ne peut poursuivre la
guerre avec résolution ; sans maintenir fermement le front uni et
sans poursuivre la guerre avec ténacité, on ne peut remporter la
victoire finale.
Ainsi seulement nous saurons
surmonter toutes les difficultés.
Après avoir parcouru le chemin
difficile de la guerre, nous déboucherons sur la route de la
victoire. C’est la logique même de la guerre.
41 Les changements dans le rapport des forces
entre l’ennemi et nous interviendront à chacune de ces trois
étapes dans l’ordre suivant : Au cours de la première étape,
l’ennemi a la supériorité et nous nous trouvons en état
d’infériorité.
En ce qui concerne notre infériorité,
il faut tenir compte des deux types de changements qu’elle aura
accusés de la veille de la Guerre de Résistance à la fin de cette
étape.
Le premier se caractérise par une
aggravation de la situation.
L’infériorité initiale de la
Chine se fait sentir de plus en plus au cours de la première étape
; c’est ce que l’on constate à ses pertes en territoire, en
population, aux diminutions subies par ses ressources économiques,
sa puissance militaire et ses institutions culturelles.
Il se peut qu’à la fin de la
première étape, ces pertes et ces diminutions atteignent une
ampleur considérable, surtout sur le plan économique.
Cela servira d’argument en faveur
de la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et en
faveur du compromis.
Mais il ne faut pas oublier les
changements du second type, les changements dans le sens d’une
amélioration, à savoir : l’expérience accumulée au cours de la
guerre, les progrès accomplis dans l’armée, le progrès
politique, la mobilisation du peuple, le développement de la culture
dans une voie nouvelle, l’apparition de la guerre de partisans,
l’accroissement de l’aide internationale, etc.
Au cours de cette étape, c’est
l’ancienne quantité et l’ancienne qualité qui déclinent et ce
phénomène est surtout d’ordre quantitatif, alors que la quantité
et la qualité de ce qui est nouveau progressent, ce phénomène
étant surtout d’ordre qualitatif.
C’est sur les changements du second
type qu’est fondée la possibilité pour nous de poursuivre une
guerre prolongée et de remporter finalement la victoire.
42 Au cours de la première étape, deux types de
changements se produisent également du côté de l’ennemi.
Les changements du premier type qui
aggravent sa situation : la perte de centaines de milliers de tués
et de blessés, la saignée en armes et en munitions, l’abaissement
du moral des troupes, le mécontentement croissant de la population,
le déclin du commerce, une dépense de plus de dix milliards de
yens, la condamnation de l’opinion publique internationale, etc.
Ce type de changements étaye
également la possibilité pour nous de poursuivre une guerre
prolongée et de remporter finalement la victoire.
Mais il faut aussi compter avec les
changements du second type, des changements qui améliorent la
situation de l’ennemi : l’extension du territoire, de la
population et des ressources matérielles.
Ceci est une autre preuve que notre
Guerre de Résistance sera longue et que nous ne pourrons pas arriver
à une victoire rapide ; cependant, certains en tireront également
un argument en faveur de la théorie de l’asservissement
inéluctable de la Chine et de celle du compromis.
Toutefois, nous devons tenir compte
du fait que ces changements en mieux dans la situation de l’ennemi
ont un caractère temporaire et partiel.
Notre ennemi est un impérialisme qui
va à l’effondrement, et son occupation du territoire chinois ne
peut être que temporaire.
Le développement impétueux de la
guerre de partisans en Chine réduira en fait les régions occupées
à d’étroites bandes de territoire.
D’autre part, l’occupation du sol
chinois par l’ennemi a créé et aggravé les contradictions entre
le Japon et d’autres Etats.
D’ailleurs, pendant une période
assez longue, une telle occupation ne permettra en général au Japon
que de mettre en œuvre des moyens sans en tirer de profit, comme le
montre l’expérience des trois provinces du Nord-Est Tout cela
aussi constitue pour nous des arguments tant pour battre en brèche
la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et
l’esprit de compromis que pour édifier nos thèses concernant la
guerre prolongée et notre victoire finale.
43 Les changements susmentionnés des deux
parties se poursuivront à la deuxième étape.
Il n’est pas possible de prédire
le développement concret de ces changements, mais, d’une façon
générale, la situation du Japon ira en déclinant et celle de la
Chine en progressant
Mais comme la clique dominante de Tchiang Kaïchek avait
adopté une attitude passive dans la Résistance et luttait
activement contre le Parti communiste et le peuple, la situation ne
s’améliora pas dans les régions contrôlées par le Kuomintang,
elle s’y aggrava au contraire. Cela provoqua toutefois la
protestation des larges masses populaires et contribua à élever
leur conscience politique. Une analyse de ces faits est donnée par
le camarade Mao Tsétoung dans son rapport « Du
gouvernement de coalition »..
Par exemple, la guerre de partisans
en Chine engloutira en quantités énormes les ressources militaires
et financières du Japon, le mécontentement de la population
japonaise ne fera que croître, le moral de ses troupes baissera
encore plus, son état d’isolement international s’aggravera.
Quant à la Chine, elle fera encore
des progrès dans les domaines politique, militaire et culturel ainsi
que dans la mobilisation du peuple.
La guerre de partisans se développera
encore plus largement et l’économie fera à nouveau certains
progrès en s’appuyant sur la petite industrie et l’agriculture
des vastes territoires de l’intérieur ; l’aide internationale
s’accroîtra régulièrement et tout le tableau sera nettement
différent de celui d’aujourd’hui.
Il se peut que la deuxième étape
soit assez longue.
Au cours de cette étape, des
changements considérables se produiront dans le rapport des forces
entre nous et l’ennemi : les forces de la Chine iront en croissant
et celles du Japon en diminuant.
La Chine sortira de sa situation
défavorable et le Japon perdra sa supériorité, si bien qu’après
une période d’équilibre, le rapport de forces primitif entre les
deux pays sera inversé.
Alors, la Chine complétera, pour
l’essentiel, sa préparation à la contre-offensive stratégique et
entrera dans l’étape de la contre-offensive et de l’expulsion
de l’ennemi.
Il est à souligner une fois de plus
que le passage de la position d’infériorité à celle de
supériorité et l’achèvement de la préparation à la
contre-offensive supposent la croissance des forces de la Chine,
l’augmentation des difficultés du Japon et l’accroissement de
l’aide internationale à la Chine.
L’action conjuguée de ces trois
facteurs assurera à la Chine la supériorité des forces et lui
permettra d’achever la préparation de sa contre-offensive.
44 Comme le développement politique et économique
de la Chine est inégal, la contreoffensive stratégique dans la
troisième étape ne se déroulera pas, à son début, uniformément
et harmonieusement dans tout le pays, mais dans des régions données
et d’une manière inégale.
Au cours de cette étape, l’ennemi
ne relâchera pas ses efforts pour briser par tous les moyens le
front uni ; aussi le problème de l’unité intérieure de la Chine
prendra-t-il une importance encore plus grande : il faudra
empêcher que notre contreoffensive ne s’arrête à mi-chemin
par suite de désaccords intérieurs.
Au cours de cette étape, la
situation internationale deviendra très favorable à la Chine, et
celle-ci devra en profiter pour conquérir définitivement sa
libération et édifier un Etat démocratique indépendant, aidant
par là le mouvement antifasciste mondial.
45 La Chine passera de l’infériorité des
forces à l’équilibre des forces, puis à la supériorité ; et le
Japon, de la supériorité des forces à l’équilibre des forces,
puis à l’infériorité.
La Chine passera de la défensive à
la stabilisation, puis à la contre-offensive ; et le Japon, de
l’offensive à la consolidation de ses positions, puis à la
retraite. Tel sera le processus de la guerre sino-japonaise, le
cours logique de cette guerre.
46 Nous en venons ainsi à répondre de la façon
suivante aux questions posées : La Chine sera-t-elle
asservie ? Réponse : Non, elle ne le sera pas, et la victoire finale
lui reviendra.
La Chine peut-elle vaincre
rapidement ? Réponse : Non, elle ne le pourra pas, ce sera une
guerre de longue durée. Ces conclusions sont-elles justes ? Je
pense qu’elles le sont.
47 Là-dessus, les partisans de la théorie
de l’asservissement inéluctable de la Chine et les partisans du
compromis interviendront à nouveau pour déclarer : Pour passer
d’une position d’infériorité à l’équilibre, la Chine
devrait acquérir une force militaire et économique égale à celle
du Japon ; pour passer de cet équilibre à la supériorité, elle
devrait posséder une force militaire et économique plus grande que
celle du Japon ; mais cela est absolument impossible et les
conclusions qui viennent d’être tirées sont par conséquent
fausses.
48 C’est la théorie dite « les armes
décident de tout », qui est une façon mécaniste d’aborder
la question de la guerre et un point de vue subjectiviste et
unilatéral sur celle-ci.
A la différence des partisans de
cette théorie, nous considérons non seulement les armes mais aussi
les hommes.
Les armes sont un facteur important,
mais non décisif, de la guerre.
Le facteur décisif, c’est l’homme
et non le matériel.
Le rapport des forces se détermine
non seulement par le rapport des puissances militaires et
économiques, mais aussi par le rapport des ressources humaines et
des forces morales.
C’est l’homme qui dispose des
forces militaires et économiques.
Si la grande majorité des Chinois,
des Japonais et des peuples du monde se range du côté de notre
Guerre de Résistance, pourra-t-on encore qualifier de
supériorité la puissance économique et militaire qu’une poignée
d’hommes détient au Japon par la force ?
Et si on ne le peut pas, n’est-ce
pas à la Chine, qui dispose pourtant d’une force militaire et
économique relativement inférieure, que reviendra la supériorité
?
Il n’y a pas le moindre doute que
si la Chine poursuit avec ténacité la Guerre de Résistance et s’en
tient fermement au front uni, sa force militaire et économique
s’accroîtra progressivement.
Quant à notre ennemi, affaibli comme
il le sera par une longue guerre et par des contradictions internes
et externes, il verra à coup sûr sa puissance militaire et
économique se modifier en sens inverse. Est-il possible que
dans une telle situation la supériorité ne revienne pas finalement
à la Chine ?
Et ce n’est pas tout. Actuellement,
nous ne pouvons pas encore compter, directement et largement, sur la
force militaire et économique d’autres Etats, mais pourquoi ne
pourrions-nous pas le faire plus tard ?
Si le Japon n’a plus pour seul
ennemi la Chine, s’il vient un jour où un Etat ou plusieurs Etats
utiliseront ouvertement une partie importante de leur puissance
économique et militaire pour se défendre contre le Japon ou pour
lui porter des coups et nous apporter leur aide, notre supériorité
ne sera-t-elle pas plus grande encore ?
Le Japon est un petit pays, la guerre
qu’il poursuit est de caractère rétrograde et barbare, il sera de
plus en plus isolé sur le plan international ; la Chine est un grand
pays, la guerre qu’elle poursuit est une guerre progressiste et
juste, le soutien international qu’elle reçoit grandira.
N’est-il pas vrai qu’après
une longue période de développement tous ces facteurs renverseront
définitivement le rapport de supériorité et d’infériorité
entre l’ennemi et nous ?
49 Quant aux partisans de la théorie de la
victoire rapide, ils ne comprennent pas que la guerre est une
compétition de forces, et que rien ne permet d’engager des
opérations stratégiques décisives et de chercher à hâter la
libération du pays, tant que ne se sont pas produits certains
changements dans le rapport des forces entre les parties
belligérantes.
Mettre leurs idées en pratique
serait inévitablement se briser la tête contre un mur.
Peut-être ne bavardent-ils
que pour le plaisir de parler, sans songer sérieusement à passer
des paroles aux actes.
En fin de compte, ce sont les faits
qui administreront à tous ces bavards une douche froide, leur
démontrant qu’ils ne sont rien de plus que des phraseurs qui
rêvent d’obtenir les choses sans effort, qui veulent récolter
sans semer.
Ces vains propos, on les a tenus et
on les tient encore, bien qu’ils ne soient pas très répandus ;
ils pourraient s’amplifier quand la guerre passera à l’étape de
la stabilisation, puis de la contre-offensive.
Mais en même temps, si les pertes de
la Chine au cours de la première étape étaient relativement
importantes et si la deuxième étape se prolongeait longtemps, la
théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine et la
tendance au compromis trouveraient une plus large audience.
C’est pourquoi il nous faudra
ouvrir le feu principalement contre la théorie de l’asservissement
inéluctable de la Chine et contre l’esprit de compromis, et en
second lieu seulement contre l’inepte bavardage sur la victoire
rapide.
50 Nous avons donc établi que la guerre sera
longue. Mais nul ne peut prédire combien d’années et combien de
mois elle durera.
Cela dépendra entièrement des
changements dans le rapport des forces entre nous et l’ennemi. Ceux
qui veulent réduire la durée de la guerre ne peuvent y parvenir
qu’en s’efforçant d’accroître leurs forces et de réduire
celles de l’ennemi.
Pour parler d’une façon plus
concrète, le seul moyen est de redoubler d’efforts pour remporter
le plus grand nombre possible de victoires militaires et user les
forces armées de l’ennemi, pour développer la guerre de partisans
de façon à réduire le plus possible les territoires occupés par
l’ennemi, pour consolider et élargir le front uni en vue d’unir
les forces de tout le pays, pour créer de nouvelles forces armées
et développer de nouvelles industries de guerre, pour accélérer
les progrès politiques, économiques et culturels, pour mobiliser
toutes les couches de la population, ouvriers, paysans, commerçants
et intellectuels, pour briser le moral de l’armée ennemie et faire
passer ses soldats de notre côté, pour poursuivre la propagande à
l’étranger afin de nous assurer une aide internationale, pour
obtenir le soutien du peuple japonais et de toutes les nations
opprimées. Ce n’est qu’en faisant tout cela qu’on peut réduire
la durée de la guerre. Aucune solution de facilité n’est
possible.
Une guerre d’interpénétration
51 Nous pouvons affirmer que la guerre prolongée contre les
envahisseurs japonais sera inscrite dans l’histoire des guerres de
l’humanité comme une page glorieuse et exceptionnelle. Une des
particularités remarquables de cette guerre est son caractère
d’interpénétration.
La raison en est l’existence de
facteurs réciproquement contraires, tels que la barbarie du Japon et
son insuffisance en forces armées d’une part, et le caractère
progressiste de la Chine et son vaste territoire d’autre part.
L’histoire connaît des guerres où s’est réalisée une telle
interpénétration.
Ce fut le cas de la Russie, pendant
les trois années de guerre civile, après la Révolution d’Octobre.
Mais en Chine cette forme de guerre se caractérise par sa durée et
son ampleur exceptionnelles. Dans ce domaine, elle battra tous les
records dans l’histoire. L’interpénétration se présente sous
les traits suivants.
52 Les lignes intérieures et extérieures. Dans
son ensemble, la Guerre de Résistance se poursuit à l’intérieur
des lignes, mais si l’on considère la relation entre nos forces
régulières et nos détachements de partisans, les premières
opèrent à l’intérieur des lignes, tandis que les seconds opèrent
à l’extérieur, ce qui compose un tableau original : l’ennemi
est enserré dans une tenaille.
On peut en dire autant des relations
entre les régions de partisans.
Chaque région de partisans, prise
isolément, opère à l’intérieur des lignes et les autres régions
de partisans opèrent à l’extérieur des lignes par rapport à
elle, et il se constitue encore une fois un grand nombre de tenailles
où tombe l’ennemi.
Dans la première étape de la
guerre, l’armée régulière, poursuivant sur le plan stratégique
des opérations à l’intérieur des lignes, se replie tandis que
les détachements de partisans des différentes régions, opérant
stratégiquement à l’extérieur des lignes, avancent à grands pas
vers l’arrière de l’ennemi.
Cette avance se poursuivra avec
encore plus d’énergie dans la deuxième étape. Il en découle une
combinaison extrêmement originale du repli et de l’avance.
53 Existence et absence d’un arrière. Les
forces régulières, dont la ligne de front passe le long des limites
extérieures du territoire occupé par l’ennemi, opèrent à partir
de l’arrière général du pays, alors que les détachements de
partisans, qui déploient leur ligne de front à l’arrière de
l’ennemi, sont isolés de l’arrière général du pays.
Mais chaque région de partisans
dispose d’un arrière de faible étendue sur lequel elle s’appuie
pour établir une ligne de front mobile.
Le cas est différent pour les
détachements de partisans envoyés en mission par une région de
partisans pour des opérations temporaires à l’arrière de
l’ennemi se trouvant dans la même région : ils n’ont ni arrière
ni ligne de front.
« Les opérations militaires
sans arrière » représentent une caractéristique propre à la
guerre révolutionnaire de l’ère nouvelle, dans un pays où il
existe un vaste territoire, un peuple progressiste, un parti
politique d’avant-garde et une armée d’avant-garde.
Il n’y a pas de raison de craindre
ces opérations, elles ne peuvent être que profitables. Au lieu
d’avoir des doutes à leur sujet, il faut les préconiser.
54 Encerclement et contre-encerclement. Si
l’on considère la guerre dans son ensemble, il ne fait pas de
doute que nous nous trouvons stratégiquement encerclés, puisque
l’ennemi se livre à une offensive stratégique et opère à
l’extérieur des lignes, et que nous sommes sur la défensive
stratégique et opérons à l’intérieur des lignes.
C’est le premier type
d’encerclement de nos forces par l’ennemi.
Mais comme, de notre côté, nous
adoptons à l’égard d’un ennemi qui, opérant stratégiquement à
l’extérieur des lignes, marche sur nous en plusieurs colonnes le
principe d’opérer à l’extérieur des lignes dans les campagnes
et les combats, nous pouvons encercler une ou plusieurs de ces
colonnes avec des forces supérieures en nombre.
C’est le premier type de
contre-encerclement de l’ennemi par nous.
D’autre part, si l’on considère
les bases d’appui de la guerre de partisans situées à l’arrière
de l’ennemi, chacune de ces bases isolées est cernée par l’ennemi
soit des quatre côtés, comme la région du Woutaichan, soit de
trois seulement, comme celle du nord-ouest du Chansi. C’est le
deuxième type d’encerclement de nos forces par l’ennemi.
Toutefois, si l’on considère
toutes les bases de la guerre de partisans dans leurs liaisons
mutuelles, et chaque base dans ses liaisons avec les positions tenues
par l’armée régulière, on constate qu’un grand nombre d’unités
ennemies sont encerclées par nous.
Par exemple, dans la province du
Chansi, nous avons déjà cerné de trois côtés (de l’est, de
l’ouest et du sud) la ligne de chemin de fer Tatong-Poutcheou, et
nous avons investi complètement la ville de Taiyuan ; dans les
provinces du Hopei et du Chantong, on trouve également un grand
nombre d’encerclements de ce genre.
C’est le deuxième type de
contre-encerclement de l’ennemi par nous.
Ainsi, ces deux types d’encerclement
mutuel rappellent le jeu de weiki : les campagnes et les combats que
l’ennemi mène contre nous et que nous menons contre l’ennemi
ressemblent à la prise des pions, et les points d’appui de
l’ennemi (par exemple Taiyuan) et nos bases de partisans (par
exemple le Woutaichan) ressemblent aux « fenêtres » sur
l’échiquier.
Si l’on imagine le jeu de weiki à
l’échelle mondiale, on voit apparaître encore un troisième type
d’encerclement mutuel : la corrélation entre le front de
l’agression et le front de la paix.
Par le premier front, l’ennemi
encercle la Chine, l’U.R.S.S., la France, la Tchécoslovaquie et
d’autres Etats, et, par le second front, nous réalisons le
contre-encerclement de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie.
Mais notre encerclement ressemble à
la main de Bouddha. Il formera les cinq chaînes de montagnes qui
dominent l’univers et clouera si bien sous elles les nouveaux Souen
Woukong — les agresseurs fascistes — que jamais ils ne se
relèveront.
[Souen Woukong, héros du roman fantastique
chinois du XVIe siècle Si yeou kj (Le Pèlerinage à l’Ouest), était
un singe qui avait le pouvoir, en faisant la culbute, de franchir
une distance de cent huit mille lis.
Mais, tombé sur la paume de Bouddha, Souen
Woukong eut beau faire et se démener, il ne put partir. Bien
plus, Bouddha retourna sa main, la paume vers la terre, et
recouvrit Souen Woukong. Les doigts de Bouddha se
changèrent en cinq chaînes de montagnes liées les unes aux autres,
qui rivèrent Souen Woukong au sol.]
Si nous réussissons, par notre
action sur le plan international, à créer dans le Pacifique un
front antijaponais auquel la Chine participerait en tant qu’unité
stratégique et au sein duquel l’Union soviétique et les autres
pays qui pourraient s’y intégrer constitueraient d’autres unités
stratégiques, et le mouvement populaire au Japon encore une autre
unité stratégique, il se formera un vaste filet d’où les Souen
Woukong fascistes ne pourront fuir, et ce sera la ruine de
l’ennemi.
Oui, le jour où ce filet vaste comme
le monde sera formé, ce sera sûrement la destruction définitive de
l’impérialisme japonais. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est
l’inéluctable tendance inhérente à la guerre.
55 Massifs et îlots. Il est possible que l’ennemi
occupe la plus grande partie des territoires de la Chine situés au
sud de la Grande Muraille et que la plus petite partie seulement
reste intacte.
C’est là un aspect de la
situation.
Mais dans cette majeure partie de la
Chine qu’il aura occupée, en dehors des trois provinces du
Nord-Est, l’ennemi ne pourra pratiquement occuper que les
grandes villes, les principales lignes de communication et certaines
régions de plaine, c’est-à-dire des objectifs de
première importance, mais qui ne constitueront probablement, par
leur étendue et leur population, que la plus petite partie des
territoires occupés.
Par contre, les régions de partisans
s’étendront partout et en représenteront la plus grande partie.
C’est là le deuxième aspect de la situation.
Et si maintenant on ne se limite pas
aux provinces situées au sud de la Grande Muraille et que l’on
tient compte des régions de la Mongolie, du Sinkiang, du Tsinghai et
du Tibet, la superficie non occupée par l’ennemi représentera
quand même la plus grande partie de la Chine et les territoires
occupés par l’ennemi, y compris les trois provinces du Nord-Est,
n’en constitueront que la plus petite partie.
C’est là le troisième aspect de
la situation. Les régions qui n’auront pas été occupées par
l’ennemi auront naturellement pour nous une grande importance.
Il faudra y déployer tous nos
efforts non seulement dans les domaines politique, militaire et
économique, mais aussi dans le domaine culturel.
L’ennemi a fait de nos centres
culturels des zones retardataires, et nous, de notre côté, devons
transformer les zones retardataires en centres culturels.
En même temps, il est très
important pour nous de bien administrer les vastes régions de
partisans à l’arrière de l’ennemi, en les développant sous
tous les rapports et en y intensifiant notre travail culturel.
Pour résumer, nous pouvons dire que
les vastes régions rurales de la Chine se transformeront en régions
avancées et éclairées et que les territoires peu étendus, occupés
par l’ennemi, spécialement les grandes villes, représenteront
temporairement des îlots retardataires, plongés dans les ténèbres.
56 Ainsi, cette longue guerre de vaste envergure
contre les envahisseurs japonais sera une guerre d’interpénétration
dans les domaines militaire, politique, économique et culturel.
Elle apparaîtra comme une guerre
extraordinaire dans l’histoire, elle sera la grande œuvre du
peuple chinois, un glorieux exploit qui ébranlera le monde.
Son influence ne s’exercera pas
seulement sur la Chine et le Japon, où elle donnera une forte
impulsion au progrès, mais aussi sur le monde entier, en stimulant
le progrès de toutes les nations, en premier lieu, des nations
opprimées comme l’Inde.
Les Chinois doivent prendre part en
toute conscience à cette guerre d’interpénétration, car c’est
la forme de guerre qui permet à la nation chinoise de se libérer,
la forme spécifique de la guerre de libération d’un grand pays
semi-colonial dans les années 30 et 40 du XXe siècle.
La guerre pour la paix perpétuelle
57 Le caractère de longue durée que présente la Guerre de
Résistance de la Chine est inséparable de la lutte pour la conquête
d’une paix perpétuelle, en Chine et dans le monde entier.
L’histoire n’a pas encore connu
de périodes où la guerre nous rapproche autant qu’aujourd’hui
de la paix perpétuelle.
Par suite de l’apparition des
classes, l’histoire de l’humanité a été, pendant des
millénaires, remplie de guerres interminables.
Chaque peuple a connu des guerres
sans nombre, guerres intestines ou guerres étrangères.
Au stade impérialiste du
développement de la société capitaliste, les guerres deviennent
particulièrement étendues et acharnées.
La première grande guerre
impérialiste, il y a vingt ans, fut une guerre comme on n’en avait
jamais connu, sans être pourtant la dernière.
La guerre qui vient de commencer nous
rapproche de la dernière des guerres, en d’autres termes, de la
paix perpétuelle pour l’humanité tout entière.
Déjà un tiers de l’humanité est
entraîné dans la guerre : l’Italie, puis le Japon, l’Abyssinie,
puis l’Espagne, puis la Chine.
Près de 600 millions d’hommes,
c’est-à-dire près du tiers de la population mondiale,
vivent dans ces pays déjà en guerre.
Cette guerre présente la
particularité d’être ininterrompue et de nous rapprocher de la
paix perpétuelle. Pourquoi disons-nous qu’elle est
ininterrompue ?
L’Italie fit la guerre à
l’Abyssinie, puis, avec la participation de l’Allemagne, elle
attaqua l’Espagne, et ensuite c’est le Japon qui s’est lancé
dans une guerre contre la Chine.
Et maintenant ? Il n’y a pas de doute que viendra la guerre de
Hitler contre les grandes puissances. « Le fascisme, c’est la
guerre1. »
Cela est parfaitement vrai. Il n’y
aura pas d’interruption entre la guerre actuelle et la guerre
mondiale, et l’humanité ne saurait échapper aux malheurs de la
guerre.
Pourquoi disons-nous que cette
guerre nous rapproche de la paix perpétuelle ?
Elle est un effet du développement
de la crise générale du capitalisme mondial, apparue avec la
Première guerre mondiale.
Cette crise générale a obligé les
pays capitalistes à s’engager dans une nouvelle guerre ; elle a
obligé en premier lieu les pays fascistes à se lancer dans de
nouvelles aventures militaires.
On peut prévoir que cette guerre ne
sauvera pas le capitalisme mais hâtera sa faillite.
Cette guerre sera plus étendue et
plus acharnée que celle d’il y a vingt ans, tous les peuples y
seront inévitablement entraînés ; elle sera longue et l’humanité
aura à subir de grandes souffrances.
Cependant, grâce à l’existence de
l’Union soviétique et à la conscience de plus en plus éveillée
des peuples du monde, des guerres révolutionnaires grandioses
éclateront assurément au cours de cette guerre ; elles seront
dirigées contre toutes les guerres contrerévolutionnaires et
conféreront à la guerre actuelle le caractère d’une guerre pour
la paix perpétuelle.
Même si plus tard une nouvelle
période de guerres survient, la paix perpétuelle dans le monde
entier ne sera plus très éloignée.
Dès que l’humanité aura supprimé
le capitalisme, elle entrera dans l’ère de la paix perpétuelle et
elle n’aura plus besoin de faire la guerre.
Il n’y aura plus besoin d’armées,
de vaisseaux de guerre, d’avions militaires ni de gaz toxiques.
Dans tous les siècles des siècles, l’humanité ne connaîtra plus
jamais de guerres.
Les guerres révolutionnaires qui ont
déjà commencé font partie de cette guerre pour la paix
perpétuelle.
La guerre entre la Chine et le Japon,
qui ont ensemble une population de plus de 500 millions d’habitants,
jouera un rôle important dans cette guerre pour la paix perpétuelle
; le peuple chinois y conquerra sa liberté.
La Chine nouvelle, libérée, la
Chine de l’avenir fera partie intégrante du monde nouveau, libéré,
de l’avenir.
C’est pourquoi notre Guerre de
Résistance a le caractère d’une guerre pour la paix perpétuelle.
58 L’histoire montre que les guerres se divisent
en deux catégories : les guerres justes et les guerres injustes.
Toute guerre progressiste est juste
et toute guerre qui fait obstacle au progrès est injuste.
Nous autres communistes, nous luttons
contre toutes les guerres injustes qui entravent le progrès, mais
nous ne sommes pas contre les guerres progressistes, les guerres
justes.
Nous communistes, non seulement nous
ne luttons pas contre les guerres justes, mais encore nous y prenons
part activement.
La Première guerre mondiale est un
exemple de guerre injuste ; les deux parties y combattaient pour des
intérêts impérialistes, et c’est pourquoi les communistes du
monde entier s’y sont résolument opposés.
Voici comment il faut lutter contre
une telle guerre : avant qu’elle n’éclate, il faut faire tous
les efforts possibles pour l’empêcher, mais une fois qu’elle a
éclaté, il faut, dès qu’on le peut, lutter contre la guerre par
la guerre, opposer à une guerre injuste une guerre juste.
La guerre menée par le Japon
est une guerre injuste, une guerre qui entrave le progrès. Les
peuples du monde entier, y compris le peuple japonais, doivent lutter
et luttent déjà contre elle.
En Chine, depuis les masses
populaires jusqu’au gouvernement, depuis le Parti communiste
jusqu’au Kuomintang, tout le monde a levé l’étendard de la
justice et poursuit une guerre révolutionnaire nationale contre
l’agression.
Notre guerre est une guerre sacrée,
juste et progressiste ; son but est la paix, non pas la paix pour un
seul pays, mais la paix pour tous les pays du monde, non pas une paix
temporaire, mais une paix perpétuelle.
Pour atteindre ce but, il faut mener
une lutte à mort, il faut être prêt à accepter n’importe quel
sacrifice et tenir jusqu’au bout ; il ne faut jamais cesser la
lutte avant que le but soit atteint.
Les pertes seront grandes, il faudra
beaucoup de temps, mais devant nos yeux se dessine avec clarté
l’image d’un monde nouveau où régneront pour toujours la paix
et la lumière.
Ce qui nous soutient dans cette
guerre, c’est justement la conviction que nos efforts contribueront
à faire naître la Chine nouvelle et le monde nouveau où régneront
pour toujours la paix et la lumière.
Les fascistes et les impérialistes
veulent que les guerres se poursuivent indéfiniment.
Quant à nous, nous voulons mettre un
terme aux guerres dans un temps qui ne soit pas très éloigné.
Il faut que la grande majorité des
hommes fasse tout son possible pour atteindre ce but.
Les 450 millions de Chinois
représentent le quart de l’humanité.
Si, par nos efforts unis, nous
brisons l’impérialisme japonais et créons une Chine nouvelle où
règnent la liberté et l’égalité, nous apporterons certainement
une contribution considérable à la conquête de la paix perpétuelle
dans le monde entier.
Cet espoir n’est pas vain,
car le cours du développement social et économique dans le monde
nous en rapproche déjà ; et si la majorité des hommes redouble
d’efforts, notre but sera sûrement atteint dans quelques dizaines
d’années.
L’activité consciente dans la guerre
59 Tout ce que nous avons dit explique pourquoi la guerre sera de
longue durée et pourquoi la victoire finale appartiendra à la
Chine. Jusqu’à présent, nous nous sommes occupés principalement
de savoir ce qui est exact et ce qui ne l’est pas.
Passons maintenant à ce qu’il faut
faire et à ce qu’il faut éviter de faire. Comment poursuivre une
guerre de longue durée ? Comment remporter la victoire finale ?
C’est à ces questions que nous
allons répondre.
Nous éclaircirons à cette fin les
problèmes suivants : l’activité consciente dans la guerre ; la
guerre et la politique ; la mobilisation politique dans la Guerre de
Résistance ; les buts de la guerre ; les opérations offensives dans
une guerre défensive, les opérations de décision rapide dans une
guerre de longue durée et les opérations à l’extérieur des
lignes dans la guerre à l’intérieur des lignes ; l’initiative,
la souplesse et le plan d’action ; la guerre de mouvement, la
guerre de partisans et la guerre de position ; la guerre d’usure et
la guerre d’anéantissement ; la possibilité d’exploiter les
erreurs de l’ennemi ; la décision dans la Guerre de Résistance ;
l’armée et le peuple, artisans de la victoire. Commençons par la
question de l’activité consciente.
60 Lorsque nous intervenons contre la façon
subjective d’aborder les problèmes, nous voulons dire qu’il faut
combattre les idées qui ne reposent pas sur la réalité objective
et ne lui correspondent pas, qui sont en fait le fruit de
l’imagination ou de faux raisonnements, et qui, mises en pratique,
conduiraient à l’échec.
Mais tout ce qui se fait est fait par
l’homme.
La guerre prolongée et la victoire
finale ne se réaliseront pas en dehors de l’action des hommes.
Pour que cette action soit efficace, il faut au préalable des hommes
qui, partant de l’analyse de la réalité objective, conçoivent
des idées, des principes, des vues, élaborent des plans, une ligne,
une politique, une stratégie et une tactique.
Les idées, les vues, etc. sont
d’ordre subjectif, alors que la pratique ou les actions traduisent
le subjectif dans l’objectif, mais les unes et les autres
représentent l’activité propre à l’homme.
Cette activité, nous l’appelons
« activité consciente », et elle constitue une
caractéristique qui distingue l’homme des autres êtres.
Toutes les idées qui reposent sur la
réalité objective et lui correspondent sont justes, et sont justes
également toute pratique, toute action reposant sur des idées
justes.
Nous devons développer ces idées et
ces actions, développer cette activité consciente.
La Guerre de Résistance a pour but
de chasser les impérialistes et de transformer l’ancienne Chine en
une Chine nouvelle.
Pour atteindre ce but, il est
indispensable de mobiliser tout le peuple chinois et de donner un
plein essor à son activité consciente dans la résistance contre le
Japon.
Si nous restions assis les bras
croisés, nous serions asservis, il n’y aurait ni guerre prolongée
ni victoire finale.
61 L’activité consciente est un trait
distinctif de l’homme. Ce trait, l’homme le manifeste avec
beaucoup de force dans la guerre.
Il est vrai que l’issue de la
guerre dépend d’un grand nombre de conditions propres à chacune
des parties belligérantes, conditions militaires, politiques,
économiques, géographiques, ainsi que du caractère de la guerre et
de l’ampleur de l’aide internationale. Mais elle ne dépend pas
uniquement de ces conditions.
Ces conditions ne font que poser la
possibilité de l’une ou de l’autre issue de la guerre. Par
elles-mêmes, elles ne font ni la victoire, ni la défaite.
Pour amener la décision, il faut
encore des efforts subjectifs ; ce sont la direction et la conduite
des opérations, c’est l’activité consciente dans la guerre.
62 Ceux qui dirigent la guerre ne peuvent
s’attendre à remporter la victoire en sortant du cadre défini par
les conditions objectives, mais ils peuvent et ils doivent s’efforcer
de remporter la victoire, par leur action consciente, dans ce cadre
même.
La scène où se déroulent leurs
activités est bâtie sur ce qui est permis par les conditions
objectives, mais ils peuvent, sur cette scène, conduire des actions
magnifiques, d’une grandeur épique.
S’appuyant sur les conditions
matérielles objectives données, ceux qui dirigent notre Guerre de
Résistance doivent montrer de quoi ils sont capables et mettre en
œuvre toutes les forces dont ils disposent pour écraser l’ennemi
de notre nation, changer la situation de notre société et de notre
pays victimes de l’agression et de l’oppression, et édifier une
Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité.
C’est ici que peut et doit
s’exercer notre capacité subjective de diriger la guerre.
Nous ne voulons pas que ceux qui
dirigent notre Guerre de Résistance se détachent des conditions
objectives et deviennent des têtes brûlées frappant à tort et à
travers, mais nous tenons à ce qu’ils deviennent des capitaines
courageux et clairvoyants.
Ils ne doivent pas seulement avoir le
courage d’écraser l’ennemi, ils doivent aussi savoir dominer
tout le cours de la guerre, dans toutes ses vicissitudes et tous ses
développements.
Les chefs militaires, nageant dans
l’immense océan de la guerre, doivent non seulement se garder de
se noyer, mais encore être capables d’atteindre sûrement le
rivage opposé à brasses mesurées.
La stratégie et la tactique en tant
que lois de la conduite de la guerre sont l’art de savoir nager
dans l’océan de la guerre.
La guerre et la politique
63 « La guerre est la continuation de la
politique. » En ce sens, la guerre, c’est la politique ; elle
est donc en elle-même un acte politique ; depuis les temps les
plus anciens, il n’y a jamais eu de guerre qui n’ait eu un
caractère politique.
La Guerre de Résistance est une
guerre révolutionnaire de toute la nation.
La victoire y est inséparable des
buts politiques de la guerre — expulsion des impérialistes
japonais et édification d’une Chine nouvelle où règnent la
liberté et l’égalité, inséparable de la ligne générale qui
consiste à poursuivre résolument la guerre et à appliquer
fermement la politique de front uni, inséparable de la mobilisation
du peuple entier, inséparable des principes politiques de l’unité
entre les officiers et les soldats, de l’unité entre l’armée et
le peuple et de la désagrégation des troupes ennemies, inséparable
de la bonne application de la politique de front uni, inséparable
d’une mobilisation culturelle, inséparable des efforts pour
s’assurer l’aide internationale et le soutien du peuple du pays
ennemi.
En un mot, il n’est pas possible de
séparer une seule minute la guerre de la politique.
Chez les militaires qui font la
Guerre de Résistance, toute tendance à sous-estimer la
politique, en isolant la guerre de la politique et en considérant la
guerre dans l’absolu, est erronée et doit être corrigée.
64 Mais la guerre a aussi ses caractères
spécifiques. En ce sens, elle n’est pas identique à la politique
en général. « La guerre est une simple continuation de la
politique par d’autres moyens ».
Une guerre éclate pour lever les
obstacles qui se dressent sur la voie de la politique, quand
celle-ci a atteint un certain stade qui ne peut être dépassé
par les moyens habituels.
Par exemple, la situation de
semi-indépendance de la Chine est devenue un obstacle au
développement de la politique de l’impérialisme japonais, le
Japon a donc entrepris une guerre d’agression pour lever cet
obstacle. Qu’en est-il pour la Chine ?
Il y a déjà longtemps que le joug
impérialiste est devenu un obstacle sur la voie de la révolution
démocratique bourgeoise en Chine.
C’est pourquoi maintes guerres de
libération s’y sont produites, qui ont traduit les efforts en vue
d’éliminer cet obstacle.
Le Japon recourt maintenant à la
guerre pour opprimer la Chine dans l’intention de barrer
complètement la route à l’essor de la révolution chinoise ;
aussi sommes-nous obligés de mener la Guerre de Résistance
avec la ferme volonté de lever cet obstacle sur notre chemin.
Lorsque l’obstacle est levé et le
but politique atteint, la guerre prend fin.
Tant que l’obstacle n’est pas
complètement levé, il faut poursuivre la guerre jusqu’à ce
qu’elle atteigne son but politique.
S’il se trouvait par exemple des
gens pour essayer d’entrer en compromis avec l’ennemi avant la
réalisation des tâches de la Guerre de Résistance, il ne sortirait
absolument rien de leurs tentatives ; car même si, pour une raison
ou pour une autre, ils parvenaient à leurs fins, la guerre
éclaterait de nouveau : les larges masses de la population
n’accepteraient pas cette issue de la guerre et entreprendraient
certainement de poursuivre cette guerre plus avant, jusqu’à
complète réalisation de ses buts politiques.
C’est pourquoi l’on peut dire que
la politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre une
politique avec effusion de sang.
65 Les caractères spécifiques de la guerre
donnent naissance à un ensemble d’organismes spécifiques, à une
série de méthodes spécifiques et à un processus particulier
propres à la guerre.
Les organismes de la guerre sont
l’armée et tout ce qui s’y rapporte. Les méthodes sont la
stratégie et la tactique qui servent à diriger les opérations
militaires.
Le processus est la forme spécifique
d’activité sociale dans laquelle chacune des parties belligérantes
attaque ou se défend en appliquant une stratégie et une tactique
avantageuses pour elle-même et désavantageuses pour
l’adversaire.
C’est pourquoi l’expérience de
la guerre est une expérience spécifique. Tous ceux qui prennent
part à la guerre doivent renoncer aux habitudes du temps de paix et
s’adapter à la guerre, s’ils veulent y remporter la victoire.
La mobilisation politique dans la guerre de
résistance
66 Dans une guerre révolutionnaire nationale aussi grandiose, il
est impossible de remporter la victoire sans une mobilisation
politique large et profonde.
Ce fut pour la Chine un grand
désavantage de ne pas avoir entrepris la mobilisation politique pour
la Résistance avant le début de la guerre, et nous nous sommes de
ce fait trouvés d’un pas en retard sur l’ennemi.
Même quand la guerre eut commencé,
la mobilisation politique fut bien loin de s’étendre à toutes les
régions, sans parler de son manque de profondeur.
Le peuple, dans sa majorité, a été
averti de la guerre par le feu de l’artillerie et par les
bombardements aériens de l’ennemi.
Ce fut aussi une sorte de
mobilisation, mais faite par l’ennemi à notre place et non par
nous.
Ceux qui vivent dans les régions
éloignées et qui n’entendent pas la canonnade demeurent encore
dans une tranquillité que rien ne trouble.
Il faut absolument changer cette
situation, sinon nous ne pouvons pas gagner cette guerre qui est pour
nous une question de vie ou de mort.
En aucun cas nous ne devons nous
laisser encore distancer par l’ennemi, fût-ce d’une seule
foulée.
Il nous faut, au contraire, pousser à
fond la mobilisation politique, de façon à prendre le dessus sur
l’ennemi. Bien des choses en dépendent.
Que nous le cédions à l’ennemi en
armement, entre autres choses, est secondaire, alors que la
mobilisation politique est de toute première importance.
Si tout le peuple est mobilisé,
l’ennemi finira par être englouti dans cet océan humain ; alors
seront également créées les conditions pour combler nos lacunes
dans l’armement et dans d’autres domaines, et seront posées les
prémisses pour surmonter toutes les difficultés de la guerre.
Pour vaincre, il faut poursuivre la
guerre résolument, s’en tenir fermement au front uni, s’engager
avec résolution dans une guerre prolongée.
Mais tout cela est impossible sans la
mobilisation du peuple.
Vouloir la victoire et négliger la
mobilisation politique, c’est comme « vouloir aller vers le
nord en dirigeant l’attelage vers le sud ».
Il va de soi qu’il serait alors
inutile de parler encore de victoire.
67 Qu’est-ce que la mobilisation politique
? Avant tout, elle consiste à exposer à l’armée et au peuple les
buts politiques de la guerre.
Il faut que chaque soldat, chaque
citoyen comprenne pourquoi on doit se battre, en quoi la guerre le
touche personnellement.
Les buts politiques de la Guerre de
Résistance sont « l’expulsion des impérialistes japonais et
l’édification d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et
l’égalité ».
C’est en exposant ces buts à toute
l’armée et à tout le peuple que l’on pourra faire naître chez
eux l’enthousiasme pour la Résistance, et alors seulement ils
apporteront entièrement, par centaines de millions, comme un seul
homme, leur contribution à la guerre.
Mais la seule explication des buts de
la guerre ne suffit pas, il faut encore exposer clairement les
mesures et la politique nécessaires pour atteindre ces buts ;
autrement dit, il faut un programme politique.
Actuellement, un « Programme en
dix points pour la résistance au Japon et le salut de la patrie »
et un « Programme de résistance au Japon et de construction
nationale » sont déjà élaborés ; il faut les populariser au
sein de l’armée et du peuple et mobiliser l’armée et le peuple
tout entiers pour traduire ces programmes dans la vie.
Sans un programme politique précis
et concret, il est impossible de mobiliser l’armée et le peuple
tout entiers pour poursuivre jusqu’au bout la Guerre de Résistance.
Mais cette mobilisation, comment la
faire ?
Par la parole, les tracts et les
affiches, par les journaux, les brochures et les livres, par le
théâtre et le cinéma, en utilisant les écoles, les organisations
populaires et les cadres.
Ce qu’on fait aujourd’hui dans
les régions du Kuomintang n’est qu’une goutte d’eau dans
l’océan ; on le fait, d’ailleurs, d’une manière qui n’est
pas du goût des masses populaires et dans un esprit qui leur est
étranger.
Il faut changer radicalement tout
cela. Enfin, une seule campagne de mobilisation ne suffit pas.
La mobilisation politique dans la
Guerre de Résistance doit se poursuivre constamment.
Il ne s’agit pas de réciter
mécaniquement au peuple notre programme politique, car personne
n’écoutera ; il faut lier la mobilisation politique au
développement même de la guerre, à la vie des soldats et des
simples gens ; il faut en faire un travail permanent.
C’est une tâche d’une immense
importance dont dépend en tout premier lieu la victoire.
Les buts de la guerre
68 Nous ne nous occuperons pas ici des buts politiques de la
guerre ; les buts politiques de la Guerre de Résistance sont
« l’expulsion des impérialistes japonais et l’édification
d’une Chine nouvelle où règnent la liberté et l’égalité »,
nous en avons déjà parlé plus haut.
Nous aborderons ici les buts
fondamentaux de la guerre, de la guerre en tant que politique avec
effusion de sang, en tant que destruction mutuelle de deux armées
opposées.
La guerre n’a d’autre but que
« de conserver ses forces et d’anéantir celles de l’ennemi »
(anéantir les forces de l’ennemi, c’est les désarmer, « les
priver de toute capacité de résistance », et non pas les
anéantir toutes physiquement).
Dans l’antiquité, on se servait,
pour faire la guerre, de lances et de boucliers : la lance servait à
attaquer et à anéantir l’ennemi, le bouclier à se défendre et à
se conserver soi-même.
Jusqu’à nos jours, c’est du
développement de ces deux types d’armes que résultent toutes les
autres.
Les bombardiers, les mitrailleuses,
l’artillerie à longue portée, les gaz toxiques sont des
développements de la lance, et les abris, les casques d’acier, les
fortifications bétonnées, les masques à gaz, des développements
du bouclier.
Les chars d’assaut sont une
nouvelle arme, où se trouvent combinés la lance et le bouclier.
L’attaque est le moyen principal
pour anéantir les forces de l’ennemi, mais l’on ne saurait se
passer de la défense.
L’attaque vise à anéantir
directement les forces de l’ennemi, et en même temps à conserver
ses propres forces, car si l’on n’anéantit pas l’ennemi, c’est
lui qui vous anéantira.
La défense sert directement à la
conservation des forces, mais elle est en même temps un moyen
auxiliaire de l’attaque ou un moyen de préparer le passage à
l’attaque.
La retraite se rapporte à la
défense, elle en est le prolongement, tandis que la poursuite est la
continuation de l’attaque.
Il est à noter que, parmi les buts
de la guerre, l’anéantissement des forces de l’ennemi est le but
principal, et la conservation de ses propres forces le but
secondaire, car on ne peut assurer efficacement la conservation de
ses forces qu’en anéantissant massivement les forces de l’ennemi.
Il en résulte que l’attaque, en
tant que moyen fondamental pour anéantir les forces de l’ennemi,
joue le rôle principal et que la défense, en tant que moyen
auxiliaire pour anéantir les forces de l’ennemi et en tant que
l’un des moyens pour conserver ses propres forces, joue le rôle
secondaire.
Bien qu’en pratique on recoure dans
beaucoup de situations surtout à la défense et, dans les autres,
surtout à l’attaque, celle-ci n’en reste pas moins le moyen
principal, si l’on considère le déroulement de la guerre dans son
ensemble.
69 Comment expliquer l’exhortation au sacrifice
héroïque dans la guerre ? N’est-ce pas en contradiction avec
l’exigence de la « conservation de ses forces » ?
Non, cela n’est pas en
contradiction. Ce sont des contraires qui cependant se conditionnent
l’un l’autre.
La guerre est une politique
sanglante, pour laquelle il faut payer, et souvent très cher.
Sacrifier (ne pas conserver) partiellement et temporairement ses
forces vise à conserver l’ensemble des forces pour toujours.
C’est justement pour cela que nous
avons dit que l’attaque, qui est essentiellement un moyen destiné
à anéantir les forces de l’ennemi, permet en même temps de
conserver nos propres forces. C’est également pour cette raison
que la défense doit être accompagnée de l’attaque et ne doit pas
être une défense pure et simple.
70 La conservation de ses propres forces et
l’anéantissement des forces de l’ennemi en tant que buts de la
guerre constituent l’essence même de la guerre et le fondement de
tout acte de guerre.
Cette essence de la guerre en pénètre
toutes les activités, depuis les procédés techniques jusqu’à la
stratégie.
Les buts de la guerre que nous venons
d’indiquer représentent le principe fondamental de la guerre ;
tout concept ou principe d’ordre technique, tactique, opérationnel
ou stratégique en est absolument inséparable.
Que signifie, par exemple, dans le
tir, « se couvrir soi-même et exploiter sa puissance de
feu » ?
Le premier point est nécessaire pour
conserver ses forces et le second pour anéantir l’ennemi.
Le premier point a donné naissance à
des méthodes telles que la mise à profit du relief et des autres
accidents du terrain, l’avance par bonds, la disposition des
troupes en ordre dispersé, et le second à d’autres méthodes
comme le déblayage du champ de tir, l’organisation du système de
feu.
Quant aux forces de choc, aux forces
de fixation et aux réserves employées en tactique, les premières
sont destinées à l’anéantissement des forces de l’ennemi, les
deuxièmes à la conservation de ses propres forces, les troisièmes,
suivant la situation, à l’un ou à l’autre, soit à
l’anéantissement de l’ennemi (elles appuient alors les forces de
choc ou servent à poursuivre l’ennemi), soit à la conservation de
ses propres forces (elles soutiennent alors les forces de fixation ou
servent de forces de couverture).
Ainsi, aucun principe, aucune action
d’ordre technique, tactique, opérationnel ou stratégique ne peut
en quoi que ce soit s’écarter des buts de la guerre, et ceux-ci
régissent la guerre dans son ensemble et en orientent le cours du
début à la fin.
71 Dans la conduite de la Guerre de Résistance,
il faut que les commandants à tous les échelons ne perdent de vue
ni les caractéristiques fondamentales, réciproquement contraires de
la Chine et du Japon ni les buts de la guerre.
Ces caractéristiques fondamentales,
réciproquement contraires, des deux pays se manifestent dans la
lutte de chaque partie pour la conservation de ses propres forces et
l’anéantissement des forces adverses.
Le problème consiste, pour nous, à
faire, dans chaque combat, tous nos efforts pour remporter une
victoire, qu’elle soit grande ou petite, pour désarmer une partie
des troupes de l’ennemi et pour détruire une partie de ses forces
humaines et matérielles.
L’accumulation de ces succès
partiels dans l’anéantissement de l’ennemi nous vaudra de
grandes victoires stratégiques qui nous permettront d’atteindre
nos buts politiques : l’expulsion définitive de l’ennemi hors du
pays, la défense de la patrie et l’édification d’une Chine
nouvelle.
Les opérations offensives dans une guerre
défensive, les opérations de décision rapide dans une guerre de
longue durée et les opérations à l’extérieur des lignes dans la
guerre à l’intérieur des lignes
72 Passons maintenant à l’étude de la stratégie concrète de
la Guerre de Résistance.
Nous avons déjà dit que notre
stratégie dans la Guerre de Résistance est celle d’une guerre
prolongée et cela est absolument exact.
Mais c’est là une façon générale
de définir cette stratégie et non une façon concrète.
Nous allons donc examiner cette
question : Comment faut-il conduire d’une façon concrète la
guerre prolongée ?
Voici notre réponse : à la première
et à la deuxième étape, quand l’ennemi pratique l’offensive,
puis passe à la consolidation des territoires occupés, nous devons
mener des campagnes et des combats offensifs dans la défense
stratégique, des campagnes et des combats de décision rapide tout
en poursuivant en stratégie une guerre de longue durée, des
campagnes et des combats à l’extérieur des lignes tout en nous
trouvant sur le plan stratégique à l’intérieur des lignes.
Dans la troisième étape, nous
passerons à la contre-offensive stratégique.
73 Etant donné que le Japon est un puissant Etat
impérialiste et que nous sommes un pays faible, semi-colonial
et semi-féodal, le Japon poursuit une offensive stratégique et
nous-mêmes nous nous trouvons sur la défensive stratégique.
Le Japon cherche à appliquer la
stratégie de la guerre de décision rapide et nous, nous devons
adopter consciemment la stratégie d’une guerre prolongée.
Le Japon se sert d’une armée
terrestre de plusieurs dizaines de divisions (actuellement, elle
s’élève déjà à trente divisions) d’une capacité de combat
relativement forte, ainsi que d’une partie de sa flotte de guerre
pour encercler la Chine et en faire le blocus sur terre et sur mer,
et il utilise son aviation militaire pour la bombarder.
Actuellement, son armée terrestre
s’est déjà installée sur un large front, de Paoteou à
Hangtcheou, sa flotte atteint les côtes des provinces du Foukien et
du Kouangtong ; ainsi ses opérations à l’extérieur des lignes
ont pris une grande ampleur.
Quant à nous, nous faisons la guerre
à l’intérieur des lignes.
Tout cela résulte du fait que
l’ennemi est fort et que nous sommes faibles. Tel est l’un des
aspects de la situation.
74 Mais, d’un autre côté, nous voyons un
tableau tout à fait contraire. Bien que le Japon soit fort, il
manque de troupes, et bien que la Chine soit faible, elle dispose
d’un immense territoire, d’une forte population et d’une armée
nombreuse.
Deux conséquences importantes en
découlent : premièrement, comme l’ennemi, avec une armée peu
nombreuse, est entré dans un grand pays, il ne pourra y occuper
qu’une partie des grandes villes, des principales voies de
communication et certaines régions de plaine.
Ainsi, il subsistera dans les régions
prises par l’ennemi de vastes territoires que celuici ne sera
pas en état d’occuper, ce qui nous procurera un vaste champ
d’action pour les opérations de partisans.
Si nous considérons la Chine dans
son ensemble, à supposer même que l’ennemi parvienne à occuper
la ligne Canton, Wouhan et Lantcheou et les régions
attenantes, il lui sera très difficile de s’emparer des régions
au-delà de cette ligne, ce qui donnera à la Chine un arrière
général et des bases d’importance vitale pour poursuivre une
guerre prolongée et remporter finalement la victoire.
Deuxièmement, comme l’ennemi
oppose des forces peu nombreuses à une armée importante, il se
trouvera nécessairement encerclé.
Stratégiquement, comme il nous
attaque de plusieurs directions, l’ennemi se trouve à l’extérieur
des lignes tandis que nous sommes à l’intérieur, il fait une
guerre offensive alors que nous sommes sur la défensive ; tout cela
peut sembler fort désavantageux pour nous.
En réalité, nous avons la
possibilité de mettre à profit nos deux avantages : l’étendue de
notre territoire et l’importance numérique de notre armée, et, au
lieu de poursuivre obstinément une guerre de position, nous pouvons
appliquer avec souplesse les méthodes de la guerre de mouvement, en
opposant à une seule division de l’ennemi plusieurs de nos
divisions, à une dizaine de milliers de ses combattants plusieurs
dizaines de milliers des nôtres, en fondant de plusieurs directions
sur une seule colonne de l’ennemi pour l’encercler soudain et
l’attaquer à l’extérieur des lignes.
De cette manière, l’ennemi, qui,
sur le plan stratégique, opère à l’extérieur des lignes et mène
l’offensive, en sera réduit, lors des campagnes et des combats, à
agir à l’intérieur des lignes et à passer à la défensive.
En revanche, nos troupes, qui, sur le
plan stratégique, opèrent à l’intérieur des lignes et se
trouvent sur la défensive, agiront lors des campagnes et des combats
à l’extérieur des lignes et attaqueront.
C’est ainsi qu’il convient d’agir
face à l’avance d’une, voire de toute colonne ennemie.
Les deux conséquences que nous
venons d’indiquer découlent de cette particularité que l’ennemi
est un petit pays et la Chine un grand pays.
D’autre part, l’armée ennemie
est peu nombreuse, mais forte (par son armement et par sa préparation
militaire), et notre armée est nombreuse, mais faible (du point de
vue de l’armement et de sa préparation militaire mais non pas de
son moral) ; c’est pourquoi, dans les campagnes et les combats,
nous ne devons pas seulement nous servir de notre supériorité
numérique pour opérer à l’extérieur des lignes en contraignant
l’ennemi à se battre à l’intérieur des lignes, mais aussi
adopter le principe des opérations de décision rapide.
Pour aboutir à une décision rapide,
il faut attaquer l’ennemi en marche et nous garder en général de
frapper ses unités en cantonnement.
Nous devons rassembler d’avance et
secrètement des forces puissantes des deux côtés de la route que
doit suivre l’ennemi et nous jeter sur lui inopinément lorsqu’il
est en marche, l’encercler et l’attaquer sans lui donner le temps
de reprendre ses esprits et terminer le combat rapidement.
Si le coup porté réussit, nous
aurons anéanti soit toutes les forces de l’ennemi, soit la plus
grande partie, soit une partie quelconque de ses forces.
Et même si le combat tourne moins
bien, l’ennemi n’en aura pas moins subi de lourdes pertes en
blessés et en tués.
Il doit en être ainsi dans chacun de
nos combats.
Sans avoir de prétentions
excessives, si nous arrivons, ne serait-ce qu’une fois par
mois, à remporter une victoire relativement importante, comme celle
de Pinghsingkouan ou celle de Taieultchouang, cela affaiblira
considérablement le moral de l’ennemi, exaltera celui de notre
armée et nous attirera des sympathies dans le monde entier.
Ainsi, notre stratégie, orientée
vers une guerre prolongée, se traduira sur les champs de bataille
par des opérations de décision rapide, et l’ennemi, dont la
stratégie visait à une décision rapide, se trouvera contraint d’en
venir, à la suite d’un grand nombre de défaites dans les
campagnes et les combats, à une guerre de longue durée.
75 Le principe opérationnel pour les campagnes et
les combats que nous venons de définir peut se résumer dans la
formule : « opérations offensives de décision rapide à
l’extérieur des lignes ».
Il est à l’opposé de notre
stratégie : « opérations défensives de longue durée à
l’intérieur des lignes », mais il est précisément
indispensable à l’application de cette stratégie.
Si nous menions également, dans les
campagnes et les combats, des « opérations défensives de
longue durée à l’intérieur des lignes », ainsi qu’on l’a
fait par exemple au début de la Guerre de Résistance, cela ne
répondrait absolument pas à cette double condition que le pays
ennemi est petit et le nôtre grand, et que l’ennemi est fort alors
que nous sommes faibles.
Jamais, en ce cas, nous
n’atteindrions notre but stratégique d’une guerre prolongée, et
nous serions vaincus.
Voilà pourquoi nous avons toujours
préconisé l’organisation des forces du pays en un certain nombre
de puissantes armées de campagne, chacune faisant face à une des
armées de campagne de l’ennemi mais avec un effectif deux, trois
ou quatre fois plus élevé que celle-ci, de façon à engager
l’ennemi, sur de vastes théâtres de guerre, dans des opérations
conformes au principe exposé ci-dessus.
Ce principe peut et doit être adopté
non seulement pour les opérations de l’armée régulière, mais
aussi pour la guerre de partisans.
Il est valable non seulement pour une
certaine étape de la guerre, mais pour toute la durée de la guerre.
A l’étape de la contre-offensive
stratégique, lorsque notre équipement technique se sera amélioré
et que nous ne serons plus du tout dans la situation du faible
s’opposant au fort, si nous continuons à réaliser, avec des
forces supérieures en nombre, des opérations offensives de décision
rapide à l’extérieur des lignes, nous aurons encore plus
largement la possibilité de capturer en grande quantité prisonniers
et matériel. Supposons par exemple que nous opposions à une
division motorisée de l’ennemi deux, trois ou quatre de nos
divisions motorisées, nous serions encore plus sûrs d’anéantir
cette division.
Plusieurs solides gaillards ont
facilement raison d’un seul. C’est une vérité élémentaire.
76 Si nous menons résolument des « opérations
offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes »
sur les champs de bataille, nous modifierons en notre faveur le
rapport des forces, non seulement sur ces champs de bataille, mais
progressivement dans l’ensemble de la guerre.
Sur les champs de bataille, il faut
que nous attaquions et que l’ennemi se défende, que nous opérions
avec des forces supérieures à l’extérieur des lignes et que
l’ennemi, inférieur en nombre, combatte à l’intérieur des
lignes, que nous recherchions une décision rapide et que l’ennemi
ne soit pas en mesure de faire durer les combats pour attendre
l’arrivée des renforts ; alors, de fort qu’il était, l’ennemi
deviendra faible et perdra sa supériorité, tandis que nous-mêmes,
de faibles que nous étions, deviendrons forts et conquerrons la
supériorité.
Après de nombreux combats à l’issue
victorieuse, notre situation générale par rapport à l’ennemi se
modifiera.
Cela signifie qu’en remportant un
grand nombre de victoires sur les champs de bataille lors
d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des
lignes, nous accroîtrons nos forces peu à peu et peu à peu nous
affaiblirons l’ennemi, ce qui ne manquera pas d’agir sur le
rapport général des forces et d’y provoquer des changements.
Quand nous en serons là, ces
changements nous assureront, avec d’autres facteurs de notre propre
situation, avec les modifications dans la situation intérieure de
l’ennemi et avec une situation internationale favorable, la
possibilité d’arriver à l’équilibre des forces, puis à la
supériorité sur l’ennemi.
C’est alors que sonnera l’heure
de notre contre-offensive et de l’expulsion de l’ennemi hors
de notre pays.
77 La guerre, c’est une compétition de forces,
mais au cours de la guerre, ces forces elles-mêmes se modifient
par rapport à ce qu’elles étaient au début.
Les efforts subjectifs pour remporter
le plus grand nombre possible de victoires et commettre le moins
possible d’erreurs constituent ici le facteur décisif.
Les conditions objectives donnent la
possibilité de telles modifications, mais pour que cette possibilité
passe dans la réalité, il faut une ligne juste et des efforts
subjectifs. C’est, dans ce cas, le facteur subjectif qui joue le
rôle décisif.
L’initiative, la souplesse et le plan d’action
78 Dans les opérations offensives de décision rapide menées à
l’extérieur des lignes au cours des campagnes et des combats,
telles qu’elles ont été définies plus haut, le point crucial est
l’offensive.
« A l’extérieur des lignes »
désigne la sphère de l’offensive, et « décision rapide »
la durée de l’offensive.
D’où l’expression « opérations
offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes ».
C’est le meilleur principe pour la
conduite d’une guerre prolongée et c’est aussi le principe de ce
qu’on appelle la guerre de mouvement.
Toutefois, on ne saurait appliquer ce
principe sans faire preuve d’initiative et de souplesse et sans
avoir un plan. Examinons donc maintenant ces trois questions.
79 Nous avons déjà parlé plus haut de
l’activité consciente. Pourquoi envisageons-nous maintenant
la question de l’initiative ?
Comme on l’a dit plus haut, il faut
entendre par activité consciente les actes et les efforts conscients
en tant qu’ils sont le propre de l’homme, et tels qu’ils se
manifestent avec une force toute particulière dans la guerre.
En ce qui concerne l’initiative,
dont il s’agit maintenant, elle signifie la liberté d’action des
troupes, par opposition à la privation de cette liberté imposée
par la situation.
La liberté d’action est une
nécessité vitale pour l’armée. Une armée qui l’a perdue est
tout près de la défaite ou de la destruction. Un soldat est désarmé
pour avoir perdu sa liberté d’action et avoir été réduit à la
passivité.
La défaite d’une armée a la même
cause.
C’est pour cela que les deux
parties belligérantes luttent énergiquement pour l’initiative et
repoussent la passivité de toute leur force.
On peut dire que les opérations
offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, que nous
préconisons, ainsi que la souplesse et le plan d’action
nécessaires à leur réalisation visent à conquérir l’initiative
et à réduire l’ennemi à la passivité, pour conserver nos forces
et détruire celles de l’ennemi.
Mais l’initiative et la passivité
sont respectivement inséparables de la supériorité ou de
l’infériorité des forces, et, par conséquent, inséparables
d’une direction subjective juste ou erronée.
En outre, il est possible d’acquérir
l’initiative et de réduire l’ennemi à la passivité en
profitant de son erreur de jugement et en usant de surprise. Nous
allons examiner ces questions.
80 L’initiative est inséparable de la
supériorité des forces, alors que la passivité est conditionnée
par l’infériorité des forces.
Cette supériorité et cette
infériorité constituent respectivement la base objective de
l’initiative et de la passivité.
Il est évident que, sur le plan
stratégique, on peut plus facilement obtenir et développer
l’initiative au moyen d’opérations offensives, mais que l’on
ne peut arriver à détenir l’initiative durant toute la guerre et
sur tous les fronts, c’est-à-dire l’initiative
absolue, que si l’on dispose de la supériorité absolue des forces
contre un adversaire dont l’infériorité est absolue. Dans un
corps à corps, un homme fort et robuste aura l’initiative absolue
sur un grand malade.
Si le Japon n’était pas aux prises
avec tant de contradictions insurmontables, s’il pouvait, par
exemple, mettre sur pied d’un seul coup une immense armée de
quelques millions d’hommes, voire d’une dizaine de millions
d’hommes, si ses ressources financières étaient plusieurs fois ce
qu’elles sont actuellement, s’il ne se heurtait pas aux
sentiments hostiles des masses populaires de son pays et des Etats
étrangers, et si enfin il n’avait pas appliqué une politique
barbare qui a incité le peuple chinois à entreprendre une
lutte à mort, il pourrait s’assurer la supériorité absolue des
forces et disposer de l’initiative absolue pour toute la durée de
la guerre et sur tous les fronts.
Mais l’histoire montre que cette
supériorité absolue des forces ne s’observe qu’à la fin d’une
guerre ou d’une campagne, tandis qu’on ne la rencontre que très
rarement au début.
Par exemple, pendant la Première
guerre mondiale, à la veille de la capitulation de l’Allemagne,
les pays de l’Entente avaient acquis la supériorité absolue,
alors que l’Allemagne était réduite à l’infériorité absolue;
en conséquence, l’Allemagne fut vaincue et les pays de l’Entente
remportèrent la victoire.
C’est là un exemple de supériorité
et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une guerre.
Un autre exemple : à la veille de
notre victoire à Taieultchouang, les troupes japonaises, qui s’y
trouvaient alors isolées, furent réduites, après de durs combats,
à l’infériorité absolue des forces, tandis que nos troupes
acquirent la supériorité absolue, en raison de quoi l’ennemi
subit une défaite et nous remportâmes la victoire.
C’est là un exemple de supériorité
et d’infériorité absolues des forces à la fin d’une campagne.
Il arrive également qu’une guerre
ou une campagne s’achève dans une situation de supériorité et
d’infériorité relatives ou d’équilibre.
Dans ce cas, la guerre conduit à un
compromis, et la campagne à la stabilisation du front. Mais dans la
plupart des cas, c’est la supériorité et l’infériorité
absolues qui décident de la victoire et de la défaite.
Tout cela se rapporte à la période
finale d’une guerre ou d’une campagne et non à leur début.
On peut dire d’avance que, à la
fin de la guerre sino-japonaise, le Japon sera vaincu par suite
de l’infériorité absolue de ses forces et que la Chine vaincra
grâce à la supériorité absolue des siennes.
Mais, en ce moment, la supériorité
ou l’infériorité des forces de l’une ou de l’autre partie
n’est pas absolue, elle est relative.
Les avantages d’une puissante
armée, d’une puissante économie et d’un puissant appareil
d’Etat ont assuré au Japon la supériorité sur la Chine, qui a
une armée faible, une économie faible, un appareil d’Etat faible,
et ont créé la base de l’initiative dont il dispose.
Mais comme le potentiel militaire et
autre du Japon est quantitativement insuffisant et que plusieurs
autres facteurs lui sont défavorables, sa supériorité s’est
trouvée réduite par ses propres contradictions.
Elle l’a été plus encore, quand
le Japon s’est heurté en Chine à des facteurs tels que l’étendue
de notre territoire, l’immensité de notre population, l’importance
numérique de notre armée et la résistance acharnée de toute la
nation.
Ainsi, la supériorité du Japon a
pris, dans l’ensemble, un caractère relatif, et son aptitude à
prendre et à conserver l’initiative, qui ne peut plus s’exercer
que dans certaines limites, est donc devenue, elle aussi, relative.
En ce qui concerne la Chine, il est
vrai que, dans une certaine mesure, elle se trouve dans une position
passive au point de vue stratégique, en raison de l’infériorité
de ses forces, mais elle est supérieure au Japon par l’étendue de
son territoire, le chiffre de sa population et l’effectif de ses
troupes, ainsi que par le patriotisme de son peuple et le moral de
son armée. Jointes aux autres facteurs favorables, ces circonstances
réduisent l’importance de l’infériorité militaire, économique,
etc. de la Chine et en font, sur le plan stratégique, une
infériorité relative.
Cela aussi diminue le degré de
passivité de la Chine et donne à sa position stratégique le
caractère d’une passivité purement relative. Cependant, comme
toute passivité est nuisible, il faut que nous fassions les plus
grands efforts pour en sortir.
Au point de vue militaire, le moyen
d’y réussir, c’est de mener résolument des opérations
offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes, de
développer la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi et
d’arriver ainsi à nous assurer une supériorité locale écrasante
et l’initiative au cours de nombreuses campagnes dans la guerre de
mouvement et la guerre de partisans.
C’est en acquérant ainsi, dans un
grand nombre de campagnes, la supériorité et l’initiative locales
que nous obtiendrons peu à peu la supériorité et l’initiative
sur le plan stratégique, et pourrons nous dégager de notre
infériorité et de notre passivité stratégiques.
Telle est la relation entre
l’initiative et la passivité, entre la supériorité et
l’infériorité des forces.
81 Nous pouvons alors comprendre aussi quel est le
rapport entre l’initiative ou la passivité et la direction
subjective de la guerre.
Comme nous l’avons déjà dit, nous
pouvons sortir de notre infériorité et de notre passivité
stratégiques relatives en nous assurant, dans un grand nombre de
campagnes, la supériorité et l’initiative locales, de façon à
arracher à l’ennemi la supériorité et l’initiative sur le plan
local et à le condamner à l’infériorité et à la passivité.
L’ensemble de ces succès locaux
nous permettront d’acquérir la supériorité et l’initiative
stratégiques, et l’ennemi se trouvera réduit à l’infériorité
et à la passivité stratégiques.
La possibilité d’un tel tournant
dépend d’une direction subjective juste.
Pourquoi ?
Parce que l’ennemi, comme
nous-mêmes, s’efforce de conquérir la supériorité et
l’initiative.
En ce sens, la guerre est une
compétition portant sur la capacité subjective du commandement de
chacune des deux armées en présence à créer la supériorité des
forces et à acquérir l’initiative, à partir de conditions
matérielles données telles que les forces militaires et les
ressources financières.
De cette compétition l’une des
parties sort victorieuse, et l’autre vaincue. Si l’on fait
abstraction des conditions matérielles objectives, le vainqueur
devra nécessairement son succès à une direction subjective juste,
et le vaincu sa défaite à une direction subjective erronée.
Nous reconnaissons qu’il est
beaucoup plus difficile de s’orienter dans la guerre que dans
n’importe quel autre phénomène social, qu’elle comporte moins
de certitude, c’est-à-dire qu’elle est encore plus une
question de « probabilité ».
Cependant, elle n’a rien de
surnaturel, elle n’est qu’un événement de la vie soumis à des
lois définies.
Voilà pourquoi la règle de Souentse
: « Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu
pourras sans risque livrer cent batailles » reste une vérité
scientifique.
[Souentse (Souen Wou), ou encore Zun Tzu,
célèbre stratège et théoricien militaire chinois du Ve siècle
av. J.C., auteur du traité Souentse en 13 chapitres. Cette
citation est extraite du « Plan de l’attaque », Souentse,
chapitre III.]
Les erreurs viennent de ce que l’on
ne connaît pas l’ennemi et qu’on ne se connaît pas soi-même
; d’ailleurs, en bien des cas, le caractère spécifique de la
guerre ne nous permet pas de connaître parfaitement et l’ennemi et
nous-mêmes, d’où l’incertitude dans l’appréciation de
la situation militaire et dans les actions militaires, d’où les
erreurs et les défaites.
Mais, quelles que soient dans une
guerre la situation et les actions militaires, il est toujours
possible d’en connaître les aspects généraux, les traits
fondamentaux.
Grâce aux reconnaissances, puis à
des déductions et jugements sagaces, le commandant peut parfaitement
réduire le nombre des erreurs et exercer une direction généralement
bonne.
Munis de cette arme d’une
« direction généralement bonne », nous pourrons
remporter un plus grand nombre de victoires, transformer notre
infériorité en supériorité et notre passivité en initiative.
Tel est le rapport entre l’initiative
ou la passivité et une bonne ou une mauvaise direction de la guerre.
82 Cette affirmation qu’une bonne direction peut
transformer l’état d’infériorité et la passivité en un état
de supériorité et en initiative autant qu’une mauvaise direction
peut aboutir à un changement contraire devient encore plus évidente
si l’on considère dans l’histoire les exemples de défaites
subies par des armées puissantes à l’effectif nombreux et de
victoires remportées par des armées faibles à l’effectif peu
nombreux.
Ces exemples sont multiples dans
l’histoire de la Chine et d’autres pays.
On peut citer dans l’histoire de la
Chine : la bataille de Tchengpou entre les Tsin et les Tchou.
[Tchengpou est situé dans le sudouest
de l’actuel district de Kiuantcheng, province du Chantong. En
632 av. J.C., il s’y déroula une grande bataille entre les
troupes des principautés de Tsin et de Tchou.
Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le
dessus. L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les
flancs droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui
porta des coups puissants; l’armée de Tchou subit alors une lourde
défaite.]
Au début de la guerre, l’armée de Tchou avait le dessus.
L’armée de Tsin recula de 90 lis et, prenant pour cible les flancs
droit et gauche, points faibles de l’armée de Tchou, elle lui
porta des coups puissants ; l’armée de Tchou subit alors une
lourde défaite., la bataille de Tchengkao entre les Tchou et les
Han, la bataille au cours de laquelle Han Sin vainquit les Tchao, la
bataille de Kouenyang entre les Sin et les Han, la bataille de
Kouantou opposant Yuan Chao et Tsao Tsao, la bataille de Tchepi entre
les Wou et les Wei, la bataille de Yiling entre les Wou et les Chou,
la bataille de Feichouei entre les Ts’in et les Tsin.
[En l’an 204 av. J.C., les troupes des Han, sous le
commandement de Han Sin, livrèrent bataille à l’armée de Tchao
Hsié à Tsingking. L’armée de Tchao Hsié, qui comptait, diton,
200.000 hommes, l’emportait de plusieurs fois en nombre sur les
troupes des Han. Han Sin disposa ses troupes devant un cours
d’eau; coupées de leur retraite, elles combattirent avec
acharnement. En même temps, Han Sin envoya une partie de ses troupes
porter un coup par surprise à l’arrière, mal protégé, de l’armée
de Tchao Hsié. Prise ainsi comme dans une tenaille, l’armée de
Tchao Hsié subit une lourde défaite.]
Dans l’histoire des autres pays, on peut prendre comme exemples
la plupart des batailles de Napoléon et la guerre civile en U.R.S.S.
après la Révolution d’Octobre.
Dans tous ces cas, il y a eu victoire
d’une petite armée sur une grande, de forces inférieures sur des
forces supérieures.
Chaque fois, l’armée la plus
petite, la plus faible savait opposer des forces supérieures à des
forces inférieures de l’ennemi en un point donné et y conquérir
l’initiative ; après avoir remporté ainsi une première victoire,
elle se tournait vers son objectif suivant, écrasait les unes après
les autres les forces de l’ennemi et transformait ainsi la
situation générale en arrachant partout la supériorité et
l’initiative.
Le cas de l’ennemi était inverse :
il détenait au début la supériorité des forces et l’initiative,
mais par suite des erreurs subjectives commises par sa direction et
de ses contradictions internes, il pouvait perdre entièrement une
position excellente ou une position relativement bonne dans laquelle
il avait la supériorité et l’initiative, et devenir en quelque
sorte un général sans armée, un roi sans couronne.
Il en résulte que, si la supériorité
ou l’infériorité dans la guerre est la base objective dont dépend
l’initiative ou la passivité, cette supériorité ou cette
infériorité ne constitue pas en elle-même l’initiative ou
la passivité dans la réalité ; l’initiative ou la passivité ne
devient effective que par la lutte, par la confrontation des
capacités subjectives.
Au cours de la lutte, l’infériorité
peut se transformer en supériorité, la passivité en initiative et
vice versa, selon que la guerre est bien ou mal dirigée.
Le fait qu’aucune dynastie régnante
n’a jamais pu venir à bout des armées révolutionnaires montre
que la supériorité des forces à elle seule ne suffit pas à
assurer l’initiative, ni, à plus forte raison, ne garantit la
victoire finale.
Ceux qui sont en état d’infériorité
et se trouvent dans la passivité peuvent arracher l’initiative et
la victoire à ceux qui détiennent la supériorité des forces et
l’initiative, si, s’appuyant sur la situation réelle, ils
déploient une grande activité subjective pour créer certaines
conditions indispensables.
83. On peut perdre la supériorité des forces et
l’initiative quand on se trouve désorienté par l’adversaire et
qu’on est pris au dépourvu.
C’est pourquoi, chercher
systématiquement à désorienter l’ennemi et à le prendre au
dépourvu est un moyen, très important du reste, pour obtenir la
supériorité sur lui et lui arracher l’initiative.
Que signifie être désorienté ?
« Prendre des buissons et des arbres du mont Pakong pour des
soldats ».
En l’an 383, Fou Kien, chef de Ts’in, ayant sousestimé la
force des armées des Tsin, les attaqua. L’armée des Tsin défit
l’avantgarde de Ts’in au Louokien, dans le district de
Cheouyang, province de l’Anhouei, et poursuivit ensuite son offensive
par terre et par eau. Fou Kien monta sur la citadelle de
Cheouyang et porta ses regards en direction de
l’ennemi.
Il vit que l’armée des Tsin s’était disposée
entièrement en ordre de bataille. Puis, lorsqu’il regarda en
direction du mont Pakong, les arbres et les buissons lui semblèrent
être des soldats. Croyant qu’il avait devant lui un puissant ennemi,
il fut saisi de peur.
Et « faire des démonstrations
d’un côté pour attaquer de l’autre » est un des moyens de
désorienter l’ennemi.
Lorsque nous bénéficions du soutien
des masses au point que les informations ne peuvent filtrer dans le
camp de l’ennemi, nous réussissons souvent, en utilisant diverses
méthodes pour tromper l’ennemi, à le placer dans des situations
difficiles où il est amené à porter des jugements faux, à
entreprendre des actions erronées, qui lui font perdre et la
supériorité et l’initiative.
C’est de cela justement qu’il
s’agit quand on dit : « La guerre ne répugne à aucune
ruse ».
Que signifie être pris au dépourvu
?
C’est se trouver sans préparation.
Sans préparation, la supériorité des forces n’est pas une
véritable supériorité et on ne peut pas non plus avoir
l’initiative.
Si l’on comprend cette vérité,
des troupes, inférieures en force mais prêtes, peuvent souvent, par
une attaque inopinée, battre un ennemi supérieur.
Nous disons qu’il est plus facile
de porter des coups à un ennemi en marche, parce qu’il se trouve
pris au dépourvu, c’est-à-dire non préparé.
Le principe de ces deux procédés :
désorienter l’ennemi et l’attaquer par surprise est de
contraindre l’ennemi à agir dans des conditions pour lui mal
définies et de nous assurer le plus possible de certitude, ce qui
nous permet d’acquérir la supériorité des forces et
l’initiative, et de remporter la victoire.
Une bonne organisation des masses est
la condition première de tout cela.
Il est donc extrêmement important
pour nous de soulever tous les simples gens, qui sont contre
l’ennemi, de les armer tous, sans exception, afin qu’ils puissent
effectuer partout des raids contre l’ennemi et, en même temps,
empêcher la fuite des informations dans le camp de l’ennemi et
couvrir notre armée ; ainsi, l’ennemi ne pourra savoir où et
quand nos forces s’apprêteront à lui porter des coups, et une
base objective sera créée pour désorienter l’ennemi et pour le
prendre au dépourvu.
Autrefois, au temps de la Guerre
révolutionnaire agraire, c’est dans une grande mesure grâce au
soutien des masses populaires armées et organisées que l’Armée
rouge chinoise a réussi à remporter bien des victoires avec de
faibles effectifs.
Logiquement, nous devrions pouvoir
compter sur un soutien encore plus large des masses populaires dans
la guerre nationale que dans la Guerre révolutionnaire agraire,
mais, par suite d’erreurs commises dans le passé, les masses
populaires ne sont pas organisées et nous ne pouvons, sans un
travail préparatoire, les entraîner à nous aider ; souvent même,
c’est l’ennemi qui se sert d’elles.
Seule une mobilisation large et
résolue des masses populaires nous donnera des ressources
inépuisables pour répondre à tous les besoins de la guerre.
Et cette mobilisation jouera
certainement un grand rôle dans l’application de notre tactique
visant à vaincre l’ennemi en le désorientant et en le prenant au
dépourvu.
Nous ne sommes pas comme le duc Siang
de Song, nous n’avons nul besoin de son éthique stupide.
[Le duc Siang régnait sur la principauté de Song
à l’époque de Tchouentsieou au VIIe siècle avant
notre ère. En 638 av. J.C., la principauté de Song
faisait la guerre à la puissante principauté de Tchou.
Les troupes de Song étaient déjà disposées en ordre de
bataille, alors que l’armée de Tchou en était encore à traverser
le fleuve qui séparait les deux ennemis. Un des dignitaires de Song,
sachant que les troupes de Tchou étaient de beaucoup supérieures en
nombre, proposa de profiter du moment propice et de les attaquer
avant qu’elles aient terminé leur traversée.
Mais le duc Siang répondit: « Non, un homme bien né
n’attaque pas un adversaire en difficulté. » Lorsque les troupes
de Tchou eurent traversé la rivière, et alors qu’elles ne s’étaient
pas encore disposées en ordre de bataille, le dignitaire de Song lui
proposa à nouveau d’attaquer l’armée de Tchou. Le duc Siang
répondit « Non, un homme bien né n’attaque pas une armée
avant qu’elle soit en ordre de bataille. »
C’est seulement lorsque les troupes de Tchou furent parfaitement
préparées au combat que le duc donna l’ordre d’attaquer. Le
résultat fut une lourde défaite pour la principauté de Song et le
duc Siang luimême fut blessé.]
Il nous faut boucher de la manière
la plus complète les yeux et les oreilles de l’ennemi, pour qu’il
devienne aveugle et sourd.
Il nous faut, autant que possible,
créer la confusion dans l’esprit de ses chefs, de façon qu’ils
perdent complètement la tête, et en profiter pour remporter la
victoire.
Tel est aussi le rapport entre
l’existence ou l’absence d’initiative et la direction
subjective de la guerre.
Nous ne saurions vaincre le Japon
sans cette direction subjective.
84. Si en général le Japon détient l’initiative
à l’étape de son offensive, c’est grâce à sa puissance
militaire et à nos erreurs subjectives, passées et présentes,
qu’il a su exploiter.
Mais cette initiative commence à
faiblir dans une certaine mesure, à cause des nombreux facteurs
défavorables inhérents à la situation de l’ennemi et des erreurs
subjectives qu’il a lui aussi commises au cours de la guerre (il en
sera question plus loin) et en raison, également, des nombreux
facteurs qui nous sont favorables.
La défaite subie par l’ennemi à
Taieultchouang et ses difficultés dans la province du Chansi en
sont des preuves évidentes.
Le large développement de la guerre
de partisans à l’arrière de l’ennemi réduit à la passivité
complète ses garnisons dans les territoires occupés.
L’ennemi continue actuellement son
offensive stratégique et conserve l’initiative, mais il la perdra
lorsque son offensive s’arrêtera.
Le manque de troupes ne lui permettra
pas de poursuivre son offensive indéfiniment, et c’est la première
raison pour laquelle il ne pourra conserver l’initiative.
La deuxième raison, c’est que nos
opérations offensives au cours des campagnes et la guerre de
partisans que nous faisons derrière ses lignes l’obligeront, avec
d’autres facteurs, à arrêter son offensive à une certaine limite
et ne lui laisseront donc pas la possibilité de conserver
l’initiative.
La troisième raison, c’est
l’existence de l’U.R.S.S. et les changements qui se produisent
dans la situation internationale.
Il apparaît ainsi que l’initiative
de l’ennemi est limitée et qu’elle peut être réduite à néant.
Si donc la Chine s’en tient
fermement à la méthode des opérations offensives menées par ses
forces principales au cours des campagnes et des combats, développe
vigoureusement la guerre de partisans à l’arrière de l’ennemi
et mobilise largement les masses populaires dans le domaine
politique, elle peut s’assurer peu à peu l’initiative
stratégique.
85 Venons-en maintenant à la question de la
souplesse.
Qu’est-ce que la souplesse ?
C’est la réalisation concrète de l’initiative dans les
opérations militaires ; c’est la souplesse dans l’emploi des
troupes.
Employer les troupes avec souplesse
est la tâche capitale dans la conduite de la guerre et c’est aussi
la tâche la plus difficile.
Si l’on fait abstraction des tâches
telles que l’organisation et la formation des troupes,
l’organisation et l’éducation de la population, la conduite de
la guerre n’est autre chose que l’emploi des troupes dans le
combat ; tout cela doit contribuer à rendre le combat victorieux.
Organiser et instruire les troupes,
par exemple, est évidemment difficile, mais il est encore plus
difficile de les employer au combat, surtout lorsqu’il s’agit
d’affronter un ennemi plus fort que soi.
Pour venir à bout de cette tâche,
il faut une haute capacité subjective, il faut savoir trouver
l’ordre, la clarté et la certitude dans la confusion, l’obscurité
et l’incertitude propres à la guerre.
C’est seulement ainsi que se
réalise la souplesse dans le commandement.
86 Le principe fondamental des opérations sur les
champs de bataille de la Guerre de Résistance consiste à mener des
opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des
lignes.
Pour appliquer ce principe, il y a
diverses tactiques ou méthodes : dispersion et concentration des
forces, progression en ordre dispersé et attaque convergente,
offensive et défensive, assaut et fixation, encerclement et
mouvement tournant, progression et retraite.
Il est facile de comprendre ces
tactiques, mais il n’est pas facile de les appliquer et de les
varier avec souplesse.
Il faut ici tenir compte de trois
facteurs-clés : le temps, le lieu et l’unité combattante ;
sans un choix judicieux de ces facteurs, la victoire est impossible.
Si, par exemple, dans l’attaque
contre un ennemi en marche, le coup est porté trop tôt, on risque
de se découvrir soi-même et de lui donner le temps d’y parer
; si, par contre, le coup est porté trop tard, l’ennemi aura le
temps d’arrêter sa marche et de se regrouper, et nous nous
casserons les dents sur un os.
Voilà pour le choix du temps.
Si l’on choisit un point d’assaut,
par exemple sur le flanc gauche de l’ennemi, et qu’on tombe
justement sur son côté faible, la victoire sera facile ; mais si on
a choisi le flanc droit et qu’on se heurte à un mur, on n’arrivera
à rien.
Voilà pour le choix du lieu.
Enfin, si l’on choisit, pour
réaliser telle tâche, telle unité combattante, il sera facile de
vaincre, mais si l’on en choisit une autre pour remplir la même
tâche, il sera peut-être difficile de remporter un succès.
Voilà pour le choix de l’unité combattante.
Cependant, il faut savoir non
seulement appliquer les diverses tactiques, mais encore les varier.
C’est une tâche importante pour
une direction souple que de savoir par exemple passer de l’offensive
à la défensive ou de la défensive à l’offensive, de la
progression à la retraite ou de la retraite à la progression, de la
fixation à l’assaut ou de l’assaut à la fixation, de
l’encerclement au mouvement tournant ou du mouvement tournant à
l’encerclement, et d’effectuer ces changements de tactique à bon
escient et en temps voulu, conformément à la situation des troupes
et à la nature du terrain de notre côté comme du côté de
l’ennemi.
Cela est vrai aussi bien pour la
direction dans les combats que pour la direction dans les campagnes
ou pour la direction stratégique.
87 Comme le dit le vieil adage, « le secret
d’une habile exécution est dans la tête ». C’est ce
« secret » que nous appelons la souplesse.
Elle est le fruit du talent d’un
bon commandant. La souplesse, ce n’est pas l’action inconsidérée
; il faut repousser l’action inconsidérée.
La souplesse, c’est l’aptitude
d’un chef habile à prendre en temps utile des décisions justes
conformément à la situation objective, ou, en d’autres termes, à
« tenir compte du temps et de la situation » (par
situation, il faut entendre celle de l’ennemi et de nos troupes, la
nature du terrain, etc.).
C’est en cela que consiste « le
secret d’une habile exécution ».
En nous appuyant là-dessus,
nous pourrons remporter un plus grand nombre de victoires dans des
opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des
lignes, passer de l’infériorité à la supériorité, arracher
l’initiative à l’ennemi, le mater et le détruire, et la
victoire définitive nous appartiendra.
88 Venons-en maintenant à la question du
plan. Par suite de l’incertitude propre à la guerre, il est
beaucoup plus difficile d’y appliquer un plan que dans n’importe
quelle autre activité.
Cependant, « en toutes choses,
la préparation assure le succès comme l’impréparation entraîne
l’échec » ; il ne peut y avoir de victoire dans la guerre
sans plan et préparation préalables.
Il n’existe pas de certitude
absolue dans la guerre, mais celle-ci n’est pas sans comporter
un certain degré de certitude relative.
En effet, nous sommes relativement
certains de connaître notre situation.
Nous avons très peu de certitude de
connaître la situation de l’ennemi, mais il existe des signes qui
peuvent être décelés, des indices qui peuvent nous guider, des
séries de faits qui nous aident à réfléchir.
Tout cela constitue ce que nous
appelons un certain degré de certitude relative, lequel peut servir
de base objective à une conduite planifiée de la guerre.
Le développement de la technique
moderne(le télégraphe, la radio, l’avion, l’automobile, le
chemin de fer, le bateau à vapeur, etc.) a accru la possibilité de
planifier les opérations militaires.
Toutefois, il est difficile dans la
guerre d’élaborer des plans complets ou stables, puisque les
certitudes n’y ont qu’un caractère très limité et momentané.
Les plans se modifient suivant le
cours de la guerre(sa mobilité ou son évolution) et l’ampleur de
ces modifications dépend de l’échelle des opérations militaires.
Il faut souvent changer plusieurs
fois par jour les plans tactiques, par exemple les plans offensifs ou
défensifs des petites formations ou des petites unités.
On peut prévoir dans l’ensemble un
plan de campagne, c’est-à-dire un plan d’opérations
des grosses formations, pour toute la durée de la campagne, mais au
cours même de cette campagne on doit souvent le soumettre à une
révision partielle, et parfois à une révision complète. Quant au
plan stratégique, il est élaboré à la lumière de la situation
générale des deux parties belligérantes, et, par suite, son degré
de stabilité est plus grand ; néanmoins, il n’est valable que
pour une étape stratégique définie ; il faut le modifier lorsque
la guerre aborde une nouvelle étape.
L’élaboration et la modification
des plans tactiques, des plans de campagne et des plans stratégiques,
dans le cadre qui les concerne et en rapport avec la situation,
constituent un facteur-clé dans la direction de la guerre.
C’est ainsi que l’on réalise
concrètement la souplesse dans les opérations militaires, que l’on
fait jouer le secret d’une habile exécution.
A tous les échelons, les commandants
qui prennent part à la Guerre de Résistance doivent y prêter une
attention particulière.
89 Certains allèguent la mobilité de la guerre
pour nier catégoriquement la stabilité relative des plans ou
directives militaires. Ils affirment que ces plans ou directives sont
« mécaniques ».
C’est une vue erronée.
Nous reconnaissons pleinement, nous
l’avons dit plus haut, que, puisque la guerre ne connaît que des
certitudes relatives et qu’elle se développe (se meut ou évolue)
avec rapidité, un plan ou une directive militaires ne peuvent avoir
qu’un caractère de stabilité relative et qu’il nous faut en
élaborer d’autres ou y apporter des modifications en temps
opportun, conformément aux changements qui surviennent dans la
situation et à l’évolution de la guerre, sous peine de devenir
des mécanistes.
Cependant, on ne peut nier la
nécessité d’un plan ou d’une directive militaires relativement
fixes pour une période donnée.
Le nier signifie nier tout, nier la
guerre elle-même et se nier soi-même. Comme la situation
et l’action militaires sont d’une stabilité relative, il
convient d’élaborer les plans ou les directives relativement
stables qui en résultent.
Par exemple, la situation sur le
front de la Chine du Nord et les opérations menées de façon
dispersée par la VIIIe Armée de Route ayant, à une étape donnée,
un caractère stable, il devient indispensable de définir, à cette
étape, ce principe d’opérations stratégique relativement stable
pour la VIIIe Armée de Route : « Faire essentiellement une
guerre de partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement
lorsque les circonstances sont favorables ».
Une directive pour une campagne a une
période de validité plus courte qu’une directive stratégique, et
une directive tactique en a une plus courte encore, mais l’une et
l’autre de ces directives sont stables pour une période donnée.
Le nier, c’est en arriver à ne pas
savoir comment mener la guerre, c’est devenir un relativiste dans
la guerre, sans idées bien arrêtées et ballotté au gré des
flots.
Personne ne conteste qu’une
directive, même valable pour une période donnée, ne doive subir
certains changements ; sinon, une directive ne pourrait être
remplacée par une autre.
Mais ces changements sont limités,
ils ne dépassent pas le cadre des diverses actions militaires
entreprises pour exécuter la directive et ne modifient pas son
essence ; en d’autres termes, la directive ne subit que des
changements quantitatifs et non qualitatifs.
Dans les limites de la période en
question, son essence ne change absolument pas, c’est ce que nous
entendons par stabilité relative pour une période donnée.
Dans le vaste cours général de la
guerre, où le changement est absolu, chaque étape présente une
stabilité relative ; c’est ainsi que nous concevons l’essence
d’un plan ou d’une directive militaires.
90 Après avoir parlé de la guerre défensive de
longue durée à l’intérieur des lignes sur le plan stratégique
et des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur
des lignes dans les campagnes et les combats, puis de l’initiative,
de la souplesse et du plan d’action, nous pouvons maintenant
résumer tout cela en quelques mots.
La Guerre de Résistance doit être
poursuivie selon un plan.
Les plans de guerre, c’est-à-dire
l’application concrète de notre stratégie et de notre tactique,
doivent être souples, afin de pouvoir s’adapter aux circonstances
de la guerre.
Il faut s’efforcer par tous les
moyens de transformer l’infériorité en supériorité, la
passivité en initiative, de façon à changer la situation où nous
nous trouvons par rapport à l’ennemi.
Tout cela doit trouver son expression
dans des opérations offensives de décision rapide à l’extérieur
des lignes au cours des campagnes et des combats, et en même temps,
dans une guerre défensive de longue durée à l’intérieur des
lignes sur le plan stratégique.
La guerre de mouvement, la guerre
de partisans et la guerre de position
91 Notre guerre, qui consiste à mener des
campagnes et des combats offensifs de décision rapide à l’extérieur
des lignes dans le cadre stratégique d’une guerre défensive de
longue durée à l’intérieur des lignes, prend la forme d’une
guerre de mouvement.
C’est une forme de guerre qui
comporte des opérations offensives de décision rapide à
l’extérieur des lignes dans les campagnes et les combats,
réalisées avec des armées régulières opérant le long de fronts
étirés et sur de vastes théâtres de guerre.
« La défense mobile »,
appliquée en cas de nécessité pour faciliter les opérations
offensives, ainsi que l’attaque et la défense positionnelles
limitées à un rôle auxiliaire se rattachent aussi à la guerre de
mouvement.
Les traits caractéristiques de la
guerre de mouvement sont l’utilisation d’armées régulières,
l’emploi de forces supérieures dans les campagnes et les combats,
le caractère offensif des opérations et la mobilité.
92 La Chine dispose d’un vaste territoire et
d’une armée nombreuse, mais insuffisamment équipée et entraînée.
L’ennemi manque de troupes, mais il
l’emporte sur nous par l’équipement et la préparation de son
armée.
Dans ces conditions, il est hors de
doute que nous devons prendre comme forme principale d’opérations
militaires les opérations offensives de manœuvre, les autres formes
jouant un rôle auxiliaire, de sorte que l’ensemble des opérations
constitue une guerre de mouvement.
A cet égard, il faut lutter contre
l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans
jamais avancer » et en même temps contre la mentalité du
risquetout de « toujours avancer sans jamais se retirer ».
93 Une des particularités de la guerre de
mouvement est sa mobilité, laquelle non seulement admet mais encore
exige qu’une armée de campagne avance ou recule à grandes étapes.
Mais cela n’a rien de commun avec l’attitude de paniquard d’un
Han Foukiu1.
La guerre exige essentiellement
l’anéantissement des forces ennemies et d’autre part la
conservation de nos propres forces.
La conservation de nos propres forces
vise à anéantir les forces de l’ennemi, et l’anéantissement
des forces de l’ennemi est le plus efficace des moyens pour
conserver nos propres forces.
C’est pourquoi la guerre de
mouvement ne peut en aucune façon servir de prétexte à des gens
comme Han Foukiu pour se justifier, elle ne signifie nullement
fuir vers l’arrière sans jamais revenir en avant, car une telle
façon de « manœuvrer » est la négation même du
caractère fondamental de la guerre de mouvement, qui est avant tout
offensif.
Avec de telles « manœuvres »,
on peut perdre tout le territoire chinois, si vaste soit-il.
94 Mais l’autre point de vue, celui que nous
appelons la mentalité du risquetout et qui admet seulement la
marche en avant, jamais la retraite, n’est pas juste non plus.
Nous sommes pour une guerre de
mouvement qui consiste à poursuivre des opérations offensives de
décision rapide à l’extérieur des lignes dans les campagnes et
les combats ; une telle guerre comprend aussi la guerre de position
limitée à un rôle auxiliaire, « la défense mobile »
et la retraite sans lesquelles il est impossible de faire une guerre
de mouvement dans la pleine acception du terme.
On peut dire de la mentalité du
risquetout qu’elle est une myopie militaire. L’origine en
est, le plus souvent, la crainte de perdre des territoires.
Ces « risquetout »
ne comprennent pas que l’une des particularités de la guerre de
mouvement est sa mobilité, qui admet et exige qu’une armée de
campagne avance ou recule à grandes étapes.
Sur le plan positif, pour placer
l’ennemi dans des conditions défavorables et nous mettre
nous-mêmes dans des conditions favorables, il est souvent
nécessaire que l’ennemi soit en mouvement et que nous nous
assurions toute une série d’avantages, par exemple : un terrain
favorable, une situation qui rend l’ennemi vulnérable, une
population prête à empêcher les informations de filtrer dans le
camp adverse, la fatigue de l’ennemi, sa surprise devant nos coups.
Ainsi, il faut donc que l’ennemi
avance et nous ne devrions pas regretter la perte temporaire d’une
partie de notre territoire, puisqu’elle est le prix que nous payons
pour conserver définitivement tout notre territoire ou recouvrer les
territoires perdus.
Sur le plan négatif, chaque fois que
nous sommes réduits à une position défavorable qui menace
sérieusement l’intégrité de nos forces, nous devons avoir le
courage de nous replier pour conserver nos forces et porter de
nouveaux coups à l’ennemi au moment propice.
Or, les « risquetout »
ne comprennent pas cette vérité ; se trouvant dans une situation
manifestement défavorable, ils continuent à se battre pour chaque
ville, pour chaque bout de territoire, il en résulte qu’ils
perdent non seulement ville et territoire, mais qu’ils ne
parviennent même pas à conserver leurs propres forces.
Nous avons toujours été partisans
d’ »attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre
territoire », justement parce que c’est la politique
militaire la plus efficace que puisse adopter une armée faible
contre une armée forte au cours de la défense stratégique.
95 De toutes les formes d’opérations militaires
dans la Guerre de Résistance, la guerre de mouvement est la forme
principale et la guerre de partisans vient ensuite.
Lorsque nous disons que, dans
l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme
principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous
entendons que le sort de la guerre dépend principalement des
opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous
forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut
assumer la responsabilité principale dans la détermination de
l’issue de la guerre.
Mais cela ne veut pas dire que la
guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans
la Guerre de Résistance.
Dans cette guerre prise dans son
ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance
stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de
vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.
Il en découle que nous avons pour
tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre
de mouvement.
Au cours d’une guerre longue et
acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est,
mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.
Elle joue ainsi un double rôle
stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations
régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en
guerre régulière.
Si l’on considère l’ampleur et
la durée sans précédent de la guerre de partisans dans la Guerre
de Résistance en Chine, l’importance qu’il y a à ne pas
sous-estimer son rôle stratégique apparaît encore mieux.
Il s’ensuit que la guerre de
partisans en Chine soulève non seulement des problèmes tactiques,
mais aussi des problèmes stratégiques spécifiques.
J’en ai déjà parlé dans mon
article : « Problèmes stratégiques de la guerre de partisans
contre le Japon ».
Comme nous l’avons dit plus haut,
la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes
stratégiques, les formes suivantes : Dans la première étape, la
forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires
la guerre de partisans et la guerre de position.
A la deuxième étape, la guerre de
partisans prendra la première place, tandis que la guerre de
mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.
Dans la troisième étape, la guerre
de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de
position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.
Mais, dans cette troisième étape,
la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes
régulières du début ; elle sera pour une part, et très
probablement une part assez importante, assumée par d’anciens
détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des
troupes régulières.
L’examen de ces trois étapes
montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la
guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se
passer. Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle
grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de
l’humanité.
C’est pourquoi il est absolument
indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs
millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes
et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi,
où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec
elles la guerre de partisans.
Les troupes qui auront été
détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en
toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront
leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes
batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire
figure de héros nationaux.
De telles conceptions sont fausses.
La guerre de partisans n’apporte
pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la
guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, « c’est dans
un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue
épreuve le cœur de l’homme ».
Au cours d’une guerre longue et
acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance
; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.
De plus, en éparpillant ses forces,
une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et
en les rassemblant, une guerre de mouvement ; ainsi opère la VIIIe
Armée de Route.
Le principe adopté par celle-ci
est le suivant : « Faire essentiellement une guerre de
partisans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les
circonstances sont favorables ».
Ce principe est tout à fait juste,
alors que les points de vue opposés sont erronés.
96 Dans l’état actuel de son équipement
technique, la Chine ne peut pas, en général, pratiquer une guerre
de position, qu’elle soit défensive ou offensive ; c’est là
d’ailleurs une des manifestations de notre faiblesse.
De plus, l’ennemi profitera de
l’étendue de notre territoire pour tourner nos ouvrages de
défense.
C’est pourquoi la guerre de
position ne peut être considérée chez nous comme un moyen
important, encore moins comme le moyen principal de faire la guerre.
Cependant, au cours des première et
deuxième étapes de la guerre, il est possible et nécessaire, dans
le cadre d’une guerre de mouvement, de recourir sur le plan local à
la guerre de position, en tant que moyen auxiliaire dans les
campagnes.
La « défense mobile »,
de caractère semi-positionnel, qui consiste à opposer une
résistance échelonnée afin d’épuiser l’ennemi et de gagner du
temps, est à plus forte raison une partie indispensable de la guerre
de mouvement.
La Chine doit s’efforcer de doter
son armée d’un équipement moderne, de façon à être pleinement
en mesure, dans l’étape de la contreoffensive stratégique,
d’exécuter ses attaques contre les positions fortifiées de
l’ennemi.
Il n’est pas douteux qu’à
l’étape de la contreoffensive stratégique, la guerre de
position prendra de l’importance, car l’ennemi passera alors à
la défense énergique de ses positions et, à moins de lancer contre
elles de puissantes attaques en coordination avec les opérations de
la guerre de mouvement, nous ne pourrons recouvrer les territoires
perdus.
Il n’en sera pas moins nécessaire,
à la troisième étape, de tendre tous nos efforts pour conserver la
guerre de mouvement comme forme principale de la guerre, parce que,
dans une guerre de position sous la forme qu’elle a prise en Europe
occidentale au cours de la seconde moitié de la Première guerre
mondiale, l’art de conduire la guerre et le rôle actif de l’homme
perdent en grande partie leur valeur.
Il est donc tout naturel de « faire
sortir la guerre des tranchées », puisqu’elle se déroule
sur les vastes territoires de la Chine et que celle-ci
continuera à être faiblement équipée pendant un temps assez long.
Même dans la troisième étape, il
est peu probable que nous puissions dépasser l’ennemi du point de
vue de l’équipement technique, malgré les progrès qui auront été
réalisés en Chine ; nous serons donc amenés à développer à un
haut degré la guerre de mouvement, sans laquelle la victoire finale
nous échapperait.
Ainsi, en Chine, la guerre de
position ne sera la forme principale de la Guerre de Résistance à
aucune de ses étapes, ce sont la guerre de mouvement et la guerre de
partisans qui en seront les formes principales ou des formes
importantes.
L’art de la conduite de la guerre
et le rôle actif de l’homme trouveront dans ces formes un vaste
champ à leur développement : ce sera un bonheur dans notre malheur.
La guerre d’usure et la guerre
d’anéantissement
97 Comme nous l’avons indiqué plus haut,
l’essentiel dans la guerre, les buts qu’elle vise, c’est de
conserver nos forces et d’anéantir les forces de l’ennemi.
Trois formes d’opérations
militaires permettent d’atteindre ces buts : la guerre de
mouvement, la guerre de position et la guerre de partisans.
Cependant, ces formes ne donnent pas
les mêmes résultats, aussi fait-on communément la distinction
entre guerre d’usure et guerre d’anéantissement.
98 Dès l’abord, nous pouvons dire que la Guerre
de Résistance est une guerre d’usure en même temps qu’une
guerre d’anéantissement.
Pourquoi ? Parce que l’ennemi peut
encore exploiter sa force et détient encore la supériorité et
l’initiative sur le plan stratégique, et que par conséquent il
est impossible de détruire rapidement et efficacement sa force, de
mettre fin à sa supériorité et de lui arracher l’initiative sans
engager contre lui des campagnes et des combats d’anéantissement ;
et d’autre part, comme nous demeurons faibles et que nous ne sommes
pas encore sortis de notre infériorité et de notre passivité sur
le plan stratégique, nous ne saurions non plus nous dispenser de
campagnes et de combats d’anéantissement si nous voulons gagner du
temps pour nous assurer de meilleures conditions intérieures et
internationales et pour modifier la situation défavorable où nous
nous trouvons actuellement.
C’est pourquoi les campagnes
d’anéantissement sont un moyen pour user l’ennemi sur le plan
stratégique, et, en ce sens, la guerre d’anéantissement est
également une guerre d’usure.
Le principal moyen donnant à la
Chine la possibilité de poursuivre une guerre de longue durée est
l’usure de l’ennemi par l’anéantissement de ses forces.
99 Cependant, pour user l’ennemi sur le plan
stratégique, on peut aussi recourir à des campagnes d’usure.
D’une façon générale, la guerre
de mouvement répond aux tâches de l’anéantissement, la guerre de
position est destinée à épuiser l’ennemi, et la guerre de
partisans a en même temps pour tâche de l’user et de l’anéantir
; ces trois formes d’opérations sont distinctes les unes des
autres.
En ce sens, les opérations
d’anéantissement diffèrent des opérations d’usure. Les
campagnes d’usure jouent un rôle auxiliaire, mais sont nécessaires
dans la guerre prolongée.
100 Pour atteindre le but stratégique qui est
d’épuiser dans une grande mesure les forces de l’ennemi, la
Chine, à l’étape de la défensive, doit, aussi bien du point de
vue de la théorie que du point de vue de la nécessité pratique,
mettre à profit la possibilité d’anéantir les forces de
l’ennemi, propre surtout à la guerre de mouvement et en partie à
la guerre de partisans, et utiliser en complément la possibilité
d’user les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de
position et en partie à la guerre de partisans.
Dans l’étape de stabilisation des
forces, nous devons continuer à utiliser ces propriétés de la
guerre de partisans et de la guerre de mouvement pour épuiser, dans
une tout aussi grande mesure, les forces de l’ennemi. Tout cela
vise à nous permettre de mener une guerre prolongée, à modifier
peu à peu notre situation par rapport à celle de l’ennemi et à
préparer les conditions de notre passage à la contreoffensive.
Dans la contreoffensive
stratégique, nous devons continuer à épuiser l’ennemi en
anéantissant ses forces, de façon à le chasser définitivement du
pays.
101 L’expérience de dix mois de guerre a
cependant montré que, dans un grand nombre de campagnes et même
dans la plupart d’entre elles, la guerre de mouvement a glissé
pratiquement vers la guerre d’usure, et que, dans certaines
régions, la guerre de partisans n’a pas rempli dans la mesure
appropriée la tâche qui lui revient dans l’anéantissement de
l’ennemi.
Cette situation comporte un aspect
positif : nous avons au moins réalisé un certain épuisement de
l’ennemi, ce qui est important pour la poursuite de la guerre
prolongée et pour la victoire finale, et notre sang n’a pas été
répandu en vain.
Les aspects négatifs sont,
premièrement, que nous n’avons pas épuisé l’ennemi
suffisamment et, deuxièmement, qu’après tout nos pertes sont
grandes et nos gains peu importants.
On doit certes reconnaître que cette
situation s’explique par des raisons objectives, comme les
différences entre l’ennemi et nous dans le degré d’équipement
technique et de préparation militaire, mais, dans tous les cas, il
faut, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue
de la pratique, recommander à nos forces régulières de poursuivre
énergiquement la guerre d’anéantissement chaque fois que les
conditions sont favorables.
Et si les détachements de partisans,
en remplissant les nombreuses missions qui leur sont propres, comme
le sabotage et le harcèlement, sont obligés de livrer de simples
combats d’usure, il n’en faut pas moins leur recommander — et
ils doivent d’ailleurs s’y efforcer d’eux-mêmes — de
mener des campagnes et des combats d’anéantissement chaque fois
que les conditions sont favorables, afin d’épuiser l’ennemi dans
une grande mesure et de compléter largement l’équipement de nos
propres forces.
102 Ce que nous appelons « opérations
offensives », « décision rapide » et « à
l’extérieur des lignes » dans l’expression : « opérations
offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes »,
ainsi que « mouvement » dans l’expression « guerre
de mouvement » se traduit principalement, du point de vue de la
forme du combat, par le recours à la tactique de l’encerclement et
du mouvement tournant, et demande pour cela la concentration de
forces supérieures.
La concentration des forces et
l’emploi de la tactique de l’encerclement et du mouvement
tournant sont donc les conditions mêmes d’une guerre de mouvement,
c’està-dire d’opérations offensives de décision
rapide à l’extérieur des lignes.
Tout cela a pour but d’anéantir
les forces de l’ennemi.
103 Ce qui fait la force de l’armée japonaise,
ce n’est pas seulement son armement, c’est aussi la préparation
de ses officiers et soldats — son organisation, la confiance
qu’elle a en ellemême pour n’avoir jamais connu la défaite
dans les guerres précédentes, sa croyance superstitieuse dans le
Mikado et les puissances surnaturelles, son arrogance, son mépris
des Chinois, etc.
Toutes ces caractéristiques
proviennent des longues années d’endoctrinement des troupes dans
l’esprit samouraï par les militaristes japonais, et des coutumes
nationales du Japon.
C’est pour cette raison surtout que
nos troupes ont fait très peu de prisonniers bien qu’elles aient
pu infliger à l’ennemi de lourdes pertes en tués et en blessés.
Beaucoup ont sousestime ce fait
dans le passé.
Il faudra bien du temps pour détruire
ces caractéristiques de l’armée japonaise.
D’abord, nous devons tenir
sérieusement compte de ces particularités et ensuite en faire
l’objet d’un travail patient et méthodique, travail politique,
travail de propagande dans le domaine international, travail parmi le
peuple japonais.
Sur le plan militaire, la guerre
d’anéantissement est bien entendu l’une des méthodes de cette
action.
Les pessimistes peuvent s’appuyer
sur ces caractéristiques de l’ennemi pour faire valoir leur
théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et les
spécialistes militaires qui s’en tiennent à la passivité peuvent
y trouver de quoi fonder leur opposition à la guerre
d’anéantissement.
En ce qui nous concerne, nous
considérons au contraire que tous ces facteurs qui font la force de
l’armée japonaise peuvent être réduits à néant, et que leur
destruction a déjà commencé.
La principale méthode à employer à
cette fin consiste à gagner politiquement les soldats japonais.
Il ne faut pas les blesser dans leur
fierté, mais chercher à comprendre cette fierté et la diriger dans
la bonne voie.
En traitant les prisonniers avec
générosité, on peut amener les soldats japonais à prendre
clairement conscience du caractère antipopulaire de la politique
d’agression que poursuivent les dirigeants du Japon.
D’autre part, il faut montrer aux
soldats japonais l’esprit indomptable, l’héroïsme et la
combativité acharnée de l’armée chinoise et du peuple chinois ;
en d’autres termes, il faut leur porter des coups destructeurs dans
les combats d’anéantissement.
L’expérience de dix mois de guerre
prouve qu’il est possible d’anéantir les forces de l’ennemi.
Les batailles de Pinghsingkouan et de
Taieultchouang en donnent la preuve.
Le moral de l’armée japonaise
commence déjà à baisser, ses soldats ne comprennent pas les buts
de la guerre et, tombés dans l’encerclement des troupes chinoises
et du peuple chinois, ils font preuve, dans leurs assauts, d’un
courage bien moindre que les soldats chinois ; ces conditions
objectives ainsi que d’autres encore, qui favorisent nos opérations
d’anéantissement, vont croissant à mesure que la guerre se
prolonge.
Le fait que nos opérations
d’anéantissement font tomber la morgue de l’ennemi signifie que
ces opérations sont en même temps l’une des conditions permettant
de réduire la durée de la guerre et d’accélérer la libération
des soldats japonais et de tout le peuple japonais. Le chat ne lie
amitié qu’avec le chat, et jamais avec la souris.
104 Il faut reconnaître par ailleurs qu’à
l’heure actuelle, nous le cédons à l’ennemi par l’équipement
technique et le niveau de préparation des troupes.
C’est pourquoi il nous est
difficile, en bien des cas, particulièrement dans les régions de
plaine, d’obtenir un résultat maximum dans les combats
d’anéantissement, par exemple de capturer la totalité ou la plus
grande partie d’une formation ennemie.
Les exigences excessives dans ce sens
des partisans de la théorie de la victoire rapide sont erronées ;
ce qu’il est correct d’exiger dans la Guerre de Résistance,
c’est de poursuivre autant que possible une guerre
d’anéantissement.
Quand les circonstances sont
favorables, il faut concentrer dans chaque bataille des forces
supérieures et employer la tactique de l’encerclement et du
mouvement tournant — s’il n’est pas possible d’encercler
complètement l’ennemi, en encercler une partie ; s’il n’est
pas possible de capturer toutes les forces encerclées, en capturer
une partie, et si cela même est impossible, infliger de lourdes
pertes aux forces encerclées.
Dans tous les cas où la situation ne
favorise pas les opérations d’anéantissement, il faut effectuer
des opérations d’usure. Il faut appliquer le principe de la
concentration des forces quand les conditions sont favorables et le
principe de la dispersion des forces quand les conditions sont
défavorables.
Quant au commandement des opérations
dans les campagnes, il faut appliquer le principe du commandement
centralisé dans le premier cas et le principe de la décentralisation
dans le second.
Tels sont les principes de base des
opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance.
La possibilité d’exploiter les
erreurs de l’ennemi
105 Même dans le commandement ennemi, nous
pouvons trouver des possibilités de victoire.
Il n’y a jamais eu, depuis les
temps les plus reculés, de chef militaire infaillible.
Tout comme il nous est difficile
d’éviter nous-mêmes des erreurs, il nous est possible d’en
découvrir chez l’ennemi et par conséquent d’en profiter.
Durant ces dix mois de guerre
d’agression, l’ennemi a déjà commis une série d’erreurs sur
le plan stratégique et dans les campagnes. Nous ne soulignerons que
les cinq plus importantes.
La première, c’est que l’ennemi
n’accroît ses forces que par petites quantités.
Cela provient du fait qu’il a
sous-estime la Chine et aussi de ce qu’il n’a pas assez de
troupes.
L’ennemi s’est toujours comporté
envers nous avec mépris.
Après avoir envahi sans grande peine
les quatre provinces du Nord-Est, il a occupé la partie
orientale de la province du Hopei et le nord de la province du
Tchahar ; tout cela peut être considéré comme une reconnaissance
stratégique de sa part.
Et la conclusion qu’il en a tirée
est que la Chine est un tas de sable croulant.
Aussi, estimant que la Chine
s’effondrerait au premier coup, il a élaboré un plan de
« décision rapide », n’a mis en jeu que très peu de
forces et a espéré nous prendre par la peur.
L’ennemi ne s’attendait pas que
la Chine eût fait preuve au cours des dix derniers mois d’une
cohésion si forte et d’une si forte résistance : il a oublié
qu’elle est déjà entrée dans une ère de progrès, qu’il y
existe déjà un parti d’avant-garde, une armée
d’avant-garde et un peuple d’avant-garde.
Lorsque l’ennemi s’est trouvé
dans une mauvaise passe, il a commencé à accroître peu à peu ses
forces, en les portant, en plusieurs étapes, d’un peu plus de dix
à trente divisions.
S’il veut poursuivre son avance, il
ne pourra se dispenser d’accroître encore ses forces.
Mais comme le Japon a une position
hostile envers l’Union soviétique et que ses ressources humaines
et financières sont bornées, il y a forcément une limite à
l’importance des effectifs qu’il peut mettre en ligne, ainsi qu’à
l’ampleur maximum de son offensive.
La deuxième erreur consiste à
n’avoir pas fixé la direction principale de l’offensive.
Avant la bataille de Taieultchouang,
l’ennemi avait, dans l’ensemble, divisé ses forces sur deux
fronts : en Chine centrale et en Chine du Nord.
Cette division des forces s’observait
aussi dans chacune de ces deux régions.
Par exemple, dans la Chine du Nord,
les forces japonaises étaient réparties le long de trois lignes de
chemin de fer : Tientsin-Poukeou, Peiping-Hankeou et
Tatong-Poutcheou ; le long de chacune de ces lignes, l’ennemi
subit des pertes et laissa des garnisons sur les territoires occupés,
si bien qu’il n’eut plus assez de troupes pour continuer
l’offensive.
Mettant à profit la leçon de sa
défaite à Taieultchouang, il a concentré le gros de ses forces en
direction de Siutcheou.
Ainsi, cette erreur peut être
considérée comme temporairement corrigée. La troisième erreur
réside dans l’absence de coordination stratégique.
Il y avait bien une certaine
coordination à l’intérieur des deux groupes de forces japonaises,
celui de Chine centrale et celui de Chine du Nord, mais il n’y en
avait guère entre les deux.
Quand les troupes japonaises sur la
section sud de la ligne de chemin de fer Tientsin-Poukeou attaquèrent
Siaopengpou, d’autres qui se trouvaient sur la section nord de
cette même ligne restèrent inactives ; quand celles-ci
attaquèrent Taieultchouang, celles-là ne bougèrent pas
davantage.
Quand l’ennemi eut subi de graves
revers sur ces deux sections, le ministre de la Guerre du Japon vint
en inspection et le chef d’état-major général japonais
accourut pour diriger les opérations ; une certaine coordination
s’établit ainsi pour un temps.
La classe des propriétaires
fonciers, la bourgeoisie et les militaristes japonais sont divisés
par des contradictions très sérieuses qui ne font que s’aggraver
; l’absence de coordination dans les opérations en est une
manifestation concrète.
La quatrième erreur, c’est de ne
pas avoir su saisir, en stratégie, des moments favorables.
L’exemple le plus frappant en est
qu’après la prise de Nankin et de Taiyuan l’ennemi s’est
arrêté, principalement parce qu’il n’avait pas assez de troupes
et qu’il ne disposait pas de forces stratégiques de poursuite.
La cinquième erreur, c’est
qu’ayant encerclé un grand nombre de troupes il n’en a anéanti
que peu. Avant la bataille de Taieultchouang, au cours des opérations
de Changhaï, de Nankin, de Tsangtcheou, de Paoting, de Nankeou, de
Hsinkeou et de Linfen, beaucoup de troupes chinoises ont été
battues, mais très peu de soldats ont été faits prisonniers.
Cela montre la maladresse du
commandement japonais.
Ces cinq erreurs : accroissement des
forces par petites quantités, absence d’une direction principale
de l’offensive, absence de coordination stratégique,
non-utilisation des moments favorables et faible proportion des
troupes anéanties en regard du grand nombre de troupes encerclées
témoignent de l’incompétence du commandement japonais dans la
période qui a précédé la bataille de Taieultchouang.
Certes, après cette bataille,
l’ennemi a quelque peu rectifié sa direction, mais par suite de
l’insuffisance de ses effectifs, de ses contradictions internes et
d’autres facteurs semblables, il lui sera impossible de ne pas
retomber dans ses erreurs ; d’ailleurs, ce qu’il gagne d’un
côté, il le perd de l’autre.
Par exemple, la concentration de ses
forces de la Chine du Nord à Siutcheou a fait un grand vide sur les
territoires occupés de la Chine du Nord, ce qui nous a donné la
possibilité d’y développer librement les opérations de
partisans.
Ce que nous avons dit jusqu’ici
concerne les erreurs commises par l’ennemi lui-même, et non
celles que nous pouvons le pousser à commettre.
Or, nous pouvons délibérément
faire commettre des erreurs à l’ennemi, c’est-à-dire
que nous pouvons le désorienter et le manœuvrer à notre gré, au
moyen d’actions habiles et efficaces couvertes par une population
locale bien organisée, par exemple, en faisant des démonstrations
d’un côté pour attaquer de l’autre.
Cette possibilité, nous en avons
déjà parlé plus haut.
Tout cela montre que nous pouvons
trouver jusque dans les actes mêmes du commandement ennemi matière
à notre victoire ; cependant, nous ne devons pas considérer ces
possibilités comme une base importante pour nos plans stratégiques
; au contraire, le plus sûr est d’établir nos plans en supposant
que l’ennemi commettra peu d’erreurs.
De plus, l’ennemi peut utiliser nos
erreurs comme nous les siennes.
Il appartient donc à notre
commandement de lui donner le moins de prise possible sur nous.
Il n’en est pas moins vrai que le
commandement ennemi a déjà commis des erreurs, qu’il en commettra
aussi à l’avenir, et que nos propres efforts peuvent lui en faire
commettre d’autres encore.
Toutes ces erreurs peuvent être
utilisées par nous, et nos généraux de la Guerre de Résistance
doivent s’employer à les exploiter.
Si, sur le plan stratégique et
opérationnel, le commandement ennemi se montre à bien des égards
peu compétent, il excelle, par contre, dans la direction des
combats, c’est-à-dire dans la tactique de combat des détachements
et des petites unités ; il y a là beaucoup à apprendre pour nous.
La décision dans la guerre de
résistance
106 Cette question devra être envisagée sous
trois aspects : nous devons chercher résolument la décision dans
chaque campagne ou combat où nous sommes sûrs de remporter la
victoire ; nous devons éviter la décision dans chaque campagne ou
combat où nous ne sommes pas sûrs de la victoire ; et nous devons
absolument éviter une décision stratégique où le sort du pays est
en jeu.
Les caractéristiques qui
différencient notre Guerre de Résistance d’un grand nombre
d’autres guerres se révèlent également dans cette question.
Dans la première et la deuxième
étape de la guerre, alors que l’ennemi est fort et que nous sommes
faibles, il voudrait que nous concentrions le gros de nos forces et
que nous acceptions la décision.
Nous, au contraire, nous voulons
choisir les conditions favorables, concentrer des forces supérieures
et chercher seulement la décision dans les campagnes et les combats
où nous sommes sûrs du succès, comme par exemple dans la bataille
de Pinghsingkouan, dans celle de Taieultchouang et dans bien d’autres
; nous voulons éviter la décision lorsque les conditions nous sont
défavorables et que nous ne sommes pas sûrs du succès : c’est le
principe que nous avons adopté dans les batailles livrées à
Tchangteh et ailleurs.
Quant à la décision stratégique où
le sort du pays est en jeu, il faut la refuser catégoriquement,
comme nous l’avons fait, par exemple, récemment, en évacuant
Siutcheou.
Nous avons ainsi ruiné le plan de
l’ennemi qui escomptait une « décision rapide » et
l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.
Ces principes sont inapplicables dans
un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré
politiquement.
Mais comme la Chine est un grand pays
à une époque de progrès, elle peut les appliquer.
Si nous évitons la décision
stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire,
mais, comme dit le proverbe : « La forêt donnera toujours du
bois », nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer,
et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre
pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation
intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.
C’est là pour nous la meilleure
politique à suivre dans la Guerre de Résistance.
Les partisans par trop impétueux de
la théorie de la victoire rapide, incapables de supporter les dures
épreuves d’une guerre prolongée et souhaitant des succès
foudroyants, réclament à grands cris une décision stratégique dès
que la situation s’est quelque peu améliorée.
Si l’on suivait leurs conseils, on
porterait un préjudice énorme à la cause de la Guerre de
Résistance, c’en serait fait de la guerre prolongée, et nous
aurions donné en plein dans le piège tendu par l’ennemi.
Ce serait assurément le plus mauvais
plan de guerre.
Il est certain que si nous refusons
la décision, nous sommes obligés d’abandonner des territoires ;
et dans le cas où cela devient inévitable (et seulement dans ce
cas), nous devons avoir le courage de le faire.
Dans des moments pareils, nous ne devons pas avoir le moindre regret,
car donner des territoires pour gagner du temps est une bonne
politique. L’histoire nous apprend que la Russie, ayant effectué
une retraite courageuse pour éviter la décision, a vaincu Napoléon,
dont le nom résonnait alors dans le monde entier1
Profitant de cette situation, l’armée russe passa à la
contre-offensive et, de toute l’armée de Napoléon, quelque 20.000
soldats seulement purent s’échapper..
Aujourd’hui, la Chine doit agir de
la même façon.
107 Mais ne craignons-nous pas d’être
dénoncés comme partisans de la « non-résistance » ?
Non, nous ne le craignons pas.
Ne pas se battre du tout et
s’entendre avec l’ennemi, cela, c’est la non-résistance ; elle
ne mérite pas seulement d’être dénoncée, elle est absolument
inadmissible.
Nous devons poursuivre énergiquement
la Guerre de Résistance, mais pour éviter les pièges que nous tend
l’ennemi, il est tout à fait indispensable que nous n’exposions
pas le gros de nos forces à un coup qui compromettrait tout le cours
ultérieur de la guerre, bref, que nous empêchions l’asservissement
du pays.
Ceux qui se montrent sceptiques
là-dessus font preuve de myopie dans la question de la guerre et se
retrouvent obligatoirement, en fin de compte, dans le camp des
partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine.
Pourquoi avons-nous critiqué la
mentalité du risque-tout de « toujours avancer sans jamais se
retirer » ?
Précisément parce que, si cette
mentalité se généralisait, on s’exposerait à ne pouvoir
poursuivre la guerre, ce qui aboutirait à l’asservissement de la
Chine.
108 Qu’il s’agisse de combats isolés ou de
batailles plus ou moins importantes, nous sommes pour la décision
chaque fois que les conditions favorables existent, et nous
n’admettons là aucune passivité.
Seule cette décision permet
d’anéantir ou d’épuiser l’ennemi, et chaque combattant dans
la Guerre de Résistance doit la chercher résolument.
Cela exigera des sacrifices partiels
importants ; ceux qui pensent qu’il faut éviter tous les
sacrifices ne sont que des poltrons ou des gens qui tremblent devant
les Japonais, et il faut combattre énergiquement leur point de vue.
L’exécution de déserteurs tels
que Li Fou-ying et Han Fou-kiu est un juste châtiment. Dans le cadre
de plans d’opérations correctement établis, il est absolument
indispensable d’exalter la vaillance et le sacrifice héroïque de
soi-même, sans quoi la guerre prolongée aussi bien que la victoire
définitive seraient impossibles.
Nous avons flétri sévèrement
l’attitude des paniquards de « toujours se retirer sans
jamais avancer », et nous sommes pour une discipline sévère,
précisément parce qu’il n’est possible de vaincre un puissant
ennemi qu’en cherchant hardiment la décision suivant un plan
correctement établi. L’attitude des paniquards n’est qu’un
soutien direct à la théorie de l’asservissement inéluctable de
la Chine.
109 N’y a-t-il pas contradiction entre livrer
d’abord un combat héroïque et abandonner ensuite le territoire ?
Ne verse-t-on pas inutilement son
sang dans ces combats héroïques ? Ces questions sont très mal
posées.
Ne mange-t-on pas en vain si c’est
pour évacuer ensuite ? Ne se met-on pas inutilement au lit pour
dormir si c’est pour se lever ensuite ? Peut-on poser les questions
ainsi ?
A mon avis, ce n’est pas possible.
Dire : du moment que l’on mange, autant manger tout son content, du
moment que l’on dort, autant dormir tout son soûl, et puisqu’on
se bat héroïquement, autant se battre jusqu’au Yalou, c’est
donner dans le délire subjectiviste et formaliste ; dans la réalité,
cela ne se passe pas ainsi.
Comme tout le monde le sait, bien que
les combats sanglants engagés en vue de gagner du temps et de
préparer la contre-offensive n’aient pu empêcher qu’une
certaine partie du territoire ne soit abandonnée, ils nous ont
permis de gagner du temps, d’atteindre notre objectif qui est
d’anéantir ou d’épuiser les forces de l’ennemi, d’acquérir
l’expérience de la guerre, d’entraîner au combat les masses
populaires qui n’y participaient pas encore et d’accroître notre
influence dans l’arène internationale.
Dans ces conditions, le sang a-t-il
été répandu en vain ?
Manifestement non.
Lorsqu’on abandonne un territoire,
c’est pour conserver ses forces, et c’est même pour conserver le
territoire ; en effet, si, au lieu d’abandonner une partie du
territoire quand les conditions sont défavorables, on se lançait
inconsidérément dans une bataille décisive sans être aucunement
sûr du succès, le seul résultat serait la perte des forces armées,
et donc la perte inévitable de tout le territoire ; à plus forte
raison il serait impossible de recouvrer les territoires déjà
perdus.
Pour faire des affaires, le
capitaliste a besoin d’un capital, mais s’il fait faillite, il
cesse d’être capitaliste.
Pour jouer, le joueur a besoin
d’argent, mais s’il joue tout sur une seule carte et que la
chance lui fasse défaut, il n’aura plus rien pour continuer à
jouer. Le cours des choses suit une voie tortueuse et jamais une
ligne droite. Cela est vrai également pour la guerre et il n’y a
que les formalistes qui soient incapables de comprendre cette vérité.
110. A mon avis, ce qui a été dit plus haut
s’applique aussi à la décision dans l’étape de la
contreoffensive stratégique.
Certes, à cette étape, l’ennemi
se trouvera en état d’infériorité alors que nous aurons la
supériorité, mais le principe : « chercher la décision
lorsque des conditions favorables existent et s’y refuser
lorsqu’elles n’existent pas » n’en gardera pas moins
toute sa valeur, jusqu’au moment où nos combats nous auront
conduits au Yalou.
De cette manière, nous pourrons
conserver l’initiative du commencement à la fin. Tous les
« défis » lancés par l’ennemi, tous les « brocards »
d’autrui, nous devons les écarter avec dédain et n’y prêter
aucune attention.
Dans la Guerre de Résistance, seuls
seront considérés comme courageux et clairvoyants les généraux
qui auront fait preuve de cette fermeté.
Ce n’est point le cas de ceux qui
« prennent feu comme la poudre ».
Bien qu’à la première étape,
nous nous trouvions, jusqu’à un certain point, réduits à la
passivité stratégique, nous n’en devons pas moins saisir
l’initiative dans chaque campagne et nous devons naturellement la
garder durant toutes les autres étapes.
Nous sommes pour la guerre prolongée,
pour la victoire finale, nous ne sommes pas des joueurs aventureux
qui risquent tout leur enjeu sur une seule carte.
L’armée et le peuple, artisans
de la victoire
111. Comme l’impérialisme japonais a en face de lui la Chine
révolutionnaire, il ne se relâchera en rien dans son offensive et
sa répression ; son caractère même d’impérialisme le veut
ainsi.
Si la Chine n’opposait pas de
résistance, le Japon occuperait facilement tout le pays, sans tirer
un coup de feu ; la perte des quatre provinces du Nord-Est en
est la preuve.
Du moment que la Chine oppose de la
résistance, le Japon essaiera d’écraser cette résistance jusqu’à
ce qu’elle devienne trop forte pour qu’il puisse encore la
surmonter ; c’est là une loi inexorable.
La classe des propriétaires fonciers
et la bourgeoisie japonaises nourrissent de grandes ambitions : leur
projet étant d’attaquer, en direction du sud, le Sud-Est
asiatique et, en direction du nord, la Sibérie, elles ont adopté la
politique de rupture au centre et ont porté leurs premiers coups
contre la Chine.
Ceux qui s’imaginent que le Japon
se contentera d’occuper la Chine du Nord et la région des
provinces du Kiangsou et du Tchékiang, et qu’il en restera là, ne
comprennent absolument pas que le Japon impérialiste, entré dans
une nouvelle étape de son développement et placé au bord de
l’abîme, n’est plus le Japon de jadis.
Lorsque nous affirmons qu’il y a
une limite aux effectifs que le Japon peut mettre en ligne et des
bornes à son offensive, voici ce que nous voulons dire : pour ce qui
est du Japon, comme il se prépare à attaquer dans d’autres
directions et à se défendre contre d’autres ennemis, il ne peut,
avec les forces dont il dispose, envoyer contre la Chine qu’une
quantité déterminée de troupes et doit borner sa progression aux
limites de ses possibilités ; quant à la Chine, comme elle a montré
qu’elle est sur la voie du progrès et qu’elle est capable de
résister énergiquement, il serait inconcevable que les furieuses
attaques japonaises ne rencontrent pas l’inévitable résistance de
la Chine.
Le Japon est incapable d’occuper
toute la Chine, mais dans toutes les régions qu’il pourra
atteindre il ne ménagera pas ses efforts pour écraser la
résistance, jusqu’à ce que, sous la poussée des conditions
intérieures et internationales, il se heurte directement à la crise
qui lui sera fatale.
La politique intérieure du Japon ne
peut se développer que suivant l’une de ces deux voies : ou bien
les classes dirigeantes s’effondreront bientôt, le pouvoir passera
au peuple et la guerre cessera, ce qui, pour l’instant, est
impossible ; ou bien la classe des propriétaires fonciers et la
bourgeoisie s’enfonceront chaque jour un peu plus dans le fascisme
et elles soutiendront la guerre jusqu’à leur perte — c’est
cette dernière voie que le Japon suit actuellement.
Il n’y a pas de troisième voie.
Ceux qui se bercent de l’espoir que les milieux modérés de la
bourgeoisie japonaise interviendront pour mettre fin à la guerre ne
nourrissent que de vaines illusions.
Au Japon, les milieux modérés de la
bourgeoisie sont prisonniers des propriétaires fonciers et des
magnats de la finance, telle est la situation politique réelle de ce
pays depuis bien des années.
Maintenant que le Japon a commencé
la guerre contre la Chine, si la Résistance ne lui porte pas un coup
mortel et s’il lui reste encore suffisamment de forces, il
déclenchera certainement une offensive contre le Sud-est asiatique
ou contre la Sibérie, ou peut-être même contre les deux à la
fois.
Dès que la guerre aura éclaté en
Europe, le Japon passera à la réalisation de ses plans, plans
démesurément vastes que ses dirigeants ont conçus à l’image de
leurs désirs. Bien entendu, il y a aussi une autre possibilité : la
puissance de l’Union soviétique et l’affaiblissement notable du
Japon dans la guerre contre la Chine peuvent avoir pour effet
d’obliger le Japon à renoncer à son plan initial d’offensive
contre la Sibérie et à adopter une position purement défensive de
ce côté.
Cependant, si cette situation se présente, l’offensive du Japon contre la Chine n’en sera pas affaiblie ; au contraire, elle sera renforcée, car le Japon n’aura plus alors d’autre choix que d’engloutir le pays faible.
Dans ce cas, persévérer résolument
dans la Guerre de Résistance, le front uni et la guerre prolongée
constituera une tâche encore plus sérieuse, et le moindre
relâchement de notre effort serait alors encore plus inadmissible.
112. Dans cette situation, la condition
essentielle de la victoire de la Chine sur le Japon, c’est l’unité
de toute la nation, c’est les progrès portés au décuple ou au
centuple dans tous les domaines.
La Chine connaît une époque de
progrès, elle a réalisé une magnifique unité, mais ce progrès et
cette unité sont aujourd’hui encore très insuffisants.
Le Japon a pu occuper un vaste
territoire parce qu’il est fort et que la Chine est faible ; cette
faiblesse est la conséquence directe de l’accumulation, depuis
cent ans et surtout dans les dix dernières années, de toutes sortes
d’erreurs qui ont limité le progrès de la Chine au niveau actuel.
Aujourd’hui, nous ne pouvons
vaincre un ennemi aussi fort que le Japon sans déployer des efforts
sérieux et prolongés.
Ces efforts doivent s’exercer dans
bien des domaines ; je ne parlerai ici que des deux plus importants :
le progrès de l’armée et le progrès du peuple.
113. La réforme du système militaire exige la
modernisation de notre armée et l’amélioration de son équipement
technique, sans lesquelles il nous sera impossible de chasser
l’ennemi audelà du Yalou.
Dans l’emploi des troupes, il faut
déterminer une stratégie et une tactique souples, d’avantgarde,
sans quoi il sera également impossible de remporter la victoire.
Mais la base de l’armée, c’est
le soldat.
Sans insuffler aux troupes un esprit
politique progressiste, sans poursuivre dans ce but un travail
politique progressiste, il n’est pas possible d’arriver à une
unité véritable des officiers et des soldats, d’éveiller en eux
le plus grand enthousiasme pour la Guerre de Résistance et, par
conséquent, de donner à notre technique et à notre tactique la
base la plus propre à les rendre efficaces.
Quand nous affirmons que, malgré sa
supériorité technique, l’armée japonaise subira nécessairement,
en fin de compte, la défaite, nous considérons que les coups que
nous lui portons par nos opérations d’anéantissement et d’usure
ne lui infligeront pas seulement des pertes mais ébranleront
finalement le moral de ses soldats qui n’est pas du niveau de ses
armes.
Chez nous, au contraire, les
officiers et les soldats ont des buts politiques communs dans la
Guerre de Résistance.
Cela nous donne une base pour le
travail politique dans toutes les armées en lutte contre les
envahisseurs japonais.
Il faut réaliser une certaine
démocratisation dans l’armée ; l’essentiel est d’abolir les
pratiques féodales des châtiments corporels et des injures, et
d’arriver à ce que dans la vie de tous les jours les officiers et
les soldats partagent leurs joies et leurs peines.
Ainsi, nous parviendrons à l’unité
des officiers et des soldats, la capacité combative de l’armée
prodigieusement accrue, et nous n’aurons pas à craindre de ne sera
pouvoir tenir dans cette guerre longue et acharnée.
114. Les grandes forces de la guerre ont leurs
sources profondes dans les masses populaires.
C’est avant tout parce que les
masses du peuple chinois sont inorganisées que le Japon s’est
enhardi à nous malmener.
Que nous surmontions cette
insuffisance, et l’envahisseur japonais se trouvera, devant les
centaines de millions d’hommes du peuple chinois soulevés, dans la
même situation que le buffle sauvage devant un mur de feu : il nous
suffira de pousser un cri dans sa direction pour que, de terreur, il
se jette dans le feu et soit brûlé vif.
La Chine a besoin que l’armée
complète ses forces d’un flot continu.
Le mode de recrutement qu’on emploie actuellement aux échelons
inférieurs par la presse ou l’achat de remplaçants1 doit être
interdit immédiatement et remplacé par une large et ardente
mobilisation politique ; il ne sera pas alors difficile d’avoir
même des millions d’hommes sous les drapeaux.
Nous avons de grandes difficultés à
trouver les fonds nécessaires à la Guerre de Résistance, mais avec
la mobilisation des masses populaires, les finances cesseront
aussitôt de constituer un problème.
Serait-il possible qu’un Etat
disposant d’un si vaste territoire et d’une population aussi
nombreuse rencontre des difficultés de trésorerie ?
L’armée doit ne faire qu’un avec
le peuple, afin qu’il voie en elle sa propre armée. Cette arméelà
sera invincible, et un pays impérialiste comme le Japon ne sera pas
de taille à se mesurer avec elle.
115.
Beaucoup de gens
s’imaginent que s’il n’y a pas de bons rapports entre les
officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple, cela
est û à de mauvaises méthodes ; je leur ai toujours dit qu’il
s’agit ici d’une attitude fondamentale (ou d’un principe
fondamental) qui consiste à respecter le soldat, à respecter le
peuple.
De cette attitude découlent la
politique, les méthodes et les formes appropriées.
Sans cette attitude, la politique
comme les méthodes et les formes seront nécessairement erronées,
et il sera absolument impossible d’avoir de bons rapports entre les
officiers et les soldats, entre l’armée et le peuple.
Les trois grands principes de notre
travail politique dans l’armée sont, premièrement, l’unité
entre les officiers et les soldats ; deuxièmement, l’unité entre
l’armée et le peuple ; troisièmement, la désagrégation des
forces ennemies.
Pour mettre effectivement en pratique
ces trois principes, il faut partir de cette attitude fondamentale
qui est le respect du soldat, le respect du peuple et le respect de
la dignité des prisonniers ayant déposé les armes.
Ceux qui estiment qu’il s’agit
ici non d’une attitude fondamentale mais de questions d’ordre
purement technique se trompent, et ils doivent corriger leur erreur.
116. Maintenant que la défense de Wouhan et
d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche
la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité
de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.
Il n’y a pas de doute, nous devons
poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres
endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.
Mais la question de savoir si
finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre
volonté subjective mais des conditions concrètes.
La mobilisation politique de l’armée
et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus
importantes de ces conditions concrètes.
Si nous ne nous employons pas à
réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de
ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui
s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons
perdus.
Où sera le Madrid chinois ? Il sera
là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.
Nous n’avons pas eu jusqu’ici un
seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs.
Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des
conditions.
Et la plus fondamentale d’entre
elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée
et de tout le peuple.
117. Dans tout notre travail, il faut nous en
tenir fermement à la ligne générale du front uni national
antijaponais, car seule cette ligne garantit la possibilité de
poursuivre fermement la Guerre de Résistance, de mener résolument
une guerre de longue durée, d’aboutir à une amélioration
générale et profonde des rapports entre les officiers et les
soldats, entre le peuple et l’armée, de développer pleinement
l’activité de l’armée et du peuple pour la défense de tous les
territoires qui ne sont pas encore perdus et le recouvrement de tous
ceux qui le sont déjà, la possibilité, enfin, de remporter la
victoire finale.
118. La mobilisation politique de l’armée et du
peuple est vraiment une question de la plus haute importance.
Nous sommes toujours revenus avec
tant d’insistance sur cette question parce qu’il est réellement
impossible de vaincre sans la résoudre.
Certes, bien d’autres conditions
sont également nécessaires à la victoire, mais la mobilisation
politique est la condition qui commande toutes les autres.
Le front uni national antijaponais
est un front uni de toute l’armée et de tout le peuple, et
nullement un front uni des seuls comités ou membres de quelques
partis politiques.
La création du front uni national
antijaponais a comme but fondamental de mobiliser l’armée et le
peuple tout entiers pour qu’ils y participent.
Conclusions
119. Quelles sont nos conclusions ?
Les voici : « Dans quelles
conditions la Chine pourratelle vaincre et détruire les
forces du Japon ?
Trois conditions sont nécessaires :
premièrement, la création d’un front uni antijaponais en Chine ;
deuxièmement, la formation d’un front uni antijaponais mondial ;
troisièmement, l’essor du mouvement révolutionnaire du peuple au
Japon et dans les colonies japonaises.
Pour le peuple chinois, la plus
importante de ces trois conditions est la réalisation de sa grande
union. »
« Combien de temps… cette
guerre durera-t-elle ?
Cela dépendra de la force du front
uni antijaponais en Chine, et de beaucoup d’autres facteurs
décisifs en Chine et au Japon. »
« Si ces conditions ne se
réalisent pas à bref délai, la guerre se prolongera, mais les
résultats seront les mêmes : le Japon sera vaincu, la Chine sera
victorieuse ; seulement les sacrifices seront grands, et il y aura
une période douloureuse à supporter. »
« Notre stratégie doit
consister à employer nos forces principales sur un front étiré et
indéterminé. Pour remporter la victoire, les troupes chinoises
opéreront sur de vastes champs de bataille, avec un haut degré de
mobilité … »
« Tout en utilisant pour
la guerre de mouvement des troupes bien entraînées, nous devons
organiser un grand nombre de détachements de partisans parmi les
paysans. »
« Au cours de la guerre, la
Chine pourra … améliorer graduellement l’équipement de ses
troupes.
Elle sera donc en mesure de conduire
une guerre de position dans la période finale de la guerre et
d’attaquer les positions fortifiées dans les régions occupées
par les Japonais.
Ainsi, minée par une longue
résistance de la Chine, l’économie japonaise s’effondrera, et
le moral des troupes japonaises sera brisé après d’innombrables
et épuisants combats.
Quant à la Chine, elle verra croître
avec vigueur ses forces potentielles de résistance et les niasses
révolutionnaires affluer au front et se battre pour leur liberté.
Ces facteurs, joints à d’autres
encore, nous permettront de lancer les attaques finales et décisives
contre les places fortes et les bases des régions d’occupation
japonaise et de chasser hors de Chine l’armée des envahisseurs. »
(Entretien avec Edgar Snow en juillet 1936.)
« La situation politique
en Chine est entrée désormais dans une étape nouvelle … A cette
nouvelle étape, notre tâche capitale est de mobiliser toutes les
forces pour remporter la victoire. »
« Développer la guerre, déjà
déclenchée, en une guerre générale de toute la nation, telle est
la clé de la victoire dans la Guerre de Résistance. Seule cette
guerre générale de toute la nation nous permettra de remporter la
victoire finale. »
« Comme il subsiste de grandes
faiblesses dans la conduite de la Guerre de Résistance, de
nombreuses difficultés peuvent encore surgir : revers et retraites,
scissions et trahisons, compromis temporaires et partiels.
C’est pourquoi il faut s’attendre
à une guerre longue et acharnée. Mais nous sommes convaincus que,
grâce aux efforts de notre Parti et de tout le peuple, la Résistance
qui a déjà commencé se poursuivra et se développera, brisant tous
les obstacles sur sa route. » (« Résolution sur la
situation actuelle et les tâches du Parti », adoptée par le
Comité central du Parti communiste chinois en août 1937.)
Telles sont nos conclusions. Les
partisans de la théorie de l’asservissement inéluctable de la
Chine voient chez l’ennemi une force surnaturelle, et la Chine leur
paraît aussi négligeable qu’un fétu de paille ; les partisans de
la théorie de la victoire rapide, au contraire, considèrent
l’ennemi comme un fétu de paille et attribuent à la Chine une
force surnaturelle ; les uns et les autres sont dans l’erreur.
Nous nous séparons et des uns et des
autres : la Guerre de Résistance sera une guerre prolongée et la
victoire finale appartiendra à la Chine.
Voilà nos conclusions.
120. Je terminerai ici mon cycle de conférences.
La grande Guerre de Résistance se développe, et beaucoup voudraient
qu’on fasse un bilan des expériences acquises pour les mettre à
profit, afin de remporter une victoire complète.
Je n’ai traité ici que de
l’expérience générale des dix derniers mois. Si l’on veut, on
peut considérer cela comme une sorte de bilan.
La guerre prolongée est une gestion qui mérite la plus large attention et doit faire l’objet du plus large débat ; je n’ai présenté cette question que dans ses grandes lignes j’espère, Camarades, que vous l’examinerez et la discuterez, que vous ferez connaître vos remarques et vos suggestions.
=>Oeuvres de Mao Zedong