L’Elva [l’Eclair], n°5, 9 et 10 des 17, 22
et 23 mars 1906. Signé : I. Bessochvili Traduit du
géorgien.
I
L’ancien régime croule de toutes
parts, la campagne commence à bouger. La paysannerie, hier encore
opprimée est humiliée, se relève aujourd’hui et redresse
l’échine. Le mouvement paysan, hier encore impuissant, s’élance
aujourd’hui, tel un torrent impétueux, contre l’ancien régime :
ôte-toi de mon chemin, sinon je te balaye ! « Les paysans
veulent obtenir les terres seigneuriales », « les paysans
veulent supprimer les vestiges du servage », voilà ce qu’on
entend dire aujourd’hui dans les bourgs et villages insurgés de
Russie.
Ceux qui comptent imposer silence aux
paysans avec des balles se trompent : l’expérience nous l’a
montré, les balles ne font qu’attiser et exaspérer le mouvement
révolutionnaire.
Ceux qui tentent d’apaiser les
paysans avec de simples promesses et des « banques paysannes »
se trompent aussi : les paysans veulent la terre, ils la voient même
en rêve et, naturellement, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient
mis la main sur les terres seigneuriales. Qu’ont-ils à attendre de
promesses creuses et d’on ne sait quelles « banques
paysannes » ?
Les paysans veulent s’emparer des
terres seigneuriales. Ils entendent supprimer ainsi les vestiges du
servage. Et quiconque se refuse à trahir les paysans doit
s’appliquer à résoudre précisément de cette façon la question
agraire.
Mais comment la paysannerie
pourra-t-elle prendre possession de ces terres ?
On prétend que l’unique issue est
dans le « rachat » des terres « à des conditions
avantageuses ».
Le gouvernement et les grands propriétaires
fonciers possèdent de vastes étendues de terres libres, nous disent
ces messieurs ; si les paysans rachètent ces terres, tout
s’arrangera : ainsi les loups seront rassasiés et le brebis
sauvées.
Mais ils ne se demandent pas avec quoi les paysans
pourront racheter ces terres, ces paysans qu’on a non seulement
dépouillés de leur argent, mais encore écorchés vifs. Ils ne
réfléchissent pas à ceci que lors du rachat, on ne remettra aux
paysans que de mauvaises terres, et l’on gardera les bonnes pour
soi, comme on l’a fait lors de l’ « affranchissement des
serfs » !
Et puis, pourquoi les paysans rachèteraient-ils
les terres qui de tout temps leur ont appartenu ? Est-ce que les
terres de l’Etat et des grands propriétaires fonciers n’ont pas
été arrosées par la sueur des paysans ?Est-ce qu’elles n’ont
pas appartenu aux paysans ? Est-ce que ces biens de leurs pères et
de leurs aïeux n’ont pas été enlevés aux paysans ?
Où donc est la justice si l’on demande aux
paysans de racheter les terres qui leur furent enlevées ? Et la
question du mouvement paysan n’est-elle qu’une question de vente
et d’achat ?
Le mouvement paysan ne vise-t-il pas à affranchir
les paysans ? Qui donc affranchira les paysans du joug du servage,
sinon les paysans eux-mêmes? Or, ces messieurs nous assurent que les
paysans seront affranchis par les grands propriétaires fonciers : il
suffit pour cela de leur verser comptant une petite somme. Et le
croiriez-vous ?
Cet « affranchissement » devra être
réalisé, paraît-il, sous la direction de la bureaucratie tsariste,
de cette même bureaucratie qui a plus d’une fois accueilli la
paysannerie affamée à coups de canon et de mitrailleuse !…
Non ! Le rachat des terres ne sauvera
pas les paysans. Ceux qui leur conseillent le « rachat à des
conditions avantageuses » sont des traîtres, car ils cherchent
à prendre les paysans dans les filets du maquignonnage et ne veulent
pas que l’affranchissement des paysans soit l’oeuvre des paysans
eux-mêmes.
Si les paysans veulent s’emparer
des terres seigneuriales ; s’ils doivent supprimer ainsi les
vestiges du servage ; si le « rachat à des conditions
avantageuses » ne peut les sauver : si l’affranchissement des
paysans doit être l’oeuvre des paysans eux-mêmes, il est hors de
doute qu’il n’y a pour eux qu’un seul moyen : enlever les
terres aux grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire les
confisquer.
Là est l’issue.
Une question se pose : jusqu’où
doit aller cette confiscation ? A-t-elle une limite ? Les paysans
doivent-ils s’emparer de toutes les terres ou d’une partie
seulement ?
Certains disent que s’emparer de
toutes les terres, ce serait trop ; qu’il suffit d’en prendre une
partie pour satisfaire les paysans. Admettons-le. Mais comment
fera-t-on si les paysans réclament davantage ? Nous n’allons tout
de même pas leur barrer la route : arrêtez-vous, n’avancez pas
plus loin ! Voilà qui serait réactionnaire !
Les événements de Russie n’ont-ils pas prouvé
que les paysans réclament effectivement la confiscation de toutes
les terres seigneuriales ? Et puis, que veux dire « s’emparer
d’une partie » ? Quelle partie doit être enlevée aux grands
propriétaires fonciers, la moitié ou le tiers ?
Qui doit trancher cette question, les grands
propriétaires seuls ou les propriétaires et les paysans tous
ensemble ?
Comme on le voit, il reste ici une grande marge
pour le maquignonnage ; la marchandage demeure possible entre
propriétaires fonciers et paysans ; or cela va radicalement à
l’encontre de l’affranchissement des paysans.
Ceux-ci doivent comprendre une fois pour toutes
qu’il ne faut pas marchander avec les grands propriétaires
fonciers, mais lutter contre eux. Il faut non pas raccommoder le joug
du servage, mais le briser, pour en détruire à jamais les vestiges.
« S’emparer d’une partie seulement »,
c’est travailler à raccommoder les vestiges du servage ; et ceci
est incompatible avec l’affranchissement des paysans.
Il est évident que le seul moyen est
d’enlever aux grands propriétaires fonciers toutesleurs terres. C’est ainsi seulement qu’on pourra faire
aboutir le mouvement paysan, qu’on pourra accroître l’énergie
populaire et détruire les vestiges périmés du servage.
Ainsi l’actuel mouvement des
campagnes est un mouvement démocratique des paysans. le but de ce
mouvement est de supprimer les vestiges du servage.
Et, pour les supprimer, il faut confisquer toutes
les terres seigneuriales et celles de l’Etat.
Certains messieurs nous lancent l’accusation que voici : pourquoi,
jusqu’à présent, la social-démocratie n’a-t-elle pas réclamé
la confiscation de toutes les terres ? Pourquoi, jusqu’à présent,
n’a-t-elle parlé que de la confiscation des « otrezki »1
?
Pour la raison, messieurs, qu’en
1903, lorsque le parti parlait des « otrezki », la
paysannerie de Russie n’était pas encore gagnée au mouvement. Le
devoir du parti était de lancer à la campagne un mot d’ordre qui
enflammât le coeur des paysans, qui soulevât la paysannerie contre
les vestiges du servage.
Ce mot d’ordre était celui des « otrezki »
: ils rappelaient de façon frappante à la paysannerie de Russie ce
qu’il y avait d’injuste dans les vestiges du servage.
Mais les temps ont changé. Le
mouvement paysan a grandi. A présent il n’est plus nécessaire de
le susciter : il se déchaîne sans cela. Aujourd’hui, il n’est
plus question de savoir comment on doit mettre en mouvement la
paysannerie, mais ce que doit réclamer la paysannerie déjà
en mouvement.
Il est clair qu’il faut ici des revendications
précises, et le parti déclare à la paysannerie qu’elle doit
exiger la confiscation de toutes les terres seigneuriales et de
toutes celles de l’Etat.
Ce qui signifie que chaque chose
vient en son temps et lieu, aussi bien les « otrezki »
que la confiscation de toutes les terres.
II
Nous avons vu que le mouvement actuel
à la campagne représente un mouvement de libération des paysans ;
nous avons vu aussi que pour libérer les paysans, il faut supprimer
les vestiges du servage, et que pour supprimer ces vestiges, il faut
enlever toutes leurs terres aux grands propriétaires fonciers et à
l’Etat, afin de déblayer le chemin de la vie nouvelle, du libre
développement du capitalisme.
Supposons tout cela réalisé.
Comment ces terres doivent-elles être réparties ? A qui
doivent-elles être remises en propriété ?
Les uns disent que les terres saisies
doivent être remises au village, en propriété commune ;
la propriété privée de la terre doit être dés
maintenant abolie et le village doit jouir de la propriété
absolue des terres ; après quoi, il répartira lui-même des
« lots » égaux entre les paysans ; de cette
façon, le socialisme se trouvera dés maintenant réalisé à la
campagne : à la place du salariat s’instituera la jouissance
égalitaire du sol.
C’est, nous disent les
socialistes-révolutionnaires, ce qui s’appelle la « socialisation
de la terre« .
Pouvons-nous accepter cette solution
? Examinons le fond de l’affaire.
Et d’abord ceci: les
socialistes-révolutionnaires veulent commencer par la
campagne pour réaliser le socialisme. Cela est-il possible ?
La ville, on le sait, est plus développée que la
campagne, elle est le guide de la campagne ; toute mesure socialiste
doit donc commencer par la ville. Or, les
socialistes-révolutionnaires prétendent faire de la campagne le
guide de la ville, la forcer à réaliser la première le socialisme,
ce qui, bien entendu, est impossible à cause de son état arriéré.
D’où l’on voit que le « socialisme »
des socialistes-révolutionnaires sera un socialisme mort-né.
Passons maintenant au fait qu’ils
entendent réaliser dés maintenant le socialisme à la
campagne. Réaliser le socialisme, c’est supprimer la production
marchande, abolir l’économie monétaire, détruire de fond en
comble le capitalisme et socialiser tous les moyens de production.
Les socialistes-révolutionnaires, eux, entendent laisser toutes ces
choses en l’état et ne socialiser que la terre, ce qui est
absolument impossible.
Si la production marchande reste telle qu’elle
est, la terre aussi deviendra une marchandise ; aujourd’hui ou
demain elle fera son apparition sur le marché, et voilà le
« socialisme » des socialistes-révolutionnaires
volatilisé. Il est évident qu’ils veulent réaliser le socialisme
dans le cadre du capitalisme, ce qui, bien entendu, est inconcevable.
Voilà pourquoi l’on dit que le « socialisme » des
socialistes-révolutionnaires est un socialisme bourgeois.
Quant à la jouissance égalitaire
du sol, ce n’est tout bonnement qu’une phrase creuse. la
jouissance égalitaire du sol exige l’égalité de fortune ; or,
entre les paysans, il existe une inégalité de fortune que la
révolution démocratique d’aujourd’hui n’est pas en mesure de
supprimer. Peut-on croire que le paysan qui possède huit paires de
boeufs exploitera la terre dans la même mesure que celui qui n’en
possède pas une seule ?
Les socialistes-révolutionnaires s’imaginent
pourtant que la « jouissance égalitaire du sol »
supprimera le salariat et mettra fin au développement du capital, ce
qui, bien entendu, est absurde.
Evidemment, les socialistes-révolutionnaires
entendent lutter contre la continuation du développement
capitaliste et faire tourner en arrière la roue de l’histoire :
c’est là qu’ils voient le salut.
La science, elle, nous dit que la victoire du
socialisme dépend du développement du capitalisme, et
quiconque lutte contre ce développement lutte contre le socialisme.
Voilà pourquoi l’on donne aussi aux socialistes-révolutionnaires
le nom de socialistes-réactionnaires.
Sans compter que les paysans
entendent lutter pour l’abolition de la propriété féodale, non
pas contre la propriété bourgeoise, mais sur la base de la
propriété bourgeoise : ils veulent répartir entre eux les terres
saisies pour en devenir les propriétaires privés, ils ne se
satisferont pas de la « socialisation de la terre ».
Comme on le voit, la « socialisation
de la terre » est inacceptable.
D’autres disent que les terres
expropriées doivent être remises à l’Etat démocratique dont les
paysans ne seraient que les affermataires.
C’est ce qu’on appelle la
« nationalisation de la terre« .
La nationalisation de la terre est-elle acceptable
? Si nous prenons en considération le fait que l’Etat futur, si
démocratique qu’il soit, sera néanmoins bourgeois, que la remise
des terres à cet Etat sera suivie d’un renforcement politique de
la bourgeoisie, ce qui extrêmement désavantageux pour le
prolétariat rural et urbain ; si nous considérons aussi le fait que
les paysans eux-mêmes seront hostiles à la « nationalisation
de la terre » et ne se satisferont pas du rôle de simples
affermataires, on comprendra aisément que la « nationalisation
de la terre » ne répond pas aux intérêts du mouvement
actuel.
Par conséquent, la « nationalisation
de la terre » est également inacceptable.
D’autres encore disent que la terre
doit être remise en propriété aux autorités administratives
locales qui l’affermeraient aux paysans.
C’est ce qu’on appelle la
« municipalisation de la terre« .
La municipalisation de la terre
est-elle acceptable ? Que signifie-t-elle ? Elle signifie d’abord
que les paysans ne deviendront pas propriétaires des terres qu’ils
auront enlevées de haute lutte aux grands propriétaires fonciers et
à l’Etat.
Qu’en penseront-ils ?
Les paysans entendent recevoir la terre en toute
propriété, ils entendent partager les terres expropriées, dont ils
se voient les propriétaires même en rêve. Et quand on leur dira
que les terres doivent être remises non pas à eux, mais aux
autorités locales, ils ne seront certainement pas d’accord avec
les partisans de la « municipalisation ». Cela, nous ne
devons pas l’oublier.
Et puis, que faire si les paysans,
entraînés par la révolution, s’approprient toutes les terres
saisies et ne laissent rien aux autorités locales ?
Nous n’allons tout de même pas leur barrer la
route et leur dire : arrêtez-vous, ces terres doivent être remises
aux autorités locales et non à vous ; l’affermage vous suffira.
En second lieu, si nous acceptons le
mot d’ordre de « municipalisation », nous devons dés
maintenant le lancer dans le peuple et expliquer tout de suite aux
paysans que ces terres pour lesquelles ils luttent et dont ils
veulent s’emparer, seront remises en propriété aux autorités
locales et non pas à eux.
Certes, si le parti a une grande influence sur les
paysans, il se peut qu’ils l’approuvent, mais il va sans dire
qu’ils ne lutteront plus avec la même énergie, ce qui sera
extrêmement préjudiciable à la révolution actuelle.
Et si le parti n’a pas une grande influence sur
les paysans, ceux-ci s’en écarteront et lui tourneront le dos, ce
qui provoquera un conflit entre les paysans et le parti et affaiblira
considérablement les forces de la révolution.
On nous dira : souvent les désirs
des paysans sont en contradiction avec le développement de
l’histoire ; or, nous ne pouvons pas méconnaître la marche de
l’histoire et nous conformer toujours aux désirs des paysans, —
le parti doit avoir ses principes. Très juste!
Le parti doit se guider sur ses principes. Mais le
parti qui rejetterait toutes les aspirations paysannes, indiquées
ci-dessus trahirait ses principes.
Si le désir des paysans de s’emparer des terres
seigneuriales et de les partager ne contredit pas la marche de
l’histoire ; si ces aspirations, au contraire, découlent
entièrement de la révolution démocratique actuelle ; si une lutte
véritable contre la propriété féodale n’est possible que sur la
base de la propriété bourgeoise ; si les aspirations des paysans
expriment précisément cette tendance, alors il va de soi que le
parti ne peut rejeter ces revendications des paysans, car refuser de
les soutenir équivaudrait à renoncer au développement de la
révolution.
Au contraire, si le parti a des principes, s’il
ne veut pas devenir un frein pour la révolution, il doit contribuer
à réaliser ces aspirations des paysans. Or elles sont en
contradiction absolue avec la « municipalisation de la terre »
!
Comme on le voit, la
« municipalisation de la terre » est, elle aussi
inacceptable.
III
Nous avons vu que ni la
« socialisation », ni la « nationalisation »,
ni la « municipalisation » ne répondent véritablement
aux intérêts de la révolution actuelle.
Comment donc faut-il répartir les
terres saisies, à qui faut-il les remettre en propriété ?
Il est clair que les terres saisies
par les paysans doivent être remises aux paysans eux-mêmes
pour qu’ils puissent se les partager entre eux. C’est
ainsi que doit être résolue la question posée plus haut.
Le partage des terres entraînera une mobilisation
de la propriété. les moins fortunés vendront leurs terres et
s’achemineront vers la prolétarisation ; les paysans aisés
achèteront de nouvelles terres et s’appliqueront à améliorer la
technique de la culture ; la campagne se divisera en classes, une
lutte plus aiguë s’allumera entre ces classes et c’est ainsi que
sera créée la base pour un développement ultérieur du
capitalisme.
Comme on le voit, le partage de la
terre découle du développement économique actuel.
D’autre part, le mot d’ordre :
« La terre aux paysans, rien qu’aux paysans et à
personne d’autre » , encouragera la paysannerie, il
lui insufflera une force nouvelle et permettra de mener à son terme
le mouvement révolutionnaire déjà commencé à la campagne.
Comme on le voit, la marche elle-même
de la révolution actuelle exige le partage des terres.
Nos adversaires nous accusent de faire renaître ainsi la petite
bourgeoisie, ce qui contredit radicalement la doctrine de Marx. Voici
ce qu’écrit la Révolutsionnaïa Rossia (2)
:
«
En aidant la paysannerie à exproprier les grands propriétaires
fonciers, vous contribuez inconsciemment à instaurer l’économie
petite-bourgeoise sur les ruines des formes plus ou moins développées
de l’économie agraire capitaliste. n’est-ce pas là « un
pas en arrière » du point de vue du marxisme orthodoxe ? »
(Voir la Révolutsionnaïa Rossia, n°75).
Je dois dire que messieurs les
« critiques » ont embrouillé les faits. Ils ont oublié
que l’économie du grand propriétaire foncier n’est pas une
économie capitaliste, qu’elle est une survivance de l’économie
féodale et que, par conséquent, en expropriant les grands
propriétaires fonciers, on détruit les vestiges de l’économie
féodale et non l’économie capitaliste.
Ils ont oublié également que, du point de vue du
marxisme, l’économie féodale n’a jamais été suivie et ne
saurait être suivie, immédiatement, par l’économie capitaliste :
entre les deux se place l’économie petite-bourgeoise qui succède
à l’économie féodale et se transforme ensuite en économie
capitaliste.
Déjà Karl Marx, dans le livre III du Capital,
affirmait que, dans l’histoire, l’économie féodale a été
suivie d’abord par l’économie rurale petite-bourgeoise et
qu’après seulement s’est développée la grande économie
capitaliste ; il n’y a pas eu et il ne pouvait pas y avoir de bond
immédiat de l’une à l’autre. Cependant, ces singuliers
« critiques » nous disent que, du point de vue marxiste,
la saisie et le partage des terres seigneuriales représentent un
recul !
Bientôt ils nous jetteront à la tête que
« l’abolition du servage » a été, elle aussi, un
recul du point de vue marxiste, puisque alors également certaines
terres furent « enlevées » aux grands propriétaires
fonciers pour être remises aux petits exploitants : les paysans !
Drôle de gens !
Ils ne comprennent pas que le marxisme envisage
toutes choses du point de vue historique ; que du point de vue du
marxisme, l’économie rurale petite-bourgeoise est progressiste par
rapport à l’économie féodale ; que la destruction de l’économie
féodale et l’instauration de l’économie petite-bourgeoise sont
une condition nécessaire au développement du capitalisme qui, par
la suite, évincera cette économie petite-bourgeoise.
Mais laissons en paix les
« critiques ».
La vérité est que la remise des
terres aux paysans, et puis leur partage, sapent les
fondements des survivances du servage, préparent le terrain pour le
développement de l’économie capitaliste, renforcent
considérablement l’essor révolutionnaire : voilà pourquoi ces
mesures sont acceptables pour le Parti social-démocrate.
Ainsi, pour supprimer les vestiges du
servage, il faut confisquer toutes les terres seigneuriales; les
paysans doivent en prendre possession et se les partager entre eux,
selon leurs intérêts.
C’est sur cette base que doit être
établi le programme agraire du parti.
On nous dira : tout cela concerne les
paysans, mais que pensez-vous du prolétariat rural ?
Nous répondons que s’il faut aux paysans un
programme agraire démocratique, il existe pour les
prolétaires des campagnes et des villes un programme
socialiste, qui exprime leurs intérêts de classe ; quant à leurs
intérêts immédiats, il en a été tenu compte dans les seize
points du programme minimum où l’on parle de l’amélioration des
conditions du travail. (Voir le Programme du parti, adopté au IIe
congrès).
Pour l’instant, l’action socialiste immédiate
du parti consiste en ceci ; il fait une propagande socialiste parmi
les prolétaires ruraux, il les rassemble en des organisations
socialistes qui leur sont propres et les unit aux prolétaires des
villes en un parti politique distinct.
Le parti se tient constamment en rapports avec
cette fraction de la paysannerie ; il lui dit : vous devez garder la
liaison avec les paysans en lutte et lutter contre les grands
propriétaires fonciers ; et pour autant que vous marchez vers le
socialisme, vous devez vous unir résolument aux prolétaires des
villes et lutter impitoyablement contre tout bourgeois, qu’il soit
paysan ou noble.
Avec les paysans, pour la république démocratique
! Avec les ouvriers, pour le socialisme ! Voilà ce que dit le parti
au prolétariat rural.
Si le mouvement des prolétaires et leur programme socialiste
attisent la flamme de la lutte des classes, pour abolir
ainsi à jamais toute division en classes, le mouvement paysan et son
programme agraire démocratique, de leur côté, attisent à
la campagne la flamme de la lutte entre les ordresde la
société, pour abolir ainsi jusque dans sa racine toute
division en ordres (3).
*
P.S. En terminant cet article, nous
ne pouvons laisser passer sans réponse la lettre d’un lecteur qui
nous écrit ce qui suit : « Votre premier article ne m’a tout
de même pas satisfait. Le parti n’était-il pas hostile à la
confiscation de toutes les terres ? Et s’il l’était, pourquoi ne
le disait-il pas ? »
Non, estimé lecteur, le parti n’a jamais été hostile à cette
confiscation. Dés le IIe congrès, celui où fut précisément
adopté le point relatif aux « otrezki », dés ce congrès
(en 1903), le parti disait, par la bouche de Plékhanov et de Lénine,
que nous soutiendrons les paysans s’ils revendiquent la
confiscation de toutes les terres(4).
Deux
ans plus tard (en 1905), les deux fractions du parti, les
« bolchéviks » au IIIe congrès et les « menchéviks »
à leur Ière conférence, ont déclaré à l’unanimité qu’ils
soutiendraient sans réserve les paysans quant à la confiscation de
toutes les terres (5).
Ensuite, les journaux des deux tendances du parti, aussi bien
l’Iskra et le Prolétari que la Novaïa Jizn
(6) et la Natchalo (7),
ont appelé maintes fois la paysannerie à confisquer toutes les
terres…
Comme vous le voyez, le parti était, dés le
début, pour la confiscation de toutes les terres et, par
conséquent, vous n’avez aucune raison de penser qu’il s’est
mis à la remorque du mouvement paysan. celui-ci n’avait pas encore
commencé pour de bon, les paysans ne réclamaient pas encore même
les « otrezki », que le parti parlait déjà, à son IIe
congrès, de la confiscation de toutes les terres.
Si toutefois vous nous demandez
pourquoi nous n’avons pas inscrit dans notre programme, en cette
même année 1903, la revendication de la confiscation de toutes les
terres, nous vous répondrons à notre tour par une question :
pourquoi donc les socialistes-révolutionnaires n’ont-ils pas
inscrit dés 1900, dans leur programme, la revendication de la
république démocratique ?
Etaient-ils
vraiment contre cette revendication8 ?
Pourquoi ne parlait-on alors que de
nationalisation tandis qu’aujourd’hui on nous rebat les oreilles
avec la socialisation ?
Et si aujourd’hui, nous ne disons rien dans
notre programme minimum de la journée de travail de 7 heures, est-ce
à dire que nous sommes contre ?
Qu’en conclure ? Seulement ceci : c’est qu’en
1903, alors que le mouvement était encore faible, la confiscation de
toutes les terres serait restée lettre morte, le mouvement encore
faible n’aurait pu faire triompher cette revendication; voilà
pourquoi le mot d’ordre des « otrezki » convenait mieux
à cette période.
Mais, par la suite, quand le mouvement grandit et
mit en avant les questions d’ordre pratique, le parti dut
montrer que le mouvement ne pouvait et ne devait pas s’arrêter aux
seuls « otrezki », que la confiscation de toutes les
terres s’imposait.
Tels sont les faits.
Quelques mots pour finir à propos de la Tznobis Pourtzéli (9)
(voir le n°3033). Ce journal débite des insanités sur la « mode »
et le « principe » et il assure que le parti, naguère,
érigé les « otrezki » en principe.
Il
s’agit là d’un mensonge, car le parti a, dés le début,
publiquement admis le principe de la confiscation de toutes
les terres, le lecteur a pu le constater plus haut. Quant au fait que
la Tznobis Pourtzéli ne distingue pas entre principes et
questions pratiques, le malheur n’est pas grand : avec l’âge,
elle apprendra à les distinguer (10).
Notes
1.
Le manifeste de 1861 accordait aux serfs la
liberté personnelle sans aucun droit sur la terre. Pour qu’ils
pussent remplir leurs obligations envers l’Etat et le propriétaire
foncier, les paysans recevaient, moyennant le paiement d’un fermage
ou d’un droit de rachat, des lots de terre. Les « otrezki »
— « coupes » ou « retraits » — étaient
des parcelles retranchées des lots attribués aux paysans et
conservées par les propriétaires fonciers. l’importance de ces
parcelles retranchées a été surtout considérable dans la zone
fertile des terres noires.
2.
La Révolutsionnaïa Rossia [la Russie
révolutionnaire], organe des socialistes-révolutionnaires, parut de
la fin de 1900 à 1905. Editée d’abord par l’Union des
socialistes-révolutionnaires, elle devint à partir de janvier 1902
l’organe central du parti socialiste-révolutionnaire.
3.
La société féodale est caractérisée par la
division en ordres. Ainsi, il existait dans la France d’avant 1789
trois ordres : noblesse, clergé, tiers état. La révolution
démocratique bourgeoise se dresse contre les ordres privilégiés,
elle abat les anciennes barrières pour laisser le champ libre au
capitalisme.
4.
Voir les Procès-verbaux du IIe congrès.
(J.S.).
5.
Voir les Procès-verbaux du IIIe congrès.
(J.S.).
6.
La Novaïa Jizn [la Vie nouvelle], premier
journal bolchévik légal, parut à Saint-Pétersbourg du 27 octobre
au 3 décembre 1905. Dés que Lénine revint de l’émigration, la
Novaïa Zijn passa sous sa direction effective. Maxime Gorki
participait activement à sa rédaction. A son n°27, la Novaïa Zijn
fut interdite par les autorités. Son dernier numéro, le n°28,
parut illégalement.
7.
Le Natchalo [le Commencement] quotidien légal
des menchéviks, parut à Pétersbourg du 13 novembre au 2 décembre
1905.
8.
Voir Nos tâches, édition de l’Union des
socialistes-révolutionnaires, 1900. (J.S.).
9.
La Tznobis Pourtzéli [la Feuille des
nouvelles], quotidien géorgien ; parut à Tiflis de 1896 à 1906. A
partir de la fin de 1900, ce journal fut le porte-parole des
nationalistes géorgiens ; en 1904, il devint l’organe des
social-fédéralistes géorgiens.
10. Tznobis Pourtzéli a « entendu dire » quelques part que les « social-démocrates de Russie… ont adopté un nouveau programme agraire en vertu duquel… ils soutiennent la municipalisation des terres ». Je dois déclarer qu’aucun programme de cette nature n’a été adopté par les social-démocrates de Russie. L’adoption d’un programme est affaire de congrès ; or, notre congrès ne s’est pas encore tenu. Il est clair que quelqu’un ou quelque chose a induit en erreur la Tznobis Pourtzéli. Ce journal ferait bien de ne pas servir à ses lecteurs des on-dits.
L’industrialisation
du pays et la déviation de droite dans le Parti communiste (b) de
l’Union soviétique
Discours prononcé au Plénum du Comité
central du Parti communiste de l’Union soviétique, le 19 novembre
1928
J’examinerai ici trois questions essentielles
posées dans les thèses du Bureau politique. Je parlerai d’abord
de l’industrialisation du pays, et je m’attacherai à prouver que
le facteur décisif en matière d’industrialisation est le
développement de la production des moyens de production,
développement qui doit se poursuivre à un rythme aussi accéléré
que possible.
Ensuite, j’essaierai de démontrer que le rythme
de développement de l’agriculture chez nous marque un retard
sensible sur celui de l’industrie et que, par conséquent, la
question actuelle la plus brûlante de notre politique intérieure
est celle de l’agriculture et notamment, le problème des céréales,
la question de savoir comment relever, remanier l’agriculture sur
la base de la nouvelle technique.
Et enfin, la question des déviations, de la lutte
sur les deux fronts.
Dans cet ordre d’idées je tâcherai de prouver
qu’à l’heure actuelle le danger le plus sérieux pour nous est
dans la déviation de droite.
I Le rythme de développement de
l’industrie
Le point de départ de nos thèses, c’est que le
rythme accéléré de développement de l’industrie en général et
de la production desmoyens de production en particulier constitue
l’idée maîtresse, la clé de voûte de l’industrialisation du
pays, de la transformation de l’ensemble de notre économie
nationale sur la base de l’évolution socialiste.
Mais que veut dire au juste le rythme accéléré
du développement industriel ? Cela veut dire qu’il faut
engager le plus de capitaux possible dans l’industrie. Or, cela
entraîne un état de tension de tous nos plans budgétaires et
extra-budgétaires.
En effet, le trait caractéristique de nos «
chiffres de contrôle » pendant les trois dernières années, — en
période de reconstruction, c’est
qu’ils sont établis et réalisés sous le signe de la « tension
».
Que vous examiniez nos « chiffres de contrôle »,
que vous étudiiez nos propositions budgétaires, que vous vous
entreteniez avec nos militants, ceux qui travaillent aux divers
échelons du Parti ou ceux qui dirigent notre édification
soviétique, économique et coopérative, partout et en toutes
circonstances on voit apparaître un trait caractéristique, à
savoir : la tension de nos plans.
On se demande si, en général, cette « situation
tendue » nous est indispensable. Ne pourrions-nous pas nous en
passer ?
Serait-il donc impossible d’adopter un rythme
ralenti, de travailler dans une atmosphère plus « calme »
? Le rythme accéléré de développement de l’industrie, que nous
avons adopté, ne devrait-il pas s’expliquer par la nervosité des
membres du Bureau politique et du Conseil des commissaires du
peuple ? Non, certes. Au Bureau politique et au Conseil des
commissaires du peuple siègent des gens calmes et bien équilibrés.
En faisant abstraction de la situation extérieure
et intérieure, nous pourrions certes adopter un rythme plus lent.
Mais, tout d’abord, il est impossible de faire abstraction de la
situation extérieure et intérieure ; en second lieu, si l’on
tient compte de la situation actuelle, on est amené à conclure que
c’est précisément cette situation qui nous impose le rythme
accéléré du développement de notre industrie.
Permettez-moi, maintenant, de passer à l’examen
de cette situation, de ces facteurs d’ordre extérieur et intérieur
qui nous obligent à adopter un rythme accéléré pour le
développement de notre industrie.
Facteurs extérieurs. — Nous avons pris le
pouvoir dans un pays où la technique est extrêmement arriérée. A
côté de quelques grosses unités industrielles, qui possèdent plus
ou moins un outillage moderne, nous avons des centaines et des
milliers d’usines et de fabriques dont la technique ne résiste à
aucune critique au point de vue des réalisations modernes.
D’autre part, nous sommes entourés d’un grand
nombre de pays capitalistes dotés d’une technique industrielle
beaucoup plus développée et plus parfaite que la nôtre. Voyez ce
qui se passe dans les pays capitalistes.
Dans ces pays, la technique non seulement fait des
progrès, mais avance à pas de géant laissant en arrière les
formes désuètes de la technique industrielle.
Or, voici ce qui se produit : notre pays est doté,
d’une part, du régime le plus avancé du monde, le régime
soviétique ; d’autre part, nous avons une technique
extrêmement arriérée de l’industrie, laquelle est la base du
socialisme et du régime soviétique.
Croyez-vous qu’en présence de cette
contradiction il soit possible de faire triompher définitivement le
socialisme ? Que doit-on faire pour liquider cette
contradiction ?
A cet effet, nous devons rattraper et dépasser la
technique moderne des pays capitalistes avancés. Nous avons rattrapé
et dépassé les pays capitalistes avancés en ce qui concerne
l’instauration d’un nouveau régime politique, du régime
soviétique. Parfait.
Mais cela n’est pas suffisant.
Pour aboutir à la victoire finale du
socialisme,nous devons rattraper et dépasser ces pays aussi sous le
rapport technique et économique. Ou nous réaliserons cet objectif,
ou nous ferons faillite. Cela est vrai non seulement du point de vue
de l’édification du socialisme, mais cela est vrai aussi du point
de vue de la sauvegarde de l’indépendance de notre pays dans le
cadre capitaliste.
Or, il est impossible de sauvegarder
l’indépendance de notre pays sans être pourvu d’une base
industrielle suffisante pouvant assurer cette défense. Impossible de
créer cette base industrielle, sans avoir une technique industrielle
hautement développée. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un
rythme de développement accéléré de notre industrie.
L’état arriéré de la technique et de
l’économie de notre pays n’a pas été voulu par nous. Ce retard
est séculaire, il nous fut légué par le développement historique
de notre pays. Ce retard se faisait sentir comme un fléau aussi bien
dans le passé, dans la période prérévolutionnaire, que depuis la
révolution.
Lorsque Pierre le Grand, après avoir noué
contact avec les pays plus avancés d’Occident, fit construire
fébrilement des usines et des fabriques destinées à assurer le
ravitaillement de l’armée et à renforcer la défense du pays, ce
fut là une tentative originale de remédier à ce retard. On conçoit
cependant aisément qu’aucune des anciennes classes, ni
l’aristocratie féodale, ni la bourgeoisie, n’ait pu se charger
de liquider cet état arriéré de notre pays.
Bien plus : ces classes non seulement
n’étaient pas en mesure de s’acquitter de cette tâche, mais
elles étaient même incapables de la formuler d’une façon plus ou
moins satisfaisante.
Le retard séculaire de notre pays ne saurait être
liquidé que sur la base de l’édification socialiste. Et seul le
prolétariat, qui a instauré sa dictature et tient en main la
direction du pays, réussira à mener à bien cette liquidation.
Il serait puéril de vouloir nous consoler en
disant que puisque nous ne sommes pour rien dans le retard, que cet
état de choses nous a été légué par l’histoire de notre pays,
nous ne pouvons et ne devons pas en supporter la responsabilité.
Ce n’est pas juste. Dès l’instant où nous
avons pris le pouvoir, où nous nous sommes chargés de transformer
le pays sur la base du socialisme, nous revendiquons toutes les
responsabilités. Et c’est parce que nous en revendiquons les
responsabilités que nous nous devons de liquider notre retard
technique et économique.
C’est pour nous une obligation, si nous voulons
réellement rattraper et dépasser les pays capitalistes avancés.
Or, il n’y a que nous, bolcheviks, qui pouvons
le faire et personne d’autre. Et c’est justement pour mener à
bien cette tâche que nous devons réaliser systématiquement un
rythme accéléré de développement de notre industrie. Or, il n’est
personne qui ne se rende clairement compte aujourd’hui que nous
sommes en train de réaliser un rythme accéléré de développement
de notre industrie.
La nécessité de rattraper et de dépasser les
pays capitalistes avancés sous le rapport technique et économique
n’a pour nous autres bolcheviks, rien de nouveau ni d’imprévisible.
Cette question nous l’avons posée déjà en
1917, au cours de la période d’avant la révolution d’Octobre.
Cette question fut soulevée par Lénine déjà en septembre 1917, à
la veille de la révolution d’Octobre, pendant la guerre
impérialiste, dans sa brochure intitulée la Catastrophe imminente
et les moyens de la conjurer. Voici ce que dit Lénine à ce sujet :
Elle [la révolution] a eu pour résultat de
porter en quelques mois la Russie, dans l’ordre politique, au
niveau des pays les plus avancés.
Mais cela ne suffit pas. La guerre est inflexible,
elle pose la question en termes inexorables : périr ou rattraper et
dépasser les paysavancés, même sur le terrain économique.
Il faut périr ou aller de l’avant à toute
vapeur. La question est ainsi posée par l’histoire (Lénine,
Œuvres complètes, t. XXI, p. 234. Edit. Soc. Int.).
Voilà comment Lénine posait d’une façon
tranchante la question de la liquidation de notre retard technique et
économique.
Tout cela avait été écrit par Lénine à la
veille de la révolution d’Octobre, pendant la période qui précéda
la prise du pouvoir par le prolétariat, alors que les bolcheviks
n’avaient encore ni pouvoir, ni industrie socialisée, ni un vaste
réseau ramifié de coopératives, englobant des millions de paysans,
ni exploitations agricoles collectives, ni fermes d’État.
Or, aujourd’hui, où nous possédons une
certaine base réelle pour liquider à fond notre retard technique et
économique, nous pourrions paraphraser le passage de Lénine à peu
près comme suit : « Nous avons rattrapé et dépassé les pays
capitalistes avancés au point de vue politique, en
instituant la dictature du prolétariat.
Mais ce n’est pas assez. Nous devons utiliser la
dictature du prolétariat, notre industrie socialisée, le transport,
notre système de crédit etc., la coopération, les exploitations
agricoles collectives, les fermes d’État, etc. — pour rattraper
et dépasser, les pays capitalistes avancés, sous le rapport
économique aussi. »
L’application d’un rythme accéléré au
développement de notre industrie ne s’imposerait pas aussi
impérieusement qu’elle s’impose en ce moment, si nous possédions
une industrie et une technique aussi avancées qu’en Allemagne, par
exemple ; si le rôle de notre économie nationale était aussi
important qu’en Allemagne, par exemple.
Dans ce cas, nous pourrions développer notre
industrie à un rythme moins accéléré, sans avoir à craindre de
nous laisser distancer parles capitalistes et sachant que nous
pouvons les devancer d’un seul coup.
Mais, c’est qu’alors le retard technique et
économique qui se fait vivement sentir chez nous serait inexistant.
Il n’en est rien. Sous ce rapport, nous sommes en retard sur
l’Allemagne et bien loin de l’avoir rattrapée au point de vue
technique et économique.
Le rythme accéléré de développement industriel
ne s’imposerait pas aussi impérieusement si, au lieu d’être
l’unique pays de dictature du prolétariat, nous représentions un
des pays de dictature du prolétariat ; si le prolétariat
exerçait le pouvoir non seulement dans notre pays, mais aussi dans
d’autres pays plus avancés, tels que l’Allemagne et la France.
Dans ce cas, l’encerclement capitaliste ne
serait pas pour nous un danger aussi grave qu’il l’est
aujourd’hui ; la question de l’indépendance économique de
notre pays serait reléguée, tout naturellement, au second plan ;
nous pourrions nous intégrer dans un système d’Etats prolétariens
plus avancés, qui nous fourniraient des machines pour enrichir notre
industrie et notre agriculture, en échange de matières premières
et de produits alimentaires ; nous pourrions, par suite,
développer notre industrie à une allure moins rapide.
Mais vous savez fort bien que ces conditions nous
font encore défaut, et que nous sommes pour le moment l’unique
pays de dictature du prolétariat, entouré de pays capitalistes dont
beaucoup sont très en avant de nous au point de vue technique et
économique.
Voilà la raison pour laquelle la nécessité de
rattraper et de dépasser les pays capitalistes avancés dans le
domaine économique, était, selon Lénine, une question de vie et de
mort pour notre développement.
Tels sont les facteurs extérieurs qui commandent
d’adopter un rythme accéléré de développement de notre
industrie.
Facteurs intérieurs. — Mais en dehors des
facteurs extérieurs, il enexiste d’ordre intérieur qui nous
commandent l’application d’un
rythme accéléré de développement de notre
industrie, base première de toute notre économie nationale.
Je veux parler du grand retard de notre
agriculture, de sa technique, de son outillage. Je veux parler des
petits producteurs qui forment dans notre pays la majorité
prédominante, dont la production est en état de dispersion et les
procédés de travail rudimentaires, et au milieu desquels notre
grande industrie socialisée est comme une île en pleine mer, île
dont la base s’élargit chaque jour, mais qui n’en est pas moins
une île en pleine mer.
On répète couramment chez nous que l’industrie
est l’élément dirigeant de toute l’économie nationale y
compris l’agriculture ; que l’industrie est la clé au moyen
de laquelle on réussira à remanier sur la base du collectivisme,
l’agriculture arriérée et morcelée. Cela est tout à fait exact.
Nous ne devons pas nous départir de ce principe l’espace d’une
seconde.
Mais il ne faut pas oublier, d’autre part, que
si l’industrie est un élément décisif, l’agriculture sert de
base au développement de l’industrie, d’abord comme marché
absorbant la production industrielle, puis comme pourvoyeur de
matières premières et de denrées alimentaires, et enfin comme
source de réserves pour l’exportation destinées à assurer
l’entrée de l’outillage pour les besoins de l’économie
nationale.
Pourra-t-on faire progresser l’industrie en
laissant l’agriculture dans un état de technique absolument
arriérée, sans assurer à l’industrie une base agricole, sans
réorganiser l’agriculture et sans l’ajuster au niveau de
l’industrie ? Non, évidemment.
Il en résulte que nous devons assurer au maximum
à l’agriculture l’outillage et les moyens de production afin
d’accélérer et d’activer sa réorganisation sur une nouvelle
base technique.
Mais pour atteindre cet objectif, il est
indispensable d’adopter un rythme accéléré de développement de
notre industrie. Bien entendu, la reconstruction de l’agriculture
éparpillée et morcelée est une chose infiniment plus difficile que
la reconstruction de l’industrie socialiste unifiée et
centralisée. Mais cette tâche s’impose à nous et nous devons
nous en acquitter.
Or, on ne saurait résoudre cette question que sur
la base d’un rythme accéléré de développement de notre
industrie.
On ne saurait indéfiniment, interminablement,
c’est-à-dire pendant une trop longue période, faire reposer le
pouvoir soviétique et l’édification socialiste sur deux bases
différentes : l’industrie socialiste la plus grande et la
plus unifiée et la petite économie paysanne, arriérée et
dispersée.
Il faut faire passer graduellement, mais
systématiquement et avec persévérance, l’agriculture sur une
nouvelle base technique, sur la base de la grosse production, en
l’ajustant au niveau de l’industrie socialiste.
Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et
alors la victoire définitive nous sera assurée, ou bien nous
l’abandonnerons sans résoudre le problème, — et alors la
restauration capitaliste peut devenir imminente.
Voici ce que dit Lénine à ce sujet :
Tant que nous vivons dans un pays de petits
cultivateurs, le capitalisme possède en Russie une base économique
plus solide que le communisme. Il faut se bien mettre dans la tête
cette vérité. Tous ceux qui observent attentivement la vie de la
campagne en la comparant à celle de la ville, savent que nous
n’avons pas encore fait disparaître les racines du capitalisme ni
sapé la base, le fondement de l’ennemi intérieur.
Celui-ci s’appuie sur la petite production ; or
il n’est qu’un seul moyen de le battre en brèche, c’est de
doter l’ensemble de notreéconomie nationale, y compris
l’agriculture d’une nouvelle base technique, de la base technique
de la grande industrie moderne.
Cette base ne peut être que l’électricité. Le
communisme c’est le régime soviétique plus l’électrification
de tout le pays. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI, VIIIe congrès
panrusse des Soviets ».)
Comme on le voit, par électrification du pays,
Lénine entend non la construction isolée de quelques stations
électriques, mais « le transfert de l’économie nationale, y
compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base
technique de la grande industrie moderne », qui se rattache d’une
façon ou de l’autre, directement ou indirectement, à
l’électrification.
Le discours dont j’ai extrait ce passage a été
prononcé par Lénine au VIIIe congrès des Soviets en décembre
1920, la veille même de l’instauration de la Nouvelle politique
économique, quand il lança l’idée de ce que l’on a appelé le
plan Goelro ; le plan d’électrification de l’ensemble du
pays. En partant de ce fait, certains camarades prétendent que les
idées exposées dans ce passage de Lénine sont inapplicables à la
situation actuelle. Pourquoi ?
Parce que, — disent-ils, — depuis cette époque
beaucoup d’eau s’est écoulée. C’est juste.
Nous avons aujourd’hui une industrie socialiste
développée ; nous avons des exploitations agricoles collectives,
comme un phénomène de masse ; nous avons de vieilles et
nouvelles fermes d’État, un réseau serré de coopératives
développées ; nous avons des dépôts de location d’outillage
desservant les exploitations paysannes individuelles ; nous avons les
contrats de consignations, nouvelle forme d’union entre la campagne
et la ville ; or, nous pouvons dès aujourd’hui mettre en
action tous ces leviers et bien d’autres encore pour placer
graduellement l’agriculture sur la base de la technique moderne.
Tout cela est juste. Il n’en est pas moins vrai
que malgré tout nous demeurons toujours un pays agricole, où
prédomine la petiteproduction. Or, c’est là l’essentiel. Et
tant que ce facteur essentiel subsistera, la thèse de Lénine
restera en vigueur : « tant que nous vivons dans un pays de
petits cultivateurs, notre pays présente pour le capitalisme une
base économique plus solide que pour le communisme ». Le danger de
la restauration capitaliste n’est donc pas une phrase creuse.
Les mêmes idées sont exprimées par Lénine,
quoique dans une forme plus tranchante, dans sa brochure Sur
l’impôt alimentaire, écrite déjà après l’introduction de
la Nouvelle politique économique. (Avril-mai 1921.)
Si nous entreprenons l’électrification du pays
pour aboutir dans 10-20 ans, l’individualisme du petit cultivateur
et le commerce libre, exercé par ce dernier sur le plan local ne
seraient plus à redouter.
Mais sans l’électrification, le retour au
capitalisme est imminent en tout état de cause.
Et puis plus loin :
10 ou 20 années de rapports réguliers avec la
paysannerie nous assureront la victoire à l’échelle
internationale (même si les révolutions prolétariennes en
gestation tardent à éclater). Sinon, nous serons voués aux
horreurs de la terreur des gardes blancs pendant 20 ou 40 ans.
(Recueil Lénine, t. IV. p. 374. Edition russe.)
On voit donc que Lénine pose la question d’une
façon tranchante : ou l’électrification, c’est-à-dire « le
placement de toute l’économie nationale, y compris l’agriculture,
sur une nouvelle base technique, sur la base de la grande production
moderne », ou le retour au capitalisme.
Voilà comment Lénine pose la question des «
justes rapports » avec les paysans. Il ne s’agit point de flatter
les paysans ni de considérer cette flatterie comme des rapports
rationnels.
Non, avec cette méthode on n’ira pas très
loin. Il s’agit d’aider les paysans à faire passer leur économie
« sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la
grande industrie moderne ». C’est là le moyen essentiel qui
affranchira les paysans de leur misère.
Or, il serait impossible de donner à l’économie
nationale une nouvelle base technique, sans appliquer un rythme
accéléré de développement à notre industrie, et avant tout, à
notre industrie des moyens de production.
Tels sont les facteurs intérieurs qui nous
commandent un rythme accéléré de développement de l’industrie.
Voilà à quels facteurs, extérieurs et
intérieurs, est due la tension des « chiffres de contrôle » de
notre économie nationale.
Voilà la raison pour laquelle nos plans
économiques, budgétaires et extra-budgétaires sont conçus sous le
signe d’une « tension », sous le signe d’investissements
considérables dans les grands travaux d’édification, ayant pour
but de maintenir le rythme accéléré de développement de notre
industrie.
On peut demander : « Où cela figure-t-il
dans les thèses, à quel passage de nos thèses pouvons-nous nous
référer ? » Une voix : Oui, où cela est-il dit ?
Le montant des investissements dans l’industrie
pour 1928/29, indiqué dans les thèses en fait foi. Car celles-ci
portent le nom de thèses sur les « chiffres de contrôle ».
N’est-ce pas ainsi ? Une voix : Oui.
Eh bien, dans ces thèses il est dit que nous
engageons dans l’industrie, au titre de grands travaux de
construction pour 1928/29, 1.650 millions de roubles.
En d’autres termes, nous investissons dans
l’industrie, cette année, 330 millions de roubles de plus que
l’année dernière. Ainsi, non seulement nous conservons le rythme
accéléré de développement industriel, mais nous franchissons
encore un pas en avant, en engageant dans l’industrie une somme
supérieure à celle de l’an dernier, c’est-à-dire en
élargissant les grands travaux de construction relativement et
absolument.
C’est là le pivot des thèses sur les «
chiffres de contrôle » de l’économie nationale. Or, l’essentiel
a échappé à bon nombre de nos camarades. Ils ont critiqué sous
toutes leurs faces les thèses sur les chiffres de contrôle, sans
avoir pu discerner l’essentiel.
II Le problème des céréales
J’ai traité jusqu’ici la première question
fondamentale des thèses, celle du rythme de développement de notre
industrie. Passons maintenant à la deuxième question fondamentale,
à savoir : la question des céréales. Ce qui caractérise nos
thèses, c’est qu’elles s’attachent au problème du
développement de l’agriculture en général et sur celui des
céréales en particulier.
Cette orientation est-elle juste ? Je crois
que oui.
Déjà, à la séance plénière de juillet, on a
dit que le point le plus faible dans le développement de notre
économie nationale était l’état extrêmement arriéré de notre
agriculture en général, de notre économie des céréales en
particulier.
Ceux qui prétendent que notre agriculture est en
retard sur l’industrie et s’en plaignent font preuve de légèreté.
L’agriculture a été et sera toujours en retard sur l’industrie.
Cela est surtout vrai dans nos conditions où
l’industrie est concentrée au maximum et l’agriculture dans un
état de dispersion extrême. Il est clair que l’industrie unifiée
se développera plus rapidement que ne le fera l’agriculture
éparpillée.
De là le rôle dirigeant de l’industrie à
l’égard de l’agriculture. Aussi le retard habituel de
l’agriculture sur l’industrie n’autorise-t-il pas encore à
poser la question des céréales.Le problème de l’agriculture et,
en particulier, celui de la production des céréales ne font leur
apparition que lorsque le retard habituel de l’agriculture sur
l’industrie se transforme en un rythme excessivement lent de
développement.
Ce qui caractérise l’état actuel de l’économie
nationale c’est que le rythme de développement de la production
des céréales marque un retard démesuré sur le rythme du
développement industriel, cependant que la demande de céréales, de
la part des villes et des centres industriel en plein essor, prend
des proportions colossales.
Notre tâche n’est pas de ralentir le rythme du
développement industriel au niveau de l’économie des céréales
(il n’en résulterait que de la confusion qui ferait rétrograder
toute l’évolution), mais de rajuster le développement de la
production des céréales au rythme du développement de l’industrie,
pour relever le rythme du développement de la production des
céréales à un niveau susceptible d’assurer le progrès rapide de
toute l’économie nationale, de l’industrie et de l’agriculture.
Ou bien nous nous acquitterons de cette tâche, et
c’est ainsi que le problème des céréales sera résolu, ou bien
nous ne nous en acquitterons pas, et alors la rupture entre la ville
socialiste et la campagne des petits cultivateurs est imminente.
Voilà comment la question se pose.
Voilà en quoi consiste le problème des céréales.
Est-ce à dire que nous assistons à un « temps
d’arrêt » dans le développement de la production des céréales,
voire même à sa « dégradation ». C’est ainsi que le camarade
Froumkine formule la question dans sa seconde lettre que, sur sa
demande, nous avons fait distribuer aujourd’hui aux membres du
Comité central et de la Commission centrale de contrôle. Dans cette
lettre, il ditouvertement que l’agriculture se trouve dans un état
de stagnation.
« Nous ne pouvons, — dit-il, — et ne devons
pas parler dans la presse de dégradation, mais, à l’intérieur du
Parti, nous n’avons pas à dissimuler que ce retard équivaut à
une dégradation. » Cette affirmation du camarade Froumkine est-elle
fondée ? Non, certes.
Nous autres, membres du Bureau politique, ne
partageons nullement cette affirmation, et les thèses du Bureau
politique sont entièrement en désaccord avec cette façon de
présenter l’état actuel de la production des céréales.
En effet, qu’est-ce que la dégradation et en
quoi doit-elle consister quant à l’agriculture ? Elle doit
visiblement se manifester dans un mouvement de recul de
l’agriculture, vers le bas, mouvement allant des nouvelles formes
de culture aux formes moyenâgeuses.
Elle doit se traduire, disons par le passage des
paysans de l’assolement triennal au système des jachères, de la
charrue et de la machine modernes à la charrue primitive, des
semences sélectionnées et de haute qualité aux semences non
sélectionnées et de qualité inférieure, des procédés modernes
de culture aux procédés primitifs, et ainsi de suite.
Mais en est-il vraiment ainsi ?
Nul n’ignore que des dizaines et des centaines
de milliers de « feux » paysans passent chaque année de
l’assolement triennal à l’assolement quadriennal et plus,
remplacent les semences de qualité inférieure par celles de qualité
supérieure, l’araire par la charrue moderne et les machines, les
procédés anciens de culture par des procédés modernes de culture.
Y a-t-il là dégradation ?
Le camarade Froumkine aime en général à
s’accrocher aux pans du vêtement de tel ou tel membre du Bureau
politique pour justifier son point de vue à lui. Il est fort
possible qu’en l’espèce il cherche également à s’accrocher
aux pans du vêtement du camarade Boukharine et s’efforce de
démontrer que ce dernier dit « la même chose » dans son article :
« Notes d’un économiste ».
Or, le camarade Boukharine est loin de dire « la
même chose ». Dans son article, le camarade Boukharine a posé de
façon abstraite, théorique, la question de la possibilité ou du
danger de la dégradation.
Abstraitement parlant, cette façon de poser la
question est fort possible et logique.
Mais que fait le camarade Froumkine ? Il
transforme la question abstraite de la dégradation éventuelle en un
fait accompli de la dégradation agricole. Et c’est ce qu’il
appelle analyse de l’état de la production des céréales. Rien de
plus ridicule.
Il serait bien bas, le régime soviétique, si, à
la onzième année de son existence, il avait amené l’agriculture
à une dégradation ! Mais un tel régime mériterait qu’on le
chassât et non qu’on le soutînt ! Et il est certain que les
ouvriers auraient depuis longtemps renversé un tel régime, s’il
avait amené l’agriculture à la dégradation. Ce sont les
spécialistes bourgeois de tout ordre, qui crient à la dégradation
de l’agriculture qu’ils voient en songe.
A un moment donné Trotski aussi avait crié à la
dégradation. Je ne pensais pas que le camarade Froumkine irait
s’engager dans cette voie épineuse.
Sur quoi le camarade Froumkine cherche-t-il à
baser son affirmation relative à la dégradation ?
D’abord sur ce fait que cette année la surface
des terres cultivées en céréales se trouve être inférieure à
celle de l’année dernière. A quoi cela tient-il ? A la
politique du gouvernement soviétique peu-têtre ? Non certes.
Cela s’explique par la perte des blés d’hiver
dans la région des steppes de l’Ukraine et, en partie, dans le
Caucase du Nord, ainsi que par la sécheresse qui a sévi cet été
dans la même région de l’Ukraine.
Sans ces facteurs climatériques défavorables,
auxquels l’agriculture se trouve entièrement soumise, nous
aurions, cette année, une superficie de terres cultivées en
céréales dépassant de un million de« déciatines » au moins
celle de l’année dernière.
Il essaie de fonder ensuite son assertion sur le
fait que cette année notre production globale de céréales ne
dépasse que de très peu celle de l’année dernière (de 70
millions de pouds) et que la récolte de froment et de seigle est
inférieure à celle de l’année dernière de 200 millions de pouds
environ. Mais comment faut-il expliquer ce fait ?
Toujours par les mêmes phénomènes
climatériques : sécheresse et perte des blés d’hiver
provoquée par la rigueur des froids. Sans ces facteurs climatériques
défavorables, la production globale de céréales dépasserait cette
année de 300 millions de pouds celle de l’année dernière.
Comment peut-on faire abstraction de facteurs
aussi sérieux que la sécheresse, le gel, etc., facteurs décisifs
pour la récolte dans telles ou telles régions ?
Nous nous assignerons aujourd’hui la tâche
d’élargir de 7 % la surface d’ensemencement, de relever de 3 %
le rendement du sol et d’augmenter de 10 %, je crois, la production
globale de céréales. Il est hors de doute que nous ferons tout ce
qui est en notre pouvoir pour nous acquitter de ces tâches.
Mais il n’est pas impossible, malgré toutes les
mesures que nous aurons prises, que nous ayons à faire face à une
récolte insuffisante, partielle, à une période de sécheresse ou
de gel dans telle ou telle région.
Il est possible que l’ensemble de ces
circonstances entraîne un fléchissement de la production globale de
céréales par rapport à celle prévue par nos plans, voire même à
celle de cette année.
Est-ce à dire que l’agriculture « décroît »,
que cette « déchéance » est imputable à la politique du
gouvernement soviétique ; que nous avons « privé » le paysan
de ce qui lui servait de stimulant économique, que nous l’avons «
dépouillé » de la perspective économique ?Il y a quelques années,
Trotski était tombé dans la même erreur en affirmant que tes «
pluies » n’exerçaient aucune influence sur l’agriculture. Rykov
lui a répliqué, soutenu par l’immense majorité des membres du
Comité central.
Aujourd’hui Froumkine tombe dans la même
erreur, en négligeant les conditions de climat qui jouent un rôle
décisif pour l’agriculture, et en s’efforçant d’imputer à la
politique de notre parti tous les malheurs.
Quels sont les moyens et les voies propres à
relever le rythme de développement de l’agriculture, en général,
et de la production des céréales en particulier ? Nous en
repérons trois : a) relever le rendement du sol et élargir la
surface cultivable des exploitations individuelles des paysans
pauvres et moyens ; b) développer les exploitations agricoles
collectives ; c) élargir les vieilles fermes d’État et en
créer de nouvelles.
Ces points figurent déjà dans la résolution du
Plénum de juillet. Les thèses qui ne font que reprendre ce qui a
été dit au Plénum de juillet, posent la question en plus concret,
en la commentant par des chiffres relatifs aux capitaux engagés. Ici
encore, le camarade Froumkine a trouvé le moyen de s’accrocher.
Il croit qu’il suffit que la culture
individuelle tienne le premier rang et que les exploitations
agricoles collectives et fermes d’État viennent en deuxième et
troisième lieu pour assurer le triomphe de son point de vue.
Cela est ridicule. Bien entendu, si on se place au
point de vue de l’importance de telles ou telles formes
d’agriculture, il faudra mettre au premier plan les exploitations
individuelles qui fournissent presque six fois plus de blé-marchand
que les fermes collectives et d’État.
Mais si on se place au point de vue du type de
culture, au point de vue des formes de culture qui nous sont le plus
proches, il faudra mettre au premier plan les fermes collectives et
d’État, qui constituent le type supérieur d’agriculture
comparativement auxexploitations individuelles paysannes.
Est-il besoin de démontrer que les deux points de
vue sont également acceptables ? Quelles mesures faut-il
prendre pour que notre travail suive les trois chemins indiqués,
pour que soit réalisée pratiquement une accentuation du rythme de
développement de l’agriculture et, avant tout, de la production
des céréales ?
Il faudra, avant tout, attirer l’attention des
cadres de notre parti sur l’agriculture et, en premier lieu, sur
les problèmes concrets relatifs à la production des céréales. Il
faut abandonner les généralités et le bavardage sur l’agriculture
en général ; il est temps de nous occuper enfin de rechercher
les mesures pratiques, susceptibles de relever la production des
céréales conformément aux conditions respectives des diverses
régions.
Il est temps de passer de la parole à l’acte,
d’aborder enfin la question concrète de savoir comment relever le
rendement du sol et élargir la surface d’ensemencement des
exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens ;
comment améliorer et développer ultérieurement les exploitations
agricoles collectives et les fermes d’État; comment organiser
l’aide que les exploitations collectives et fermes collectives
fourniraient aux paysans, au point de vue de leur ravitaillement en
semences de meilleure qualité, en meilleures espèces le bétail ;
comment organiser l’aide aux paysans en machines et outillage
agricoles par l’intermédiaire de dépôts de location ;
comment élargir et améliorer les contrats de consignation et, en
général, la coopération agricole, etc.
Une voix : C’est du praticisme !
Un tel praticisme nous est absolument nécessaire,
sinon nous risquons de noyer dans un verbalisme creux sur
l’agriculture en général, la solution nécessaire de la question
des céréales.
Le Comité central a décidé que des rapports
concrets concernant lesquestions du développement de l’agriculture
seront faits par nos
militants responsables des principales régions de
blé au Conseil des commissaires du peuple et au Bureau politique.
Au cours de ce Plénum, vous entendrez le rapport
du camarade Andréev sur les moyens de résoudre le problème des
céréales dans le Caucase du Nord.
Je pense que plus tard nous aurons à entendre des
rapports analogues de l’Ukraine, de la Région centrale du
Tchernoziom (Terre noire), du Volga, de la Sibérie, etc. Cela est
absolument indispensable pour attirer l’attention du Parti sur le
problème des céréales, et pour inciter enfin, les cadres de notre
parti à aborder concrètement les questions se rattachant à la
production des céréales.
Il faut, en second lieu, que nos militants du
Parti travaillant dans la campagne sachent faire une distinction
rigoureuse, au cours de leur travail, entre les paysans moyens et les
koulaks, ne les mettent pas tous dans le même sac et ne frappent pas
le paysan moyen alors que c’est le koulak qu’il faut battre. Il
est temps de liquider ces soi-disant erreurs. Prenons, par exemple,
la question de l’imposition individuelle.
Une décision du Bureau politique et une loi
correspondante autorisent d’appliquer l’imposition individuelle à
23 % seulement des « feux » paysans, soit à la partie la plus
riche des koulaks. Or, que voyons-nous en réalité ? Il existe
des régions où l’imposition individuelle est appliquée à 10 %,
12 % et même plus de la population paysanne, ce qui fait qu’une
partie des paysans moyens se trouve lésée.
N’est-il pas temps de mettre un terme à ce
crime ?
Au lieu d’envisager des mesures concrètes pour
liquider ces abus et tant d’autres, nos chers « critiques » se
mettant en frais d’imagination, proposent de remplacer les mots «
la partie la plus riche des koulaks » par « la partie la plus forte
des koulaks » ou par « la partie supérieure des koulaks ». Comme
si cela ne revenait au même ! Il est établi que nous avons 5 % de
koulaks.
Il est également établi que la loi n’impose à
titre individuel que 2-3 % seulement des « feux » paysans, soit la
partie la plus riche des koulaks. Il est établi que, dans la
pratique, cette loi est transgressée dans un grand nombre de
régions.
Or, les « critiques », au lieu de préconiser
des mesures concrètes pour liquider ces phénomènes, se livrent à
une critique verbale, s’obstinant à ne pas vouloir se rendre
compte que ce faisant, ils n’avancent pas les choses d’un seul
iota.
On dirait de vrais exégètes.
Une voix : On propose d’imposer
individuellement tous les koulaks.
Oui, mais alors il faudra réclamer l’abrogation
de la loi instituant l’imposition individuelle de 2 à 3 %. Or, que
je sache, personne n’a réclamé l’abrogation de la loi sur
l’imposition individuelle. On prétend que l’extension arbitraire
de l’imposition individuelle a pour but de compléter le budget
local.
Mais est-il permis de compléter le budget local
en violant la loi, en transgressant les directives du Parti ? Le
Parti existe encore chez nous, il n’est pas encore liquidé. Le
régime soviétique existe encore, il n’est pas encore liquidé. Et
si le budget local manque de ressources, il faut poser la question du
budget local, au lieu d’enfreindre les directives du Parti, de
violer les lois.
Ensuite, il faut continuer de stimuler les
exploitations individuelles des paysans pauvres et moyens. Il est
certain que l’augmentation, déjà décrétée, du prix des blés,
la mise en application des lois révolutionnaires, l’aide pratique
donnée aux paysans pauvres et moyens par la voie des contrats de
consignation, sont autant de mesures propres à stimuler notablement
l’activité économique des paysans.
Froumkine croit que nous avons tué ou presque tué
ce stimulant en dépouillant le paysan de sa perspective économique.
C’est absurde. S’il en est ainsi on ne
comprend plus sur quoi repose l’alliance de la classe ouvrière et
des grandes masses paysannes, car on ne saurait pas prétendre que
cette union soit une union morale.
Il est grand temps de comprendre que l’union de
la classe ouvrière et des paysans est une union raisonnée, l’union
des intérêts de deux classes, une union de classe des ouvriers et
des grandes masses rurales, ayant pour but d’assurer des avantages
réciproques. Il va de soi que si, en dépouillant le paysan de sa
perspective économique nous avons tué ou presque tué ce qui sert
de stimulant économique à la paysannerie, nous n’arriverions pas
à réaliser l’alliance de la classe ouvrière et de la
paysannerie.
Il est évident qu’on ne saurait parler ici de «
créer » ou de « tuer » le stimulant de l’activité économique
de la paysannerie pauvre et moyenne. Il s’agit de renforcer ce
stimulant et de le développer à l’avantage réciproque de la
classe ouvrière et des principales masses de la paysannerie. Voilà
de quoi parlent les thèses sur les chiffres de contrôle de
l’économie nationale.
Enfin, il est nécessaire de renforcer
l’approvisionnement de la campagne en marchandises. J’entends par
là aussi bien des articles de consommation que (surtout) des
marchandises d’ordre industriel (machines, engrais, etc.),
susceptibles de relever la production agricole.
On ne peut dire que tout est pour le mieux dans ce
domaine. Vous n’ignorez pas que la disette de marchandises est loin
d’être liquidée et qu’elle ne le sera pas de sitôt. Dans
certains milieux de notre parti, il existe cette illusion que nous
pouvons, dès maintenant, liquider la disette de marchandises.
Malheureusement cela est faux. Il ne faut pas
oublier que la disette de marchandises est liée, d’une part, au
mieux-être des ouvriers et des paysans et à l’accroissement
colossal de la capacité d’achat de marchandises, dont la
production, qui augmente d’année en année, ne suffit pas à faire
face à toute la demande et, d’autre part, à la période actuelle
de la reconstruction industrielle.
La reconstruction de l’industrie comporte un
déplacement de ressources du domaine de la production des moyens de
consommation vers celui de la production de moyens de production.
Sans cette condition, il ne saurait y avoir de
reconstruction industrielle sérieuse, surtout dans nos conditions
soviétiques. Mais qu’est-ce à dire ?
Cela veut dire que l’on engage des capitaux dans
les travaux de construction de nouvelles entreprises ; que le
nombre des villes et des nouveaux consommateurs s’accroît, tandis
que les nouvelles entreprises ne pourront fournir de nouvelles
quantités de marchandises que dans 3 ou 4 ans.
Il apparaît donc clairement que cette
circonstance ne saurait favoriser la liquidation de la disette de
marchandises. Faut-il en déduire que nous devons nous croiser les
bras et avouer notre impuissance face à la disette de marchandises ?
Non. Nous pouvons et devons prendre des mesures
concrètes pour atténuer, pour affaiblir cette disette. Cela est
possible et nous devons le faire dès maintenant.
Pour cela, il faut accentuer l’activité des
branches d’industrie dont dépend directement l’essor de la
production agricole (l’usine de tracteurs de Stalingrad, celle de
machines agricoles de Rostov, celle de trieurs de Voronèje, etc.).
A cet effet, il faudra aussi renforcer, dans la
mesure du possible, les branches d’industrie susceptibles
d’augmenter la quantité de marchandises manquantes (draps,
verrerie, clous, etc.).
Le camarade Koubiak a fait remarquer que d’après
les chiffres decontrôle de l’économie nationale, on accorde cette
année aux
exploitations agricoles individuelles moins de
facilités que l’année dernière.
Je crois que ce n’est pas exact. Le camarade
Koubiak ne tient visiblement pas compte du crédit de 300 millions de
roubles que nous avons consenti cette année aux paysans par contrat
de consignation (presque cent millions de plus que l’année
dernière).
Si l’on tient compte de ce fait — impossible
de ne pas le faire — on comprendra que nous donnons, cette année,
aux exploitations individuelles plus d’avantages que l’an
dernier. Quant aux exploitations agricoles collectives et fermes
d’État, anciennes et nouvelles, nous y investissons 180 millions
de roubles environ (soit 75 millions de plus que l’année
dernière).
Il faut surtout prêter une attention suivie aux
exploitations agricoles collectives et d’État et aussi aux
contrats de consignation. Ces formes de culture ne doivent pas être
considérées seulement comme un moyen servant à augmenter nos
ressources en céréales.
Elles constituent en même temps une forme
nouvelle de trait d’union entre la classe ouvrière et les
principales masses paysannes. Les contrats de consignation ont déjà
été suffisamment examinés chez nous, et je ne m’étendrai pas
longuement sur ce sujet.
Tout le monde se rend compte que l’application
des contrats de consignation en masse permet d’unifier les efforts
fournis par les exploitations paysannes individuelles ; elle
apporte un élément de constance aux rapports entre l’État et les
paysans, et renforce ainsi l’alliance entre la ville et la
campagne.
Je voudrais attirer votre attention sur les
exploitations agricoles collectives et surtout sur les fermes d’État,
qui sont comme des leviers aidant à transformer l’agriculture sur
la base de la technique moderne, à opérer une révolution dans
l’esprit des paysans et à libérer les masses rurales de la
routine et de leurs habitudes séculaires.
L’apparition des tracteurs, des grosses machines
agricoles et des colonnes de tracteurs dans nos régions productrices
de blé n’est pas sans laisser des traces sur les exploitations
agricoles des localités environnantes.
L’aide que nous apportons aux paysans des
localités environnantes en semences, machines et tracteurs sera
certainement appréciée par les paysans ; ils y verront une
preuve de puissance et de solidité de l’État ouvrier qui
s’efforce de les acheminer vers un essor sérieux de l’agriculture.
Jusqu’à présent, nous avons négligé cette circonstance, et, je
crois qu’aujourd’hui encore nous n’en tenons pas suffisamment
compte.
Je crois cependant que c’est là l’essentiel
de ce que les exploitations agricoles collectives et les fermes
d’État donnent et peuvent donner, en ce moment, pour résoudre le
problème des céréales et renforcer l’alliance de la ville et de
la campagne, dans ses nouvelles formes.
Tels sont les voies et les moyens que nous aurons
à suivre pour résoudre la question des céréales.
III La lutte contre les déviations et
l’attitude conciliante à leur égard
Nous abordons maintenant la troisième question
fondamentale de nos thèses, celle des déviations de la ligne
léniniste.
La base sociale des déviations est la
prédominance de la petite production dans notre pays, la naissance
d’éléments capitalistes engendrés par la petite production,
l’atmosphère petite-bourgeoise qui enveloppe notre parti et,
enfin, la contamination de certains chaînons de notre parti par
cette atmosphère.
Voilà, dans ses grandes lignes, la base sociale
des déviations. Toutes ces déviations revêtent un caractère
petit-bourgeois.
A quoi se ramène la déviation de droite dont il
est question ici principalement ?
A quoi tend-elle ? Elle tend à s’adapter à
l’idéologie bourgeoise ; elle tend à adapter notre politique
aux goûts et aux besoins de la bourgeoisie « soviétique ».
Quel risque courons-nous de voir la déviation de
droite triompher dans notre parti ? Ce serait la débâcle
idéologique de notre parti, le déchaînement des éléments
capitalistes, la multiplication des chances de restauration
capitaliste ou, comme disait Lénine, le « retour au capitalisme ».
Où vont-elles surtout se nicher les tendances de
droite ? Dans notre appareil soviétique, économique,
coopératif et syndical, ainsi que dans l’appareil du Parti,
notamment aux échelons ruraux de la base.
Y a-t-il parmi nos militants du Parti des
colporteurs de la déviation de droite ?
Oui, certainement. Rykov a cité l’exemple de
Chatounovski qui s’est prononcé contre la construction du
Dniéprostroï. Il est évident que Chatounovski s’est laissé
glisser vers la déviation de droite, vers l’opportunisme
grandement affirmé. J’estime cependant que le cas de Chatounovski
n’est pas caractéristique de la déviation de droite, de son
aspect politique. Je crois qu’ici la palme revient à Froumkine.
(Rires.) Je parle de sa première lettre (juin
1928), ensuite de sa deuxième lettre qui a été distribuée ici aux
membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle
(novembre 1928).
Analysons ces deux lettres. Envisageons d’abord
la « thèse fondamentale » de la première de ces lettres.
1. « La campagne,
à part une portion insignifiante des paysans pauvres, est contre
nous. » Est-ce vrai ? Non, évidemment. Si cela était vrai, il
ne resterait plus aucune trace de l’alliance entre la ville et la
campagne. Dire que depuis le mois de juin (date de la première
lettre) presque six mois se sont déjà écoulés, et quiconque n’est
pas aveugle se rend compte que l’alliance entre la classe ouvrière
et les masses fondamentales de la paysannerie subsiste et se
renforce. Pourquoi Froumkine atil besoin d’écrire une
absurdité pareille ? Pour faire peur au Parti et le rendre moins
intransigeant à l’égard de la déviation de droite.
2. «
L’orientation adoptée depuis quelque temps a dépouillé les
paysans moyens de toutes perspectives d’avenir. »
Est-ce vrai ? Pas
le moins du monde. Il est évident que si, au printemps de cette
année, les principales masses de la paysannerie moyenne n’avaient
pas eu de perspectives d’avenir, elles se seraient bien gardé
d’étendre les emblavures de printemps dans les principales régions
de la production de blé. Les emblavures de printemps s’effectuent
chez nous en avril et mai.
Or, la lettre de Froumkine date de juin. Quel est
en régime soviétique le principal stockeur de céréales ? L’État
et la coopération qui s’y rattache. Il est évident que si la
paysannerie moyenne était dépourvue de perspectives économiques,
si elle se trouvait en état de « divorce » avec le régime
soviétique, elle se garderait bien d’agrandir les emblavures de
printemps pour complaire à l’État, qui est le principal stockeur.
Froumkine avance là une absurdité manifeste. Il essaie une fois de
plus d’intimider le Parti, en étalant les « horreurs » de cette
absence de perspectives, afin d’arracher au Parti des concessions
en faveur du point de vue que lui, Froumkine, défend.
3. « Il faut
rebrousser chemin vers le XIVe et XVe congrès. » Que le XVe congrès
ait été invoqué ici sans rime ni raison, cela ne fait pas l’ombre
d’un doute. Ce qui importe ici, ce n’est point le XVe congrès,
mais le mot d’ordre : Rebroussons chemin vers le XIVe congrès.
Qu’estce à dire ? Cela veut dire
qu’il faut renoncer à « accentuer l’offensive contre le koulak
». (Voir la résolution du XVe congrès.)
Je ne veux pas dire du mal du XIVe congrès. Il
n’en est rien. Si je le dis, c’est parce qu’en nous engageant à
rebrousser chemin vers le XIVe congrès, Froumkine conteste les
progrès que le Parti a réalisés dans l’intervalle du XIVe au XVe
congrès et qu’en niant ces progrès il tire le Parti en arrière.
Le Plénum de juillet du C.C. s’est prononcé à
ce sujet. Il a déclaré nettement dans sa résolution que ceux qui
cherchent à « passer sous silence la décision du XVe congrès —
à développer l’offensive ultérieure contre le koulak — sont
les colporteurs de tendances bourgeoises dans notre pays ».
Je dirai franchement à Froumkine que le Bureau
politique, en formulant ce passage dans la résolution du Plénum de
juillet, visait précisément Froumkine et sa première lettre.
4. « Développer
au maximum l’aide aux paysans pauvres qui rejoignent les
exploitations agricoles collectives ». Nous avons toujours, dans la
mesure de nos forces et de nos possibilités, accordé le maximum
d’aide aux paysans pauvres qui rejoignaient ou non les
collectivités agricoles.
Il n’y a là rien de nouveau. Ce qui est nouveau
dans les résolutions du XVe congrès, c’est qu’il nous a posé
comme tâche primordiale le développement intensif du mouvement de
collectivisation.
En disant que nous devons accorder le maximum
d’aide aux paysans pauvres allant aux exploitations agricoles
collectives, Froumkine tend à esquiver, à éluder la tâche imposée
au Parti par le XVe congrès et qui consiste à développer largement
les exploitations agricoles collectives.
Au fond, Froumkine s’affirme contre le
renforcement du secteur socialiste à la campagne, c’est-à-dire
contre le développement des exploitations agricoles collectives.
5. « Il ne faut
pas développer les fermes d’État sur un rythme intense et
ultraintense ». Froumkine ne peut pas ignorer que nous ;
ne faisions que commencer un travail sérieux visant à élargir les
fermes d’État et à en créer de nouvelles. Froumkine ne peut pas
ignorer que nous engageons à cette fin beaucoup moins de ressources
qu’il n’en faudrait si nous avions des réserves.
Les mots « sur un
rythme intense et ultra-intense » nous ont été servis ici pour «
faire peur » aux gens et dissimuler ainsi l’opposition de l’auteur
à toute extension plus ou moins sérieuse des fermes d’État.
Froumkine s’affirme ainsi contre le renforcement du secteur
socialiste rural dans le sens de la construction des fermes d’État.
Réunissez maintenant toutes ces thèses de
Froumkine et vous aurez les caractéristiques de la déviation de
droite.
Voyons maintenant la seconde lettre de Froumkine.
Qu’estce qui la distingue de la première ? C’est qu’elle
aggrave les erreurs de la première. La première lettre disait que
les paysans moyens manquaient de perspectives d’avenir.
Or, la seconde parle de la « dégradation » de
l’agriculture. La première lettre recommandait de rebrousser
chemin vers le XIVe congrès pour affaiblir l’offensive contre le
koulak. Dans la seconde lettre nous lisons : « Nous ne devons pas
gêner la production des économies agricoles koulaks ». La première
lettre ne parle pas du tout de l’industrie.
La seconde développe une « nouvelle » théorie
d’après laquelle il faut engager le moins de capitaux possible
dans l’industrie. Il y a cependant deux points sur lesquels les
deux lettres sont d’accord : c’est en ce qui concerne les
exploitations agricoles collectives et les fermes d’État.
Dans l’une et l’autre des deux lettres
Froumkine s’affirme contre le développement des exploitations
agricoles collectives et fermes d’État. Il est donc évident que
la seconde lettre ne fait qu’aggraver les erreurs de la première.
J’ai déjà parlé de la théorie de la «
dégradation ». Il est hors de doute que cette théorie a été
inventée de toutes pièces par les spécialistes bourgeois prêts à
proclamer la faillite du régime soviétique. Le camarade Froumkine
s’en est laissé imposer par les spécialistes bourgeois qui
pullulent au commissariat des Finances.
Aujourd’hui, il essaie lui-même d’en imposer
au Parti, afin de le rendre moins intransigeant à l’égard de la
déviation de droite. Pour ce qui est du problème des exploitations
agricoles collectives et des fermes d’État, il a été déjà
suffisamment débattu. Aussi, n’y reviendrai-je plus.
Voyons les deux autres points : les
exploitations koulaks et les investissements de fonds dans
l’industrie.
Au sujet des exploitations koulaks Froumkine dit «
que nous ne devons pas gêner la production des économies agricoles
koulaks ».
Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire que nous ne
devons pas empêcher le koulak de développer son économie. Mais que
veut dire : ne pas empêcher le koulak exploiteur de développer son
économie ? Cela veut dire : libérer le capitalisme dans les
campagnes, lui lâcher la bride, lui laisser la liberté d’action.
C’est là le vieux mot d’ordre des libéraux
français : « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire
laisser la bourgeoisie se livrer à ses occupations, la laisser agir
en toute liberté. Ce mot d’ordre avait été arboré par les
anciens libéraux français, pendant la Révolution française,
pendant la lutte contre la féodalité qui gênait la bourgeoisie et
entravait son évolution.
Il s’ensuit que nous devons aujourd’hui
abandonner le mot d’ordre socialiste visant à limiter de plus en
plus l’activité des éléments capitalistes (voyez les thèses sur
les chiffres de contrôle) passer au mot d’ordre bourgeois-libéral
qui vise à ne pas entraver le développement du capitalisme dans la
campagne.
Aurions-nous l’intention, nous autres
bolcheviks, de devenir des libéraux ? Qu’y a-t-il de commun entre
ce mot d’ordre libéral de Froumkine et la ligne du Parti ?
Froumkine : Camarade Staline, lisez aussi les
autres articles.
Je lis le passage tout entier : « Nous ne
devons pas gêner laproduction des économies agricoles koulaks, tout
en combattant les conditions d’esclavage de leur exploitation . »
Eh ! Bien, camarade Froumkine, croyez-vous que la seconde partie de
la phrase redresse la situation et ne l’aggrave pas ?
Que veut dire la lutte contre « l’exploitation
esclavagiste » ? La lutte contre les conditions d’esclavage de
l’exploitation n’est-elle pas le mot d’ordre de la révolution
bourgeoise contre les méthodes féodales ou semi-féodales
d’exploitation ?
En effet, nous avons formulé ce mot d’ordre
lorsqu’il s’agissait de la révolution bourgeoise, en distinguant
la forme esclavagiste d’exploitation que nous cherchions à
liquider, de la forme non esclavagiste, dite « progressiste » de
l’exploitation que nous ne pouvions à ce moment ni enrayer ni
supprimer, puisque le régime bourgeois continuait à exister. Mais,
à ce moment, nous nous acheminions vers la République
démocratique-bourgeoise.
Or, aujourd’hui, nous avons, si je ne m’abuse,
la révolution socialiste qui vise — et ne peut pas ne pas viser —
à l’abolition de toutes les formes d’exploitation aussi bien
esclavagistes que non esclavagistes.
Vous voulez donc, Froumkine, que nous abandonnions
la révolution socialiste que nous sommes en train de réaliser et de
pousser en avant, pour rebrousser chemin vers les mots d’ordre de
la révolution bourgeoise ? Comment pouvez-vous, Froumkine, vous
laisser aller à une telle absurdité ?
D’autre part, que veut dire : Ne pas entraver le
développement de l’économie koulak ? Cela veut dire : laisser la
liberté au koulak. Et que veut dire : laisser la liberté au koulak
?
Cela veut dire lui donner le pouvoir. Lorsque les
libéraux bourgeois de France demandaient à la féodalité de ne pas
s’opposer au développement de la bourgeoisie, ils formulaient des
revendications concrètes pour conférer le pouvoir à la
bourgeoisie. Et ils avaient raison. Pour assurer son développement,
la bourgeoisie a besoind’exercer le pouvoir.
Donc, pour être conséquent il faut dire :
laissez le koulak accéder au pouvoir, car il faut se rendre compte
qu’on entrave forcément le développement des koulaks, en leur
retirant le pouvoir et en le concentrant aux mains de la classe
ouvrière. Telles sont les conclusions qui s’imposent à la lecture
de la seconde lettre de Froumkine.
Les grands travaux d’édification industrielle.
Lors de la discussion des chiffres de contrôle nous étions en
présence de trois chiffres : le Conseil supérieur de l’économie
nationale demandait 825 millions de roubles ; la Commission des
plans d’État (Gosplan) n’en accordait que 750 millions. Le
commissariat du peuple aux Finances ne consentait à donner que 650
millions.
Quelle décision fut prise à ce sujet par le
Comité central de notre Parti ? Il fixa le chiffre à 800 millions,
soit une somme de 150 millions supérieure à celle qu’offrait le
commissariat des Finances.
Que le commissariat du peuple aux Finances en
offrait moins, cela n’a rien d’étonnant : la parcimonie de ce
commissariat est connue de tous, et il ne saurait en être autrement.
Mais la question n’est pas là. Froumkine s’en
tient au chiffre de 650 millions non par parcimonie, mais en vertu
d’une théorie fraîchement éclose sur les « possibilités » en
présence : il affirme dans sa seconde lettre et dans un article
spécial publié par l’organe du commissariat des Finances, que
nous aggraverons à coup sûr la situation de notre économie
nationale en accordant au Conseil supérieur de l’économie
nationale plus de 650 millions de roubles au titre des grands travaux
d’édification.
Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que Froumkine
s’affirme contre le rythme actuel de développement de l’industrie,
ne se rendant visiblement pas compte que le ralentissement de ce
rythme de développement est de nature à empirer pour de bon l’état
de toute notre économie nationale.
Et maintenant joignez ensemble ces deux points de
la seconde lettrede Froumkine, le point concernant l’économie
koulak et celui des grands travaux de construction industrielle,
ajoutez-y la théorie de la « dégradation » et vous verrez
apparaître la physionomie de la déviation de droite.
Voulez-vous savoir ce qu’est la déviation de
droite et sous quel aspect elle se présente ? Lisez les deux lettres
de Froumkine, étudiez-les et vous serez fixés.
Voilà donc la physionomie de la déviation de
droite.
Mais les thèses ne parlent pas que de la
déviation de droite. Elles parlent aussi de la déviation dite de «
gauche ». Qu’est-ce au juste que la déviation de « gauche » ?
Existe-t-elle réellement dans le Parti ?
Des tendances hostiles au paysan moyen, comme
l’affirment nos thèses, des tendances à la surindustrialisation
du pays, etc. se font-elles réellement jour dans notre parti ? Oui,
certes. A quoi donc se ramènent-elles ?
Elles se ramènent au trotskisme.
Déjà le C.C. élargi de juillet l’avait
constaté. Je veux parler de la résolution bien connue sur la
politique du stockage des blés, où il est dit que nous devons
engager la lutte sur deux fronts : contre ceux qui cherchent à nous
faire rebrousser chemin depuis le XVe congrès — c’est la droite
— et contre ceux qui entendent transformer des mesures
extraordinaires en l’orientation permanente du Parti — ce sont
les tendances de « gauche », les tendances trotskystes. Il est
évident que des éléments trotskistes et la tendance à l’idéologie
trotskiste se manifestent au sein de notre parti. Je crois que lors
de la discussion d’avant le XVe congrès, 6.000 membres du Parti
ont voté contre notre plate-forme.
Une voix : Dix mille.
Je crois que si dix mille ont voté contre, deux
fois dix mille militants du Parti sympathisant avec le trotskisme
n’ont pas voté du tout, puisqu’ils n’étaient pas venus aux
réunions. Ce sont les mêmes éléments trotskistes restés dans le
Parti et qui ne se sont pas encore— j’imagine — affranchis de
l’idéologie trotskiste.
En outre, il est, je crois, des éléments qui ont
rompu, par la suite, avec l’organisation trotskiste et sont revenus
au Parti, sans s’être dégagés totalement de leur mentalité
trotskiste ; ceux-là aussi ne se font évidemment pas faute de
propager leurs idées parmi les membres du Parti.
Enfin, on assiste à une certaine renaissance de
l’idéologie trotskiste dans maintes organisations de notre parti.
Mettez ensemble tous ces faits et vous aurez tout ce qu’il faut
pour trouver dans le Parti une déviation vers le trotskisme.
Rien d’étonnant : est-il possible qu’avec
l’atmosphère petite-bourgeoise qui entoure le Parti et la pression
qu’elle exerce sur lui, ce dernier soit affranchi de toutes
tendances trotskistes ? Faire arrêter et déporter les cadres des
trotskistes est une chose ; en finir avec l’idéologie trotskiste,
en est une autre. Cela est autrement difficile. Nous disons donc : là
où il y a déviation de droite, il doit y avoir aussi déviation de
« gauche ».
La déviation de « gauche » n’est que l’ombre
de la déviation de droite. Lénine disait, en parlant des otzovistes
[Tendance existant an sein du P.O.S.D.R. vers 1908-10 qui exigeait
d’abord le rappel des députés s.d. de la IIIe Douma et qui eut
ensuite encore d’autres points de vue propres.], que ceux de la
« gauche » étaient des menchéviks à rebours. C’est
tout à fait juste. Il en est de même pour ceux de la « gauche »
d’aujourd’hui.
Ceux qui dévient vers le trotskisme ne
représentent, au fond, que la droite à rebours, droite qui s’abrite
derrière la phraséologie de gauche.
C’est pourquoi nous avons à mener le combat sur
deux fronts : contre la déviation de droite et contre la déviation
de « gauche ».
On peut nous objecter : puisque la déviation de «
gauche » n’est, au fond, que la droite opportuniste, où est la
différence entre elles et à quoi se résume la lutte sur deux
fronts ?
En effet, puisque la victoire de la droite revient
à augmenter les chances de succès de la restauration capitaliste,
et si le triomphe de
la « gauche » aboutit au même résultat, quelle
différence y a-t-il donc entre ces deux déviations et pourquoi les
appelle-t-on, l’une de « droite » et l’autre de « gauche » ?
Si la différence subsiste, en quoi
consiste-t-elle ? N’est-il pas vrai que les deux déviations ont la
même origine sociale, qu’elles sont des déviations
petites-bourgeoises ? N’est-il pas vrai que l’une et l’autre,
en cas de triomphe, aboutiraient aux mêmes résultats ? Où est donc
la différence entre elles ?
La différence, c’est qu’elles ont des
plates-formes distinctes, des tâches différentes, des méthodes
d’action et des procédés différents.
Si la droite dit : « Il ne fallait pas construire
le Dniéprostroï », et que la gauche, par contre, objecte : « Que
voulez-vous que nous fassions d’un seul Dniéprostroï, donnez-nous
en pour le moins un par an » (Rires), il faut croire que la
différence est patente.
Si la droite dit : « Ne touchez pas au koulak,
laissez-le se développer en toute liberté », la gauche, par
contre, objecte : « Frappez aussi bien le koulak que le paysan
moyen, parce que celuo-ci est propriétaire au même titre que le
koulak », il faut reconnaître que la différence est manifeste
entre ces deux déviations.
Si la droite dit : «Des difficultés surviennent,
ne ferions-nous pas bien de capituler ? », la gauche, par contre,
objecte : « Oh ! les difficultés, on s’en « bat l’œil » de
vos difficultés, prenons notre élan » (Rires), il faut avouer
qu’il existe bien une différence entre ces deux déviations.
Voilà donc un tableau de la plate-forme
particulière et des procédés spécifiques de la « gauche ».
C’est à cela que tient, évidemment, la raison
qui fait que la « gauche » réussit à attirer un certain nombre
d’ouvriers à l’aide de phrases radicales sonores, et à se faire
passer pour l’adversaire le plus résolu de la droite — encore
que tout le monde sache que la déviation de droite et celle de «
gauche » reposent sur la même base sociale, et qu’il leur arrive
souvent deconjuguer leurs efforts pour combattre la ligne léniniste.
Voilà pourquoi nous autres léninistes devons
combattre sur deux fronts : contre la déviation de droite et contre
celle de « gauche ».
Mais si la tendance trotskiste représente la
déviation de « gauche », est-ce à dire que la « gauche » soit
plus à gauche que le léninisme ? Nullement. Le léninisme est le
courant le plus à gauche (sans guillemets) dans le mouvement ouvrier
mondial.
Nous autres, léninistes, nous avons fait partie
de la IIe Internationale, avant la guerre impérialiste, comme la
fraction extrême gauche des social-démocrates.
Nous avons quitté la IIe Internationale et prêché
la scission au sein de cette Internationale, parce que nous ne
voulions pas, en tant que fraction extrême gauche, coudoyer dans le
même parti les traîtres petits-bourgeois du marxisme, les
social-pacifistes et les social-chauvins. Cette tactique et cette
idéologie ont été mises, plus tard, à la base de tous les partis
bolcheviks du monde. Dans notre parti, nous autres, léninistes, nous
sommes la seule gauche sans guillemets.
Voilà pourquoi nous ne représentons ni la droite
ni la « gauche » dans notre propre parti.
Nous sommes le parti des marxistes-léninistes.
Or, au sein de notre parti, nous combattons non seulement ceux que
nous traitons ouvertement de droitiers, mais ceux encore qui veulent
être plus « à gauche » que le marxisme, plus « à gauche » que
le léninisme, en masquant leur nature de droite opportuniste sous
des phrases radicales sonores.
Tout le monde comprendra que c’est par ironie
qu’on applique le terme de « gauches » à ceux qui ne se sont pas
encore affranchis des tendances trotskistes. Lénine appliquait aux «
communistes de gauche » la dénomination de gauches, tantôt sans et
tantôt avec guillemets.
Mais tout le monde se rend compte que c’est par
ironie que Lénineles nommait ainsi, voulant souligner par là qu’ils
ne sont radicaux
qu’en paroles, qu’en apparence, mais qu’en
réalité ils représentent les tendances petites-bourgeoises de
droite.
Peut-on sérieusement parler de radicalisme (sans
guillemets), des éléments trotskistes qui, hier encore, formaient,
avec les éléments franchement opportunistes, un seul bloc
antiléniniste, et s’associaient ouvertement aux couches
antisoviétiques du pays ? N’est-il pas établi qu’hier encore la
« gauche » et la droite étaient liguées contre le Parti de
Lénine, et que ce bloc était incontestablement soutenu par les
éléments bourgeois ?
N’est-il pas évident que la « gauche » et la
droite n’auraient pu se grouper dans un même bloc, si elles
n’avaient pas de racines sociales communes, si elles n’étaient
pas dotées d’une même nature opportuniste ? Le bloc des
trotskistes s’est désagrégé il y a un an.
Une partie de la droite, tel le camarade
Chatounovski, a abandonné ce bloc.
Par conséquent, ceux du bloc de droite
s’affirmeront désormais comme les représentants de la droite,
alors que la « gauche » cherchera à camoufler sa nature de droite
sous des phrases gauchistes. Mais où est la garantie que la «
gauche » et la droite ne finiront par se rejoindre un jour ?
(Rires.) Il est évident qu’il ne saurait être question d’aucune
garantie.
Mais dès l’instant où nous nous affirmons pour
le mot d’ordre de lutte sur deux fronts, est-ce à dire que nous
proclamons par là même la nécessité du centrisme dans notre parti
? Que veut dire : lutter sur deux fronts ? N’est-ce pas du
centrisme ?
Vous savez que c’est justement ainsi que les
trotskistes cherchent à représenter la chose ; ils disent : il y a
la « gauche », c’est nous, les trotskistes, les « vrais
léninistes » ; il y a la « droite », ce sont les autres ; il
y a enfin les « centristes », qui oscillent entre la droite et la «
gauche ». Cette conception de notre parti est-elle juste ?
Non évidemment. Seuls des gens dont les idées
sont embrouillées et qui ont rompu avec le marxisme depuis longtemps
peuvent émettre des opinions semblables.
Seuls des gens qui ne perçoivent pas la
différence de principes entre le Parti social-démocrate d’avant
guerre, parti du bloc des intérêts prolétariens et
petits-bourgeois, et le Parti communiste — parti monolithe du
prolétariat révolutionnaire — peuvent raisonner ainsi.
Le centrisme n’est pas une notion d’espace :
ici, c’est la droite, là, c’est la « gauche » ; au milieu, les
centristes.
Le centrisme est une notion politique. Son
idéologie est celle du conformisme, l’idéologie de la
subordination des intérêts prolétariens à ceux de la petite
bourgeoisie au sein d’un parti commun. Or, cette idéologie est
étrangère et contraire au léninisme.
Le centrisme est un phénomène inhérent à la
IIe Internationale d’avant-guerre.
Il y avait là une droite (la majorité) et une
gauche (sans guillemets) et des centristes, dont la politique
consistait à farder, par des phrases gauchistes, l’opportunisme de
la droite et de subordonner la gauche à la droite. En quoi
consistait, à l’époque, la politique de la gauche, dont le noyau
était constitué par les bolcheviks ?
A lutter vigoureusement contre les centristes,
pour la séparation avec la droite (notamment au début de la guerre
impérialiste) et à travailler à la formation d’une nouvelle
Internationale révolutionnaire comprenant les éléments réellement
gauches, réellement prolétariens.
Comment a pu surgir, à l’époque, ce rapport
des forces et cette politique des bolcheviks à l’intérieur de la
IIe Internationale ? Parce que la IIe Internationale représentait à
ce moment le bloc des intérêts prolétariens et petits-bourgeois,
pour servir les social-pacifistes etles social-chauvins
petits-bourgeois.
Parce que les bolcheviks ne pouvaient pas ne pas
concentrer à ce moment le feu contre les centristes qui cherchaient
à subordonner les éléments prolétariens aux intérêts
petits-bourgeois. Parce que les bolcheviks se voyaient obligés alors
de prêcher la scission, sans laquelle les prolétaires n’auraient
pas pu organiser leur propre parti révolutionnaire marxiste.
Peut-on affirmer qu’il existe aujourd’hui,
dans notre parti, le même rapport des forces et que nous devons
suivre la même politique que celle suivie par les bolcheviks dans
les partis de la IIe Internationale de la période d’avant-guerre ?
Il est évident que non. Car ce serait méconnaître
la différence de principes qui existe entre un parti du bloc des
intérêts prolétariens et petits-bourgeois, et le parti monolithe
du prolétariat révolutionnaire.
Là (chez les social-démocrates), le Parti avait
une base de classe distincte ; ici (chez les communistes), il y en a
une autre toute différente.
Là, au sein de la social-démocratie, le
centrisme était un phénomène normal, puisqu’un parti
représentant des intérêts hétérogènes ne peut se passer de
centristes, et les bolcheviks étaient obligés de s’engager dans
la voie de la scission. Ici (chez les communistes), le centrisme est
inadmissible ; il est incompatible avec la discipline léniniste,
puisque le Parti communiste est un parti monolithe du prolétariat et
non un parti représentant les intérêts des différents éléments
de classe.
Et puisque la force dominante dans notre parti est
constituée par le courant le plus radical du mouvement ouvrier
mondial (le léninisme), la politique de scission dans notre parti ne
se justifie et ne peut être justifiée aucunement du point de vue
léniniste.
Une voix : La scission est-elle possible ou non
dans notre parti ?Il ne s’agit pas de savoir si la scission est
possible ou non ; je tenais
simplement à montrer que la politique
scissionniste, dans notre parti léniniste monolithe, ne saurait être
justifiée du point de vue léniniste. Quiconque ne comprend pas
cette différence de principe agit à rencontre du léninisme, rompt
avec ce dernier.
C’est pourquoi je pense que seuls les fous, des
gens entièrement détachés du marxisme, peuvent affirmer
sérieusement que la politique de notre parti, la politique de la
lutte sur deux fronts est une politique centriste.
Lénine a toujours lutté sur deux fronts dans
notre parti, il a combattu la « gauche » et les déviations
franchement menchéviks. Parcourez la brochure de Lénine la Maladie
infantile du communisme, consultez l’histoire de notre parti, et
vous vous rendrez compte que celui-ci a grandi et s’est raffermi à
travers la lutte contre les deux déviations — celle de droite et
celle de « gauche ».
Lutte contre les otzovistes et les communistes de
« gauche », d’une part ; lutte contre la déviation
franchement opportuniste avant la révolution d’Octobre, pendant la
révolution d’Octobre et depuis cette révolution, telles sont les
phases que notre parti a traversées dans son évolution. Tout le
monde se rappelle les paroles de Lénine disant que nous devons
combattre l’opportunisme aussi bien que les doctrinaires de «
gauche ».
Est-ce à dire que Lénine fut un centriste, qu’il
ait suivi la politique du centrisme ? Non, évidemment.
Mais alors, qu’est-ce donc que les déviations
de droite et de « gauche « ? En ce qui concerne la déviation de
droite, on ne saurait l’assimiler à l’opportunisme des
social-démocrates d’avant-guerre. La déviation vers
l’opportunisme ce n’est pas encore de l’opportunisme.
Nous savons comment Lénine expliquait, dans le
temps, l’idée « déviation ».La déviation à droite est une
déformation qui n’a pas encore pris la forme de l’opportunisme
et que l’on peut encore corriger.
Aussi ne doit-on pas identifier la déviation à
droite avec l’opportunisme achevé. Quant à la déviation de «
gauche », elle est l’opposé de ce qu’étaient ceux de l’extrême
gauche dans la IIe Internationale d’avant-guerre, c’est-à-dire
les bolcheviks.
Non seulement ils n’appartiennent pas à la
gauche sans guillemets, mais ils sont, en fait, les mêmes droitiers,
avec cette différence, toutefois, qu’ils dissimulent
inconsciemment leur nature véritable sous des phrases gauchistes. Ce
serait un crime contre le Parti que de ne pas voir l’abîme qui
sépare la déviation de « gauche » des léninistes authentiques,
les seuls représentants de la gauche (sans guillemets) dans notre
parti.
Une voix : Et la légalisation des déviations ?
Si la lutte ouverte contre les déviations est une
légalisation, il faudra avouer que Lénine les a « légalisées »
depuis longtemps.
Ces droitiers aussi bien que ces « gauchistes »,
se recrutent parmi les éléments les plus variés des couches
sociales non prolétariennes, éléments qui reflètent la pression
de l’atmosphère petite-bourgeoise sur le Parti et la décomposition
de certains maillons de notre parti.
Ex-adhérents à d’autres partis ; individus à
tendances trotskistes ; fragments d’anciennes fractions dans le
Parti ; militants du Parti en train de se bureaucratiser (ou qui
se sont déjà bureaucratisés) dans l’appareil administratif,
économique, coopératif, syndical, et qui, au sein de cet appareil,
font bloc avec les éléments franchement bourgeois de ces
appareils ; les membres du Parti aisés dans nos organisations
rurales, qui s’apparentent aux koulaks, etc., telle est la source
qui alimente les déviations à l’égard de la ligne léniniste. Il
est évident que ces éléments sont incapables de s’assimiler quoi
que ce soit de réellement gauche, de réellement léniniste.
Par contre, ce dont ils sont capables, c’est de
faire naître unedéviation franchement opportuniste ou la déviation
dite de « gauche
», qui masque son opportunisme sous des phrases
gauchistes.
Voilà pourquoi la lutte sur les deux fronts est
la seule politique juste du Parti.
Poursuivons. Les thèses déclarent que la méthode
essentielle de lutte contre la déviation de droite doit être la
lutte idéologique largement déployée. Est-ce juste ? Je crois que
oui. Il serait bon de se rappeler l’expérience de la lutte contre
le trotskisme. Par où avons-nous commencé le combat ? Est-ce par
des mesures disciplinaires ?
Non, évidemment. Nous avons commencé la lutte
par des moyens idéologiques. Nous l’avons livrée de 1918 à 1925.
Déjà en 1924 notre parti, et, en 1925, le Ve congrès de l’I.C.,
avaient adopté une résolution sur le trotskisme en le qualifiant de
déviation petite bourgeoise. Cependant, Trotski continuait de
siéger, chez nous, aussi bien au C.C. qu’au Bureau politique.
Est-ce vrai ou non ? Oui. Donc, nous avons «
toléré » Trotski et les trotskistes au Comité central. Comment se
fait-il que nous ayons supporté leur présence dans les organes
dirigeants du Parti ?
Mais parce que les trotskistes, à l’époque, en
dépit de leurs divergences de vues avec le Parti, se soumettaient
aux décisions du C.C. et observaient une attitude loyale. Quand nous
sommes-nous mis à user à leur égard, dans une mesure plus ou moins
large, de mesures d’organisation ?
Lorsqu’ils se furent constitués en fraction ;
après qu’ils eurent créé leur centre, transformé leur fraction
en un nouveau parti et appelé les masses à des manifestations
antisoviétiques. Je crois que nous devons suivre la même voie pour
la lutte contre la déviation de droite.
La déviation de droite n’est pas encore une
tendance nettement affirmée, cristallisée, encore qu’elle prenne
de plus en plus d’extension dans le Parti. Elle ne fait que se
préciser et se cristalliser.Les droitiers ont-ils une fraction à
eux ? Je ne le pense pas. Peut-on affirmer qu’ils ne se
soumettent pas aux décisions du Parti ? Nous ne sommes pas
encore fondés à les en accuser.
Peut-on affirmer que les droitiers finiront par
constituer une fraction à eux ? J’en doute. Une conclusion
s’impose : dans le stade actuel, la méthode essentielle de
lutte contre la déviation de droite doit être une lutte idéologique
largement déployée.
Cela est d’autant plus juste que parmi certains
militants de notre parti se fait jour une tendance inverse, visant à
amorcer la lutte contre la déviation de droite non par des méthodes
idéologiques, mais par des mesures disciplinaires.
Voici ce qu’ils disent : Livrez-nous une dizaine
ou une vingtaine de ces droitiers et nous ne serons pas longs à leur
régler leur compte et à en finir avec la déviation de droite.
J’estime, camarades, que de pareilles méthodes d’action ne sont
pas justes ; elles nous sont préjudiciables.
C’est pour ne pas nous laisser aller à de
telles méthodes, c’est pour orienter la lutte contre la déviation
de droite dans la bonne voie que nous croyons de notre devoir de
proclamer, haut et clair, qu’au stade actuel la méthode
essentielle de lutte contre la déviation de droite, est la lutte
idéologique.
Est-ce à dire que nous excluons l’éventualité
de mesures disciplinaires ?
Non, évidemment. Cela veut dire, toutefois, que
les peines disciplinaires doivent jouer ici un rôle secondaire :
si les décisions ne sont pas violées par les droitiers, nous ne
devons pas les exclure des organisations ou institutions dirigeantes.
Une voix : Et l’expérience de Moscou ?
Je pense que parmi les camarades dirigeants de
Moscou il n’y avait pas de droitiers. Il y a eu au sein de cette
organisation une position fausse envers la tendance de droite. Il
serait plus exact de dire qu’il s’agissait là d’une tendance à
la conciliation avec la déviation de droite. Mais je ne puis
affirmer qu’une déviation de droite ait existéau Comité de
Moscou.
Une voix : Et la lutte sur le terrain
d’organisation ?
Oui, il y avait bien la lutte sur le terrain
d’organisation, bien qu’elle n’y ait occupé qu’une place
secondaire. Cette lutte s’est engagée parce qu’à ce moment on
était à Moscou en pleine campagne électorale qui se poursuivait
sur la base de l’autocritique, et que les militants des comités de
rayon ont le droit de remplacer leurs secrétaires. (Rires.)
Une voix : Est-ce que les élections des
secrétaires avaient été annoncées ?
Le remplacement des secrétaires par voie
d’élection n’a jamais été défendu chez nous. L’appel de
juin du Comité central déclare, en termes précis, que
l’autocritique peut devenir un vain mot, si on n’accorde pas aux
organisations de base le droit de remplacer n’importe quel
secrétaire, n’importe quel comité. Que pouvez-vous objecter
contre un tel appel ?
Une voix : Avant la conférence du Parti ?
Oui, mettons avant la conférence du Parti.
J’aperçois un sourire d’augure sur le visage de certains
camarades. Ce n’est pas bien. Je vois que certains d’entre vous
brûlent de relever au plus vite de leurs fonctions tels
représentants de la déviation de droite. Seulement, ce n’est pas
là une solution. Bien entendu, il est plus facile de destituer des
fonctionnaires que d’engager une vaste campagne d’éclaircissement
pour expliquer aux masses en quoi consiste la déviation de droite,
le danger de droite et comment on doit le combattre. Pourtant, le
plus facile n’est pas le meilleur.
Donnez-vous donc la peine d’organiser une vaste
campagne explicative contre le danger de droite, sans ménager votre
temps, et vous verrez que plus cette campagne sera large et profonde,
et plus la déviation de droite s’en ressentira. C’est pourquoi
j’estime que le gros de notre lutte contre la déviation de droite
doit être la lutteidéologique.
Quant au Comité de Moscou, je ne vois pas très
bien ce que l’on pourrait ajouter à ce qu’a dit le camarade
Ouglanov dans son discours de clôture au Plénum du comité élargi
du Parti et de la Commission de contrôle de Moscou.
Il a déclaré littéralement ceci : « Que
l’on se rappelle un peu l’histoire ; que l’on se souvienne
comment, en 1921, je me suis battu avec le camarade Zinoviev à
Léningrad, et l’on devra avouer qu’à ce moment la « bataille »
était de beaucoup plus sérieuse. Nous fûmes vainqueurs parce que
nous avions raison. Aujourd’hui, nous avons été battus parce que
nous étions dans notre tort. Cette leçon nous servira. »
Ainsi le camarade Ouglanov a livré le combat
aujourd’hui tout comme il l’avait fait, en son temps, contre
Zinoviev. Mais à qui a-t-il livré la bataille ? A la politique
du C.C., sans doute. A qui encore ? Sur quelle base ?
Visiblement, sur la base de la conciliation avec la déviation de
droite.
Voilà pourquoi les thèses soulignent avec raison
la nécessité de combattre la conciliation avec les déviations de
la ligne léniniste et, en particulier, la conciliation à l’égard
de la déviation de droite et proclament cette lutte comme une des
tâches urgentes de notre parti.
Enfin, une dernière question. Il est dit dans les
thèses que nous devons, à l’heure actuelle, souligner surtout la
nécessité de lutter contre la déviation de droite.
Qu’est-ce à dire ? Cela veut dire qu’à
l’heure actuelle le danger de droite constitue la menace la plus
grave pour notre parti. La lutte contre les tendances trotskistes,
lutte ramassée, par surcroît, se poursuit chez nous depuis déjà
une dizaine d’années. Cette lutte a abouti à la débâcle des
cadres essentiels du trotskisme.
On ne saurait affirmer qu’au cours de ces
derniers temps la luttecontre la déviation franchement opportuniste
se soit poursuivie avec
autant de vigueur. Or, si cette lutte n’a pas
été jusqu’à présent assez intense, c’est que la déviation de
droite est encore chez nous, dans sa période de formation et de
cristallisation ; elle se renforce et s’accroît dans la
mesure où la pression petite-bourgeoise due aux difficultés
engendrées par le stockage de blé se renforce. Voilà pourquoi nous
devons diriger le gros de nos efforts contre la déviation de droite.
En terminant, je tiens à signaler, camarades,
encore un fait dont on n’a pas parlé ici et qui, à mon avis,
présente un intérêt considérable.
Nous, membres du Bureau politique, vous avons
soumis nos thèses sur les chiffres de contrôle. Dans mon discours,
j’ai défendu ces thèses que je considère comme absolument
justes. Il est possible qu’elles comportent des amendements. Mais,
dans leurs grandes lignes, elles sont justes et nous assurent la
réalisation rigoureuse de la ligne léniniste.
Cela ne fait aucun doute. Je tiens à vous dire
que ces thèses ont été adoptées au Bureau politique à
l’unanimité. Je crois que ce point a de l’importance étant
donné surtout les bruits que font courir dans nos rangs les
personnes malveillantes, les ennemis de notre parti.
Je veux parler des bruits tendant à faire croire
qu’il y aurait au sein du Bureau politique une déviation de
droite, une déviation de « gauche », une tendance à la
conciliation et bien d’autres choses encore.
Puissent ces thèses apporter une fois de plus,
pour la centième ou cent et unième fois, la preuve que nous sommes
tous, au Bureau politique, unis jusqu’au bout et le resterons. Je
forme le vœu que le Plénum adopte avec la même unanimité
l’essentiel de ces thèses.
I. Conditions extérieures et
intérieures de la révolution d’Octobre
Trois circonstances extérieures ont déterminé
la facilité relative avec laquelle la révolution prolétarienne en
Russie a réussi à rompre les chaînes de l’impérialisme et à
renverser ainsi le pouvoir de la bourgeoisie.
Premièrement, la révolution d’Octobre a éclaté
pendant la lutte acharnée des deux principaux groupes impérialistes
anglo-français et austro-allemand, cependant que ces deux groupes,
absorbés par leur lutte mortelle, n’avaient ni le temps ni les
moyens d’accorder une attention sérieuse à la lutte contre la
révolution d’Octobre.
Cette circonstance eut une importance énorme pour
la révolution d’Octobre : elle lui permit de mettre à profit les
furieuses luttes intestines de l’impérialisme pour concentrer et
organiser ses propres forces.
Deuxièmement, la révolution d’Octobre a éclaté
au cours de la guerre impérialiste, ,au moment où, torturées par
la guerre et avides de paix, les masses des travailleurs étaient
amenées, par la logique même des choses, à la révolution
prolétarienne, comme à la seule issue de la guerre.
Cette circonstance eut la plus grande importance
pour la révolution d’Octobre, car elle mit entre ses mains
l’armepuissante de la paix, lui donna la possibilité de rattacher
la révolution soviétiste au terme de la guerre abhorrée et lui
attira de cette façon la sympathie des masses autant parmi les
ouvriers d’Occident que parmi les peuples opprimés d’Orient.
Troisièmement, il existait alors un puissant
mouvement ouvrier en Europe et l’on pouvait s’attendre que la
prolongation de la guerre impérialiste déclenchât bientôt une
crise révolutionnaire en Occident et en Orient.
Cette circonstance eut, pour la révolution en
Russie, une importance inestimable, car elle lui assurait de fidèles
alliés en dehors de la Russie, dans sa lutte contre l’impérialisme
mondial.
Mais, en dehors des circonstances d’ordre
extérieur, la révolution d’Octobre fut encore favorisée par une
série de conditions intérieures qui lui facilitèrent la victoire.
Premièrement, la révolution d’Octobre pouvait
compter sur le concours le plus actif de l’énorme majorité de la
classe ouvrière de Russie.
Deuxièmement, elle avait l’appui certain des
paysans pauvres et de la majorité des soldats avides de paix et de
terre.
Troisièmement, elle avait à sa tête pour la
diriger un parti expérimenté, le parti bolchevik, fort, non
seulement, de son expérience et de sa discipline forgée au cours de
longues années, mais aussi de ses liaisons étendues avec les masses
laborieuses.
Quatrièmement, la révolution d’Octobre avait
devant elle des ennemis aussi faciles à vaincre que la bourgeoisie
russe, plus ou moins faible, la classe des propriétaires fonciers,
définitivement démoralisée par les « révoltes » paysannes, et
les partis de conciliation (menchéviks et
socialistes-révolutionnaires) en pleine faillite depuis la guerre.
Cinquièmement, elle avait à sa disposition les
immenses espaces dujeune Etat où elle pouvait manœuvrer librement,
reculer quand la situation l’exigeait, se reprendre, récupérer
ses forces, etc.
Sixièmement, elle pouvait compter, pendant la
lutte avec la contre-révolution, sur des ressources suffisantes en
vivres, en combustibles et en matières premières à l’intérieur
du pays.
La combinaison de ces conditions extérieures et
intérieures créa la situation particulière qui détermina la
facilité relative de la victoire d’Octobre.
Il ne s’ensuit pas, bien entendu, que la
révolution d’Octobre n’ait eu ses conditions défavorables à
l’extérieur comme à l’intérieur.
Rappelons, par exemple, l’isolement relatif de
cette révolution, qui n’avait aucun pays soviétiste voisin sur
lequel elle pût s’appuyer. Il n’est pas douteux qu’une
révolution en Allemagne, par exemple, se trouverait maintenant, sous
ce rapport, dans une situation beaucoup plus avantageuse, du fait
qu’elle aurait dans son voisinage un pays soviétiste aussi fort
que l’U. R. S. S. Une autre condition défavorable à la révolution
d’Octobre fut l’absence d’une majorité prolétarienne dans le
pays.
Mais ces désavantages ne font que mieux ressortir
l’importance énorme de la situation extérieure et intérieure
spéciale où se trouvait la Russie au moment de la révolution
d’Octobre.
Cette situation spéciale, il ne faut pas
l’oublier, et il convient surtout de s’en souvenir lorsqu’on
analyse les événements d’automne 1923 en Allemagne. Le camarade
Trotsky devrait se la rappeler, lui qui établit une analogie
complète entre la révolution d’Octobre et la révolution en
Allemagne et flagelle impitoyablement le parti communiste allemand
pour ses fautes réelles et prétendues.
Dans la situation concrète, extrêmement
originale de 1917, la Russie, dit Lénine, pouvait facilement
commencer la révolution socialiste, mais la continuer et l’achever
lui sera beaucoup plusdifficile qu’aux pays d’Europe.
J’ai déjà signalé cette circonstance au début
de 1918, et l’expérience des deux années qui se sont écoulées
depuis a pleinement confirmé la justesse de ma conception.
L’originalité de la situation politique russe
en 1917 tenait à quatre circonstances spécifiques :
1° la possibilité d’associer la révolution
soviétiste à la liquidation d’une guerre impérialiste qui
causait des souffrances extrêmes aux ouvriers et aux paysans ;
2° la possibilité de profiter pendant quelque
temps de la lutte à mort de deux formidables groupes de rapaces
impérialistes qui étaient dans l’impossibilité de s’unir
contre l’ennemi soviétiste ; 3° la possibilité de soutenir une
guerre civile relativement longue, tant à cause de l’étendue
considérable du pays que du mauvais état des voies de communication
;
4° l’existence dans la masse paysanne d’un
mouvement révolutionnaire bourgeois-démocratique si profond que le
parti du prolétariat adopta les revendications révolutionnaires du
parti des paysans (le parti socialiste-révolutionnaire, en grande
majorité violemment hostile au bolchévisme) et leur donna aussitôt
satisfaction grâce à la conquête du pouvoir politique par le
prolétariat.
Ces conditions spécifiques n’existent pas
actuellement en Europe occidentale et la reproduction de conditions
identiques ou analogues n’est pas très facile. Voilà pourquoi,
notamment, à côté d’autres causes multiples, commencer la
révolution socialiste sera plus difficile à l’Europe occidentale
qu’à nous (v. La maladie infantile du communisme).
II Deux particularités de la révolution
d’Octobre, ou Octobre et la théorie de la révolution permanente
de Trotsky
Il existe deux particularités de la révolution
d’Octobre qu’il est indispensable d’éclaircir avant tout, pour
comprendre le sens intérieur et la portée historique de cette
révolution.
Quelles sont ces particularités ?
C’est tout d’abord le fait que la dictature du
prolétariat a surgi chez nous sur la base de l’union du
prolétariat et des masses paysannes laborieuses, ces dernières
étant guidées par le prolétariat. C’est, d’autre part, le fait
que la dictature du prolétariat s’est affermie chez nous comme
résultat de la victoire du socialisme dans un pays où le
capitalisme était peu développé, tandis que le capitalisme
subsistait dans les autres pays de capitalisme plus développé.
Cela ne signifie pas, évidemment, que la
révolution d’Octobre n’ait point d’autres particularités.
Mais ce sont ces deux particularités qui nous
importent en ce moment, non seulement parce qu’elles expriment
clairement la nature de la révolution d’Octobre, mais aussi parce
qu’elles dévoilent merveilleusement le caractère opportuniste de
la théorie de la « révolution permanente ».
Examinons rapidement ces particularités.
La question des masses laborieuses de la petite
bourgeoisie urbaine et rurale, la question de leur ralliement à la
cause du prolétariat est une des questions capitales de la
révolution prolétarienne.
Dans la lutte pour le pouvoir, avec qui sera le
peuple travailleur des villes et des campagnes, avec la bourgeoisie
ou avec le prolétariat ? De qui sera-t-il la réserve ? De la
bourgeoisie ou du prolétariat ?De là dépendent le sort de la
révolution et la solidité de la dictature du prolétariat. Les
révolutions de 1848 et de 1871 en France furent écrasées surtout
parce que les réserves paysannes se trouvèrent du côté de la
bourgeoisie.
La révolution d’Octobre a vaincu parce qu’elle
a su enlever à la bourgeoisie ses réserves paysannes, parce qu’elle
a su les attirer du côté du prolétariat, en un mot, parce que le
prolétariat s’est trouvé être, dans cette révolution, la seule
force directrice de millions de travailleurs de la ville et de la
campagne.
Qui n’a point compris cela ne comprendra jamais
ni le caractère de la révolution d’Octobre, ni la nature de la
dictature du prolétariat, ni les particularités de la politique
intérieure de notre pouvoir prolétarien.
La dictature du prolétariat n’est pas une
simple élite gouvernementale « intelligemment sélectionnée » par
un « stratège expérimenté » et « s’appuyant rationnellement
sur telle ou telle couche de la population. La dictature du
prolétariat est l’union de classe du prolétariat et des masses
paysannes laborieuses pour le renversement du capital, pour le
triomphe définitif du socialisme, à condition que la force
directrice de cette union soit le prolétariat.
Ainsi, il n’est pas question en l’occurrence
de sous-estimer ou de surestimer « quelque peu » les possibilités
révolutionnaires du mouvement paysan.
Il s’agit de la nature du nouvel Etat
prolétarien, né de la révolution d’Octobre. Il s’agit du
caractère du pouvoir prolétarien, des bases de la dictature même
du prolétariat.
La dictature du prolétariat, dit Lénine, est une
forme spéciale d’alliance de classe entre le prolétariat,
avant-garde des travailleurs, et les nombreuses couches de
travailleurs non-prolétaires (petite bourgeoisie, petits patrons,
paysans, intellectuels, etc.) ou leur majorité, alliance dirigée
contre le capital et ayant pour but le renversement complet de ce
dernier, l’écrasement complet de la résistance de la bourgeoisie
et de ses tentatives de restauration, l’instauration définitive et
la consolidation du socialisme.
Et, plus loin :
Traduite en un langage plus simple, l’expression
latine, scientifique, historico-philosophique de dictature du
prolétariat signifie qu’une classe, celle des ouvriers urbains et
en général des ouvriers industriels, est capable de diriger toute
la masse des travailleurs et des exploités dans la lutte pour le
renversement du joug capitaliste, pour le maintien et la
consolidation de la victoire, pour la création du nouveau régime
social, le régime socialiste, et pour la suppression complète des
classes.
Telle est la théorie de la dictature du
prolétariat selon Lénine.
L’une des particularisés de la révolution
d’Octobre, c’est que cette révolution est une application
classique de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.
Certains camarades croient que cette théorie est
une théorie purement « russe », n’ayant de rapports qu’avec la
situation russe.
C’est là une erreur complète. Parlant des
masses laborieuses appartenant aux classes non-prolétariennes,
Lénine a en vue non seulement les paysans russes, mais aussi les
éléments travailleurs des régions situées aux confins de l’Union
soviétique et qui étaient, il n’y a pas encore très longtemps,
des colonies de la Russie.
Lénine ne se lassait pas de répéter que, sans
une union avec ces masses des autres nationalités, le prolétariat
de Russie ne pourrait vaincre.
Dans ses articles sur la question nationale et
dans ses discours aux congrès de l’Internationale communiste, il a
souvent répété que la victoire de la révolution mondiale est
impossible en dehors de l’union révolutionnaire, en dehors du bloc
révolutionnaire du prolétariat des pays avancés avec les peuples
opprimés des colonies asservies.
Mais qu’est-ce donc que les colonies, sinon ces
mêmes masses laborieuses opprimées, et avant tout les masses
laborieuses de la paysannerie ? Qui ne sait que la question de la
libération des colonies est en fait la question de la libération
des masses laborieuses des classes non-prolétariennes de
l’oppression et de l’exploitation du capital financier ?
Il faut en conclure que la théorie léniniste de
la dictature du prolétariat n’est pas une théorie purement «
russe », mais une théorie valable pour tous les pays. Le
bolchévisme n’est pas seulement un phénomène russe. « Le
bolchévisme, dit Lénine, est un modèle de tactique pour tous »
(v. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).
Tels sont les traits caractéristiques de la
première particularité de la révolution d’Octobre.
Quelle est la valeur de la théorie de la «
révolution permanente » du camarade Trotsky du point de vue de
cette particularité ?
Nous ne nous étendrons pas sur la position de
Trotsky en 1905, quand il oublia purement et simplement les paysans
comme force révolutionnaire en proposant le mot d’ordre : « Pas
de tsar ! Gouvernement ouvrier ! », c’est-à-dire le mot d’ordre
de la révolution sans les paysans. Radek lui-même, ce défenseur
diplomate de la « révolution permanente », est obligé maintenant
de reconnaître que la « révolution permanente » en 1905 était un
« saut en l’air », un écart de la réalité (Pravda, 14 décembre
1924).
Maintenant on considère à peu près unanimement
que ce n’est plus la peine de s’occuper de ce fameux « saut en
l’air ».
Nous ne nous étendrons pas non plus sur la
position de Trotsky pendant la guerre, en 1915 par exemple, lorsque
partant du fait que « nous vivons à l’époque de l’impérialisme
», que l’impérialisme «oppose, non la nation bourgeoise à
l’ancien régime, mais le prolétariat à la nation bourgeoise »,
il en conclut, dans son article « La lutte pour le pouvoir », que
le rôle révolutionnaire des paysans doit diminuer, que le mot
d’ordre de la confiscation de la terre n’a déjà plus
l’importance d’auparavant (v. l’ouvrage « 1905 »).
On sait que Lénine, critiquant cet article du
camarade Trotsky, l’accusait alors de « nier le rôle des paysans
», et disait : Trotsky, en fait, aide les politiciens ouvriers
libéraux de Russie, qui, le voyant « nier » le rôle du paysan,
s’imaginent que nous ne voulons pas soulever les paysans pour la
révolution.
Passons plutôt aux travaux plus récents de
Trotsky sur cette question, aux travaux de la période où la
dictature du prolétariat avait déjà eu le temps de s’affermir et
où Trotsky avait eu la possibilité de vérifier sa théorie de la «
révolution permanente » par les faits et de rectifier ses erreurs.
Prenons la préface que Trotsky a écrite en 1922 pour son ouvrage
intitulé : « 1905 ».
Voici ce qu’il y dit de la « révolution
permanente » : C’est précisément dans l’intervalle qui sépare
le 9 janvier de la grève d’octobre 1905 que l’auteur arriva à
concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous
l’aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite « de la
révolution permanente ».
Cette désignation quelque peu abstruse voulait
exprimer que la révolution russe, qui devait d’abord envisager,
dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne
pourrait toutefois s’arrêter là-dessus.
La révolution ne résoudrait les problèmes
bourgeois qui se présentaient à elle en première ligne qu’en
portant le prolétariat au pouvoir. Et lorsque celui-ci se serait
emparé du pouvoir, il ne pourrait se limiter au cadre bourgeois de
la révolution.
Tout au contraire, et précisément pour assurer
sa victoire définitive, l’avant-garde prolétarienne devrait, dès
les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans
les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que
féodale. Cela devait l’amener à des collisions non seulement avec
tous les groupes bourgeois qui l’auraient soutenue au début de sa
lutte révolutionnaire, mais aussi avec les larges masses paysannes
dont le concours l’aurait poussée vers le pouvoir.
Les contradictions qui dominaient la situation
d’un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l’immense
majorité de la population se composait de paysans, ne pouvaient
trouver leur solution que sur le plan international, sur l’arène
d’une révolution prolétarienne mondiale.
Ainsi s’exprime Trotsky au sujet de sa «
révolution permanente ».
Il suffit de rapprocher cette citation de celles
que nous avons données de Lénine sur la dictature du prolétariat,
pour comprendre l’abîme qui sépare la théorie léniniste de la
dictature du prolétariat et la théorie de la « révolution
permanente » de Trotsky.
Lénine considère l’alliance du prolétariat et
des couches travailleuses de la paysannerie comme la base de la
dictature du prolétariat. Trotsky, au contraire, nous fait prévoir
des « collisions » entre « l’avant-garde prolétarienne » et «
les larges masses paysannes ».
Lénine parle de la direction prolétarienne des
travailleurs et des masses exploitées. Trotsky, au contraire, nous
montre des contradictions dans « la situation d’un gouvernement
ouvrier » instauré « dans un pays retardataire où l’immense
majorité de la population est composée de paysans ».
Selon Lénine, la révolution puise avant tout ses
forces parmi les ouvriers et les paysans de la Russie même. D’après
Trotsky, les forces indispensables ne peuvent être trouvées que «
sur l’arèned’une révolution prolétarienne mondiale ».
Et que faire si la révolution mondiale se trouve
retardée ? Y a-t-il alors quelque espoir pour notre révolution ?
Trotsky ne nous laisse aucune lueur d’espoir, car « les
contradictions » dans « la situation d’un gouvernement ouvrier…
ne peuvent trouver leur solution que…
sur l’arène d’une révolution prolétarienne
mondiale ». On en déduit cette perspective : végéter dans ses
propres contradictions et pourrir sur pied en attendant la révolution
mondiale.
Qu’estce que la dictature du prolétariat
selon Lénine ? La dictature du prolétariat, c’est le pouvoir qui
s’appuie sur l’alliance du prolétariat et des masses laborieuses
de la paysannerie pour « le renversement complet du capital », pour
l’édification définitive et l’affermissement du socialisme.
Qu’est-ce que la dictature du prolétariat selon
Trotsky ? C’est un pouvoir entrant «en collisions » avec « les
larges masses paysannes » et ne cherchant la solution de ses «
contradictions » que « sur l’arène de la révolution mondiale du
prolétariat ».
En quoi cette « théorie de la révolution
permanente » diffère-t-elle de la fameuse théorie du menchévisme
sur la négation de l’idée de la dictature du prolétariat ?
En rien.
Nul doute possible. La « révolution permanente »
n’est pas une simple sous-estimation des possibilités
révolutionnaires du mouvement paysan. C’est une sous-estimation du
mouvement paysan qui mène à la négation de la théorie léniniste
de la dictature du prolétariat.La « révolution permanente » de
Trotsky est une des variétés du menchévisme.
Voilà en quoi consiste la première particularité
de la révolution d’Octobre.
Quelle est la seconde particularité de cette
révolution ? Etudiant l’impérialisme, surtout pendant la guerre,
Lénine est arrivé à la loi du développement économique et
politique irrégulier, saccadé des pays capitalistes.
D’après cette loi, le développement des
entreprises, des trusts, des branches de l’industrie et des divers
pays ne s’effectue pas régulièrement, dans un ordre arrêté, de
telle façon qu’un trust, une branche de l’industrie ou un pays
marche toujours en tête, et que les autres trusts ou pays retardent
en conservant constamment leurs distances respectives.
Ce développement s’accomplit, au contraire, par
bonds, avec des interruptions dans le développement de certains pays
et des bonds en avant dans le développement des autres.
En outre, l’aspiration « parfaitement légitime
» des pays retardataires à la conservation de leurs positions
acquises et l’aspiration, non moins « légitime », des pays
avancés à la conquête de nouvelles positions font que les
collisions armées des Etats impérialistes sont une inéluctable
nécessité. Il en a été ainsi, par exemple, de l’Allemagne, qui,
il y a un demi-siècle, était un pays arriéré en comparaison de la
France et de l’Angleterre.
On peut en dire autant du Japon comparé à la
Russie. On sait cependant qu’au début du XX e siècle déjà,
l’Allemagne et le Japon avaient pris une telle avance que la
première avait évincé la France et commençait à évincer
l’Angleterre sur le marché mondial et que le second évinçait la
Russie. C’est de ces contradictions qu’est sortie, comme on le
sait, la guerre impérialiste.Cette loi part du fait que :
1° « Le capitalisme s’est transformé en un
système mondial d’étouffement colonial et financier des pays de
la plus grande partie du globe par une poignée de pays « avancés »
(Lénine) ;
2° « Le partage de ce « butin » s’effectue
entre deux ou trois puissants rapaces armés jusqu’aux dents
(Amérique, Angleterre, Japon), qui, pour régler le partage de leur
butin, entraînent le monde entier dans leur guerre » (Lénine) ;
3° La croissance des contradictions à
l’intérieur du système mondial d’oppression financière et
l’inéluctabilité des collisions militaires font que le front
impérialiste mondial devient facilement vulnérable pour la
révolution et que la rupture de ce front dans certains pays est
probable ;
4° Cette rupture a le plus de chances de se
produire sur les points et dans les pays où la chaîne du front
impérialiste est le plus faible, c’est-à-dire où l’impérialisme
est le moins blindé et où la révolution peut le plus facilement se
développer ;
5° C’est pourquoi la victoire du socialisme
dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste,
cependant que le capitalisme subsiste dans les autres pays plus
avancés, est parfaitement possible et probable.
Telles sont, en résumé, les bases de la théorie
léniniste de la révolution prolétarienne.
En quoi consiste la seconde particularité de la
révolution d’Octobre ? Elle consiste en ce que cette révolution
est un modèle d’application pratique de la théorie léniniste de
la révolution prolétarienne.Qui n’a pas compris cette
particularité de la révolution d’Octobre ne comprendra jamais ni
le caractère international de cette révolution, ni sa formidable
puissance internationale, ni sa politique extérieure spécifique.
L’irrégularité du développement économique
et politique, dit Lénine, est, sans contredit, une loi du
capitalisme. Il s’ensuit que la victoire du socialisme est possible
au début dans un petit nombre de pays capitalistes, voire dans un
seul.
Le prolétariat victorieux de ce pays, après
avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production
socialiste, se soulèverait contre le reste du monde capitaliste,
attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, les
soulèverait contre les capitalistes, emploierait même, au besoin,
la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats…
Car l’union libre des nations dans le socialisme
est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des
républiques socialistes contre les Etats retardataires. (Lénine :
Contre le courant.)
Les opportunistes de tous les pays affirment que
la révolution prolétarienne ne peut éclater — si toutefois elle
doit éclater quelque part selon leur théorie — que dans les pays
industriellement avancés et que plus ces pays sont développés
industriellement, plus le socialisme a de chances de victoire.
De plus, ils excluent, comme une chose
invraisemblable, la possibilité de la victoire du socialisme dans un
seul pays, surtout si le capitalisme y est peu développé.
Déjà pendant la guerre, Lénine, s’appuyant
sur la loi du développement irrégulier des Etats impérialistes,
oppose aux opportunistes sa théorie de la révolution prolétarienne
sur la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé
au point de vue capitaliste.
On sait que la révolution d’Octobre a
entièrement confirmé lajustesse de la théorie léniniste de la
révolution prolétarienne.
Que devient la « révolution permanente » de
Trotsky du point de vue de la théorie léniniste de la révolution
prolétarienne ? Prenons la brochure Notre révolution (1906), où
l’on trouve ces paroles de Trotsky :
Sans l’appui gouvernemental direct du
prolétariat européen, la classe ouvrière de Russie ne pourra se
maintenir au pouvoir et transformer sa domination temporaire en
dictature socialiste durable. C’est là une chose indubitable.
Que signifient ces paroles de Trotsky ? Que la
victoire du socialisme dans un seul pays, la Russie en l’occurrence,
est impossible « sans l’appui gouvernemental direct du prolétariat
européen », c’est-à-dire tant que le prolétariat européen
n’aura pas conquis le pouvoir.
Qu’y a-t-il de commun entre cette « théorie »
et la thèse de Lénine sur la possibilité de la victoire du
socialisme « dans un pays capitaliste pris à part » ?
Rien, évidemment.
Mais admettons que cette brochure de Trotsky,
éditée en 1906, lorsqu’il était difficile de définir le
caractère de notre ponde pas entièrement aux vues adoptées plus
tard par Trotsky. Voyons une autre brochure de Trotsky, son Programme
de paix, paru à la veille de la révolution d’octobre 1917 et
réédité actuellement (1924) dans son ouvrage « 1917 ».
Dans cette brochure, Trotsky critique la théorie
léniniste de la révolution prolétarienne sur la victoire du
socialisme dans un seul pays et lui oppose le mot d’ordre des
Etats-Unis d’Europe.
Il affirme que la victoire du socialisme est
impossible dans un seul pays,qu’elle n’est possible qu’en tant
que victoire de plusieurs Etats d’Europe (Angleterre, Russie,
Allemagne) groupés en Etats-Unis d’Europe.
Il déclare sans ambages qu’ « une révolution
victorieuse en Russie ou en Angleterre est impossible sans la
révolution en Allemagne et inversement ».
L’unique objection tant soit peu concrète au
mot d’ordre des Etats-Unis, dit Trotsky, a été formulée dans le
Social-Démocrate suisse [organe central des bolcheviks à cette
époque] en ces termes : « L’irrégularité du développement
économique et politique est la loi absolue du capitalisme. »
D’où le Social-Démocrate concluait que la
victoire du socialisme était possible dans un seul pays et que, par
suite, il n’y avait pas de raison de faire dépendre la dictature
du prolétariat dans chaque Etat pris à part de la formation des
Etats-Unis d’Europe.
Que le développement capitaliste des différents
Etats soit irrégulier, cela est indiscutable.
Mais cette irrégularité elle-même est très
irrégulière. Le niveau capitaliste de l’Angleterre, de
l’Autriche, de l’Allemagne ou de la France n’est pas le même.
Mais, comparés à l’Afrique ou à l’Asie, tous ces Etats
représentent l’ « Europe » capitaliste mûre pour la révolution
sociale.
Qu’aucun pays ne doive « atteindre » les
autres dans sa lutte, c’est là une pensée élémentaire qu’il
est utile et indispensable de répéter pour que l’idée de
l’action internationale parallèle ne soit pas remplacée par
l’idée de l’expectative et de l’inaction internationales.
Sans attendre les autres, nous commençons et nous
continuons la lutte sur le terrain national, avec l’entière
certitude que notre initiative donnera le branle à la lutte dans les
autres pays ; et si cela n’avait pas lieu, on ne saurait
espérer — l’expérience historique et les considérations
théoriques sont là pour le démontrer — que, par exemple, la
Russie révolutionnaire pourrait résister à l’Europe
conservatrice, ou que l’Allemagne socialiste pourrait demeurer
isolée dans le monde capitaliste.
Comme on le voit, c’est encore la même théorie
de la victoire simultanée du socialisme dans les principaux pays
d’Europe, théorie qui exclut la théorie léniniste de la
révolution et de la victoire du socialisme dans un seul pays.
Il est indiscutable que, pour être entièrement
garanti contre le rétablissement de l’ancien ordre de choses, les
efforts combinés des prolétaires de plusieurs pays sont
nécessaires.
Il est hors de doute que si notre révolution
n’avait pas été soutenue par le prolétariat d’Europe, le
prolétariat de Russie n’eût pu résister à la pression générale,
de même que, sans l’appui de la révolution russe, le mouvement
révolutionnaire d’Occident n’eût pu se développer aussi
rapidement qu’il l’a fait après l’avènement de la dictature
prolétarienne en Russie.
Il est hors de doute que nous avons besoin
d’appui.
Mais qu’est-ce que l’appui du prolétariat
d’Europe occidentale à notre révolution ?
Les sympathies des ouvriers européens pour notre
révolution, leur empressement à déjouer les plans d’intervention
des impérialistes constituent-ils un appui, une aide sérieuse ?
Oui, sans nul doute.
Sans cet appui, sans cette aide non seulement des
ouvriers européens, mais aussi des colonies et des pays asservis, la
dictature prolétarienne en Russie se fût trouvée en mauvaise
posture.
A-t-il suffi jusqu’à présent de cette
sympathie et de cette aide, qui sont venues s’ajouter à la
puissance de notre armée rouge et au dévouement des ouvriers et des
paysans russes prêts à défendre de leurs poitrines la patrie
socialiste, pour repousser les attaques des impérialistes et
conquérir la sécurité nécessaire à un travail de construction
sérieux ? Oui, cela a suffi.
Cette sympathie va-t-elle en augmentant ou en
diminuant ?
Elle augmente incontestablement. Existe-t-il chez
nous, par conséquent, des conditions favorables non seulement pour
mener de l’avant l’organisation de l’économie socialiste, mais
encore pour venir en aide aux ouvriers d’Europe occidentale comme
aux peuples opprimés de l’Orient ? Oui, ces conditions existent.
C’est ce que dit éloquemment l’histoire de
sept années de dictature prolétarienne en Russie. Peut-on nier
qu’un puissant essor dans le domaine du travail ait déjà commencé
chez nous ? Non, on ne peut le nier.
Quelle signification peut avoir, après tout cela,
la déclaration de Trotsky sur l’impossibilité pour la Russie
révolutionnaire de résister à l’Europe conservatrice ?
Elle signifie que Trotsky, premièrement, ne sent
pas la puissance intérieure de notre révolution ; deuxièmement,
qu’il ne comprend pas l’importance inestimable de l’appui moral
apporté à notre révolution par les ouvriers d’Occident et les
paysans d’Orient ; troisièmement, qu’il ne saisit pas le mal
intérieur qui ronge actuellement l’impérialisme.
Emporté par sa critique de la théorie léniniste
de la révolution prolétarienne, Trotsky, à son insu, s’est
confondu lui-même dans son Programme de paix paru en 1917 et réédité
en 1924.
Mais peut-être cette brochure de Trotsky est-elle
aussi périmée et ne correspond-elle plus à ses vues actuelles ?
Prenons les ouvrages plus récents que Trotsky a
composés après la victoire de la révolution prolétarienne dans un
seul pays, en Russie.
Prenons, par exemple, sa Postface (1922) à la
nouvelle édition de sa brochure Programme de paix.
Voici ce qu’il y dit :L’affirmation que la
révolution prolétarienne ne peut se terminer victorieusement dans
le cadre national, affirmation que l’on trouve répétée à
plusieurs reprises dans le Programme de paix, semblera probablement à
quelques lecteurs démentie par l’expérience presque quinquennale
de notre République soviétiste.
Mais une telle conclusion serait dénuée de
fondement.
Le fait qu’un Etat ouvrier, dans un pays isolé
et, en outre, arriéré, a résisté au monde entier, témoigne de la
formidable puissance du prolétariat qui, dans les autres pays plus
avancés, plus civilisés, sera capable de véritables prodiges. Mais
si nous avons résisté politiquement et militairement en tant
qu’Etat, nous ne sommes pas encore arrivés à l’édification de
la société socialiste et nous ne nous en sommes même pas
approchés…
Tant que la bourgeoisie est au pouvoir dans les
autres Etats européens, nous sommes obligés, pour lutter contre
l’isolement économique, de rechercher des ententes avec le monde
capitaliste ; on peut dire aussi avec certitude que ces ententes
peuvent à la rigueur nous aider à guérir telles ou telles
blessures économiques, à faire tel ou tel pas en avant, mais que le
véritable essor de l’économie socialiste en Russie ne sera
possible qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux
pays d’Europe.
Ainsi s’exprime Trotsky, qui, s’efforçant
obstinément de sauver sa « révolution permanente » de la
banqueroute définitive, se met en contradiction flagrante avec la
réalité.
Ainsi, quoi qu’on fasse, non seulement « on
n’est pas arrivé » à instaurer la société socialiste, mais on
ne s’en est même pas « approché ». Certains, paraît-il,
nourrissaient l’espoir d’ « ententes avec le monde capitaliste
», mais ces ententes non plus, paraît-il, n’ont rien donné,
parce que, quoi qu’on fasse, le « véritable essor de l’économie
socialiste » demeurera impossible tant que le prolétariat n’aura
pas vaincu « dans les pays les plus importants d’Europe ».
Et comme il n’y a pas encore de victoire en
Occident, il ne reste plus à la révolution russe qu’à pourrir
sur pied ou à dégénérer en Etat bourgeois.
Ce n’est pas sans raison que Trotsky parle,
depuis deux ans déjà, de la « dégénérescence » de notre parti.
Ce n’est pas sans raison qu’il prédisait
l’année dernière la « fin » de notre pays.
Comment concilier cette étrange « perspective »
avec celle de Lénine selon laquelle la nouvelle politique économique
nous donnera la possibilité de « construire les bases de l’économie
socialiste » ?
Comment concilier cette désespérance «
permanente » avec ces paroles de Lénine :
Dès à présent, le socialisme n’est plus une
question d’avenir lointain, une sorte de vision abstraite ou
d’icône… Nous avons introduit le socialisme dans la vie courante
et, maintenant, nous devons nous rendre compte de la situation. Voilà
notre tâche d’aujourd’hui, voilà le problème de notre époque.
Permettez-moi de terminer en exprimant la
certitude que, si ardu que soit ce problème, si nouveau qu’il soit
en comparaison de l’ancien et quelques difficultés qu’il nous
cause, nous allons, tous ensemble et coûte que coûte, le résoudre,
non en un jour, mais en plusieurs années, et de telle façon que, de
la Russie de la Nep, sorte la Russie socialiste.
Comment concilier cette désespérance «
permanente » avec ces autres paroles de Lénine :
Possession par l’État des principaux moyens de
production,possession du pouvoir politique par le prolétariat,
alliance de ce
prolétariat avec la masse immense des petits
paysans, direction assurée de la paysannerie par le prolétariat,
etc., n’est-ce pas là tout ce qu’il nous faut pour pouvoir, avec
la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et
que nous avons maintenant, jusqu’à un certain point, le droit de
traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de
la société socialiste intégrale ?
Ce n’est pas là encore la construction de la
société socialiste, mais c’est tout ce qui est nécessaire et
suffisant pour cette construction (De la coopération).
Il est clair que les vues de Trotsky ne peuvent,
en l’occurrence, se concilier avec celles de Lénine. La «
révolution permanente » de Trotsky est la négation de la théorie
léniniste de la révolution prolétarienne, et, inversement, la
théorie léniniste de la révolution prolétarienne est la négation
de la théorie de la « révolution permanente ».
Manque de foi dans les forces et les capacités de
notre révolution, manque de foi dans les forces et les capacités du
prolétariat de Russie, tel est sous-sol de la théorie de la «
révolution permanente ».
Jusqu’à présent, on ne soulignait
ordinairement qu’un côté de la « révolution permanente » : le
scepticisme à l’égard des possibilités révolutionnaires du
mouvement paysan.
Maintenant, pour être juste, il est nécessaire
d’en mettre en lumière un autre côté : l’incroyance aux forces
et aux capacités du prolétariat de Russie.
En quoi la théorie de Trotsky diffère-t-elle de
la théorie courante du menchévisme selon laquelle la victoire du
socialisme dans un seul pays, surtout dans un pays arriéré, est
impossible sans la victoire préalable de la révolution
prolétarienne « dans les principaux pays de l’Europe occidentale
» ?
Au fond, ces deux théories sont identiques. Le
doute n’est pas possible : la théorie de la « révolution
permanente » de Trotsky est une variété du menchévisme.
Ces derniers temps, nombre de diplomates «à la
manque» se sont efforcés de montrer dans notre presse que la
théorie de la «révolution permanente» était conciliable avec le
léninisme. Sans doute, disent-ils, cette théorie ne convenait pas
en 1905. Mais l’erreur de Trotsky réside en ce qu’il anticipait,
essayant d’appliquer à la situation de 1905 ce qui était alors
inapplicable.
Mais, par la suite, disent-ils, et notamment en
1917 lorsque la révolution fut arrivée à complète maturité, la
théorie de Trotsky se trouva tout à fait à sa place. On devine
sans peine que le principal de ces diplomates est le camarade Radek.
Lisez plutôt :
La guerre creusa un abîme entre les paysans
aspirant à la conquête de la terre et à la paix et les partis
petits-bourgeois, elle jeta les paysans sous la direction de la
classe ouvrière et de son avant-garde, le parti bolchevik.
Alors, ce qui devint possible, ce fut non pas la
dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la
dictature de la classe ouvrière s’appuyant sur la paysannerie. Ce
que Rosa Luxembourg et Trotsky en 1905 avançaient contre Lénine
[c’est-à-dire la « révolution permanente »]
devint en fait la
deuxième étape du développement historique (Pravda, 21 février
1924).
Là-dedans, pas un mot qui ne soit un escamotage.
Il est faux que, pendant la guerre, « ce qui
devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière
et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière
s’appuyant sur la paysannerie ». En réalité, la révolution de
février 1917 fut la réalisation de la dictaturedu prolétariat et
des paysans, combinée d’une façon particulière avec la dictature
de la bourgeoisie.
Il est faux que la théorie de la « révolution
permanente », que Radek passe pudiquement sous silence, ait été
élaborée en 1905 par Rosa Luxembourg et Trotsky.
En réalité, cette théorie est l’œuvre de
Parvus et de Trotsky.
Maintenant, après dix mois, Radek rectifie,
jugeant nécessaire de tancer Parvus pour la « révolution
permanente » (voir son article sur Parvus dans la Pravda). Mais la
justice exige de Radek qu’il tance également le compagnon de
Parvus, le camarade Trotsky.
Il est faux que la théorie de la « révolution
permanente », démentie par la révolution de 1905, se soit avérée
juste pour « la deuxième étape du développement historique »,
c’est-à-dire pendant la révolution d’Octobre. Tout le
développement de la révolution d’Octobre a montré et démontré
l’inconsistance de cette théorie et sa complète incompatibilité
avec les bases du léninisme.
Ni discours, ni procédés diplomatiques
n’arriveront à masquer le gouffre béant qui sépare la théorie
de la « révolution permanente » et le léninisme.
III Quelques particularités de la tactique
des bolcheviks pendant la période de préparation de la révolution
d’Octobre
Pour bien comprendre la tactique des bolcheviks
pendant la période de préparation de la révolution d’Octobre, il
est indispensable de se rendre compte tout au moins de quelques
particularités importantes de cette tactique. Cela est d’autant
plus indispensable que, dans les nombreuses brochures sur la tactique
des bolcheviks, il n’est pas rare que ces particularités soient
passées sous silence.
Quelles sont ces particularités ?
Première particularité. A entendre le camarade
Trotsky, on pourrait croire que, dans l’histoire de la préparation
d’Octobre, il n’existe en tout et pour tout que deux périodes,
la période des reconnaissances avancées et la période
insurrectionnelle ; quant au reste, c’est de l’invention
pure.
Qu’est-ce que la manifestation d’avril 1917 ?
La manifestation d’avril, qui avait pris plus « à gauche » qu’il
ne fallait, dit Trotsky, était une sorte de reconnaissance destinée
à vérifier l’état d’esprit des masses et leurs rapports avec
la majorité des soviets.
Et qu’est-ce que la démonstration de juillet
1917 ?
D’après Trotsky, « l’affaire, cette fois
encore, se réduisit à une nouvelle reconnaissance plus large et
touchant une étape nouvelle et plus avancée du mouvement ». Point
n’est besoin de dire que la démonstration de juillet 1917,
organisée sur les instances de notre parti, doit, à plus forte
raison, selon Trotsky, être qualifiée de « reconnaissance ».
Ainsi, en mars 1917 déjà, les bolcheviks
auraient eu une armée politique d’ouvriers et de paysans toute
prête, et s’ils ne la lancèrent dans l’insurrection ni en
avril, ni en juin, ni en juillet et ne s’occupèrent que de «
reconnaissances », c’est uniquement parce que « ces
reconnaissances » ne donnaient pas des « renseignements »
satisfaisants.
Point n’est besoin de dire que cette conception
simpliste de la tactique politique de notre parti n’est qu’une
confusion de la tactique militaire ordinaire avec la tactique
révolutionnaire des bolcheviks.
En fait, toutes ces démonstrations furent avant
tout le résultat de la pression spontanée des masses, qui
s’élançaient dans la rue pour manifester leur indignation contre
la guerre.
En fait, le rôle du parti se borna alors à
donner à l’action spontanée des masses une forme et une direction
conformes aux mots d’ordre des bolcheviks.
En fait, les bolcheviks n’avaient pas et ne
pouvaient avoir en mars 1917 d’armée politique toute prête.
Ils ne procédèrent à la constitution de cette
armée qu’au cours de la lutte et des collisions de classes d’avril
à octobre 1917 (ils la constituèrent définitivement en octobre
1917).
A cet effet, ils utilisèrent la manifestation
d’avril, les démonstrations de juin et de juillet, les élections
municipales générales et partielles, la lutte contre Kornilov, la
conquête des soviets. L’armée politique n’est pas du tout
l’armée proprement dite.
Le commandement militaire entre en campagne avec
une armée toute prête, mais le parti doit former la sienne au cours
de la lutte même, au cours des collisions de classes, à mesure que
les masses ellesmêmes se convainquent par leur propre
expérience de la justesse des mots d’ordre du parti et de la
justesse de sa politique.
Evidemment, chacune de ces démonstrations mettait
aussi en lumière la corrélation des forces, jouait dans une
certaine mesure le rôle de reconnaissance, mais la reconnaissance
n’était point le motif de la démonstration, elle n’en était
que le résultat naturel.
Analysant les événements à la veille de
l’insurrection d’octobre et les comparant aux événements
d’avril-juin, Lénine dit :
La situation, précisément, n’est pas la même
qu’à la veille des 20-21 avril, du 9 juin et du 3 juillet, car il
s’agissait alors d’une effervescence spontanée que nous ne
saisissions pas, en tant que parti (20 avril), ou que nous contenions
en lui donnant la forme d’une démonstration pacifique (9 juin et 3
juillet).
Car nous savions fort bien alors que les soviets
n’étaient pas encore nôtres, que les paysans croyaient encore à
la méthode de Lieber-Dan-Tchernov et non à celle des bolcheviks
(l’insurrection), que, par conséquent, la majorité du peuple ne
pouvait être pour nous et que, partant, l’insurrection serait
prématurée.
Il est clair qu’à elle seule une reconnaissance
» ne peut mener bien loin.
Aussi, n’est-ce pas de « reconnaissance »
qu’il s’agit, mais de ce que :
1° Pendant toute la période préparatoire
d’Octobre le parti s’appuyait incessamment dans sa lutte sur
l’élan spontané du mouvement révolutionnaire de masses ;
2° En s’appuyant sur cet élan spontané, il
s’assurait la direction exclusive du mouvement ;
3° Une telle direction du mouvement facilitait au
parti la formation d’une armée politique de masse pour
l’insurrection d’octobre ;
4° Une telle politique devait nécessairement
aboutir à mettre toute la préparation d’Octobre sous la direction
d’un seul parti, le parti bolchevik ;
5° La conséquence d’une telle préparation
d’Octobre fut qu’à la suite de l’insurrection d’Octobre le
pouvoir se trouva entre les mains d’un seul parti, le parti
bolchevik.
Ainsi, le point essentiel de la préparation
d’Octobre, c’est que cette préparation fut dirigée par un parti
unique, le parti communiste.
Telle est la première particularité de la
tactique des bolcheviks pendant la période de la préparation
d’Octobre.
Estil besoin de démontrer que, sans cette
particularité, la victoire de la dictature du prolétariat en
période impérialiste eût été impossible.
C’est par là que la révolution d’Octobre
diffère avantageusement de la révolution française de 1871, dans
laquelle la direction de la révolution était partagée par deux
partis, dont aucun ne pouvait être appelé communiste.Deuxième
particularité. La préparation d’Octobre s’effectua ainsi sous
la direction d’un parti unique, le parti bolchevik. Mais, dans quel
sens le parti mena-t-il cette direction ?
Il s’attacha à isoler les partis conciliateurs,
qu’il considérait à juste titre comme les groupements les plus
dangereux dans la période de dénouement de la révolution, il
s’efforça d’isoler les socialistes-révolutionnaires et les
menchéviks.
En quoi consiste la règle stratégique
fondamentale du léninisme ? Elle consiste à reconnaître que :
1° L’appui social le plus dangereux des ennemis
de la révolution dans la période précédant le dénouement
révolutionnaire est constitué par les partis conciliateurs ;
2° Il est impossible de renverser l’ennemi
(tsarisme ou bourgeoisie) sans isoler préalablement ces partis ;
3° Dans la période de préparation
révolutionnaire, il faut, par suite, s’attacher principalement à
isoler ces partis, à en détacher les larges masses laborieuses.
Dans la période de lutte contre le tsarisme, dans
la période de préparation de la révolution bourgeoise-démocratique
(1905-1916), l’appui social le plus dangereux du tsarisme était le
parti libéral-monarchique, le parti des cadets.
Pourquoi ? Parce que c’était un parti
conciliateur, un parti de conciliation entre le tsarisme et la
majorité du peuple, c’est-à-dire l’ensemble de la paysannerie.
Il est naturel que le parti dirigeât alors principalement ses coups
contre les cadets, car sans isoler ces derniers, on ne pouvait
compter sur la rupture entre la paysannerie et le tsarisme, et sans
assurer cette rupture, on ne pouvait compter sur la victoire de la
révolution.
Beaucoup ne comprenaient pas alors cette
particularité de la stratégie des bolcheviks, qu’ils accusaient
de haine excessive pour les cadets et auxquels ils reprochaient de se
laisser « détourner » dela lutte contre le principal ennemi, le
tsarisme. Mais ces accusations dénuées de fondement trahissaient
l’incompréhension complète de la stratégie bolchéviste, qui
exigeait l’isolement des partis conciliateurs pour faciliter,
accélérer la victoire sur le principal ennemi.
Il n’est guère besoin de démontrer que, sans
cette stratégie, l’hégémonie du prolétariat dans la révolution
bourgoise-démocratique eût été impossible.
Pendant la période de la préparation d’Octobre,
le centre de gravité des forces belligérantes se déplaça. Il n’y
avait plus de tsar. De force conciliatrice, le parti des cadets
devint une force gouvernante, dominante de l’impérialisme.
La lutte n’avait plus lieu entre le tsarisme et
le peuple, mais entre la bourgeoisie et le prolétariat. Dans cette
période, l’appui social le plus dangereux de l’impérialisme
était représenté par les partis démocratiques petits-bourgeois
des s.-r. Et des menchéviks.
Pourquoi ? Parce que ces partis étaient
alors des partis conciliateurs, des partis de conciliation entre
l’impérialisme et les masses laborieuses.
Naturellement, c’est contre eux que les
bolcheviks dirigeaient leurs coups les plus formidables, car si on
n’avait pas isolé les s.-r. Et les menchéviks, on n’aurait pu
compter sur la rupture des masses laborieuses avec l’impérialisme,
et si l’on n’avait pas assuré cette rupture, on n’aurait pu
compter sur la victoire de la révolution soviétiste.
Nombreux alors étaient ceux qui ne comprenaient
pas cette particularité de la tactique des bolcheviks, qu’ils
accusaient de témoigner une « haine excessive» aux s.-r.
Et aux menchéviks et d’ « oublier » le but
principal. Mais toute la période de la préparation d’Octobre
montre éloquemment que, seule, cette tactique permit aux bolcheviks
d’assurer la victoire de la révolution d’Octobre.Le trait
caractéristique de cette période est le révolutionnement croissant
des masses rurales, leur désenchantement de la politique des s.-r.
Et des menchéviks, leur éloignement de ces
derniers, leur ralliement autour du prolétariat, unique force
intégralement révolutionnaire et capable de mener le pays à la
paix. L’histoire de cette période est celle de la lutte qui se
déroula entre les bolcheviks, d’une part, les s.-r. Et les
menchéviks, de l’autre, pour la conquête des masses laborieuses
de la paysannerie.
L’issue de cette lutte fut décidée par la
période de coalition, par la période où Kérensky fut au pouvoir,
par le refus des s.-r. et des menchéviks de confisquer les terres
des grands propriétaires fonciers, par la lutte des s.-r. et des
menchéviks pour la continuation de la guerre, par l’offensive de
juillet sur le front, par le rétablissement de la peine de mort pour
les soldats, par la révolte de Kornilov.
Et cette décision fut en faveur de la stratégie
bolchéviste.
Sans isoler les s.-r. Et les menchéviks, il était
impossible de renverser le gouvernement des impérialistes et,
partant, d’échapper à la guerre. La politique d’isolement des
s.-r. et des menchéviks était donc la seule politique juste.
Ainsi, dans leur direction de la préparation
d’Octobre, les bolcheviks s’attachèrent principalement à isoler
les partis des menchéviks et des s.-r.
Telle est la deuxième particularité de leur
tactique.
Il serait superflu de démontrer que, sans cette
particularité de la tactique des bolcheviks, l’union de la classe
ouvrière et des masses laborieuses de la campagne, eût été
impossible.
Fait caractéristique, Trotsky ne dit rien ou
presque rien de cette particularité de la tactique bolchéviste dans
ses Leçons d’Octobre.
Troisième particularité. Ainsi la direction de
la préparation d’Octobre par le parti tendit à isoler les partis
des s.-r.
Et des menchéviks, à détacher les masses
ouvrières et paysannes de ces partis. Mais comment cet isolement
fut-il réalisé concrètement par le parti ; sous quelle forme,
avec quel mot d’ordre ?
Il fut réalisé sous forme de mouvement
révolutionnaire des masses en faveur des soviets avec le mot d’ordre
: « Tout le pouvoir aux soviets ! », par une lutte dont le but
était de transformer les soviets, d’organes de mobilisation des
masses, en organes d’insurrection, en organes du pouvoir, en
appareil du nouvel Etat prolétarien.
Pourquoi les bolcheviks ont-ils choisi précisément
les soviets comme levier fondamental d’organisation, susceptible de
faciliter l’isolement des menchéviks et des s.-r., de pousser en
avant la révolution prolétarienne et de mener des millions de
travailleurs à la victoire de la dictature prolétarienne ?
Qu’est-ce que les soviets ?
Les soviets sont un nouvel appareil étatique qui,
en premier lieu, instaure la force armée des ouvriers et des
paysans, force qui n’est pas, comme celle de l’ancienne armée
permanente, détachée du peuple, mais reliée étroitement à ce
dernier, qui, dans le domaine militaire, est incomparablement
supérieure à toutes celles qui l’ont précédée et qui, au point
de vue révolutionnaire, ne peut être remplacée par aucune autre.
En second lieu, cet appareil instaure avec les
masses, avec la majorité du peuple, une liaison si étroite, si
indissoluble, si facilement contrôlable et renouvelable qu’on en
chercherait vainement une semblable dans l’ancien appareil
étatique.
En troisième lieu, cet appareil qui est électif
et dont le peuple peut, à son gré, sans formalités
bureaucratiques, changer le personnel, est par là même beaucoup
plus démocratique que les appareils antérieurs. En quatrième lieu,
il donne une liaison solide avec les professions les plus diverses,
facilitant ainsi la réalisation, sansbureaucratie aucune, des
réformes les plus différentes et les plus profondes.
En cinquième lieu, il donne la forme
d’organisation de l’avant-garde des paysans et des ouvriers,
c’est-à-dire de la partie la plus consciente, la plus énergique,
la plus avancée des classes opprimées, et permet par là même à
cette avant-garde d’élever, instruire, éduquer et entraîner dans
son sillage toute la masse de ces classes, qui jusqu’à présent
était restée complètement en dehors de la vie politique,
complètement en dehors de l’Histoire.
En sixième lieu, il permet d’allier les
avantages du parlementarisme à ceux de la démocratie immédiate et
directe, c’est-à-dire de réunir, dans la personne des
représentants électifs du peuple, le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif.
Comparativement au parlementarisme bourgeois,
c’est là, dans le développement de la démocratie, un pas d’une
importance historique mondiale… Si la force créatrice des classes
révolutionnaires n’avait pas enfanté les soviets, la révolution
prolétarienne serait, en Russie, condamnée, car avec l’ancien
appareil le prolétariat ne pourrait certainement pas conserver le
pouvoir, et il est impossible de créer du coup un nouvel appareil
(Sur la route de l’insurrection, p. 123).
Voilà pourquoi les bolcheviks se sont attachés
aux soviets, comme au chaînon fondamental susceptible de faciliter
l’organisation de la révolution d’Octobre et la création d’un
nouvel et puissant appareil d’État prolétarien.
Dans son développement intérieur, le mot d’ordre
« Tout le pouvoir aux soviets ! » a passé par deux phases,
dont la première va jusqu’à la défaite bolchéviste de juillet,
et dont la seconde commence après l’écrasement de la révolte de
Kornilov.
Dans la première phase, ce mot d’ordre
comportait la rupture du bloc des menchéviks et des s.r. Avec
les cadets, la formation d’un gouvernement soviétiste de
menchéviks et de socialistes-révolutionnaires (car les soviets
étaient alors socialistes révolutionnaires et menchévistes),
la liberté de propagande pour l’opposition (c’est-à-dire pour
les bolcheviks) et la liberté de lutte pour les partis au sein des
soviets, liberté de lutte qui devait permettre aux bolcheviks de
conquérir les soviets et de changer la composition du gouvernement
soviétiste par le développement lent et pacifique de la révolution.
Ce plan, évidemment, ne signifiait point la dictature du
prolétariat.
Mais il facilitait indubitablement la préparation
des conditions indispensables à l’instauration de la dictature
car, portant les menchéviks et les s.-r. Au pouvoir et les mettant
dans la nécessité de réaliser leur programme antirévolutionnaire,
il hâtait la révélation de leur véritable nature, précipitait
leur isolement, leur rupture avec les masses.
Mais la défaite des bolcheviks en juillet
interrompit ce développement, en donnant l’avantage à la
contre-révolution des généraux et des cadets et en jetant s.-r. Et
menchéviks dans les bras de cette dernière.
C’est pourquoi le parti fut obligé de retirer
temporairement le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! »
et d’attendre, pour le lancer à nouveau, une nouvelle
recrudescence de la révolution.
L’écrasement de Kornilov ouvrit la seconde
phase. Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! » fut de
nouveau lancé.
Mais alors il n’avait plus la même
signification que dans la première phase. Il signifiait la rupture
complète avec l’impérialisme et le passage du pouvoir aux
bolcheviks, étant donné que la majorité des soviets était déjà
bolchéviste.
Il signifiait la réalisation directe de la
dictature du prolétariat par l’insurrection. Bien plus, il
signifiait l’organisation de la dictature du prolétariat et son
érection en pouvoir d’État.
La tactique de transformation des soviets en
organes de pouvoirgouvernemental avait une valeur inestimable parce
qu’elle arrachait
des millions de travailleurs à l’impérialisme,
montrait que les partis des menchéviks et des s.-r, étaient des
instruments de l’impérialisme et amenait directement, pour ainsi
dire, les masses à la dictature du prolétariat.
Ainsi, la politique de transformation des soviets
en organes de pouvoir gouvernemental, en tant que condition
principale de l’isolement des partis conciliateurs et du triomphe
de la dictature du prolétariat, est la troisième particularité de
la tactique des bolcheviks dans la période de la préparation
d’Octobre.
Quatrième particularité. Le tableau ne serait
pas complet si nous n’envisagions comment et pourquoi les
bolcheviks parvenaient à transformer les mots d’ordre de leur
parti en mots d’ordre de masse activant la révolution, comment et
pourquoi ils parvenaient à convaincre de la justesse de leur
politique non seulement l’avant-garde et la majorité de la classe
ouvrière, mais aussi la majorité du peuple.
Pour qu’une révolution soit victorieuse, si
elle est vraiment populaire, si elle embrasse les grandes masses, il
ne suffit pas que les mots d’ordre du parti soient justes.
Une autre condition est indispensable ; il
faut que les masses elles-mêmes se soient convaincues par leur
propre expérience de la justesse de ces mots d’ordre. Alors
seulement les mots d’ordre du parti deviennent ceux des masses
elles-mêmes. Alors seulement la révolution devient réellement la
révolution du peuple.
L’une des particularités de la tactique des
bolcheviks pendant la période de préparation d’Octobre, c’est
d’avoir su déterminer avec justesse les voies menant naturellement
les masses aux mots d’ordre du parti, au seuil de la révolution,
et d’avoir permis ainsi à ces masses de sentir, de contrôler et
d’expérimenter elles-mêmes la justesse de ces mots d’ordre.
Autrement dit, l’une des particularités de la
tactique des bolcheviks consiste en ce qu’elle ne confond point la
direction du parti avec celle des masses, qu’elle distingue
clairement la différence qui sépare ces deux directions et qu’ainsi
elle est la science, non seulement de la direction du parti, mais
aussi de la direction des grandes masses de travailleurs.
L’expérience de la convocation et de la
dissolution de l’Assemblée constituante est un exemple frappant de
l’application de cette particularité de la tactique bolchéviste.
On sait que les bolcheviks lancèrent le mot
d’ordre de « République soviétiste » dès avril 1917. On sait
également que l’Assemblée constituante est un parlement bourgeois
en contradiction absolue avec les bases de la République soviétiste.
Comment se fait-il que les bolcheviks, en marchant
vers la République soviétiste, aient en même temps exigé du
Gouvernement provisoire la convocation immédiate de l’Assemblée
constituante ?
Comment se fait-il que les bolcheviks non
seulement prirent part aux élections, mais convoquèrent eux-mêmes
l’Assemblée constituante ? Comment se fait-il que, un mois
avant l’insurrection, les bolcheviks aient admis la possibilité
d’une combinaison temporaire de la République soviétiste et de
l’Assemblée constituante ? Il en fut ainsi parce que :
1° L’idée de l’Assemblée constituante était
une des idées les plus populaires parmi la masse de la population ;
2° Le mot d’ordre de la convocation immédiate
de l’Assemblée constituante permettait de dévoiler plus
facilement la nature contre révolutionnaire du Gouvernement
provisoire ;
3° Pour ouvrir les yeux aux masses populaires sur
l’idée de l’Assemblée constituante, il était indispensable
d’amener ces masses jusqu’à l’Assemblée constituante, avec
leurs revendications sur laterre, la paix, le pouvoir soviétiste, de
les mettre en présence de l’Assemblée constituante réalisée,
vivante ;
4° C’était là le seul moyen de permettre aux
masses de se convaincre par leur propre expérience de la nature
contre-révolutionnaire de l’Assemblée constituante et de la
nécessité de sa dissolution ;
5° Tout cela supposait naturellement la
possibilité d’admettre une combinaison temporaire de la République
soviétiste et de l’Assemblée constituante comme un des moyens
destinés à éliminer l’Assemblée constituante ;
6° Une telle combinaison, si elle eût été
réalisée, à condition que tout le pouvoir fût passé aux soviets,
n’eût pu signifier que la subordination de l’Assemblée
constituante aux soviets, sa transformation en annexe des soviets, sa
mort sans douleur.
Point n’est besoin de démontrer que, sans cette
politique des bolcheviks, la dissolution de l’Assemblée
constituante n’eût pas été si facile et que les tentatives
ultérieures des s.-r. Et des menchéviks avec le mot d’ordre «
Tout le pouvoir à l’Assemblée constituante ! » n’eussent pas
échoué aussi piteusement.
Nous autres, dit Lénine, nous avons pris part à
l’élection du parlement bourgeois de Russie, de l’Assemblée
constituante, en septembre-novembre 1917. Notre tactique était-elle
juste ou non ?…
N’avions-nous pas, nous autres bolcheviks
russes, en novembre 1917, plus que n’importe quels communistes
d’Occident, le droit d’estimer que chez nous le parlementarisme
avait fait son temps politiquement ?
Nous l’avions certainement, car il ne s’agit
pas de savoir depuis combien de temps les parlements bourgeois
existent, mais si les larges masses laborieuses sont prêtes,
théoriquement, politiquement, pratiquement, à adopter le régime
soviétiste et à dissoudre ou àlaisser dissoudre le parlement
démocratique bourgeois.
Que dans la Russie de septembre-novembre 1917 la
classe ouvrière des villes, les soldats, les paysans, par suite de
toutes sortes de conditions spéciales, se soient trouvés
admirablement préparés à l’adoption du régime soviétiste et à
la dissolution du plus démocratique des parlements bourgeois, c’est
là un fait historique indéniable et parfaitement établi.
Pourtant les bolcheviks n’ont pas boycotté
l’Assemblée constituante ; loin de là, ils ont participé
aux élections, non seulement avant, mais même après la conquête
du pouvoir politique par le prolétariat, (V.
La maladie infantile, p. 6263.)
Pourquoi les bolcheviks ne boycottèrent-ils pas
l’Assemblée constituante ? Parce que, dit Lénine :
Même quelques semaines avant la victoire de la
République soviétiste, même après cette victoire, la
participation à un parlement de démocratie’ bourgeoise, loin de
nuire à un prolétariat révolutionnaire, l’aide à prouver aux
masses retardataires que ces parlements méritent d’être dissous,
facilite la réussite de leur dissolution, rapproche le moment où
l’on pourra dire que le parlementarisme bourgeois a «
politiquement fait son temps » (La maladie infantile, p. 63).
Fait caractéristique, Trotsky ne comprend pas
cette particularité de la tactique bolchéviste et se moque de la «
théorie » de la combinaison de l’Assemblée constituante et des
soviets, comme d’une théorie à la Hilferding.
Il ne comprend pas que l’admissibilité d’une
telle combinaison (avec le mot d’ordre de l’insurrection et la
probabilité de la victoire des soviets) liée à la convocation de
l’Assemblée constituante était à ce moment l’unique tactique
révolutionnaire possible, qu’elle n’avait rien de commun avec la
tactique de Hilferding consistant à transformer les soviets en
annexe de l’Assemblée constituante et que l’erreur de certains
camarades sur cette question ne lui donne pas le droit de dénigrer
la position juste de Lénine et du parti sur la possibilité de
réaliser, dans certaines conditions, une « forme gouvernementale
combinée ».
Il ne comprend pas que, sans la politique
originale qu’ils adoptèrent en vue de l’Assemblée constituante,
les bolcheviks n’eussent pas réussi à attirer de leur côté les
larges masses du peuple et que, si ces masses leur avaient manqué,
ils n’eussent pu transformer l’insurrection d’Octobre en
profonde révolution populaire.
Fait intéressant, Trotsky se moque même des mots
« peuple », « démocratie révolutionnaire », etc., qui se
rencontrent dans les articles des bolcheviks et qu’il juge
inconvenants pour un marxiste.
Trotsky oublie évidemment que, même en septembre
1917, un mois avant la victoire de la dictature, Lénine, marxiste
éminent, parlait de la « nécessité de la transmission immédiate
de tout le pouvoir à la démocratie révolutionnaire ayant à sa
tête le prolétariat révolutionnaire ».
Trotsky oublie évidemment que Lénine, citant la
lettre de Marx à Kugelmann (avril 1871) où il est dit que la
destruction de l’appareil d’État bureaucratiquemilitaire
est la condition préalable de toute révolution vraiment populaire
sur le continent, écrit en termes non équivoques :
Ce qui mérite une attention particulière, c’est
cette profonde remarque de Marx, que la destruction de la machine
bureaucratique et militaire de l’État est « la condition
préalable de toute révolution populaire ».
Cette expression de révolution « populaire »
paraît surprenante dans la bouche de Marx, et les plékhanoviens
russes et les menchéviks disciples de Strouvé, désireux de passer
pour marxistes, pourraient y voir une « méprise ».
Ils ont réduit le marxisme à une doctrine si
piètrement libérale que, en dehors de l’antithèse : révolution
bourgeoise et révolution prolétarienne, rien n’existe pour eux,
et encore conçoivent-ils cette antithèse’ comme une chose tout à
fait morte… Dans aucun des pays de l’Europe continentale de 1871,
le prolétariat ne formait la majorité du peuple.
La révolution capable d’entraîner la majorité
dans le mouvement ne pouvait être « populaire » qu’à la
condition d’englober le prolétariat et la classe paysanne.
Ces deux classes composaient alors le « peuple ».
Ces deux classes sont solidaires, du fait que la « machine
bureaucratique et militaire de l’État » les opprime, les écrase
et les exploite.
Briser cette machine, la démolir, tel est le but
pratique du « peuple », de la majorité du peuple, ouvriers et
paysans, telle est la « condition préalable » de la libre alliance
des paysans pauvres et du prolétariat ; sans cette alliance,
pas de démocratie solide, pas de transformation sociale possible
(L’État et la révolution, p. 55-56).
Ces paroles de Lénine sont à retenir.
Convaincre les masses, par leur propre expérience,
de la justesse des mots d’ordre du parti et les amener aux
positions révolutionnaires afin de les conquérir, telle est la
quatrième particularité de la tactique des bolcheviks pendant la
période de la préparation d’Octobre.
IV La révolution d’Octobre
commencement et facteur de la révolution mondiale
Il est indéniable que la théorie universelle de
la victoire simultanée de la révolution dans les principaux pays
d’Europe, la théorie de l’impossibilité de la victoire du
socialisme dans un seul pays s’est avérée artificielle, non
viable.
L’histoire septennale de la révolution
prolétarienne en Russie réfute cette théorie. Cette théorie est
inacceptable comme schéma du développement de la révolution
mondiale, parce qu’elle est en contradiction avec les faits
patents.
Elle est encore plus inacceptable comme mot
d’ordre parce qu’elle entrave l’initiative des pays qui, en
vertu de certaines conditions historiques, ont la possibilité de
percer seuls le front capitaliste ; parce que, loin de stimuler
l’offensive contre le capital dans chaque pays pris à part, elle
conduit à attendre passivement le moment du « dénouement général
» ; parce qu’elle entretient parmi les prolétaires des différents
pays non pas l’esprit de décision révolutionnaire, mais l’esprit
de doute, la crainte de ne pas être soutenu par les prolétaires des
autres pays.
Lénine a parfaitement raison de dire que la
victoire du prolétariat dans un seul pays est un « cas typique »,
que « la révolution simultanée dans plusieurs pays » ne peut être
qu’une « rare exception ».
Mais la théorie léniniste de la révolution ne
se limite pas à ce seul côté de la question. Elle est en même
temps la théorie du développement de la révolution mondiale. La
victoire du socialisme dans un seul pays n’est pas une fin en soi.
La révolution victorieuse dans un pays doit être
considérée, non pas comme une fin en soi, mais comme un appui,
comme un moyenpour accélérer la victoire du prolétariat dans tous
les pays.
La victoire de la révolution dans un pays, en
l’occurrence en Russie, n’est pas seulement le résultat du
développement irrégulier et de la décomposition progressive de
l’impérialisme, elle est en même temps le commencement et le
facteur de la révolution mondiale.
Il n’est pas douteux que les voies de
développement de la révolution mondiale ne sont pas aussi simples
qu’elles pouvaient le paraître précédemment, avant la victoire
de la révolution dans un pays, avant l’avènement de
l’impérialisme développé, qui marque la « veille de la
révolution socialiste ».
C’est qu’un nouveau facteur est apparu : la
loi du développement irrégulier des pays capitalistes, loi
fonctionnant dans les conditions de plein développement impérialiste
et qui montre l’inéluctabilité des collisions armées,
l’épuisement général du front capitaliste mondial et la
possibilité de la victoire du socialisme dans des pays séparés.
C’est qu’il est apparu un nouveau facteur
comme l’immense pays des soviets, situé entre l’Occident et
l’Orient, entre le centre de l’exploitation financière mondiale
et l’arène de l’oppression coloniale, pays dont la seule
présence suffit à révolutionner le monde.
Ce sont là des facteurs (et je ne cite que les
plus importants), dont il est impossible de ne pas tenir compte dans
l’étude des voies de la révolution mondiale.
Auparavant, on croyait d’ordinaire que la
révolution se développerait par la « maturation » régulière des
éléments du socialisme, tout d’abord dans les pays les plus
développés, dans les pays « avancés ».
Cette façon de voir doit être maintenant
considérablement modifiée.
Le système des relations internationales, dit
Lénine, est devenu tel qu’en Europe un Etat, l’Allemagne, est
asservi par d’autres Etats.
D’autre part, plusieurs Etats, précisément les
plus anciens Etatsd’Occident, se sont trouvés, du fait de leur
victoire, dans des
conditions qui leur permettent de mettre cette
victoire à profit pour faire quelques concessions insignifiantes à
leurs classes asservies, concessions qui suffisent cependant à
retarder le mouvement révolutionnaire de ces dernières et créent
un certain semblant de « paix sociale ».
Cependant, une série de pays : l’Orient,
l’Inde, la Chine, etc., Par suite de la guerre impérialiste, sont
définitivement sortis de leur voie traditionnelle. Leur
développement a définitivement suivi le cours général du
capitalisme européen.
L’effervescence qui agite toute l’Europe
commence à les travailler.
Et il est clair maintenant pour le monde entier
qu’ils se sont engagés dans une voie de développement qui ne peut
pas ne pas mener à une crise de tout le capitalisme mondial…
Par suite, les pays capitalistes d’Europe
occidentale parachèveront leur évolution vers le socialisme…
autrement que nous ne le pensions. Ils la parachèveront, non pas par
la « maturation » régulière du socialisme dans ces pays, mais au
moyen de l’exploitation de certains Etats par d’autres, au moyen
de l’exploitation du premier Etat vaincu dans la guerre
impérialiste, exploitation jointe à celle de tout l’Orient.
L’Orient, d’autre part, est entré
définitivement dans le mouvement révolutionnaire par suite de cette
première guerre impérialiste et a été entraîné dans le
tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.
Si l’on ajoute à cela que les pays vaincus et
les colonies ne sont pas seuls à être exploités par les pays
vainqueurs, mais qu’une partie des pays vainqueurs est exploitée
financièrement par les pays victorieux les plus puissants,
l’Amérique et l’Angleterre ; que les contradictions entre
tous ces pays sont les facteurs les plus importants de la
décomposition de l’impérialisme mondial ; qu’en dehors de
ces contradictions, il en existe d’autres très profondes qui se
développent à l’intérieur de chacun de ces pays ; que
toutes ces contradictions sont aggravées du fait de l’existence de
là grande République des soviets aux côtés des pays capitalistes,
on a un tableau plus ou moins complet de l’originalité de la
situation internationale.
Le plus probable, c’est que la révolution
mondiale se développera par la séparation révolutionnaire d’un
certain nombre de pays qui se détacheront du système des Etats
impérialistes avec l’appui du prolétariat de ces Etats.
Le premier pays qui s’est détaché, le premier
pays victorieux, a déjà l’appui des masses ouvrières et
paysannes des autres pays en général. Il n’aurait pu tenir sans
cet appui. Il est hors de doute que cet appui ira se renforçant et
s’accroissant.
Il est également hors de doute que le
développement même de la révolution mondiale, que le processus de
la séparation d’une série de nouveaux pays d’avec
l’impérialisme sera d’autant plus rapide et profond que le
socialisme se sera plus solidement enraciné dans le premier pays
victorieux, que ce pays se sera plus rapidement transformé en base
de développement de la révolution mondiale, en ferment de la
décomposition impérialiste.
S’il est vrai que la victoire définitive du
socialisme dans le pays libéré le premier est impossible sans les
efforts communs des prolétaires de plusieurs pays, il est également
vrai que le développement de la révolution mondiale sera d’autant
plus rapide et profond que l’aide apportée par le premier pays
socialiste aux masses ouvrières et laborieuses de tous les autres
pays sera plus efficace.
En quoi cette aide doit-elle consister ?
Premièrement, le prolétariat du pays victorieux,
doit faire chez lui « le maximum de ce qui est possible pour
développer, soutenir et éveiller la révolution dans les autres
pays » (La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).
Deuxièmement, le « prolétariat victorieux»
d’un pays, « après avoir exproprié les capitalistes et organisé
chez lui la production socialiste, se soulève… contre le reste du
monde capitaliste, attirant à lui les classes opprimées des autres
pays, les incitant à l’insurrection contre les capitalistes,
employant même au besoin la force armée contre les classes
exploiteuses et leurs Etats ».
Non seulement cette aide du pays victorieux
accélère la victoire des prolétaires des autres pays, mais encore
en facilitant cette victoire, elle assure par là même la victoire
définitive du socialisme dans le premier pays victorieux.
Il est plus que probable qu’au cours du
développement de la révolution mondiale, il se formera,
parallèlement aux foyers impérialistes des pays capitalistes et du
système de ces foyers dans le monde entier, des foyers de socialisme
dans chaque pays soviétiste et un système de ces foyers dans le
monde entier et que la lutte entre ces deux systèmes remplira
l’histoire du développement de la révolution mondiale.
Car, dit Lénine, la libre union des nations dans
le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins
longue, des républiques socialistes avec les Etats arriérés.
La révolution d’Octobre a une importance
mondiale non seulement parce qu’elle représente la première
initiative d’un pays pour rompre le système impérialiste et le
premier îlot du socialisme dans l’océan des pays impérialistes,
mais aussi parce qu’elle est la première étape de la révolution
mondiale et la base puissante de son développement futur.
C’est pourquoi ceux qui, oubliant le caractère
international de la révolution d’Octobre, proclament que la
victoire de la révolution dans un seul pays est un phénomène
purement et exclusivement national, commettent une lourde erreur.
En outre, ceux qui, se souvenant du caractère
international de la révolution d’Octobre, sont enclins à
considérer cette révolution comme quelque chose de passif, destiné
uniquement à recevoir un appui de l’extérieur, commettent
également une erreur.
En réalité, non seulement la révolution d’Octobre a besoin d’être appuyée par la révolution des autres pays, mais la révolution de ces pays a besoin de l’appui de la révolution d’Octobre pour accélérer le renversement de l’impérialisme mondial.
A l’entretien assistaient 80 délégués des
pays suivants : Allemagne, France, Autriche, Tchécoslovaquie,
Amérique du Sud, Chine, Belgique, Finlande, Danemark et Esthonie.
L’entretien dura six heures.
Staline. — Camarades, on m’a fait parvenir
hier une liste non signée de questions, en allemand. Ce matin, j’ai
reçu deux nouvelles listes : l’une de la délégation
française, l’autre de la délégation danoise.
Commençons par la première liste de questions,
bien qu’on ne sache pas quelle délégation l’a envoyée. Nous
pourrons ensuite passer aux deux listes suivantes. Si vous n’y
voyez pas d’inconvénient, nous allons commencer. (Les délégués
expriment leur assentiment.)
Première question. — Pourquoi l’U.R.S.S. ne
prend-elle pas part à la Société des nations ?
Réponse. — Les raisons pour lesquelles l’Union
soviétique ne prend pas part à la Société des nations ont déjà
été exposées à maintes reprises dans notre presse. Je vais vous
donner quelques-unes de ces raisons.
L’Union soviétique n’est pas membre de la
Société des nations et ne participe pas à la S.D.N. avant tout
parce qu’elle ne veut pas prendre la responsabilité de la
politique impérialiste de la S.D.N., des « mandats » que la S.D.N.
octroie pour exploiter et asservir les peuples coloniaux.
L’Union soviétique ne prend pas part à la
S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre l’impérialisme,
contre l’oppression des colonies et des pays dépendants.
L’Union soviétique ne prend pas part à la
S.D.N., en second lieu, parce qu’elle ne veut pas prendre la
responsabilité des préparatifs de guerre, de la croissance des
armements, des nouvelles alliances militaires, etc., que couvre et
sanctionne la S.D.N. et qui ne peuvent pas ne pas conduire à de
nouvelles guerres impérialistes.
L’Union soviétique ne prend pas part à la
S.D.N. parce qu’elle est entièrement contre les guerres
impérialistes.
Enfin, l’Union soviétique ne prend pas part à
la S.D.N. parce qu’elle ne veut pas être partie intégrante du
paravent des intrigues impérialistes que constitue la S.D.N. et que
celle-ci cache par les discours onctueux de ses membres. La S.D.N.
est la « maison de rendez-vous » pour les impérialistes qui font
leurs affaires dans les coulisses. Ce qu’on dit officiellement à
la Société des nations n’est qu’un vain bavardage destiné à
tromper les ouvriers.
Ce que les gouvernants impérialistes font
officieusement dans les coulisses est la vraie politique
impérialiste, hypocritement cachée par les orateurs grandiloquents
de la Société des nations. Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce
que l’Union soviétique ne veuille pas être membre et complice de
cette comédie contre les peuples ? Deuxième question. —
Pourquoi, dans l’Union soviétique, ne peut-on pas tolérer le
Parti social-démocrate ?
Réponse. — Le Parti social-démocrate
(c’est-à-dire les menchéviks) n’est pas toléré dans l’Union
soviétique pour les mêmes raisons qu’on n’y tolère pas les
contre-révolutionnaires. Il se peut que cela vous étonne, mais il
n’y a là rien d’étonnant.
Les conditions de développement sont telles que
la social-démocratie, qui a été sous le régime tsariste un parti
plus ou moins révolutionnaire, est devenue après le renversement du
tsarisme, sous Kérenski, un parti gouvernemental, un parti de la
bourgeoisie, de la guerre impérialiste ; puis, après la
révolution d’Octobre, elle s’est transformée en un parti de
franche contre-révolution contre la dictature du prolétariat.
Vous ne pouvez ignorer que chez nous la
social-démocratie a pris part à la guerre civile aux côtés de
Koltchak et de Dénikine contre le pouvoir des Soviets.
A l’heure actuelle, c’est un parti de la
restauration du capitalisme, de la liquidation de la dictature du
prolétariat. Je pense qu’une telle évolution de la
social-démocratie n’est pas seulement typique pour l’U.R.S.S.,
mais aussi pour les autres pays. La social-démocratie a été chez
nous plus ou moins révolutionnaire quand existait le régime
tsariste.
C’est ce qui explique, à vrai dire, pourquoi
nous, bolcheviks, nous avons été alors avec les menchéviks,
c’est-à-dire avec les social-démocrates, dans un seul parti.
La social-démocratie devient soit un parti
d’opposition, soit un parti gouvernemental bourgeois lorsque la
bourgeoisie prétendument démocratique accède au pouvoir. Elle se
transforme en un parti de franche contre-révolution lorsque c’est
le prolétariat révolutionnaire qui accède au pouvoir.
Un des délégués. — Cela veut-il dire que la
social-démocratie n’est une force contre-révolutionnaire qu’en
U.R.S.S., ou bien qu’elle peut être qualifiée ainsi dans les
autres pays également ?
Staline. — J’ai déjà dit que nous avons ici
une certaine différence.
La social-démocratie, dans le pays de la
dictature du prolétariat, est une force contre-révolutionnaire qui
aspire à la restauration du capitalisme et à la liquidation de la
dictature du prolétariat au nom de la « démocratie » bourgeoise.
Dans les pays capitalistes, où le prolétariat
n’est pas encore au pouvoir, la social-démocratie est soit un
parti d’opposition, soit un parti à moitié gouvernemental faisant
coalition avec la bourgeoisie libérale contre les forces les plus
réactionnaires du capitalisme, soit un parti entièrement
gouvernemental défendant ouvertement le capitalisme et la «
démocratie » bourgeoise contre le mouvement révolutionnaire du
prolétariat.
C’est seulement lorsque le pouvoir du
prolétariat devient une réalité, qu’elle devient complètement
révolutionnaire et que sa tendance contre-révolutionnaire se dirige
contre le pouvoir du prolétariat.
Troisième question. — Pourquoi n’y a-t-il pas
de liberté de presse en U.R.S.S.?
Réponse. — De quelle liberté de presse
parlez-vous ? De la liberté de la presse pour quelle classe ?
Pour la bourgeoisie ou pour le prolétariat ?
S’il s’agit de la liberté de la presse pour
la bourgeoisie, elle n’existe pas et elle n’existera pas chez
nous tant qu’existera la dictature du prolétariat.
Si vous parlez de la liberté de la presse pour le
prolétariat, je dois dire que vous ne trouverez pas au monde un
autre pays où la liberté de la presse soit aussi large et complète
pour le prolétariat que dans l’U.R.S.S.
La liberté de la presse pour le prolétariat
n’est pas un vain mot. Il n’y a pas de liberté de la presse pour
le prolétariat s’il ne possède pas les meilleures imprimeries,
les meilleures maisons d’éditions ; s’il n’y a pas des
organisations légales de la classe ouvrière, depuis les plus
petites jusqu’aux plus grandes, groupant des millions d’ouvriers ;
s’il n’y a pas la plus large liberté de réunion.
Voyez les conditions de vie en U.R.S.S., faites
une tournée dans les quartiers ouvriers et vous comprendrez que les
meilleures imprimeries, les meilleures maisons d’éditions, des
fabriques entières de papier, des usines entières de matières
colorantes, nécessaires pour la presse, d’énormes palais pour les
réunions : tout cela, et bien d’autres choses encore,
nécessaires pour la liberté de la presse de la classe ouvrière,
tout cela est entièrement à la disposition de la classe ouvrière
et des masses laborieuses.
C’est ce qu’on appelle chez nous la liberté
de la presse pour la classe ouvrière. Chez nous, il n’y a pas de
liberté de la presse pour la bourgeoisie. Il n’y a pas de liberté
de la presse pour les menchéviks et les s.-r. Qui, chez nous,
représentent les intérêts de la bourgeoisie battue et renversée.
Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Nous
n’avons jamais pris l’engagement de donner la liberté de la
presse à toutes les classes, de faire le bonheur de toutes les
classes.
En prenant le pouvoir, en octobre 1917, les
bolcheviks ont ouvertement déclaré que ce serait le pouvoir d’une
seule classe, du prolétariat, qui écraserait la bourgeoisie dans
l’intérêt des masses travailleuses des villes et des campagnes,
énorme majorité de la population de l’U.R.S.S.
Comment peut-on après cela exiger de la dictature
du prolétariat la liberté de la presse pour la bourgeoisie ?
Quatrième question. — Pourquoi ne relâche-t-on
pas les menchéviks emprisonnés ?
Réponse. — Il s’agit évidemment des
menchéviks militants. Oui c’est vrai, nous gardons en prison les
menchéviks actifs jusqu’à l’expiration de leur peine. Est-ce
surprenant ? Pourquoi n’a-t-on pas relâché, par exemple, les
bolcheviks emprisonnés en juillet, août, septembre et octobre 1917,
alors que les menchéviks et les s.-r.
Étaient ou pouvoir ?
Pourquoi Lénine a-t-il été obligé de se cacher
et de vivre illégalement de juillet à octobre 1917, alors que le
pouvoir était aux mains des menchéviks et des s.-r.?
Comment expliquer que le grand Lénine, dont le
nom est un drapeau pour les prolétaires de tous les pays, ait été
obligé de se cacher de juillet à octobre 1917, en Finlande, loin de
la « République démocratique » de Kérenski et de
Tsérételli, de Tchernov et de
Dan, tandis que l’organe du parti de Lénine, la
Pravda, était pillée par les junkers bourgeois, bien qu’à la
tête du gouvernement il y eût alors des militants actifs et connus
de la IIe Internationale ?
Cela s’explique, évidemment, par le fait que la
lutte entre la contre révolution bourgeoise et la révolution
prolétarienne est accompagnée fatalement de certaines répressions.
J’ai déjà dit que la social-démocratie est chez nous un parti de
contre-révolution. Il en résulte que la révolution prolétarienne
ne peut manquer d’arrêter les militants de ce parti
contre-révolutionnaire.
Ce n’est pas tout. Il en résulte ensuite que
l’arrestation des menchéviks est chez nous la continuation de la
politique de la révolution d’Octobre ?
Au fond, qu’est-ce que là révolution
d’Octobre ? C’est avant tout le renversement du pouvoir de
la bourgeoisie. A l’heure actuelle, tous les ouvriers plus ou moins
conscients de tous les pays reconnaissent que les bolcheviks ont bien
fait, en octobre 1917, de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Je
ne doute pas que vous soyez du même avis.
Mais voici une question : qui donc, à vrai dire,
le prolétariat a-t-il renversé en octobre 1917 ? L’histoire,
les faits disent qu’en octobre 1917, le prolétariat a renversé
les menchéviks et les s.-r., car ce sont eux précisément, Kérenski
et Tchernov, Gotz et Lieber, Dan et Tsérételli, Abramovitch et
Avxentiev qui étaient alors au pouvoir.
Or, que sont les partis des menchéviks et des
s.-r. ? Ce sont des partis de la IIe Internationale.
Il s’avère donc qu’en accomplissant la
révolution d’Octobre, le prolétariat de l’U.R.S.S. a renversé
les partis de la IIe Internationale.
C’est peut-être désagréable à certains
social-démocrates, mais c’est un fait indiscutable qu’il serait
puéril de contester.
Par conséquent, au moment de la révolution
prolétarienne on pouvaitet on devait renverser le pouvoir des
menchéviks et des s.-r. Pour
que le pouvoir du prolétariat pût triompher.
Mais si on peut renverser les menchéviks et les s.-r., pourquoi ne
peut-on les arrêter lorsqu’ils passent ouvertement et résolument
dans le camp de la contre-révolution bourgeoise ?
Pensez-vous que le renversement des menchéviks et
des s.r. soit un moyen moins violent que leur arrestation ? On
ne peut estimer juste la politique de la révolution d’Octobre sans
estimer aussi juste ses conséquences inévitables.
De deux choses l’une : ou bien la
révolution d’Octobre a été une faute, et dans ce cas, c’est
une faute d’arrêter les menchéviks et les s.-r., ou bien la
révolution d’Octobre n’est pas une faute, et alors on ne peut
considérer comme une faute l’arrestation des menchéviks et des
s.-r. Logique oblige.
Cinquième question. — Pourquoi le correspondant
du Bureau de la presse social-démocrate n’a-t-il pas reçu
l’autorisation de venir en U.R.S.S. ?
Réponse. — Parce que la presse social-démocrate
à l’étranger, en particulier le Vorwaerts, a dépassé par ses
calomnies monstrueuses contre l’U.R.S.S. et ses représentants
beaucoup de journaux bourgeois. Parce que nombre de journaux
bourgeois, par exemple la Vossische Zeitung, se conduisent dans la
lutte contre l’U.R.S.S. bien plus « objectivement » et «
convenablement » que le Vorwaerts.
Cela peut sembler « étrange », mais c’est un
fait avec lequel on doit compter.
Si le Vorwaerts pouvait se conduire aussi bien que
les journaux bourgeois, ses représentants, certainement, auraient
leur place dans l’U.R.S.S., à l’égal des représentants des
autres journaux bourgeois.
Un de ces jours, un représentant du Vorwaerts
s’est adressé à un des collaborateurs de notre représention
diplomatique à Berlin pour lui demander les conditions auxquelles le
correspondant du Vorwaertspourrait être autorisé à venir en
U.R.S.S.
On lui répondit : « Lorsque le Vorwaerts
montrera effectivement qu’il est prêt à se conduire envers
l’U.R.S.S. et ses représentants aussi bien qu’un journal libéral
« convenable », dans le genre de la Vossische Zeitung, le
gouvernement soviétique ne fera pas obstacle à la venue du
correspondant du Vorwaerts en U.R.S.S. »
Je pense que la réponse est parfaitement claire.
Sixième question. — La fusion des IIe et IIIe
Internationales est-elle possible ?
Réponse. — Je pense que c’est impossible.
C’est impossible puisque la IIe et la IIIe Internationales ont des
positions absolument différentes et regardent de deux côtés
différents.
Si la IIIe Internationale regarde du côté du
renversement du capitalisme et de l’instauration de la dictature du
prolétariat, la IIe Internationale, par contre, regarde du côté du
maintien du capitalisme et de la destruction de tout ce qui est
nécessaire pour instaurer la dictature du prolétariat.
La lutte entre ces deux Internationales est le
reflet idéologique de la lutte entre les partisans du capitalisme et
ceux du socialisme.
De cette lutte doit sortir victorieuse soit la
IIe, soit la IIIe Internationale. Il n’y a nulle raison de douter
que ce soit la IIIe Internationale qui triomphe dans le mouvement
ouvrier. J’estime que la fusion de ces deux Internationales est
impossible.
Septième question. — Comment juger la situation
dans l’Europe occidentale ? Faut-il s’attendre à des événements
révolutionnaires dans les prochaines années ?Réponse. — Je pense
qu’en Europe grandissent et grandiront les éléments de la crise
la plus profonde du capitalisme. Le capitalisme peut partiellement se
stabiliser, rationaliser sa production, comprimer temporairement la
classe ouvrière : il est encore en état de le faire pour le moment,
mais il ne retournera jamais à la « stabilité » et à 1’ «
équilibre » dont il jouissait avant la guerre mondiale et la
révolution d’Octobre.
Il ne reviendra jamais à cette « stabilité »
et à cet « équilibre ». On le voit, ne serait-ce que par les
brasiers révolutionnaires qui s’allument en Europe comme dans les
colonies, ressources du capitalisme européen.
Aujourd’hui, c’est en Autriche que se produit
une explosion révolutionnaire ; demain, c’est en Angleterre ;
après-demain, quelque part en France ou en Allemagne ; puis, en
Chine, dans l’Indonésie, dans l’Inde, etc. Or, qu’est-ce que
l’Europe et les colonies ?
C’est le centre et la périphérie du
capitalisme. La tranquillité ne règne plus dans les centres du
capitalisme européen. Elle règne encore moins dans sa périphérie.
Les conditions mûrissent pour de nouveaux événements
révolutionnaires.
Je pense que la preuve la plus éclatante de la
crise croissante du capitalisme, l’exemple le plus clair du
mécontentement et de l’indignation qui s’accumulent dans la
classe ouvrière, ce sont les événements qui se rattachent à
l’assassinat de Sacco et Vanzetti.
Qu’est-ce que l’assassinat de deux ouvriers
pour le charnier capitaliste ? Est-ce que jusqu’à présent on ne
tuait pas les ouvriers par dizaines, par centaines, chaque semaine,
chaque jour ? Pourtant, il suffit de l’assassinat de deux ouvriers,
Sacco et Vanzetti, pour mettre en mouvement la classe ouvrière du
monde entier ?
Qu’est-ce à dire ? Que le terrain est de
plus en plus brûlant sous les pieds du capitalisme.
Que les conditions mûrissent pour de nouveaux
événements révolutionnaires. Le fait que les capitalistes
réussirent à tenir durant la première secousse de l’explosion
révolutionnaire n’est nullement une consolation pour eux.
La révolution contre le capitalisme ne peut
avancer en une vague continue et générale. Elle grandit toujours
avec des flux et des reflux. Il en a été ainsi en Russie. Il en
sera ainsi en Europe. Nous sommes à la veille de nouveaux événements
révolutionnaires.
Huitième question. — L’opposition estelle
forte dans le Parti russe ? Sur quels milieux s’appuie-t-elle ?
Réponse. — Je pense qu’elle est très faible.
Bien plus, ses forces sont presque nulles dans notre parti. J’ai en
mains le journal d’aujourd’hui. On y donne le bilan de plusieurs
jours de discussion.
Les chiffres disent que plus de 135.000 membres du
Parti ont voté pour le Comité central de l’U.R.S.S. et pour ses
thèses, et 1.200 seulement pour l’opposition.
Cela ne fait même pas 1 %. Je pense que, dans la
suite, le vote donnera des résultats encore plus humiliants pour
l’opposition. La discussion continuera chez nous jusqu’au
congrès.
Nous nous efforçons, pendant ce temps, de
demander l’opinion de tout le Parti. J’ignore comment chez vous,
dans les partis social-démocrates, on discute. Je ne sais si on
discute en général dans les partis social-démocrates. Nous
considérons la discussion d’une façon sérieuse.
Nous demanderons l’opinion de tout le Parti, et
vous verrez que l’importance de l’opposition dans notre parti est
encore plus infime que ne le montrent les chiffres que je viens
d’indiquer. Il se peut très bien qu’au XVe congrès l’opposition
n’ait pas un représentant, pas un délégué.
Dans la grande usine Tréougolnik, à Léningrad,
il y a 15.000 ouvriers, dont 2,122 communistes ; 39 d’entre
eux ont voté pour l’opposition. A l’usine Poutilov, à Léningrad
également, il y a environ 11.000 ouvriers, dont 1.718 communistes ;
29 ont voté pour l’opposition.
Sur quels milieux s’appuie l’opposition ? Je
pense que c’est surtout sur les milieux non prolétariens. Si l’on
demandait aux couches non prolétariennes de la population, à celles
qui sont mécontentes du régime de la dictature du prolétariat, de
quel côté vont leurs sympathies, elles répondraient sans hésiter
que c’est du côté de l’opposition.
Pourquoi ?
Parce que la lutte de l’opposition, au fond, est
une lutte contre le Parti, contre le régime de la dictature du
prolétariat, dont certaines couches non prolétariennes sont
fatalement mécontentes.
L’opposition est le reflet du mécontentement,
de la poussée des couches non prolétariennes de la population
contre la dictature du prolétariat.
Neuvième question. — Les bruits répandus en
Allemagne par Ruth Fischer et Maslow, qui déclarent que la direction
actuelle de l’I.C. et du Parti russe livre les ouvriers à la
contre-révolution, sont-ils vrais ?
Réponse. — Il faut croire qu’ils sont vrais.
Il faut croire que l’Internationale communiste et le Parti
communiste russe livrent pieds et poings liés la classe ouvrière de
l’U.R.S.S. aux contre révolutionnaires de tous les pays.
Bien plus, je puis vous annoncer que l’I.C. et
le Parti communistes russe ont décidé ces joursci de rappeler
tous les capitalistes et tous les hobereaux qui avaient été chassés
du pays et de leur rendre les usines et les fabriques. Ce n’est pas
tout. L’Internationale communiste et le P.C. de l’U.R.S.S. sont
allés plus loin en décidant qu’il est temps pour les bolchéviks
de commencer à se nourrir dechair humaine. Enfin, nous avons décidé
de nationaliser toutes les femmes et de faire commerce du viol de nos
propres sœurs.
(Hilarité générale.)
Des voix : Qui a pu poser une telle question ?
Je vois que vous riez. Peut-être quelques-uns
d’entre vous pensent-ils que je ne réponds pas sérieusement à la
question. C’est exact, camarades on ne peut répondre sérieusement
à de telles questions. Je pense qu’on ne peut répondre à de
telles questions qu’en les tournant en ridicule. (Vifs
applaudissements.)
Dixième question. — Quelle est votre attitude
envers l’opposition et la tendance Ruth Fischer et Maslow en
Allemagne ? Réponse. — Mon attitude envers l’opposition et ses
agents en Allemagne est la même que l’attitude du célèbre
romancier français Alphonse Daudet envers Tartarin de Tarascon.
(Mouvements de gaité parmi les délégués.)
Vous avez sans doute lu ce fameux récit
d’Alphonse Daudet. Le héros de cet ouvrage était, au fond, un
habituel « bon » petit bourgeois.
Mais sa fantaisie était si puissante, sa faculté
de « mentir innocemment » était si développée, qu’à la fin
des fins il a été lui-même victime de ses extraordinaires
capacités.
Tartarin se vantait à tout venant d’avoir tué
dans la chaîne de l’Atlas un nombre incalculable de lions et de
tigres. Les amis crédules de Tartarin lui décernèrent le titre de
premier chasseur de lions du monde.
Pourtant, Alphonse Daudet, savait parfaitement,
aussi bien que Tartarin lui-même, que ce dernier n’avait jamais vu
ni lions, ni tigres.
Tartarin s’était vanté en assurant à tous
qu’il avait fait l’ascension du mont Blanc. Ses crédules amis
lui décernèrent le titre de premier alpiniste du monde. Pourtant,
Alphonse Daudet savait parfaitement que Tartarin n’avait jamais été
sur le mont Blanc.
Tartarin s’était vanté et avait assuré à
tous qu’il avait fondé une grande colonie dans un pays lointain de
la France. Ses crédules amis lui décernèrent le titre de premier
colonisateur du monde.
Pourtant, Alphonse Daudet, aussi bien que son
héros, savait que les idées fantaisistes de Tartarin ne pouvaient
aboutir à rien d’autre qu’à la confusion de ce dernier et de
ses amis.
Vous savez à quelle confusion, à quel ridicule,
la vantardise de Tartarin a conduit ses amis.
Je pense que le tapage et la vantardise des
leaders de l’opposition, à Moscou et à Berlin, se termineront par
la même confusion et le même ridicule pour l’opposition.
(Hilarité générale.) Staline. — Nous venons d’épuiser la
première liste des questions.
Passons maintenant aux questions de la délégation
française.
Première question. — De quelle façon le
gouvernement de l’U.R.S.S. pense-t-il combattre les firmes
pétrolières étrangères ?
Réponse. — La question, à mon avis, est mal
posée. Ainsi formulée, elle pourrait donner à croire que
l’industrie soviétique du naphte s’est assignée pour but de
livrer bataille aux firmes de la même industrie des autres pays et
qu’elle veut les couler et les liquider. En est-il ainsi en réalité
? Non.
Voici de quoi il s’agit au fond : certaines
firmes pétrolières des pays capitalistes s’efforcent d’étouffer
l’industrie soviétique du naphte, celle-ci doit se défendre pour
vivre et se développer. Le fait est que l’industrie pétrolière
soviétique est plus faible que l’industrie pétrolière des pays
capitalistes, aussi bien en ce qui concerne l’extraction (nous
extrayons moins qu’eux) que dans les relations avec le marché (ils
ont bien plus de relations avec le marché mondial que nous).Comment
l’industrie soviétique du pétrole se défend-elle ?
Elle se défend en améliorant la qualité de la
production et, avant tout, en baissant les prix du pétrole, en
vendant sur le marché un produit bon marché, meilleur marché que
le pétrole des firmes capitalistes.
Mais, pourra-t-on demander, les Soviets sont-ils
donc si riches qu’ils ont la possibilité de vendre moins cher que
les plus riches firmes capitalistes ?
Naturellement, l’industrie soviétique n’est
pas plus riche que les firmes capitalistes. Au contraire, les firmes
capitalistes sont beaucoup plus riches que l’industrie soviétique.
Mais il ne s’agit pas de richesses. Le fait est
que l’industrie soviétique du pétrole n’est pas une industrie
capitaliste, et c’est pourquoi elle n’a pas besoin de surprofits
fabuleux, alors que les firmes capitalistes ne peuvent s’en passer.
C’est précisément parce que l’industrie soviétique du pétrole
n’a pas besoin de surprofits formidables qu’elle peut vendre ses
produits moins cher que les firmes capitalistes. On peut en dire
autant des céréales, du bois soviétique, etc.
En général, il faut dire que les produits
soviétiques, en particulier le pétrole, sont sur le marché
international un facteur comprimant les prix et allégeant ainsi la
situation des masses de consommateurs.
C’est là, pour le pétrole soviétique, une
force, un moyen de défense contre les tentatives des firmes
pétrolières capitalistes. C’est pourquoi les grands pétroliers
de tous les pays, en particulier Déterding, crient à tue-tête
contre les Soviets et contre le pétrole soviétique en dissimulant
leur politique des hauts prix et le pillage du consommateur par des
phrases à la mode sur la « propagande communiste ».
Deuxième question. — Comment pensez-vous
réaliser le collectivisme parmi la paysannerie ?
Réponse. — Nous pensons réaliser le
collectivisme parmi la paysannerie graduellement, par des mesures
d’ordre économique,financier, politique et éducatif. Je pense que
la question la plus intéressante est celle des mesures d’ordre
économique.
Dans ce domaine, nos mesures vont dans trois
directions : l’organisation des exploitations paysannes
individuelles dans les coopératives ; l’organisation des
exploitations paysannes, surtout celle des paysans pauvres, dans les
sociétés de production ; et, enfin, les mesures à prendre par
les organes de plan et de régularisation étatiques pour embrasser
l’économie paysanne aussi bien en ce qui concerne l’écoulement
des produits ruraux que la fourniture aux paysans des objets de notre
industrie qui leur sont nécessaires.
Il y a quelques années, il existait entre
l’industrie et l’agriculture de nombreux intermédiaires
représentés par des entrepreneurs privés qui fournissaient aux
paysans les produits de la ville et vendaient aux ouvriers le pain
des paysans.
Il est compréhensible que ces intermédiaires ne
« travaillaient » pas pour rien et retiraient des dizaines de
millions en pressurant la population rurale et la population urbaine.
C’était la période où l’alliance entre la
ville et le village, entre l’industrie socialiste et l’économie
paysanne individuelle était encore mal organisée. Le rôle de la
coopération et des organes de répartition de l’État était alors
relativement insignifiant. Depuis, l’état de chose a foncièrement
changé.
Maintenant, dans les échanges entre la ville et
le village, entre l’industrie et l’économie rurale, le rôle de
la coopération et des organes commerciaux de l’État peut être
considéré non seulement comme prépondérant, mais comme nettement
dominant, sinon exclusif.
Dans la fourniture des tissus aux paysans, la part
vendue par les coopératives et les organes de l’État s’élève
à plus de 70 % ; dans la fourniture de machines agricoles, elle
atteint presque 100 %.
Dans l’achat des céréales des paysans, la part
des coopératives et des organes de l’État dépasse 80 %.Dans
l’achat des matières premières pour l’industrie, telles que le
coton, la. Betterave, etc., elle est presque de 100 %.
Que signifie cela ?
Cela signifie, premièrement, que le capitalisme
est évincé de la sphère des échanges, que l’industrie se soude
directement à l’économie paysanne, que les bénéfices qui
allaient aux intermédiaires spéculateurs restent dans l’industrie
et dans l’agriculture, que les paysans ont la possibilité
d’acheter les produits de la ville moins cher, que les ouvriers, à
leur tour, ont la possibilité de payer moins cher pour les denrées
agricoles.
Deuxièmement, qu’en éliminant de l’échange
les intermédiaires capitalistes, l’industrie a la possibilité
d’entraîner à sa remorque l’économie rurale, de l’influencer,
d’élever son niveau, de la rationaliser, de l’industrialiser.
Troisièmement, qu’en soudant l’agriculture à
l’industrie, l’État a la possibilité d’introduire le principe
du plan, de la prévision dans le développement de l’agriculture,
de lui fournir de meilleures semences et de meilleurs engrais, de
déterminer le montant de sa production, de l’influencer dans le
sens de la politique des prix, etc.
Enfin, cela signifie que, dans les villages, il se
crée des conditions favorables à la liquidation des éléments
capitalistes, à la restriction et à la liquidation des éléments
koulaks, à l’organisation des paysans travailleurs dans des
sociétés de production, au financement de ces sociétés par
l’État.
Prenons, par exemple, la production de la
betterave à sucre et celle du coton.
Le montant de la production de ces deux matières
premières, de même que les prix et la qualité, ne sont pas
déterminés sporadiquement, par le jeu des forces sur le marché
inorganisé, par les intermédiaires spéculateurs, par la Bourse et
les comptoirs capitalistes de toute espèce, mais par le Plan, par
des traités préalables et précis entre les syndicats du sucre, les
syndicats du textile d’une part, et les dizaines de millions de
producteurs paysans en la personne de la coopération de la culture
de la betterave et du coton, de l’autre.
Il n’y a ici ni Bourses, ni comptoirs, ni
agiotage sur les prix, etc. Tous ces accessoires de l’économie
capitaliste n’existent plus chez nous dans ce domaine.
Il n’y a plus ici que les deux parties en
présence, sans Bourses ni intermédiaires : d’une part, les
syndicats de l’État, d’autre part, les paysans coopérés.
Les syndicats de l’État signent des contrats
avec les organisations coopératives intéressées pour la production
de telle ou telle quantité de betterave ou de coton, pour la
fourniture aux paysans de semences, de prêts, etc.
Après la récolte, toute la production est mise à
la disposition des syndicats, et les paysans reçoivent la somme qui
leur revient selon les clauses des contrats signés à l’avance.
C’est ce qu’on appelle chez nous le système de contractation.
Ce système est bon en ce sens qu’il a des
avantages pour les deux parties et qu’il soude l’agriculture à
l’industrie directement, sans nul intermédiaire. Ce système est
la voie la plus sûre vers la collectivisation de l’économie
paysanne.
On ne peut dire que les autres branches de
l’agriculture soient arrivées à un tel degré de développement.
Mais on peut dire avec assurance que toutes les branches de
l’économie rurale, sans en excepter la production des céréales,
devront peu à peu passer par là.
Ce chemin conduit directement à la
collectivisation de l’économie rurale.
La collectivisation générale n’arrivera que
lorsque les exploitations rurales seront réorganisées sur une
nouvelle base technique, grâce à l’emploi généralisé des
machines et à l’électrification ; lorsque la majorité des
paysans travailleurs seront groupés dans les organisations
coopératives ; lorsque la majorité des villages serontcouverts
d’un réseau de sociétés agricoles à caractère collectiviste.
On va vers ce but, mais on n’y est pas encore
arrivé et on n’y arrivera pas de sitôt.
Pourquoi ? Entre autres, parce qu’il faut pour
cela des capitaux immenses dont notre Etat ne dispose pas encore,
mais qui, incontestablement, s’accumuleront avec le temps.
Marx disait qu’aucun nouveau régime social ne
se consolide sans être intensément financé, sans que des centaines
et des centaines de millions soient dépensés pour cela. Je pense
que nous entrons déjà dans la période de développement de
l’agriculture où l’État commence à avoir la possibilité de
financer plus énergiquement le nouvel ordre social.
Le fait que l’industrie socialiste a déjà
conquis le rôle d’élément dirigeant dans l’économie
nationale, et entraîne à sa suite l’agriculture, est la garantie
la plus sûre que l’économie paysanne suivra la voie de la
collectivisation.
Troisième question. — Quelles ont été les
principales difficultés sous le communisme de guerre, lorsqu’on a
tenté de supprimer l’argent ?
Réponse. — Les difficultés ont été
nombreuses aussi bien en ce qui concerne le développement intérieur
que les relations extérieures. Si l’on prend les rapports
intérieurs d’ordre économique, on peut constater trois
principales difficultés.
Premièrement, notre industrie était ruinée et
paralysée, abstraction faite de l’industrie de guerre qui
fournissait les munitions aux fronts de la guerre civile pendant
l’intervention. Les deux tiers de nos usines et fabriques
chômaient, les transports clochaient, il n’y avait pas ou presque
pas de marchandises.
Deuxièmement, l’agriculture allait très mal,
la main d’œuvre agricole était sur le front, on manquait de
matières premières, on manquait de pain pour la population des
villes et, avant tout, pour les ouvriers.
Nous donnions alors aux ouvriers une demi-livre de
pain, et parfois même 1/8 de livre par jour.
Troisièmement, il n’y avait pas ou presque pas
d’appareil commercial soviétique de transmission plus ou moins
organisé entre la ville et le village, d’appareil capable de
fournir au village les produits de la ville et à la ville les
denrées du village. La coopération et les organes commerciaux de
l’État étaient dans un état embryonnaire.
Après la guerre civile et l’instauration de la
nouvelle politique économique, la situation économique du pays a
changé radicalement.
L’industrie s’est développée et renforcée
et a occupé une position dominante dans toute l’économie
nationale. Ce qu’il y a de plus caractéristique à cet égard,
c’est que pendant les deux dernières années nous avons réussi à
investir dans l’industrie plus de 2 milliards de roubles tirés de
nos propres accumulations, sans l’aide de l’extérieur, sans
aucun emprunt étranger. On ne peut plus dire maintenant qu’il n’y
a plus de marchandises pour les paysans.
L’agriculture s’est relevée, sa production a
repris les proportions d’avant-guerre. On ne peut plus dire
maintenant que pour les ouvriers il n’y a pas de pain ou d’autres
produits de l’agriculture.
La coopération et les organes commerciaux de
l’État se sont développés au point d’occuper dans les échanges
du pays une position dominante. On ne peut plus dire que nous n’avons
pas d’appareil de transmission et de répartition entre la ville et
le village, entre l’industrie et l’agriculture.
Tout cela, bien entendu, ne suffit pas pour
édifier dès maintenant l’économie socialiste. Mais c’est
parfaitement suffisant pour aller del’avant dans le chemin de
l’édification victorieuse du socialisme.
Nous avons besoin maintenant de réoutiller notre
industrie, de construire de nouvelles usines sur une nouvelle base
technique. Il nous faut relever le niveau de l’agriculture, fournir
aux paysans le maximum de machines agricoles, organiser dans les
coopératives la majorité des paysans travailleurs, réorganiser les
producteurs isolés dans un large réseau de sociétés agricoles.
Il nous faut organiser notre appareil de
transmission et de répartition entre la ville et le village de façon
qu’il soit capable d’évaluer les moyens et de satisfaire les
besoins de la ville et du village dans tout le pays, de la même
façon que chaque personne calcule son budget, ses recettes et ses
dépenses.
Tout cela réalisé, nous arriverons au temps où
l’on n’aura plus besoin d’argent. Mais nous en sommes encore
loin.
Quatrième question. — Qu’en est-il des «
ciseaux » ?
Réponse. — Si, par « ciseaux », on entend
l’écart entre les prix des denrées agricoles et ceux des produits
industriels du point de vue du prix de revient, la situation des «
ciseaux » est la suivante : Il est incontestable que nos produits
industriels se vendent encore plus cher qu’il serait possible de
les vendre dans d’autres conditions.
Cela s’explique par la jeunesse de notre
industrie, la nécessité de la protéger contre la concurrence
extérieure, de lui créer des conditions accélérant son
développement.
Or son développement rapide est nécessaire aussi
bien aux villes qu’aux campagnes.
Autrement il ne serait pas possible de fournir à
temps et en quantité suffisante aux paysans les tissus et les
machines agricoles. Cette circonstance crée un écart entre les prix
des produits industriels et ceux des produits agricoles, avec un
certain préjudice pourl’économie rurale.
Pour mettre fin à ce désavantage de
l’agriculture, le gouvernement et le Parti se sont donnés pour
tâche d’appliquer une politique de baisse graduelle, mais
constante, des prix des produits industriels. Peut-on dire que cette
politique soit réaliste ?
J’estime qu’elle l’est incontestablement. On
sait par exemple que, pendant la dernière année, nous avons réussi
à baisser les prix de détail des produits industriels de 8 à 10 %.
On sait aussi que nos organisations industrielles réduisent
systématiquement les prix de revient et les prix de vente des
produits industriels.
Il n’y a pas de raisons de douter que cette
politique ne continue à l’avenir. Bien plus, je dois dire que la
politique de baisse constante des prix des produits industriels est
la pierre angulaire de notre politique économique, sans laquelle ni
l’amélioration ni la rationalisation de notre économie
industrielle, ni la consolidation de l’alliance de la classe
ouvrière avec les paysans ne sauraient se concevoir.
Dans les pays bourgeois, on suit à cet égard une
autre politique.
Dans ces pays, les entreprises s’organisent
habituellement en trusts et en syndicats pour majorer à l’intérieur
les prix des marchandises fabriquées par l’industrie, pour
s’assurer un monopole de fait sur les prix, pour réaliser ainsi le
maximum de bénéfices et constituer des fonds leur permettant de
vendre ces mêmes marchandises à bas prix dans les pays étrangers
afin de conquérir de nouveaux marchés.
C’était là la politique appliquée chez nous,
en Russie, à l’époque du régime bourgeois, alors que le sucre,
par exemple, était vendu à l’intérieur du pays trois fois plus
cher qu’à l’étranger, trois fois plus cher qu’en Angleterre
par exemple, où il était vendu si bon marché qu’on en
nourrissait les cochons.
Le gouvernement soviétique suit une politique
diamétralement opposée.Il estime que l’industrie est faite pour
servir la population, et non pas le contraire.
Il pense que la baisse constante des prix
industriels est le moyen essentiel sans lequel le progrès normal de
l’industrie est impossible. Sans parler du fait que la politique de
baisse des prix industriels contribue à accroître la consommation
de la population, augmente la capacité d’achat du marché
intérieur, urbain et rural, et crée ainsi la base, sans cesse
élargie, nécessaire au déploiement intérieur de l’industrie.
Cinquième question. — Quelles sont les
propositions du gouvernement soviétique aux petits porteurs français
de fonds russes ?
Comment les porter à la connaissance des rentiers
français ?
Réponse. — Nos propositions en ce qui concerne
les dettes d’avant-guerre ont été publiées dans la fameuse
interview du camarade Rakovski. Je pense que vous devez les
connaître.
Elles sont conditionnées par l’obtention
simultanée de crédits par l’U.R.S.S. Nous nous en tenons ici au
fameux principe : donnant, donnant. Si vous nous accordez des
crédits, vous obtiendrez de nous quelque chose en ce qui concerne
les dettes d’avant-guerre ; si vous ne donnez rien, vous ne
recevrez rien.
Cela veut-il dire que nous reconnaissons ici en
principe les dettes d’avant-guerre ?
Pas le moins du monde.
Cela veut seulement dire que, tout en laissant en
vigueur le célèbre décret sur l’abolition des dettes tsaristes,
nous consentons néanmoins, à titre d’accord pratique, à payer
quelque chose de ces dettes, si l’on nous fournit en échange les
crédits qui nous sont nécessaires et qui seront profitables à
l’industrie française.
Nous considérons les paiements pour les dettes
comme des intérêts supplémentaires pour les crédits que nous
recevrons pour le développement de notre industrie.
On parle des dettes de guerre de la Russie
tsariste. On parle de toute sorte de prétentions à l’égard de
l’U.R.S.S. à la suite des résultats de la révolution d’Octobre.
Mais on oublie que notre révolution est la négation de principe des
guerres impérialistes et des dettes tsaristes qui s’y rattachent.
On oublie que l’U.R.S.S. ne peut pas ne pas
faire entrer en ligne de compte les pillages et les violences qu’elle
a subis pendant plusieurs années, pendant l’intervention
étrangère, et pour lesquels elle présente certaines
revendications. Qui répond de ces pillages et de ces violences ? Qui
doit en répondre ? Qui doit payer ces pillages et ces violences ?
Les gouvernants impérialistes sont enclins à oublier ces choses
désagréables. Mais ils doivent savoir que de telles choses ne
s’oublient pas.
Sixième question. — Comment concilier le
monopole de l’eau-de-vie et la lutte contre l’alcoolisme ?
Réponse. — Je pense qu’il est en général
difficile de les concilier. Il y a ici une contradiction indubitable.
Le Parti connaît cette contradiction et il s’y est engagé
consciemment, sachant qu’au moment actuel l’admission de cette
contradiction est un moindre mal.
Quand nous avons établi le monopole de
l’eau-de-vie nous étions devant cette alternative : ou bien nous
laisser asservir par les capitalistes, leur livrer de nombreuses
usines et fabriques des plus importantes et recevoir en échange
certaines ressources nécessaires pour nous tirer d’affaire ; ou
bien, établir le monopole de l’eau-de-vie afin d’obtenir les
capitaux de roulement nécessaires pour pouvoir développer notre
industrie par nos propres moyens.
Les membres du Comité central, dont je faisais
partie, ont eu alors une conversation avec Lénine, qui a reconnu
que, dans le cas où l’on ne pourrait obtenir des emprunts à
l’étranger, il faudrait recourir ouvertement et directement au
monopole de l’eau-de-vie.
Naturellement, il aurait mieux valu se passer de
la vodka, car celle-ci est un mal. Mais il aurait fallu alors
s’asservir temporairement aux capitalistes, ce qui est un mal
encore plus grand. C’est pourquoi nous avons préféré le moindre
mal. A l’heure actuelle, la vodka donne plus de 500 millions de
roubles de revenus.
Renoncer maintenant à la vodka serait renoncer à
ce revenu ; de plus, il n’y a aucune raison de croire que
l’alcoolisme en serait réduit, car le paysan commencerait à
distiller lui-même son eau de vie, s’intoxiquant ainsi avec un
alcool impur fabriqué par des moyens de fortune.
Evidemment, le bas niveau culturel de nos
campagnes joue ici un certain rôle. Sans compter que la renonciation
immédiate au monopole de l’eau-de-vie priverait notre industrie de
plus d’un demi milliard de roubles, somme qui ne pourrait être
tirée d’une autre source.
S’ensuit-il que le monopole de l’alcool doive
subsister à l’avenir ? Nullement. Ce n’est qu’une mesure
provisoire.
C’est pourquoi, elle devra être supprimée dès
que notre économie nationale trouvera de nouvelles sources de
revenus pour le développement de notre industrie. Et il n’est pas
douteux que nous arriverons à trouver ces sources.
Avons-nous bien fait en laissant entre les mains
de l’État la fabrication et la vente de l’eau-de-vie ? Je pense
que oui.
Si la vodka était livrée à des particuliers,
cela aboutirait : premièrement, à renforcer le capital privé ;
deuxièmement, à priver le gouvernement de la possibilité de régler
convenablement la production et la consommation de la vodka ;
troisièmement, à rendre plus difficile la suppression, dans un
avenir prochain, de la production et de la consommation de la vodka.
A l’heure actuelle, notre politique consiste à
réduire peu à peu la production de la vodka. Je pense que, dans un
avenir prochain, nous réussirons à supprimer complètement ce
monopole, à réduire la production de l’alcool jusqu’au minimum
nécessaire pour l’industrie et, ensuite, à liquider complètement
la vente de l’eau-de-vie.
Je pense que nous n’aurions affaire ni avec la
vodka ni avec beaucoup d’autres choses désagréables si les
prolétaires d’Europe occidentale prenaient le pouvoir et nous
fournissaient l’aide dont nous avons besoin.
Mais que faire ? Nos frères d’Europe
occidentale, pour le moment, ne veulent pas prendre le pouvoir, et
nous sommes obligés de nous débrouiller par nos propres moyens. Ce
n’est déjà plus notre faute.
Telles sont les circonstances. Mais, comme vous le
voyez, une part de la responsabilité du monopole de la vodka retombe
sur nos amis de l’Europe occidentale. (Rires, applaudissements.)
Septième question. — Droits judiciaires de la
Guépéou, jugements sans témoins et sans défenseurs, arrestations
secrètes. Ces mesures étant difficiles à faire admettre par
l’opinion publique française, il serait intéressant d’en
connaître la raison d’être. Pense-t-on les changer ou les
supprimer ?
Réponse. — La Guépéou ou Tchéka est l’organe
punitif du pouvoir soviétique. Cet organe est plus ou moins analogue
au Comité de Salut public créé pendant la grande Révolution
française. Il punit surtout les espions, les conspirateurs, les
terroristes, les bandits, les spéculateurs, les faux-monnayeurs.
C’est en quelque sorte un tribunal
militaire-politique créé pour protéger les intérêts de la
révolution contre les attentats des bourgeois
contre-révolutionnaires et de leurs agents.
Cet organe a été créé au lendemain de la
révolution d’Octobre, aprèsla découverte de toute sorte
d’organisations terroristes, d’espionnage
et de conjuration, financées par les capitalistes
russes et étrangers.
Cet organe s’est développé et renforcé après
la perpétration de plusieurs attentats terroristes contre les hommes
d’État soviétiques ; après l’assassinat du camarade
Ouritski, membre du Comité révolutionnaire de Léningrad, qui fut
tué par un s.-r.; après l’assassinat du camarade Volodarski,
membre du même Comité révolutionnaire de Léningrad et également
tué par un s.-r.; après l’attentat contre la vie de Lénine
(blessé par un membre du parti des s.-r.).
Il faut reconnaître que la Guépéou, lorsqu’elle
portait des coups aux ennemis de la révolution, frappait juste et
sans rater. D’ailleurs, elle a conservé cette qualité jusqu’à
ce jour. Depuis sa création, la Guépéou, est une terreur pour la
bourgeoisie, la sentinelle vigilante de la révolution, le glaive du
prolétariat.
Il n’est pas étonnant que les bourgeois de tous
les pays nourrissent contre la Guépéou une haine bestiale. On fait
courir sur elle les légendes les plus fantastiques, on répand les
calomnies les plus monstrueuses sur son action.
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie
que la Guépéou défend bien les intérêts de la révolution. Les
ennemis jurés de la révolution hurlent contre la Guépéou ;
donc la Guépéou travaille bien.
Les ouvriers n’ont pas la même opinion de la
Guépéou. Allez dans les quartiers ouvriers et questionnez les
ouvriers à ce sujet. Vous verrez l’estime qu’ils ont pour la
Guépéou. Pourquoi ? Parce qu’ils voient en elle le défenseur
fidèle de la révolution. Je comprends la haine et la méfiance des
bourgeois contre la Guépéou.
Je comprends les voyageurs bourgeois qui, venant
en U.R.S.S., commencent par demander si la Guépéou subsiste
encoreou s’il n’est pas temps de la liquider. Tout cela est
compréhensible et nullement étonnant.
Mais je ne peux comprendre certains délégués
ouvriers qui, venant en U.R.S.S., demandent anxieusement : Y
a-t-il beaucoup de contre-révolutionnaires punis par la Guépéou ?
Punira-t-on encore les terroristes et les conjurateurs qui complotent
contre le pouvoir soviétique ?
N’est-il pas temps de mettre fin à l’existence
de la Guépéou ? D’où vient chez certains délégués ouvriers
cette sollicitude pour les ennemis de la révolution prolétarienne ?
Comment l’expliquer ? Comment la justifier ? On
prêche la plus grande indulgence, on conseille de supprimer la
Guépéou, mais peut-on garantir qu’après la suppression de la
Guépéou les capitalistes de tous les pays cesseront d’organiser
et de financer les groupes contre-révolutionnaires de conjurateurs,
de terroristes, d’incendiaires, de lanceurs de bombes ?
Désarmer la révolution sans avoir la garantie
que les ennemis de la révolution seront aussi désarmés, n’est-ce
pas une sottise, un crime contre la classe ouvrière ?
Non, camarades, nous ne voulons pas répéter les
erreurs des Communards de Paris. Les Communards ont été trop doux
pour les Versaillais, et Marx les a autrefois sévèrement critiqués
à juste titre.
Ils ont payé cher leur indulgence car, lorsque
Thiers est entré à Paris, des dizaines de milliers d’ouvriers ont
été fusillés par les Versaillais. Pensez-vous donc, camarades, que
les bourgeois et hobereaux russes soient moins sanguinaires que les
Versaillais ?
Nous savons en tout cas comment ils châtiaient
les ouvriers lorsqu’ils occupaient la Sibérie, l’Ukraine, le
nord du Caucase ; lorsqu’ils étaient alliés aux
interventionnistes français, anglais, japonais et américains.Je ne
veux nullement dire que la situation intérieure du pays nous oblige
à avoir des organes révolutionnaires punitifs.
A l’intérieur de l’U.R.S.S., la révolution
est si forte, si fermement assise qu’on pourrait peut-être se
passer de la Guépéou. Mais les ennemis de l’intérieur ne sont
pas solitaires, isolés ; ils sont rattachés par des milliers
de liens aux capitalistes de tous les pays, qui les soutiennent de
toutes leurs forces, par tous les moyens. Nous sommes un pays entouré
d’Etats capitalistes.
Les ennemis intérieurs de notre révolution ne
sont que les agents des capitalistes de tous les pays. Les Etats
capitalistes sont la base et l’arrière des ennemis de notre
révolution. En combattant les ennemis de l’intérieur, nous
combattons en même temps les éléments contre-révolutionnaires de
tous les pays. Jugez maintenant vous-mêmes si l’on peut, dans ces
conditions, se passer d’organes punitifs dans le genre de la
Guépéou.
Non, camarades, nous ne voulons pas renouveler les
erreurs des Communards de Paris. La Guépéou est indispensable à la
révolution et elle vivra, redoutée des ennemis du prolétariat.
(Vifs applaudissements.)
Un des délégués. — Permettez-moi, camarade
Staline, de vous remercier au nom de tous les délégués ici
présents, de nous avoir donné ces explications et d’avoir dissipé
les mensonges répandus à l’étranger au sujet de l’U.R.S.S. Ne
doutez pas que nous saurons raconter aux ouvriers de chez nous la
vérité sur l’U.R.S.S.
Staline. — Ce n’est pas la peine de remercier,
camarades, J’estime que mon devoir est de répondre à vos
questions et de vous rendre des comptes. Nous, militants soviétiques,
nous nous jugeons obligés de rendre des comptes de notre action à
nos frères de classe sur tous les points qu’ils désirent
éclaircir. Notre Etat est l’enfant du prolétariat mondial.
Nos hommes d’État ne font que leur devoir envers le prolétariat mondial lorsqu’ils rendent des comptes à ses représentants. (Applaudissements.)
II Questions du camarade Staline et réponses
des délégués Staline. — Si la délégation n’est pas trop
fatiguée, je la prierai de m’autoriser à lui poser, à mon tour,
quelques questions. (La délégation donne son acquiescement.)
Première question. — Comment expliquer l’infime
pourcentage des ouvriers syndiqués en Amérique ? Je crois que
l’Amérique compte 17 millions d’ouvriers industriels. (Les
délégués indiquent que ce nombre est de 18 à 19 millions.) Les
ouvriers syndiqués ne sont qu’au nombre de trois millions. (Les
délégués indiquent que la Fédération américaine du travail
compte trois millions environ d’ouvriers organisés et que dans les
autres syndicats il y a, en outre, près de cinq cent mille ouvriers
syndiqués, ce qui porte à trois millions et demi le nombre total
des ouvriers syndiqués.
A mon avis c’est là un pourcentage très faible
des ouvriers organisés.
Chez nous, en U.R.S.S., 90 % des prolétaires sont
syndiqués. Je veux demander aux délégués s’ils considèrent
comme favorable ce degré relativement faible d’organisation des
ouvriers d’Amérique.
La délégation ne pense-t-elle pas que c’est là
un indice de faiblesse du prolétariat américain, de faiblesse de
ses moyens de lutte contre les capitalistes dans le domaine
économique ?
Brophi. — Les effectifs peu nombreux des
syndicats s’expliquent non par la tactique peu réussie des
organisations syndicales, mais par la situation économique générale
du pays, qui, étant favorable, ne pousse pas toute la masse des
ouvriers à s’organiser et rétrécit lalutte de la classe ouvrière
contre les capitalistes. Certes, cette situation changera ;
parallèlement, les syndicats se renforceront et le mouvement
syndical tout entier empruntera une autre voie.
Douglas. — Je partage le point de vue émis par
l’orateur précédent.
Je voudrais seulement y ajouter ceci. D’abord,
il ne faut pas perdre de vue que depuis quelque temps, les
capitalistes des Etats-Unis ont d’eux-mêmes porté les salaires à
un niveau très élevé. Ce relèvement des salaires a eu lieu en
1917, 1919 et plus récemment.
En comparant le salaire réel d’aujourd’hui à
celui de 1911, on constate que le premier est considérablement plus
élevé. Le mouvement syndical, au cours de son développement, était
basé, avant comme aujourd’hui, sur le principe de l’organisation
par métiers, par professions, et les syndicats étaient formés
surtout à l’intention des ouvriers qualifiés.
Ces syndicats étaient dirigés par des chefs
représentant une organisation fermée et s’efforçant d’obtenir
de bonnes conditions pour leurs membres. Rien n’incitait ces chefs
à élargir les cadres des syndicats et à y attirer des ouvriers non
qualifiés.
En outre, le mouvement syndical américain doit
compter avec un capitalisme admirablement organisé qui dispose de
tous les moyens nécessaires pour contrecarrer l’organisation des
ouvriers en syndicats.
Si une industrie trustifiée se heurte, dans une
des ses entreprises, à la résistance trop vigoureuse du syndicat,
elle va jusqu’à fermer cette entreprise, quitte à transférer
cette production dans l’une de ses autres entreprises.
Et la résistance du syndicat se trouve ainsi
brisée.
Le capitalisme américain relève les salaires de
sa propre initiative, mais sans donner aux ouvriers le moindre
pouvoir économique ni lapossibilité de lutter pour leur mieux-être.
Un autre facteur très important en Amérique,
c’est que les capitalistes attisent la haine nationale entre les
ouvriers de différentes nationalités. La plupart du temps, les
ouvriers non qualifiés sont des émigrés d’Europe et, depuis
quelque temps, des travailleurs noirs. Les capitalistes sèment la
discorde entre ouvriers de différentes nationalités.
Cette division des ouvriers par nationalités se
pratique parmi les ouvriers aussi bien qualifiés que non qualifiés.
Les capitalistes sèment de façon systématique l’antagonisme
entre les travailleurs de différentes nationalités, sans égard à
la qualification de leur travail.
Depuis dix ans, le capitalisme américain fait une
politique plus éclairée, en ce sens qu’il crée des syndicats à
lui, dits company-unions. Il recrute des ouvriers, les intéresse aux
bénéfices de l’entreprise, etc. Le capitalisme américain
manifeste la tendance de substituer la division verticale à la
division horizontale, autrement dit, de scinder la classe ouvrière,
en l’amadouant et en l’intéressant aux bénéfices de
l’entreprise.
Coyle. — J’examinerai la question du point de
vue pratique et non du point de vue théorique. J’estime que les
ouvriers se laissent plus facilement organiser quand la situation est
favorable. Seulement, la statistique des adhérents à la Fédération
américaine du travail montre que cette fédération perd de plus en
plus ses adhérents non-qualifiés et augmente le nombre de ses
membres qualifiés.
La Fédération américaine du travail tend ainsi
à devenir surtout une organisation pour travailleurs qualifiés. Le
mouvement syndical en Amérique n’englobe presque pas les
travailleurs non qualifiés. Il est des branches d’industrie
importantes qui ne sont pas atteintes par le mouvement syndical.
Parmi ces principales branches d’industrie,
seuls les mineurs et les cheminots sont organisés jusqu’à un
certain point ; il n’en reste pas moins que l’industrie
houillère compte 65 % d’ouvriers non syndiqués.
Dans la fonderie d’acier, le caoutchouc et
l’automobile, les ouvriers ne sont presque pas du tout organisés.
On peut dire que les syndicats n’ont pas de membres non qualifiés.
Il existe en dehors de la Fédération américaine
du travail une série de syndicats indépendants qui s’efforcent
d’organiser les ouvriers non qualifiés et semi-qualifiés.
Quant à la position des chefs de la Fédération
américaine du travail, l’un d’entre eux, le président de
l’Union des métaux, a déclaré ouvertement ne pas vouloir
recruter pour son union des ouvriers non qualifiés. Les chefs
syndicaux forment une caste à part, composée de quelques dizaines
de personnes bien rétribuées (jusqu’à dix mille dollars et
au-delà par an), et entièrement inaccessible.
Dunne. — La question posée par le camarade
Staline n’est pas équitable, car, si les syndicats de son pays
groupent plus de 90 % de travailleurs, c’est que le pouvoir est
exercé par la classe ouvrière, alors que dans les pays capitalistes
les ouvriers sont une classe opprimée et la bourgeoisie y prend
toutes les mesures pour les empêcher de s’organiser syndicalement.
En outre, dans les pays capitalistes, il existe
des syndicats réactionnaires dirigés par des chefs réactionnaires.
Etant donné les conditions actuelles où vivent les ouvriers
américains, il est très difficile de faire pénétrer dans l’esprit
des ouvriers l’idée syndicale.
Voilà la raison pour laquelle le mouvement
syndical a une si faible extension en Amérique.Staline. — Le
dernier orateur est-il d’accord avec l’orateur précédent pour
affirmer que certains chefs syndicaux américains cherchent à
rétrécir le mouvement syndical ?
Dunne. — Oui, je suis d’accord.
Staline. — Je ne voudrais faire affront à
personne. Je voulais tout simplement me rendre compte de la
différence entre la situation en U.R.S.S. et celle en Amérique. Si
j’ai froissé quelqu’un, je le prie de m’excuser. (Rires parmi
les délégués.)
Dunne. — Je ne suis nullement froissé.
Staline. — Existe-t-il en Amérique des
assurances sociales aux frais de l’État.
Un des délégués. — Il n’en existe pas du
tout.
Coyle. — Dans la plupart des Etats on accorde
une indemnité en cas d’accident de travail, indemnité qui ne
dépasse pas les 30 % de l’invalidité contractée.
Cela se pratique dans la plupart des Etats. Le
payement s’effectue par les maisons où l’ouvrier a perdu sa
capacité de travail, la loi obligeant le patronat à cette
compensation.
Staline. — Y a-t-il en Amérique l’assurance
contre le chômage aux frais de l’État?
Un des délégués. — Non, le fonds d’assurance
contre le chômage ne peut satisfaire que 80 à 100.000 chômeurs
dans tous les Etats.
Coyle. — Il y a l’assurance (non par l’État)
contre les accidents de travail industriels, c’est-à-dire
accidents survenus sur le chantier ou dans l’atelier.Mais
l’invalidité par suite de vieillesse ou de maladie n’est pas
assurée. Le fonds d’assurance est alimenté.par les cotisations
ouvrières.
A vrai dire, toutes ces sommes sont versées par
les ouvriers eux-mêmes, car, si ces derniers n’entretenaient pas
ce fonds, ils recevraient un supplément de salaire ; or, la
formation de ce fonds étant réglée par un accord commun entre
ouvriers et patronat, les ouvriers touchent un supplément de salaire
moins grand. Les versements des ouvriers sont presque l’unique
source alimentant ce fonds.
Le patronat ne verse, en fait, qu’une partie
infime de la somme totale, soit 10 % environ.
Staline. — Je crois que les camarades auront
intérêt à apprendre que nous dépensons en U.R.S.S. plus de 800
millions de roubles par an pour les assurances sociales aux frais de
l’État.
Vous apprendrez avec non moins d’intérêt que
les ouvriers de chez nous touchent, à titre supplémentaire, en
dehors de leur salaire en espèces, un tiers environ du salaire pour
des assurances, l’amélioration des conditions d’existence, les
besoins culturels, etc.
Deuxième question. — Comment expliquer
l’absence aux Etats-Unis d’Amérique d’un parti ouvrier de
masse ? La bourgeoisie américaine dispose de deux partis, —
républicain et démocrate — alors que les ouvriers américains
n’ont pas leur propre parti de masse.
Les camarades ne pensent-ils pas que l’absence
d’un parti ouvrier de masse comme, par exemple, le Labour Party
anglais, affaiblit la classe ouvrière dans sa lutte politique contre
les capitalistes ? Et puis, pourquoi les chefs du mouvement
ouvrier d’Amérique, Green et d’autres, se prononcent-ils
nettement contre la fondation d’un parti ouvrier en
Amérique ?Brophi. — En effet, les leaders ont décidé qu’il
n’y avait aucune nécessité de fonder en Amérique un parti
ouvrier. Cependant, il est une minorité pour laquelle la fondation
d’un tel parti s’impose.
La situation objective en Amérique est
aujourd’hui telle que, comme on vient de le dire, le mouvement
syndical est très faiblement développé aux Etats-Unis.
Cet état de choses s’explique par le fait que
la classe ouvrière n’éprouve pas, pour le moment, le besoin de
s’organiser et de lutter contre les capitalistes, ceux-ci relevant
d’eux-mêmes les salaires des ouvriers auxquels ils assurent une
situation matérielle convenable.
Staline. — Oui, mais c’est surtout la
situation des ouvriers qualifiés qui est améliorée. Il y a là une
contradiction.
D’une part, il semble que l’organisation n’est
pas nécessaire, les ouvriers ayant une situation assurée ; de
l’autre, on nous dit que les syndicats groupent dans leur sein
justement les ouvriers qualifiés, c’est-à-dire les mieux
assurés ; et enfin, il ressort des déclarations des délégués
que les ouvriers semi-qualifiés, qui auraient le plus besoin d’une
organisation syndicale, ne sont pas syndiqués. Je n’arrive pas à
comprendre cette contradiction.
Brophi. — Oui, il y a là une contradiction,
mais la réalité américaine n’est pas moins contradictoire, au
point de vue économique et politique.
Brebner. — Sans être organisés syndicalement,
les ouvriers non qualifiés jouissent du droit politique de vote. En
sorte que les ouvriers non qualifiés peuvent, au besoin, exprimer
leur mécontentement, en usant de leur droit de vote.
D’autre part, les ouvriers syndiqués, s’ils
traversent une périodedifficile, ne s’adressent pas au syndicat,
mais utilisent leur droit de
vote. De la sorte, le droit politique de vote
compense l’absence d’organisation syndicale.
Israels. — L’obstacle le plus important est le
système électoral en vigueur aux Etats-Unis d’Amérique. Aux
élections présidentielles, n’est pas élu celui qui réunit la
majorité des voix de l’ensemble du pays, ou même la majorité des
voix d’une classe donnée.
Chacun des Etats possède des collèges
électoraux, chacun des Etats bénéficie d’un nombre déterminé
de voix qui participent aux élections du président. Pour être élu,
ce dernier doit avoir recueilli 51 % des suffrages. S’il y avait
trois ou quatre partis, le président ne serait jamais élu, et les
élections seraient transférées au congrès.
Tel est l’argument qu’on fait valoir contre la
fondation d’un troisième parti. Les adversaires de la création
d’un troisième parti raisonnent ainsi : Ne posez pas de troisième
candidature, car vous diviserez les voix du parti libéral et
empêcherez d’élire le candidat de ce parti.
Staline. — Cependant, le sénateur La Follette a
créé en son temps un troisième parti bourgeois. Donc, un troisième
parti, s’il est bourgeois, ne saurait provoquer la division des
voix, et s’il est ouvrier, il est susceptible de diviser les voix.
Davies. — J’estime que le fait signalé par
l’orateur précédent n’est pas essentiel. A mon sens, le fait
fondamental consiste en ceci. Je prendrai, à titre d’exemple, la
ville où j’habite. Pendant la campagne électorale, le
représentant de tel ou tel parti arrive et confie un poste
responsable au chef de l’organisation syndicale donnée ; en
connexion avec la campagne électorale, il remet au chef syndical des
fonds dont celui-ci dispose pour ses fins personnelles ; en
outre, le poste confié lui confère un certain prestige.
Ainsi, les chefs syndicaux deviennent partisans de
tel ou tel parti bourgeois. On conçoit donc que lorsque la question
se pose de
fonder un troisième parti, un parti ouvrier, ces
chefs syndicaux ne font rien pour faire aboutir le projet. Ils
invoquent l’argument que la fondation d’un troisième parti ne
fera qu’apporter la scission dans le mouvement syndical.
Douglas. — Le fait que les syndicats groupent
uniquement des travailleurs qualifiés s’explique surtout par le
droit d’entrée et les cotisations élevées imposées aux membres
des syndicats, cotisations qui exigent une situation matérielle
assurée.
Toutes ces conditions faisant défaut chez les
ouvriers non qualifiés.
En outre, ces derniers sont menacés de renvoi
s’ils essaient de s’organiser syndicalement. Les ouvriers non
qualifiés pourraient se syndiquer uniquement avec le concours actif
des ouvriers qualifiés.
Or, la plupart du temps, ce concours leur fait
défaut.
C’est ce point qui constitue l’un des
obstacles les plus importants à l’organisation syndicale des
travailleurs non qualifiés. Les ouvriers défendent leurs droits, en
faisant valoir surtout les libertés constitutionnelles.
Telle est pour moi la principale raison pour
laquelle les ouvriers non qualifiés ne sont pas syndiqués. J’estime
que la base économique est la raison essentielle du manque
d’organisation des ouvriers non qualifiés dans le domaine syndical
et politique.
Je dois signaler une particularité du système
électoral américain : ce sont les élections directes
permettant à tout citoyen de fréquenter les réunions électorales,
de se dire démocrate ou républicain et de voter.
Je crois que Gompers ne pourrait pas garder ses
effectifs avec un programme apolitique, s’il ne tirait pas argument
des élections directes.
Il a toujours répété aux ouvriers que s’ils
veulent de l’action politique, ils n’ont qu’à entrer dans un
des deux partis politiques
existants, y conquérir tel ou tel poste et y
gagner de l’autorité. C’est avec cet argument que Gompers a pu
empêcher les ouvriers d’organiser la classe ouvrière et de fonder
un parti ouvrier.
Troisième question. — D’où vient que dans le
problème de la reconnaissance de l’U.R.S.S., les chefs de la
Fédération américaine du travail se révèlent plus réactionnaires
que bien des bourgeois ? Comment se fait-il que des bourgeois
tels que M. Borah et d’autres, se prononcent pour la reconnaissance
de l’U.R.S.S. tandis que les leaders du mouvement ouvrier
américain, depuis Gompers jusqu’à Green, ont fait et continuent à
faire une propagande des plus réactionnaire contre la reconnaissance
de la première République ouvrière, contre la reconnaissance de
l’U.R.S.S.?
Comment se fait-il qu’un réactionnaire aussi
avéré que l’ex-président de l’Amérique du Nord, Woodrow
Wilson, ait cru possible de « saluer » la Russie soviétique,
tandis que Green et les autres chefs de la Fédération américaine
du travail veulent être plus réactionnaires que les capitalistes ?
Voici le message de sympathie adressé par Woodrow
Wilson en mars 1918 au congrès des Soviets de Russie au moment où
les troupes du kaiser marchaient sur le Pétrograd soviétique : «
Par l’intermédiaire du congrès des Soviets, je voudrais, au nom
des peuples des Etats-Unis, exprimer ma sympathie sincère au peuple
russe, surtout à l’heure actuelle où l’Allemagne a expédié
des forces armées à l’intérieur du pays afin d’entraver la
lutte pour la liberté, d’anéantir toutes ses conquêtes et de
réaliser les menées germaniques tendant à asservir le peuple
russe.
Bien que, à l’heure actuelle, le gouvernement
des Etats-Unis ne soit pas en état, malheureusement, d’apporter à
la Russie un secours direct, comme il l’aurait désiré, je
voudrais donner l’assurance aupeuple russe, par l’intermédiaire
du congrès des Soviets, que le gouvernement des Etats-Unis usera de
tous les moyens pour assurer de nouveau à la Russie la souveraineté
absolue et l’indépendance complète dans ses affaires intérieures,
ainsi que le rétablissement intégral de son grand rôle dans la vie
de l’Europe et de l’humanité moderne.
Le peuple des Etats-Unis sympathise de tout cœur
avec le peuple russe dans son aspiration à se libérer à jamais de
l’autocratie et à devenir maître de ses destinées. » (Pravda,
n° 50 du 16 mars 1918.) Est-il normal que les chefs de la Fédération
américaine du travail cherchent à se montrer plus réactionnaires
que le réactionnaire Wilson ?
Brophi. — Je ne saurais préciser la chose, mais
j’estime que les raisons pour lesquelles la Fédération américaine
du travail n’adhère pas à l’Internationale d’Amsterdam sont
celles pour lesquelles les leaders de cette fédération sont contre
la reconnaissance de la Russie soviétique.
La différence consiste dans la philosophie
spéciale des ouvriers américains ainsi que dans la situation
économique de ces ouvriers et des ouvriers européens.
Staline. — Mais, les chefs de la Fédération
américaine du travail, que je sache, n’objectent rien à la
reconnaissance de l’Italie ou de la Pologne où règnent les
fascistes.
Brophi. — En citant, à titre d’exemple, la
Pologne et l’Italie, où le pouvoir est exercé par des
gouvernements fascistes, vous expliquez par là même la raison de la
non-reconnaissance de l’U.R.S.S. par les Etats-Unis. L’attitude
d’hostilité envers l’U.R.S.S. s’explique par les ennuis que
les chefs syndicaux américains ont à subir dans leurs rapports avec
leurs propres communistes.Dunne. — La raison invoquée par
l’orateur précédent, — à savoir que les chefs du mouvement
syndical américain s’affirment contre la reconnaissance de
l’U.R.S.S. par suite de désaccords avec leurs propres communistes
— n’est pas convaincante. Les chefs du mouvement syndical
américain se livraient à une propagande contre la reconnaissance de
l’U.R.S.S. bien avant la fondation du P.C. américain. —
La raison véritable est que les chefs de la
Fédération américaine du travail sont contre tout ce qui frise le
socialisme. Dans cet ordre d’idées, ils subissent l’influence
des capitalistes dont l’organisation dite la National Civic
Fédération s’efforce, par tous les moyens, d’inspirer à toute
la société américaine la haine de tout ce qui rappelle le
socialisme, sous quelque forme que ce soit. Cette organisation avait
pris position contre Ivey Lees qui s’était prononcé pour le
développement des rapports commerciaux de l’Amérique avec
l’U.R.S.S.
Voici ce que disaient les dirigeants de cette
organisation : Pourrions-nous mettre de l’ordre dans notre
classe ouvrière quand les libéraux se livrent à cette propagande ?
La National Civic Fédération est un groupe de
capitalistes qui ont investi des fonds considérables dans cette
organisation dont ils sont les maîtres. A noter que le poste de
vice-président de cette association réactionnaire, est assuré par
le vice-président de la Fédération américaine du travail, Matthew
Woll.
Brophi. — Les raisons invoquées par les
orateurs précédents pour expliquer la mentalité réactionnaire des
dirigeants syndicaux ne sont pas essentielles. Cette question doit
être étudiée plus à fond.
La présence d’une délégation américaine en
U.R.S.S. est la meilleure réponse et un témoignage de la sympathie
d’une fraction des ouvriers américains envers l’U.R.S.S. Je
crois que l’opinion des dirigeants de la Fédération américaine
du travail, quant à l’U.R.S.S., ne diffère pas de l’opinion de
la majorité de la classe ouvrière d’Amérique.
Or, la position de la majorité de la classe ouvrière d’Amérique s’explique par l’éloignement où se trouve l’U.R.S.S. La classe ouvrière américaine se désintéresse des problèmes internationaux ; d’autre part, dans la question de la reconnaissance de l’U.R.S.S., la classe ouvrière subit fortement l’influence de la bourgeoisie.
Akhali Tskhovréba [la Vie Nouvelle]
n°20, 14 juillet 1906. Signé : Koba. Traduit du
géorgien.
La Russie d’aujourd’hui rappelle en bien des
points la France du temps de la grande révolution. Cette
ressemblance se manifeste, entre autres, en ce que, chez nous comme
en France, la contre-révolution s’étend et, à l’étroit dans
ses propres frontières, s’allie à la contre-révolution des
autres Etats ; elle revêt peu à peu un caractère
international.
En France, l’ancien régime avait conclu une
alliance avec l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ; il
appela leurs armées à son aide et engagea l’offensive contre la
révolution populaire. En Russie, l’ancien régime conclut une
alliance avec les empereurs d’Allemagne et d’Autriche ; il
entend appeler leurs armées à son aide et noyer dans le sang la
révolution populaire.
Il y a à peine un mois, des
bruits précis couraient que « la Russie » et
« l’Allemagne » menaient des pourparlers secrets. (Voir
la Sévernaïa Zemlia [1], n°3).
Par la suite, ces bruits se sont
répandus avec une insistance croissante. Maintenant les choses en
sont venues au point que le journal ultra-réactionnaire la
Rossia [2] déclare explicitement que les fauteurs de
l’actuelle situation difficile de « la Russie »
(c’est-à-dire de la contre-révolution) sont les éléments
révolutionnaires.
« Le gouvernement impérial allemand,
déclare le journal, se rend parfaitement compte de cette situation ;
aussi a-t-il pris toute une série de mesures appropriées qui ne
manqueront pas d’aboutir aux résultats souhaités ». Il
s’avère que ces mesures consistent en ceci : « l’Autriche »
et « l’Allemagne » se préparent à envoyer des troupes
pour venir en aide à « la Russie » au cas où la
révolution russe remporterait des succès.
Elles se sont déjà entendues à ce sujet et ont
déclaré que « dans certaines conditions l’Intervention
active dans les affaires intérieures de la Russie, pour réprimer ou
limiter le mouvement révolutionnaire, pourrait être désirable et
utile… ». Ainsi parle la Rossia.
Comme on le voit, la contre-révolution
internationale fait depuis longtemps de grands préparatifs. On sait
que, depuis longtemps déjà, elle apporte une aide financière à la
Russie contre-révolutionnaire dans sa lutte contre la révolution.
Mais elle ne s’en est pas tenue là. Aujourd’hui, visiblement,
elle a décidé de lui venir en aide en envoyant aussi des troupes.
Après cela,
même un enfant comprendrait sans peine le sens véritable de la
dissolution de la Douma, ainsi que des « nouvelles »
dispositions de Stolypine [3] et des « vieux »
pogroms de Trépov [4]…
Il est à présumer qu’après cela se
dissiperont les espoirs fallacieux de différents libéraux et autres
gens naïfs ; ils se convaincront enfin que nous n’avons pas
de « constitution », que nous sommes en guerre civile et
que la lutte doit être menée militairement.
Mais la Russie d’aujourd’hui ressemble à la
France de jadis à un autre point de vue encore. A cette époque, la
contre-révolution internationale avait provoqué un élargissement
de la révolution ; la révolution déborda des frontières de
la France et, tel un torrent puissant, se répandit sur l’Europe.
Si les « têtes couronnées » de l’Europe s’unissaient
dans une alliance commune, les peuples de l’Europe, eux aussi, se
tendaient la main. Aujourd’hui, nous constatons le même phénomène
en Russie. « La taupe creuse bien »…
La contre-révolution de Russie, en s’unissant à
la contre-révolution européenne, élargit sans cesse la
révolution ; elle unit entre eux les prolétaires de tous les
pays et pose les fondements d’une révolution internationale.
Le prolétariat de Russie marche à la tête de la
révolution démocratique ; il tend une main fraternelle,
il s’unit au prolétariat européen qui commencera la révolution
socialiste. Comme on le sait, après la manifestation du 9
janvier, de grands meetings se sont déroulés dans toute l’Europe.
L’action de décembre a provoqué des manifestations en Allemagne
et en France.
Sans aucun doute, la prochaine action de la
révolution russe fera se lever, d’une façon plus résolue encore,
le prolétariat européen. La contre-révolution internationale ne
fera que fortifier et approfondir, renforcer et consolider la
révolution internationale. Le mot d’ordre : « Prolétaires
de tous les pays, unissez-vous ! » trouvera son expression
véritable.
Eh bien, messieurs, travaillez, travaillez !
La révolution russe, qui s’élargit sera suivie de la révolution
européenne, — et alors… alors sonnera la dernière heure non
seulement des survivances du servage, mais aussi de votre capitalisme
bien-aimé. Oui, messieurs les contre-révolutionnaires, vous
« creusez bien ».
Notes
[1] La Sévernaïa Zemlia [la Terre du Nord],
quotidien bolchévik légal ; parut à Pétersbourg du 23 au 28
juin 1906.
[2] La Rossia [la Russie], journal quotidien
de caractère policier ultra-réactionnaire, parut de novembre 1905 à
avril 1914. Organe du ministère de l’Intérieur.
[3] En juin et juillet 1906, le ministre de
l’intérieur P. Stolypine envoya aux autorités locales des
instructions en vue de réprimer impitoyablement, par la force armée,
le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et de
liquider des organisations révolutionnaires.
[4] D. Trépov, gouverneur général de Pétersbourg, dirigea la répression de la révolution de 1905.
Discours prononcé à la quinzième séance du
IVe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie le 17
(30) avril 1906
Ce n’est un secret pour personne que, dans le
développement de la vie sociale et politique de la Russie, deux
chemins se dessinent : celui des pseudo-réformes et celui de la
révolution.
De même, il est évident que les gros industriels
et les grands propriétaires fonciers, avec le gouvernement tsariste
à leur tête, prennent le premier chemin, tandis que la paysannerie
révolutionnaire et la petite bourgeoisie, avec le prolétariat à
leur tête, prennent le second.
La crise qui s’étend dans les villes et la
famine dans les campagnes rendent inévitables une nouvelle
explosion. Les hésitations sont donc en l’occurrence
inadmissibles : ou bien la révolution monte, et nous ne
devons la mener à son terme, ou bien elle décroît, et nous
ne pouvons ni ne devons nous assigner une pareille tâche.
Roudenko a tort de penser que cette façon de
poser le problème n’est pas dialectique. Roudenko cherche une voix
médiane ; il veut dire que la révolution monte et ne monte
pas, qu’il faut la mener à son terme et qu’il ne le faut pas,
car, selon lui, la dialectique oblige précisément à poser ainsi la
question !
C’est autrement que nous comprenons la
dialectique de Marx…
Ainsi, nous sommes à la veille d’une nouvelle
explosion, la révolution monte, et nous devons la mener à son
terme.
Nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais dans
quelles conditions pouvons-nous et devons-nous le faire : dans
celles de l’hégémonie du prolétariat ou de l’hégémonie de la
démocratie bourgeoise ?
C’est là que commence la divergence
fondamentale.
Déjà dans Deux dictatures, le camarade
Martynov déclarait que l’hégémonie du prolétariat dans la
révolution bourgeoise actuelle est une utopie dangereuse. La même
idée perce dans son discours d’hier. Les camarades qui l’ont
applaudi sont, sans doute, d’accord avec lui.
S’il en est ainsi, si, d’après les camarades
menchéviks, il nous faut non pas l’hégémonie du prolétariat,
mais l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, il va de soi
que nous ne devons prendre de part active et directe ni à
l’organisation de l’insurrection armée, ni à la prise du
pouvoir. Tel est le « schéma » des menchéviks.
Au contraire, si les intérêts de classe du
prolétariat conduisent à son hégémonie, si le prolétariat doit
marcher, non en queue, mais à la tête de la révolution en cours,
il va de soi que le prolétariat ne peut renoncer ni à une
participation active à l’organisation de l’insurrection armée,
ni à la prise du pouvoir.
Tel est le « schéma » des bolchéviks.
Ou bien l’hégémonie du prolétariat, ou bien l’hégémonie de la bourgeoisie démocratique, voilà comment se pose la question dans le parti, voilà sur quoi portent nos divergences.
L’Akhali
Droéba [le Temps nouveau]2 n°1, 14 novembre
1906. Signé : K… Traduit du géorgien.
« L’union de la bourgeoisie ne peut être ébranlée que par
l’union du prolétariat. » Karl Marx.
La vie actuelle est bien
compliquée ! Ce n’est, partout que classes et groupes divers :
grande, moyenne et petite bourgeoisie ; grands, moyens et petits
féodaux ; apprentis, manoeuvres et ouvriers d’usines qualifiés ;
haut, moyen et bas clergé ; haute, moyenne et petite bureaucratie ;
intellectuels de toute sorte, et d’autres groupes encore, tel est
le tableau bigarré que présente notre vie !
Mais ce qui est non moins
évident, c’est que plus la vie se développe, et plus clairement
s’affirment dans cette vie compliquée deux tendances
fondamentales, plus nettement cette vie compliquée se divise en deux
camps opposés : celui des capitalistes et celui des prolétaires.
Les grèves économiques de janvier (1905) ont montré clairement que
la Russie se divise effectivement en deux camps. Les grèves de
novembre à Pétersbourg (1905) et les grèves de juin-juillet dans
toute la Russie (1906) ont mis aux prises les chefs de l’un et de
l’autre camp ; ce faisant, elles ont mis à nu les contradictions
de classes actuelles. Depuis lors, le camps des capitalistes veille
jour et nuit ; il se livre à une préparation fiévreuse et
incessante : des unions locales de capitalistes se créent, les
unions locales se groupent en unions régionales, les unions
régionales en unions panrusses ; on fonde des caisses et des
journaux ; on convoque des conférences et des congrès panrusses de
capitalistes…
C’est ainsi que les
capitalistes s’organisent en une classe distincte pour mater le
prolétariat.
D’un autre côté le camp
des prolétaires veille, lui aussi. Ici également on se prépare
fiévreusement à la bataille qui vient.
Malgré les poursuites de la réaction, ici
également on fonde des syndicats locaux ; les syndicats locaux se
groupent en syndicats régionaux ; on fonde des caisses syndicales ;
la presse syndicale se développe ; on convoque des congrès et des
conférences de syndicats ouvriers pour toute la Russie…
Comme on le voit, les
prolétaires s’organisent, eux aussi, en une classe distincte pour
mater l’exploitation.
Il fut un temps où « le
calme et la tranquillité » régnaient dans la vie.
Alors, on ignorait ces classes et leurs
organisations. Bien entendu, il y avait également lutte à l’époque,
mais cette lutte présentait un caractère local, et non un caractère
de classe généralisé : les capitalistes n’avaient pas d’union
à eux, et chacun d’eux était obligé de venir à bout de « ses »
ouvriers par ses propres forces.
Les ouvriers non plus n’avaient pas de syndicats
; en conséquence, ceux de chaque usine ne pouvaient compter que sur
leurs propres forces. Les organisations social-démocrates locales
dirigeaient, il est vrai, la lutte économique des ouvriers, mais
chacun conviendra que cette direction était faible et occasionnelle
: les organisations social-démocrates n’arrivaient pas même à
régler les affaires du parti.
Les grèves économiques de
janvier ont marqué un tournant. Les capitalistes se sont inquiétés
et ont commencé à organiser des unions locales.
Des unions de capitalistes de Pétersbourg, de
Moscou, de Varsovie, de Riga et d’autres villes ont vu le jour à
la suite des grèves de janvier. Quant aux capitalistes des
industries du pétrole, du manganèse, du charbon et du sucre, ils
ont transformé leurs anciennes unions « pacifiques » en
unions « de lutte » et se sont mis à fortifier leurs
positions.
Mais les capitalistes ne s’en sont pas tenus là.
Ils ont décidé de constituer une union pour toute la Russie ; et
voilà qu’en mars 1905, sur l’initiative de Morozov, ils se sont
réunis en un congrès général à Moscou.
Ce
fut le premier congrès panrusse des capitalistes. Ils y ont conclu
un accord, par lequel ils s’engagent à ne faire aucune concession
aux ouvriers sans s’être concertés au préalable et, « dans
les cas extrêmes », à déclarer le lock-out (1).
Dès lors commence une lutte acharnée des
capitalistes contre les prolétaires. Dès lors commence en Russie
une série de grands lock-outs. Pour lutter sérieusement, il faut
une union sérieuse, et les capitalistes décidèrent de s’assembler
encore une fois pour fonder une union plus étroite.
C’est ainsi que trois mois après le premier
congrès était convoqué à Moscou un second congrès panrusse des
capitalistes (juillet 1905). Ils y ont confirmé les résolutions de
leur premier congrès ; ils ont reconnu la nécessité des lock-outs
et nommé un bureau qui devait élaborer leurs statuts et s’occuper
de la convocation d’un nouveau congrès.
Entre temps, les résolutions des congrès étaient
mises en application. Les faits ont montré que les capitalistes
appliquaient exactement leurs résolutions. Si l’on se rappelle les
lock-outs déclarés par les capitalistes à Riga, Varsovie, Odessa,
Moscou et dans d’autres grandes villes ; si l’on se rappelle les
journées de novembre où 72 capitalistes menacèrent d’un lock-out
impitoyable 200.000 ouvriers pétersbourgeois, on comprendra
facilement quelle force importante représente l’union panrusse des
capitalistes et avec quelle exactitude ils appliquent les résolutions
de leur union.
Puis, après le deuxième congrès, les
capitalistes en ont convoqué encore un autre (janvier 1906) ; enfin,
en avril de cette année, a eu lieu le congrès constituant des
capitalistes de Russie, qui a adopté un statut unique et élu le
Bureau central. D’après les journaux, ce statut est déjà
approuvé par le gouvernement.
Ainsi, il est hors de doute
que la grande bourgeoisie de Russie s’est désormais organisée en
une classe distincte ; elle possède ses organisations à l’échelle
locale, régionale et centrale et elle peut mobiliser les
capitalistes de toute la Russie d’après un plan d’ensemble.
Baisse des salaires,
prolongation de la journée de travail, affaiblissement du
prolétariat et destruction de ses organisations : tels sont les but
que s’assigne l’union générale des capitalistes.
En même temps grandissait
et se développait le mouvement syndical des ouvriers. Les grèves
économiques de janvier 1905 ont eu, ici aussi, leur effet.
Le mouvement a pris un caractère de masse, ses
revendications se sont élargies et, avec le temps, il est devenu
clair que les organisations social-démocrates ne pouvaient
simultanément conduire les affaires du parti et les affaires
syndicales.
Une sorte de division du travail entre le parti et
les syndicats s’imposait. Il devenait nécessaire que les affaires
du parti fussent réglées par les organisations du parti, et les
affaires syndicales par les syndicats. C’est alors qu’a commencé
l’organisation des syndicats.
A Moscou, Pétersbourg, Varsovie, Odessa, Riga,
Kharkov, Tiflis, partout se sont créés des syndicats. Il est vrai
que la réaction y faisait obstacle, mais les nécessités du
mouvement l’ont emporté et les syndicats se sont multipliés. Peu
après les syndicats locaux, ont apparu des syndicats régionaux et
enfin, en septembre de l’année dernière, on a convoqué jusqu’à
une conférence des syndicats de toute la Russie.
Ce fut la première conférence des syndicats
ouvriers. Elle a eu pour résultat, entre autres, de rapprocher les
syndicats des différentes villes ; enfin, elle a élu un Bureau
central qui devait préparer la convocation d’un congrès général
des syndicats. Vinrent les journées d’octobre, et les forces des
syndicats doublèrent.
Les syndicats locaux et, enfin, les syndicats
régionaux, grandissaient chaque jour. Il est vrai que la « défaite
de décembre » a freiné sensiblement la création de syndicats
; mais, par la suite, le mouvement syndical s’est remis à flot et
a si bien progressé qu’en février de cette année, une deuxième
conférence des syndicats a été convoquée avec une représentation
beaucoup plus large et plus complète qu’à la première
conférence.
La conférence a reconnu la nécessité de créer
des centres locaux et régionaux, de même qu’un centre pour toute
la Russie; elle a élu une « commission d’organisation »,
chargée de convoquer le prochain congrès de Russie, et adopté des
résolutions sur les questions urgentes du mouvement.
Ainsi, malgré le
déchaînement de la réaction, les prolétaires s’organisent sans
aucun doute, eux aussi, en une classe distincte ; ils fortifient
inlassablement leurs organisations syndicales à l’échelle locale,
régionale et centrale ; ils s’attachent avec la même énergie à
grouper contre les capitalistes leurs innombrables frères.
Augmenter les salaires,
diminuer la journée de travail, améliorer les conditions de
travail, mettre un frein à l’exploitation et faire échec aux
unions des capitalistes, tels sont les buts que s’assignent les
syndicats ouvriers.
Ainsi, la société moderne
se trouve scindée en deux vastes camps ; chacun de ces camps
s’organise un une classe distincte ; la lutte des classes allumée
entre eux s’approfondit et se renforce chaque jour, et autour de
ces deux camps se rassemblent tous les autres groupes.
Marx disait que toute la
lutte des classes est une lutte politique. Cela signifie que si,
aujourd’hui, les prolétaires et les capitalistes soutiennent les
uns contre les autres une lutte économique, demain ils seront
obligés de soutenir également une lutte politique et de défendre
ainsi leurs intérêts de classe sur un double front de lutte.
Les capitalistes ont leurs intérêts
professionnels particuliers. Et c’est pour sauvegarder ces intérêts
que leurs organisations économiques existent.
Mais en plus de leurs intérêts professionnels
particuliers, ils ont encore des intérêts de classe généraux, qui
visent à renforcer le capitalisme. C’est pour défendre ces
intérêts généraux qu’ils ont besoin d’une lutte politique et
d’un parti politique.
Les capitalistes de Russie ont tranché
cette question très simplement : ils ont vu que le seul parti
défende « ouvertement et sans peur » leurs intérêts
est le parti des octobristes ; aussi ont-ils décidé de se
grouper autour de ce parti et de se soumettre à sa direction
idéologique.
Depuis lors, les capitalistes mènent leur lutte
politique sous la direction idéologique de ce parti ; avec son
appui, ils exercent une influence sur le gouvernement actuel (qui
interdit les associations ouvrières, mais se hâte, en revanche,de
sanctionner les unions des capitalistes), ils font élire ses
candidats à la Douma, etc…
Ainsi, lutte économique à
l’aide des unions, lutte politique générale sous la direction
idéologique du parti octobriste : telle est la forme que revêt
aujourd’hui la lutte de classe de la grande bourgeoisie.
De l’autre côté, dans le
mouvement de classe du prolétariat, des phénomènes analogues
s’observent à l’heure actuelle. Pour défendre les intérêts
professionnels des prolétaires, on fonde des syndicats qui luttent
pour l’augmentation des salaires, la diminution de la journée de
travail, etc…
Cependant, en plus de leurs
intérêts professionnels, les prolétaires ont encore des intérêts
de classe généraux qui tendent à la révolution socialiste et à
l’instauration du socialisme.
Or, il est impossible d’instaurer la révolution
socialiste tant que le prolétariat n’aura pas conquis le pouvoir
politique, en tant que classe une et indivisible. C’est pour cette
raison que le prolétariat a besoin d’une lutte politique et d’un
parti politique, qui assume la direction idéologique de son
mouvement politique.
Sans doute, les syndicats ouvriers sont, pour la
plupart, sans-parti et neutres. Mais cela signifie simplement qu’ils
ne sont indépendants du parti qu’en ce qui concerne les finances
et l’organisation, c’est-à-dire qu’ils ont leurs propres
caisses, leurs propres dirigeants, qu’ils tiennent leurs propres
congrès et ne sont pas obligés, officiellement, de se soumettre aux
décisions des partis politiques.
Quant à la dépendance idéologique des
syndicats à l’égard de tel ou tel parti politique, elle doit
absolument exister, et elle ne peut pas ne pas exister pour la
raison, entre autres, que les syndicats comprennent des membres de
différents partis, et ceux-ci ne manqueront pas d’y apporter leurs
convictions politiques.
Il est clair que si le prolétariat ne peut se
passer de lutte politique, il ne peut pas davantage se passer de la
direction idéologique de tel ou tel parti politique. Bien plus, il
doit lui-même rechercher un parti capable de conduire dignement ses
syndicats jusqu’à la « terre promise », jusqu’au
socialisme.
Mais là, le prolétariat doit se tenir sur ses
gardes et agir avec circonspection. Il doit étudier attentivement le
bagage idéologique des partis politiques et accepter librement la
direction idéologique du parti qui défendra ses intérêts de
classe avec courage et esprit de suite, qui tiendra plus haut le
drapeau rouge du prolétariat et le conduira hardiment à la
domination politique, à la révolution socialiste.
Jusqu’à présent, ce rôle
est rempli par le Parti ouvrier social-démocrate de Russie
; par conséquent, le devoir des syndicats est d’accepter sa
direction idéologique.
Comme on le sait, c’est
aussi ce qui se passe en fait.
Donc, batailles économiques
à l’aide des syndicats, attaques politiques sous la direction
idéologique de la social-démocratie : telle est la forme que revêt
aujourd’hui la lutte de classe du prolétariat.
Il est hors de doute que la
lutte de classe s’intensifiera sans cesse. Le devoir du prolétariat
est d’introduire dans sa lutte un plan systématique et l’esprit
d’organisation.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les
syndicats et de les unir : sous ce rapport, un congrès général des
syndicats de Russie pourrait être d’une grande utilité.
Non pas « un congrès ouvrier sans-parti »,
mais un congrès des syndicats ouvriers, voilà ce qu’il nous faut
aujourd’hui pour que le prolétariat s’organise en une classe une
et indivisible.
D’autre part, le prolétariat doit s’appliquer
par tous les moyens à consolider et à renforcer le parti qui
assumera la direction idéologique et politique de sa lutte de
classe.
Notes
1 Le lock-out est
une grève des patrons qui ferment intentionnellement leurs usines
pour briser la résistance des ouvriers et enterrer leurs
revendications. (J.S.).
2 L’Akhali Droéba [le Temps nouveau], hebdomadaire syndical légal, parut en géorgien, à Tiflis, du 14 novembre 1906 au 8 janvier 1907, sous la direction de J. Staline, M.. Tskhakaïa et M. Davitachvili. Il fut interdit par ordre du gouverneur de Tiflis.
Conforme au texte de la brochure publiée par les
éditions « Prolétariat », en 1906. Signé :
Camarade K. Traduit du géorgien.
I
Ce que nous attendions avec tant
d’impatience s’est réalisé : le Congrès d’unification a
paisiblement terminé ses travaux, le parti a évité la scission, la
fusion des fractions a été officiellement consacrée, et par cela
même se trouvent posés les fondements de la puissance politique du
parti.
Il faut maintenant se rendre compte,
prendre une connaissance plus précise de ce qu’a été la
physionomie du congrès, et apprécier sainement ses bons et ses
mauvais côtés.
Qu’a fait le congrès ?
Que devait-il faire ?
Les résolutions du congrès
fournissent une réponse à la première question. En ce qui concerne
la seconde, il faut, pour y répondre, savoir dans quelle ambiance le
congrès s’est ouvert et quelles étaient les tâches que lui
imposait la situation actuelle.
Commençons par la deuxième
question.
Il est clair à présent que la
révolution populaire n’est pas morte ; que malgré la « défaite
de décembre », elle grandit et s’élève vers son point
culminant. Nous disons qu’il doit d’ailleurs en être ainsi : les
forces motrices de la révolution continuent à vivre et à agir ; la
crise industrielle qui a éclaté ne cesse de croître ; la famine
qui ruine définitivement les campagnes, s’aggrave de jour en jour.
Tout cela signifie que l’heure est proche où
déferlera, pareil à un torrent redoutable, le courroux
révolutionnaire du peuple. Les faits attestent qu’un nouveau
mouvement, plus résolu et plus puissant que celui de décembre,
mûrit dans la vie sociale russe. Nous nous trouvons à la veille de
l’insurrection.
D’autre part, la contre-révolution,
que le peuple exècre, prend des forces et se consolide
progressivement. Elle est déjà parvenue à organiser une camarilla,
elle enrôle sous son drapeau toutes les forces ténébreuses, elle
se place à la tête du « mouvement » des Cent-Noirs,
elle prépare une nouvelle agression contre la révolution populaire,
elle rallie autour d’elle grands propriétaires fonciers et
industriels sanguinaires : elle se prépare donc à écraser la
révolution populaire.
Et au fur et à mesure que les choses
avancent, le pays se divise nettement en deux camps ennemis, celui de
la révolution et celui de la contre-révolution ; l’opposition des
deux camps — le prolétariat et le gouvernement du tsar, —
devient de plus en plus redoutable, et on voit clairement que tous
les ponts ont été coupés entre eux.
De deux choses l’une : ou bien la victoire de la
révolution et le pouvoir absolu du peuple, ou bien la victoire de la
contre-révolution et le pouvoir absolu du tsar. Qui s’assied entre
deux chaises trahit la révolution. Qui n’est pas avec nous est
contre nous ! La pitoyable Douma, avec ses pitoyables cadets, s’est
assise justement entre ces deux chaises.
Elle veut réconcilier la révolution et la
contre-révolution, pour que loups et brebis paissent ensemble — et
mater ainsi « d’un seul coup » la révolution. C’est
pourquoi la Douma n’a fait jusqu’à présent que perdre son
temps, c’est pourquoi elle n’a pu rallier le peuple autour d’elle
et, n’ayant aucune base sous ses pieds, elle reste suspendue dans
le vide.
Comme auparavant, c’est la rue qui
demeure l’arène principale de la lutte. Ainsi parlent les faits.
Les faits l’attestent : c’est dans la lutte actuelle, dans les
combats de rue, et non au sein de la bavarde Douma, que les forces de
la contre-révolution s’affaiblissent et se désagrègent chaque
jour, tandis que les forces de la révolution grandissent et se
mobilisent ; ils attestent que le rassemblement et l’organisation
des forces révolutionnaires se font sous l’égide des ouvriers
d’avant-garde et non de la bourgeoisie.
Cela signifie qu’il est parfaitement possible
d’assurer la victoire de la révolution actuelle et de la conduire
à son terme. Mais possible seulement si les ouvriers d’avant-garde
continuent de marcher à sa tête, si le prolétariat conscient
s’acquitte dignement de sa mission de dirigeant de la
révolution.
Dés lors on voit clairement quelles
tâches la situation actuelle imposait au congrès et ce que ce
dernier devait faire.
Engels a dit que le parti ouvrier
« est l’interprète conscient d’un processus inconscient »,
c’est-à-dire que le parti doit s’engager consciemment sur le
chemin que suit inconsciemment la vie elle-même ; qu’il doit
exprimer consciemment les idées que la vie bouillonnante met en
avant inconsciemment.
Les faits attestent que le tsarisme
n’a pas réussi ) écraser la révolution populaire, qu’au
contraire, celle-ci grandit de jour en jour, qu’elle monte toujours
plus haut et qu’on va vers une nouvelle action. En conséquence, la
tâche du parti est de se préparer consciemment à cette action et
de conduire la révolution populaire à son terme.
Il est clair que le congrès devait
indiquer cette tâche et engager les membres du parti à la remplir
honnêtement.
Les faits attestent qu’il est
impossible de concilier la révolution et la contre-révolution ; que
la Douma qui, dés le début, a prétendu les concilier, ne pourra
rien faire ; qu’unetelle Douma ne sera jamais le
centre politique du pays, qu’elle ne ralliera pas le peuple autour
d’elle et qu’elle deviendra forcément un appendice de la
réaction.
En conséquence, la tâche du parti est de
dissiper espoirs fallacieux que l’on fonde sur la Douma ; de
combattre les illusions politiques du peuple et de proclamer à la
face du monde entier que l’arène principale de la
révolution est la rue et non la Douma ; que la victoire du peuple
viendra principalement de la rue, des combats de rue, et non
de la Douma, ni du bavardage auquel on s’y livre.
Il est clair que dans ses
résolutions, le Congrès d’unification devait indiquer notamment
cette tâche, pour déterminer nettement l’orientation de
l’activité du parti.
Les faits attestent que la révolution
peut vaincre et être conduite à son terme, que le pouvoir absolu du
peuple peut être instauré seulement au cas où les
ouvriers conscients se placent à la tête de la révolution, où la
social-démocratie, et non pas la bourgeoisie, prend la direction de
la révolution.
En conséquence, la tâche du parti consiste à
être le fossoyeur de l’hégémonie de la bourgeoisie, à rallier
autour de lui les éléments révolutionnaires de la ville et de la
campagne, à diriger leur lutte révolutionnaire, à prendre la tête
de leur action et à consolider ainsi le terrain pour l’hégémonie
du prolétariat.
Il est clair que le Congrès
d’unification devait consacrer une attention particulière à cette
troisième tâche, qui est fondamentale, afin de montrer au parti son
énorme importance.
Voilà ce que la situation actuelle
imposait au Congrès d’unification et ce qu’il devait faire.
A-t-il rempli ces tâches ?
II
Pour élucider cette question, il est
nécessaire de connaître la physionomie du congrès lui-même.
Au cours de ses séances, le congrès
a abordé de nombreuses questions : mais la question principale,
autour de laquelle gravitaient toutes les autres, était celle de la
situation actuelle. La situation actuelle de la révolution
démocratique et les objectifs de classe du prolétariat, tel
était le nœud de la question, le problème où venaient
s’entremêler toutes nos divergences tactiques.
La crise s’aggrave dans les villes,
disaient les bolchéviks ; la famine augmente dans les campagnes, le
gouvernement se désagrège complètement et le courroux populaire
monte chaque jour davantage ; donc, la révolution, loin de décliner,
grandit au contraire de jour en jour et se prépare à une nouvelle
attaque. D’où notre tâche : aider la révolution montante, la
mener jusqu’au bout et la couronner par le pouvoir absolu du
peuple. (Voir la résolution des bolchéviks : « La situation
actuelle… »).
Les menchéviks disaient à peu près
la même chose.
Mais comment mener jusqu’au
bout la révolution actuelle ? Quelles sont les conditions
nécessaires pour cela ?
Selon les bolchéviks, mener jusqu’au
bout la révolution actuelle et la couronner par le pouvoir absolu du
peuple n’est possible que si les ouvriers conscients se
mettent à la tête de cette révolution, que si le
prolétariat socialiste, et non des démocrates bourgeois, en prend
la direction.
« Mener jusqu’au bout la révolution
démocratique, disaient les bolchéviks, seul le prolétariat en est
capable à la condition qu’il… entraîne derrière lui
la masse des paysans en conférant une conscience politique à leur
lutte spontanée… »
Sinon le prolétariat sera contraint de renoncer
au rôle de « chef de la révolution populaire » et se
trouvera « à la remorque de la bourgeoisie monarchiste
libérale », qui ne s’efforcera jamais de mener la révolution
jusqu’au bout. (Voir la résolution : « Les objectifs de
classe du prolétariat… »).
Certes, notre révolution est une révolution
bourgeoise et, à cet égard, elle rappelle la grande révolution
française, dont la bourgeoisie a récolté les fruits. Mais il est
clair, d’autre part, qu’il y a une grande différence entre ces
deux révolutions.
A l’époque de la révolution française, la
grande production mécanique que nous voyons chez nous aujourd’hui
n’existait pas ; les antagonismes de classe n’étaient pas aussi
nettement accusés que chez nous : aussi le prolétariat français
était-il faible, tandis que le nôtre est plus fort, plus uni. Il
faut également considérer que le prolétariat, là-bas, n’avait
pas un parti à lui, tandis qu’il en a un ici, avec son programme
et sa tactique propres.
Il n’est pas étonnant que les démocrates
bourgeois aient dirigé la révolution française et que les ouvriers
se soient mis à la remorque de ces messieurs : « Les ouvriers
se battaient, et les bourgeois s’emparaient du pouvoir ».
D’autre part, on conçoit parfaitement que le prolétariat de
Russie ne se contente pas de se mettre à la remorque des libéraux,
qu’il soit la force dominante de la révolution et appelle sous son
drapeau tous les « opprimés et les déshérités ».
Voilà en quoi notre révolution l’emporte sur
la révolution française, et voilà pourquoi nous pensons que notre
révolution peut être conduite à son terme et aboutir au pouvoir
absolu du peuple. Il faut seulement favoriser consciemment
l’hégémonie du prolétariat et rassembler autour de lui le peuple
en lutte, pour qu’ilsoit possible ainsi de
conduire à son terme la révolution actuelle.
Or, il est nécessaire de conduire la révolution
à son terme pour que la bourgeoisie ne soit pas seule à en récolter
les fruits, pour que la classe ouvrière, outre la liberté politique
obtienne la journée de huit heures, un allègement des conditions de
travail, pour qu’elle réalise entièrement son programme minimum
et s’ouvre ainsi un chemin vers le socialisme.
Voilà pourquoi celui qui défend les intérêts
du prolétariat; qui ne veut pas que le prolétariat devienne un
appendice de la bourgeoisie et tire pour elle les marrons du feu,
celui qui lutte afin que le prolétariat devienne une force
indépendante et utilise à ses propres fins la révolution actuelle,
doit condamner ouvertement l’hégémonie des démocrates bourgeois;
doit consolider le terrain pour l’hégémonie du prolétariat
socialiste dans la révolution actuelle.
Ainsi raisonnaient les bolchéviks.
Les menchéviks disaient tout autre
chose. Certes, la révolution se renforce et il faut la mener à son
terme, mais point n’est besoin pour cela de l’hégémonie du
prolétariat socialiste. Que ces mêmes démocrates bourgeois soient
les dirigeants de la révolution ! disaient-ils. pourquoi, qu’est-ce
à dire ?
Parce que la révolution actuelle est bourgeoise
et que la bourgeoisie doit en être le chef, répondaient les
menchéviks. Mais alors, que doit faire le prolétariat ? Il doit
suivre les démocrates bourgeois, « les pousser » et, de
cette façon, « faire progresser la révolution bourgeoise ».
Ainsi parlait le chef des menchéviks, Martynov, qu’ils avaient
désigné comme « rapporteur ».
La même pensée se trouve exprimée, bien que
moins nettement, dans la résolution des menchéviks : « Sur la
situation actuelle ».
Déjà dans Deux dictatures, Martynov
avait dit que « l’hégémonie du prolétariat est une utopie
dangereuse », une fantaisie, que la révolution bourgeoise
« doit être dirigée par l’extrême opposition
démocratique », et non par le prolétariat socialiste ; que le
prolétariat en lutte « doit marcher derrière la démocratie
bourgeoise » et la pousser sur le chemin de la liberté (Voir
la brochure connue de Martynov : Deux dictatures).
Il a développé la même pensée au Congrès
d’unification. D’après lui, la grande révolution française est
l’original, et notre révolution une pâle copie ; et de même
qu’en France la révolution avait à sa tête à ses débuts
« l’Assemblée nationale » et ensuite la « Convention
nationale », dans lesquelles prédominait la bourgeoisie, de
même chez nous le dirigeant de la révolution, qui rassemblera
autour de lui le peuple, doit être d’abord la Douma d’Etat et
ensuite quelque autre assemblée représentative, plus
révolutionnaire que la Douma.
A la Douma, comme au sein de cette future
assemblée représentative, les démocrates bourgeois prédomineront.
En conséquence, il nous faut l’hégémonie de la démocratie
bourgeoise et non celle du prolétariat socialiste.
Il faut seulement suivre pas à pas la bourgeoisie
et la pousser en avant toujours plus loin, vers la liberté
véritable. A noter que les menchéviks ont salué le discours de
Martynov par de vifs applaudissements.
A noter aussi que pas une de leurs résolutions ne
mentionne la nécessité de l’hégémonie du prolétariat ;
l’expression « hégémonie du prolétariat » est
complètement bannie de leurs résolutions de même que des
résolutions du congrès. (Voir les résolutions du congrès.)
Telle a été, au congrès, la
position des menchéviks.
Comme on le voit, il y a là deux
positions qui s’excluent et c’est de là que partent toutes les
autres divergences.
Si le prolétariat conscient est le
guide de la révolution actuelle, tandis que dans la Douma actuelle
dominent les cadets bourgeois, il est évident que l’actuelle Douma
ne pourra se transformer en un « centre politique du pays »
; elle ne pourra rallier autour d’elle le peuple révolutionnaire,
ni devenir, quels que soient ses efforts, le guide de la révolution
montante.
Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef
de la révolution alors qu’il est impossible de diriger la
révolution du sein de la Douma, il apparaît clairement que l’arèneprincipale de notre activité, à l’heure actuelle, doit
être la rue et non la salle de la Douma.
Ensuite, si le prolétariat conscient est le chef
de la révolution et la rue la principale arène de la lutte, il va
de soi que notre tâche est de participer activement à
l’organisation de la lutte de rue, de porter une attention accrue
à l’armement, de multiplier les détachements rouges et de
diffuser les connaissances militaires parmi les éléments
d’avant-garde.
Enfin,
si le prolétariat d’avant-garde est le chef de la révolution et
s’il doit participer activement à l’organisation de
l’insurrection, il va de soi que nous ne pouvons pas nous tenir à
l’écart du gouvernement provisoire révolutionnaire en nous en
lavant les mains ; nous devrons, en commun avec la paysannerie,
conquérir le pouvoir politique et faire partie du gouvernement
provisoire (2) : le chef de la rue révolutionnaire doit être
également le chef du gouvernement de la révolution.
Telle était la position des
bolchéviks.
Si au contraire, comme le pensent les
menchéviks, la direction de la révolution appartient aux démocrates
bourgeois — et les cadets de la Douma « se rapprochent de ce
genre de démocrates », — il va de soi que la Douma actuelle
peut se transformer en « centre politique du pays » ; la
Douma actuelle peut rassembler autour d’elle le peuple
révolutionnaire, en devenir le guide et se transformer en arène
principale de la lutte, il est inutile de porter une attention accrue
à l’armement et à l’organisation de détachements rouges ; ce
n’est pas notre affaire de porter une attention particulière
à l’organisation de la lutte de rue, et moins encore de conquérir,
en commun avec la paysannerie, le pouvoir politique et de faire
partie du gouvernement provisoire. Que les démocrates bourgeois s’en
occupent, eux qui seront les dirigeants de la révolution ! Sans
doute ne serait-il pas mauvais d’avoir des armes et des
détachements rouges ; c’est même, au contraire indispensable,
mais cela n’a pas la grande importance que les bolchéviks y
attachent.
Telle était la position des
menchéviks.
Le congrès a choisi la seconde voie,
c’est-à-dire qu’il a repoussé l’hégémonie du prolétariat
socialiste et approuvé la position des menchéviks.
Ce faisant, le congrès a montré
clairement qu’il n’avait pas compris les exigences essentielles
du moment présent.
Là est l’erreur fondamentale du
congrès, erreur qui devait fatalement entraîner toutes les autres.
III
Après que le congrès eut écarté
l’idée de l’hégémonie du prolétariat, on comprit clairement
comment il allait résoudre les autres questions : « Sur
l’attitude envers la Douma d’Etat », « Sur
l’insurrection armée », etc..
Passons à ces questions.
Commençons par la Douma d’Etat.
Nous n’allons pas examiner laquelle
des deux tactiques était la plus juste, boycottage ou participation
aux élections. Notons seulement ce point : si aujourd’hui la Douma
ne s’occupe que de bavardages, si elle est restée suspendue entre
la révolution et la contre-révolution, cela signifie que les
partisans de la participation aux élections se trompaient quand ils
appelaient le peuple à voter, en le leurrant d’espoirs mensongers.
Mais laissons cela. c’est un fait qu’au moment
du congrès, les élections étaient déjà terminées (sauf au
Caucase et en Sibérie) ; nous connaissions déjà les résultats des
élections et, par conséquent, il ne pouvait être question que de
la Douma elle-même, appelée à se réunir quelques jours
plus tard.
Il est évident que le congrès ne pouvait revenir
sur le passé ; il devait porter son attention principalement sur le
caractère de la Douma et sur l’attitude que nous devions adopter à
son égard.
Qu’est-ce donc que la Douma
actuelle et quelle doit être notre attitude à son égard ?
On savait déjà, par le manifeste du
17 octobre, que la Douma n’avait pas de pouvoirs particulièrement
importants ; c’est une assemblée de députés qui « a le
droit » de délibérer, mais « n’a pas le droit »
de passer outre aux « lois fondamentales » existantes.
Elle est placée sous la surveillance du Conseil
d’Etat qui « a le droit » de casser toute décision de
la Douma. Cependant que veille le gouvernement tsariste, armé de
pied en cap, qui « a le droit » de dissoudre la Douma si
elle outrepasse son rôle consultatif.
Quant à la physionomie de la Douma,
nous savions, dés avant l’ouverture du congrès, quelle en serait
la composition, nous savions déjà que la Douma serait composée en
majorité de cadets.
Nous ne voulons pas dire par là que les cadets eux-mêmes allaient
constituer la majorité de la Douma ; nous disons simplement que sur
les cinq cents membres — à peu près — de la Douma, un tiers
serait composé de cadets, un autre tiers de groupes intermédiaires
et de la droite (« parti des réformes démocratiques (3) »,
éléments modérés parmi les députés sans parti, octobristes (4),
etc…) qui, au moment de la lutte contre l’extrême gauche (groupe
ouvrier et groupes des paysans révolutionnaires), s’uniraient aux
cadets et voteraient pour eux : ainsi les cadets seraient les maîtres
de la situation à la Douma.
Et que sont les cadets ? Peut-on les
qualifier de révolutionnaires ? Non, certes ! Alors, que sont-ils
donc ?
Les cadets, c’est le parti des conciliateurs
: s’ils veulent limiter les droits du tsar, ce n’est pas qu’ils
soient partisans de la victoire du peuple, — les cadets entendent
remplacer le pouvoir absolu du tsar par le pouvoir absolu de la
bourgeoisie, et non par celui du peuple (voir leur programme), —
c’est pour que, de son côté, le peuple modère son esprit
révolutionnaire, renonce à ses revendications révolutionnaires et
s’entende d’une façon ou d’une autre avec le tsar. Les cadets,
veulent un accord entre le tsar et le peuple.
Comme on le voit, la majorité de la
Douma devait être composée de conciliateurs, et non de
révolutionnaires. Cela était évident dés la première quinzaine
d’avril.
Ainsi, boycottée et impuissante,
dotée de droits insignifiants, d’une part, non révolutionnaire et
conciliatrice dans sa majorité, d’autre part, telle était la
Douma. Généralement, les faibles sont déjà portés à la
conciliation, mais si, en outre, leur orientation n’est pas
révolutionnaire, ils y glissent d’autant plus vite. C’est ce qui
devait arriver à la Douma d’Etat.
Elle ne pouvait prendre entièrement parti pour le
tsar, puisqu’elle désire limiter les pouvoirs du tsar, mais elle
ne pouvait non plus passer du côté du peuple, puisque le peuple
présente des revendications révolutionnaires. C’est pourquoi elle
devait se placer entre le tsar et le peuple, s’attacher à les
réconcilier, c’est-à-dire perdre son temps.
D’une part, il lui fallait persuader le peuple
de renoncer à ses « revendications excessives » et de
s’entendre d’une façon ou d’une autre avec le tsar ; d’autre
part, il lui fallait servir de courtier auprès du tsar, afin qu’il
cédât quelque chose au peuple et mit ainsi fin aux « troubles
révolutionnaires ».
C’est à cette Douma que le Congrès
d’unification du parti avait affaire.
Quelle devait être l’attitude du
parti à son égard ? Inutile de dire qu’il ne pouvait prendre sur
lui de soutenir cette Douma, car soutenir la Douma, c’était
soutenir la politique de conciliation; or, la politique de
conciliation est en contradiction radicale avec notre objectif
d’approfondissement de la révolution.
Certes, le parti devait utiliser aussi bien la
Douma elle-même que les conflits entre elle et le gouvernement ;
mais cela ne signifie pas encore qu’il doive soutenir la tactique
non révolutionnaire de la Douma. Au contraire, révéler la
duplicité de la Douma, la critiquer impitoyablement, dévoiler au
grand jour sa tactique de trahison, telle doit être l’attitude du
parti à son égard.
Dans ces conditions, il est clair que
la Douma des cadets n’exprime pas la volonté du peuple, qu’elle
ne peut remplir le rôle de représentant du peuple, qu’elle ne
peut devenir le centre politique du pays ni rallier le peuple autour
d’elle.
Le devoir du parti était donc de
dissiper les espoirs mensongers que l’on fondait sur la Douma et de
proclamer hautement qu’elle n’exprime pas la volonté du peuple,
que, par conséquent, elle ne peut devenir l’instrument de la
révolution et que, maintenant, la principale arène de la lutte est
la rue et non la Douma.
En même temps, il était clair que le groupe paysan « du
travail » (5) qui existait à la Douma, groupe peu nombreux par
rapport aux cadets, ne pouvait suivre jusqu’au bout la tactique
conciliatrice des cadets ; il devait, un jour ou l’autre, engager
la lutte contre les cadets, traîtres au peuple, et prendre le chemin
de la révolution.
Le devoir du parti était de soutenir le « groupe
du travail » dans sa lutte contre les cadets, de développer à
fond ses tendances révolutionnaires, d’opposer sa tactique
révolutionnaire à la tactique non révolutionnaire des cadets et de
mettre ainsi en pleine lumière les tendances de trahison des cadets.
Qu’a fait le congrès ? Qu’a-t-il
déclaré dans sa résolution sur la Douma d’Etat ?
La résolution proclame que la Douma
est une institution issue « du sein de la nation ».
C’est-à-dire que la Douma, malgré ses défauts, n’en est pas
moins, paraît-il, l’interprète de la volonté du peuple.
Il est clair que le congrès n’a
pas su donner une appréciation juste sur la Douma des cadets ; il a
oublié que la majorité de la Douma est composée de conciliateurs,
qui rejettent la révolution, ne peuvent exprimer la volonté du
peuple et que, par conséquent, nous n’avons pas le droit
d’affirmer que la Douma est sortie « du sein de la nation ».
Qu’ont dit les bolchéviks à ce
propos au congrès ?
Ils ont dit que
la Douma d’Etat, telle qu’elle apparaît dés maintenant, avec sa
composition (essentiellement) cadette, ne peut en aucun cas remplir
le rôle de véritable représentant du peuple.
C’est-à-dire que la Douma actuelle
n’est pas sortie du sein du peuple, qu’elle est antipopulaire et
ne peut donc exprimer la volonté du peuple. (Voir la résolution des
bolchéviks).
Le congrès s’est, sur ce point,
prononcé contre les bolchéviks.
La résolution du congrès proclame
que, malgré son caractère « pseudo-constitutionnel, la
Douma », néanmoins, « se transformera en un instrument
de la révolution »…, que ses conflits avec le gouvernement
peuvent s’étendre « jusqu’à permettre d’en faire le
point de départ de larges mouvements de masses, ayant pour but de
renverser l’ordre politique existant ».
C’est-à-dire que la Douma peut, paraît-il, se
transformer en un centre politique, rallier autour d’elle le peuple
révolutionnaire et brandir l’étendard de la révolution.
Ouvrier, vous entendez : la Douma
conciliatrice des cadets peut, paraît-il, se transformer en un
centre de la révolution et se trouver à sa tête, — autant dire
qu’une chienne peut mettre bas un agneau ! A quoi bon vous
tourmenter ?
Dorénavant, il n’est plus besoin d’hégémonie
du prolétariat, ni que le peuple se rassemble précisément autour
du prolétariat : la Douma non révolutionnaire ralliera
elle-même autour d’elle le peuple révolutionnaire, et
tout ira bien ! Voilà comment il faut, paraît-il, mener jusqu’au
bout la révolution actuelle !
Le congrès n’a évidemment pas
compris que l’hypocrite Douma, avec ses hypocrites cadets, se
trouvera inévitablement placée entre deux chaises : qu’elle
cherchera à réconcilier le tsar et le peuple ; et puis qu’elle
sera amenée, comme tous ceux qui font preuve de duplicité, à
pencher du côté de celui qui promettra le plus !
Qu’ont dit les bolchéviks à ce
propos au congrès ?
Ils ont déclaré que
les conditions n’étaient pas encore réunies pour que notre parti
s’engageât dans la voie parlementaire,
c’est-à-dire que nous ne pouvons
pas encore jouir d’une vie parlementaire tranquille, que la
principale arène de la lutte demeure la rue et non la Douma. (Voir
la résolution des bolchéviks.)
Sur ce point également, le congrès
a repoussé la résolution des bolchéviks.
La résolution du congrès ne dit
rien de précis sur la présence au sein de la Douma, d’une
minorité de représentants de la paysannerie révolutionnaire
(« groupe du travail »), qui seront obligés de rejeter
la politique conciliatrice des cadets et de prendre le chemin de la
révolution; rien sur la nécessité de les encourager, de les
soutenir dans leur lutte contre les cadets et de les aider à
s’engager, avec plus d’assurance encore, dans la voie
révolutionnaire.
Le congrès n’a évidemment pas
compris que le prolétariat et la paysannerie sont les deux forces
principales de la révolution actuelle ; qu’au moment présent, le
prolétariat, en tant que chef de la révolution, doit soutenir les
paysans révolutionnaires dans la rue comme à la Douma, si seulement
ils engagent la lutte contre les ennemis de la révolution.
Qu’ont dit les bolchéviks à ce
propos au congrès ?
Ils ont déclaré que la
social-démocratie doit dénoncer impitoyablement
l’inconséquence et l’inconstance des cadets, observer avec une
attention particulière les éléments de la démocratie
révolutionnaire paysanne, les unir, les opposer aux cadets, soutenir
celles de leurs actions qui répondent aux intérêts du prolétariat.
(Voir la résolution.)
Le congrès n’a pas accepté non
plus cette proposition des bolchéviks. Sans doute parce que le rôle
d’avant-garde du prolétariat dans la lutte actuelle y est trop
clairement exprimé ; or, le congrès, comme on l’a vu plus haut,
avait marqué sa défiance à l’égard de l’hégémonie du
prolétariat, — la paysannerie devant, selon lui, se grouper autour
de la Douma, et non autour du prolétariat !
Voilà pourquoi le journal bourgeois Nacha Jizn (6)
loue la résolution du congrès, voilà pourquoi les cadets de Nacha
Jizn se sont écriés à l’unisson : enfin les
social-démocrates se sont ravisés et ont abandonné le blanquisme !
(Voir Nacha Jizn, n°432.)
Certes, ce n’est pas sans raison
que les ennemis du peuple — les cadets — louent la résolution du
congrès ! Ce n’est pas sans raison que Bebel disait : ce qui plaît
à nos ennemis nous est nuisible !
IV
Passons à la question de
l’insurrection armée.
Aujourd’hui, ce n’est plus un
mystère pour personne qu’une action populaire est inévitable. Si
la crise et la famine s’aggravent dans les villes et les campagnes
; si l’effervescence grandit de jour en jour dans le prolétariat
et la paysannerie, si le gouvernement tsariste se décompose ; si,
par conséquent, la révolution monte, il est évident que la vie
prépare une nouvelle action populaire, plus vaste et plus vigoureuse
que celles d’octobre et de décembre.
Que cette nouvelle action soit désirable ou non,
qu’elle soit un bien ou un mal, il est inutile d’en parler
aujourd’hui : car il ne s’agit pas nos désirs, mais du fait que
l’action populaire mûrit d’elle-même, qu’elle est inévitable.
Mais il y a action et action.
Incontestablement, la grève générale de janvier à Pétersbourg
(1905) a été une action populaire. La grève politique générale
d’octobre a été, elle aussi, une action populaire. La « bataille
de décembre » à Moscou et chez les Lettons a été également
une action populaire. Il est clair qu’il existait aussi entre elles
une différence.
Alors qu’en janvier (1905) la grève jouait le
rôle principal, en décembre elle n’a servi que de prologue et
s’est transformée par la suite en insurrection armée, à laquelle
elle a cédé le rôle principal.
Les actions de janvier, octobre et décembre ont
montré que si « pacifique » que soit le début d’une
grève générale, si « délicate » que soit la façon
dont on formule les revendications, si désarmé qu’on se présente
sur le champ de bataille, les choses se termineront quand même par
un combat (souvenez-vous du 9 janvier à Pétersbourg lorsque le
peuple s’avançait avec des croix et le portrait du tsar), le
gouvernement recourra quand même aux canons et aux fusils, le peuple
prendra quand même les armes, et c’est ainsi que la grève
générale se transformera quand même en une insurrection armée.
Qu’est-ce que cela signifie ? Ceci seulement :
la future action populaire ne sera pas une simple action ; elle
prendra nécessairement le caractère d’un conflit armé
et, ainsi, l’insurrection armée jouera le rôle décisif.
L’effusion de sang est-elle désirable ou non,
est-ce un bien ou un mal, il n’y a pas à en parler. Nous le
répétons : il ne s’agit pas de nos désirs, mais du fait que
l’insurrection armée aura certainement lieu et qu’il
n’est pas possible de l’éviter.
Notre objectif aujourd’hui est
d’instaurer le pouvoir absolu du peuple. Nous voulons que les rênes
du gouvernement soient remises entre les mains du prolétariat et de
la paysannerie. Peut-on atteindre ce but par une grève générale ?
Les faits attestent que non (rappelez-vous ce qui
a été dit plus haut). Mais peut-être que la Douma nous aidera avec
ses cadets emphatiques, peut-être que le pouvoir absolu du peuple
(rappelez-vous ce qui a été dit plus haut).
Il est clair que la seule voie sûre,
c’est l’insurrection armée du prolétariat et de la paysannerie.
Seule une insurrection armée peut renverser la domination du tsar et
instaurer la domination du peuple, si, bien entendu, cette
insurrection se termine par la victoire.
Dès lors, si la victoire du peuple est
aujourd’hui impossible sans la victoire de l’insurrection et si,
d’un autre côté, la vie elle-même prépare une action populaire
armée, si cette action est inévitable, il va de soi que la tâche
de la social-démocratie est de se préparer consciemment à cette
action, de préparer consciemment sa victoire.
De deux choses l’une : ou bien nous devons
renoncer au pouvoir absolu du peuple (à la république démocratique)
et nous contenter d’une monarchie constitutionnelle — et nous
serons alors en droit de dire que ce n’est pas notre affaire
d’organiser l’insurrection armée ; ou bien nous devons,
aujourd’hui comme auparavant, nous assigner pour but d’établir
le pouvoir absolu du peuple (la république démocratique) et rejeter
résolument la monarchie constitutionnelle, — mais alors nous ne
serons pas en droit de dire que ce n’est pas notre affaire
d’organiser consciemment l’action qui mûrit spontanément.
Mais comment nous préparer à
l’insurrection armée, comment contribuer à sa victoire ?
L’action de décembre a montré que
nous, social-démocrates, en plus de tous nos autres péchés, sommes
coupables devant le prolétariat encore d’un gros péché : nous ne
nous sommes pas souciés, ou guère souciés, de l’armement des
ouvriers et de l’organisation de détachements rouges.
Souvenez-vous de décembre !
Qui ne se rappelle le peuple enfiévré, prêt à
se battre à Tiflis, dans le Caucase occidental, dans le sud de la
Russie, en Sibérie, à Moscou, à Pétersbourg, à Bakou ? Pourquoi
l’autocratie a-t-elle pu si facilement disperser ce peuple déchaîné
? Est-ce vraiment parce que le peuple n’était pas encore convaincu
de l’indignité du gouvernement tsariste ? Non, certes ! Alors
pourquoi ?
Tout d’abord, parce que le peuple
n’avait pas ou n’avait guère d’armes : si conscient qu’on
soit, il est impossible de résister aux balles, les mains nues !
Oui, on avait raison de nous prendre à partie en disant : vous
vous faites donner de l’argent, mais les armes, on ne les voit pas.
En second lieu, parce que nous ne
possédions pas de détachements rouges bien entraînés, capables de
mener les autres, de se procurer des armes par les armes et d’armer
le peuple : dans les combats de rue, le peuple est un héros, mais
s’il n’est pas conduit par des frères en armes qui lui donnent
l’exemple, il peut devenir une simple foule.
Troisièmement, parce que
l’insurrection était sporadique et inorganisée. Quand Moscou se
battait sur les barricades, Pétersbourg restait coi. Tiflis et
Koutaïs se préparaient à L’assaut quand Moscou était déjà
« soumise ».
La Sibérie a pris les armes quand le Sud et les
Lettons étaient déjà « vaincus ». Cela signifie que le
prolétariat en lutte s’est trouvé, lors de l’insurrection,
fractionné en groupes séparés, de sorte qu’il a été
relativement facile au gouvernement de lui infliger une
« défaite« .
Quatrièmement, parce que notre
insurrection s’en est tenue à une politique de défensive et non
d’offensive. L’insurrection de décembre a été provoquée par
le gouvernement lui-même qui nous a attaqués ; il avait son plan,
tandis que son attaque nous a pris au dépourvu ; nous n’avions pas
de plan bien arrêté, nous nous sommes vus contraints de nous tenir
à une politique d’autodéfense et donc de nous mettre à la
remorque des événements.
Si les Moscovites avaient, dés le début, opté
pour la politique d’offensive, ils se seraient immédiatement
emparés de la gare Nikolaevski, le gouvernement n’aurait pu lancer
ses troupes de Pétersbourg à Moscou, et l’insurrection de Moscou
aurait ainsi duré plus longtemps, ce qui aurait exercé une heureuse
influence sur les autres villes.
Il faut en dire autant des Lettons : si, dés le
début, ils avaient choisi l’offensive, ils se seraient d’emblée
emparés des canons et auraient porté un coup sensible aux forces du
gouvernement.
Ce n’est pas sans raison que Marx a
dit :
«
Une fois l’insurrection commencée, il faut agir avec une
extrême résolution et passer à l’offensive. La défensive est la
mort de toute insurrection armée… Il faut attaquer l’ennemi à
l’improviste tant que ses forces sont encore dispersées ; il faut
obtenir chaque jour des succès nouveaux, fussent-ils minimes ; il
faut conserver l’ascendant moral acquis par le premier mouvement
victorieux des insurgés ; il faut entraîner les éléments
hésitants qui vont toujours ver ceux qui sont les plus forts et se
mettent toujours du côté le plus sûr ; il faut contraindre
l’ennemi à reculer avant qu’il ait pu rassembler ses forces
contre vous. En un mot, agissez comme le dit Danton, le plus grand
maître de la tactique révolutionnaire que l’on connaisse
jusqu’ici : De l’audace, encore de l’audace, toujours de
l’audace. » (Voir Karl Marx : Esquisses historiques,
p. 95).
C’est cette « audace »,
cette politique d’offensive qui ont manqué à l’insurrection de
décembre.
On nous dira : ce ne sont pas là
toute les causes de la « défaite » de décembre ; vous
oubliez qu’en décembre la paysannerie n’a pas su s’unir au
prolétariat, et c’est là aussi une des causes principales du
recul de décembre. C’est la vérité même, et nous n’avons
garde de l’oublier. Mais pourquoi la paysannerie n’a-t-elle pas
su s’unir au prolétariat, quelle en a été la cause ?
On nous dira : le manque de conscience. Bon, mais
comment devons-nous rendre les paysans conscients ? par la diffusion
de brochures ?
Evidemment, cela ne suffit pas ! Alors comment ?
Par la lutte, en les entraînant dans la lutte et en les guidant
pendant la lutte. Aujourd’hui, la ville est appelée à diriger la
campagne, et l’ouvrier à diriger le paysan ; si le travail n’est
pas organisé dans les villes en vue de l’insurrection, jamais la
paysannerie n’ira à la bataille aux côtés du prolétariat
d’avant-garde.
Tels sont les faits.
Dés lors, on voit clairement
l’attitude que le congrès devait prendre à l’égard de
l’insurrection armée, les mots d’ordre qu’il devait donner aux
camarades du parti.
L’armement laissait à désirer
dans le parti, on l’avait négligé jusque-là. Donc, le congrès
devait dire au parti : armez-vous, portez une attention
accrue aux choses de l’armement, pour que l’action
révolutionnaire à venir nous trouve tant soit peu préparés.
Poursuivons. L’organisation par le
parti, de détachements armés laissait à désirer. Il ne se
préoccupait pas suffisamment de multiplier les détachements rouges.
Donc, le congrès devait dire au parti : Formez
des détachements rouges, diffusez dans le peuple les connaissances
militaires, portez une attention accrue à l’organisation de
détachements rouges, pour que nous puissions plus tard nous procurer
des armes par les armes et étendre l’insurrection.
Poursuivons. L’insurrection de
décembre avait trouvé le prolétariat divisé, personne ne pensait
sérieusement à organiser l’insurrection.
Donc, le congrès devait donner au parti le mot
d’ordre de procéder énergiquement au rassemblement des éléments
de combat, à leur mise en action suivant un plan unique, à
l’organisation active de l’insurrection armée.
Poursuivons. Jusqu’à présent, le
prolétariat, dans l’insurrection armée, s’en est tenu à la
politique de la défensive, jamais il n’a pris l’offensive, et
c’est ce qui a empêché l’insurrection de triompher. Donc, le
congrès se devait de signaler aux camarades du parti que le montant
de la victoire de l’insurrection approchait et qu’ilfallait passer à la politique d’offensive.
Qu’a fait le congrès, et quels
mots d’ordre a-t-il donnés au parti ?
Le congrès déclare que
« …la tâche essentielle du parti, à l’heure actuelle, est de
développer la révolution en élargissant et en renforçant la
propagande dans les larges couches du prolétariat, de la
paysannerie, de la petite bourgeoisie des villes et parmi les troupes
: de les entraîner à la lutte active contre le gouvernement par
l’intervention constante de la social-démocratie et du prolétariat
qu’elle dirige, dans toutes les manifestations de la vie politique
du pays… [Le parti] ne peut assumer l’engagement d’armer le
peuple, ce qui susciterait des espoirs mensongers ; il doit se
limiter à aider la population à d’armer par elle-même, à
organiser et à armer des groupes de combat… Le parti a le devoir
de s’opposer à toutes les tentatives d’entraîner le prolétariat
à une collision armée quand les conditions sont défavorables…,
etc…, etc… » (Voir la résolution du congrès.)
Il s’ensuit qu’aujourd’hui,
en ce moment précis, où nous sommes à la veille d’une
nouvelle action populaire, le plus important pour la victoire de
l’insurrection, c’est la propagande, tandis que l’armement
et l’organisation de détachements rouges sont choses accessoires ;
il ne faut pas nous laisser fasciner par elles, et nous devons, à
cet égard, « limiter » notre action à une « aide ».
Quant à la nécessité d’organiser
l’insurrection au lieu de la faire en ordre dispersé, quant à la
nécessité d’avoir une politique d’offensive (rappelez-vous les
paroles de Marx), le congrès n’en souffle mot. Il est clair que,
pour lui, ces questions sont sans importance.
Les faits disent : armez-vous et
renforcez par tous les moyens les détachements rouges. Le congrès
répond : ne vous laissez pas trop fasciner par l’armement et
l’organisation de détachements rouges ; « limitez »
votre action dans ce domaine, car le principal est la propagande.
C’est à croire que nous nous
sommes beaucoup occupés d’armement jusqu’ici, que nous avons
armé une foule de camarades, organisé de nombreux détachements,
mais négligé la propagande ! Et ce congrès de nous faire la leçon
: cessez de vous armer, cessez de vous occuper de cela ; la tâche
principale, voyez-vous, c’est la propagande !
Certes, la propagande demeure en tout
temps et en tout lieu une des armes principales du parti; mais est-ce
la propagande qui va décide de la victoire de l’insurrection
prochaine ?
Si le congrès avait dit cela il y a quatre ans,
quand l’insurrection ne figurait pas chez nous à l’ordre du
jour, c’eût été encore concevable. mais aujourd’hui nous
sommes à la veille d’une insurrection armée, que l’insurrection
figure à l’ordre du jour; qu’elle peut éclater sans notre
volonté ou contre elle, que peut-on faire « principalement »
par la propagande, à quoi peut-on arriver par cette « propagande »
?
Ou encore : admettons que nous ayons
élargi la propagande, admettons que le peuple se soit soulevé, et
après ? Comment peut-il lutter sans armes ?
N’a-t-on pas fait assez couler le sang du peuple
désarmé ? D’autre part, à quoi bon des armes au peuple s’il ne
sait pas s’en servir, s’il ne possède pas un nombre suffisant de
détachements rouges ? On nous dira : nous ne renonçons ni à
l’armement, ni aux détachements rouges. Soit, mais si vous ne
prêtez pas une attention suffisante à l’armement, si vous le
négligez, cela signifie qu’en fait vous y renoncez.
Est-il besoin de dire que le congrès
n’a soufflé mot de l’organisation de l’insurrection
ni de la politique d’offensive ? Il ne pouvait en être
autrement, puisque la résolution du congrès retarde de quatre ou
cinq ans sur la vie et que l’insurrection est restée pour le
congrès une question théorique.
Qu’est-ce que les bolchéviks ont
dit au congrès à ce propos ?
Ils on dit :
« …Dans le travail de propagande et d’agitation du parti, une
attention accrue doit être accordée à l’étude de l’expérience
pratique de l’insurrection de décembre, à sa critique au point de
vue militaire et aux enseignements immédiats à en tirer pour
l’avenir ; il convient de mener une action encore plus énergique
pour augmenter le nombre des groupes de combat, améliorer leur
organisation et les pourvoir en armes de toute espèce ; au surplus,
ainsi que l’expérience nous le suggère, il faut organiser non
seulement des groupes de combat du parti, mais aussi des groupes
touchant de près au parti ou sans-parti… ; devant le progrès du
mouvement paysan qui peut, dans un avenir très prochain, conduire à
une explosion, à une véritable insurrection, il est désirable
d’orienter nos efforts vers la coordination des actions des
ouvriers et des paysans, afin d’organiser, si possible, des
opérations de combat combinées et simultanées ; [par conséquent],
étant données la croissance et l’aggravation d’une nouvelle
crise politique, la possibilité s’offre de passer des formes
défensives de la lutte armée à ses formes offensives … ; [il est
nécessaire d’entreprendre en commun avec les soldats] les actions
offensives les plus résolues contre le gouvernement…, etc…
» (Voir la résolution des bolchéviks.)
Voilà ce qu’ont dit les
bolchéviks.
Mais leur position n’a pas été
approuvée par le congrès.
Après cela, il n’est pas difficile
de comprendre pourquoi les résolutions du congrès ont été
accueillies avec tant d’enthousiasme par es cadets libéraux (voir
Nacha Jizn, n°432) : ils ont compris que ces résolutions
retardaient de plusieurs années sur la révolution actuelle ;
qu’elles ne reflétaient nullement les objectifs de classe du
prolétariat ; que ces résolutions-là tendaient à faire
du prolétariat un appendice des libéraux plutôt qu’une force
indépendante. Ils ont compris tout cela, et voilà pourquoi ils les
couvrent d’éloges.
La tâche des camarades du parti est
de juger ces résolutions du congrès avec esprit critique et,
l’heure venue, d’y introduire les rectifications nécessaires
C’est précisément cette tâche
que nous avions en vue en commençant à écrire cette brochure.
Il est vrai que nous n’avons
examiné ici que deux résolutions : « Sur l’attitude à
l’égard de la Douma d’Etat » et « Sur l’insurrection
armée », mais elles sont certainement toutes deux les
résolutions fondamentales, celles qui expriment le plus nettement la
position tactique du congrès.
Nous voilà arrivés à notre
conclusion principale ; nous constatons que, dans le parti, le
problème se pose de la façon suivante : le prolétariat
conscient doit-il exercer l’hégémonie dans la révolution
actuelle, ou bien doit-il se mettre à la remorque des démocrates
bourgeois?
Nous avons vu que la solution de ce
problème commande la solution de tous les autres.
Nos camarades mettront d’autant
plus de soin à peser ce qui constitue le fond des deux thèses en
présence.
Notes
Cette étude parut en 1906, à Tiflis, en géorgien, aux éditions
du Prolétariat. A la brochure étaient annexés trois projets de
résolutions des bolchéviks pour le IVe congrès (« Congrès
d’unification ») : 1. « La situation actuelle de la
révolution démocratique » (Voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd.
russe, t. X, p. 130-131) ; 2. « Les objectifs de classe du
prolétariat dans la situation actuelle de la révolution
démocratique » (voir Les résolutions et décisions des
congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central
du P.C. (b) de l’U.R.S.S., 1re partie, 6e éd. russe, 1940, p.65) ;
3. « L’insurrection armée » (voir V. Lénine :
Oeuvres, 4e éd. russe, t. X, p. 131-133) ; puis le projet de
résolution sur la Douma d’Etat, présenté au congrès par Lénine
au nom des bolchéviks (voir V. Lénine : Oeuvres, 4e éd. russe, t.
X, p. 266-267). Enfin la résolution du congrès sur l’insurrection
armée et le projet de résolution des menchéviks : « Sur la
situation actuelle de la révolution et les objectifs du
prolétariat ».
2.
Nous n’envisageons pas ici l’aspect de principe de la
question. (J.S.).
3.
Le « parti des réformes démocratiques », parti de
la bourgeoisie monarchiste libérale, s’était constitué lors des
élections à la 1re Douma d’Etat, en 1906.
4.
Octobristes, ou « Union du 17 octobre » : parti
contre-révolutionnaire de la grosse bourgeoisie industrielle et
commerçante et des grands propriétaires fonciers, qui fondé en
novembre 1905, soutenait à fond le régime de Stolypine, la
politique intérieure et étrangère du tsarisme.
5.
Troudoviks, ou « groupe du travail » : groupe de
démocrates petits-bourgeois, fondé en avril 1906 et composé de
députés paysans de la Ire Douma d’Etat. Les troudoviks
réclamaient l’abolition de toutes les restrictions découlant de
la nationalité ou de l’ordre, la démocratisation de
l’administration autonome des villes et des zemstvos, le suffrage
universel pour les élections à la Douma d’Etat et, avant tout,
une solution de la question agraire.
6. Nacha Jizn [Notre Vie], journal bourgeois libéral, parut à Pétersbourg, avec des interruptions, de novembre 1904 à décembre 1906.
Rapport présenté à l’Assemblée des militants de l’organisation de Léningrad du Parti communiste de l’Union soviétique (bolchevik), le 13 juillet 1928
Le Plénum du Comité central qui vient de
clôturer ses travaux s’est occupé de deux séries de problèmes.
La première comporte les problèmes fondamentaux de l’Internationale
communiste et de son VI9 congrès, dont les assises vont se tenir
prochainement.
La deuxième série comprend des problèmes ayant
trait à notre édification en U.R.S.S., tant dans le domaine de
l’agriculture — céréales et approvisionnement en blé — que
dans celui de la formation de cadres de techniciens intellectuels,
nécessaires à notre industrie, en vue d’assurer à celle-ci un
personnel technique instruit d’origine ouvrière.
Je commence par la première série de problèmes.
I Problèmes de l’Internationale
communiste
1. Les problèmes essentiels
touchant le VIe congrès de l’Internationale communiste
Quels sont les problèmes fondamentaux qui se
posent en ce moment devant le VIe congrès de l’I.C.?
Quand on examine la période écoulée entre le Ve
et le VIe congrès, il faut avant tout s’arrêter aux
contradictions qui se sont accumulées,pendant cette période, dans
le camp des impérialistes.
Quelles sont ces contradictions ?
A l’époque du Ve congrès, les antagonismes
anglo-américains n’étaient pas considérés comme essentiels. A
ce moment, on parlait même d’une alliance anglo-américaine.
Par contre, on parlait d’autant plus volontiers
des antagonismes entre l’Angleterre et la France, l’Amérique et
le Japon, les vainqueurs et les vaincus. La différence entre la
période d’alors et celle d’aujourd’hui consiste en ce que, à
l’heure présente, parmi les nombreux antagonismes qui se
manifestent dans le camp des capitalistes, l’antagonisme
fondamental est devenu celui qui met aux prises le capitalisme
américain et le capitalisme anglais.
Que ce soit la question du naphte, qui a une
importance décisive tant pour l’édification de l’économie
capitaliste que pour la guerre ; ou celle des débouchés, dont
la portée est immense pour la vie et le développement du
capitalisme mondial, car pour produire des marchandises, il faut que
l’écoulement en soit assuré ; qu’il s’agisse des marchés
d’exportation de capitaux, qui constituent le trait le plus
caractéristique de l’étape impérialiste ; qu’il s’agisse,
enfin, des voies conduisant aux débouchés et aux marchés de
matières premières, — partout on se heurte au problème
fondamental de la lutte entre l’Amérique et l’Angleterre pour
l’hégémonie mondiale.
De quelque côté que l’Amérique se tourne, ce
pays de capitalisme, croissant par bonds gigantesques, que ce soit
vers la Chine, vers les colonies, vers l’Amérique du Sud, vers
l’Afrique, — partout elle rencontre des obstacles insurmontables
sous la forme de positions préalablement fortifiées par
l’Angleterre.
Bien entendu, cela ne change rien aux autres
antagonismes du camp capitaliste : entre l’Amérique et le Japon,
l’Angleterre et la France, la France et l’Italie, l’Allemagne
et la France, etc. Mais ce qui estcertain, c’est que ces
antagonismes touchent par un côté ou par l’autre à l’antagonisme
fondamental entre l’Angleterre, dont l’étoile décline, et
l’Amérique, dont l’astre suit une ligne ascendante.
Quels peuvent être les effets de cet antagonisme
fondamental ?
Il est certain qu’il contient virtuellement la
guerre. Quand deux géants se heurtent l’un contre l’autre et
qu’ils se sentent à l’étroit sur la planète, ils cherchent à
se mesurer l’un avec l’autre et à résoudre, au moyen de la
guerre, la question litigieuse de la suprématie mondiale.
Premier point à retenir.
Le deuxième antagonisme existe entre
l’impérialisme et les colonies.
Cet antagonisme se manifestait déjà à l’époque
du Ve congrès. Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il s’est
particulièrement envenimé. A l’époque du Ve congrès, nous
n’assistions pas encore à cette puissante extension du mouvement
révolutionnaire chinois, à cette formidable secousse qui a réveillé
des millions de travailleurs et paysans chinois, à laquelle nous
avons assisté il y a un an et dont nous sommes aujourd’hui encore
les témoins.
Mais ce n’est pas tout. A l’époque du V
congrès de l’Internationale communiste, il n’y avait pas aux
Indes cette recrudescence vigoureuse du mouvement ouvrier et de la
lutte d’affranchissement national que l’on observe de nos jours.
Ces deux facteurs fondamentaux posent, dans toute sa plénitude, le
problème des colonies et des pays assujettis.
Qu’implique le développement de cet antagonisme
? Il implique des guerres nationales aux colonies et une intervention
armée des puissances impérialistes.
Deuxième point à retenir.
Enfin, un troisième antagonisme, celui existant
entre le monde capitaliste et l’U.R.S.S. et qui, loin de faiblir,
se renforce. Si, àl’époque du Ve congrès de l’Internationale
communiste, on était fondé à dire qu’un équilibre, incertain,
il est vrai, mais plus ou moins durable, s’était établi entre les
deux mondes, entre les deux antipodes, entre le inonde des Soviets et
celui du capitalisme, — aujourd’hui, par contre, nous avons
toutes les raisons d’affirmer que cet équilibre arrive à
échéance.
Est-il besoin de démontrer que le développement
de cet antagonisme implique fatalement le danger d’une
intervention.
Il faut croire que le VIe congrès tiendra compte
de ce facteur.
Ainsi, tous ces antagonismes conduisent
inéluctablement à un danger principal, — à celui de nouvelles
guerres et interventions impérialistes.
C’est pourquoi le danger de nouvelles guerres et
interventions impérialistes constitue le problème fondamental de
l’actualité.
Le pacifisme moderne, avec sa Société des
nations, sa propagande de la « paix », son « interdiction » de la
guerre, son bavardage sur le « désarmement », etc., est le moyen
le plus usité aujourd’hui, pour donner le change à la classe
ouvrière et la détourner de la lutte contre le danger de guerre.
Nombreux sont ceux qui s’imaginent que le
pacifisme impérialiste est un instrument de paix. Cela est
radicalement faux. Le pacifisme impérialiste sert à préparer la
guerre et à voiler ses préparatifs au moyen de discours hypocrites
sur la paix. Sans ce pacifisme et son instrument, la Société des
nations, la préparation de la guerre est impossible dans l’état
actuel des choses.
Il est des naïfs pour croire que, puisqu’il
existe un pacifisme impérialiste, il ne saurait y avoir de guerre.
Cela est entièrement faux. Bien au contraire, quiconque veut aboutir
à la vérité doit retourner cette thèse et dire : puisque
fleurit le pacifisme impérialiste avec sa Société des nations, il
y aura sûrement de nouvelles guerres et interventions impérialistes.
Et le plus important dans ceci, c’est que la
social-démocratie est le principal propagateur du pacifisme
impérialiste et, par suite, le principal appui du capitalisme dans
la classe ouvrière, pour la préparation de nouvelles guerres et
interventions.
Mais le pacifisme ne suffit pas à préparer de
nouvelles guerres, même s’il est étayé d’une force aussi
importante que la social-démocratie. Il lui faut encore certains
moyens de répression des masses dans les centres de l’impérialisme.
On ne saurait faire la guerre au profit de l’impérialisme, sans
renforcer le front-arrière impérialiste. D’autre part, on ne
saurait renforcer l’arrière sans juguler les ouvriers. Et c’est
le rôle du fascisme.
De là, le développement des contradictions
intérieures dans les pays capitalistes, des antagonismes entre
Travail et Capital.
Prêcher, par la bouche des socialdémocrates,
le pacifisme afin de se préparer avec d’autant plus de succès à
de nouvelles guerres ; et, d’autre part, réprimer, en
recourant aux méthodes fascistes, les ouvriers, les partis
communistes de l’arrière afin de pouvoir, plus aisément, faire la
guerre et organiser une intervention, — telle est la voie de la
préparation de nouvelles guerres.
De là, les tâches des partis communistes se
présentent comme suit : En premier lieu, lutter sans relâche
contre le social-démocratisme sur toute la ligne, dans le domaine
économique aussi bien que dans le domaine politique ; démasquer le
pacifisme dans toutes ses manifestations à l’effet de conquérir
la majorité de la classe ouvrière.
En second lieu, créer le front unique des
ouvriers des pays avancés et des masses laborieuses des colonies en
vue de prévenir le danger de guerre ou, lorsque la guerre aura
éclaté, transformer la guerre impérialiste en guerre civile,
anéantir le fascisme, renverser lecapitalisme, instaurer le régime
soviétique, affranchir les colonies, organiser la défense
internationale de la première République du monde.
Tels sont les principaux problèmes et objectifs
qui se posent devant le VIe congrès.
C’est de ces problèmes et objectifs que le
Comité exécutif de l’I.C.
s’inspire, comme on peut facilement s’en
convaincre en regardant l’ordre du jour du VIe congrès de
l’Internationale communiste.
2. Le programme de
l’Internationale communiste
Le programme de l’Internationale communiste se
trouve en connexion étroite avec les problèmes essentiels du
mouvement ouvrier mondial.
Le programme de l’Internationale communiste tire
sa très grande valeur du fait qu’il formule scientifiquement les
problèmes fondamentaux du mouvement communiste, trace les solutions
essentielles de ces problèmes, et fait apparaître de la sorte
devant les sections de l’Internationale toute la netteté des
objectifs et des moyens, sans laquelle il est impossible d’assurer
la marche en avant.
Un mot sur les particularités du projet de
programme de l’Internationale communiste, présenté par la
commission du programme du C.E. de l’I.C. Ces particularités sont
au nombre de sept au moins :
1. Le projet offre
un programme non pour l’une ou l’autre des sections de l’I.C,
mais pour l’ensemble des partis communistes, il renferme ce qui
leur est essentiel et commun à tous. De là son caractère
théorique, de principe.
2. Auparavant, on
donnait d’ordinaire un programme aux nations « civilisées ». Or,
le présent projet vise toutes les nations du monde,blancs et noirs,
métropoles et colonies. De là son caractère universel,
profondément international.
3. Le projet prend
pour point de départ non le capitalisme de tel ou tel pays ou partie
du monde, mais le système capitaliste mondial tout entier, en lui
opposant le système mondial d’économie communiste.
C’est ce qui le distingue de tous les autres
programmes que nous avons eus jusqu’à présent.
4. Le projet part
du point de vue du développement inégal du capitalisme mondial et
conclut à la victoire possible du socialisme dans un ou plusieurs
pays isolément, il préconise la formation de deux centres
parallèles d’attraction — centre mondial du capitalisme et
centre mondial du socialisme, tous deux en lutte pour la suprématie
du monde.
5. Au mot d’ordre
« Etats-Unis d’Europe », le projet de programme oppose celui de
la Fédération des Républiques soviétiques détachées, ou en
train de se détacher, du système économique impérialiste et
instituées dans les pays avancés ou dans les colonies, fédération
qui, dans sa lutte pour le socialisme mondial, se dresse contre le
système capitaliste mondial.
6. Le projet
s’aiguille contre la social-démocratie, appui principal du
capitalisme au sein de la classe ouvrière, principal adversaire du
communisme ; il estime que tous les autres courants se faisant
jour au sein de la classe ouvrière (anarchisme,
anarcho-syndicalisme, Guild Socialism, etc.) ne sont au fond que des
variétés de ce même social-démocratisme.
7. Le projet met
au premier plan la nécessité de renforcer les partis communistes
d’Occident et d’Orient, condition préliminaire indispensable
pour assurer au prolétariat l’hégémonie d’abord, la dictature
ensuite.
Le Plénum du C.G. a approuvé, en substance, le
projet et engagé lescamarades ayant des amendements à présenter, à
les soumettre à la
commission du programme du VIe congrès.
Voilà pour les problèmes de l’Internationale
communiste.
Passons maintenant à ceux de notre édification
nationale.
II Problèmes de l’édification
socialiste en U.R.S.S.
I. Sur la politique du stockage des blés
Permettez-moi de vous en tracer un bref
historique.
A combien se montait notre stock au 1er
janvier de cette année ? Vous savez par des documents du Parti qu’au
1er janvier nous avions un déficit de 128 millions de pouds de blé
en comparaison avec l’année précédente.
Je ne vais pas en analyser les causes ; elles
sont exposées dans les documents connus que le Parti a publiés. Ce
qui nous importe en ce moment, c’est de signaler le déficit de 128
millions que nous avions à l’époque. Deux ou trois mois seulement
nous séparaient du dégel.
Nous étions ainsi placés devant cette
alternative : ou récupérer les pertes et arriver à réaliser
un rythme normal des approvisionnements pour l’avenir, ou avouer
l’imminence d’une crise sérieuse de l’ensemble de notre
économie nationale.
Que fallut-il entreprendre pour réparer nos
pertes ?
Il fallut avant tout frapper les koulaks et les
spéculateurs, qui provoquaient la hausse des prix sur les céréales
et mettaient le pays en péril de famine. Il fallut ensuite envoyer
le maximum de marchandises industrielles dans les régions du blé.
Il fallut enfin mettre sur pied toutes les organisations du Parti et
modifier notre travail en matière d’approvisionnements, en
renonçant pratiquement au système des livraisons volontaires.
Force nous a été de recourir aux mesures
extraordinaires. Il convientde dire que les mesures prises furent
efficaces, et, fin mars, nous
avions un stock de 275 millions de pouds de
céréales. Nous avions rattrapé le temps perdu, prévenu une crise
économique générale, atteint le niveau d’approvisionnement de
l’année précédente et, en plus, nous eussions pu sortir indemnes
de la crise des stockages si, dans les mois suivants (avril, mai,
juin), nous avions gardé un rythme plus ou moins normal de stockage.
Mais par suite de la perte des blés d’hiver
l’Ukraine du Sud et le Caucase du Nord étaient, la première
entièrement et le dernier partiellement rayés de la liste des
régions productrices de blé, ce qui eut pour effet de priver la
République de 20 à 30 millions de pouds de céréales.
En outre, nous avions imprudemment dépensé plus
de blé que nous ne devions le faire. Cet ensemble de circonstances
nous plaça devant la nécessité de forcer les approvisionnements
dans les autres rayons et de puiser aux fonds d’assurance des
paysans, ce qui ne pouvait pas ne pas aggraver la situation.
Si de janvier à mars nous avions réussi à
stocker presque 300 millions de pouds, en puisant surtout aux
réserves disponibles des paysans — d’avril à juin, par contre,
nous n’avons pu recueillir même 100 millions de pouds, parce
qu’obligés, pour nous approvisionner, d’entamer les réserves
d’assurance des paysans — alors qu’on ne savait pas encore à
quoi s’en tenir sur la prochaine récolte.
Et cependant il fallait constituer les stocks de
céréales. Aussi dûmes-nous recourir à nouveau aux mesures
extraordinaires. Celles-ci engendrèrent l’arbitraire
administratif, la violation de la légalité révolutionnaire, la
visite des maisons paysannes, des perquisitions illégales, etc. —
ce qui ne manqua pas d’aggraver la situation politique du pays et
de mettre en péril l’alliance de la ville et de la campagne.
Etait-ce bien la fin de l’alliance de la classe
ouvrière et des paysans ? Non. Etait-ce peut-être une chose
insignifiante ? Non plus. C’était une menace contre l’alliance
de la classe ouvrière et des paysans.
C’est la raison pour laquelle certains de nos
militants manquèrent de sangfroid et de fermeté pour envisager
la situation nouvelle, sainement et sans exagération.
Plus tard, les conjonctures étant favorables pour
la prochaine récolte, les mesures extraordinaires ayant été
partiellement levées, le calme revint et la situation se rétablit.
Quelle est la nature de nos difficultés sur le
front des céréales ? Où en est la cause ? On sait que
nous possédons des emblavures presque aussi grandes qu’avant la
guerre (à 5 % près); que nous produisons aujourd’hui presque
autant de céréales qu’avant la guerre (5 milliards environ, soit
seulement à 200300 millions de pouds près).
Comment se fait-il que, malgré cela, nous
produisons deux fois moins qu’avant la guerre de blé marchand ?
Cela provient de l’état de dispersion, de la « parcellation » de
notre économie rurale. Au lieu de 16 millions environ
d’exploitations paysannes d’avant la guerre, nous en avons
aujourd’hui au moins 24 millions ; en outre, le morcellement
des terres paysannes n’a pas tendance à s’arrêter. Or,
qu’est-ce que les petites exploitations paysannes ? Elles sont les
moins marchandes, les moins productives et les plus primitives ;
elles fournissent à peine de 12 à 15 % de leur production au
marché.
Cependant, les villes et les industries prennent
chez nous une extension de plus en plus considérable, l’édification
va croissant et la demande en blé marchand croît avec une rapidité
incroyable.
Telle est la cause de nos embarras sur le front
des céréales.
Voici ce qui dit à ce sujet Lénine dans sa
brochure : Sur l’impôt alimentaire :Si l’économie paysanne peut
se développer dans l’avenir, il est nécessaire de lui assurer
solidement une transition ultérieure, transition qui consiste
inéluctablement en ce que les petites exploitations paysannes,
économies individuelles les moins avantageuses et les plus
arriérées, doivent être peu à peu unifiées, groupées en grandes
exploitations collectives.
C’est ainsi qu’envisageaient la question tous
les socialistes de toutes les époques. Tel est aussi le point de vue
de notre parti communiste.
Voilà donc la raison de nos difficultés sur le
front des céréales.
Où est la solution ?
Elle consiste avant tout à relever la petite et
la moyenne exploitation paysanne, en l’aidant par tous les moyens à
accentuer son rendement et à augmenter sa récolte. Remplacer la
charrue primitive par la charrue moderne, fournir des semences
sélectionnées, des engrais, des instruments aratoires, englober les
exploitations paysannes individuelles dans un vaste réseau de
coopératives, conclure des contrats (de consignation) avec des
villages entiers — voilà la tâche qui s’impose.
Il est des contrats entre les coopératives
rurales et des villages entiers, qui ont pour objectif
d’approvisionner les paysans en semences, de contribuer ainsi à
accroître le rendement de la terre, d’assurer à l’État la
fourniture, en temps opportun, de blé par les paysans, d’accorder
à ceux-ci des primes sous forme de versements complémentaires en
dehors du prix convenu, et de créer des rapports stables entre
l’État et les paysans. L’expérience montre que cette méthode
donne des résultats effectifs.
D’aucuns s’imaginent que l’économie
individuelle a vécu, qu’elle ne mérite pas qu’on la soutienne.
C’est faux. Ceux qui pensent ainsi n’ont rien de commun avec la
ligne de notre parti. D’autres s’imaginent que l’économie
paysanne individuelle est lecommencement et la fin de l’agriculture
en général. C’est également faux. Bien plus : ces gens n’ont
rien de commun avec le léninisme.
Nous n’avons besoin ni de détracteurs ni de
thuriféraires de l’économie paysanne individuelle. Il nous faut
des hommes pourvus de sens réel de la politique capable tirer de
l’économie paysanne individuelle le maximum de ce qu’elle peut
donner, et de faire passer par étapes successives l’économie
individuelle au système collectiviste.
En outre, ce qui importe, c’est d’unifier
graduellement les petites et les moyennes exploitations paysannes
individuelles, de les grouper en grandes collectivités et
associations, absolument libres et travaillant sur la base d’une
technique perfectionnée — tracteurs et autres machines agricoles.
Quel est l’avantage des fermes collectives ?
C’est qu’elles ont le moyen d’utiliser toutes les acquisitions
de la science et de la technique, sont plus consistantes, plus
productives et fournissent davantage au marché. Il ne faut pas
oublier qu’elles vendent de 30 à 35 % de leur production brute et
que le rendement de la terre atteint parfois 200 pouds et plus par
déciatine. [Déciatine : ancienne mesure russe équivalant à 1 h.
092.]
La solution consiste enfin à perfectionner les
vieilles fermes d’État (sovkhoz) et à en créer d’autres non
moins importantes. Il faut se rappeler que les fermes d’État sont
des unités économiques à production marchande considérable. Nous
en avons qui fournissent au marché jusqu’à 60 % de leur
production brute.
Le tout est de bien savoir combiner ces trois
tâches et de se mettre au travail dans ces trois directions.
Ce qui caractérise la période actuelle, c’est
que la réalisation de la première tâche, à savoir le relèvement
de l’économie paysanne petite et moyenne, tâche qui est toujours
au premier plan de notre travaildans le domaine agricole, ne suffit
plus pour résoudre le problème dans son ensemble. La période que
nous traversons a ceci de particulier qu’elle nous impose la
nécessité de compléter la première tâche par deux autres tâches
pratiques : le relèvement des fermes collectives et
l’amélioration des fermes d’État.
Mais en dehors des causes principales, il est des
causes spécifiques, temporaires, qui ont fait aboutir nos
difficultés d’approvisionnement à une crise. Quelles sont ces
causes ?
La résolution du Plénum y rattache les facteurs
suivants : a) Déséquilibre apporté au marché et aggravation de ce
déséquilibre, par suite de l’accroissement rapide de la demande
et de la capacité d’achat de la population paysanne,
comparativement à l’offre de marchandises industrielles. Ce
déséquilibre provient de l’accroissement des revenus ruraux, dû
à une série de récoltes, et surtout de l’augmentation des
revenus réalisés par les couches rurales aisées et les koulaks.
b) Rapport défavorable entre les prix du blé et
ceux des autres produits agricoles, ce qui a eu pour effet
d’affaiblir ce qui servait de stimulant à la réalisation des
excédents de blé. Le Parti n’a pourtant pas réussi à modifier
cet état de choses au cours du printemps dernier sans porter
atteinte aux intérêts des couches rurales pauvres.
c) Fautes commises
dans la fixation des plans, surtout en ce qui concerne l’acheminement
en temps opportun des marchandises industrielles et l’imposition
fiscale (les couches aisées de la campagne étaient frappées d’un
impôt insuffisant), ainsi que la consommation déréglée du blé.
d) Défauts dans
le travail des organismes de constitution des stocks, ceux de l’État
et du Parti (absence de front unique, absence de vigueur dans
l’action, confiance excessive dans les livraisons volontaires).
e) Violation de la légalité révolutionnaire,
arbitraire administratif, visite des maisons paysannes, fermeture
partielle des marchés locaux, etc.
f) Utilisation de toutes ces lacunes par les
éléments capitalistes de la ville et de la campagne (les koulaks et
les mercantis) en vue de compromettre la campagne du stockage et de
provoquer une aggravation de la situation politique du pays.
S’il faut de nombreuses années pour liquider
les causes d’ordre général, par contre, les causes spécifiques
temporaires peuvent être éliminées dès maintenant, afin de parer
à l’éventualité d’une nouvelle crise dans le stockage des
céréales.
Dans quelles conditions ces causes spécifiques
peuvent-elles être liquidées ?
a) Abandon immédiat de la visite domiciliaire,
des perquisitions illégales et de toutes autres formes de violation
de la légalité révolutionnaire.
b) Liquidation urgente de toute récidive de «
réquisition alimentaire », ainsi que de toutes tentatives de
fermeture des marchés. L’État doit adopter des formes souples de
régularisation du commerce.
c) Relèvement des
prix du blé, qui varieront avec les régions et la nature des
céréales.
d) Organisation
d’un acheminement régulier de marchandises vers les régions à
blé.
e) Organisation rationnelle de la consommation du
blé, excluant tout excès de dépense.
f) Constitution obligatoire par l’État d’une
réserve de blé.
L’application scrupuleuse et systématique de
ces mesures, étant donné la bonne récolte actuelle, créera un
état de choses excluant lanécessité de mesures extraordinaires
lors de la prochaine campagne d’approvisionnement.
La tâche immédiate du Parti est de surveiller
l’application stricte de ces mesures.
En connexion avec les difficultés
d’approvisionnement, se pose devant nous la question de l’alliance
de la ville et de la campagne, de son sort ultérieur, des moyens
destinés à la consolider. On dit que cette union des ouvriers et
des paysans n’existe plus chez nous, qu’elle a fait place à la «
désunion ». Voilà bien une sottise digne de gens en pleine
panique.
Quand l’alliance fait défaut entre la classe
ouvrière et les paysans, ces derniers perdent leur foi en l’avenir,
se replient sur eux-mêmes, cessent de croire à la stabilité du
gouvernement soviétique, principal acheteur de blé paysan, se
mettent à réduire leurs emblavures et, tout au moins, ne se
risquent pas à les agrandir, craignant de nouvelles visites
domiciliaires, perquisitions, confiscation de leur blé, etc.
Or, en réalité, on voit que la superficie des
blés de printemps s’est élargie dans tous les rayons. Il est
établi que dans les principales régions à blé, les paysans ont
augmenté de 2 à 15 et jusqu’à 20 % leurs emblavures en blé de
printemps.
Il en résulte nettement que les paysans ne
croient pas en la durée des mesures extraordinaires : ils
escomptent, non sans raison, une hausse sur les blés. Est-ce là la
fin de l’alliance de la ville et de la campagne ?
Naturellement, cela ne veut point dire que cette
alliance ne soit pas ou n’ait pas été menacée. Mais en conclure
à la fin de cette alliance, c’est perdre la tête et se laisser
impressionner par l’ambiance.
Certains camarades s’imaginent que pour
raffermir l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie,
il faut déplacer le centre de gravité de l’industrie lourde vers
l’industrie légère (le textile)estimant que le textile est
l’industrie maîtresse nécessaire et suffisante pour assurer cette
alliance. C’est faux. C’est tout à fait faux.
Certes, l’industrie textile contribue
considérablement à créer une circulation de marchandises entre
l’industrie socialiste et l’économie paysanne. Mais vouloir en
conclure que le textile est une base suffisante pour entretenir cette
alliance, c’est commettre une lourde erreur.
En effet, l’alliance de l’industrie et de
l’économie paysanne est basée, non seulement sur la cotonnade
indispensable à l’usage personnel des paysans, mais aussi sur le
métal, les semences, les engrais, les machines de toute espèce
nécessaires au paysan en tant que producteur de blé. En outre
l’industrie textile, par elle-même, ne saurait subsister ni se
développer sans le développement de l’industrie lourde.
L’alliance de la classe ouvrière et de la
paysannerie nous est nécessaire, non pour conserver et perpétuer
les classes, mais pour rapprocher les paysans de la classe ouvrière,
les rééduquer, refaire leur mentalité individualiste, les
transformer dans le sens du collectivisme, et préparer ainsi la
liquidation, la suppression des classes sur la base de la société
socialiste.
Quiconque ne s’en rend pas compte n’est pas un
marxiste, ni un léniniste, mais un philosophe paysan regardant en
arrière au lieu de regarder en avant.
Comment procéder pour transformer le paysan, pour
le rééduquer ? Cela ne saurait se faire que sur la base de la
technique moderne, sur celle du travail collectif.
Voici ce qu’écrivait Lénine à ce sujet :La
rééducation du petit cultivateur, le changement de toute sa
psychologie et de ses mœurs durera plusieurs générations. Seules
la base matérielle, la technique, l’application de tracteurs et de
machines agricoles sur une vaste échelle, l’électrification en
grand pourront résoudre le problème concernant le petit
cultivateur, assainir, pour ainsi dire, sa psychologie. Voilà ce qui
aiderait à rééduquer à fond et avec rapidité le petit
cultivateur. (Lénine, Œuvres complètes, t. XXVI.)
Aussi, quiconque croit pouvoir assurer l’alliance
de la classe ouvrière et de la paysannerie au moyen de l’industrie
textile seule, sans tenir compte de la métallurgie et des machines
susceptibles de transformer l’économie paysanne sur la base du
travail collectif, perpétue les classes et s’avère non un
révolutionnaire prolétarien, mais un philosophe paysan.
Voici un autre passage emprunté aux œuvres de
Lénine : Ce n’est que si nous parvenons à montrer dans la
pratique aux paysans les avantages de l’exploitation agricole
collective, sociale, par artels et associations ; ce n’est que si
nous réussissons à apporter aux paysans une aide, en organisant des
artels et associations pour cultiver la terre, — que la classe
ouvrière exerçant le pouvoir pourra réellement démontrer aux
paysans tout le bien fondé de sa tactique, gagner réellement à sa
cause, solidement et pour de bon, les millions de paysans. (Lénine,
Œuvres complètes, t. XXIV. Discours au Ier congrès des communes et
artels agricoles.)
C’est ainsi qu’on parvient à assurer, de
façon effective et solide, la conquête des larges masses paysannes
à la cause de la classe ouvrière, à celle du socialisme.
On dit, parfois, que pour raffermir l’alliance
de la classe ouvrière et de la paysannerie, nous n’avons qu’une
seule ressource, celle des concessions à consentir aux paysans.
Partant de ce point de vue, ons’engage parfois dans la voie des
concessions continuelles, estimant que ces concessions sont
susceptibles de consolider les positions de la classe ouvrière. Cela
est inexact. Cela est absolument inexact.
Cette théorie est plutôt susceptible de
compromettre la situation de la classe ouvrière.
C’est la théorie du désespoir. Pour renforcer
l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, il faut
utiliser, en plus des concessions, toute une série d’autres moyens
d’ordre économique (points d’appui à la campagne :
coopératives, collectivités agricoles et fermes d’État
développées) et d’ordre politique (redoublement d’activité
auprès des paysans pauvres, appui assuré de ces derniers).
La paysannerie moyenne est une classe oscillante.
Sans l’appui des paysans pauvres, et si le régime soviétique
n’est pas solidement ancré dans les campagnes, la paysannerie
moyenne peut passer aux côtés du koulak.
Par contre, si le soutien de la paysannerie pauvre
nous est assuré, il est certain que les paysans moyens s’orienteront
vers le régime soviétique. C’est pourquoi la tâche immédiate du
Parti consistera à faire une action systématique parmi les paysans
pauvres, à les approvisionner en semences et en blé à bon compte.
2. Formation de cadres pour l’édification
industrielle
Passons maintenant
au problème de la formation de nouveaux cadres de techniciens
intellectuels pour notre industrie.
Je veux parler de nos embarras dans le domaine
industriel, des difficultés révélées à propos du procès de
Chakhti.
Quelle déduction faut-il tirer de ce procès du
point de vue de l’amélioration de l’industrie ? Le fait est que
nous sommes presque désarmés et marquons un retard formidable pour
pouvoir assurer à notre industrie un minimum de spécialistes
dévoués à la cause prolétarienne.La leçon qui se dégage du
procès de Chakhti, c’est qu’il faut accélérer la formation de
nouveaux techniciens intellectuels pris au sein de la classe
ouvrière, attachés à la cause du socialisme et capables d’exercer
la direction technique de notre industrie socialiste.
Est-ce à dire que nous répudions les
spécialistes n’ayant pas une mentalité soviétique, qui ne
partagent pas le point de vue communiste, mais acceptent de
collaborer avec le régime soviétique.
Non, évidemment. Nous nous évertuerons, par tous
les moyens en notre pouvoir, à attirer, tout comme par le passé,
les spécialistes et les techniciens sans parti, qui acceptent de
marcher la main dans la main avec le régime soviétique, pour
édifier notre industrie.
Nous ne leur demandons nullement d’abjurer leurs
conceptions, ou de les modifier séance tenante. Ce que nous leur
demandons, c’est de collaborer honnêtement avec le gouvernement
soviétique, dès le moment où ils s’y prêtent de leur propre
initiative.
Seulement, parmi les vieux spécialistes, le
nombre de ceux qui acceptent de travailler la main dans la main avec
le gouvernement soviétique diminue, relativement, de plus en plus.
Il faut des hommes nouveaux pour les remplacer.
C’est pourquoi le Parti estime que, si nous
voulons nous mettre à l’abri de nouvelles surprises, il convient
d’accélérer la formation de la nouvelle génération de
spécialistes, recrutés dans la classe ouvrière. C’est ce que
nous appelons former de nouveaux techniciens intellectuels
susceptibles de faire face aux besoins de notre industrie.
Les faits montrent que le commissariat du peuple à
l’Instruction publique n’a pas su s’acquitter de cette tâche
importante. Nous n’avons pas de raisons de supposer que ce
commissariat, livré à lui-même, étant peu lié à la production
industrielle, inerte et conservateur, saura s’acquitter de cette
tâche dans un proche avenir.
Aussi le Parti a-t-il été amené à conclure que
le travail de formation accélérée de nouveaux techniciens
intellectuels doit être partagé entre trois commissariats : le
commissariat de l’Instruction publique, celui des Voies et
Communications et le Conseil supérieur de l’économie nationale.
Le Parti considère que c’est la solution la
plus rationnelle susceptible d’assurer le rythme nécessaire au
travail dans ce domaine important.
Voilà la raison pour laquelle plusieurs écoles
techniques supérieures seront placées sous les auspices du Conseil
supérieur de l’économie nationale et du commissariat des Voies et
Communications.
Naturellement, en mettant les écoles techniques
supérieures sous une autre direction, on n’aura pas tout fait pour
accélérer la formation de nouveaux cadres de techniciens
intellectuels. Certes, l’entretien des étudiants aux frais de
l’État jouera ici un très grand rôle.
Aussi, le gouvernement soviétique a-t-il décidé
d’affecter à la formation de nouveaux cadres une somme
proportionnée aux dépenses engagées dans les grands travaux
d’édification industrielle et d’inscrire au budget annuel, à
titre de supplément, 40 millions de roubles.
III Conclusion
Il faut avouer, camarades, que nos erreurs et
difficultés nous ont toujours été profitables. Jusqu’à présent,
du moins, l’histoire nous a toujours instruit et a fortifié notre
parti au milieu de difficultés et de crises de toute nature.
C’est ce qui s’est produit en 1918 où, à la
suite des difficultés sur le front oriental, des échecs subis dans
la lutte contre Koltchak, nous avons été amenés à la nécessité
de créer une infanterie régulière.
C’est ce qui arriva encore en 1919 : des
difficultés ayant surgi sur le front de Dénikine, et Mamontov ayant
effectué un raid sur l’arrière de nos armées, nous fûmes amenés
à former une forte cavalerie pour faire mordre la poussière aux
ennemis de la classe ouvrière. Je crois qu’aujourd’hui la
situation est sensiblement la même.
Les difficultés d’approvisionnement nous seront
d’un enseignement précieux. Elles secoueront les bolcheviks et les
pousseront à s’atteler sérieusement à la besogne pour développer
l’agriculture et, surtout, la production de céréales.
Sans ces difficultés, les bolcheviks n’auraient
évidemment pas envisagé avec tout le sérieux nécessaire le
problème des céréales. Il faut en dire autant du procès de
Chakhti et des difficultés qui s’y rattachent. Le procès nous
aura apporté des leçons dont le Parti ne peut pas ne pas tenir
compte. Elles nous incitent à poser dans toute son ampleur la
question de la formation de nouveaux cadres de techniciens
intellectuels capables de diriger notre industrie socialiste.
Vous le voyez, du reste, nous avons franchi le premier pas sérieux pour résoudre le problème relatif aux techniciens intellectuels. Espérons que ce pas ne sera pas le dernier. (Ovation.)
DISCOURS PRONONCE A LA CONFERENCE DES MARXISTES
SPECIALISTES DE LA QUESTION AGRAIRE, LE 27 DECEMBRE 1929
Camarades, le fait essentiel de notre vie sociale
et économique à l’heure présente, et qui retient l’attention
générale, c’est la croissance prodigieuse du mouvement de
collectivisation agricole.
Le trait caractéristique de l’actuel mouvement
de collectivisation agricole est que, non seulement des groupes
isolés de paysans pauvres entrent dans les kolkhoz, comme cela s’est
fait jusqu’ici, mais que les paysans moyens, dans leur grande
masse, en ont également pris le chemin.
C’est dire que le mouvement de collectivisation
agricole, de mouvement de groupes et catégories de paysans
travailleurs qu’il était, est devenu le mouvement de millions et
de millions d’hommes, formant la masse essentielle de la
paysannerie.
C’est par là, entre autres, qu’il convient
d’expliquer ce fait d’une importance capitale : le mouvement
kolkhozien, ayant pris le caractère d’une avalanche antikoulak
toujours plus puissante, brise la classe des koulaks, balaie leur
résistance et fraie la voie à un vaste mouvement de construction
socialiste dans les campagnes.
Mais si nous avons raison d’être fiers des
succès pratiques del’édification socialiste, on ne saurait en
dire autant des succès de notre travail théorique en ce qui touche
l’économie en général, l’agriculture en particulier.
Bien plus : il faut reconnaître que la pensée
théorique ne va pas aussi vite que nos succès pratiques ; qu’il
existe une certaine disproportion entre nos succès pratiques et le
développement de la pensée théorique.
Or, il est nécessaire que le travail théorique
non seulement emboîte le pas au travail pratique, mais qu’il le
devance et constitue une arme aux mains de nos praticiens dans leur
lutte pour la victoire du socialisme.
Je ne m’étendrai pas ici sur l’importance de
la théorie. Elle vous est suffisamment connue. On sait que la
théorie, si elle est vraiment la théorie, donne aux praticiens la
force d’orientation, la clarté de perspective, l’assurance dans
le travail, la foi en la victoire de notre cause. Tout cela a — et
ne peut pas ne pas avoir — une énorme importance pour notre
construction socialiste.
Le malheur est que nous commençons à boiter dans
ce domaine, précisément dans celui de l’étude théorique des
problèmes de notre économie.
Car autrement comment expliquer que chez nous,
dans notre vie sociale et politique, aient encore libre cours
diverses théories bourgeoises et petitesbourgeoises concernant
notre économie ? Comment expliquer que ces théories et ces
théoriettes ne rencontrent pas jusqu’ici la riposte qu’elles
méritent ?
Comment expliquer que l’on oublie certains
principes fondamentaux de l’économie politique marxiste-léniniste,
qui sont le plus sûr antidote contre les théories bourgeoises et
petites-bourgeoises ;comment expliquer que ces principes ne
soient pas popularisés dans notre presse, qu’ils ne soient pas
placés au premier plan ?
Est-il difficile de comprendre que, sans une lutte
intransigeante contre les théories bourgeoises sur la base de la
théorie marxiste-léniniste, il est impossible de remporter une
victoire complète sur les ennemis de classe ?
La nouvelle pratique fait que l’on envisage
d’une façon nouvelle les problèmes économiques de la période de
transition.
C’est d’une manière nouvelle que l’on
envisage maintenant la Nep, les classes, les rythmes de la
construction, l’alliance de la ville et des campagnes, la politique
du Parti.
Pour ne pas retarder sur la pratique, il faut dès
maintenant se mettre à l’étude de tous ces problèmes, du point
de vue de la situation nouvelle. Sinon, il est impossible de
triompher des théories bourgeoises qui encrassent le cerveau de nos
praticiens. Sinon, il est impossible d’extirper ces théories qui
ont acquis la solidité de préjugés. Car c’est seulement dans la
lutte contre les préjugés bourgeois, sur le terrain théorique, que
l’on peut renforcer les positions du marxisme-léninisme.
Permettez-moi de faire la caractéristique de
quelques-uns de ces préjugés bourgeois, appelés théories, et de
montrer leur indigence en éclairant certaines questions capitales de
notre œuvre de construction.
LA THEORIE DE L’ «EQUILIBRE»
Vous n’êtes pas sans savoir que la théorie
dite de l’ «équilibre» des secteurs de notre économie nationale
a cours jusqu’ici parmi les communistes. Cette théorie n’a
évidemment rien de commun avec le marxisme.Cependant, elle est
propagée par certains hommes du camp de la droite.
Cette théorie suppose que nous avons d’abord un
secteur socialiste, — une sorte de wagonnet — et que nous avons
en outre un secteur non socialiste, capitaliste si vous voulez, —
un autre wagonnet.
Ces deux wagonnets posés sur des rails
différents, glissent paisiblement en avant, sans se toucher. On
sait, la géométrie nous le dit, que les lignes parallèles ne se
rencontrent pas.
Toutefois les auteurs de cette remarquable théorie
pensent que ces parallèles se rencontreront un jour, et, qu’une
fois la rencontre faite, nous aurons le socialisme.
Au surplus, cette théorie perd de vue que,
derrière ces «wagonnets», il y a des classes, et que le mouvement
de ces «wagonnets» se fait au travers d’une lutte de classes
acharnée, d’une lutte à mort, d’une lutte suivant le principe :
«Qui l’emportera ? »
Il n’est pas difficile de comprendre que cette
théorie n’a rien de commun avec le léninisme. Il n’est pas
difficile de comprendre que cette théorie, objectivement, a pour but
de sauvegarder les positions de l’économie paysanne individuelle,
de fournir aux éléments koulaks une «nouvelle» arme théorique
dans leur lutte contre les kolkhoz, et de discréditer les positions
de ces derniers.
Cependant cette théorie a cours, jusqu’ici,
dans notre presse.
Et l’on ne saurait dire qu’elle rencontre une
riposte sérieuse, encore moins une riposte foudroyante de la part de
nos théoriciens. Car, comment expliquer cette incohérence sinon par
le retard de notre pensée théorique ?
Or, il suffirait de tirer du trésor marxiste la
théorie de la reproduction et de l’opposer à la théorie de
l’équilibre des secteurs,pour que de cette théorie il ne restât
pas trace.
En effet, la théorie marxiste de la reproduction
enseigne que la société contemporaine ne peut se développer sans
accumuler d’année en année, et qu’il est impossible d’accumuler
sans une reproduction élargie d’une année à l’autre. Voilà
qui est clair.
Notre grande industrie socialiste centralisée se
développe selon la théorie marxiste de la reproduction élargie,
puisque, chaque année, elle augmente de volume, elle accumule, et
elle avance à pas de géant. Mais notre grande industrie, ce n’est
pas encore toute notre économie nationale. Au contraire, dans notre
économie nationale domine encore, jusqu’ici, la petite économie
paysanne.
Peut-on dire que notre petite économie paysanne
se développe selon le principe de la reproduction élargie ? Non, on
ne saurait le dire.
Notre petite économie paysanne non seulement ne
réalise pas, dans sa masse, une reproduction élargie chaque année,
mais, au contraire, elle ne peut pas toujours réaliser même la
reproduction simple.
Peut-on encore faire progresser, à une allure
accélérée, notre industrie socialisée, avec une base agricole
telle que la petite économie paysanne, incapable de reproduction
élargie et qui représente la force prédominante dans notre
économie nationale ? Non.
Peut-on, pendant une période de temps plus ou
moins longue, faire reposer le pouvoir des Soviets et l’édification
socialiste sur deux bases différentes — la base de la plus grande
industrie socialiste unifiée et la base de l’économie paysanne à
petite production marchande, la plus morcelée et la plus arriérée
? Non.
Cela doit finir un jour par l’effondrement de
l’économie nationale tout entière. Où donc est l’issue ? Il
faut agrandir les exploitationsagricoles, les rendre capables
d’accumulation, de reproduction élargie, et transformer ainsi la
base agricole de l’économie nationale.
Mais comment les agrandir ?
Pour cela il existe deux voies. La voie
capitaliste : agrandir les exploitations agricoles en y établissant
le capitalisme, voie conduisant à l’appauvrissement de la
paysannerie et au développement des entreprises capitalistes dans
l’agriculture. Cette voie, nous la répudions comme incompatible
avec l’économie soviétique.
Il existe une autre voie, la voie socialiste ;
établir les kolkhoz et les sovkhoz dans l’agriculture, voie
conduisant à grouper les petites exploitations paysannes en de
grandes exploitations collectives, armées de la technique et de la
science, et à évincer de l’agriculture les éléments
capitalistes. Nous sommes pour cette deuxième voie.
La question se pose ainsi : ou l’une ou l’autre
voie ; ou en arrière, vers le capitalisme, ou en avant vers le
socialisme.
Il n’existe et il ne peut exister de troisième
voie. La théorie de l’ «équilibre» est une tentative de tracer
une troisième voie. Et c’est précisément parce qu’elle table
sur une troisième voie (inexistante), qu’elle est utopique,
antimarxiste.
Ainsi, il suffirait d’opposer la théorie de la
reproduction de Marx à la théorie de l’ «équilibre» des
secteurs, pour qu’il ne restât pas trace de cette dernière
théorie.
Pourquoi donc nos marxistes spécialistes de la
question agraire ne le font-ils pas ?
Qui a besoin que la théorie ridicule de l’
«équilibre» ait cours dans notre presse, et que la théorie
marxiste de la reproduction reste enfouie dans les tiroirs ?
LA THEORIE DE LA «SPONTANEITE» DANS LA
CONSTRUCTION SOCIALISTE
Passons au deuxième préjugé en matière
d’économie politique, à la deuxième théorie de type bourgeois.
J’entends la théorie de la «spontanéité»
dans la construction socialiste, théorie qui n’a rien de commun
avec le marxisme, mais que, dans le camp de droite on prêche avec
zèle. Les auteurs de cette théorie soutiennent à peu près ce qui
suit : Nous avions le capitalisme, l’industrie se développait sur
la base capitaliste, et la campagne suivait la ville capitaliste
d’elle-même, spontanément, se transformant à l’image et à la
ressemblance de la ville capitaliste.
Si les choses allaient ainsi sous le capitalisme,
pourquoi ne peut-il pas en être de même dans l’économie
soviétique ?
Pourquoi la campagne, la petite économie paysanne
ne peut-elle pas suivre spontanément la ville socialiste et se
transformer d’elle-même à l’image et à la ressemblance de
cette dernière ? Les auteurs de cette théorie soutiennent donc que
la campagne peut suivre la ville socialiste d’une façon spontanée.
D’où la question de savoir s’il vaut la peine
que nous nous dépensions à former des sovkhoz et des kolkhoz, que
nous rompions des lances à ce sujet, si de toute façon la campagne
doit suivre la ville socialiste.
Voilà encore une théorie ayant objectivement
pour but de mettre une arme nouvelle entre les mains des éléments
capitalistes de la campagne, dans leur lutte contre les kolkhoz.
L’essence antimarxiste de cette théorie est absolument
incontestable.
N’est-il pas étrange que nos théoriciens
n’aient pas encore pris le temps de mettre en pièces cette
singulière théorie, qui encrasse lecerveau de nos praticiens des
kolkhoz ? Il est certain que le rôle directeur de la ville
socialiste à l’égard de la campagne petite-paysanne, est grand,
inappréciable. C’est là-dessus justement que se base le rôle
transformateur de l’industrie à l’égard de l’agriculture.
Mais ce facteur est-il suffisant pour que la
campagne petite-paysanne suive d’elle-même la ville dans la
construction socialiste ? Non, il n’est pas suffisant. Sous le
capitalisme, la campagne suivait spontanément la ville parce que
l’économie capitaliste de la ville et l’économie à petite
production marchande du paysan sont, quant au fond, des économies du
même type.
Evidemment, la petite économie paysanne à
production marchande, ce n’est pas encore l’économie
capitaliste. Mais elle est, quant au fond, du même type que
l’économie capitaliste, parce qu’elle repose sur la propriété
privée des moyens de production.
Lénine a mille fois raison quand, dans ses notes
au sujet du livre de Boukharine, l’Economie de la période de
transition, il parle de la «tendance de la paysannerie à la
production marchande capitaliste» opposée à la tendance socialiste
du prolétariat.
C’est ce qui explique que la «petite production
engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à
chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes
proportions» (Lénine).
Peut-on dire, par conséquent, que l’économie
paysanne à petite production marchande soit, au fond, du même type
que la production socialiste de la ville ?
Il est évident qu’on ne saurait le dire sans
rompre avec le marxisme. Autrement, Lénine n’aurait pas dit que
«tant que nous vivons dans un pays, de petits paysans, il existe en
Russie, pour le capitalisme, une base économique plus solide que
pour le communisme».
Par conséquent, la théorie de la spontanéité
en matière de construction socialiste est une théorie pourrie,
anti-léniniste.
Par conséquent, pour que la campagne
petite-paysanne suive la ville socialiste, il est nécessaire, en
plus de tout le reste, d’établir dans les villages, comme base du
socialisme, de grandes exploitations socialistes, sovkhoz et kolkhoz,
susceptibles d’entraîner, sous la conduite de la ville socialiste,
les masses essentielles de la paysannerie.
La chose est claire. La théorie de la
«spontanéité» dans la construction socialiste est une théorie
antimarxiste.
La ville socialiste doit entraîner derrière elle
la campagne petite-paysanne, en établissant kolkhoz et sovkhoz à la
campagne et en transformant cette dernière selon un mode nouveau,
socialiste.
Il est singulier que la théorie antimarxiste de
la «spontanéité» dans la construction socialiste ne rencontre pas
jusqu’ici la riposte qui s’impose de la part de nos théoriciens
de la question agraire.
LA THEORIE DE LA «STABILITE» DE LA PETITE
ECONOMIE PAYSANNE
Passons au troisième préjugé en matière
d’économie politique, à la théorie de la «stabilité» de la
petite économie paysanne. Tout le monde connaît les objections
formulées par l’économie politique bourgeoise contre la fameuse
thèse marxiste, relative à l’avantage de la grosse exploitation
sur la petite, thèse qui, paraît-il, ne vaut que pour l’industrie,
et ne saurait s’appliquer à l’agriculture.
Les théoriciens social-démocrates genre David et
Hertz, qui prêchent cette théorie, ont tenté de s’«appuyer»
sur le fait que le petit paysan est endurant, patient, prêt à subir
n’importe quelle privation pour garder son lopin de terre ;
que pour cette raison la petite économie paysanne fait preuve de
stabilité dans sa lutte contre la grosse exploitation agricole. Il
n’est pas difficile de comprendre qu’une telle «stabilité» est
pire que tout instabilité.
Il n’est pas difficile de comprendre que cette
théorie antimarxiste n’a qu’un but : exalter et consolider le
régime capitaliste. Et c’est précisément parce qu’elle
poursuit ce but, que les marxistes ont pu si facilement battre cette
théorie.
Mais la question n’est pas là, maintenant. La
question est que notre pratique, notre réalité fournit des
arguments nouveaux contre cette théorie ; or, nos théoriciens,
chose étrange, ne veulent pas ou ne peuvent pas se servir de cette
nouvelle arme contre les ennemis de la classe ouvrière.
J’entends : l’abolition de la propriété
privée de la terre, la nationalisation de la terre chez nous,
pratique qui affranchit le petit paysan de son attachement servile à
son lopin de terre et facilite, par là, le passage de la petite
exploitation paysanne à la grosse exploitation collective.
En effet, qu’est-ce qui attachait, attache et
continuera d’attacher le petit paysan d’Europe occidentale à sa
petite économie marchande ? D’abord surtout, son lopin de terre,
la propriété privée du sol.
Il a amassé de l’argent durant des années pour
acheter un lopin de terre ; celui-ci une fois acheté, il ne veut
évidemment pas s’en séparer, il préfère endurer des privations
de toute sorte, vivre comme un sauvage pourvu qu’il garde son lopin
de terre, base de son économie individuelle.
Peut-on dire que ce facteur, tel quel, continue
d’agir chez nous, dans les conditions du régime soviétique ? Non
évidemment. Evidemment non, car la propriété privée de la terre
n’existe pas chez nous.
Et c’est pour cette raison précisément que
notre paysan n’a pas cet attachement servile pour la terre, que
l’on voit en Occident. Et cette circonstance ne peut pas ne pas
faciliter le passage de la petite économie paysanne dans la voie des
kolkhoz.
C’est là une des raisons pour lesquelles chez
nous, avec la nationalisation de la terre, les grandes exploitations
à la campagne, les kolkhoz, prouvent si facilement leur supériorité
sur la petite exploitation paysanne.
C’est là la grande portée révolutionnaire des
lois agraires soviétiques, qui ont supprimé la rente absolue, aboli
la propriété privée de la terre et établi la nationalisation du
sol.
Il s’ensuit donc que nous disposons d’un
nouvel argument contre les économistes bourgeois, qui proclament la
stabilité de la petite exploitation paysanne dans sa lutte contre la
grande exploitation.
Pourquoi donc ce nouvel argument n’est-il pas
suffisamment utilisé par nos théoriciens de la question agraire,
dans leur lutte contre les théories bourgeoises de toute sorte ?
En procédant à la nationalisation de la terre,
nous nous sommes basés, entre autres, sur les développements
théoriques que l’on trouve dans le tome III du Capital, au livre
bien connu de Marx sur les Théories de la plus-value, et dans les
ouvrages agraires de Lénine, ce richissime trésor de la pensée
théorique. J’entends la théorie de la rente foncière en général,
la théorie de la rente foncière absolue, en particulier.
Maintenant, il est clair pour tout le monde que
les thèses théoriques de ces ouvrages ont été brillamment
confirmées par la pratique de notre édification socialiste, à la
ville et à la campagne.
Seulement, on ne comprend pas pourquoi les
théories antiscientifiques d’économistes «soviétiques» du type
Tchaïanov, doivent avoir libre cours dans nos publications, tandis
que les œuvres géniales de Marx-Engels-Lénine sur la théorie de
la rente foncière et de la rente foncière absolue ne doivent pas
être popularisées et mises au premier plan, mais rester enfouies
dans les tiroirs.
Vous vous souvenez sans doute de la brochure bien
connue d’Engels sur la Question paysanne. Vous vous rappelez
assurément avec quelle circonspection Engels envisage la question de
savoir comment amener les petits paysans dans la voie de
l’association agricole, de l’économie collective. Permettez-moi
de citer ce passage :
Nous sommes résolument du côté du petit paysan ; nous
ferons tout le possible pour lui rendre la vie plus supportable, pour
lui faciliter le passage à l’association s’il s’y décide ;
mais au cas où il ne serait pas encore en état de prendre cette
décision, nous nous efforcerons de lui donner le plus de temps
possible pour qu’il y réfléchisse sur son lopin de terre.
Vous voyez avec quelle circonspection Engels
envisage la question de savoir comment amener l’économie paysanne
individuelle dans la voie du collectivisme. Comment expliquer cette
circonspection, exagérée à première vue, d’Engels ?
Sur quoi se basait-il en l’occurrence ?
Evidemment, sur la propriété privée du sol, sur le fait que le
paysan possède «son lopin» de terre dont il lui sera difficile de
se séparer. Telle est la paysannerie en Occident.
Telle est la paysannerie des pays capitalistes, où
existe la propriété privée du sol. On conçoit qu’une grande
circonspection y soit nécessaire. Peut-on dire que la situation soit
la même chez nous, en U.R.S.S. ? Non.
On ne saurait le dire, parce que nous n’avons
pas cette propriété privée du sol qui rive le paysan à son
exploitation individuelle.
On ne saurait le dire, parce que chez nous la
terre est nationalisée, ce qui facilite le passage du paysan
individuel dans la voie du collectivisme.
C’est là une des raisons de la facilité et de
la rapidité relatives avec lesquelles se développe chez nous, ces
derniers temps, le mouvement kolkhozien.
Il est regrettable que nos théoriciens de la
question agraire n’aient pas encore essayé de montrer, avec toute
la clarté voulue, cette différence entre la situation du paysan
chez nous et en Occident.
Pourtant un ouvrage de ce genre serait d’une
très grande importance non seulement pour nous, militants
soviétiques, mais aussi pour les communistes de tous les pays.
En effet, pour la révolution prolétarienne dans
les pays capitalistes il n’est pas indifférent de savoir s’il
faudra, dès les premiers jours de la prise du pouvoir par le
prolétariat, édifier le socialisme sur la base de la
nationalisation de la terre, ou sans cette base.
Dans mon article récemment paru, «L’année du
grand tournant», j’ai développé certains arguments relatifs à
la supériorité de la grande exploitation agricole sur la petite ;
je parlais des grands sovkhoz.
Inutile de démontrer que tous ces arguments sont
aussi valables, entièrement et sans réserve pour les kolkhoz, comme
grandes unités économiques.
Je parle non seulement des kolkhoz développés,
pourvus d’une base de machines et de tracteurs, mais aussi des
kolkhoz primitifs, représentant pour ainsi dire la période
manufacturière de la construction des kolkhoz, et dont la base est
formée par le matériel agricole du paysan. Je veux parler de ces
kolkhoz primitifs qui se constituent de nos jours dans les régions
de collectivisationintégrale, et s’appuient sur la simple mise en
commun des instruments de production des paysans.
Prenons, par exemple, les kolkhoz du rayon de
Khoper, dans l’ancienne région du Don. Ces kolkhoz, au point de
vue de la technique, ne diffèrent pas, semble-t-il, de la petite
économie paysanne (ils ont peu de machines, peu de tracteurs).
Et pourtant, la simple mise en commun des
instruments paysans, au sein des kolkhoz, a eu un résultat dont nos
praticiens n’osaient pas même rêver. Quel a été ce résultat ?
C’est que l’adoption du système des kolkhoz a
donné une extension de 30, 40 et 50 % de la surface ensemencée.
Comment expliquer ce résultat «vertigineux» ?
C’est que les paysans, impuissants dans les
conditions du travail individuel, sont devenus une force prodigieuse,
quand ils ont mis en commun leurs instruments et se sont groupés
dans les kolkhoz.
C’est que les paysans ont pu faire valoir les
terres vierges ou abandonnées, qui se laissent difficilement
cultiver dans les conditions du travail individuel.
C’est que les paysans ont pu prendre en main les
terres vierges. C’est qu’il est devenu possible de mettre en
valeur les terrains vagues, les parcelles isolées, les lisières des
champs, etc., etc.
La culture des terres vierges ou abandonnées a
une importance énorme pour notre agriculture. Vous savez que le
pivot du mouvement révolutionnaire, dans la Russie d’autrefois,
était la question agraire. Vous savez que l’un des objets du
mouvement agraire était de remédier à la pénurie de terre.
Beaucoup croyaient alors que cette pénurie était
absolue, c’est-à-dire qu’il n’y avait plus en U.R.S.S de
terres vacantes, susceptibles d’être cultivées.
Or, quelle était la situation de fait ?
Aujourd’hui, il est clair pour tous qu’il y avait et qu’il
reste encore en U.R.S.S des dizaines de millions d’hectares de
terres vacantes. Mais le paysan était dans l’impossibilité
absolue de les travailler avec ses misérables instruments.
Et précisément parce qu’il ne pouvait pas
travailler les terres vierges ou abandonnées, il recherchait les
«terres douces», celles qui appartenaient aux grands propriétaires
fonciers, les terres commodes à cultiver avec le matériel paysan,
sous le régime du travail individuel.
Voilà d’où venait la «pénurie de terre».
Aussi n’est-il pas étonnant que notre Trust des céréales puisse
aujourd’hui mettre en valeur une vingtaine de millions d’hectares
de terres disponibles, non occupées par les paysans et ne pouvant
être cultivées par les méthodes du travail individuel, avec le
matériel du petit paysan.
L’importance du mouvement kolkhozien dans toutes
ses phases — dans sa phase primitive comme dans sa phase plus
évoluée, alors qu’il est pourvu de tracteurs, — c’est que les
paysans peuvent aujourd’hui mettre en valeur les terres vierges ou
abandonnées.
C’est là le secret de l’extension prodigieuse
des surfaces ensemencées, lorsque les paysans passent au travail
collectif. C’est là une des raisons de la supériorité des
kolkhoz sur l’économie paysanne individuelle.
Inutile de dire que la supériorité des kolkhoz
sur l’économie paysanne individuelle deviendra encore plus
incontestable, lorsque les kolkhoz primitifs, dans les régions de
collectivisation intégrale, seront secondés par nos stations et
colonnes de machines et de tracteurs ; lorsque les kolkhoz eux-mêmes
pourront concentrer dans leurs mains tracteurs et
moissonneuses-batteuses.
IV LA VILLE ET LA CAMPAGNE
Il existe au sujet de ce qu’on appelle les
«ciseaux» un préjugé cultivé par les économistes bourgeois, et
auquel il faut déclarer une guerre sans merci, comme du reste à
toutes les autres théories bourgeoises malheureusement répandues
dans la presse soviétique.
J’ai en vue la théorie qui prétend que la
Révolution d’Octobre a moins donné à la paysannerie que la
révolution de Février ; que la Révolution d’Octobre n’a,
à proprement parler, rien donné à la paysannerie.
Ce préjugé, un économiste «soviétique» l’a
fait mousser à un moment donné dans notre presse.
Il est vrai que cet économiste «soviétique»,
a, par la suite, renoncé à sa théorie. (Une voix : «Qui est-ce
?») C’est Groman.
Mais cette théorie a été reprise par
l’opposition trotskiste-zinoviéviste et exploitée contre le
Parti. Et il n’y a aucune raison d’affirmer qu’elle n’ait pas
cours, aujourd’hui encore, dans les milieux «soviétiques».
C’est là une question très importante,
camarades.
Elle touche au problème des rapports entre la
ville et la campagne.
Elle touche au problème de la suppression du
contraste entre la ville et la campagne. Elle touche à un problème
d’actualité intense, à celui des «ciseaux». C’est pourquoi je
pense qu’il vaut la peine de s’occuper de cette étrange théorie.
Est-il vrai que les paysans n’aient rien reçu
de la Révolution d’Octobre ? Voyons les faits.
J’ai en main le tableau bien connu du
statisticien bien connu, le camarade Nemtchinov, tableau reproduit
dans mon article «Sur le front du blé».De ce tableau il ressort
qu’avant le Révolution les grands propriétaires fonciers ne
«produisaient» pas moins de 600 millions de pouds de grains. C’est
donc que les grands propriétaires fonciers détenaient à l’époque
600 millions de pouds de blé.
Les koulaks «produisaient» alors 1.900 millions
de pouds de blé.
C’était une très grande force dont disposaient
les koulaks à l’époque.
Les paysans pauvres et moyens produisaient 2.500
millions de pouds de blé. Tel était le tableau de la situation dans
les campagnes d’avant la Révolution d’Octobre.
Quels changements sont intervenus dans les
campagnes après Octobre ? J’emprunte les chiffres au même
tableau. Prenons par exemple l’année 1927. Combien les grands
propriétaires fonciers ont-ils produit cette année-là ?
Il est clair qu’ils n’ont rien produit et ne
pouvaient rien produire, les propriétaires fonciers ayant été
supprimés par la Révolution d’Octobre. Vous comprendrez que
c’était là un grand soulagement pour la paysannerie, puisqu’elle
était affranchie du joug des grands propriétaires fonciers.
C’est là évidemment ‘un gain considérable
que la paysannerie a reçu de la Révolution d’Octobre. Combien les
koulaks ont-ils produit en 1927 ? 600 millions de pouds de blé au
lieu de 1.900 millions. C’est donc qu’après la Révolution
d’Octobre les koulaks sont devenus trois fois plus faibles, et même
plus faibles encore.
Vous comprendrez que cela ne pouvait manquer
d’alléger la situation des paysans pauvres et moyens. Et combien
les paysan pauvres et moyens ont-ils produit en 1927 ? 4 milliards de
pouds au lieu de 2.500 millions. C’est donc qu’après la
Révolution d’Octobre les paysans pauvres et moyens produisent 1,5
milliard de pouds de plus qu’avant la Révolution.
Voilà des faits témoignant du gain colossal que
les paysans pauvres et moyens ont reçu de la Révolution
d’Octobre.Voilà ce que la Révolution d’Octobre a donné aux
paysans pauvres et moyens.
Comment peut-on affirmer après cela que la
Révolution d’Octobre n’a rien donné aux paysans ?
Ce n’est pas tout, camarades. La Révolution
d’Octobre a supprimé la propriété privée du sol, elle a
supprimé les Opérations d’achat et de vente sur la terre, elle a
procédé à la nationalisation du sol.
Qu’est-ce à dire ? C’est que le paysan, pour
produire du blé, n’a nul besoin d’acheter de la terre. Autrefois
il amassait l’argent durant des années, il s’endettait, se
laissait asservir à seule fin d’acheter de la terre.
Les frais d’achat pesaient, évidemment, sur le
coût de la production du blé. Aujourd’hui cette nécessité ne
s’impose plus au paysan. Il peut produire le blé sans acheter de
la terre. Cela allège-t-il, oui ou non, le sort du paysan ?
Evidemment oui.
Poursuivons. Jusqu’à ces derniers temps le
paysan était obligé de gratter la terre avec un vieux matériel,
sous le régime du travail individuel. Tout le monde sait que le
travail individuel, pourvu de vieux instruments de production,
aujourd’hui inutilisables, ne fournit pas au paysan le gain
nécessaire pour vivre convenablement, améliorer constamment sa
situation matérielle, développer sa culture et s’engager sur la
grande route de la construction socialiste.
Maintenant que le mouvement kolkhozien a pris un
développement intense, les paysans peuvent unir leur travail à
celui de leurs voisins, se grouper en kolkhoz, défricher les terres
vierges, exploiter les terres abandonnées, recevoir des machines et
des tracteurs, et doubler sinon tripler la productivité de leur
travail.
Qu’est-ce à dire ? C’est que les paysans
aujourd’hui ont la possibilité, étant groupés dans les kolkhoz,
de produire beaucoup plus qu’auparavant, en dépensant la même
somme de travail. Cela signifie, par conséquent, que la production
du blé revient à bien meilleur marché que jusqu’à ces derniers
temps. Cela signifie enfin que, si les prix sont stabilisés, le
paysan peut toucher pour son blé beaucoup plus qu’il n’a touché
jusqu’ici.
Comment peut-on affirmer après cela que la
paysannerie n’a rien gagné à la Révolution d’Octobre ?
N’est-il pas clair que les gens qui annoncent
cette absurdité calomnient manifestement le Parti, le pouvoir des
Soviets ? Mais que résulte-t-il de tout cela ?
Il en résulte que la question des «ciseaux», de
la suppression des «ciseaux», doit être posée maintenant d’une
façon nouvelle. Il en résulte que, si le mouvement kolkhozien se
développe au rythme actuel, les «ciseaux» seront supprimés dans
un proche avenir.
Il en résulte que la question des rapports entre
la ville et la campagne se pose sur un terrain nouveau ; que le
contraste entre la ville et la campagne s’effacera à un rythme
accéléré.
Cette circonstance, camarades, a une importance
très grande pour toute notre édification. Elle transforme la
mentalité du paysan et le fait se tourner face à la ville.
Elle crée les conditions nécessaires pour
supprimer le contraste entre la ville et la campagne ; pour que le
mot d’ordre du Parti : «Face à la campagne» soit complété
par le mot d’ordre des paysans-kolkhoziens : «Face à la ville».
Et il n’y a là rien d’étonnant, puisque le
paysan reçoit aujourd’hui dela ville les machines, les tracteurs,
les agronomes, les organisateurs,
enfin une aide directe pour combattre et vaincre
les koulaks. Le vieux type de paysan, avec sa méfiance farouche de
la ville qu’il tenait pour une pillarde, recule à l’arrière-plan.
C’est le paysan nouveau qui le remplace, le
paysan-kolkhozien, qui regarde la ville avec l’espoir d’en
recevoir une aide réelle dans la production.
Le vieux type de paysan, qui craint de tomber au
niveau du paysan pauvre et ne s’élève que furtivement à la
situation de koulak (car on peut le priver du droit électoral !),
est remplacé par le paysan nouveau, ayant une perspective nouvelle :
adhérer au kolkhoz et se tirer de la misère pour s’engager sur la
grande route de l’essor économique.
Voilà le tour que prennent les choses, camarades.
Il est d’autant plus fâcheux, camarades, que
nos théoriciens de la question agraire niaient pas pris toutes les
mesures nécessaires pour démolir et extirper les théories
bourgeoises de toute sorte, tendant à discréditer les conquêtes
Ide la Révolution d’Octobre et le mouvement croissant des kolkhoz.
DE LA NATURE DES KOLKHOZ
Les kolkhoz, comme type d’économie, sont une
des formes de l’économie sociaJiste. Il ne saurait y avoir aucun
doute là-dessus.
Un des orateurs a pris la parole ici pour
discréditer les kolkhoz. Il a assuré qu’en tant qu’organisations
économiques, les kolkhoz n’avaient rien de commun avec la forme
socialiste de l’économie.
Je dois déclarer, camarades, qu’une telle
caractéristique des kolkhozest absolument fausse. Il est hors de
doute que cette caractéristique
n’a rien de commun avec le léninisme.
Qu’est-ce qui détermine le type de l’économie
? Evidemment, ce sont les rapports des hommes dans le processus de
production. Par quel autre moyen, en effet, peut-on déterminer le
type de l’économie ? Mais existe-t-il dans le kolkhoz une classe
d’hommes possesseurs des moyens de production, et une classe
d’hommes privés de ces moyens de production ?
Existe-t-il dans le kolkhoz une classe
d’exploiteurs et une classe d’exploités ? Est-ce que le kolkhoz
ne représente pas la collectivisation des principaux instruments de
production, et cela sur une terre qui appartient à l’État ?
Quelle raison y a-t-il d’affirmer que les
kolkhoz, comme type d’économie, ne représentent pas une des
formes de l’économie socialiste ?
Certes, il y a des contradictions dans les
kolkhoz. Certes, il s’y manifeste des survivances individualistes
et même koulaks, qui n’ont pas encore disparu, mais qui doivent
nécessairement disparaître à la longue, au fur et à mesure de
l’affermissement des kolkhoz, au fur et à mesure de leur
mécanisation.
Mais peut-on nier que les kolkhoz pris dans
l’ensemble, avec leurs contradictions et leurs défauts, les
kolkhoz comme fait économique, représentent au fond une nouvelle
voie de développement de la campagne, celle de son développement
socialiste, à l’opposé de la voie du développement koulak,
capitaliste ?
Peut-on nier que les kolkhoz (je parle des
kolkhoz, et non des pseudo-kolkhoz) représentent dans nos conditions
la base et le foyer de l’édification socialiste à la campagne,
formés en des combats acharnés contre les éléments capitalistes
?N’est-il pas clair que les tentatives faites par certains
camarades pour discréditer les kolkhoz et les proclamer forme
bourgeoise de l’économie, sont dénuées de tout fondement ?
En 1923 nous n’avions pas encore de mouvement
kolkhozien de masse. Dans sa brochure De la coopération Lénine
avait en vue toutes les formes de coopération, les formes
inférieures (coopératives de consommation et de vente) comme les
formes supérieures (kolkhoz).
Que disait-il alors de la coopération, des
entreprises coopératives ? Voici un des passages de la brochure de
Lénine :
Dans notre régime actuel les entreprises
coopératives se distinguent des entreprises capitalistes privées,
comme entreprises collectives, mais elles ne se distinguent pas des
entreprises socialistes, si la terre où elles sont bâties et les
moyens de production appartiennent à l’État, c’est-à-dire à
la classe ouvrière, (t. XXVII, p. 396, éd. Russe.)
Ainsi Lénine envisage les entreprises
coopératives non en elles-mêmes, mais en liaison avec notre régime
existant, en liaison avec le fait qu’elles fonctionnent sur une
terre appartenant à l’État, dans un pays où les moyens de
production appartiennent à l’État, et, les considérant de la
sorte, Lénine affirme que les entreprises coopératives ne se
distinguent pas des entreprises socialistes.
Voilà ce que Lénine dit des entreprises
coopératives, en général.
N’est-il pas clair qu’on peut, avec plus de
raison encore, en dire autant des kolkhoz de la période où nous
sommes ? Et c’est ce qui explique, entre autres, que Lénine
considère la «simple croissance de la coopération», dans nos
conditions, comme «identique à la croissance du socialisme».Vous
voyez qu’en discréditant les kolkhoz, l’orateur dont j’ai
parlé a commis une erreur très grave contre le léninisme.
De cette erreur découle son autre erreur :
au sujet de la lutte de classes dans les kolkhoz. L’orateur a fait
une peinture si vive de la lutte de classes dans les kolkhoz, qu’on
pourrait croire que cette lutte ne se distingue pas de celle qui se
livre en dehors des kolkhoz.
Bien plus, on pourrait croire qu’elle y devient
encore plus acharnée.
D’ailleurs, l’orateur mentionné n’est pas
seul à pécher dans cette question.
Le bavardage sur la lutte de classes, les
glapissements et piailleries sur la lutte de classes dans les
kolkhoz, constituent maintenant le trait caractéristique de tous nos
braillards de «gauche».
Mais le plus comique dans ces piailleries, c’est
que les piailleurs «voient» la lutte de classes là où elle
n’existe pas ou presque pas et ne la voient pas là où elle
existe, où elle déferle.
Y a-t-il des éléments de lutte de classes dans
les kolkhoz ? Oui. Il ne peut pas ne pas y en avoir, si des
survivances de la mentalité individualiste, voire koulak, y
subsistent encore ; s’il y subsiste une certaine inégalité.
Peut-on dire que la lutte de classes dans les
kolkhoz soit identique à la lutte de classes en dehors des kolkhoz ?
Non, on ne saurait le dire. L’erreur de nos
phraseurs de «gauche» est précisément de ne pas voir cette
différence.
Que signifie la lutte de classes en dehors des
kolkhoz, avant la formation des kolkhoz ?
Cela signifie la lutte contre le koulak qui
possède les instruments etmoyens de production, et asservit les
paysans pauvres à l’aide de ces
instruments et moyens de production.
Cette lutte est une lutte à mort. Et que signifie
la lutte de classes sur la base des kolkhoz ? Cela signifie d’abord
que le koulak est battu et privé des instruments et moyens de
production. Cela signifie en second lieu que les paysans pauvres et
moyens sont unis dans les kolkhoz sur la base de la collectivisation
des principaux instruments et moyens de production.
Cela signifie, enfin, qu’il s’agit d’une
lutte entre membres de kolkhoz, dont les uns ne se sont pas encore
libérés des survivances individualistes et koulaks, et cherchent à
tirer avantage d’une certaine inégalité dans les kolkhoz, tandis
que les autres veulent en chasser ces survivances et cette inégalité.
N’est-il pas clair que seuls des aveugles
peuvent ne pas voir la différence entre la lutte de classes sur la
base des kolkhoz et la lutte de classes en dehors des kolkhoz ?
Ce serait une erreur de croire que s’il y a
kolkhoz, il y a tout ce qui est nécessaire pour la construction du
socialisme. Ce serait une erreur encore plus grande de croire que les
membres des kolkhoz soient déjà devenus des socialistes.
Non, il faudra encore travailler beaucoup pour
refaire le paysan-kolkhozien, pour corriger sa mentalité
individualiste et en faire un vrai travailleur de la société
socialiste. Et l’on y arrivera d’autant plus vite que les kolkhoz
seront plus vite pourvus de machines et de tracteurs. Mais cela ne
diminue en rien l’importance considérable des kolkhoz comme levier
de la transformation socialiste des campagnes.
La grande importance des kolkhoz, c’est
précisément qu’ils sont une base essentielle pour l’emploi des
machines et des tracteurs dans l’agriculture, qu’ils sont la base
essentielle pour la refonte du paysan, pour la transformation de sa
mentalité dans le sens du socialisme prolétarien. Lénine avait
raison quand il disait :
La transformation du petit cultivateur, de toute
sa mentalité et de ses habitudes est une chose qui réclame des
générations entières. Résoudre cette question à l’égard du
petit cultivateur, assainir pour ainsi dire toute sa mentalité,
seules peuvent le faire une base matérielle, la technique, l’emploi
— sur une vaste échelle — de tracteurs et de machines dans
l’agriculture, l’électrification réalisée dans de vastes
proportions. («Rapport sur l’impôt en nature au Xe congrès du P.
C. (b) R., t. XXVI, p. 239, éd. Russe.)
Peut-on nier que les kolkhoz soient précisément
la forme d’économie socialiste qui, seule, peut permettre à des
millions de petits paysans d’accéder aux machines et aux
tracteurs, leviers de l’essor économique, leviers du développement
socialiste de l’agriculture ? Tout cela nos phraseurs de «gauche»
l’ont oublié.
Notre orateur l’a oublié de même.
VI LES CHANGEMENTS DANS LES RAPPORTS DE
CLASSES ET LE TOURNANT OPERE DANS LA POLITIQUE DU PARTI
Enfin, en ce qui concerne les changements
intervenus dans les rapports de classes et l’offensive du
socialisme contre les éléments capitalistes de la campagne.
Notre travail, au cours de la dernière année, a
ceci de caractéristique que, comme Parti, comme pouvoir des Soviets,
a) nous avons déployé l’offensive sur tout le front contre les
éléments capitalistes de la campagne, et que b) cette offensive a
donné et donne encore,on le sait, des résultats positifs, très
tangibles.
Qu’est-ce à dire ? C’est que de la politique
de limitation des tendances exploiteuses du koulak nous avons passé
à la politique de liquidation du koulak comme classe. C’est que
nous avons opéré et continuons d’opérer un tournant décisif
dans toute notre politique.
Jusqu’à ces derniers temps, le Parti s’en est
tenu à la limitation des tendances exploiteuses du koulak. Cette
politique, on le sait, avait été proclamée dès le VIIIe congrès.
Cette même politique fut affirmée à nouveau, lors de l’institution
de la Nep, ainsi qu’au XIe congrès de notre Parti.
Tout le monde se souvient de la lettre adressée
par Lénine à Préobrajenski (1922), dans laquelle il revenait à la
nécessité de pratiquer justement une telle politique. Celle-ci fut
enfin confirmée par le XVe congrès de notre Parti. Et c’est cette
politique que nous avons pratiquée jusqu’à ces derniers temps.
Etait-elle juste, cette politique ? Oui, elle
l’était incontestablement.
Pouvions-nous, il y a quelque cinq ou trois ans,
entreprendre cette offensive contre le koulak ?
Pouvions-nous alors escompter le succès d’une
telle offensive ? Non.
C’eût été verser dans le plus dangereux
esprit d’aventure. C’eût été jouer le plus dangereusement à
l’offensive.
Car ici nous nous serions enferrés à coup sûr
et, ce faisant, nous aurions affermi les positions du koulak.
Pourquoi ?
Parce que nous n’avions pas encore dans les
campagnes ces points d’appui que sont les nombreux sovkhoz et
kolkhoz, sur lesquels nouseussions pu nous baser pour engager une
offensive résolue contre le koulak. Parce que nous n’avions pas à
ce moment la possibilité de remplacer la production capitaliste du
koulak par la production socialiste des kolkhoz et des sovkhoz.
En 1926-1927, l’opposition
zinoviéviste-trotskiste s’efforçait d’imposer au Parti une
politique d’offensive immédiate contre le koulak. Le Parti ne
s’est pas jeté dans cette dangereuse aventure, sachant que les
gens sérieux ne peuvent se permettre de jouer à l’offensive.
L’offensive contre le koulak est chose sérieuse.
Il ne faudrait pas la confondre avec les déclamations contre le
koulak. Il ne faudrait pas non plus la confondre avec la politique de
coups d’ongle contre le koulak, que l’opposition
zinoviéviste-trotskiste s’efforçait d’imposer au Parti. Mener
l’offensive contre le koulak, c’est le briser et le liquider
comme classe.
En dehors de ces buts, l’offensive n’est que
déclamation, coups d’ongle, vain bavardage, tout ce qu’on
voudra, sauf une véritable offensive bolchevique. Mener l’offensive
contre le koulak, c’est se préparer à l’action et frapper le
koulak, mais frapper de façon qu’il ne puisse plus se remettre sur
ses pieds. C’est ce que nous appelons, nous bolcheviks, une
véritable offensive.
Pouvions-nous, il y a quelque cinq ou trois ans,
entreprendre une telle offensive et escompter le succès ? Non, nous
ne le pouvions pas.
En effet, le koulak produisait en 1927 plus de 600
millions de pouds de blé, et, sur ce total, il en livrait environ
130 millions au marché, en dehors de ce qui était vendu à la
campagne même.
Force assez sérieuse, dont il était impossible
de ne pas tenir compte.
Et combien produisaient alors nos kolkhoz et
sovkhoz ? Environ 80millions de pouds, dont près de 35 millions
étaient jetés sur le marché (blé marchand).
Jugez vous-mêmes si nous pouvions alors remplacer
la production et le blé marchand du koulak par la production et le
blé marchand des kolkhoz et sovkhoz ? Il est clair que nous ne le
pouvions pas.
Que signifie dans ces conditions entreprendre une
offensive résolue contre le koulak ? C’est s’enferrer à coup
sûr, renforcer les positions des koulaks et rester sans blé. Voilà
pourquoi nous ne pouvions ni ne devions entreprendre à ce moment
l’offensive contre le koulak, en dépit des déclamations des
aventuriers de l’opposition zinoviéviste-trotskiste.
Et maintenant ? Où en sont les choses ?
Maintenant, nous avons une base matérielle suffisante pour frapper
le koulak, briser sa résistance, le liquider comme classe et
remplacer sa production par celle des kolkhoz et des sovkhoz.
On sait qu’en 1929 la production de blé dans
les kolkhoz et les sovkhoz n’a pas été inférieure à 400
millions de pouds (soit 200 millions de pouds de moins que la
production globale de l’économie koulak en 1927). On sait ensuite
qu’en 1929 les kolkhoz et les sovkhoz ont fourni plus de 130
millions de pouds de blé marchand (c’est-à-dire plus que le
koulak n’en avait fourni en 1927).
On sait enfin qu’en 1930 la production globale
des kolkhoz et des sovkhoz ne sera pas inférieure à 900 millions de
pouds (c’est-à-dire qu’elle dépassera la production globale du
koulak en 1927), et la quantité de blé qu’ils livreront sur le
marché atteindra au moins 400 millions de pouds (c’est-à-dire
infiniment plus que n’en avait livré le koulak en 1927).
Voilà, camarades, où en sont les choses
aujourd’hui. Voilà le changement qui s’est fait dans l’économie
du pays. Voilà le changement qui s’est opéré, ces derniers
temps, dans le rapport des forces de classes.Nous disposons
maintenant, comme vous le voyez, d’une base matérielle pour
remplacer la production du koulak par celle des kolkhoz et des
sovkhoz.
Voilà pourquoi notre offensive contre le koulak
se poursuit maintenant avec un succès indéniable. Voilà comment il
faut marcher contre le koulak, si l’on veut vraiment marcher contre
lui et non pas se borner à de stériles déclamations contre les
koulaks.
Voilà pourquoi, ces derniers temps, nous avons
passé de la politique de limitation des tendances exploiteuses du
koulak à la politique de liquidation du koulak comme classe.
Et comment faire avec la politique de dépossession
du koulak ? La politique de dépossession du koulak est-elle
admissible dans les régions de collectivisation intégrale ?
Demande-t-on de différents côtés. Question ridicule !
On ne pouvait admettre la dépossession du koulak
aussi longtemps que nous nous en tenions au point de vue de la
limitation des tendances exploiteuses du koulak, aussi longtemps que
nous ne pouvions passer résolument à l’offensive contre les
koulaks, aussi longtemps que nous ne pouvions remplacer la production
des koulaks par celle des kolkhoz et des sovkhoz.
Alors, la politique qui n’admettait pas la
dépossession du koulak était nécessaire et juste. Et maintenant ?
Maintenant c’est une autre affaire.
Nous avons la possibilité d’engager aujourd’hui
une offensive résolue contre le koulak, de briser sa résistance, de
le liquider comme classe et de remplacer sa production par celle des
kolkhoz et des sovkhoz.
Maintenant, la dépossession du koulak est faite
par les masses mêmes de paysans pauvres et moyens, qui réalisent la
collectivisation intégrale.
Maintenant, la dépossession du koulak dans les
régions de collectivisation intégrale n’est plus une simple
mesure administrative. La dépossession du koulak y est partie
constitutive de la formation et du développement des kolkhoz. Voilà
pourquoi il est ridicule et peu sérieux de s’étendre aujourd’hui
sur la dépossession du koulak. Une fois la tête tranchée, on ne
pleure pas après les cheveux.
Non moins ridicule paraît cette autre question :
Peut-on admettre le koulak dans le kolkhoz ? Non, évidemment. On ne
le peut pas, car il est ennemi juré du mouvement kolkhozien. C’est
clair, je pense.
VII CONCLUSIONS
Voilà, camarades, six questions capitales
auxquelles nos marxistes spécialistes de la question agraire ne
sauraient passer outre dans leur travail théorique.
L’importance de ces questions, c’est d’abord
que leur étude marxiste permet d’extirper les théories
bourgeoises de toute sorte qui, parfois, à notre honte, sont
propagées par nos camarades communistes, et qui encrassent le
cerveau de nos praticiens.
Or, il y a longtemps qu’on aurait dû extirper
ces théories et les rejeter loin de nous. Car ce n’est qu’en
livrant une lutte sans merci à ces théories, que peut grandir et se
fortifier la pensée théorique des marxistes spécialistes de la
question agraire.
L’importance de ces questions, enfin, c’est
qu’elles font apparaître sous un nouvel aspect les vieux problèmes
de l’économie en période de transition.Maintenant la question de
la Nep, des classes, des kolkhoz, de l’économie en période de
transition, se pose d’une manière nouvelle.
Il faut dénoncer l’erreur de ceux qui
conçoivent la Nep comme un recul et seulement comme un recul.
En réalité, lors même de l’institution de la
Nep, Lénine disait que celle-ci n’était pas simplement un recul,
qu’elle préparait en même temps une nouvelle offensive résolue
contre les éléments capitalistes de la ville et des campagnes.
Il faut dénoncer l’erreur de ceux qui croient
que la Nep est nécessaire simplement pour assurer la liaison entre
la ville et les campagnes.
Ce qu’il nous faut, ce n’est pas une liaison
quelconque entre la ville et les campagnes ; c’est une liaison
assurant la victoire du socialisme.
Et si nous nous en tenons à la Nep, c’est parce
qu’elle sert la cause du socialisme. Dès qu’elle cessera de
servir la cause du socialisme, nous la rejetterons au diable. Lénine
disait que la Nep était instituée pour de bon et pour longtemps.
Mais il n’a jamais dit qu’elle était instituée pour toujours.
Il faut également envisager la popularisation de
la théorie marxiste de la reproduction. Il faut étudier les
questions relatives à l’établissement d’un schéma de balance
de notre économie nationale.
Ce que la Direction centrale de la statistique a
publié en 1926 comme balance de l’économie nationale, n’en est
pas une ; c’est une jonglerie de chiffres.
La façon dont Bazarov et Groman traitent les
problèmes de la balance de l’économie nationale ne convient pas
non plus. Ce sont les marxistes révolutionnaires qui doivent
élaborer un schéma de balance de l’économie nationale de
l’U.R.S.S., si tant est qu’ils veuillent étudier les problèmes
de l’économie de la période de transition.
Il serait bon que nos économistes marxistes confient à un groupe spécial l’étude des problèmes de l’économie de la période de transition, tels qu’ils se posent de nos jours.
La Brdzola [la Lutte], n°2-3, novembre-décembre
1901. Article non signé. Traduit du
géorgien.
I
La pensée humaine a dû passer par bien des
épreuves, des tourments et des vicissitudes avant d’aboutir au
socialisme fondé et élaboré sur une base scientifique.
Les socialistes de l’Europe occidentale ont dû
très longtemps errer à l’aveuglette dans le désert du socialisme
utopique (chimérique, irréalisable) avant de se frayer un chemin,
d’analyser et de dégager les lois de la vie sociale et, par suite,
de conclure à la nécessité du socialisme pour l’humanité.
Depuis le début du siècle dernier, l’Europe a
donné nombre de chercheurs scientifiques honnêtes, courageux,
remplis d’abnégation, qui ses sont efforcés d’élucider et de
résoudre ce problème : comment sauver l’humanité du fléau qui
grandit et s’aggrave sans arrêt à mesure que se développent le
commerce et l’industrie ?
Bien des tempêtes, bien des torrents de sang ont
déferlé sur l’Europe occidentale pour abolir l’oppression de la
majorité par la minorité, mais le mal subsistait, les plaies
demeuraient aussi vives et les souffrances se faisaient chaque jour
plus intolérables.
Il faut voir l’une des principales raisons de
cette situation dans le fait que le socialisme utopique n’expliquait
pas les lois de la vie sociale ; il planait au-dessus de la vie, se
perdait dans l’empyrée, alors qu’il fallait de solides attaches
avec le réel.
Les socialistes utopiques se proposaient de
réaliser le socialisme dans l’immédiat, alors que la vie
n’offrait aucune base à sa réalisation : et, chose plus
affligeante encore par ses conséquences, les utopistes attendaient
la réalisation du socialisme des puissants de ce monde, qui
devaient, d’après eux, facilement se convaincre de la justesse de
l’idéal socialiste (Robert Owen, Louis Blanc, Fourier et
d’autres).
Cette conception perdait complètement de vue le
mouvement ouvrier réel et la masse ouvrière, seul représentant
naturel de l’idéal socialiste. Les utopistes ne pouvaient le
comprendre. Ils voulaient créer le bonheur sur la terre à coups de
lois de proclamations, sans l’aide du peuple lui-même (des
ouvriers). Ils n’accordaient pas d’attention particulière au
mouvement ouvrier, et souvent même ils en niaient l’importance.
Aussi leurs théories restaient-elles des théories
; elles ne faisaient que passer à côté de la masse ouvrière, au
sein de la quelle mûrissait, tout à fait indépendamment de ces
théories, la grande idée annoncée au milieu du siècle dernier par
la bouche de ce génie que fut Karl Marx : « L’émancipation
des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes…
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! »
Ces paroles ont rendu claire cette vérité,
maintenant évidente même pour des « aveugles » :
l’idéal socialiste ne peut se réaliser que par l’action propre
des ouvriers et leur union en une force organisée, indépendamment
de la nationalité et du pays.
Il fallait démontrer cette vérité, comme l’ont
magnifiquement fait Marx et son ami Engels, afin de
donner une base solide au puissant Parti social-démocrate qui,
aujourd’hui, tel un destin inexorable, se dresse au-dessus du
régime bourgeois en Europe , en menaçant de l’anéantir pour
édifier sur ses décombres le régime socialiste.
Le développement de l’idée socialiste en
Russie a suivi à peu près la même voie qu’en Europe occidentale.
En Russie également, les socialistes ont dû
longtemps errer à l’aveuglette avant d’aboutir à la conscience
social-démocrate, au socialisme scientifique. Ici aussi, il y avait
des socialistes, il y avait un mouvement ouvrier, mais ils suivaient
des voies indépendantes, chacun allant de son côté : les
socialistes, vers un rêve utopique (« Terre et liberté »,
« la Volonté du peuple »), le mouvement ouvrier vers des
révoltes spontanées.
Tous deux luttaient à la même époque
(1870-1890), mais s’ignoraient. Les socialistes n’avaient pas de
base dans la population laborieuse ; aussi leur action restait-elle
abstraite, sans fondement. Les ouvriers, eux, manquaient de
dirigeants, d’organisateurs ; aussi, leur mouvement aboutissait-il
à des révoltes désordonnées.
C’est là la raison essentielle pour laquelle la
lutte héroïque des socialistes pour le socialisme est demeurée
stérile et leur courage légendaire s’est brisé contre les murs
solides de l’autocratie. Les socialistes russes ne se sont
rapprochés de la masse ouvrière que depuis 1890. Ils ont vu que le
salut ne pouvait venir que de la classe ouvrière, et que seule, elle
réaliserait l’idéal socialiste.
Dès lors, la social-démocratie russe a concentré
tous ses efforts et toute son attention sur le mouvement qui se
produisait , à cette époque, parmi les ouvriers russes. Encore
insuffisamment conscient et non préparé à la lutte, l’ouvrier
russe s’efforçait de sortir petit à petit de sa situation
désespérée et d’améliorer quelque peu son sort. il n’existait
évidemment pas alors, au sein de ce mouvement, un travail
d’organisation ordonné : le mouvement était spontané.
Et voilà que la social-démocratie s’est
chargée de guider ce mouvement inconscient, spontané, inorganisé.
Elle s’est efforcée de développer la
conscience des ouvriers, de coordonner la lutte éparse, décousue,
qu’engageaient différents groupes isolés d’ouvriers contre des
patrons isolés, de les fondre dans une lutte de classe commune afin
que cette lutte fût celle de la classe ouvrière russe
contre la classe des oppresseurs de la Russie, en s’attachant à
conférer à cette lutte un caractère organisé.
Au début, la social-démocratie ne pouvait
étendre son activité au sein de la masse ouvrière : aussi se
contentait-elle d’agir dans des cercles de propagande et
d’agitation. L’étude dans les cercles constituait alors sa seule
forme d’activité.
Ces cercles avaient pour objet de créer parmi les
ouvriers eux-mêmes un groupe capable de diriger par la suite le
mouvement. Aussi étaient-ils composés d’ouvriers avancés : une
élite ouvrière avait seule la possibilité d’y étudier.
Mais la période des cercles prit rapidement fin.
La social-démocratie ressentit bientôt le besoin de ce cadre étroit
et d’étendre son influence aux larges masses ouvrières. Les
conditions extérieures s’y prêtaient également. A cette époque,
le mouvement spontané s’était particulièrement développé parmi
les ouvriers.
Qui de vous ne se souvient de l’année où ce
mouvement spontané s’étendit à Tiflis presque tout entier ? Des
grèves non organisées se succédaient dans les manufactures de
tabac et les ateliers de chemins de fer.
Cela se passait chez nous en 1897et en 1898 ; en
Russie, un peu plus tôt. Il fallait venir à la rescousse en temps
opportun ; c’est ce que fit la social-démocratie. La lutte
commença pour la diminution de la journée de travail, pour la
suppression des amendes, pour l’augmentation des salaires, etc.
La social-démocratie savait très bien que le
mouvement ouvrier dans son développement ne se limitait pas à ces
menues revendications, qu’elles n’étaient pas le but du
mouvement, mais seulement un moyen d’atteindre le but.
Sans doute, ces revendications étaient minimes ;
sans doute, les ouvriers des diverses villes et régions luttaient
alors séparément ; mais cette lutte même leur apprenait que la
victoire totale ne sera remportée que le jour où la classe ouvrière
tout entière constituée en force unique, puissante, organisée,
livrera assaut à son ennemi.
Cette lutte leur montrait également qu’en
dehors de leur ennemi direct, le capitaliste, ils en ont un autre,
encore plus vigilant : la force organisée de toute la classe
bourgeoise, l’Etat capitaliste actuel, avec son armée,
ses tribunaux, sa police, ses prisons, sa gendarmerie.
Si, même en Europe occidentale, là où les
droits de l’homme sont déjà conquis, l’ouvrier doit engager une
lutte directe contre le pouvoir, l’ouvrier de Russie, à plus forte
raison, est contraint à se heurter, dans son mouvement, au pouvoir
autocratique, cet ennemi toujours en éveil de tout mouvement
ouvrier, non seulement parce que ce pouvoir défend les capitalistes,
mais aussi parce que, en sa qualité de pouvoirautocratique, il ne peut admettre aucune activité propre
des classes sociales, et surtout d’une classe comme la classe
ouvrière, plus opprimée et plus accablée que les autres.
C’est ainsi que la social-démocratie de Russie
concevait la marche du mouvement, et elle consacrait tous ses efforts
à diffuser ces idées parmi les ouvriers. Là résidait sa force, et
c’est ce qui explique son grand et triomphal développement. dés
le premier jour, comme on l’a vu par la grève grandiose des
ouvriers du textile de 1896 à Pétersbourg.
Mais les premières victoires ont désorienté
quelques esprits faibles et leur ont tourné la tête. Si jadis les
socialistes utopiques ne prenaient en considération que le but final
et, aveuglés par lui, ne remarquaient aucunement ou niaient le
mouvement ouvrier réel qui se développait sous leurs yeux, certains
social-démocrates russes, en revanche, ne prêtaient uniquement
attention qu’au mouvement ouvrier spontané, à ses besoins
quotidiens.
La conscience de classe des ouvriers russes
étaient alors (il y a cinq ans) très faible. L’ouvrier russe
sortait à peine de sa torpeur séculaire et ses yeux, habitués aux
ténèbres, ne remarquaient évidemment pas tout ce qui se passait
devant lui. Il n’avait pas de grands besoins et ses revendications
étaient minimes.
Il n’allait pas encore au delà d’une
insignifiante augmentation de son salaires ou d’une diminution de
ses heures de travail. Quant à la nécessité de changer le régime
existant, de supprimer la propriété privée, d’organiser un
régime socialiste, la masse des ouvriers russe n’en avait pas même
l’idée.
Elle n’osait guère non plus envisager la
suppression de l’esclavage dans lequel tout le peuple russe végète
sous le régime autocratique, ni la liberté du peuple, ni sa
participation à l’administration de l’Etat.
Et tandis qu’une partie de la social-démocratie
russe considérait de son devoir d’introduire dans le mouvement
ouvrier ses idées socialistes, l’autre partie, toute à la lutte
économique, à la lutte pour une amélioration partielle de la
situation des ouvriers (par exemple, une diminution des heures de
travail et une augmentation des salaires), était prête à oublier
totalement son grand devoir, ses grands idéals.
A l’instar de leurs congénères d’Europe
occidentale (ceux qu’on appelle les bernsteiniens), ils disaient :
« Pour nous, le mouvement est tout, le but final n’est
rien ». Ce pour quoi la classe ouvrière lutte, ne les
intéressait aucunement ; il suffisait qu’elle luttât. Une
politique à la petite semaine s’instaurait.
On en arriva un beau jour à ce que la Rabotchaïa Mysl (1),
journal de Pétersbourg, déclara : « Notre programme
politique, c’est la journée de 10 heures, le rétablissement des
jours fériés abolis par la loi du 2 juin (2) »(!!!) (3)
Au lieu de guider le mouvement spontané,
d’introduire dans la masse l’idéal social-démocrate et de
l’orienter vers notre but final, cette partie de la
social-démocratie russe est devenue un instrument aveugle du
mouvement ; elle a suivi aveuglément la fraction des ouvriers
insuffisamment développés et s’est bornée à formuler les
besoins, les nécessités, dont la masse ouvrière avait déjà pris
conscience. En un mot, elle restait devant une porte ouverte et
frappait sans oser entrer dans la maison.
Elle s’est montrée incapable d’expliquer à
la masse ouvrière son but final : le socialisme, ou même, au moins,
son but immédiat : le renversement de l’autocratie ; le plus
triste, c’est qu’elle considérait tout cela comme inutile et
même nuisible.
Elle regardait l’ouvrier russe comme un enfant
et craignait de l’effrayer avec des idées aussi hardies. Bien
plus, selon une fraction de la social-démocratie, le socialisme ne
nécessite aucune lutte révolutionnaire ; ce qu’il faut, c’est
uniquement une lutte économique : des grèves et des syndicats, des
coopératives de consommation et de production, — et voilà le
socialisme tout prêt.
Elle tenait pour erronée la théorie de
l’ancienne social-démocratie internationale d’après laquelle,
aussi longtemps que le pouvoir politique ne passe pas entre les mains
du prolétariat (dictature du prolétariat), la transformation du
régime existant est impossible, et impossible l’affranchissement
total des ouvriers.
A l’en croire, le socialisme par lui-même
n’offre rien de nouveau et, à proprement parler, ne diffère pas
du système capitaliste existant : le socialisme s’y intégrera
facilement ; chaque syndicat, et même chaque boutique de coopérative
ou chaque société de production, est déjà, d’après ces gens
là, « un fragment de socialisme ».
Et c’est avec ce stupide ravaudage de vieux
habits, qu’ils pensaient confectionner un vêtement neuf pour
l’humanité souffrante !
Mais la chose la plus triste et par elle-même
incompréhensible pour des révolutionnaires, c’est que cette
partie de la social-démocratie russe a élargi l’enseignement de
ses maîtres occidentaux (Bernstein et consorts) au point de déclarer
cyniquement : la liberté politique (le droit de grève, la liberté
d’association, la liberté de parole, etc…) est compatible avec
le tsarisme ; une lutte politique spéciale, une lutte pour
le renversement de l’autocratie, est donc absolument superflue ;
car pour atteindre le but, il suffit que les grèves soient plus
fréquentes, en dépit de l’interdiction des autorités ;
celles-ci se lasseront alors de châtier les grévistes ; le droit de
grève et la liberté de réunion viendront d’eux-mêmes.
Ainsi ces soi-disant « social-démocrates »
s’attachaient à démontrer que l’ouvrier russe ne devait
consacrer tout son effort, toute son énergie qu’à la lutte
économique, sans poursuivre de « vastes idéals ». Dans
la pratique, leur action s’inspirait de l’idée que leur devoir
était de se borner à un travail local dans telle ou telle
ville.
L’organisation d’un parti ouvrier
social-démocrate de Russie ne présentait aucun intérêt : au
contraire, l’organisation d’un parti leur apparaissait comme un
jeu comique et puéril, qui les détournait de leur « devoir »
direct : la lutte économique. La grève, et encore la grève, la
collecte de gros sous pour le fonds de lutte, tel était l’alpha et
l’oméga de leur activité.
On pensera certainement que puisque
ces adorateurs du « mouvement » spontané avaient
tellement rétréci leurs tâches, puisqu’ils avaient renoncé aux
idées de la social-démocratie, ils faisaient du moins beaucoup pour
ce mouvement.
Mais là encore une déception nous attend.
L’histoire du mouvement à Pétersbourg nous en convainc. Son
brillant développement et ses progrès audacieux à l’origine, en
1895-1897, ont fait place par la suite à d’aveugles tâtonnements
et, en fin de compte, le mouvement est arrivé à un point mort.
A cela, rien d’étonnant : tous les efforts des
« économistes » pour créer une solide organisation en
vue de la lutte économique se sont invariablement heurtés au mur
épais du pouvoir, contre lequel ils se sont toujours brisés.
Les terribles conditions policières excluaient
toute possibilité d’avoir des organisations économiques
quelconques. les grèves ne servaient à rien, car sur 100 grèves,
99 étaient étouffées dans l’étau de la police ; les ouvriers
étaient impitoyablement expulsés de Pétersbourg, les murs des
prisons et les glaces de la Sibérie les vidaient implacablement de
leur énergie révolutionnaire.
Nous sommes profondément convaincus que les
conditions extérieures, policières, ne sont pas seules responsables
du retard (évidemment tout relatif) du mouvement ; la faute en
incombe tout autant à un retard dans le progrès des idées
elles-mêmes, de la conscience de classe, — d’où
l’affaiblissement de l’énergie révolutionnaire des ouvriers.
Tandis que leur mouvement se développait, les
ouvriers restaient incapables de comprendre pleinement les buts
élevés et le sens profond de leur lutte, le drapeau sous lequel
devait lutter l’ouvrier russe n’étant qu’un vieux chiffon
défraîchi avec son mot d’ordre mesquin de lutte économique ;
c’est pourquoi les ouvriers devaient nécessairement
apporter à cette lutte moins d’énergie, moins d’entrain, moins
d’aspirations révolutionnaires : une grande énergie ne naît que
pour un grand but.
Mais le danger qui de ce fait menaçait le
mouvement aurait été plus grand encore si les conditions mêmes de
notre vie n’avaient poussé obstinément, chaque jour davantage,
les ouvriers russes à la lutte politique directe.
Une simple petite grève posait de front devant
l’ouvrier la question de l’absence, chez nous, de tout droit
politique ; elle le mettait aux prises avec le pouvoir et la force
armée, et lui prouvait l’insuffisance manifeste d’une lutte
exclusivement économique.
Voilà pourquoi, contrairement aux vœux de ces
mêmes « social-démocrates », la lutte prenait de jour
en jour un caractère plus nettement politique.
Chaque tentative des ouvriers sortis de leur
torpeur pour exprimer ouvertement leur mécontentement de la
situation économique et politique, dont le joug fait aujourd’hui
gémir l’ouvrier russe ; chaque tentative de s’affranchir de ce
joug poussait les ouvriers à des manifestations qui ressemblaient de
moins en moins à une lutte économique.
Ce sont les fêtes du 1er Mai qui, en Russie, ont
frayé le chemin à la lutte politique et aux manifestations
politiques. L’ouvrier russe a ajouté à la grève, autrefois son
unique moyen de lutte, un moyen neuf et puissant, — la
manifestation politique, — essayé pour la première fois lors de
la grandiose journée du 1er Mai 1900 à Kharkov.
C’est ainsi qu’en vertu de son développement
interne, le mouvement ouvrier russe est passé de la propagande
dans les cercles et de la lutte économique par la grève à la
lutte politique et à l’agitation.
Ce passage s’est sensiblement accéléré quand
la classe ouvrière a vu apparaître dans l’arène des éléments
d’autres classes sociales de Russie, fermement résolus à
conquérir la liberté politique.
II
La classe ouvrière n’est pas seule
à gémir sous le joug du régime tsariste. la lourde poigne de
l’autocratie étouffe encore d’autres classes sociales. On entend
gémir la paysannerie russe, tenaillée par une famine permanente,
réduite à la misère par des charges fiscales accablantes et livrée
aux trafiquants bourgeois et aux propriétaires « nobles ».
On entend gémir le menu peuple des villes, les
petits employés des administrations publiques et des établissements
privés, les petits fonctionnaires, bref toute cette nombreuse
population citadine de petites gens dont l’existence n’est pas
plus assurée que celle de la classe ouvrière et qui a sujet d’être
mécontente de sa situation sociale.
On entend gémir une fraction de la petite et même
moyenne bourgeoisie, qui ne peut se résigner au knout et à la
nagaïka du tsar, et surtout la partie instruite de la bourgeoisie,
ceux qu’on appelle les représentants des professions libérales
(membres de l’enseignement, médecins, avocats, étudiants et,
d’une façon plus générale, la jeunesse des écoles).
On entend gémir les nations et les confessions
opprimées en Russie, entre autres les Polonais, chassés de leur
patrie et blessés dans leurs sentiments les plus sacrés, et les
Finlandais, dont l’autocratie foule insolemment aux pieds les
droits et la liberté, que leur a octroyés l’histoire.
On entend gémir les Juifs, perpétuellement
persécutés et insultés, privés même des pitoyables droits dont
jouissent les autres sujets russes : le droit de vivre partout, celui
de fréquenter les écoles, de remplir un emploi public, etc…
On entend gémir les Géorgiens, les Arméniens,
et les membres d’autres nation, privés du droit d’avoir leurs
écoles, de travailler dans les administrations publiques, contraints
de se soumettre à la politique honteuse et oppressive de la
russification , qui est pratiquée avec tant de zèle par
l’autocratie. On entend gémir les millions d’adeptes des sectes
russes, qui veulent croire et pratiquer selon leur conscience, et non
comme le désirent les popes orthodoxes.
On entend gémir… mais il est impossible
d’énumérer tous ceux que l’autocratie russe opprime et
persécute. Ils sont si nombreux que si tous s’en rendaient compte,
si tous comprenaient où est leur ennemi commun, le pouvoir
despotique ne pourrait subsister un jour de plus en Russie.
Malheureusement, la paysannerie russe est encore
accablée par l’esclavage, la misère et l’ignorance séculaires
; elle ne fait que s’éveiller, elle n’a pas compris où est son
ennemi. Les nations opprimées de Russie ne peuvent pas même songer
à se libérer par leurs propres forces tant qu’elles ont contre
elles non seulement le gouvernement russe, mais même le peuple russe
qui ne s’est pas encore rendu compte que leur ennemi commun est
l’autocratie. Restent la classe ouvrière, les petites gens des
villes et la fraction instruite de la bourgeoisie.
Mais la bourgeoisie de tous les pays et de toutes
les nations sait fort bien s’approprier les fruits de la victoire
que d’autres ont remportée ; elle sait fort bien faire tirer aux
autres les marrons du feu. Elle n’a jamais le désir de risquer sa
situation relativement privilégiée dans la lutte contre un ennemi
puissant , dans une lutte où il n’est pas encore facile de
triompher.
Bien qu’elle soit mécontente, elle ne vit pas
mal : aussi cède-t-elle avec plaisir à la classe ouvrière, et en
général au simple peuple, le droit de présenter le dos aux
nagaïkas des cosaques et aux balles des soldats, de combattre sur
les barricades, etc…
Quant à elle, elle « sympathise »
avec la lutte et, dans le meilleur des cas, elle « s’indigne »
(à part soi) de la cruauté avec laquelle l’ennemi déchaîné
réprime le mouvement populaire. Elle craint les actes
révolutionnaires, et c’est seulement aux derniers moments de la
lutte, quand elle se rend nettement compte de l’impuissance de
l’ennemi, qu’elle passe elle-même aux mesures révolutionnaires.
Voilà ce que nous apprend l’expérience de
l’histoire… Seuls, la classe ouvrière et le peuple en général,
qui dans leur lutte n’ont rien à perdre que leurs chaînes,
constituent une force révolutionnaire réelle.
Et l’expérience de la Russie, tout indigente
qu’elle soit encore, confirme cette vieille vérité que l’histoire
de tous les mouvements révolutionnaires nous enseigne.
Parmi les représentants de la société
privilégiée, seule une partie des étudiants s’est montrée
résolue à lutter jusqu’au bout pour ses revendications.
Mais nous ne devons pas oublier que cette fraction
des étudiants est, elle aussi, composée de fils de citoyens
opprimés et que les étudiants, la jeunesse des écoles, tant qu’ils
ne sont pas plongés dans l’océan de la vie n’y occupent pas une
situation sociale déterminée, sont plus que quiconque enclins à
des aspirations idéales, qui les appellent à la lutte pour la
liberté.
Quoi qu’il en soit, les étudiants apparaissent
à l’heure actuelle, dans le mouvement de la « société »,
presque comme des chefs de file, comme une avant-garde. Autour d’eux
se groupe aujourd’hui la partie mécontente de diverses classes
sociales. Au début, les étudiants s’efforçaient de lutter à
l’aide d’un moyen emprunté aux ouvriers : les grèves.
Mais
lorsque le gouvernement eut riposté à leurs grèves par une loi,
une loi scélérate (« le Règlement provisoire » (4)),
en vertu de laquelle les étudiants en grève étaient incorporés
dans l’armée comme simples soldats, il ne resta plus aux étudiants
qu’un seul moyen de lutte : appeler la société russe à l’aide
et passer des grèves aux manifestations de rue.
C’est ce qu’ils firent. Ils ne déposèrent
pas les armes ; au contraire, ils poursuivirent la lutte avec encore
plus de courage et de résolution.
Autour d’eux se groupèrent les citoyens
opprimés, la classe ouvrière leur tendit une secourable, et le
mouvement, plus vigoureux , devint une menace pour le pouvoir. Voici
deux ans déjà que le gouvernement de Russie, avec tous ses soldats,
sa police et se gendarmes, soutient une lutte acharnée, mais
stérile, contre les citoyens récalcitrants.
Les événements des derniers jours montrent que
la défaite des manifestations politiques est impossible. Ce qui
s’est passé dans les premiers jours de décembre à Kharkov,
Moscou, Nijni-Novgorod, Riga, etc…, montre qu’à l’heure
actuelle le mécontentement social se manifeste déjà de façon
consciente et que la société mécontente est prête à passer de la
protestation muette à l’action révolutionnaire.
Mais les revendications présentées par les
étudiants, — un drapeau dont le sens soit clair et familier à
tous, capable d’unir toutes les revendications. Ce drapeau,
c’est le renversement de l’autocratie. C’est uniquement
sur les ruines de l’autocratie qu’il sera possible d’édifier
un ordre social fondé sur la participation du peuple à
l’administration de l’Etat et garantissant la liberté
de l’enseignement, des grèves, de paroles, de religion, des
nationalités, etc…, etc…
Ce régime seul assurera au peuple le moyen de se
défendre contre tous les oppresseurs, contre les trafiquants et les
capitalistes, contre le clergé, la noblesse ; ce régime seul
ouvrira la voie à un avenir meilleur, à une lutte libre pour
l’établissement d’un régime socialiste.
Certes, les étudiants réduits à
leur propres forces ne peuvent engager cette lutte grandiose ; leurs
faibles mains seront incapables de tenir ce lourd drapeau. Il faut
pour cela des mains plus fortes, et dans les conditions actuelles ce
ne saurait être que celles des travailleurs unis.
Par conséquent, la classe ouvrière doit prendre
des mains débiles des étudiants, le drapeau de toute la Russie et,
après y avoir inscrit : « A bas l’autocratie ! Vive une
constitution démocratique ! », conduire le peuple russe à la
liberté. Quant aux étudiants, nous devons leur savoir gré de la
leçon qu’ils nous ont donnée : ils ont montré toute l’importance
que revêt la manifestation politique dans la lutte révolutionnaire.
La manifestation de rue présente cet
intérêt qu’elle a tôt fait d’entraîner dans le mouvement une
partie considérable de la population, qu’elle la familiarise
d’emblée avec nos revendications et prépare un vaste terrain
favorable où nous pouvons hardiment semer le bon grain des idées
socialistes et de la liberté politique.
La
manifestation de rue entraîne l’agitation de rue, qui touche
forcément jusqu’à la partie arriérée et timide de la société
(5)).
Il suffit de sortir dans la rue au moment d’une
manifestation pour voir des combattants courageux, pour comprendre
les buts de leur lutte, pour entendre une parole libre, appelant tout
le monde à la lutte, un chant de combat dénonçant le régime
établi et mettant à nu nos plaies sociales. C’est pourquoi les
autorités craignent par-dessus tout la manifestation de rue. Aussi
menacent-elles de punir sévèrement non seulement les manifestants,
mais même les « curieux ».
Et ces « curieux » se comptent
aujourd’hui par dizaines de milliers dans chaque grande ville.
désormais, en Russie, on ne court plus se cacher, comme auparavant,
quand on entend dire que des troubles ont éclaté quelque part
(« Pourvu que je n’y sois pas impliqué ; le mieux est de
filer », disait-on autrefois).
Aujourd’hui, on se hâte vers le lieu des
troubles, on « est curieux » de connaître la cause de
ces troubles, de savoir pourquoi tant de gens présentent le dos à
la nagaïka des cosaques.
Dans ces conditions, les « curieux »
cessent d’écouter avec indifférence le sifflement des nagaïkas
et des sabres. Ils voient les manifestants se rassembler dans la rue
pour proclamer leurs désirs et leurs revendications, tandis que les
autorités leur répondent par des matraquages et une répression
féroce.
Le « curieux » ne se sauve plus devant
le sifflement des nagaïkas ; au contraire, il s’approche et la
nagaïka ne peut plus distinguer le simple « curieux » de
« l’émeutier ».
Avec une « égalité parfaitement
démocratique », sans distinction de sexe, d’âge, ni même
de catégorie sociale, la nagaïka s’abat, désormais, sur le dos
des uns et des autres.
Elle nous rend ainsi un grand service, elle
accélère la transformation du « curieux » en
révolutionnaire. D’instrument de la paix publique, elle devient
éveilleuse de conscience.
Aussi, qu’importe si les manifestations de rue
ne nous donnent pas de résultats directs ! Qu’importe si la force
des manifestants est encore trop débile aujourd’hui pour imposer
au pouvoir des concessions immédiates aux revendications populaires
!
Les sacrifices que nous faisons aujourd’hui dans
les manifestations de rue nous seront payés au centuple. Chaque
combattant tombé dans la lutte ou arraché à nos rangs en fait
lever des centaines d’autres. Plus d’une fois encore nous serons
matraqués dans les rues, plus d’une fois encore le gouvernement
sortira vainqueur des batailles de rue.
Mais ce seront des « victoires à la
Pyrrhus ». Encore quelques unes comme celles-là, et la défaite
de l’absolutisme est certaine. Sa victoire d’aujourd’hui
prépare la défaite. Quant à nous, fermement convaincus que ce jour
viendra, que ce jour n’est plus éloigné, nous affrontons les
nagaïkas pour semer le bon grain de l’agitation politique et du
socialisme.
Le pouvoir n’en est pas moins convaincu que nous
: l’agitation de rue signifie sa condamnation à mort, il suffit de
deux ou trois ans encore pour qu’il voie se dresser devant lui le
spectre de la révolution populaire.
Le gouvernement a déclaré l’autre jour, par la
bouche du gouverneur d’Ekaterinoslav, qu’il « ne reculerait
pas même devant des mesures extrêmes pour écraser les moindres
tentatives de manifestation de rue ».
Cette déclaration, on le voit, sent les balles,
et peut-être même les obus, mais nous pensons que la balle ne
suscite pas moins de mécontentement que la nagaïka. Nous ne croyons
pas que le gouvernement puisse, même par ces « mesures
extrêmes », faire longtemps obstacle à l’agitation
politique et en entraver le développement.
Nous espérons que la social-démocratie
révolutionnaire saura adapter son agitation aux conditions nouvelles
que le gouvernement créera en appliquant ces « mesures
extrêmes ». Quoi qu’il en soit, la social-démocratie doit
suivre les évènements avec vigilance ; elle doit sans retard tirer
la leçon des évènements et savoir conformer ses actes aux
conditions changeantes.
Mais pour cela la social-démocratie a besoin
d’une organisation forte, étroitement unie ; plus précisément,
d’une organisation de parti, unie non seulement par le
nom, mais encore par les principes fondamentaux et les conceptions
tactiques. Notre tâche est de travailler à la création de ce parti
fort, armé de principes fermes et d’un appareil clandestin
indestructible.
Le Parti social-démocrate doit mettre à
profit de ce nouveau mouvement, — la manifestation de rue, — qui
vient de naître ; il doit prendre en main le drapeau de la
démocratie russe et le conduire à la victoire désirée par tous !
Ainsi s’ouvre devant nous une
période de lutte essentiellement politique.
Cette lutte est pour nous inévitable, car dans
les conditions politiques existantes, la lutte économique (les
grèves) ne peuvent rien apporter de substantiel. les grèves même
dans les Etats libres, sont une arme à double tranchant : même dans
les pays où les ouvriers possèdent pourtant des moyens de lutte, —
liberté politique, fortes organisations syndicales, moyens
financiers, — les grèves se terminent souvent par leur défaite.
Chez nous, où la grève est un délit puni
d’emprisonnement et réprimé par la force armée, où les
associations ouvrières, quelles qu’elles soient, sont interdites —
chez nous les grèves ne revêtent qu’un caractère de
protestation.
Mais les manifestations sont, pour protester, une
arme plus puissante. Dans les grèves, la force des ouvriers est
dispersée : n’y participent que les ouvriers d’une ou de
quelques usines ; dans le meilleur des cas, ceux d’une même
profession.
L’organisation d’une grève générale est
très difficile, même en Europe occidentale ; chez nous, elle est
absolument impossible. En revanche, dans les manifestations de rue
les ouvriers unissent d’emblée leurs forces.
On mesure par là l’étroitesse de
vues dont font preuve les « social-démocrates » qui
veulent enfermer le mouvement ouvrier dans le cadre de la lutte
économique et des organisations économiques, en laissant la lutte
politique aux « intellectuels », aux étudiants, à la
société, et en n’attribuant aux ouvriers que le rôle d’une
force auxiliaire. l’histoire nous enseigne que, dans ces
conditions, les ouvriers devront tirer les marrons du feu pour la
bourgeoisie, et pour elle seule.
D’ordinaire, la bourgeoisie a volontiers recours
aux bras musclés des ouvriers pour lutter contre le pouvoir
autocratique et, la victoire acquise, elle s’en approprie les
résultats, laissant les ouvriers les mains vides.
S’il en va de même chez nous, les ouvriers ne
tireront rien de cette lutte. Quant aux étudiants et autres
protestataires de la société, ne font-ils pas partie de cette même
bourgeoisie ?
Qu’on leur donne une « Constitution
loqueteuse », parfaitement inoffensive, n’accordant au peuple
que des droits infimes, et tous ces protestataires changeront de ton
et vanteront le « nouveau » régime.
La
bourgeoisie vit dans la peur continuelle du « spectre rouge »
du communisme ; elle s’efforce, dans toutes les révolutions, d’en
finir dès le début. Sitôt qu’elle a obtenu la moindre concession
avantageuse pour elle, la bourgeoisie, qui tremble devant les
ouvriers, tend au pouvoir une main conciliante et trahit sans
vergogne la cause de la liberté (6)).
Seule, la classe ouvrière est un
appui sûr pour la démocratie véritable. Seule, elle refusera de
pactiser avec l’autocratie au prix d’une concession, et ne se
laissera pas endormir au doux son du luth constitutionnel.
C’est pourquoi il importe
éminemment pour la cause démocratique en Russie de savoir si la
classe ouvrière saura prendre la tête du mouvement démocratique
général, ou si elle mettra à la remorque du mouvement comme force
auxiliaire des « intellectuels », c’est-à-dire de la
bourgeoisie.
Dans le premier cas, le renversement de
l’autocratie aura pour résultat une large Constitution
démocratique, qui accordera des droits égaux à l’ouvrier,
et au paysan accablé et au capitaliste. Dans le second cas, nous
aurons cette « Constitution loqueteuse » qui, tout autant
que l’absolutisme, saura fouler aux pieds les revendications
ouvrières et n’accordera au peuple qu’un semblant de
liberté.
Mais pour jouer de ce rôle de
dirigeant, la classe ouvrière doit s’organiser en parti
politique indépendant. Alors, elle n’aura à redouter, dans
la lutte contre l’absolutisme, ni trahison, ni perfidie de la part
de « la société », son alliée provisoire. Dés que
cette « société » trahira la cause de la démocratie,
la classe ouvrière fera toute seule, par ses propres forces,
progresser cette cause : un parti politique indépendant lui en
donnera la force.
Notes
1.
La Rabotchaïa Mysl [la Pensée ouvrière],
journal professant ouvertement les idées opportunistes des
« économistes », parut d’octobre 1897 à décembre
1902. Seize numéros virent le jour.
2.
La loi du 2 juin 1897 instituait pour les
ouvriers des entreprises industrielles et des chemins de fer la
journée de travail de onze heures et demie ; elle diminuait en même
temps le nombre des jours fériés pour les ouvriers.
3.
Il faut noter que ces derniers temps « l’Union
de lutte » de Pétersbourg et la rédaction de son journal ont
renoncé à leur ancienne tendance exclusivement économiste et
s’efforcent d’introduire dans leur action de idées de lutte
politique. (J.S.)
4.
Le « Règlement provisoire sur
l’accomplissement du service militaire par les élèves des
établissements d’enseignement supérieur », promulgué par
le gouvernement le 29 juillet 1899, prescrivait que les étudiants
qui auraient participé à des manifestations collectives contre le
régime policier en vigueur dans les établissements d’enseignement
supérieur, en seraient exclus et incorporés comme simples soldats
dans l’armée du tsar pour une durée d’un an à trois ans.
5.
Dans les conditions actuelles de la Russie, le
livre illégal, le tract d’agitation n’atteignent que très
difficilement chaque habitant. Bien que la diffusion de la
littérature illégale porte de beaux fruits, elle n’atteint dans
la plupart des cas qu’une minorité de la population. (J.S.
6. Bien entendu, nous ne parlons pas ici des intellectuels qui ont rompu avec leur classe et luttent dans les rangs des social-démocrates. Mais ces intellectuels constituent une exception ; ce sont des « merles blancs ». (J.S.)
Discours prononcé à l’Université
Sverdlov le 9 juin 1925
Camarades, je vais répondre aux questions écrites
que vous m’avez posées. J’y répondrai dans l’ordre où elles
m’ont été remises. Comme vous le savez, il y en a dix.
Commençons par la première.
I
Quelles sont les mesures et les conditions devant
contribuer à consolider l’alliance de la classe ouvrière avec les
paysans en régime de dictature du prolétariat, si l’Union
soviétique n’est pas soutenue par la révolution du prolétariat
occidental dans les 15 années prochaines ?
J’estime que cette question englobe toutes
celles que vous m’avez posées. C’est pourquoi j’y ferai une
réponse générale, qui sera loin d’épuiser le sujet. Autrement,
il ne me resterait plus rien à dire sur les autres questions.
Les résolutions de la 14e conférence
du parti donnent une réponse complète à cette question. Elles
affirment que la principale garantie de la consolidation de
l’alliance est une politique rationnelle envers la paysannerie.
Mais qu’est-ce qu’une bonne politique envers la paysannerie ?
Elle consiste dans un ensemble de mesures
économiques,administratives, politiques et culturelles destinées à
assurer cette alliance.
Prenons le domaine économique.
Il faut, tout d’abord, liquider les survivances
du communisme de guerre dans les campagnes. Il faut ensuite établir
une politique rationnelle des prix sur les produits fabriqués et les
denrées agricoles, de façon à assurer un essor rapide de
l’industrie et de l’agriculture et à supprimer les « ciseaux ».
Il faut réduire la somme totale de l’impôt
agricole et transformer peu à peu celui-ci, d’impôt d’État, en
impôt local. Il faut attirer à la coopération, principalement à
la coopération agricole et à la coopération de crédit, l’immense
masse rurale, afin que les paysans, eux aussi, participent à la
réalisation du socialisme.
Il faut introduire dans les campagnes les
tracteurs, qui sont les leviers de la révolution technique dans
l’agriculture et les moyens de créer des foyers de civilisation
dans les campagnes. Il faut enfin exécuter le plan
d’électrification, moyen de rapprocher la campagne de la ville et
de faire disparaître leur antagonisme.
Voilà ce que doit faire le parti s’il veut
assurer l’alliance économique de la ville et de la campagne.
Je tiens à attirer votre attention sur la
transformation de l’impôt agricole, d’impôt d’État, en impôt
local. Cela peut vous paraître surprenant. Néanmoins, c’est un
fait que l’impôt agricole devient de plus en plus et deviendra
entièrement un impôt de caractère local. Il y a deux ans, l’impôt
agricole constituait la part principale, ou peu s’en faut, de nos
revenus, tandis que maintenant il n’en est qu’une partie
insignifiante.
Alors que le budget d’État se monte à deux
nous donnera cette annéeau plus 250 à 260 millions de roubles, soit
100 millions de moins
que l’année passée. Comme vous le voyez, c’est
bien peu.
Et plus notre budget d’État s’élargira, plus
l’importance relative de l’impôt agricole diminuera. Ensuite, de
ces 260 millions, 100 millions, soit plus du tiers, sont destinés
aux budgets locaux.
Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, de tous
les impôts existants, l’impôt agricole est celui qui s’adapte
le. Mieux aux conditions locales, qui peut le ‘mieux être utilisé
pour les besoins locaux.
Il n’est pas douteux que le budget local
s’accroîtra de plus en plus. Et il augmentera en absorbant une
partie de plus en plus importante de l’impôt agricole, qui doit
être le mieux possible approprié aux conditions locales.
Cela est d’autant plus certain que la part
principale des revenus de l’État est et sera de plus en plus
constituée par les bénéfices des entreprises d’État, les impôts
indirects, etc.
Voilà pourquoi la transformation de l’impôt
agricole en impôt local deviendra un jour nécessaire et utile à la
consolidation de notre alliance avec les paysans.
Passons aux mesures qui doivent assurer cette
alliance dans le domaine administratif et politique.
Réalisation de la démocratie soviétiste à la
ville et au village afin de simplifier, de rendre moins onéreux
l’appareil d’État, de l’assainir moralement, d’en éliminer
le bureaucratisme et les facteurs de décomposition bourgeoise, de le
lier intimement à la masse, telle est la voie que doit suivre le
parti s’il veut renforcer l’alliance dans le domaine
administratif et politique.
La dictature du prolétariat n’est pas une fin
en soi. Elle n’est qu’un moyen, la voie qui mène au socialisme.
Or, qu’est-ce que le socialisme ? C’est
une étape entre le régime de dictature du prolétariat et la
société sans Etat. Mais pour parcourir cette étape, ilfaut
préparer le renouvellement de l’appareil étatique de façon à
assurer la transformation effective de la société à dictature
prolétarienne en société sans Etat, en société communiste.
C’est pourquoi, nous prenons pour mots d’ordre
de vivifier les soviets, de réaliser la démocratie soviétiste à
la ville et au village, de confier à l’élite ouvrière et
paysanne la gestion des affaires de l’État.
Corriger l’appareil d’État, le rénover
véritablement, en éliminer le bureaucratisme et les éléments de
décomposition, le rapprocher des masses et le leur rendre
sympathique, tout cela est impossible sans la collaboration active
des masses elles-mêmes.
Mais cette collaboration constante et active est à
son tour impossible sans la participation des meilleurs éléments
ouvriers et paysans aux organes administratifs, sans une liaison
directe entre l’appareil d’État et les couches profondes des
travailleurs.
Qu’est-ce qui distingue l’appareil d’État
soviétiste de l’appareil d’État bourgeois ?
L’appareil d’État bourgeois se place
au-dessus des masses, il est séparé de la population par une
barrière infranchissable ; il est, par son esprit même,
étranger aux masses populaires, tandis que l’appareil soviétiste
se confond avec les masses, perd son caractère s’il se place
au-dessus de ces dernières et ne peut toucher les travailleurs que
s’il leur est accessible. C’est là une différence essentielle
entre l’appareil de l’État bourgeois et celui de l’État
soviétiste.
Dans sa brochure : Les bolcheviks conserveront-ils
le pouvoir ? Lénine disait que les 240.000 membres du parti
bolchevik sauraient certainement diriger le pays au profit des
pauvres, contre les riches, du moment que 130.000 grands
propriétaires fonciers avaient pu jusqu’alors diriger le pays au
profit des riches contre les pauvres.
Interprétant de façon erronée ces paroles,
certains communistes pensent que l’appareil d’État se réduit à
quelques centaines de
milliers d’adhérents du parti, et que cela
suffit pour diriger notre immense pays. C’est pourquoi ils
identifient parfois le parti avec l’État. C’est une erreur.
C’est une déformation de la pensée de Lénine.
Parlant des 240.000 membres du parti bolchevik, Lénine ne voulait
pas dire que ce chiffre limite, ou peut limiter, l’appareil d’État
soviétiste.
Au contraire, outre les communistes, il
considérait comme faisant partie de notre appareil d’État le
million d’électeurs qui votèrent pour les bolcheviks à la veille
de la révolution d’Octobre ; il déclarait que nous pouvons
décupler notre appareil d’État, c’est-à-dire le porter au
moins à dix millions d’hommes, en faisant participer les
travailleurs à l’administration journalière de l’État.
Ces 240.000 hommes, dit Lénine, ont déjà
maintenant un million d’adeptes au moins, car, comme le confirme
l’expérience de l’Europe en général et celle de la Russie en
particulier (élections d’août à la Douma de Pétrograd), on peut
calculer ainsi le nombre des membres du parti d’après le nombre
des voix obtenues.
Nous voilà donc déjà en possession d’un «
appareil étatique» d’un million d’hommes, dont le dévouement à
l’État socialiste est basé sur des raisons d’ordre moral et non
sur l’attente de la forte somme à toucher le 20 du mois.
Bien plus, nous avons encore un moyen merveilleux
de décupler d’un coup notre appareil étatique, moyen dont aucun
Etat capitaliste n’a jamais pu et ne pourra jamais disposer. Ce
moyen, c’est la participation des classes pauvres à
l’administration journalière de l’État.
Comment faisons-nous « participer les
travailleurs, la population pauvre à l’administration journalière
de l’État » ?Au moyen de nos organisations d’initiative des
masses, commissions et comités de toutes sortes, conférences et
assemblées de délégués, qui se forment autour des soviets,
organes économiques, conseils d’entreprises, institutions
culturelles, organisations du parti et des Jeunesses, associations
coopératives diverses, etc., etc.
Souvent, nos camarades ne remarquent pas qu’autour
des organisations de base du parti, des soviets, des syndicats, des
Jeunesses communistes, etc., il y a une multitude d’organismes, de
commissions, d’assemblées auxquels participent des millions
d’ouvriers ou de paysans sans-parti et qui, par leur modeste labeur
journalier, créent en somme la vie de l’État soviétiste dont ils
sont la force.
Sans ces organisations groupant des millions
d’hommes, il serait impossible de gouverner et d’administrer
notre grand pays.
L’appareil d’État soviétiste n’est pas
formé par les soviets seulement.
Il comprend, au sens profond du terme, les soviets
ainsi que les innombrables groupements de communistes et de
sans-parti qui unissent les soviets aux masses, permettent à
l’appareil d’État de se confondre avec les masses et détruisent
peu à peu toute barrière entre l’appareil d’État et la
population.
Voilà comment nous « décuplons » notre
appareil d’État en le rapprochant des millions de travailleurs, en
le leur rendant sympathique, en l’épurant des vestiges de
bureaucratisme, en le fondant avec la masse et en préparant par là
la transition du régime de dictature du prolétariat à une société
sans Etat, à une société communiste.
Tels sont le sens et la portée du mot d’ordre
de vivification des soviets et de réalisation de la démocratie
soviétiste. Telles sont les mesures capitales qui renforceront notre
alliance avec les paysans dans le domaine administratif et
politique.Quant aux mesures propres à assurer cette alliance dans le
domaine de la culture et de l’éducation, il est superflu de s’y
étendre, car elles sont évidentes et universellement connues.
Je me bornerai à rappeler la ligne principale de
notre activité dans ce domaine. Il s’agit de préparer la
réalisation de l’instruction primaire obligatoire dans toute
l’U.R.S.S. Ce sera là une réforme immense, qui représentera un
triomphe splendide non seulement sur le front de l’instruction
publique, mais aussi sur les fronts politique et économique.
Cette réforme sera, pour notre pays, le prélude
d’un essor prodigieux. Mais elle exigera des centaines de millions
de roubles ; elle nécessitera presque un demi-million
d’instituteurs et d’institutrices. Néanmoins, nous devons la
préparer dès à présent, si nous voulons élever notre pays à une
civilisation supérieure. Et nous le ferons incontestablement.
II
Quels sont les dangers de dégénérescence du
parti que déterminera la stabilisation du capitalisme si elle se
prolonge ?
Ces dangers existent-ils vraiment ?
Oui, et ils existent indépendamment de la
stabilisation, qui ne fait que les rendre plus tangibles. Voici les
trois principaux de ces dangers :
a) Perte de la perspective socialiste dans
l’organisation de notre pays et, par suite, apparition d’une
tendance à liquider les conquêtes de la révolution ;
b) Perte de la perspective révolutionnaire
internationale et, partant, apparition du nationalisme ;
c) Disparition de
la direction du parti et, partant, possibilité detransformation du
parti en appendice de l’appareil étatique.
Commençons par le premier de ces dangers.
Il se caractérise par le scepticisme à l’égard
des forces intérieures de notre révolution, à l’égard de
l’alliance ouvrière et paysanne et du rôle dirigeant de la classe
ouvrière dans cette alliance, à l’égard de la transformation de
la « Russie de la Nep » en « Russie socialiste », à l’égard
de la réalisation du socialisme dans notre pays.
C’est là une mentalité qui mène à l’abandon
des principes et des buts de la révolution d’Octobre, à la
transformation de l’État prolétarien en Etat démocratique
bourgeois.
L’origine de cette mentalité est dans le
renforcement de l’influence bourgeoise sur notre parti sous le
régime de la Nep, caractérisé par une lutte à mort entre les
éléments capitalistes et les éléments socialistes au sein de
notre économie.
Les éléments capitalistes ne mènent pas
seulement la lutte dans le domaine économique, ils s’efforcent de
la transporter dans le domaine de l’idéologie, cherchant à
inspirer à nos détachements les moins fermes le scepticisme à
l’égard des possibilités de réalisation du socialisme, et l’on
ne saurait dire que leurs efforts aient été complètement stériles.
« Comment pouvons-nous, arriérés comme nous
sommes, réaliser le socialisme intégral ? Disent certains de
ces communistes contaminés.
L’état des forces de production de notre pays
ne nous permet pas de nous proposer des objectifs aussi utopiques.
Puissions-nous seulement nous maintenir tant bien que mal au pouvoir
sans penser au socialisme ! Faisons ce que nous pouvons pour le
moment, et après on verra. »
« Nous avons déjà accompli notre mission
révolutionnaire en faisant la révolution d’Octobre, disent
d’autres ; tout dépend maintenant de la révolution
internationale, car sans la victoire du prolétariat occidental, nous
ne pouvons réaliser le socialisme, et, à proprement parler, un
révolutionnaire n’a plus rien à faire en Russie. » On sait qu’en
1923, lors des événements révolutionnaires d’Allemagne, une
partie de la jeunesse de nos écoles était prête à abandonner ses
livres et à partir pour l’Allemagne, estimant qu’en Russie, un
révolutionnaire n’avait plus rien à faire et que son devoir était
d’aller accomplir la révolution en Allemagne.
Comme vous le voyez, ces deux groupes de «
communistes » nient, l’un et l’autre, les possibilités de
réalisation du socialisme dans notre pays ; ils ont une
mentalité de « liquidateurs ». La différence est que les premiers
couvrent cette mentalité par des raisonnements doctoraux sur les «
forces de production » (ce n’est pas pour rien que Milioukov les a
appelés, il y a quelques jours, dans ses Posliédnié Novosti, des «
marxistes sérieux »), tandis que les seconds la couvrent de phrases
gauchistes et « terriblement révolutionnaires » sur la révolution
mondiale.
En effet, admettons qu’un révolutionnaire n’ait
rien à faire en Russie, qu’il soit impossible de réaliser le
socialisme dans notre pays avant sa victoire dans les autres pays,
que la victoire du socialisme dans les pays avancés n’ait lieu que
dans dix ou vingt ans. Peut-on croire que, dans notre pays entouré
d’Etats bourgeois, les éléments capitalistes de notre économie
consentent à cesser leur lutte sans merci contre les éléments
socialistes et attendent, les bras croisés, le triomphe de la
révolution mondiale ?
Il suffit d’émettre cette supposition pour en
voir toute l’absurdité.
Mais alors, que reste-t-il à faire à nos «
marxistes sérieux » et à nos « terribles révolutionnaires » ?
Il ne leur reste qu’à suivre le courant et à se transformer peu à
peu en vulgaires démocrates bourgeois.
De deux choses l’une : ou bien nous considérons
notre pays comme la base de la révolution mondiale, nous possédons,
comme dit
Lénine, toutes les données nécessaires à la
réalisation du socialisme intégral, et alors nous devons
entreprendre cette réalisation, dans l’espoir de remporter une
victoire totale sur les éléments capitalistes de notre économie ;
ou bien nous ne considérons pas notre, pays comme la base de la
révolution mondiale, nous n’avons pas les données nécessaires à
l’édification du socialisme, il nous est impossible de le
réaliser, et alors, si la victoire du socialisme dans les autres
pays se fait attendre, nous devons nous résigner à voir les
éléments capitalistes de notre pays prendre le dessus, le pouvoir
des soviets se décomposer, le parti dégénérer.
Voilà pourquoi le scepticisme à l’égard des
possibilités de réalisation du socialisme mène à la liquidation
des conquêtes de la révolution et à la dégénérescence.
Voilà pourquoi notre parti doit lutter contre le
danger de liquidation, surtout dans la période de stabilisation
provisoire du capitalisme.
Passons au deuxième danger.
Il est caractérisé par le scepticisme envers la
révolution prolétarienne mondiale et le mouvement de libération
nationale des colonies et des pays vassaux ; par
l’incompréhension du fait que, sans l’appui du mouvement
révolutionnaire international, notre pays n’eût pu résister à
l’impérialisme mondial ; par l’incompréhension de cet
autre fait que le triomphe du socialisme dans un pays ne peut être
définitif (ce pays n’étant pas garanti contre une intervention)
tant que la révolution n’a pas vaincu au moins dans plusieurs
autres pays ; par l’absence de cet internationalisme
élémentaire qui veut que le triomphe du socialisme dans un pays
soit non pas une fin en soi, mais un moyen de développer et de
soutenir la révolution dans les autres pays.
C’est là la voie menant au nationalisme, à la
dégénérescence, à la liquidation totale de la politique
internationale du prolétariat, carceux qui sont atteints de cette
maladie considèrent notre pays non pas comme une partie du mouvement
révolutionnaire mondial, mais comme le début et l’achèvement de
ce mouvement, puisqu’ils estiment que l’on doit sacrifier aux
intérêts de notre pays ceux de tous les autres.
Faut-il soutenir le mouvement de libération
nationale en Chine ? A quoi bon ? N’est-ce pas
dangereux ? Est-ce que cela ne nous brouillera pas avec les
autres pays ? Ne serait-il pas mieux d’établir des sphères
d’influence en Chine de concert avec les puissances « civilisées
» et de nous emparer d’une partie de ce pays ? Ce serait
avantageux et nous ne risquerions rien…
Faut-il soutenir le mouvement d’émancipation en
Allemagne ? Est-ce que cela en vaut la peine ? Ne serait-il
pas mieux de se mettre d’accord avec l’Entente sur le traité de
Versailles et d’obtenir une petite compensation ?
Faut-il conserver notre amitié à la Perse, à la
Turquie, à l’Afghanistan ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Ne serait-il pas mieux de rétablir les sphères d’influence
d’accord avec certaine grande puissance ? Etc., etc.
Telle est cette mentalité nationaliste d’un
genre nouveau, qui tend à la liquidation de la politique extérieure
de la révolution d’Octobre et représente un bouillon de culture
pour les éléments de dégénérescence.
Si l’origine du premier danger est le
renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti dans la
politique intérieure, dans la lutte entre les éléments
capitalistes et socialistes de notre économie, l’origine du second
est dans le renforcement de l’influence bourgeoise sur le parti
dans la politique extérieure, dans la lutte des Etats capitalistes
contre la dictature du prolétariat.
Il est certain que la pression des Etats
capitalistes sur le nôtre est formidable, que les employés de notre
Commissariat des Affaires étrangères ne parviennent pas toujours à
y résister, que, pour éviter des complications internationales, ils
sont souvent tentés de s’engager dans la voie de moindre
résistance, dans la voie du nationalisme.
Il est évident que c’est seulement sur la base
de l’internationalisme conséquent, de la politique extérieure de
la révolution d’Octobre, que le premier Etat prolétarien peut
rester le porte-drapeau du mouvement révolutionnaire mondial ;
il est clair que la ligne de moindre résistance et le nationalisme
en politique extérieure signifient l’isolement et la décomposition
du pays de la première révolution victorieuse.
Voilà pourquoi l’absence d’une perspective
révolutionnaire internationale mène au danger de nationalisme et de
dégénérescence.
Voilà pourquoi la lutte contre le danger de
nationalisme dans la politique extérieure est un des devoirs du
parti.
Passons au troisième danger.
Ce danger est caractérisé par le scepticisme à
l’égard des forces intérieures du parti et de son rôle
dirigeant ; par la tendance de l’appareil d’État à
affaiblir la direction du parti, à s’en émanciper ; par
l’incompréhension du fait que, sans direction du parti communiste,
il ne peut y avoir de dictature du prolétariat.
Ce danger nous menace de trois côtés.
Premièrement, les classes que nous devons diriger
ont changé. Les ouvriers et les paysans ne sont plus les mêmes que
lors du communisme de guerre. Auparavant, la classe ouvrière était
déclassée et dispersée, les paysans étaient en proie à la
crainte de voir revenir le propriétaire foncier en cas de défaite
dans la guerrecivile, le parti était la seule force concentrée et
gouvernait d’une façon toute militaire. Maintenant, la situation
est tout autre. Il n’y a plus de guerre. Partant, le danger direct
qui groupait les masses travailleuses autour de notre parti n’existe
plus.
Le prolétariat s’est rétabli, il s’est élevé
sous le rapport matériel et intellectuel. Les paysans, eux aussi, se
sont élevés et développés.
L’activité de ces deux classes s’est accrue
et continuera de s’accroître. On ne peut plus gouverner d’une
façon militaire.
Il faut maintenant de la souplesse dans les
méthodes de direction. Il faut ensuite une attention extrême aux
besoins et aux aspirations des ouvriers et des paysans, il faut enfin
savoir amener au parti les ouvriers et paysans qui se sont
particulièrement fait remarquer par leur activité et leur
intelligence politiques.
Mais toutes ces qualités ne s’acquièrent pas
du jour au lendemain.
De là une disproportion entre ce qui est exigé
du parti et ce que celui-ci peut donner actuellement. De là aussi le
danger d’affaiblissement de la direction assumée par le parti, de
liquidation de la direction communiste.
En second lieu, il est à remarquer que, ces
derniers temps, au cours de la période d’essor économique,
l’appareil des organisations gouvernementales et autres s’est
fortement développé. Les trusts et syndicats, les organismes de
commerce et de crédit, les administrations, les groupements
éducatifs et la coopération sous toutes ses formes se sont
sensiblement accrus et élargis, recrutant des centaines de milliers
de travailleurs nouveaux, sans-parti pour la plupart.
Mais ces appareils n’augmentent pas seulement
numériquement.
Leur force et leur influence augmentent également.
Et plus leur importance s’accroît, plus leur pression sur le parti
devient sensible, plus ils résistent au parti. Il faut opérer un
regroupement des forces et une répartition des militants dirigeants
dans ces appareils de façon à assurer la direction du parti dans la
situation nouvelle où nous nous trouvons.
Mais cela est impossible à faire d’un seul
coup. De là le danger que l’appareil d’État se détache du
parti.
En troisième lieu, le travail lui-même est
devenu plus compliqué et plus varié. Je parle de notre travail
actuel de construction. De nouveaux domaines d’activité ont surgi
dans les villes et les campagnes. C’est pourquoi la direction est
devenue plus concrète.
Autrefois, on parlait toujours de direction «
d’ensemble ».
Maintenant, la direction « d’ensemble » n’est
que du verbiage, ce n’est plus de la direction. Il faut une
direction concrète. La période précédente a créé un type de
militant omniscient, prêt à répondre à n’importe quelle
question de théorie et de pratique. Maintenant ce type doit céder
la place à un type nouveau de militant spécialisé dans une ou deux
branches.
Pour diriger réellement, il faut connaître à
fond sa partie, il faut l’étudier consciencieusement, patiemment,
opiniâtrement. On ne peut diriger à la campagne sans connaître
l’agriculture, la coopération, la politique des prix, sans avoir
étudié les lois de l’économie rurale.
On ne peut diriger à la ville sans connaître
l’industrie, les conditions d’existence des ouvriers, leurs
revendications, leurs aspirations, sans connaître la coopération,
les syndicats, les clubs. Malheureusement, toutes ces connaissances
ne s’acquièrent pas en un clin d’œil.
Pour élever la direction communiste à la hauteur
de sa tâche, il faut élever avant tout le niveau des militants du
parti. Désormais, c’est la qualité du militant qui importe le
plus. Mais il n’est pas facile de l’élever rapidement. Les
anciennes habitudes de bâclage du travail, qui malheureusement
remplacent chez nous la science et l’expérience, sont encore
vivaces dans les organisations du parti.
C’est pourquoi la direction communiste dégénère
parfois en une accumulation d’ordres parfaitement inutiles, en une
« direction »verbale, purement imaginaire. C’est là un des
dangers les plus sérieux d’affaiblissement et de disparition de la
direction du parti.
Telles sont les raisons qui font que le danger de
disparition de la direction du parti mène à la désagrégation et à
la dégénérescence de ce dernier.
Voilà pourquoi combattre ce danger est un des
devoirs de notre parti.
III
Comment lutter contre la bourgeoisie rurale
(koulaks) sans attiser la lutte de classe ?
J’estime que cette question est trop abrégée
et, par suite, mal posée.
De quelle lutte de classe s’agit-il ? S’il
s’agit de la lutte de classe à la campagne en général, le
prolétariat ne la mène pas contre les koulaks seulement.
En effet, les antagonismes entre le prolétariat
et la paysannerie, n’est-ce pas la lutte de classe, quoique sous
une forme assez spéciale ?
Le prolétariat et les paysans constituent
actuellement les deux principales classes de notre société ;
entre ces deux classes il existe des antagonismes, qui peuvent, il
est vrai, être aplanis et le seront en fin de compte, mais qui
pourtant suscitent une lutte entre elles.
J’estime que, dans notre pays, la lutte de
classe entre la ville et la campagne, les ouvriers et les paysans, se
déroule sur trois fronts principaux :
a) La lutte entre l’ensemble du prolétariat
(personnifié par l’État) et la paysannerie au sujet des prix
limites sur les produits fabriqués et les denrées agricoles, au
sujet de la normalisation des impôts, etc. ; b) La lutte entre
l’ensemble du prolétariat (personnifié par l’État) et la
bourgeoisie rurale (koulaks) au sujet de la réduction des prix
exagérés fixés par les spéculateurs sur les denrées agricoles,
au sujetde l’imposition renforcée des koulaks, etc. ;
c) La lutte entre
les paysans pauvres, les ouvriers agricoles surtout, et la
bourgeoisie rurale.
Ces trois fronts, on le voit, n’ont pas la même
importance, et la lutte n’y revêt pas le même caractère. C’est
pourquoi notre attitude envers les formes de la lutte de classe sur
ces trois fronts doit être différente.
Examinons la question d’un peu plus près.
Premier front. — Le prolétariat (personnifié
par l’État), vu la faiblesse de notre industrie et l’impossibilité
d’obtenir des emprunts, a établi un ensemble de mesures pour
défendre notre industrie contre la concurrence étrangère et la
développer à l’avantage de toute notre économie, l’agriculture
y comprise.
Monopole du commerce extérieur, impôt agricole,
achat et vente par l’État des produits agricoles, plan général
pour le développement de l’économie nationale, telles sont ces
mesures basées sur la nationalisation des principales branches de
l’industrie, des transports, du crédit.
Ces mesures ont donné ce qu’elles devaient
donner : elles ont mis fin à la dégringolade des prix des produits
industriels et à renchérissement exagéré des denrées agricoles.
Mais il est clair que la paysannerie, obligée d’acheter des
produits industriels et de vendre des produits agricoles, préfère
acheter le meilleur marché et vendre le plus cher possible. De même,
elle voudrait que l’on supprimât complètement l’impôt
agricole, ou du moins qu’on le réduisît au minimum.
Voilà le terrain de la lutte entre le prolétariat
et la paysannerie.
L’État peut-il annuler purement et simplement
les mesures indiquées plus haut ? Non. Car ce serait,
actuellement, ruiner notre industrie,désagréger le prolétariat en
tant que classe, transformer notre pays en colonie agricole des pays
à industrie développée, couler toute notre révolution.
La paysannerie dans son ensemble a-t-elle intérêt
à la suppression de ces mesures ? Non, car leur suppression
signifierait actuellement le triomphe de l’évolution capitaliste.
Or celleci implique l’appauvrissement de la majorité des
paysans et l’enrichissement d’une poignée de riches, de
capitalistes.
Qui osera affirmer que les paysans ont intérêt à
leur propre appauvrissement, à la transformation de notre pays en
colonie, qu’ils ne sont pas profondément intéressés au
développement socialiste de notre économie ?
Voilà le terrain de l’alliance entre le
prolétariat et les paysans.
Est-ce à dire que nos organes industriels,
s’appuyant sur le monopole, puissent augmenter démesurément leurs
prix au détriment de la masse paysanne et de l’industrie
elle-même ? Jamais de la vie. Cela nuirait avant tout au
développement de l’industrie, qui, hier encore, anémique et
artificiellement entretenue, doit devenir demain un organisme robuste
et puissant.
De là notre campagne pour la réduction des prix
sur les produits fabriqués et pour l’augmentation du rendement du
travail. Vous savez que cette campagne a déjà donné d’assez bons
résultats.
Nos organes d’achat et de vente peuvent-ils
profiter du monopole pour jouer sur la baisse des produits agricoles
et ruiner ainsi les paysans au détriment du prolétariat et de toute
notre économie ? Jamais de la vie.
Une telle politique tuerait notre industrie, car
elle désorganiserait son marché intérieur et empêcherait
l’approvisionnement desouvriers en produits agricoles. De là notre
campagne contre les « ciseaux », campagne qui a déjà donné des
résultats favorables.
Enfin, nos organes locaux et centraux pour la
perception de l’impôt agricole peuvent-ils considérer la loi
comme quelque chose d’absolu et aller jusqu’à démolir les
granges et à ôter les toits des maisons des contribuables
indigents, comme cela s’est vu dans certains districts du
gouvernement de Tambov ? Jamais de la vie.
De tels procédés enlèvent au paysan toute
confiance dans le prolétariat et dans notre Etat. De là les
dernières mesures du parti pour réduire l’impôt agricole, lui
donner un caractère plus local, régulariser notre appareil fiscal,
liquider les abus qui se produisent en certains endroits. Ces
mesures, vous le savez, ont déjà en partie atteint leur but.
Nous avons donc, premièrement, la communauté
d’intérêts du prolétariat et de la paysannerie dans les
questions fondamentales, ces deux classes ayant avantage à la
réalisation du socialisme. De là le bloc ouvrier et paysan.
Nous avons, deuxièmement, des antagonismes entre
la classe ouvrière et les paysans dans les questions courantes. De
là une lutte au sein de ce bloc, lutte largement compensée par la
communauté d’intérêts des parties constituantes et qui cessera
lorsque les ouvriers et les paysans ne seront plus des classes,
lorsqu’ils seront les travailleurs d’une société sans classes.
Nous avons, troisièmement, des moyens et des
procédés pour résoudre ces antagonismes, en maintenant et en
consolidant le bloc ouvrier et paysan à l’avantage des deux
alliés. Et nous appliquons déjà avec succès ces procédés dans
la situation compliquée créée par la Nep et la stabilisation
temporaire du capitalisme.
Ainsi, devons-nous attiser la lutte de classe sur
ce front ? Nullement.
De tout ce que j’ai dit il découle au contraire
que nous devons atténuer par tous les moyens la lutte sur ce front,
en la modérant par
des accords et des concessions mutuelles et en
l’empêchant de revêtir des formes aiguës, de dégénérer en
collisions violentes. Et c’est ce que nous faisons. Nous avons
d’ailleurs toutes les possibilités pour le faire, car la
communauté d’intérêts qui unit paysans et ouvriers est plus
profonde que les antagonismes qui les séparent.
Comme vous le voyez, il ne saurait être question
d’attiser la lutte de classe sur le premier front.
Deuxième front. — Les combattants sont ici le
prolétariat (personnifié par l’État soviétiste) et la
bourgeoisie rurale. Les formes de la lutte de classe ont ici un
caractère aussi spécial que sur le premier front.
Voulant donner à l’impôt agricole un caractère
nettement progressif, l’État en fait peser le poids principalement
sur la bourgeoisie rurale.
Cette dernière riposte et met en œuvre toute la
force et toute l’influence dont elle dispose à la campagne pour
rejeter le fardeau de l’impôt sur les paysans moyens et pauvres.
Luttant contre la cherté et s’efforçant de
maintenir la stabilité des salaires, l’État établit, pour les
produits agricoles, des prix limites équitables qui correspondent
entièrement aux intérêts des paysans.
La bourgeoisie rurale riposte en achetant la
récolte des paysans pauvres et moyens, en accaparant des quantités
considérables de produits agricoles, qu’elle garde dans ses
granges afin de provoquer la hausse des prix et de réaliser ensuite
des bénéfices scandaleux.
Vous savez sans doute que, dans certaines
provinces, les koulaks ont réussi à faire monter le prix du blé
jusqu’à huit roubles le poud.
De là, sur ce front, une lutte de classe plus ou
moins voilée.
Il semble au premier abord qu’il soit de bonne
politique d’attiser lalutte de classe sur ce front. Mais rien n’est
plus faux. Là non plus,
nous n’avons aucun intérêt à accentuer la
lutte de classe. Nous pouvons et devons éviter une lutte de classe
aiguë, avec toutes les complications qu’elle entraînerait.
Nous pouvons et devons vivifier les soviets,
conquérir le paysan moyen et organiser les paysans pauvres dans les
soviets afin d’alléger l’imposition fiscale de la masse rurale
et faire payer la plus grande partie des impôts par les koulaks.
Comme vous le savez, nous avons déjà adopté à cet effet des
mesures qui donnent d’excellents résultats.
Nous pouvons et devons tenir à la disposition de
l’État des réserves alimentaires suffisantes pour exercer une
pression sur le marché, intervenir lorsque c’est nécessaire,
maintenir les prix à un niveau acceptable pour les masses
travailleuses et faire avorter ainsi les manœuvres des spéculateurs
ruraux. Vous savez que nous avons employé à cela, cette année,
plusieurs dizaines de millions de pouds de blé.
Les résultats que nous avons obtenus sont des
plus favorables, car non seulement nous avons réussi à maintenir le
pain à bon marché à Léningrad, Moscou, Ivanovo-Voznessensk, dans
le bassin du Donetz, etc., mais nous avons, dans plusieurs régions,
obligé le koulak à capituler en le contraignant de jeter sur le
marché les réserves de blé qu’il avait accumulées.
Il est évident que tout ne dépend pas de nous
seulement.
Il est possible que, dans certains cas, la
bourgeoisie paysanne elle-même veuille attiser la lutte de classe,
l’aggraver à l’extrême, la transformer en banditisme et en
soulèvements. Mais alors le mot d’ordre de l’aggravation de la
lutte de classe ne sera pas notre mot d’ordre, mais celui des
koulaks, donc un mot d’ordre contre-révolutionnaire.
D’ailleurs, il est certain que la bourgeoisie
rurale aura à se repentir de l’avoir lancé.Comme vous le voyez,
il ne saurait être question d’attiser la lutte sur le deuxième
front.
Troisième front. — Les forces en présence sont
ici les paysans pauvres, principalement les ouvriers agricoles, et la
bourgeoisie rurale. Formellement, l’État n’est pas en cause.
Ce front, on le voit, n’est pas si vaste que les
deux précédents. La lutte de classe y est claire, nettement
accusée, tandis qu’elle est plus ou moins masquée sur les deux
autres fronts.
Il s’agit de l’exploitation directe des
salariés ou demi-salariés par le paysan patron. C’est pourquoi
nous ne pouvons mener ici une politique d’adoucissement, de
modération. Notre tâche est d’organiser la lutte des paysans
pauvres contre la bourgeoisie paysanne et de la diriger.
Mais n’est-ce pas là attiser la lutte de
classe ? Nullement.
Attiser la lutte ne signifie pas seulement
l’organiser et la diriger. C’est aussi l’exacerber
artificiellement et intentionnellement. Des mesures artificielles ne
sont nullement nécessaires maintenant que nous avons la dictature du
prolétariat et que les organisations syndicales agissent avec la
plus entière liberté.
On ne saurait donc préconiser non plus
l’aggravation de la lutte de classe sur le troisième front.
Ainsi, la question de la lutte de classe dans les
campagnes n’est pas si simple qu’elle le semble à première vue.
IV
Gouvernement ouvrier-paysan comme réalité ou
comme mot d’ordre d’agitation ?
Cette question me semble quelque peu étrange. On
pourrait croire que le parti lance des mots d’ordre qui ne
correspondent pas à la réalité et ne servent qu’à masquer des
manœuvres habiles, qualifiées en l’occurrence d’ « agitation
». Il semblerait que le parti donne parfois des mots d’ordre qui
ne sont pas et ne peuvent pas être justifiés scientifiquement.
En est-il ainsi ? Evidemment, non.
Un parti qui agirait de la sorte ne serait pas le
parti du prolétariat, il n’aurait pas une politique scientifique,
il ne serait que l’écume à la surface des événements.
Notre gouvernement est, par son caractère, son
programme et sa tactique, un gouvernement ouvrier, prolétarien,
communiste. Il ne saurait y avoir là-dessus ni doute ni discussion.
Notre gouvernement ne peut avoir deux pronement ouvrier-paysan ?
Nullement.
Prolétarien par son programme et son travail
pratique sont prolétariens, communistes, et, dans ce sens, notre
gouvernement est certainement prolétarien et communiste.
Est-ce à dire qu’il ne soit pas en même temps
un gouvernement ouvrier-paysan ? Nullement Prolétarien par son
programme et son travail, il est en même temps un gouvernement
ouvrier-paysan.
Pourquoi ?
Parce que les intérêts fondamentaux de la masse
paysanne coïncident entièrement avec ceux du prolétariat.
Parce que les intérêts des paysans trouvent, par
suite, leur expression intégrale dans le programme du prolétariat,
du gouvernement soviétiste.
Parce que le gouvernement soviétiste s’appuie
sur le bloc des ouvriers et des paysans, basé sur la communauté de
leurs intérêts fondamentaux.
Parce que, enfin, dans les organes du
gouvernement, dans les soviets, il y a non seulement des ouvriers
mais aussi des paysans, quiluttent contre l’ennemi commun et
travaillent à la réalisation du socialisme avec les ouvriers, sous
la direction des ouvriers.
Voilà pourquoi le mot d’ordre du gouvernement
ouvrier-paysan n’est pas un simple mot d’ordre d’ « agitation
», mais un mot d’ordre révolutionnaire du prolétariat, qui
trouve sa justification scientifique dans le programme du communisme.
V
Certains camarades interprètent notre politique
envers les paysans comme un élargissement de la démocratie pour les
paysans et une modification du caractère du pouvoir. Cette
interprétation est-elle juste ?
Elargissons-nous réellement la démocratie dans
les campagnes ? Oui.
Est-ce une concession aux paysans ?
Certainement.
Cette concession est-elle considérable et
dépasse-t-elle les cadres de notre Constitution ?
J’estime qu’elle n’est pas très grande et
qu’elle ne change en rien notre Constitution.
Mais alors, que modifions-nous et en quoi consiste
à proprement parler notre concession ?
Nous modifions nos méthodes de travail à la
campagne, car elles ne répondent plus à la nouvelle situation. Nous
modifions le régime existant dans les villages, régime qui entrave
notre alliance avec les paysans et nuit aux efforts que fait le parti
pour grouper lapaysannerie autour du prolétariat.
Dans beaucoup de régions, les villages étaient
jusqu’à présent dirigés par un petit groupe d’hommes, beaucoup
plus liés avec les autorités du district et de la province qu’avec
les paysans.
Par suite, les administrateurs ruraux se
souciaient beaucoup plus de leurs supérieurs que de la population ;
ils se sentaient responsables non pas devant leurs électeurs, mais
devant les autorités du district et de la province, ne comprenant
pas que la direction supérieure et la population forment une seule
et même chaîne et que si cette chaîne se rompt par en bas, elle se
rompt aussi par en haut.
Résultat : absence de tout contrôle, arbitraire
de la part des administrateurs et mécontentement de la part des
administrés. Aussi, avons-nous dû, vous le savez, faire arrêter et
emprisonner beaucoup de présidents de comités exécutifs cantonaux
et de membres des cellules qui s’acquittaient déplorablement de
leurs fonctions.
Maintenant, nous supprimons résolument et
définitivement les abus à la campagne.
Dans beaucoup de régions, les élections des
soviets ruraux n’étaient jusqu’à présent que la simple
confirmation des députés présentés par un petit groupe de
dirigeants qui, dans la crainte de perdre le pouvoir, faisaient
pression sur la population pour l’amener à voter selon leurs vues.
Par suite, les soviets risquaient de devenir des organes étrangers
aux masses et la direction de la paysannerie par la classe ouvrière,
direction qui est la base de la dictature du prolétariat, était
fortement menacée.
C’est pourquoi le parti fut obligé de faire
procéder à la réélection des soviets. Cette réélection montra
que les anciens procédés, dans beaucoup de régions, étaient une
survivance du communisme deguerre et devaient être liquidés comme
essentiellement nuisibles.
C’est ce à quoi nous nous employons en ce
moment avec énergie.
Voilà l’essentiel de notre concession, la base
de l’élargissement de la démocratie dans les campagnes.
Cette concession n’est pas nécessaire aux
paysans seulement. Elle l’est aussi au prolétariat, car elle le
renforce, elle rehausse son prestige dans les campagnes, elle
raffermit la confiance des paysans à son égard. Nos concessions et
compromis ont pour but, comme on le sait, de renforcer en fin de
compte le prolétariat.
Quelles sont, pour le moment, les limites de nos
concessions ? Ces limites ont été fixées par la 14e
conférence du parti et le 3e congrès des soviets. Vous
savez qu’elles ne sont pas très larges et ne dépassent nullement
les cadres dont j’ai parlé. Mais il ne s’ensuit pas qu’elles
doivent rester immuables.
Loin de là, elles s’élargiront certainement au
fur et à mesure que notre économie se développera, que le
mouvement révolutionnaire se renforcera en Occident et en Orient et
que la situation internationale de l’État soviétiste se
consolidera.
Lénine parlait en mars 1918 de la nécessité
qu’il y aurait « d’étendre la constitution soviétiste à toute
la population, à mesure que cesserait la résistance des exploiteurs
».
Il s’agit, comme vous le voyez, d’étendre la
constitution à toute la population, la bourgeoisie y comprise. Mais
pendant les six années qui s’écoulèrent entre le moment où il
fit cette déclaration et sa mort, Lénine ne proposa jamais de
réaliser cet élargissement.
Pourquoi ? Parce qu’il est encore trop tôt.
Il faut attendre le moment où la situation intérieure et extérieure
de l’État soviétiste sera définitivement consolidée.
Voilà pourquoi, tout en prévoyant l’extension
de la démocratie dans un avenir plus ou moins rapproché, nous
estimons nécessaire de limiter, pour le moment, les concessions
démocratiques aux cadres fixés par la 14e conférence du
parti et le 3e congrès des soviets.
Ces concessions modifient-elles le caractère du
pouvoir ? Pas le moins du monde.
Introduisent-elles dans le système de la
dictature du prolétariat des modifications susceptibles d’affaiblir
cette dernière ? Nullement.
La dictature du prolétariat, loin de s’affaiblir,
se renforce lorsque les soviets se vivifient et que l’élite de la
paysannerie participe à l’administration. La direction de la
paysannerie par le prolétariat non seulement se maintient grâce à
l’élargissement de la démocratie, mais revêt un caractère plus
effectif, tout en créant une atmosphère de confiance autour du
prolétariat. Or, c’est là l’essentiel dans la dictature du
prolétariat en ce qui concerne les rapports entre le prolétariat et
la paysannerie.
Il ne faut pas croire que la notion de dictature
du prolétariat se réduise à la notion de violence. La dictature du
prolétariat n’est pas seulement la violence, mais aussi la
direction des classes non- prolétariennes par les masses
travailleuses, la réalisation progressive de l’économie
socialiste, plus parfaite que l’économie capitaliste et supérieure
à cette dernière par la productivité du travail. La dictature du
prolétariat est :
1° La violence, juridiquement non limitée,
envers les capitalistes et les propriétaires fonciers ;
2° La direction de la paysannerie par le
prolétariat ; 3° La réalisation progressive du socialisme
pour toute la société.
On ne saurait négliger un seul de ces trois
aspects sans déformer la notion de dictature du prolétariat. Seule,
leur réunion donne une idée complète, achevée de la dictature du
prolétariat.
La nouvelle tactique de démocratie soviétiste
est-elle défavorable à la dictature du prolétariat ?
Nullement.
Le cours nouveau que nous avons adopté renforce
au contraire la dictature du prolétariat.
Pour ce qui est de l’élément violence de la
dictature, violence dont l’armée rouge est l’expression, il est
superflu de démontrer que la réalisation de la démocratie
soviétiste dans les campagnes ne peut qu’améliorer l’état de
l’armée rouge en la soudant plus fortement au pouvoir soviétiste,
car l’armée est chez nous composée en majorité de paysans.
Pour ce qui est de l’élément direction, la
vivification des soviets facilitera au prolétariat cette direction
en raffermissant la confiance des paysans dans la classe ouvrière.
Quant à la réalisation du socialisme, il n’est guère nécessaire
de démontrer que le cours nouveau du parti ne peut que la faciliter,
car il consolidera le bloc ouvrier-paysan, sans lequel l’édification
du socialisme est impossible.
Donc, les concessions aux paysans, dans la
situation actuelle, renforcent le prolétariat et consolident sa
dictature, sans altérer le caractère du pouvoir.
VI
Notre parti fait-il des concessions à la droite
de l’Internationale communiste en raison de la stabilisation du
capitalisme, et si oui, est-ce vraiment une manœuvre tactique
indispensable ? Il s’agit apparemment du parti communiste
tchécoslovaque et de notre accord avec le groupe Sméral et
Zapotocky contre les éléments de droite dudit parti.
J’estime que notre parti n’a fait aucune
concession à la droite de l’Internationale communiste. Bien au
contraire, l’Exécutif élargi s’est efforcé d’isoler les
éléments de droite de l’I.C. Lisez les résolutions de l’I.C.
sur le parti tchécoslovaque, sur la bolchévisation, et vous verrez
qu’elles étaient dirigées principalement contre les éléments de
droite du communisme.
Voilà pourquoi on ne saurait parler de
concessions de notre parti à la droite de l’I.C.
Sméral et Zapotocky, à proprement parler, ne
sont pas de la droite.
Ils n’adoptent pas la plate-forme de Brünn. Ce
sont plutôt des hommes qui hésitent entre les léninistes et les
droitiers, tout en penchant légèrement pour ces derniers.
A l’Exécutif élargi, sous l’impression de
notre critique et la menace d’une scission provoquée par la
droite, ils se sont ralliés à nous et se sont engagés à faire
bloc avec les léninistes contre la droite.
Cet acte leur fait le plus grand honneur. Ne
devions-nous pas aller au-devant de ces éléments hésitants
lorsqu’ils ont commencé à pencher vers les léninistes,
lorsqu’ils ont fait des concessions aux léninistes contre la
droite ?
C’est là une chose évidente et il serait
triste d’avoir parmi nous des hommes incapables de comprendre les
principes élémentaires de la tactique bolchéviste. Les faits
n’ont-ils pas déjà montré que la politique de l’I. C. envers
le parti communiste tchécoslovaque est la seule juste ?
Sméral et Zapotocky ne continuent-ils pas, de
concert avec les léninistes, à lutter contre la droite ; la
tendance de Brünn n’est-elle pas déjà isolée dans le parti
tchécoslovaque ?
Mais, me demandera-t-on, cela durera-t-il
longtemps ? Je ne puis le savoir, je ne veux pas faire de
prophéties.
Toujours est-il que, tant qu’il y aura lutte
entre les partisans de Sméral et la droite, il y aura accord entre
Sméral et nous, et que si Sméral abandonne sa position actuelle,
cet accord cessera. Mais là n’est pas la question maintenant.
La question est que le bloc actuel contre la
droite renforce les léninistes, leur donne de nouvelles possibilités
d’entraîner à leur suite les hésitants.
C’est cela, et non pas les fluctuations
éventuelles de Sméral et de Zapotocky, qui importe pour le moment.
Il est des gens qui croient que les léninistes
doivent soutenir tous les braillards et neurasthéniques de gauche,
que, les léninistes sont toujours et partout les plus à gauche
parmi les communistes. C’est faux, camarades. Nous sommes à gauche
par rapport aux partis non-communistes de la classe ouvrière.
Mais nous n’avons jamais juré d’être « plus
à gauche que tout le monde », comme le voulait autrefois Parvus, ce
qui lui attira une semonce de Lénine. Parmi les communistes, nous ne
sommes ni « gauche », ni « droite », nous sommes simplement des
léninistes.
Lénine savait ce qu’il faisait en luttant sur
deux fronts, contre la déviation de gauche dans le communisme aussi
bien que contre la déviation de droite.
Ce n’est pas par hasard qu’il a consacré
toute une brochure au communisme de gauche, qu’il a appelé la
maladie infantile du communisme.
Je pense que cette sixième question ne m’aurait
pas été posée si l’on avait bien compris cela.
VII
N’est-il pas à craindre, avec le cours nouveau,
que l’agitation antisoviétiste ne se renforce à la campagne par
suite de la faiblesse des organisations rurales du parti ?
Ce danger existe incontestablement.
On ne peut guère douter que les élections des
soviets sous le mot d’ordre de la vivification signifient la
liberté de propagande électorale. Les éléments antisoviétistes
ne laisseront pas échapper une occasion aussi favorable de
s’introduire par la porte qui leur est ouverte et de saboter le
pouvoir soviétiste.
De là le danger d’un renforcement de
l’agitation antisoviétiste dans les campagnes. Les élections dans
le Kouban, en Sibérie, en Ukraine prouvent éloquemment l’existence
de ce danger, que la faiblesse de nos organisations rurales, ainsi
que les velléités d’intervention des puissances impérialistes,
contribuent certainement à accroître.
Quelles sont les causes de ce danger ?
A mon avis, il y en a au moins deux.
Premièrement, les éléments antisoviétistes
sentent qu’il s’est produit ces derniers temps dans les campagnes
un certain déplacement de forces en faveur de la bourgeoisie
paysanne, que, dans certaines régions, le paysan moyen s’est
tourné vers le koulak.
On pouvait déjà s’en douter avant les
dernières élections, mais maintenant le fait est indiscutable.
Telle est la principale cause qui fait que l’agitation
antisoviétiste dans les campagnes menace de revêtir un caractère
organisé.
Deuxièmement, dans plusieurs régions, nos
concessions aux paysansont été interprétées comme un signe de
faiblesse. On pouvait encore
en douter avant les élections, mais maintenant le
doute n’est plus possible. De là, le cri de guerre des éléments
réactionnaires des campagnes : « Allez-y plus fort ! » C’est là
la seconde cause, moins importante il est vrai, du renforcement de
l’agitation antisoviétiste dans les campagnes.
Les communistes doivent comprendre tout d’abord
que la période actuelle, dans les campagnes, est une période de
lutte pour le paysan moyen, qu’il nous faut à tout prix amener ce
dernier aux côtés du prolétariat, sinon le danger de l’agitation
antisoviétiste se renforcera et le cours nouveau du parti ne
profitera qu’aux réactionnaires.
Les communistes doivent comprendre ensuite que
l’on ne peut maintenant conquérir le paysan moyen qu’en
appliquant la nouvelle politique du parti dans la question des
soviets, de la coopération, du crédit, de l’impôt agricole, du
budget local, etc.; que les méthodes de pression administrative ne
peuvent que faire avorter cette politique ; qu’il faut, par
des mesures d’ordre économique et politique, convaincra le paysan
moyen de la justesse de notre tactique ; qu’on ne peut le
gagner que par l’exemple, par des leçons de choses.
Les communistes doivent comprendre, enfin, que le
cours nouveau est destiné non pas à raviver les éléments
antisoviétistes, mais à vivifier les soviets et à y attirer la
masse rurale, qu’il n’exclut pas, mais implique une lutte
vigoureuse contre les éléments antisoviétistes, que si ces
derniers crient :
« Allez-y plus fort ! », considérant nos
concessions aux paysans comme un signe de faiblesse et les utilisant
à des fins contre-révolutionnaires, il faut absolument leur
démontrer que le pouvoir des soviets est fort et leur rappeler que
la prison n’est pas loin.
Je pense que, si l’on comprend bien ces tâches
et si l’on s’en acquitte convenablement, le danger de
renforcement de l’agitation antisoviétiste dans les campagnes sera
écarté.
VIII
N’est-il pas à craindre qu’avec le
renforcement de l’influence des sans-parti, il se forme des
fractions organisées de sans-parti dans les soviets ?
Ce danger est très relatif. Il n’y a aucun
danger à ce que l’influence des sans-parti plus ou moins organisés
s’accroisse là où l’influence des communistes ne pénètre pas
encore. Il en est ainsi pour les syndicats dans les villes et les
associations sans-parti, plus ou moins soviétistes, dans les
campagnes. Le danger ne commence que lorsque les associations de
sans-parti songent à se substituer au parti.
D’où vient ce danger ?
Fait caractéristique, ce danger n’existe pas ou
presque pas dans la classe ouvrière. La raison en est qu’il existe
un nombreux contingent d’ouvriers sans-parti actifs qui gravitent
autour du parti, l’entourent d’une atmosphère de confiance et le
lient à des millions d’ouvriers.
Fait non moins caractéristique, ce danger est
particulièrement sensible parmi la paysannerie.
Pourquoi ? Parce que, dans la masse rurale,
le parti est faible, il n’a pas encore autour de lui un fort
contingent de sans-parti actifs, pouvant le relier aux dizaines de
millions de paysans. Or, nulle part, semble-t-il, nous n’avons un
besoin aussi urgent de sans-parti actifs que parmi les paysans.
Par conséquent, pour que les masses paysannes
sans-parti ne s’éloignent pas, ne se détachent pas du parti, il
faut créer autour de ce dernier un nombreux contingent de paysans
sans-parti actifs.
Mais on ne peut y arriver d’un seul coup, ou en
quelques mois. On ne peut recruter ce contingent dans la masse rurale
qu’avec le temps, au cours du travail journalier, par la
vivification des soviets, l’organisation de la coopération.
Pour cela, il faut que le communiste se comporte
différemment envers le sans-parti, qu’il le considère comme un
égal, qu’il ait confiance en lui, qu’il entretienne avec lui des
relations fraternelles.
On ne saurait exiger la confiance des sans-parti
si on leur répond par la méfiance. Lénine disait que la confiance
mutuelle doit être à la base des rapports entre communistes et
sans-parti. Il ne faut pas oublier ces paroles.
Créer une atmosphère de confiance mutuelle entre
communistes et sans-parti, voilà ce qu’il faut avant tout pour
préparer la formation d’un nombreux contingent de paysans actifs
groupés autour du parti.
Comment se crée cette confiance ?
Progressivement et non par des ordres. Elle ne peut se former, comme
le disait Lénine, que par le contrôle mutuel amical des communistes
et des sans-parti au cours du travail pratique.
Lors de la première épuration du parti, les
communistes ont été contrôlés par les sans-parti, ce qui a donné
d’excellents résultats et a eu pour effet de créer une atmosphère
de confiance autour du parti.
Les leçons de la première épuration, disait
alors Lénine, ont montré que le contrôle mutuel des communistes et
des sans-parti doit être étendu à tous les domaines de notre
travail. Je pense qu’il est temps de nous rappeler ces paroles de
Lénine et de les mettre en pratique.
Ainsi, c’est par une critique et un contrôle
mutuels au cours du travail journalier que l’on arrivera à créer
la confiance entre communistes et sans parti.
C’est là la voie que doit suivre le parti s’il
veut empêcher les sans-parti de se détacher de lui et créer autour
de ses organisations rurales un fort contingent de paysans actifs.
IX
Pourrons-nous, sans l’aide de l’étranger,
renouveler et augmenter considérablement le capital fondamental de
la grande industrie ? On peut comprendre cette question de deux
façons.
Ou bien on veut parler de l’aide immédiate à
l’État soviétiste sous forme de crédits accordés par les Etats
capitalistes, crédits qui seraient la condition nécessaire du
développement de l’industrie soviétiste.
Ou bien on veut parler de l’aide crue donnera le
prolétariat d’Occident à l’État soviétiste, après sa
victoire, en tant que condition nécessaire à l’organisation de
l’économie socialiste.
Je vais essayer de répondre à cette question
dans ses deux acceptions.
Tout d’abord, la grande industrie soviétiste
peut-elle, dans notre pays entouré d’Etats capitalistes, se
développer sans crédits extérieurs ?
Oui, elle le peut. Il y aura évidemment de
grandes difficultés à surmonter, de dures épreuves à traverser ;
néanmoins, en dépit de tous les obstacles, nous pourrons
industrialiser notre pays sans crédits extérieurs.
Les voies qui ont permis jusqu’à présent la
formation et le développement de puissants Etats industriels sont au
nombre de trois.
La première voie est celle des conquêtes et du
pillage des colonies.
C’est ainsi que s’est développée
l’Angleterre, qui s’est taillé des colonies dans toutes les
parties du monde, en a extrait durant deux siècles de la plus-value
pour renforcer son industrie et est devenue en fin de compte la «
fabrique » de l’univers. Cette voie ne nous convient nullement,
car la conquête et la spoliation coloniales sont incompatibles avec
l’essence du régime soviétiste.
La deuxième voie est celle des victoires
militaires et des contributions de guerre prélevées par un pays sur
un autre. C’est la voie qu’a suivie l’Allemagne, qui, après
avoir écrasé la France en 1870 et lui avoir extorqué cinq
milliards de francs, employa cette somme au développement de son
industrie.
Au fond, cette deuxième voie ne se distingue pas
de la première, et elle est, il va de soi, également incompatible
avec l’essence du régime soviétiste.
La troisième voie est celle des concessions et
des emprunts, qui ont pour effet de mettre un pays arriéré sous la
tutelle de pays à capitalisme plus développé.
Ainsi la Russie tsariste, accordant des
concessions aux puissances occidentales et en obtenant des emprunts,
tomba dans une situation de demi-colonie, ce qui n’excluait pas
pour elle la possibilité d’avoir par la suite un développement
industriel indépendant, à condition, évidemment, de faire quelques
guerres victorieuses et de mettre à sac quelques pays. Inutile de
démontrer que cette voie non plus ne convient pas au pays des
soviets.
Ce n’est pas pour nous remettre volontairement
sous le joug de l’étranger, au lendemain de notre victoire dans la
guerre civile, que nous avons., pendant trois ans, combattu, les
armes à la main, les impérialistes de tous les pays.
Il serait faux de croire que, dans la pratique, il
faille choisir une de ces voies et la suivre à l’exclusion des
autres. Un Etat peut parfaitement adopter une de ces voies, puis
s’engager dans une autre ; c’est ce que montre, entre
autres, l’exemple des Etats-Unis.
La raison en est que ces voies de développement,
malgré leurs différences, ont quelque chose de commun qui les
rapproche et les fait parfois se confondre : toutes, elles conduisent
à la création d’Etats industriels capitalistes, toutes, elles
impliquent l’afflux de « capitaux supplémentaires » de
l’extérieur, comme condition indispensable de la formation de ces
Etats.
Mais on ne saurait les confondre, les identifier,
car elles sont l’expression de trois méthodes différentes de
formation d’Etats capitalistes industriels, et chacune d’elles
imprime un caractère spécial à la physionomie de ces Etats.
Que reste-t-il à faire à l’État soviétiste,
pour lequel les anciennes voies de l’industrialisation sont
inadmissibles, s’il ne peut obtenir de capitaux sans se mettre sous
la tutelle des prêteurs ?
Il lui reste une autre voie, celle du
développement de la grande industrie sans crédit extérieur, sans
affluence du capital étranger, il lui reste la voie esquissée par
Lénine dans son article Peu mais bien.
Nous devons tâcher — dit Lénine — de
construire un Etat dans lequel les ouvriers maintiennent leur
direction sur les paysans, conservent la confiance de ces derniers et
se gardent strictement de tout superflu. Nous devons réduire notre
appareil d’État de façon à réaliser le maximum d’économie…
Si nous conservons à la classe ouvrière la
direction de la paysannerie, nous pourrons, en nous en tenant à une
rigoureuse économie dans notre production et notre appareil d’État,
employer les moindres sommes mises de côté pour développer
l’électrification…
C’est alors seulement que nous pourrons troquer
notre haridelle contre la monture nécessaire au prolétariat : la
grande industriemécanique, l’électrification, l’utilisation de
la force des cours d’eau, etc.
Voilà la voie où notre pays s’est déjà
engagé et qu’il doit continuer de suivre pour développer sa
grande industrie et devenir un Etat industriel prolétarien.
Cette voie n’a pas été explorée par les Etats
bourgeois. Mais cela ne signifie nullement qu’elle soit
impraticable pour un Etat prolétarien.
Ce qui est impossible, ou presque impossible, en
l’occurrence aux Etats bourgeois convient parfaitement à l’État
prolétarien.
Car l’État prolétarien a des avantages que
n’ont pas et ne peuvent pas avoir les Etats bourgeois. Industrie,
transport et crédit nationalisés, commerce extérieur monopolisé,
commerce intérieur réglé par l’État : autant de sources de «
capitaux supplémentaires » susceptibles d’être utilisés pour le
développement de l’industrie de notre pays et dont les Etats
bourgeois n’ont jamais disposé. L’État prolétarien, lui, les
utilise et il a déjà obtenu des résultats importants dans le
développement de notre industrie.
Voilà pourquoi cette voie de développement, qui
n’est pas accessible aux Etats bourgeois, l’est parfaitement pour
un Etat prolétarien, malgré toutes les difficultés qu’elle
présente.
Il faut remarquer en outre que le capital étranger
ne peut continuer à nous boycotter éternellement. Il a déjà
commencé, en petite quantité, à venir dans notre pays. Nul doute
que cette tendance ne se renforce à mesure que notre économie se
consolidera.
Passons maintenant à la seconde interprétation
de la question.
Pouvons-nous construire une économie socialiste
dans notre pays sans la victoire préalable du socialisme dans les
principaux pays européens, sans l’aide technique du prolétariat
européen victorieux ?
Avant d’examiner cette question, je voudrais
dissiper un malentendu des plus fréquents.
Certains camarades identifient la question du
renouvellement de l’outillage et de l’accroissement du capital
fondamental de la grande industrie avec la question de l’édification
de l’économie socialiste.
Cette identification est-elle justifiée ?
Non.
Pourquoi ?
Parce que la première question est beaucoup plus
étroite que la seconde. Parce que l’élargissement du capital
fondamental de l’industrie n’embrasse qu’une partie de
l’économie nationale, l’industrie, tandis que la question de
l’édification de l’économie socialiste embrasse toute
l’économie nationale, c’est-à-dire l’industrie et
l’agriculture.
Parce que le problème de la réalisation du
socialisme, c’est le problème de l’organisation intégrale de
l’économie nationale, c’est le problème de la coordination
rationnelle de l’industrie et de l’agriculture, tandis que la
question de l’élargissement du capital fondamental de l’industrie
n’effleure même pas, à strictement parler, ce problème.
Le capital fondamental de l’industrie peut se
renouveler et s’élargir sans que le problème de l’édification
de l’économie socialiste soit par là même résolu.
Le socialisme est une association de production et
de consommation des travailleurs de l’industrie et de
l’agriculture. Si, dans cette association, l’industrie n’est
pas en harmonie avec l’agriculture, qui donne les matières
premières, les denrées alimentaires et absorbe les produits
industriels, si l’industrie et l’agriculture ne constituent pas
un tout économique, il n’y aura jamais de socialisme.
Voilà pourquoi la question des rapports entre
l’industrie et l’agriculture, le prolétariat et les paysans, est
capitale pour l’édification de l’économie socialiste.Voilà
pourquoi le renouvellement de l’outillage et l’accroissement du
capital fondamental de la grande industrie ne doivent pas être
confondus avec l’édification de l’économie socialiste.
Ainsi, est-il possible d’édifier le socialisme
chez nous sans le triomphe préalable du socialisme dans les autres
pays, sans l’aide technique et matérielle directe du prolétariat
d’Occident ?
Cela est non seulement possible, mais nécessaire
et inévitable. Car nous procédons déjà à la réalisation du
socialisme en développant l’industrie nationalisée, en la soudant
à l’agriculture, en introduisant la coopération dans les
campagnes, en incluant l’économie paysanne dans le système
général de l’économie soviétiste, en vivifiant les soviets, en
incorporant la masse de la population à l’appareil étatique, en
créant une nouvelle culture et un nouvel ordre social.
Dans cette voie, à coup sûr, nous aurons à
surmonter des difficultés et des épreuves sans nombre. Il n’est
pas douteux que la victoire du socialisme en Occident faciliterait
grandement notre tâche.
Mais cette victoire n’arrive pas aussi vite que
nous le voudrions ; d’ailleurs, les difficultés auxquelles
nous nous heurtons ne sont pas insurmontables ; la preuve en est
que nous en avons déjà surmonté une partie.
Je voudrais maintenant vous donner un aperçu
historique de la question et vous en montrer l’importance pour le
parti.
Abstraction faite de la discussion de 1905-1906,
la question de la réalisation du socialisme dans un pays isolé
s’est posée pour la première fois dans le parti au cours de la
guerre impérialiste, en 1915.
Lénine formula alors sa thèse de la «
possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays
capitaliste ». Trotsky la combattit et déclara : « On ne saurait
espérer, par exemple, que la Russie puisse tenir contre l’Europe
conservatrice ».
En 1921, après la révolution d’Octobre et la
guerre civile, la question de la réalisation du socialisme vint de
nouveau à l’ordre du jour dans le parti. C’était le moment où
l’adoption de la nouvelle politique économique était interprétée
par certains camarades comme une renonciation aux tâches
socialistes, à l’édification du socialisme.
Dans sa brochure L’impôt agricole, Lénine
définit alors la Nep comme la condition nécessaire pour réaliser
la soudure de l’industrie et de l’économie rurale et créer une
base solide pour l’édification du socialisme. En janvier 1922,
dans la préface de son ouvrage intitulé : 1905, Trotsky soutient
une thèse tout opposée.
Il déclare que « les contradictions auxquelles
un gouvernement ouvrier est aux prises dans un pays arriéré, à
population rurale prédominante, ne peuvent trouver leur solution
qu’à l’échelle internationale, sur l’arène de la révolution
mondiale du prolétariat ».
Un an après, nous avons de nouveau deux
déclarations contraires : celle de Lénine au soviet de Moscou : «
La Russie de la Nep deviendra la Russie socialiste » et celle de
Trotsky dans la postface de son Programme de paix : « L’essor
véritable de l’économie socialiste en Russie ne sera possible
qu’après la victoire du prolétariat dans les principaux pays
d’Europe ».
Enfin, peu avant sa mort, en mai 1923, Lénine
revient à cette question dans son article De la coopération, où il
déclare que nous possédons, dans notre Union soviétique, « tout
ce qui est nécessaire à la réalisation du socialisme intégral ».
De cet historique succinct, il ressort que la
réalisation du socialisme dans notre pays est un des problèmes qui
ont le plus préoccupé notre parti. Inutile de dire que si Lénine
est si souvent revenu à cettequestion, c’est qu’il la
considérait comme fondamentale.
Dans la suite, l’essor de notre économie,
l’aggravation de la lutte entre les éléments socialistes et
capitalistes et surtout la stabilisation provisoire du capitalisme
ont encore accru l’importance de la question de l’édification
socialiste. En quoi cette question est-elle importante pour le
travail pratique de notre parti ?
En ce qu’elle concerne la perspective et les
objectifs de notre œuvre de construction. On ne peut construire sans
savoir ce qu’on construit.
On ne peut avancer sans connaître la direction à
suivre. La question de la perspective est essentielle pour notre
parti, habitué à avoir toujours devant lui un but clair et précis.
Construisons-nous en vue du socialisme dont nous
escomptons la victoire finale, ou bien construisons-nous à
l’aveuglette, en fumant, dans l’attente de la révolution
socialiste mondiale, le sol où fleurira la démocratie bourgeoise ?
C’est là, en ce moment, une question fondamentale et qui exige une
réponse claire.
Des milliers de militants du parti, des syndicats,
des coopératives, des organisations économiques et culturelles, de
l’armée rouge, des Jeunesses s’adressent à nous et nous
demandent : Quel est le but de notre travail, que construisons-nous ?
Et malheur aux chefs qui ne sauront pas ou ne
voudront pas donner à cette question une réponse claire et précise,
qui louvoieront, renverront les gens de Pilate à Hérode et
chercheront à noyer dans les brumes de leur scepticisme
d’intellectuels les perspectives socialistes de notre édification.
Un des grands mérites du léninisme, c’est de
ne pas faire le travail à l’aveuglette, de ne pas concevoir
l’édification sans une perspective déterminée, de définir
clairement notre perspective en déclarant que nous avons toutes les
données nécessaires à la réalisation du socialisme intégral et
que, par suite, nous devons nous mettre à l’œuvre sans retard.
Voilà ce qu’il en est de la possibilité de
réalisation du socialisme.
Autre chose est de savoir si nous parviendrons à
coup sûr à transformer cette possibilité en réalité. Cela ne
dépend pas uniquement de nous. Cela dépend aussi de la force des
ennemis et des amis que nous avons à l’étranger.
Nous arriverons à notre but si on nous laisse la
paix, si la période de « trêve » se prolonge, si de puissants
Etats capitalistes ne nous attaquent pas, si la force du mouvement
révolutionnaire international et de notre pays suffit à rendre
impossible toute tentative sérieuse d’intervention. Et, au
contraire, nous n’arriverons pas à réaliser le socialisme si une
intervention militaire victorieuse nous terrasse.
X
Indiquez-nous les principales difficultés que, en
raison de la stabilisation du capitalisme et du retard de la
révolution mondiale, nous aurons à surmonter dans notre action
communiste et soviétiste, et principalement dans les rapports entre
le parti et la classe ouvrière, la classe ouvrière et les paysans.
Ces difficultés, à ne considérer que les
principales, sont au nombre de cinq. La stabilisation du capitalisme
les accentue quelque peu.
Première difficulté. — Elle résulte du danger
d’intervention. Cela ne veut pas dire que nous soyons menacés d’un
danger immédiat d’intervention, que les impérialistes soient déjà
prêts à attaquer notre pays et en état de le faire.
Il faudrait pour cela que l’impérialisme soit
au moins aussi puissant qu’il l’était avant la guerre, ce qui
n’est pas le cas.La guerre du Maroc et l’intervention en Chine,
répétitions des guerres et interventions futures, montrent
nettement que le capitalisme est affaibli.
Il ne s’agit donc pas d’un danger direct
d’intervention, mais de la permanence d’un danger d’intervention
tant qu’existe l’encerclement capitaliste, et, partant, de la
nécessité pour nous d’entretenir une armée et une flotte de
guerre, qui engloutissent chaque années des centaines de millions de
roubles, ce qui nous oblige à réduire d’autant nos dépenses dans
les domaines culturel et économique.
S’il n’y avait pas de danger d’intervention,
nous pourrions employer cet argent à renforcer l’industrie, à
améliorer l’agriculture, à assurer l’instruction primaire
obligatoire, etc. Ainsi, le danger d’intervention entrave dans une
certaine mesure notre œuvre de construction, nous crée une première
difficulté.
Cette difficulté, il ne dépend pas seulement de
nous de la vaincre ; elle ne peut être surmontée que par les
efforts simultanés de notre pays et du mouvement révolutionnaire
des autres pays.
Deuxième difficulté. — Elle découle des
antagonismes entre le prolétariat et la paysannerie. J’en ai déjà
parlé dans mon analyse de la lutte de classe dans les campagnes, et
il est inutile d’y revenir.
Ces antagonismes se manifestent dans la question
des prix des produits industriels et agricoles, de l’administration
rurale, etc. Le danger réside ici dans la désagrégation du bloc
ouvrier-paysan et dans l’affaiblissement de la direction exercée
par la classe ouvrière sur la paysannerie.
Ce qui distingue cette difficulté de la
précédente, c’est qu’elle peut être entièrement surmontée
par nos propres forces.
Le cours nouveau dans les campagnes, voilà ce
qu’il faut pour vaincre cette difficulté.Troisième difficulté. —
Elle découle des antagonismes qui se manifestent entre le « centre
» et les régions périphériques de l’U.R.S.S. et qui ont leur
source dans la diversité de développement économique et culturel
des différentes parties de notre pays. Si l’on peut considérer
les antagonismes politiques comme surmontés, les antagonismes
culturels et surtout économiques commencent seulement à apparaître.
Le danger est double : tout d’abord danger de
morgue et d’arbitraire bureaucratique des institutions centrales,
ne sachant pas ou ne voulant pas donner l’attention nécessaire aux
besoins des républiques nationales ; ensuite, danger
d’isolement national, de méfiance nationale des républiques et
des régions autonomes à l’égard du « centre ».
La lutte contre ces dangers, le premier surtout,
est nécessaire pour venir à bout des difficultés qui se présentent
dans la question nationale. La troisième difficulté que nous venons
d’exposer peut, comme la précédente, être surmontée par les
forces intérieures de l’Union soviétique.
Quatrième difficulté. — Elle provient de la
possibilité pour l’appareil d’État de se détacher du parti,
d’échapper peu à peu à la direction de ce dernier. J’ai parlé
de ce danger en analysant le danger de dégénérescence du parti.
Inutile de répéter.
Ce danger est entretenu par l’existence
d’éléments bureaucratiques bourgeois au sein de l’appareil
étatique et considérablement renforcé par l’extension et
l’importance croissantes de cet appareil.
Notre devoir est de réduire le plus possible
l’appareil d’État, d’en éliminer les éléments qui y
introduisent le bureaucratisme et l’influence bourgeoise, de
répartir les forces du parti dans les principaux centres de
l’appareil d’État et de mettre ainsi ce dernier sous la
direction communiste.La quatrième difficulté peut également être
surmontée par nos propres forces.
Cinquième difficulté. — Il est à craindre que
les organisations communistes et syndicales ne s’éloignent de la
masse ouvrière et ne négligent les besoins et les aspirations de
cette masse. Ce danger provient de d’existence d’éléments
bureaucratiques existant dans nombre d’organisations communistes et
syndicales, y compris les cellules et les comités d’entreprises.
Il s’est encore accru ces derniers temps par
suite de l’adoption du mot d’ordre « Face à la campagne », qui
a eu pour résultat de concentrer l’attention de nos organisations
sur la paysannerie.
Beaucoup de camarades n’ont pas compris que,
tout en faisant face à la campagne, il ne fallait pas tourner le dos
au prolétariat, que notre nouveau mot d’ordre ne pouvait être
réalisé que par les forces du prolétariat, que la négligence des
besoins de la classe ouvrière ne pouvait que contribuer à détacher
les organisations communistes et syndicale des masses ouvrières.
Quels sont les symptômes de ce danger ?
Premièrement, l’attention insuffisante de nos
organisations communistes et syndicales aux besoins et aspirations
des masses ouvrières.
Deuxièmement, l’inintelligence du fait que les
ouvriers ont maintenant davantage 4e sentiment de leur
dignité, qu’ils se sentent davantage classe dirigeante, qu’ils
ne comprennent pas et ne souffriront pas les procédés
bureaucratiques des organisations communistes et syndicales.
Troisièmement, l’incompréhension du fait qu’on
ne doit pas donner aux ouvriers des ordres irréfléchis, que,
maintenant, il ne s’agit plusde donner des ordres, mais de gagner
la confiance de toute la classe ouvrière.
Quatrièmement, l’incompréhension du fait que
l’on ne peut réaliser des réformes de quelque envergure dans le
travail à l’usine sans éclairer préalablement les ouvriers sur
la question, sans prendre leur avis dans des conférences
industrielles.
Aussi est-il à craindre, comme l’ont montré
les récents conflits du textile, que les organisations communistes
et syndicales ne se détachent de la masse ouvrière et que des
conflits n’éclatent dans les entreprises.
Telles sont les caractéristiques de la cinquième
difficulté.
Pour la surmonter, il faut avant tout épurer les
organisations communistes et syndicales de tous les éléments
nettement bureaucratiques, renouveler les comités d’entreprises,
stimuler l’activité des conférences industrielles, concentrer le
travail du parti dans les grandes cellules industrielles et y
détacher nos meilleurs militants.
Plus d’attention aux besoins et aux aspirations
de la classe ouvrière !
Moins de formalisme bureaucratique dans le travail de nos organisations communistes et syndicales, plus de respect pour la dignité des ouvriers !
La Prolétariatis Brdzola [la Lutte du
prolétariat], n°11, 15 août 1905. Article non signé. Traduit
du géorgien.
Je dois tout d’abord m’excuser
auprès du lecteur d’avoir tardé à répondre. Qu’y faire ? Les
circonstances m’ayant obligé à travailler dans un autre domaine,
force m’a été de différer ma réponse ; nous ne disposons pas de
nous-mêmes vous le savez bien.
Je tiens encore à faire remarquer
ceci : beaucoup de gens croient que la brochure : Coup d’œil
rapide sur les divergences dans le parti a pour auteur le Comité
de l’Union et non une seule personne. Je dois déclarer que cette
brochure est de moi. Le Comité de l’Union n’a fait que l’éditer.
Et maintenant, abordons le sujet.
L’adversaire m’accuse de « ne pas apercevoir l’objet du
débat », « d’escamoter les questions » (1) ; il
prétend que ce sont « les questions d’organisation et non
celles de programme qui sont matière à litige » (p. 2).
Il suffit d’être un peu
observateur pour découvrir la fausseté des affirmations de
l’auteur. En effet, ma brochure est une réponse au premier
numéro du Social-démocrate, elle était déjà sous presse
quand a paru le second numéro du Social-démocrate.
Que disait l’auteur dans le premier numéro ?
Simplement que la « majorité » s’est engagée dans la
voie de l’idéalisme et que sa position « contredit
foncièrement » le marxisme.
Ici, pas un mot sur les questions d’organisation.
Que devais-je répondre ? Ce que j’ai répondu : que la
« majorité » se place sur les positions du marxisme
authentique, et que si la « minorité » ne l’a pas
compris, c’est qu’elle-même s’est écartée du marxisme
authentique.
Quiconque entend quelque chose à la polémique
aurait agi de même. Mais l’auteur ne fait que répéter : pourquoi
ne dis-tu rien des questions d’organisation ? Si je n’en dis
rien, honorable philosophe, c’est parce que vous n’en aviez
soufflé mot à cette date.
Comment répondre à des questions qui n’ont pas
encore été posées ? Il est évident que « les problèmes
escamotés », « l’objet du débat passé sous
silence », etc…, ne sont qu’inventions de l’auteur. J’ai,
en revanche, toute raison de croire que c’est lui qui passe sous
silence certaines questions.
Il déclare que les « problèmes
d’organisation sont matière à litige », alors qu’il
existe aussi entre nous des divergences de tactique, qui ont
beaucoup plus d’importance que les divergences en matière
d’organisation. pourtant notre « critique » n’en a
pas soufflé mot dans sa brochure. C’est bien ce qui s’appelle
« escamoter les problèmes ».
Qu’est-il dit dans ma brochure ?
La vie sociale, de nos jours, est
organisée sur le mode capitaliste. Il existe deux grandes classes :
la bourgeoisie et le prolétariat, engagés dans une lutte à mort.
Les conditions de vie de la bourgeoisie l’obligent à consolider le
régime. Les conditions de vie du prolétariat l’obligent à saper
ce régime, à le détruire.
Deux consciences s’élaborent qui correspondent
à ces deux classes : l’une bourgeoise, l’autre socialiste. A la
situation du prolétariat correspond la conscience socialiste. C’est
pourquoi le prolétariat fait sienne cette conscience, se l’assimile
est lutte avec une énergie redoublée contre le régime capitaliste.
Est-il besoin de dire que, s’il n’y avait ni
capitalisme ni lutte des classes, il n’y aurait pas non plus de
conscience socialiste ? Mais à présent la question est de savoir
qui élabore, qui a la possibilité d’élaborer cette conscience
socialiste (c’est-à-dire le socialisme scientifique).
Kautsky
dit, et je reprends sa pensée, que la masse des prolétaires, tant
qu’ils restent des prolétaires, n’a ni le temps, ni la
possibilité d’élaborer une conscience socialiste. « La
conscience socialiste d’aujourd’hui ne peut surgir que sur la
base d’une profonde connaissance scientifique » (2), dit
Kautsky.
Or les représentants de la science sont des
intellectuels comme Marx, Engels, d’autres encore, qui ont le temps
et la possibilité de se placer à la pointe de la science et
d’élaborer une conscience socialiste. Il est évident que
l’élaboration d’une conscience socialiste est l’oeuvre d’un
petit nombre d’intellectuels social-démocrates qui disposent du
temps et des moyens nécessaires.
Mais quelle importance a, par
elle-même, la conscience socialiste si elle ne s’est pas propagée
dans le prolétariat ? Elle restera une phrase creuse, rien de plus !
Il en ira tout autrement si cette conscience se
répand dans le prolétariat : d’un pas accéléré vers
une vie socialiste.
C’est
alors qu’intervient la social-démocratie (et non seulement les
intellectuels social-démocrates), qui introduit la conscience
socialiste dans le mouvement ouvrier. C’est ce que Kautsky a en vue
quand il dit que « la conscience socialiste est un élément
importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat »
(3).
Ainsi, la conscience socialiste est
élaborée par un petit nombre d’intellectuels social-démocrates.
Cette conscience est introduite dans le mouvement ouvrier par la
social-démocratie dans son ensemble, qui donne à la lutte spontanée
du prolétariat un caractère conscient.
C’est de cela qu’il est question
dans ma brochure.
Telle est la position du marxisme et
aussi de la « majorité ».
Qu’oppose à cela mon adversaire ?
A vrai dire, rien de substantiel. Il
est bien plus préoccupé d’invectiver que d’élucider la
question. Il a l’air joliment fâché !
Il n’ose poser les questions ouvertement, il n’y
répond pas directement ; mais ce « foudre de guerre »
pusillanime évite l’objet même du débat, estompe hypocritement
les questions clairement posées et, par surcroît, assure : j’ai
élucidé l’ensemble des questions en un tournemain !
C’est ainsi que l’auteur n’envisage
absolument pas l’élaboration de la conscience socialiste,
il ne se décide pas à dire franchement de quel côté il se range
dans cette question : du côté de Kautsky ou du côté des
« économistes ».
Il est vrai que dans le premier numéro du
Social-démocrate notre critique a fait des déclarations
assez osées: il parlait alors carrément le langage des
« économistes ».
Mais qu’y faire ?
Alors, il disait une chose ; maintenant son
« humeur a changé » et, au lieu de critiquer, il élude
la question, peut-être parce qu’il s’est rendu compte de son
erreur sans toutefois se résoudre à la reconnaître ouvertement. En
somme, notre auteur est pris entre deux feux.
Il n’arrive pas à savoir de quel côté il doit
se ranger. S’il se joint aux « économistes », il lui
faudra rompre avec Kautsky et le marxisme ; or, il n’y trouve pas
son profit ; s’il rompt avec « l’économisme » et se
joint à Kautsky, il devra nécessairement souscrire à ce que dit la
« majorité », — et il n’en a pas le courage. Ce qui
fait qu’il est pris entre deux feux. Que restait-il à faire à
notre « critique » ? Il vaut mieux ne rien dire,
décide-t-il : et en effet, il passe lâchement sous silence la
question posée plus haut.
Que dit l’auteur au sujet de
l’introductionde la conscience ?
Là encore, il fait preuve de la même
hésitation, de la même pusillanimité? Il escamote la question et
déclare avec beaucoup d’aplomb : Kautsky ne dit pas du tout que
« les intellectuels importent du dehors le socialisme dans la
classe ouvrière » (p. 7).
Fort bien, mais nous autres,
bolchéviks, ne le disons pas non plus, monsieur le « critique »
; quel besoin avez-vous de vous battre contre des moulins à vent ?
Comment
n’arrivez-vous pas à comprendre que, selon nous, selon les
bolchéviks c’est la social-démocratie qui introduit la conscience
socialiste dans le mouvement ouvrier (4), et non les seuls
intellectuels social-démocrates ? Pourquoi pensez-vous que le Parti
social-démocrate est composé uniquement d’intellectuels ?
Ignoreriez-vous que la social-démocratie compte
dans ses rangs beaucoup plus d’ouvriers que d’intellectuels ? Les
ouvriers social-démocrates ne peuvent-ils pas introduire la
conscience socialiste dans le mouvement ouvrier ?
L’auteur se rend visiblement compte
de la faiblesse de son « argumentation » et il passe à
un autre « argument » :
Kautsky écrit, poursuit notre
« critique » : « En même temps que le prolétariat,
naît avec une nécessité naturelle une tendance
socialiste, aussi bien chez les prolétaires que chez ceux qui
adoptent le point de vue du prolétariat ; ainsi s’explique la
naissance des aspirations socialistes ».
D’où il résulte, commente notre « critique »,
que le socialisme n’est pas importé du dehors dans le
prolétariat, mais qu’au contraire il sort du prolétariat et entre
dans la tête de ceux qui adoptent les conceptions du prolétariat.
(Réponse au Comité de l’Union).
Ainsi parle notre « critique »
qui s’imagine avoir élucidé la question ! Que signifient les
termes de Kautsky ? Simplement que l’aspiration socialiste
naît d’elle-même dans le prolétariat.
Et cela est juste, bien entendu. Notre débat
porte non sur l’aspiration socialiste, mais sur la conscience
socialiste ! Qu’y a-t-il de commun entre l’une et l’autre ?
La conscience et l’aspiration sont-elles une
seule et même chose ? L’auteur ne peut-il vraiment distinguer
entre la « tendance socialiste » et la « conscience
socialiste » ? Et n’est-ce pas indigence de pensée que de
conclure des termes de Kautsky que le « socialisme n’est pas
importé du dehors »?
Quoi de commun entre la « naissance de la
tendance socialiste » et l’introduction de la conscience
socialiste ? Le même Kautsky ne dit-il pas que la « conscience
socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte
de classe du prolétariat » ? (Voir Que faire ?).
Il faut croire que l’auteur se rend
compte qu’il s’est mis en fâcheuse posture et, pour terminer, il
se voit obligé d’ajouter :
De la citation de Kautsky il ressort
en effet que la conscience socialiste est importée du dehors dans la
lutte de classe. (Voir la Réponse au Comité de l’Union,
p. 7).
Toutefois il ne se décide pas à
reconnaître franchement, courageusement, cette vérité
scientifique. Notre menchévik fait preuve en face de la logique, ici
encore, des mêmes hésitations et de la même pusillanimité que
précédemment.
Telle est la « réponse »
équivoque que monsieur le « critique » fait aux deux
questions principales.
Que dire des autres menues questions
qui découlent logiquement de ces deux grandes? Le mieux serait que
le lecteur compare lui-même ma brochure à celle de notre auteur !
Il est seulement une question qu’il faut encore examiner.
Si l’on en croit l’auteur, il ressort que,
selon nous, la scission s’est produite parce que le congrès… n’a
pas désigné comme rédacteurs Axelrod, Zassoulitch et Starover…
(Réponse, p. 13) ; [qu’ainsi nous] nions la scission,
nous en dissimulons la profondeur de principe et nous présentons
toute l’opposition comme l’œuvre de trois rédacteurs
« factieux ». (Idem, p. 16).
Là encore, l’auteur brouille tout.
La vérité est que deux questions sont ici posées : la cause
de la scission et la forme sous laquelle les divergences se
sont manifestées.
Je réponds explicitement à la
première question :
On se rend bien compte à présent
sur quel terrain ont surgi les divergences dans le parti. Comme on le
voit, deux tendances se sont révélées dans notre parti : celle de
la fermeté prolétarienne et celle de l’instabilité
propre aux intellectuels. Et l’actuelle « minorité »
exprime justement cette instabilité propre aux intellectuels. (Voir
Coup d’oeil rapide).
Comme on le voit j’explique
ici les divergences par les tendances, intellectuelle et
prolétarienne, qui existent dans notre parti, et non par l’attitude
de Martov et d’Axelrod. L’attitude de Martov et des autres n’est
que l’expression de l’instabilité propre aux
intellectuels. Mais notre menchévik n’a sans doute pas compris ce
passage de ma brochure.
En ce qui concerne la deuxième
question, j’ai dit en effet, et je dirai toujours que les chefs de
la « minorité » ont pleurniché pour se faire attribuer
les « premières places » et qu’ils ont donné
précisément cette forme-là à la lutte dans le parti.
Notre auteur ne veut pas le reconnaître.
Mais c’est un fait que les chefs de la
« minorité » ont boycotté le parti, qu’ils ont
réclamé ouvertement des sièges au Comité central, à l’organe
central, au Conseil du parti, et qu’ils ont en outre déclaré :
« Nous posons ces conditions comme pouvant seules assurer au
parti la possibilité d’éviter un conflit qui menacerait son
existence même ». (Voir le Commentaire, p. 26).
Qu’est-ce à dire, sinon que les chefs de la
« minorité » ont inscrit sur leur drapeau non pas :
lutte d’idées, mais : « lutte pour les places » ? On
sait que nul ne les empêchait d’engager une lutte d’idées et de
principes. Les bolchéviks ne leur disaient-ils pas : fondez votre
organe distinct et défendez vos idées, le parti peut vous donner
cet organe ? (Voir le Commentaire). Pourquoi ne l’ont-ils
pas accepté, s’ils s’intéressaient vraiment aux principes, et
non aux « premières places » ?
C’est ce que nous appelons la
veulerie politique des chefs menchéviks. Ne vous formalisez pas,
messieurs, si nous appelons les choses par leur nom.
Naguère, les chefs de la « minorité
reconnaissaient avec le marxisme et avec Lénine que la conscience
socialiste est importée du dehors dans le mouvement ouvrier. (Voir
l’article-programme de l’Iskra, n°1). Mais, par la
suite, ils ont hésité et engagé la lutte contre Lénine, brûlant
aujourd’hui ce qu’ils adoraient hier. J’ai dit que c’était
là se jeter d’un côté et de l’autre. Cette fois non plus, il
ne faut pas vous formaliser, messieurs les menchéviks.
Hier, vous vous incliniez devant les
centres et vous jetiez feu et flamme contre nous : pourquoi,
disiez-vous, avoir exprimé de la défiance envers le Comité central
? Mais aujourd’hui, vous sapez non seulement les centres mais aussi
le centralisme. (Voir la « Première Conférence de Russie »).
C’est ce que j’appelle absence de principes et j’espère que
cette fois non plus, vous ne m’en voudrez pas, messieurs les
menchéviks.
Si l’on met ensemble veulerie
politique, lutte pour les sièges, versatilité, absence de principes
et autres traits semblables, on aboutira à une particularité
commune ; l’instabilité propre à la gent intellectuelle,
dont cette catégorie est affligée plus que tout autre.
Il est clair que l’instabilité propre à la
gent intellectuelle est le terrain (la base) sur lequel se
développent « la lutte pour les sièges », l’
« absence de principes », etc… Quant à la versatilité
des intellectuels, elle est conditionnée par leur situation sociale.
Voilà comment nous expliquons la scission dans le parti. Avez-vous
compris enfin, notre auteur, la différence qui existe entre la cause
de la scission et ses formes ? J’en doute.
Telle est la position absurde et
équivoque du Social-démocrate et de son drôle de
« critique » qui, en revanche, fait preuve d’une grande
vivacité dans un autre domaine. Dans les huit feuillets de sa
brochure, il a trouvé le moyen, en parlant des bolchéviks, de
mentir huit fois, et de façon à donner le fou-rire. Vous ne me
croyez pas ? Voici les faits.
Premier mensonge. Selon
l’auteur, « Lénine veut rétrécir le parti, en faire une
organisation étroite de professionnels » (p. 2). Or Lénine
dit :
« Il ne faut pas croire que les organisations du parti ne doivent
pas comprendre que des révolutionnaires professionnels. Nous avons
besoin des organisations les plus diverses, de toute sorte, de tout
rang et de toute nuance, depuis des organisations extrêmement
étroites et clandestines, jusqu’à d’autres très larges et très
libres. » (Procès-verbaux, p. 240).
Deuxième mensonge. Selon
l’auteur, Lénine entend « n’introduire dans le parti que
les membres du Comité » (p. 2). Or Lénine dit :
« Tous les groupes, cercles, sous-comités, etc…
doivent relever du Comité ou être ses filiales. Certains de ces
groupes exprimeront directement leur désir d’adhérer
organiquement au Parti ouvrier social-démocrate de Russie et, sous
réserve de ratification par le Comité, ils seront incorporés dans
le parti » (voir Lettre à un camarade, p. 17) (5)
Troisième mensonge. Selon
l’auteur, « Lénine exige l’hégémonie des intellectuels
soit instaurée dans le parti. » (p. 5). Or Lénine dit :
« Doivent faire partie du
Comité… si possible, tous les principaux dirigeants du mouvement
ouvrier, ouvriers eux-mêmes » (voir « Lettre à un
camarade », p. 7-8), ce qui signifie que non seulement dans
toutes les autres organisations, mais aussi dans le Comité aussi
doivent prédominer les voix des ouvriers avancés.
Quatrième mensonge.
L’auteur dit que la citation reproduite à la page 12 de ma
brochure : « la classe ouvrière est attirée spontanément
vers le socialisme », etc…, « est inventée de toutes
pièces » (p. 6). Or, ce passage, je l’ai tout simplement
pris et traduit de Que faire ? Voici ce qu’on y lit à la
page 29 :
«
La classe ouvrière est attirée spontanément vers le
socialisme, mais l’idéologie bourgeoise la plus répandue (et
constamment ressuscitée sous les formes les plus variées) n’en
est pas moins celle qui, spontanément, s’impose surtout à
l’ouvrier. »
C’est ce passage qui est traduit à
la page 12 de ma brochure. Voilà ce que notre « critique »
appelle une citation inventée ! Je ne sais s’il faut attribuer
cela à la distraction de l’auteur ou à son charlatanisme.
Cinquième mensonge. Selon
l’auteur, « Lénine ne dit nulle part que les ouvriers vont
« avec une nécessité naturelle » au socialisme »
(p. 7). Or, Lénine dit que « la classe ouvrière est
attirée spontanément vers le socialisme » (Que faire
? p. 29).
Sixième mensonge. L’auteur
m’attribue cette idée que « le socialisme est importé du
dehors dans la classe ouvrière par les intellectuels ». (p.
7). Alors que je dis que c’est la social-démocratie (et non pas
seulement les intellectuels social-démocrates) qui introduit dans le
mouvement la conscience socialiste (p. 18).
Septième mensonge. Selon
l’auteur, Lénine dit que l’idéologie socialiste est apparue
« tout à fait indépendamment du mouvement ouvrier » (p.
9). Or, cette idée n’a évidemment jamais effleuré l’esprit de
Lénine. Il dit que l’idéologie socialiste est apparue « d’une
façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée
du mouvement ouvrier » (Que faire ? p. 21).
Huitième mensonge. L’auteur dit que mon assertion selon
laquelle « Plékhanov quitte la « minorité »
n’est qu’un ragot. » Or, mes paroles se sont vérifiées.
Plékhanov a déjà quitté la « minorité » (6)…
Je ne m’arrête pas aux petits
mensonges dont l’auteur a si généreusement assaisonné sa
brochure.
Mais l’auteur, il faut le
reconnaître, a tout de même énoncé une vérité, une seule. Il
nous dit que « lorsqu’une organisation commence à s’occuper
de ragots, ses jours sont comptés » (p. 15). C’est,
évidemment, la vérité pure. La question est de savoir qui fait des
ragots : le Social-démocrate et son étrange paladin, ou le
Comité de l’Union ? Au lecteur d’en juger.
Encore une question et nous en
resterons là. l’auteur déclare, très docte:
Le Comité de l’Union nous reproche
de répéter les idées de Plékhanov. nous considérons, nous, comme
un mérite de répéter ce qu’ont dit des marxistes aussi connus
que Plékhanov, Kautsky et d’autres (p. 15).
Donc, vous considérez comme un
mérite de répéter les paroles de Plékhanov et de Kautsky. Fort
bien, messieurs. En ce cas, écoutez :
Kautsky déclare que « la
conscience socialiste est un élément importé du dehors
dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose que
en surgit spontanément« . (Voir ce passage de Kautsky
cité dans Que faire ? p. 27).
Le même Kautsky dit que « la tâche de la
social-démocratie est d’introduire dans le prolétariat la
conscience de sa situation et la conscience de sa mission »
(idem). nous espérons, monsieur le menchévik ; que vous
répéterez ces paroles de Kautsky et dissiperez nos doutes.
Passons à Plékhanov. Plékhanov dit
:
« … Je ne comprends pas non plus pourquoi l’on
pense que le projet de Lénine (7),
s’il est adopté, interdirait l’accès de notre parti à une
foule d’ouvriers. Les ouvriers désireux d’adhérer au parti ne
craindront pas d’entrer dans une organisation. la discipline ne
leur fait pas peur. ce sont de nombreux intellectuels, imbus
d’individualisme bourgeois, qui craindront d’y adhérer. Mais
c’est fort bien ainsi. Ces individualistes bourgeois sont aussi
d’ordinaire les représentants de toute espèce d’opportunisme.
Nous devons les éloigner de nous. Le projet de Lénine peut être
une barrière à leur intrusion dans le parti, et pour cette raison
déjà tous les adversaires de l’opportunisme doivent voter en sa
faveur. »(Voir les Procès-verbaux, p. 246.)
Nous espérons, monsieur le
« critique », que vous jetterez le masque et répéterez
avec une droiture toute prolétarienne ces paroles de Plékhanov.
Sinon, cela voudra dire que vos
déclarations dans la presse sont irréfléchies et faites sans aucun
esprit de responsabilité.
Notes
1.
Voir la Réponse au Comité de l’Union*, p.
4. (J.S.).
*La Réponse au Comité de l’Union fut publiée
en annexe au n°3 du Social-démocrate du 1er juillet 1905. L’auteur
de cette « réponse » était N. Jordania, leader des
menchéviks géorgiens, dont Staline critique impitoyablement le
point de vue dans sa brochure : Coup d’oeil rapide sur les
divergences dans le parti, et ailleurs.
2.
Voir l’article de Kautsky, cité dans Que
faire ?, p. 27*. (J.S.).
*p. 41, E.S., 1947
3.
Idem. (J.S.).
4.
Voir Coup d’œil rapide sur les divergences
dans le parti, p. 18. (Voir à la p. 95 du présent volume).
5.
Comme on le voit, selon Lénine, les
organisations peuvent être admises dans le parti non seulement par
le Comité central, mais encore par les comités locaux. (J.S.)*.
*Voir Lénine : Œuvres, t. VI, p. 219, 4e édit.
russe,
6.
Et cet auteur a l’audace de nous reprocher,
dans le n°5 du Social-démocrate, de déformer les faits relatifs au
IIIe congrès ! (J.S.).
7. Il s’agit des deux formules, proposées par Lénine et par Martov pour l’article premier des statuts du parti. (J.S.).
On sait par les journaux que l’article de
Staline «Le vertige du succès» et la résolution que l’on
connaît du Comité central sur la lutte contre les déformations de
la ligne du Parti dans le mouvement de collectivisation agricole, ont
éveillé de nombreux échos dans les rangs des praticiens de ce
mouvement.
A ce propos, j’ai reçu, ces derniers temps, une
série de lettres de camarades kolkhoziens, me demandant de répondre
aux questions qui y étaient posées. Mon devoir était de répondre
à ces lettres, à titre privé. Mais cela m’a été impossible,
car plus de la moitié des lettres reçues ne portaient pas l’adresse
de leurs auteurs (ils avaient oublié de donner leur adresse).
Or les questions touchées dans ces lettres sont
d’un immense intérêt politique pour tous nos camarades. On
comprendra de même que je n’aie pu laisser sans réponse ceux des
camarades qui avaient oublié de me donner leur adresse.
Ainsi je me suis trouvé devant la nécessité de
répondre publiquement, c’est-à-dire par la presse, aux lettres
des camarades kolkhoziens, en y relevant toutes les questions utiles.
Je l’ai fait d’autant plus volontiers que j’avais sur ce point
une décision expresse du Comité central.
Première question. — Quelle est la racine des
erreurs dans la question paysanne ?
Réponse. — C’est la façon erronée de traiter le paysan moyen. C’estla violence dont on use dans les rapports économiques avec le paysan moyen. C’est l’oubli du fait que l’alliance économique avec les masses de paysans moyens doit se baser, non sur des mesures de contrainte, mais sur une entente avec le paysan moyen, sur l’alliance avec ce dernier.
C’est l’oubli du fait que la base du mouvement kolkhozien, à cette heure, est l’alliance de la classe ouvrière et des paysans pauvres avec le paysan moyen contre le capitalisme en général, contre les koulaks en particulier.
Tant que l’offensive contre les koulaks fut
menée en un front unique avec le paysan moyen, tout alla bien. Mais
lorsque certains de nos camarades, grisés par les succès,
glissèrent insensiblement de la voie de l’offensive contre le
koulak à la voie de la lutte contre le paysan moyen ; lorsque,
courant après un pourcentage élevé de collectivisation, ils
employèrent la violence contre le paysan moyen, le privant du droit
électoral, le dépossédant et l’expropriant, l’offensive dévia,
le front unique avec le paysan moyen se trouva compromis et, comme de
juste, le koulak put tenter de se remettre sur ses pieds.
On oubliait que la violence, nécessaire et utile
dans la lutte contre nos ennemis de classe, est inadmissible et
néfaste quand on l’exerce contre le paysan moyen, qui est notre
allié.
On oubliait que les charges de cavalerie,
nécessaires et utiles pour résoudre les problèmes d’ordre
militaire, ne valent rien et sont néfastes quand il s’agit de
résoudre les problèmes de l’édification kolkhozienne, laquelle
d’ailleurs est organisée en alliance avec le paysan moyen.
C’est là la racine des erreurs dans la question
paysanne.
Voici ce que Lénine dit des rapports économiques
avec le paysan moyen :Nous devons nous baser pardessus tout sur
cette vérité qu’on ne saurait rien obtenir ici, quant au fond,
par les méthodes de violence.
La tâche économique se présente ici tout
autrement, h n’y a pas là de sommet que l’on puisse couper, en
laissent tentes les fondations, tout l’édifice. Le sommet
représenté dans les villes par les capitalistes, n’existe pas
ici. User de la violence serait compromettre toute l’affaire… Il
n’y a rien de plus stupide que l’idée même de la violence
exercée dans les rapports économiques avec le paysan moyen.
(«Rapport sur le travail à la campagne au VIIIe congrès du P.C.
(b) R.», t. XXIV p. 168, éd. Russe.)
Plus loin :
La violence à l’égard de la paysannerie
moyenne constitue le plus grand mal. C’est une couche nombreuse,
forte de millions d’hommes. Même en Europe, où nulle part elle
n’atteint à cette force, où sont prodigieusement développés la
technique et la culture, la vie urbaine, les chemins de fer, où il
eût été si facile d’y songer, — personne, aucun des
socialistes les plus révolutionnaires n’a jamais préconisé des
mesures de violence à l’égard de la paysannerie moyenne. (Ibidem,
p. 167.)
C’est clair, je pense.
Deuxième question. — Quelles sont les erreurs
principales dans le mouvement de collectivisation agricole ?
Réponse. — Elles sont, ces erreurs, au nombre
de trois au moins.
1. On a violé le
principe léniniste de la libre adhésion lors de la formation (des
kolkhoz. On a violé les indications essentielles du Parti et le
statut-type de l’artel agricole sur le principe de la libre
adhésion lors de la formation des kolkhoz.
Le léninisme enseigne qu’il faut amener les
paysans sur la voie de l’économie collective, en s’en tenant au
principe de la libre adhésion, en les convainquant des avantages de
l’économie commune, collective sur l’économie individuelle.
Le léninisme enseigne qu’on ne peut convaincre
les paysans des avantages de l’économie collective, que si on leur
montre et démontre en fait, par l’expérience, que le kolkhoz est
meilleur que l’exploitation individuelle, qu’il est plus
avantageux ; que le kolkhoz permet au paysan, au paysan pauvre et au
paysan moyen, de se tirer du besoin et de la misère.
Le léninisme enseigne que ces conditions faisant
défaut, les kolkhoz ne peuvent être solides. Le léninisme enseigne
que toute tentative d’imposer par la force l’économie
collective, que toute tentative d’implanter les kolkhoz par la
contrainte, ne peut donner que des résultats négatifs, ne peut que
repousser les paysans loin du mouvement de collectivisation agricole.
En effet, tant que cette règle essentielle fut
observée, le mouvement de collectivisation agricole alla de succès
en succès.
Mais certains de nos camarades, grisés par les
succès, négligèrent cette règle, montrèrent une hâte excessive
et, courant après un pourcentage élevé de collectivisation,
fondèrent des kolkhoz en usant de la contrainte. Il n’est pas
étonnant que les résultats négatifs d’une telle «politique» ne
se soient pas fait attendre.
Les kolkhoz qui avaient poussé trop vite
fondirent avec la même rapidité qu’ils avaient mise à naître,
et une partie des paysans qui, hier encore, témoignaient une
confiance extrême aux kolkhoz, s’en détournèrent.
Là est la première et principale erreur commise
dans le mouvement de collectivisation.Voici ce que Lénine dit du
principe de libre adhésion dans la formation des kolkhoz :
Actuellement, notre tâche est de passer au
travail en commun de la terre, de passer à la grande exploitation
collective. Mais il ne saurait y avoir aucune contrainte de la part
du pouvoir des Soviets ; aucune loi ne l’impose.
La commune agricole se constitue volontairement,
le passage au travail en commun de la terre ne peut être que
volontaire, il ne saurait y avoir la moindre contrainte sous ce
rapport de la part du gouvernement ouvrier et paysan ; la loi
l’interdit. Si quelqu’un d’entre vous observait de telles
contraintes, vous devez savoir que c’est un abus, que c’est une
infraction à la loi, que nous nous attachons de toutes nos forces à
rectifier et que nous rectifierons. («Ier congrès des ouvriers
agricoles de la province de Pétrograd. Réponse aux questions», t.
XXIV, p. 43.)
Plus loin :
C’est seulement dans le cas où nous réussirons
à montrer en fait aux paysans les avantages de la culture en commun,
collective, par associations, par artels ; c’est seulement si nous
réussissons à aider le paysan à s’organiser en associations, en
artels, que la classe ouvrière, tenant en mains le pouvoir d’État,
prouvera réellement au paysan qu’elle a raison, attirera
réellement à ses côtés, de façon durable et effective, la masse
innombrable des paysans.
C’est pourquoi on ne saurait exagérer
l’importance des entreprises de toute sorte destinées à favoriser
le travail de la terre par association, par artel. Nous avons des
millions d’exploitations isolées, éparpillées, dispersées au
fond des campagnes perdues… Lorsque nous aurons prouvé
pratiquement, par une expérience accessible au paysan, que le
passage à l’agriculture fondée sur l’association, sur l’artel,
est nécessaire et possible, alors seulement nous serons en droit de
dire que, dans un pays paysan aussi vaste que la Russie, un pas
sérieux a été fait dans la voie de l’agriculture
socialiste.(«Discours au Ier congrès des communes et artels
agricoles», t. XXIV, pp. 579580.)
Enfin, encore un passage des œuvres de Lénine :
En encourageant les associations de toute sorte,
ainsi que les communes agricoles des paysans moyens, les
représentants du pouvoir des Soviets ne doivent pas user la moindre
contrainte au moment de leur fondation. Seules ont de la valeur les
associations qui ont été constituées par les paysans euxmêmes,
sur leur libre initiative, et dont les avantages ont été vérifiés
par eux dans la pratique.
Une hâte excessive dans cette affaire est
nuisible, car elle ne peut que renforcer les préventions de la
paysannerie moyenne contre les innovations. Les représentants du
pouvoir des Soviets, qui se permettent d’employer la contrainte non
seulement directe, mais même indirecte, afin de rallier les paysans
aux communes, doivent subir les plus sévères sanctions et être
écartés du travail à la campagne.
(«Résolution sur l’attitude envers la
paysannerie moyenne, VIIIe congrès du P.C. (b) R.», t. XXIV, p.
174.)
C’est clair, je pense.
Il est à peine besoin de démontrer que le Parti
appliquera avec toute la rigueur voulue ces indications de Lénine.
2. On a violé le
principe léniniste de la prise en considération des conditions
diverses dans les différentes régions de l’U.R.S.S., en ce qui
concerne la formation des kolkhoz. On a oublié qu’il existe en
U.R.S.S. des régions infiniment variées, avec une structure
économique et un niveau de culture différents.
On a oublié que parmi ces régions il en est
d’avancées, moyennes et arriérées. On a oublié que les rythmes
du mouvement de collectivisation agricole et les méthodes de
construction des kolkhoz ne peuvent être identiques pour ces
régions, lesquelles sont elles-mêmes loin d’être identiques.
«Ce serait une erreur, dit Lénine, si nous
copiions
simplement, d’après un standard, les décrets
pour toutes les régions de la Russie, si les bolcheviks-communistes,
les travailleurs des administrations soviétiques en Ukraine et sur
le Don se mettaient à les généraliser aux autres régions, sans
discernement, en bloc»… car «nous ne nous lions en aucune façon
par un standard uniforme, nous ne décidons pas une fois pour toutes
que notre expérience, l’expérience de la Russie centrale, peut
être entièrement appliquée à toutes les régions de la
périphérie.» («Rapport du Comité central au VIIIe congrès du
P.C. (b) R.», t. XXIV, pp. 125126.) Lénine dit plus loin que :
Standardiser la Russie centrale, l’Ukraine, la
Sibérie, les soumettre à un certain standard serait la plus grande
sottise.
(t. XXVI, p. 243, éd. Russe.)
Enfin Lénine fait un devoir aux communistes du
Caucase de comprendre les particularités de leur situation, de la
situation de leurs Républiques, qui se distingue de la situation et
des conditions de la R.S.F.S.R., comprendre la nécessité de ne pas
copier notre tactique, mais de la modifier après mûre réflexion en
tenant compte de la diversité des conditions concrètes.
(«Directives aux communistes du Caucase et aux membres du Comité
révolutionnaire de Géorgie», t. XXVI, p. 191.)
C’est net, je pense.
Fort de ces indications de Lénine, le Comité
central de notre Parti, dans sa résolution Sur tes rythmes de la
collectivisation agricole (voir la Pravda du 6 janvier 1930) a divisé
les régions de l’U.R.S.S., au point de vue des rythmes de
collectivisation, en trois groupes,dont le Caucase du Nord, la
Moyenne et la Basse Volga peuvent avoir terminé, pour l’essentiel,
la collectivisation au printemps de 1931 ; les autres régions à
céréales (Ukraine, région centrale des Terres noires, Sibérie,
Oural, Kazakhstan, etc.) peuvent la terminer, pour l’essentiel, au
printemps de 1932, tandis que les autres régions peuvent échelonner
la collectivisation jusqu’à la fin de la période quinquennale,
c’est-à-dire jusqu’à 1933.
Il me semble que c’est clair.
Mais que s’est-il passé en fait ? Il s’est
trouvé que certains de nos camarades, grisés par les premiers
succès du mouvement de collectivisation agricole, ont bel et bien
oublié et les indications de Lénine, et la décision du Comité
central.
La région de Moscou, dans sa course fiévreuse
aux chiffres enflés de collectivisation, orienta ses militants vers
l’achèvement de la collectivisation au printemps de 1930, bien que
disposant d’au moins trois ans (fin 1932). La région centrale des
Terres noires, ne voulant pas «rester en arrière des autres»,
orienta ses militants vers l’achèvement de la collectivisation au
premier semestre 1930, bien que disposant d’au moins deux ans (fin
1931).
Et ceux de la Transcaucasie et du Turkestan, dans
leur ardeur à «rejoindre et dépasser» les régions avancées,
s’orientèrent vers l’achèvement de la collectivisation dans le
«plus bref délai», bien que disposant de quatre années entières
(fin 1933). On conçoit qu’avec un tel «rythme» éperdu de
collectivisation, les régions moins préparées au mouvement de
collectivisation se virent obligées, dans leur ardeur à «dépasser»
les régions mieux préparées, d’exercer une forte pression
administrative, en essayant de suppléer, par leur propre zèle
administratif, à l’absence de facteurs d’accélération des
rythmes du mouvement de collectivisation.
On connaît les résultats. Tout le monde connaît
le mélimélo qui enest résulté, dans ces régions, et qu’il
a fallu débrouiller en faisant intervenir le Comité central.
Là est la deuxième erreur dans le mouvement de
collectivisation.
3. On a violé le
principe léniniste qui interdit de sauter par-dessus une forme
inachevée du mouvement, dans la formation des kolkhoz.
On a violé le principe léniniste : ne pas
devancer le développement des masses, ne pas décréter le mouvement
des masses, ne pas se détacher des masses, mais se mouvoir avec les
masses et les faire avancer, en les amenant à nos mots d’ordre et
leur ménageant la facilité de se convaincre, par leur propre
expérience, de la justesse de nos mots d’ordre.
Lorsque le prolétariat de Pétrograd et les
soldats de la garnison de Pétrograd ont pris le pouvoir, dit Lénine,
ils savaient parfaitement que l’édification à la campagne
rencontrerait de grandes difficultés ; qu’il fallait avancer ici
plus graduellement ; que c’eût été la plus grande bêtise
de vouloir ici essayer d’introduire à coups de décrets et de lois
le travail collectif de la terre ; que seule une quantité
infime de paysans conscients pouvaient y consentir, mais que
l’immense majorité des paysans ne posaient point ce problème.
Et c’est pourquoi nous nous sommes bornés à ce
qui était absolument nécessaire au développement de la révolution
: ne devancer en aucun cas le développement des masses, mais
attendre que de la propre expérience de ces masses, de leur propre
lutte, naisse un mouvement en avant. («Discours pour l’anniversaire
de la Révolution, 6 novembre 1918». t. XXIII, p. 252, éd. Russe.)
Partant de ces indications de Lénine, le Comité
central a constaté, dans sa résolution que l’on connaît Sur les
rythmes de la collectivisation agricole (voir la Pravda du 6 janvier
1930) que : a) la forme principale du mouvement de collectivisation
est en ce moment l’artel agricole ; b) par conséquent, il est
indispensable d’élaborer un statut-type de l’artel agricole,
comme forme principaledu mouvement de collectivisation ; c) on ne
peut permettre, dans notre travail pratique, que l’on «décrète»
d’en haut le mouvement de collectivisation, ni que l’on «joue à
la collectivisation».
C’est dire que nous devons maintenant nous
orienter, non vers la commune, Tuais vers l’artel agricole, comme
forme principale de la constitution des kolkhoz ; qu’on ne peut
permettre de sauter par dessus l’artel agricole vers la
commune, qu’on ne doit pas suppléer au mouvement de masse des
paysans vers les kolkhoz, en «décrétant les kolkhoz», «en jouant
aux kolkhoz».
C’est clair, je pense.
Mais que s’est-il passé en fait ? Il s’est
trouvé que certains de nos camarades, grisés par les premiers
succès du mouvement de, collectivisation agricole, ont bel et bien
oublié et les indications de Lénine, et la décision du Comité
central. Au lieu d’organiser un mouvement de masse en faveur de
l’artel agricole, ces camarades se sont mis à «faire passer» les
paysans individuels directement au statut de la commune.
Au lieu de consolider la forme-artel du mouvement,
ils se sont mis à «collectiviser» de force le petit bétail, la
volaille, le bétail laitier non destiné au marché, les
habitations.
Les résultats de cette précipitation
inadmissible pour un léniniste sont maintenant connus de tous.
Naturellement, en règle générale, on n’a pas créé de communes
stables. Mais en revanche, on a perdu nombre d’artels agricoles. Il
est vrai qu’il en est resté de «bonnes» résolutions. Mais à
quoi voulezvous qu’elles servent ? Là est la troisième
erreur dans le mouvement de collectivisation.
Troisième question. — Comment ces erreurs
ont-elles pu se produire, et comment le Parti doit-il les corriger ?
Réponse. — Elles se sont produites sur la base
de nos succès rapides en matière de collectivisation. Parfois les
succès donnent le vertige.
Souvent ils engendrent une présomption et une
fatuité excessives.
Cela peut arriver aisément surtout aux
représentants du Parti exerçant le pouvoir. Surtout dans un parti
comme le nôtre, dont la force et l’autorité sont presque
incommensurables.
Ici, des manifestations de la vanité communiste,
que Lénine a combattue avec acharnement sont parfaitement possibles.
Ici, est parfaitement possible la foi en la toute puissance du
décret, de la résolution, de la disposition prise.
Ici, le danger est parfaitement réel de voir les
mesures révolutionnaires du Parti transformées en une vaine
proclamation à coups de décrets bureaucratiques, par quelques
représentants du Parti, sur tel ou tel point de notre immense pays.
Je veux parler non seulement de militants locaux,
mais aussi de certains dirigeants d’organisations régionales, mais
aussi de certains membres du Comité central. «La vanité
communiste, dit Lénine, est le fait d’un homme qui, membre du
Parti communiste d’où il n’a pas encore été expulsé, se
figure pouvoir s’acquitter de toutes ses tâches à coups de
décrets communistes.» (t. XXVII, pp. 50-51, éd. Russe.) Voilà sur
quel terrain sont nées les erreurs dans le mouvement de
collectivisation agricole, les déformations de la ligne du Parti
dans l’édification des kolkhoz.
Quel peut être le danger de ces erreurs et de ces
déformations si elles continuent à l’avenir, si elles ne sont pas
liquidées ‘rapidement et jusqu’au bout ?
Le danger ici, c’est que ces erreurs nous
conduisent en ligne droite au discrédit du mouvement de
collectivisation agricole, au désaccord avec le paysan moyen, à la
désorganisation des paysans pauvres, à la confusion dans nos rangs,
à l’affaiblissement de toute notre construction socialiste, au
rétablissement des koulaks.
Bref, ces erreurs ont tendance à nous pousser
hors de la voie de la consolidation de l’alliance avec les masses
paysannes essentielles, hors de la voie de la consolidation de la
dictature du prolétariat, sur la voie de la rupture avec ces
niasses, sur la voie d’une politique sapant la dictature du
prolétariat.
Ce danger est apparu dès la seconde moitié de
février, au moment même où une partie de nos camarades, aveuglés
par les succès antérieurs, s’éloignaient au galop de la voie
léniniste.
Le Comité central du Parti mesura ce danger, et
ne tarda pas à intervenir en chargeant Staline de donner un
avertissement aux camarades qui en prenaient trop à leur aise, dans
un article spécial sur le mouvement kolkhozien. Il en est qui
pensent que l’article «Le vertige du succès» est le résultat de
l’initiative personnelle de Staline. C’est absurde évidemment.
Ce n’est point pour laisser l’initiative
personnelle à qui que ce soit dans une pareille affaire, que le
Comité central existe chez nous. Ce fut une investigation à fond
entreprise par le Comité central.
Et lorsque apparurent la profondeur et l’étendue
des erreurs commises, le Comité central ne tarda pas à sévir
contre ces erreurs, de toute la force de son autorité, en publiant
sa fameuse résolution du 15 mars 1930.
Il est difficile d’arrêter dans leur course
forcenée et (de ramener dans la bonne voie des gens qui se ruent,
tête baissée, vers l’abîme. Mais notre Comité central se nomme
Comité central du Parti léniniste précisément parce qu’il sait
surmonter des difficultés autrement grandes. Et ces difficultés, il
les a déjà surmontées pour l’essentiel.Il est difficile, en
pareil cas, à des détachements entiers du Parti d’arrêter leur
course, de rentrer à temps dans la bonne voie et de reformer leurs
rangs en pleine marche. Mais notre Parti se nomme Parti de Lénine
précisément parce qu’il possède une souplesse suffisante pour
surmonter de telles difficultés. Et il a déjà surmonté ces
difficultés pour l’essentiel.
Le point principal ici, c’est de faire preuve de
courage, de reconnaître ses erreurs et de trouver en soi la force de
les redresser dans le plus bref délai.
La crainte de reconnaître ses erreurs, après la
griserie des succès récents, la crainte de l’autocritique, le
refus de corriger ses erreurs rapidement et résolument, — là est
la difficulté principale. Il suffit de vaincre cette difficulté, il
suffit de rejeter loin de soi les chiffres enflés des directives et
le maximalisme bureaucratique et paperassier, il suffit d’aiguiller
son attention sur les tâches économiques et d’organisation des
kolkhoz, pour qu’il ne reste plus nulle trace de ces erreurs.
Il n’y a aucune raison de douter que le Parti
n’ait déjà surmonté, pour l’essentiel, cette difficulté
périlleuse.
Tous les partis révolutionnaires qui ont péri
jusqu’ici, dit Lénine, ont péri parce qu’ils se laissaient
aller à la
présomption, ne savaient pas voir ce qui faisait
leur force, et craignaient de parler de leurs faiblesses. Mais nous
nous ne périrons pas, parce que nous ne craignons pas de parler de
nos faiblesses, parce que nous apprendrons à les surmonter.
(Lénine, t. XXVII, pp. 260261, éd. Russe.)
Ces paroles de Lénine, on ne saurait les oublier.
Quatrième question. — La lutte contre les
déformations de la ligne du Parti n’est-elle pas un pas en
arrière, un recul ?Réponse. — Evidemment non. Seuls peuvent
parler ici de recul les gens qui considèrent la continuation des
erreurs et des déformations comme une offensive, et la lutte contre
les erreurs comme un recul.
Offensive par l’accumulation des erreurs et des
déformations, la belle «offensive» que voilà !
Nous avons mis en avant l’artel agricole comme
forme essentielle du mouvement de collectivisation dans le moment
présent, et nous avons établi un statut-type pour servir de guide
dans la formation des kolkhoz. Reculons-nous sur ce point ?
Évidemment non !
Nous avons mis en avant l’affermissement, en
matière de production, de l’alliance de la classe ouvrière et de
la paysannerie pauvre avec le paysan moyen, comme base du mouvement
de collectivisation dans le moment présent. Reculons-nous sur ce
point ? Évidemment non !
Nous avons mis en avant le mot d’ordre de
liquidation des koulaks comme classe, en tant que mot d’ordre
principal de notre travail pratique à la campagne, dans le moment
présent.
Reculons-nous sur ce point ? Évidemment non !
Dès janvier 1930 nous avons adopté un certain
rythme pour la collectivisation de l’agriculture de l’U.R.S.S.,
dont nous avons divisé les régions en groupes déterminés en
assignant à chaque groupe un rythme particulier. Reculons-nous sur
ce point ? Evidemment non ! Où donc voyez-vous un « recul »
du Parti ?
Nous voulons que ceux qui ont commis des erreurs
et des déformations renoncent à leurs erreurs. Nous voulons que les
brouillons renoncent à leurs pratiques brouillonnes et reviennent
aux positions du léninisme.
Nous voulons cela, car ce n’est qu’à cette
condition que l’on pourra continuer l’offensive réelle contre
nos ennemis de classe. Est-ce àdire que nous fassions ainsi un pas
en arrière ? Évidemment non !
Cela veut dire seulement que nous voulons mener
une offensive bien comprise, et non pas jouer, en brouillons, à
l’offensive.
N’est-il pas clair que seuls des originaux et
des surenchérisseurs de « gauche» peuvent considérer une telle
position du Parti comme un recul ?
Les gens qui bavardent à propos de recul ne
comprennent pas deux choses pour le moins :
1. Ils ignorent
les lois de l’offensive. Ils ne comprennent pas qu’une offensive
sans que soient consolidées les positions conquises, est une
offensive vouée à l’échec. Quand une offensive peutelle
réussir, disons, dans une opération militaire ? Lorsque les gens ne
se bornent pas à une avance en bloc, mais s’attachent en même
temps à consolider les positions conquises, à regrouper leurs
forces en tenant compte de la situation changée, à rallier les
arrières, à ramasser les réserves.
Pourquoi tout cela ? Pour se prémunir contre les
surprises, combler certaines brèches dont aucune offensive n’est
garantie, et préparer ainsi le complet anéantissement de l’ennemi.
La faute des armées polonaises en 1920, à ne prendre que le côté
militaire, c’est qu’elles ont dédaigné cette règle.
C’est ce qui explique, entre autres, qu’après
s’être avancées en bloc jusqu’à Kiev, elles durent refluer
également en bloc jusqu’à Varsovie. La faute des armées
soviétiques en 1920, à ne prendre toujours que le côté militaire,
c’est que, lors de leur offensive sur Varsovie, elles ont répété
la faute des Polonais.
Il faut en dire autant des lois de l’offensive
sur le front de la lutte de classes. On ne saurait mener avec succès
une offensive visant à détruire l’ennemi de classe, sans
consolider les positions conquises,sans regrouper ses forces, sans
assurer des réserves pour le front, sans faire rallier les arrières,
etc.
La vérité est que les brouillons ne comprennent
pas les lois de l’offensive. La vérité est que le Parti les
comprend et les applique.
2. Ils ne
comprennent pas la nature de classe de l’offensive. Ils la
proclament. Mais contre quelle classe, en alliance avec quelle classe
? Nous menons l’offensive contre les éléments capitalistes de la
campagne en alliance avec le paysan moyen, car seule une telle
offensive peut nous donner la victoire. Mais comment faire si
l’ardeur excessive de quelques détachements du Parti aidant,
l’offensive commence à dévier de la bonne voie et tourne sa
pointe contre notre allié, contre le paysan moyen ? Nous faut-il une
offensive en général, et non une offensive contre une classe
déterminée, en alliance avec une classe déterminée ? Don
Quichotte se figurait, lui aussi, qu’il attaquait des ennemis, en
marchant à l’assaut des moulins. On sait pourtant qu’il s’est
fendu le front dans cette offensive, s’il est permis de la nommer
ainsi.
Apparemment les lauriers de don Quichotte
troublent le sommeil de nos surenchérisseurs de «gauche».
Cinquième question. —Quel est chez nous le
danger principal, celui de droite ou celui de «gauche» ?
Réponse. — Le danger principal chez nous est
celui de droite. Le danger de droite a été et reste le danger
principal.
Ce point de vue ne contredit-il pas la thèse
connue de la résolution du Comité central du 15 mars 1930, disant
que les fautes et déformations des surenchérisseurs de «gauche»,
constituent maintenant le frein principal du mouvement de
collectivisationagricole ? Non, il ne contredit pas cette thèse, La
vérité est que les fautes des surenchérisseurs de «gauche», en
ce qui concerne le mouvement de collectivisation agricole, sont
telles qu’elles favorisent le renforcement et la consolidation de
la déviation de droite dans le Parti. Pourquoi ?
Parce que ces fautes présentent la ligne du Parti
sous un faux jour, c’est-à-dire qu’elles facilitent le discrédit
du Parti, et, par conséquent, elles facilitent la lutte des éléments
de droite contre la direction du Parti. Le discrédit de la direction
du Parti est justement ce terrain premier sur lequel peut se
déchaîner la lutte des fauteurs de la déviation de droite contre
le Parti.
Ce terrain, ce sont les surenchérisseurs de
«gauche» qui le fournissent à ces derniers, par leurs erreurs et
leurs déformations.
C’est pourquoi, afin de combattre avec succès
l’opportunisme de droite, il faut vaincre les erreurs des
opportunistes de «gauche». Les surenchérisseurs de «gauche» sont
objectivement les alliés des fauteurs de la déviation de droite.
Tel est le lien original entre opportunisme de
«gauche» et déviationnisme de droite.
C’est par ce lien qu’il faut expliquer le fait
que certains «hommes de gauche» parlent assez souvent d’un bloc
avec les droitiers.
C’est par là encore qu’il faut expliquer ce
fait curieux qu’une partie des «gauchistes» qui, hier encore,
«conduisaient» leur folle offensive et essayaient de collectiviser
l’U.R.S.S. en quelque deux ou trois semaines, versent aujourd’hui
dans la passivité, laissent tomber les bras et abandonnent bel et
bien le champ de lutte aux fauteurs de la déviation de droite,
s’orientant ainsi vers un recul véritable (sans guillemets !)
devant la classe des koulaks.
Le moment actuel a ceci de particulier que la
lutte contre les fautes des surenchérisseurs de «gauche» est pour
nous la condition et une
forme originale de la lutte victorieuse contre
l’opportunisme de droite.
Sixième question. — Comment expliquer le reflux
d’une partie des paysans hors des kolkhoz ?
Réponse. — Le reflux d’une partie des paysans
signifie que, ces derniers temps, il était né chez nous un certain
nombre de kolkhoz peu solides, qui s’épurent maintenant des
éléments instables. Cela signifie que les kolkhoz fictifs vont
disparaître, que les kolkhoz solides resteront et se fortifieront.
Je pense que c’est là un phénomène parfaitement normal.
Il est des camarades que cela fait tomber dans le
désespoir, dans la panique et qui se cramponnent convulsivement aux
pourcentages enflés. D’autres se réjouissent malignement et
prophétisent l’«échec» du mouvement de collectivisation
agricole. Les uns et les autres se trompent cruellement. Les uns et
les autres sont loin de comprendre en marxistes l’essence du
mouvement de collectivisation.
Ce sont d’abord tous ceux que l’on appelle les
âmes mortes, qui s’en vont des kolkhoz. Ce n’est même pas un
départ, c’est la constatation d’un vide.
Avonsnous besoin d’âmes mortes ?
Evidemment non. Je pense que les Caucasiens du Nord et les Ukrainiens
ont parfaitement raison de dissoudre les kolkhoz peuplés d’âmes
mortes, et d’en organiser de vraiment vivants et de vraiment
stables. Le mouvement de collectivisation ne peut qu’y gagner.
En second lieu, ceux qui s’en vont, ce sont les
éléments étrangers, franchement hostiles à notre cause. Il est
clair que plus vite ces éléments seront mis à la porte, et mieux
cela vaudra pour le mouvement de collectivisation.Enfin, ceux qui
s’en vont, ce sont les éléments hésitants qu’on ne peut
qualifier ni d’éléments étrangers, ni d’âmes mortes. Ce sont
ces mêmes paysans que nous n’avons pas encore su convaincre,
aujourd’hui, de la justesse de notre cause, mais que nous
convaincrons à coup sûr demain.
Le départ de ces paysans est une perte sérieuse,
quoique temporaire, pour le mouvement de collectivisation.
C’est pourquoi la lutte pour les éléments
hésitants des kolkhoz est maintenant l’une des tâches les plus
urgentes du mouvement de collectivisation.
Il s’ensuit que le reflux d’une partie des
paysans hors des kolkhoz n’est pas seulement un phénomène
négatif. Il s’ensuit que, dans la mesure où ce reflux libère les
kolkhoz des âmes mortes et des éléments qui leur sont nettement
étrangers, il marque un processus salutaire d’assainissement et de
consolidation des kolkhoz.
Il y a un mois l’on estimait que nous avions
dans les régions à céréales plus de 60 % d’exploitations
collectivisées.
Il est clair maintenant que si on veut parler des
kolkhoz réels et tant soit peu stables, ce chiffre était
manifestement exagéré. Si le mouvement de collectivisation agricole
se stabilise, après le reflux d’une partie des paysans, au chiffre
de 40 % de collectivisation dans les régions à céréales —
et ceci est réalisable à coup sûr, — ce sera un succès immense
pour le mouvement de collectivisation à l’heure actuelle.
Je prends la moyenne pour les régions à
céréales, sachant bien qu’il existe chez nous des régions de
collectivisation intégrale atteignant 80, 90 %. 40 % de
collectivisation dans les régions à céréales ; c’est dire qu’au
printemps de 1930 nous aurons accompli le double duplan quinquennal
initial de collectivisation.
Qui osera nier le caractère décisif de cette
conquête historique dans le développement socialiste de l’U.R.S.S.
?
Septième question. — Les paysans hésitants
agissent-ils bien en quittant les kolkhoz ?
Réponse. — Non, ils agissent mal. En quittant
les kolkhoz ils vont contre leurs propres intérêts, car seuls les
kolkhoz permettent aux paysans de se tirer de la misère et de
l’ignorance.
En quittant les kolkhoz, ils se mettent dans une
situation pire, puisqu’ils se privent des facilités et avantages
que le pouvoir des Soviets accorde aux kolkhoz. Les erreurs et
déformations commises dans les kolkhoz ne sont pas une raison pour
les quitter.
Les erreurs, il faut les corriger d’un commun
effort, en restant dans le kolkhoz. Elles seront d’autant plus
faciles à corriger que le pouvoir des Soviets les combattra de
toutes ses forces.
Lénine dit que :
Le système de la petite exploitation, en régime
de production marchande, ne peut pas affranchir l’humanité de la
misère des masses, de leur oppression. («Les tâches du prolétariat
dans notre révolution», t. XX, p. 122, éd. Russe.)
Lénine dit que :
Impossible de sortir de la misère par la petite
exploitation.
(«Discours à la Ire conférence de la R.S.F.S.R.
sur le travail à la campagne», t. XXIV, p. 540, éd. Russe.)
Lénine dit que :Si nous nous confinons comme
autrefois dans les petites exploitations — fussions-nous citoyens
libres sur une terre libre, nous n’en serons pas moins menacés
d’une perte certaine. («Discours sur la question agraire au Ier
congrès des députés paysans de Russie», t. XX, p. 417.)
Lénine dit que :
Ce n’est que par un travail en commun, un
travail par artel, par association, que nous pourrons sortir de
l’impasse où nous a acculés la guerre impérialiste, (t. XXIV, p.
537.)
Lénine dit que :
Il est nécessaire de passer à la culture en
commun dans les grandes exploitations modèles, sans quoi nous ne
nous tirerons pas de la débâcle, de la situation vraiment
désespérée où se trouve la Russie, (t. XX, p. 418.)
Que signifie tout cela ?
Cela signifie que les kolkhoz sont le seul moyen
permettant aux paysans de se tirer de la misère et de l’ignorance.
Il est clair que les paysans n’agissent pas bien
en quittant les kolkhoz.
Lénine dit que :
Vous savez tous évidemment, par toute l’activité
du pouvoir des Soviets, quelle importance considérable i nous
attachons aux communes, aux artels, et, en général, à toutes les
organisations qui visent à transformer, à contribuer
progressivement à la transformation de la petite économie paysanne
individuelle en une économie collective, par association ou par
artel. («Discours au Ier congrès descommunes et artels agricoles»
t. XXIV, p. 579.) Lénine dit que :
Le pouvoir soviétique a donné nettement la
préférence aux communes et aux associations qu’il a mises au
premier plan.
(La Révolution prolétarienne et le renégat
Kautsky, t XXIII, p. 399, éd. Russe.)
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que le pouvoir des Soviets accordera
aux kolkhoz des facilités et avantages par rapport aux exploitations
individuelles.
C’est dire qu’il accordera aux kolkhoz des
facilités en ce qui concerne la cession de terres, leur
approvisionnement en machines, en tracteurs, en blé de semence,
etc., et en ce qui concerne les dégrèvements d’impôts et
l’octroi de crédits.
Pourquoi le pouvoir des Soviets accorde-t-il des
facilités et avantages aux kolkhoz ?
Parce que les kolkhoz sont le seul moyen pour
affranchir les paysans de la misère.
Parce qu’aider les kolkhoz est la manière la
plus efficace d’aider les paysans pauvres et moyens.
Ces jours-ci, le pouvoir des Soviets a décidé de
libérer de toute imposition, pour deux ans, toutes les bêtes de
travail (chevaux, bœufs, etc.) collectivisées dans les kolkhoz,
toutes les vaches, les porcs, les moutons et la volaille, aussi bien
ceux en la possession collective des kolkhoz que ceux en la
possession individuelle des kolkhoziens.
Le pouvoir des Soviets a décidé en outre
d’ajourner jusqu’à la fin de l’année le payement des dettes
contractées par les kolkhoziens à titrede crédits, et d’annuler
toutes amendes et pénalités imposées, avant le premier avril, aux
paysans membres des kolkhoz.
Enfin il a décidé d’ouvrir sans faute, dans le
courant de l’année, un crédit de 500 millions de roubles à
l’intention des kolkhoziens.
Ces facilités aideront les paysans-kolkhoziens.
Elles aideront ceux des paysans-kolkhoziens qui ont su résister au
reflux, qui se sont trempés dans la lutte contre les ennemis des
kolkhoz, qui ont su défendre les kolkhoz et garder le grand drapeau
du mouvement de collectivisation agricole.
Ces facilités aideront les kolkhoziens, paysans
pauvres et moyens, qui forment maintenant le noyau essentiel de nos
kolkhoz, qui consolideront et cristalliseront nos kolkhoz, et
gagneront des millions et des millions de paysans au socialisme.
Ces facilités aideront les paysans kolkhoziens,
qui forment maintenant les cadres essentiels des kolkhoz et méritent
pleinement d’être appelés les héros du mouvement de
collectivisation.
Ces facilités, les paysans sortis des kolkhoz
n’en bénéficieront pas.
N’est-il pas clair que les paysans commettent
une faute en sortant des kolkhoz ?
N’est-il pas clair qu’ils ne peuvent s’assurer
le bénéfice de ces facilités qu’en revenant aux kolkhoz ?
Huitième question. — Que faire des communes, ne
faut-il pas les dissoudre ?
Réponse. — Non, il ne le faut point, il n’y
pas de raison de les dissoudre. Je parle des communes véritables, et
non des communes fictives. En U.R.S.S., dans les régions à
céréales, existe une série de communes magnifiques, qui méritent
d’être encouragées et soutenues. Je veux parler des vieilles
communes qui ont résisté aux années d’épreuves et se sont
trempées dans la lutte, justifiant ainsi pleinement leur existence.
En ce qui concerne les nouvelles communes
constituées tout récemment, elles ne pourront continuer d’exister
que si elles se sont organisées volontairement, avec l’appui actif
des paysans et sans que soit imposée à ces paysans la mise en
commun de leurs moyens de consommation.
La formation et la gestion des communes est une
chose compliquée, difficile. Les grandes communes stables ne peuvent
subsister et se développer que si elles disposent de cadres
expérimentés et de dirigeants éprouvés. Le passage brusque du
statut de l’artel au statut des communes ne peut que repousser les
paysans du mouvement de collectivisation.
C’est pourquoi il faut traiter cette affaire
d’une façon particulièrement sérieuse, et sans aucune
précipitation. L’artel est une chose plus facile et plus
accessible à la conscience des grandes masses paysannes.
C’est pourquoi l’artel est, à l’heure
présente, la forme la plus répandue du mouvement de
collectivisation. Ce n’est qu’au fur et à mesure du renforcement
et de la consolidation des artels agricoles que peut se créer un
terrain propice au mouvement de masse des paysans vers la commune.
C’est pourquoi la commune, qui est la forme
suprême, ne saurait être que dans l’avenir le chaînon principal
du mouvement de collectivisation.
Neuvième question. — Que faire des koulaks
?Réponse. — Jusqu’ici nous n’avons parlé que du paysan moyen.
Le paysan moyen est un allié de la classe ouvrière, et notre
politique envers lui doit être amicale. Il en va autrement du
koulak. Le koulak est l’ennemi du pouvoir des Soviets. Avec lui, il
n’y a et il ne peut y avoir de paix pour nous.
Notre politique à l’égard du koulak est la
politique de liquidation de ce dernier comme classe. Cela ne signifie
évidemment pas que nous puissions le liquider d’un seul coup. Mais
cela signifie que nous mènerons les choses de façon à l’encercler
et à le liquider.
Voici ce que disait Lénine du koulak :
Les koulaks sont les exploiteurs les plus féroces,
les plus brutaux, les plus sauvages ; ils ont maintes fois
rétabli, comme l’atteste l’histoire des autres pays, le pouvoir
des grands propriétaires fonciers, des tsars, des popes, des
capitalistes.
Les koulaks sont plus nombreux que les grands
propriétaires fonciers et les capitalistes. Cependant ils sont une
minorité dans le peuple… Ces buveurs de sang se sont enrichis de
la misère du peuple pendant la guerre, ils ont amassé de l’argent
par milliers et par centaines de milliers en faisant monter les prix
du blé et des autres produits. Ces scorpions se sont engraissés aux
dépens des paysans ruinés par la guerre, aux dépens des ouvriers
affamés. Plus l’ouvrier souffrait de la faim dans les villes et
les usines, et plus ces sangsues se gorgeaient du sang des
travailleurs, plus elles s’enrichissaient.
Ces vampires accaparaient et accaparent encore les
terres seigneuriales, ils asservissent encore et encore les paysans
pauvres. («Camarades ouvriers ! Marchons au dernier, au décisif
combat !», t. XXIII, pp. 206-207, éd. Russe.) Nous avons toléré
ces buveurs de sang, ces scorpions et ces vampires, en appliquant une
politique de limitation de leurs tendances exploiteuses.
Nous les avons tolérés, parce que nous n’avions
rien pour remplacerles exploitations des koulaks, la production des
koulaks. Maintenant
nous avons la possibilité de remplacer
avantageusement leur économie par l’économie de nos kolkhoz et de
nos sovkhoz. Il n’y a aucune raison maintenant de tolérer plus
longtemps ces scorpions et ces buveurs de sang.
Tolérer plus longtemps ces scorpions et ces
buveurs de sang qui mettent le feu aux kolkhoz, qui assassinent les
militants kolkhoziens et cherchent à saboter les semailles, c’est
aller contre les intérêts des ouvriers et des paysans.
Aussi la politique de liquidation des koulaks
comme classe doit-elle être appliquée avec toute l’insistance et
tout l’esprit de suite dont les bolcheviks sont capables.
Dixième question. — Quelle est la tâche
pratique immédiate des kolkhoz ?
Réponse. — La tâche pratique immédiate des
kolkhoz, c’est la lutte pour les semailles, pour l’extension
maximum des surfaces ensemencées, pour une bonne organisation des
semailles.
Toutes les autres tâches des kolkhoz doivent,
maintenant, être adaptées à la tâche des semailles.
Tous les autres travaux des kolkhoz doivent,
maintenant, être subordonnés au travail d’organisation des
semailles.
Cela signifie que la stabilité des kolkhoz et de
leur cadre de militants actifs sans-parti, les capacités des
dirigeants des kolkhoz et de leur noyau bolchevik seront vérifiées,
non sur des résolutions tapageuses et des allocutions
grandiloquentes, mais dans les faits, d’après la bonne
organisation des semailles.
Mais pour remplir avec honneur cette tâche
pratique, il faut tournerl’attention des militants kolkhoziens vers
les questions économiques
de l’organisation des kolkhoz, vers les
problèmes de leur structure intérieure.
Jusqu’à ces derniers temps, la course aux
chiffres élevés de collectivisation était la préoccupation
principale des militants des kolkhoz, et les gens ne voulaient pas
voir la différence entre la collectivisation véritable et la
collectivisation fictive.
Maintenant, il faut briser avec cet engouement
pour les chiffres.
Maintenant, l’attention des militants doit être
concentrée sur la consolidation des kolkhoz, sur leur
cristallisation organique, sur l’organisation du travail pratique
dans les kolkhoz.
Jusqu’à ces derniers temps, l’attention des
militants des kolkhoz était concentrée sur l’organisation de
grandes unités collectives, sur l’organisation de ce qu’on
appelle les «géants», «géants» qui dégénéraient assez
souvent en d’encombrants offices bureaucratiques, n’ayant pas de
racines économiques dans les bourgs et villages. Le travail de
façade absorbait, de la sorte, le travail pratique. Maintenant, il
faut briser avec cet engouement pour le travail de façade.
Maintenant, l’attention des militants doit être
aiguillée sur le travail économique et d’organisation des kolkhoz
dans les bourgs et villages. Quand ce travail aura porté ses fruits,
les «géants» apparaîtront d’eux-mêmes.
Jusqu’à ces derniers temps, on ne s’est pas
suffisamment préoccupé d’attirer les paysans moyens au travail de
direction dans les kolkhoz.
Or, il existe parmi les paysans moyens des
agriculteurs avisés, qui pourraient devenir d’excellents militants
agricoles dans l’oeuvre de construction des kolkhoz.
Il faut qu’il soit remédié maintenant à cette
insuffisance dans notretravail. Maintenant la tâche est d’attirer
au travail de direction, dans
les kolkhoz, l’élite des paysans moyens, de les
laisser développer leurs facultés dans ce domaine.
Jusqu’à ces derniers temps, on n’accordait
pas suffisamment d’attention au travail parmi les paysannes. La
période écoulée a montré que le travail parmi les paysannes
était, chez nous, le point le plus faible de notre activité.
Maintenant, il faut que cette insuffisance soit liquidée résolument
et sans retour.
Jusqu’à ces derniers temps, les communistes
d’une série de régions s’en tenaient à ce point de vue qu’ils
pouvaient résoudre par leurs propres forces tous les problèmes
touchant la construction des kolkhoz.
Partant de ce point de vue, ils n’accordaient
pas une attention suffisante à la nécessité d’attirer les
sans-parti au travail responsable dans les kolkhoz, d’appeler les
sans-parti au travail de direction, d’organiser un large cadre de
militants actifs sans-parti. L’histoire de notre Parti a démontré
— et la période écoulée de la formation des kolkhoz a montré
une fois de plus — qu’une telle position est foncièrement
erronée.
Si les communistes s’enfermaient dans leur
coquille, s’il s’isolaient des sans-parti par un mur, ils
compromettraient toute leur entreprise.
Si les communistes ont pu se couvrir de gloire
dans les batailles pour le socialisme, et si les ennemis du
communisme ont été battus, c’est, entre autres, parce que les
communistes ont su intéresser au travail l’élite des sans-parti ;
parce qu’ils ont su puiser des forces parmi les larges couches de
sans-parti ; parce qu’ils ont su entourer leur Parti d’un large
cadre de militants actifs sans-parti. Maintenant, ce défaut de notre
travail parmi les sans-parti doit être supprimé résolument et sans
retour.Corriger ces insuffisances de notre travail, les liquider à
fond, c’est précisément orienter dans la bonne voie le travail
économique des kolkhoz.
Ainsi :
1. Bien organiser
les semailles, telle est la tâche.
2. Concentrer l’attention sur les problèmes économiques du mouvement de collectivisation, tel est le moyen pour résoudre cette tâche.