Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le structuralisme et le rôle de l’école de Prague

    C’est ensuite l’école dite de Prague qui prolongea cette lecture de Ferdinand de Saussure, avec notamment Roman Jakobson et Nicolas Troubetskoï, par une série de travaux entre 1929 et 1939, dans le pays de l’est européen le plus développé sur le plan du capitalisme.

    La Tchécoslovaquie était un important laboratoire intellectuel bourgeois ; la revue publiant les Travaux du cercle linguistique de Prague – le titre est en français, comme beaucoup d’articles – joua un important rôle de concepteur et de diffuseur de la conception qu’on peut déjà qualifier de « structuraliste ».

    On trouve également, comme « manifeste », publié dans les Actes du premier congrès international de linguistes à La Haye, s’étant tenu du 10 au 15 avril 1928, le point suivant :

    QUELLES SONT LES MÉTHODES LES MIEUX APPROPRIÉES À UN EXPOSÉ COMPLET ET PRATIQUE DE LA PHONOLOGIE D’UNE LANGUE QUELCONQUE?

    Roman Jakobson, Prague

    S. Karcevsky, professeur adjoint à l’université de Genève

    Prince N. Troubetskoy, professeur à l’université de Vienne

    Toute description scientifique de la phonologie d’une langue doit avant tout comprendre la caractéristique de son système phonologique, c.-à-d. la caractéristique du répertoire, propre à cette langue, des différences significatives entre les images acoustico-motrices.

    Une spécification plus détaillée des types de ces différences est très désirable. Il est surtout utile d’envisager comme une classe à part de différences significatives les corrélations phonologiques.

    Une corrélation phonologique est constituée par une série d’oppositions binaires définies par un principe commun qui peut être pensé indépendamment de chaque couple de termes opposés. La phonologie comparée doit formuler les lois générales qui régissent les rapports des corrélations dans les cadres d’un système phonologique donné.

    L’antinomie de la phonologie synchronique et de la phonétique diachronique se trouverait être supprimée du moment que les changements phonétiques seraient considérés en fonction du système phonologique qui les subit.

    Le problème du but dans lequel ces changements ont lieu doit être posé. La phonétique historique se transforme ainsi en une histoire de l’évolution d’un système phonologique.

    D’autre part, le problème du finalisme des phénomènes phonétiques fait, que dans l’étude du côté extérieur de ces phénomènes, c’est l’analyse acoustique qui doit ressortir au premier plan.

    Suit une longue « argumentation » explicitant cette conception, que par la suite l’anthropologue Claude Lévi-Strauss va reprendre, à la suite d’échanges approfondis avec Roman Jakobson à New York durant les années 1940.

    Photographie présentant l’ouverture du congrès dans le quotidien néerlandais Leidsch Dagblad, 1928.

    On a alors le déclenchement de l’offensive structuraliste. Claude Lévi-Strauss, dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 25 janvier 1967, définit ainsi le structuralisme :

    « Il prélève les faits sociaux dans l’expérience et les transporte au laboratoire.

    Là, il s’efforce de les représenter sous forme de modèles, prenant toujours en considération, non les termes, mais les relations entre les termes.

    Il traite ensuite chaque système de relations comme un cas particulier d’autres systèmes, réels ou simplement possibles, et cherche leur explication globale au niveau des règles de transformation permettant de passer d’un système à un autre système, tels que l’observation concrète, linguistique ou ethnologique, peut les saisir.

    Il rapproche ainsi les sciences humaines des sciences physiques et naturelles, puisqu’il ne fait rien d’autre, en somme, que mettre en pratique la remarque prophétique de Niels Bohr, qui écrivait en 1939 : « Les différences traditionnelles entre les cultures humaines ressemblent à beaucoup d’égards aux manières différentes, mais équivalentes, selon lesquelles l’expérience physique peut être décrite ». »

    Il faut bien voir ici que le structuralisme nie, ainsi, que l’universel est présent dans le particulier ; il tente de s’arracher au particulier pour établir une structure, qui est elle-même ni la totalité, ni l’universel. C’est une lecture du monde comme si celui-ci disposait de multiples facettes tel un diamant, chaque aspect ayant une signification réelle autonome en tant que structure.

    A ce rejet du matérialisme dialectique s’ajoute celui du matérialisme historique (qui est compris dans le matérialisme historique), au sens il n’y a plus de processus, de contextualisation historique, seulement une prise de photographie à un moment donné.

    Raisonner en termes de structure implique de se focaliser sur un instant T et de le couper de ce qu’il y a avant et après, au nom d’une prétendue objectivité, d’une neutralité à prétention scientifique.

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  • Le structuralisme : «structurante en même temps que structurée»

    La notion d’ensemble n’est pas la seule idée associée au concept de « structure ». Il y a également l’idée d’une forme d’évolution particulière. Tout comme une langue connaîtrait une évolution linéaire, la « structure » connaît une évolution du même type.

    L’idée est la suivante : la langue évolue jusqu’à ce que des différences très marquées soient visibles à l’échelle des siècles, alors qu’en même temps chaque génération comprenait pourtant la précédente. Il en irait de même pour la structure.

    Ferdinand de Saussure, dans son Cours de linguistique générale, dresse un parallèle très connu, concernant cette question, avec le jeu d’échecs.

    « La langue est un système qui ne connaît que son ordre propre. Une comparaison avec le jeu d’échecs le fera mieux sentir.

    Là, il est relativement facile de distinguer ce qui est externe de ce qui est interne : le fait qu’il a passé de Perse en Europe est d’ordre externe ; interne, au contraire, tout ce qui concerne le système et les règles.

    Si je remplace des pièces de bois par des pièces d’ivoire, le changement est indifférent pour le système : mais si je diminue ou augmente le nombre des pièces, ce changement-là atteint profondément la « grammaire » du jeu.

    Il n’en est pas moins vrai qu’une certaine attention est nécessaire pour faire des distinctions de ce genre.

    Ainsi dans chaque cas on posera la question de la nature du phénomène, et pour la résoudre on observera cette règle : est interne tout ce qui change le système à un degré quelconque. »

    La structure connaîtrait donc des rapports à la fois internes et externes. Et, qui plus est, il forme à un moment T un « système ». Là encore, Ferdinand de Saussure fait une analogie avec les échecs. Cet aspect est central pour le structuralisme dans sa justification de la fonction du « spécialiste ».

    « De toutes les comparaisons qu’on pourrait imaginer, la plus démonstrative est celle qu’on établirait entre le jeu de la langue et une partie d’échecs.

    De part et d’autre, on est en présence d’un système de valeurs et on assiste à leurs modifications. Une partie d’échecs est comme une réalisation artificielle de ce que la langue nous présente sous une forme naturelle.

    Voyons la chose de plus près.

    D’abord un état du jeu correspond bien à un état de la langue. La valeur respective des pièces dépend de leur position sur l’échiquier, de même que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes.

    En second lieu, le système n’est jamais que momentané ; il varie d’une position à l’autre. Il est vrai que les valeurs dépendent aussi et surtout d’une convention immuable, la règle du jeu, qui existe avant le début de la partie et persiste après chaque coup.

    Cette règle admise une fois pour toutes existe aussi en matière de langue ; ce sont les principes constants de la sémiologie.

    Enfin, pour passer d’un équilibre à l’autre, ou — selon notre terminologie — d’une synchronie à l’autre, le déplacement d’une pièce suffit ; il n’y a pas de remue-ménage général.

    Nous avons là le pendant du fait diachronique avec toutes ses particularités. En effet :

    a) Chaque coup d’échecs ne met en mouvement qu’une seule pièce ; de même dans la langue les changements ne portent que sur des éléments isolés.

    b) Malgré cela le coup a un retentissement sur tout le système ; il est impossible au joueur de prévoir exactement les limites de cet effet. Les changements de valeurs qui en résulteront seront, selon l’occurrence, ou nuls, ou très graves, ou d’importance moyenne.

    Tel coup peut révolutionner l’ensemble de la partie et avoir des conséquences même pour les pièces momentanément hors de cause. Nous venons de voir qu’il en est exactement de même pour la langue.

    c) Le déplacement d’une pièce est un fait absolument distinct de l’équilibre précédent et de l’équilibre subséquent. Le changement opéré n’appartient à aucun de ces deux états : or les états sont seuls importants.

    Dans une partie d’échecs, n’importe quelle position donnée a pour caractère singulier d’être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu’on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n’a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l’état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant.

    Tout ceci s’applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique. La parole n’opère jamais que sur un état de langue, et les changements qui interviennent entre les états n’y ont eux-mêmes aucune place.

    Il n’y a qu’un point où la comparaison soit en défaut ; le joueur d’échecs a l’intention d’opérer le déplacement et d’exercer une action sur le système ; tandis que la langue ne prémédite rien ; c’est spontanément et fortuitement que ses pièces à elle se déplacent — ou plutôt se modifient ; l’umlaut de Hände pour hanti, de Gäste pour gasti (voir p. 120), a produit une nouvelle formation de pluriel, mais a fait surgir aussi une forme verbale comme trägt pour tragit, etc.

    Pour que la partie d’échecs ressemblât en tout point au jeu de la langue, il faudrait supposer un joueur inconscient ou inintelligent.

    D’ailleurs cette unique différence rend la comparaison encore plus instructive, en montrant l’absolue nécessité de distinguer en linguistique les deux ordres de phénomènes.

    Car, si des faits diachroniques sont irréductibles au système synchronique qu’ils conditionnent, lorsque la volonté préside à un changement de ce genre, à plus forte raison le seront-ils lorsqu’ils mettent une force aveugle aux prises avec l’organisation d’un système de signes. »

    Un moment donné ne dépend pas organiquement des précédents ni des suivants : c’est la négation du matérialisme historique. L’ensemble n’a pas de sens en soi et ne forme pas de totalité : c’est le rejet du matérialisme dialectique.

    Jean Piaget résume cela ainsi :

    « Une structure est un système de transformations. Ce n’est pas un système statique, ou simplement une forme sans quoi il faudrait y faire rentrer tous les formalismes ou toutes les philosophies de la forme à partir du platonisme.

    La structure permet de passer de l’un de ses éléments à un autre grâce à certaines transformations bien déterminées.

    Par conséquent, la structure est structurante en même temps que structurée.

    Elle est en état perpétuel de recombinaison et permet d’engendrer sans cesse de nouveaux éléments à son intérieur. »

    Il s’agit ici de micro-réalités doubles, qui sont le produit de la réalité et produisent la réalité elles-mêmes, tout en étant la réalité.

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  • Ferdinand de Saussure et le structuralisme

    Le terme de structure tel qu’il est employé par le structuralisme s’appuie sur une conception formulée par le Suisse Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale, en 1916, publié à partir de notes de ses élèves.

    Ferdinand de Saussure (1857-1913) développe une approche très largement diffusée en France en philosophie par la suite. Il y aurait d’un côté la réalité matérielle dont on parlerait, qui serait le référent. Mais le mot le désignant existerait de manière indépendante, comme signifant, c’est-à-dire comme son ayant un écho dans un esprit : Ferdinand de Saussure parle d’image acoustique.

    Et il y aurait le signifié, c’est-à-dire l’activité mentale en réaction à ce son et appelant le concept. Par exemple, le signifiant « arbre » est un son appelant le concept d’arbre dans l’esprit, formant un signifié.

    S’ensuit alors une conclusion anti-matérialiste : puisqu’il y a différentes langues, c’est nécessairement que les signifiants sont arbitraires. Il y aurait donc en quelque sorte une vie autonome du langage. Tout le structuralisme part de cette lecture du langage réfutant la thèse matérialiste dialectique du langage comme infrastructure.

    Ferdinand de Saussure, sans doute en 1905.

    Ferdinand de Saussure n’emploie pas lui-même le terme de « structure », mais de « système », chose que feront également certains structuralistes, notamment Michel Foucault, qui lui relève plus directement du post-structuralisme, qui est en l’idéologie du capitalisme conquérant de nouveaux espaces sociaux, par la « déconstruction » de toutes les anciennes formes.

    En fait, le structuralisme s’appuie entièrement, dans ses fondements mêmes, sur une certaine vision de la langue et du langage. Tous les auteurs structuralistes ont souligné cette dimension, se référant au structuralisme linguistique comme socle de leur approche.

    Voici ce que dit Ferdinand de Saussure, qui établit ainsi un principe de système et d’échanges que va reprendre précisément le structuralisme :

    « La langue, distincte de la parole, est un objet qu’on peut étudier séparément. Nous ne parlons plus les langues mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur organisme linguistique.

    Non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n’est possible que si ces autres éléments n’y sont pas mêlés.

    Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi délimitée est de nature homogène : c’est un système de signes où il n’y a d’essentiel que l’union du sens et de l’image acoustique, et où les deux parties du signe sont également psychiques (…).

    La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc., etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. »

    Cette idée d’une langue comme structure va être directement reprise par les auteurs structuralistes, pour l’appliquer à d’autres domaines. Tout comme la langue est déterminée par des relations entre des éléments donnés, il existerait des structures pareillement formées d’inter-relations.

    C’est une vision du monde croyant en une sorte de réalité composée de multiples constructions, plus ou moins indépendantes, plus ou moins liées, ayant chacun sa forme particulière, sa propre base, sa nature en propre, etc.

    Le logicien Jean Piaget, l’une des figures du structuralisme, résume cela en disant :

    « Une structure suppose tout d’abord une notion de totalité, c’est-à-dire, d’un ensemble d’éléments qui comportent des lois en tant que système et des lois différentes des propriétés des éléments eux-mêmes. »

    Il n’y pas une totalité, mais des micro-totalités, formant comme un kaléidoscope de réalités autonomes.

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  • Le structuralisme comme une émergence spécifique à une époque

    La France de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle a connu plusieurs approches majeures correspondant à l’esprit républicain : la science comme expérimentation avec le positivisme d’Auguste Comte, le roman expérimental du naturalisme d’Émile Zola, les expériences poétiques du Parnasse, la lecture expérimentale de l’histoire par Hippolyte Taine, la philosophie comme expérience intérieure temporelle avec Henri Bergson, l’expérience momentanée en peinture avec l’impressionnisme.

    Cela reflète ici parfaitement le besoin de la bourgeoisie de se lier à la réalité d’un côté, avec l’expérience, mais d’en même temps faire prévaloir le subjectivisme et le refus d’une lecture de la réalité comme système.

    Le temps l’emporte toujours davantage sur l’espace ; il commence à primer dans la compréhension de la réalité. Ce qu’on appelle structuralisme est la théorisation de cette lecture temporelle, une théorisation strictement parallèle à l’émergence du « nouveau roman », de l’art contemporain, du théâtre de l’absurde, de l’ultra-libéralisme comme vecteur des avancées sociétales.

    Le processus de genèse du structuralisme est tout à fait similaire à celui de la fin du 19e siècle. C’était alors toute une période de transition, marquant le passage d’une bourgeoisie déjà sortie de son rôle révolutionnaire anti-féodal, mais pas encore établi en tant que classe dominante ayant développée son identité propre, son idéologie en propre, purifiée au maximum des éléments des stades précédents.

    Cela souligne un aspect d’importance : celui de la fonction des couches intellectuelles dans la maturation et la mise en place des dispositifs idéologiques.

    On ne sera donc nullement étonné qu’avec un capitalisme relancé dans un nouveau cycle après 1945 et l’établissement d’une nouvelle couche d’intellectuels s’appuyant sur des universités en pleine expansion, on ait un retour en force de ces approches modernisatrices, de manière évidemment adaptée aux conditions nouvelles.

    C’est là le terrain d’émergence du structuralisme.

    Ce dernier apparaît alors comme levier idéologique pour contourner la question de l’analyse de la réalité comme ensemble, comme totalité. De la même manière que la bourgeoisie profite des puissances de l’informatique, afin d’utiliser les statistiques comme moyen de contourner une analyse d’un phénomène dans sa substance, se focalisant sur les résultats au moyen de calculs sophistiqués, elle a cherché à interpréter la réalité, mais petits bouts par petits bouts, dans un souci fonctionnel.

    Dessin de Maurice Henry dans La Quinzaine Littéraire du 1er juillet 1967.
    Sont caricaturés les figures structuralistes :
    Michel Foucault, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes.

    Le structuralisme est ainsi, avant tout, un fonctionnalisme ; il est un outil intellectuel ayant une portée pratique, dans le sens d’une gestion d’une partie de la réalité. C’est un pseudo-matérialisme dans sa nature même.

    Quelle est son approche ?

    Ce qu’on appelle le structuralisme consiste en une méthode existant dans plusieurs domaine de pensée et visant à trouver une « structure » qui serait déterminante pour tel ou tel phénomène.

    De telles structures n’ont ni contours définis, ni nature particulière ; cela peut être indifféremment un échange, la main gauche, la parenté, la croyance en le retour d’un prophète particulier, une arme particulière, l’État, le capital, les héritiers, la mer Méditerranée, un lieu particulier, un habitude, une démarche concrète, un rapport concret, une forme, un symbole, etc.

    Le rôle du « scientifique » serait de constater de telles structures, ce que le commun des mortels ne pourraitt évidemment pas aux yeux des universitaires, et de les évaluer, de les contextualiser, ce qui attribue aux intellectuels un caractère central unilatéral.

    Il s’agit ici de deux aspects essentiels de la méthode dite structuraliste. Tout d’abord, le structuralisme, dans ses exposés, ne cesse de souligner le caractère masqué de la structure, l’impossibilité qu’il y a lieu pour une personne simple, hors du circuit universitaire, à ne serait-ce qu’à l’imaginer, sans parler de la concevoir, la comprendre, etc.

    Ensuite, le structuralisme est le vecteur du discours de la primauté de l’évaluateur : l’intellectuel, le journaliste, le philosophe, le sociologue, etc. C’est le culte du spécialiste qui interprète. C’est là son aspect fonctionnel.

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  • Friedrich Engels sur la cause et l’effet

    La cause et l’effet sont des concepts rejetés par le matérialisme dialectique ; voici ici le point de vue de Friedrich Engels.

    Ce qui manque à tous ces messieurs, c’est la dialectique. Ils ne voient toujours ici que la cause, là que l’effet.

    Que c’est une abstraction vide, que dans le monde réel pareils antagonismes polaires métaphysiques n’existent que dans les crises, mais que tout le grand cours des choses se produit sous la forme d’action et de réaction de forces, sans doute, très inégales, — dont le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive, qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif, tout cela, que voulez-vous, ils ne le voient pas ; pour eux Hegel n’a pas existé…

    Friedrich Engels, Lettre à Conrad Schmidt, 27 octobre 1890

    Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes.

    Il ne pense que par antithèses sans moyen terme: il dit oui, oui, non, non; ce qui va au delà ne vaut rien.

    Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle même et une autre.

    Le positif et le négatif s’excluent absolument; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide.

    Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait évident, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens.

    Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche; et la manière de voir métaphysique, si justifiée et même si nécessaire soit elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles: la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement; devant leur être, leur devenir et leur périr: devant leur repos, leur mouvement; les arbres l’empêchent de voir la forêt.

    Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée.

    Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre.

    A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’universelle action réciproque, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite et vice versa.

    Friedrich Engels, L’Anti-Dühring

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  • Le matérialisme dialectique et la notion de catégorie

    La notion de catégorie est indispensable à toute interprétation scientifique du monde. Il s’agit, en effet, pour mieux les comprendre, de dresser une typologie des choses et des phénomènes, de former des catégories.

    La formation de ces catégories ne doit toutefois rien au hasard ni à la subjectivité. Historiquement, Platonconsidérait que les catégories préexistaient aux choses, avec des « idées » existant dans un monde « idéal », les choses n’étant que leur reflet. Au Moyen-Âge, la controverse sur le nominalisme, sur la valeur du nom d’une catégorie, tenait au débat et à la remise en cause de cette conception idéaliste.

    Le matérialisme considère, quant à lui, historiquement, que les catégories sont formées par la réalité elle-même. L’étymologie du mot catégorie permet de voir qu’il vient du grec, du verbe signifiant « accuser ».

    Catégoriser, c’est accuser la matière, c’est-à-dire la définir comme quelque chose ayant des caractéristiques précises, comme par exemple, le lieu, le temps, l’action, la couleur, la quantité, etc. Aristote a joué ici un rôle essentiel dans l’affrontement du matérialisme avec l’idéalisme.

    Toutefois, si le matérialisme dialectique considère comme utile cette typologie, il a une autre définition de la catégorie.

    Le problème est, en effet, que la définition matérialiste non dialectique de la catégorie ne connaît pas le principe de la transformation. Aristote, par exemple, a bien compris qu’il n’y avait pas de création du monde, et donc pas de première poule ni de premier œuf, seulement cela signifiait qu’il y avait toujours eu des œufs et des poules.

    Aristote ne connaissait pas le principe de l’évolution ; en réalité, il n’y a pas de première poule, pas plus qu’il n’y a eu de premier homme et de première femme, les poules sont elles-mêmes le prolongement de dinosaures, qui eux-mêmes sont un prolongement d’autres formes matérielles vivantes les précédant, etc.

    Le matérialisme dialectique raisonne, pour cette raison, avec une notion de catégorie qui s’appuie sur le principe du mouvement et non simplement de la typologie. Karl Marx, dans Misère de la philosophie, nous donne la définition suivante :

    « Ce qui constitue le mouvement dialectique, c’est la coexistence des deux côtés contradictoires, leur lutte et leur fusion en une catégorie nouvelle. »

    Une catégorie, pour le matérialisme dialectique, c’est le fruit de la loi de la contradiction concernant une chose, un phénomène. Le mode de production capitaliste est une catégorie, car il est le fruit de la coexistence, de la lutte et de la fusion de la bourgeoisie avec la féodalité.

    De même, le socialisme est une catégorie, car il représente le résultat de la coexistence, de la lutte et de la fusion du prolétariat avec le mode de production capitaliste.

    Le principe de la fusion amène le dépassement des aspects contradictoires et c’est pour cela qu’apparaît quelque chose ayant une identité relative nouvelle, une catégorie.

    Cette lecture scientifique du principe de catégorie permet de ne pas faire un fétiche du prolétariat et de la bourgeoisie, sous la forme par exemple de « catégories socio-professionnelles », mais de voir qu’ils sont deux aspects d’un même processus, relevant d’une catégorie : le matérialisme dialectique considère que ce sont les modes de production qui sont les catégories et non pas ses éléments.

    De la même manière, l’Humanité est une catégorie ; ni les hommes ni les femmes ne forment des catégories en soi, ce qui serait les isoler, abstraitement. Le fruit de la contradiction hommes-femmes est l’Humanité, l’espèce humaine évoluant.

    Au principe idéaliste statique d’identité, à la notion matérialiste statique de catégorie-caractéristique, le matérialisme dialectique oppose la catégorie comme résultat d’un saut qualitatif.

    Concevoir une catégorie, c’est pour le matérialisme dialectique non pas simplement regarder quelles sont les propriétés de telle ou telle chose, regrouper selon les caractéristiques, mais étudier les processus aboutissant à la production d’une nouvelle chose, d’un nouveau phénomène, et de là former des catégories.

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  • Le matérialisme dialectique et la pensée-guide

    L’une des caractéristiques du mouvement de la matière est le développement inégal. Le développement ne se fait jamais de manière uniforme ; il existe un décalage entre les parties en développement.

    Cela tient au fait que la réalité est complexe et qu’il existe des variations, plus ou moins grandes, entre les parties de la réalité, même si à terme ces variations disparaissent avec le saut qualitatif qui a lui une valeur générale.

    Le capitalisme ne s’est, par exemple, nullement développé de la même manière et avec la même profondeur, la même intensité, dans tous les pays. La première guerre mondiale impérialiste tient notamment à ce fait que, les impérialismes allemand et austro-hongrois ne disposant que de pratiquement aucune colonie, ils se voyaient obliger de bousculer l’ordre produit par le développement inégal.

    On peut penser, tout aussi pareillement, à un verre d’eau dans lequel on verse de la grenadine : certaines parties de l’eau connaissent déjà une union avec la grenadine, alors que d’autres parties restent encore indépendantes pour un petit moment.

    Pareillement, quand on réfléchit à un problème, certains aspects nous semblent particulièrement faciles à saisir, alors que d’autres pas du tout. En fonction de notre vécu, de notre expérience, de notre étude, de nos connaissances, etc., il y a des décalages dans la saisie des différents phénomènes (ce que les réactionnaires ne comprennent pas, parlant des différences d’« intelligence »).

    Il en va de même pour l’analyse matérialiste dialectique de la réalité. Chaque individu analyse la réalité, mais il faut ici, pour que l’analyse soit juste, complète, que la théorie et la pratique soient hautement développées, avec un haut niveau de synthèse.

    Chaque personne n’analyse pas la réalité dans son ensemble, soit par manque de besoin comme pour une personne bourgeoise, par un manque de conscience pour une personne prolétaire. Si le processus d’analyse est lancé, il faut alors que l’ensemble se développe de manière cohérente, avec une base solide.

    Étant donné alors que la révolution socialiste (ou de nouvelle démocratie dans les pays opprimés) se déroule dans un cadre national – celui des contradictions du mode de production – il faut donc avoir une haute connaissance de la culture, des mentalités, de la réalité économique, des traditions historiques, de la politique, des développements sociaux en cours.

    Cette connaissance ne saurait être théorique uniquement : elle doit au contraire se fonder sur la lutte de classes, sur la pratique, c’est-à-dire sur la rupture politique avec les différents aspects de la domination des classes dominantes. C’est la position idéologique au sein de la lutte des classes – par rapport, en pratique, au mode de production capitaliste et à l’État – qui détermine cela.

    On ne peut pas avoir une analyse réelle, correcte, complète de la situation de son pays, si on participe de plain-pied au développement du capitalisme, au renforcement des institutions. C’est dans le combat contre tous les aspects du capitalisme et de l’Etat que c’est possible.

    Ce qu’on appelle alors Pensée-Guide dans le matérialisme dialectique, c’est la pensée d’un individu qui a réussi à synthétiser la connaissance matérialiste dialectique de la réalité historique d’un pays. Cette pensée sert de poteau indicateur, fournissant les connaissances théoriques pour déployer une pratique réellement révolutionnaire.

    Le cadre historique est expliqué par la Pensée-Guide, guidant les combats présentés comme nécessaires pour changer la réalité selon les nécessités historiques. Les luttes sont guidées par l’expression de l’analyse, de la pensée d’un individu.

    Cet individu n’a pas d’intérêt en tant qu’individu : ce qui compte c’est sa position d’avant-garde ; son mérite est d’avoir été en première ligne d’une compréhension qui ne peut que se systématiser dans les masses, de par son caractère juste, de par son juste reflet des conditions matérielles dans leur synthèse.

    Ce qui caractérise la Pensée-Guide, c’est qu’elle refléte la réalité matérielle.

    Mao Zedong a ainsi développé une Pensée-Guide, assumée par le Parti Communiste de Chine en tant que « pensée Mao Zedong ».

    On peut voir que Staline a pratiquement procédé de même avec Lénine, même s’il n’a pas différencié ce qui relevait du léninisme et ce qui relevait de la pensée Lénine spécifique à la Russie.

    Staline disait ainsi :

    « En ce qui me concerne, je ne suis qu’un élève de Lénine et le but de ma vie est d’être un élève digne de lui. »

    Cette mentalité est typique des communistes : le respect des grands contributeurs à la science, au matérialisme dialectique, ne relève pas du « culte de la personnalité », mais de la protection de leurs apports.

    « Arborer, défendre, appliquer » la Pensée-Guide, comme l’a formulé le Parti Communiste du Pérou, est ce qui définit les communistes, qui se fonde sur le reflet synthétisé de la réalité produite comme pensée de certains individus au cœur de la lutte des classes.

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  • Le matérialisme dialectique et le romantisme

    L’avènement du mode de production capitaliste a ajouté une dimension individuelle qui n’existait pas auparavant ; le calvinisme a été la grande affirmation de l’existence individuelle, avec ses responsabilités, ses choix, dans une opposition complète au système féodal.

    Or, c’est pourtant à travers le système féodal que s’est développé la bourgeoisie, dans la mesure où elle a profité de la monarchie absolue se mettant en place sur une base féodale, mais tendant vers la bourgeoisie dans une part significative.

    C’est ce paradoxe qui fait que le calvinisme n’a pas su comment renverser la féodalité, étant lui-même né à travers lui, ne l’identifiant qu’imparfaitement et étant dans l’incapacité de définir ce qu’est le pouvoir d’État, se faisant par conséquent maltraité et brisé par celui-ci, à travers les épisodes des monarchomaques, de l’Édit de Nantes avec Henri IV.

    Cela a permis l’affirmation de l’État moderne de Louis XIV, qui est allé de pair avec la réalisation d’un haut niveau de civilisation, d’organisation sociale, qui était absolument nécessaire historiquement pour la production sociale d’une bourgeoisie capable de se développer à la hauteur de ses responsabilités révolutionnaires et d’entrevoir ce qu’est l’État.

    Le XVIIIe siècle, siècle des Lumières et de la Révolution française, n’est donc pas explicable sans le XVIIe siècle, le « grand siècle » fondé sur la monarchie absolue, stade le plus développé du féodalisme, ni sans le XVIe siècle, étape historique d’affirmation du capitalisme avec le calvinisme.

    Cette trajectoire historique en spirale, comme le définit le matérialisme historique, a été parallèle à deux autres trajectoires ayant souffert de déséquilibres profonds.

    A l’inverse d’en France, la bourgeoisie anglaise a accédé trop tôt à une existence sociale reconnue, ce qui est allé de pair avec un compromis relatif avec l’aristocratie anglaise participant au développement du capitalisme, et le maintien de tout un système de valeurs féodales, allant des châtiments corporels au maintien d’une religion semi-catholique.

    La bourgeoisie allemande a, quant à elle, accédé trop tard à une existence sociale reconnue, ce qui est allé de pair avec une soumission à l’aristocratie allemande assumant tant la bureaucratie qu’un capitalisme agraire par en haut, avec ainsi le maintien de tout un système de valeurs que synthétisera le national-socialisme.

    Pour cette raison, le romantisme a émergé comme phénomène historique tant en Angleterre qu’en Allemagne, correspondant au bouleversement du rapport entre villes et campagnes, entre travail manuel et travail intellectuel.

    Le romantisme est l’expression artistique d’une couche sociale urbanisée et petite-bourgeoise, confronté à des changements extrêmement rapides ; la petite-bourgeoisie n’étant pas une classe, le romantisme est une expression fantasmée, une analyse pleine de confusions en quête d’une harmonie fictive, une démarche confuse et en même temps exigeante.

    Le romantisme est, de fait, une démarche mystico-religieuse laïcisée.

    Au lieu d’avoir comme par le passé des prophètes prétendant exprimer de manière mystico-religieuse l’insatisfaction par rapport à la réalité, on a des individus affirmant leur « moi » tourmenté comme preuve de l’inadéquation de la réalité avec les possibilité d’une vie harmonieuse.

    La nature de cette vie harmonieuse dépend de la tendance des couches petites-bourgeoises portant le romantisme à basculer vers l’ancien ou le nouveau, la féodalité ou bien le capitalisme.

    Le romantisme anglais a ainsi une orientation esthétisante, de protestation contre le cynisme triomphant du capitalisme conquérant. Son horizon est « ultime » dans sa quête esthétique totale, notamment avec le fantastique (le Frankenstein de Mary Shelley), l’idéalisation de la chevalerie que prolongeront les pré-raphaélites, ainsi que William Morris qui lui se positionnera ouvertement en faveur du communisme, compris de manière romantique tel que c’est exposé dans les Nouvelles de nulle part.

    Le romantisme allemand a une orientation ouvertement progressiste à l’initial, exprimant de manière irrationnelle les besoins d’une bourgeoisie trop faible, avec notamment l’éloge de la spontanéité et de la dimension naturelle des rapports humains non policés selon les mœurs aristocratiques ; les grandes figures furent Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller.

    L’invasion napoléonienne transformera le romantisme allemand en son contraire, la bourgeoisie devant, pour protéger le cadre national, se lier à la féodalité autrefois combattue .

    Il est significatif que pour les nations allemande et anglaise, ce n’est pas la Rome antique qui servait de référence, mais le Moyen-Âge marqué par une spontanéité sociale germanique se voulant plus authentique et concrète. Le romantisme a, dans les cas allemand et anglais, participé à la formation du cadre culturel et idéologique national.

    Tel n’a pas été le cas en France ; le romantisme français fut historiquement une récupération ultra-royaliste idéalisant le Moyen-Âge, basculant dans le catholicisme social devant l’effacement de l’aristocratie, comme le montre l’exemple de Victor Hugo.

    Honoré de Balzac est un immense auteur justement parce que, s’il est resté romantique, cela a été un prétexte pour une confrontation authentique avec la réalité. Son romantisme est allé jusqu’au bout.

    Dans une lettre à l’écrivain Margaret Harkness en 1888, Friedrich Engels constate ainsi :

    « Le réalisme, à mon avis, suppose, outre l’exactitude des détails, la représentation exacte des caractères typiques dans des circonstances typiques (…).

    Balzac, que j’estime être un maître du réalisme infiniment plus grand que tous les Zola passés, présents et à venir, nous donne dans La Comédie humaine l’histoire la plus merveilleusement réaliste de la société française, [spécialement du monde parisien], en décrivant sous forme d’une chronique de mœurs presque d’année en année, de 1816 à 1848, la pression de plus en plus forte que la bourgeoisie ascendante a exercée sur la noblesse qui s’était reconstituée après 1815 et qui [tant bien que mal] dans la mesure du possible relevait le drapeau de la vieille politesse française […].

    Sans doute, en politique, Balzac était légitimiste ; sa grande œuvre est une élégie perpétuelle qui déplore la décomposition irrémédiable de la haute société ; toutes ses sympathies vont à la classe condamnée à disparaître.

    Mais malgré tout cela, sa satire n’est jamais plus tranchante, son ironie plus amère que quand il fait précisément agir les aristocrates, ces hommes et ces femmes pour lesquelles il ressentait une si profonde sympathie.

    Et [en dehors de quelques provinciaux], les seuls hommes dont il parle avec une admiration non dissimulée, ce sont ses adversaires politiques les plus acharnés, les héros républicains du Cloître Saint-Merri, les hommes qui à cette époque (1830-1836) représentaient véritablement les masses populaires.

    Que Balzac ait été forcé d’aller à l’encontre de ses propres sympathies de classe et de ses préjugés politiques, qu’il ait vu l’inéluctabilité de la fin de ses aristocrates chéris, et qu’il les ait décrit comme ne méritant pas un meilleur sort ; qu’il n’ait vu les vrais hommes de l’avenir que là seulement où l’on pouvait les trouver à l’époque, cela, je le considère comme un des plus grands triomphes du réalisme et l’une des caractéristiques les plus marquantes du vieux Balzac. »

    Ainsi, le romantisme consiste en une critique fantasmagorique de la réalité, dont la base est petite-bourgeoise.

    Il peut soit basculer dans la confrontation avec la réalité, dans le camp de la classe ouvrière, du réalisme, soit basculer dans le mysticisme et l’idéalisation réactionnaire du passé.

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  • Le matérialisme dialectique et le nucléaire civil et militaire

    Le matérialisme dialectique considère que l’Univers est uniquement matériel et qu’il se développe qualitativement. Il n’y a pas de retour en arrière possible de manière générale dans ce processus de synthèse, de complexification.

    Pour cette raison, il semble que les communistes d’Union Soviétique et de Chine populaire ont fait une erreur en considérant que l’énergie nucléaire issue de la fission pouvait, dans un cadre civil et non militaire, servir positivement le développement de l’Humanité.

    En effet, dans le mouvement de la matière, il existe un processus de complexification appelé la fusion nucléaire, qui se déroule au moyen des étoiles. La nucléosynthèse stellaire donne naissance à la plupart des éléments chimiques, ceux plus légers que le fer l’étant dans un processus aboutissant à l’explosion des étoiles massives, explosion qui donne elle-même naissance à ceux plus lourds que le fer.

    Il s’agit d’un processus de combinaison des éléments, pour en former de plus complexes. Voici le tableau indiquant la formation des éléments ; on notera que certains se voient attribués une origine liée au Big Bang, ce dernier concept étant une aberration du point de vue du matérialisme dialectique, qui considère que l’Univers est éternel.

    Le principe de l’énergie nucléaire actuelle se fonde sur la fission des atomes et non sur leur fusion, leur synthèse. Il s’agit ici d’un processus de destruction de ce qui a été rendu plus complexe dans un processus naturel.

    La nature meurtrière, instable, incontrôlable de l’énergie nucléaire issue de la fission tient justement à cette dimension anti-naturelle. L’exemple de la catastrophe de Tchernobyl, qui a commencé il y a précisément trente années, est un exemple frappant et terrible.

    Le principe de la fission nucléaire obéit au principe de retourner en arrière dans le mouvement dialectique de la matière.

    Il est significatif que les révisionnistes, partisans du pragmatisme dans la production, aient, une fois parvenus à la tête de pays devenus les social-impérialisme russe et social-fascisme chinois, systématiquement considéré comme incontournable cette énergie nucléaire.

    Les révisionnistes ont également contribué à la prolifération de l’utilisation militaire du nucléaire, à l’opposé complet du point de vue communiste prônant son bannissement.

    Lors d’une interview en octobre 1951, Staline résuma ainsi le point de vue communiste :

    « Il a été procédé récemment chez nous à l’essai d’un des types de la bombe atomique. L’expérimentation de bombes atomiques de différents calibres se poursuivra également à l’avenir d’après le plan de défense de notre pays contre une attaque de la part du bloc agressif anglo-américain (…).

    Les personnalités des États-Unis d’Amérique ne peuvent ignorer que l’Union soviétique est non seulement contre l’emploi de l’arme atomique, mais encore pour son interdiction, pour la cessation de sa fabrication.

    Comme on le sait, l’Union soviétique a exigé à plusieurs reprises l’interdiction de l’arme atomique mais elle s’est heurtée, chaque fois, à un refus de la part des puissances du bloc Atlantique.

    Cela signifie qu’en cas d’agression des États-Unis contre notre pays les milieux gouvernants des États-Unis d’Amérique feront usage de la bombe atomique.

    C’est précisément cette circonstance qui a contraint l’Union soviétique à avoir l’arme atomique afin de recevoir les agresseurs dans la plénitude de ses moyens.

    Naturellement, les agresseurs voudraient que l’Union soviétique se trouve désarmée en cas d’agression de leur part contre elle.

    Mais l’Union soviétique n’est pas de cet avis et pense que c’est dans la plénitude de ses moyens qu’elle doit recevoir l’agresseur (…).

    Les personnalités des États-Unis d’Amérique sont mécontentes de ce que le secret de l’arme atomique soit détenu non seulement par les États-Unis d’Amérique mais par d’autres pays également et, en premier lieu, par l’Union soviétique.

    Elles voudraient que les États-Unis d’Amérique aient le monopole de la fabrication de la bombe atomique, que les États-Unis d’Amérique aient la possibilité illimitée d’intimider les autres pays et d’user de chantage à leur égard.

    Mais quelle raison ont-elles, en somme, de penser ainsi, et quel droit ? L’intérêt du maintien de la paix exige-t-il un tel monopole ?

    Ne serait-il pas plus exact de dire que le contraire est vrai, que c’est précisément l’intérêt du maintien de la paix qui exige en premier lieu la liquidation de ce monopole et, ensuite, l’interdiction de l’arme atomique que dans le cas où ils verront qu’ils n’en détiennent plus le monopole (…).

    L’Union soviétique est pour l’interdiction de l’arme atomique et pour la cessation de sa fabrication.

    L’Union soviétique est pour l’établissement d’un contrôle international afin que la décision sur l’interdiction de l’arme atomique, sur la cessation de la fabrication de cette arme et sur l’emploi exclusivement à des fins civiles des bombes atomiques déjà fabriquées soit observée de la façon la plus stricte et la plus consciencieuse.

    L’Union soviétique est précisément pour un tel contrôle international.

    Les personnalités américaines parlent également de « contrôle », mais leur « contrôle » entend non la cessation de la fabrication de l’arme atomique mais la continuation de cette fabrication, et cela en des quantités correspondant à la quantité de matières premières dont disposent tels ou tels pays.

    Par conséquent, le «contrôle» américain entend non l’interdiction de l’arme atomique mais sa légalisation et sa légitimation. »

    A la suite de la prise du pouvoir par la clique révisionniste en 1953, l’URSS est devenu un social-impérialisme ayant systématisé le nucléaire civil et militaire. L’armement atomique fut généralisé, jusqu’à former à un arsenal terrifiant, avec à son apogée pas moins de 45 000 têtes nucléaires.

    Cette multiplication d’armes de destruction massive montre bien la contradiction fondamentale du social-impérialisme soviétique avec la ligne de Staline ne fournissant que deux situations possibles pour l’emploi de l’arme atomique : en cas d’attaque nucléaire contre l’URSS, ainsi qu’en cas de menace de destruction du pays lui-même au moyen d’armes conventionnelles, c’est-à-dire une invasion.

    La Chine populaire de Mao Zedong assuma exactement la même ligne que l’URSS à ce sujet.

    Cette position est indéniablement juste, dans la mesure où elle est strictement défensive et va dans le sens de la bataille pour le bannissement des armes nucléaires.

    Cependant, de par sa nature, le nucléaire civil issu de la fission est une erreur du point de vue du matérialisme dialectique. Le principe de la fission divise ce qui doit être encore plus synthétisé et en ce sens, il est anti-historique, opposé à la tendance générale de la matière.

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  • Les relations sentimentales du point de vue du matérialisme dialectique

    Le mot impression vient du latin impressio, signifiant « action d’appuyer sur » ; le radical indo-européen commun per signifiant « frapper ». Or, qu’est-ce qui est frappé ? Justement la matière grise. C’est pour cela qu’on dit que quelqu’un nous a marqué. Notre cerveau, en tant que matière grise, possède son empreinte.

    Voilà pourquoi ont tort les personnes prétendant vivre leur vie selon leurs propres « choix », à la mode de l’existentialisme. Ils prétendent que leur esprit « domine » leur corps, niant que l’esprit et le corps ne forment qu’un seul et même ensemble matériel. Dans leur logique, ils pourraient ainsi mettre de côté des impressions, comme bon leur semble.

    L’exemple si commun de la vie en société bourgeoise qu’est la personne niant une relation sentimentale du jour au lendemain tient précisément à cela. Elle pense qu’elle peut gérer de manière « libre », « rationnelle » ; se voulant « pur esprit », elle s’imagine pouvoir mettre de côté les sentiments.

    C’est naturellement impossible et cette personne se retrouve avec des « cadavres dans le placard », devenant une pure bombe à retardement sur plan sentimental et affectif. En fait, on devrait même dire qu’elle n’est plus qu’un être humain de manière équivoque.

    Le thème de la fidélité tient précisément à cette question. Les idéalistes s’imaginent que l’empreinte ne peut être qu’éternelle, les post-modernes qu’elle ne peut être qu’éphémère. En réalité, il s’agit de porter un regard matérialiste sur l’empreinte, et de voir dans quelle mesure elle est « vivante » encore ou non.

    Voir une empreinte là où il n’y en a pas ou là il n’y en a plus aboutit à un dérèglement du comportement individuel, car il y a inadéquation entre la réalité reflétée dans l’esprit et le comportement dans cette même réalité.

    C’est cela qui faisait dire à Baruch Spinoza que « L’amour n’est rien d’autre qu’une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Ce qu’on appelle l’amour est une représentation idéologique d’une réalité – la joie – reflétée dans l’esprit ; l’amour c’est, en fait, la joie de la joie, le fait d’être joyeux d’être joyeux !

    La joie en elle-même, de manière cohérente sur le plan matérialiste, chez Baruch Spinoza, correspond au « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection » : plus on utilise ses facultés en tant qu’être humain, plus on est épanoui.

    Cela sous-tend bien entendu que l’être humain a une essence, décidée par la nature, par l’univers (ce que Baruch Spinoza ici, à son époque, masque sous le vocable de « Dieu » tout en précisant « Dieu ou la nature », les deux termes s’équivalant).

    L’idéologie de l’existentialisme nie précisément cette essence, en affirmant de son côté qu’il y a d’abord l’existence, ensuite l’essence : on pourrait choisir qui on est ou qui on devient. D’où les théories post-modernes raisonnant en termes de « transphobie », de « queer », de « genre », de « pansexuel », etc., leur rejet du couple, leur rejet de tout ce qui est universel, leur rejet des Lumières, leur rejet de l’Humanisme, etc.

    Du point de vue du matérialisme dialectique à l’opposé, il n’y a pas de « libre-arbitre », le cerveau n’étant qu’une caisse de résonance, les pensées formant un développement dialectique de la matière elle-même, avec notamment les neurones.

    Une relation sentimentale ne se commande par conséquent pas : elle s’établit de manière matérialiste, dans les faits, dans la réalité, elle se reconnaît à son empreinte, et être matérialiste c’est l’assumer. Comme le dit l’adage, on tombe amoureux quand on s’y attend le moins.

    Le drame de la société bourgeoisie est que justement par opportunisme, par obéissance au principe d’accumulation du capital, des individus réfutent leurs propres sentiments.

    Il faut ici bien noter que les idéologies post-modernes prétendent combattre le capitalisme, mais poussent en réalité son raisonnement individualiste jusqu’au bout, en individualisant au maximum les individus.

    L’idéologie post-moderne n’est qu’une réponse particulière, individuelle, à un problème d’ordre général. Elle nie le couple en prétendant combattre le capitalisme, alors qu’elle ne fait que pousser la logique capitaliste jusqu’au bout. Au couple instable du capitalisme, elle fait un fétiche de l’instabilité.

    A cela on ne peut qu’opposer le romantisme révolutionnaire : un couple ne peut s’épanouir, dans notre société, qu’en levant la bannière de la sincérité et de l’authenticité, car pour être lui-même réel, authentique, honnête, il doit combattre culturellement et idéologiquement les valeurs dominantes.

    Un couple authentique ne saurait rester stable dans une société capitaliste : il est rongé, attaqué de toutes parts par les appels opportunistes. Sans compréhension de cela, il y a effondrement ; l’amertume de bien des couples échouant provient de cette incompréhension idéologique de ce qui s’est passé.

    C’est pourquoi ici les films hollywoodiens font l’éloge des couples petits-bourgeois new yorkais : à l’abri du grand capitalisme mais également éloigné du prolétariat, le couple pourrait faire son « cocon ».

    Il va sans dire que c’est le rêve d’une immense part de la population française, plus exactement des jeunes s’établissant en tant qu’adultes dans la vie sociale.

    Il y a une part de dignité du réel, car il s’agit de se protéger et de protéger une relation sentimentale ; en même temps, c’est une fuite, une tentative illusoire de vivre à côté de la société. Ce qui se déroule alors est un processus où le couple devient autocentré, et ne possédant forcément pas la force de vivre indépendamment du reste du monde, il va à l’effondrement par l’absence de production culturelle.

    La réponse est alors de faire des enfants, dans l’idée de cimenter la relation, mais aussi d’intégrer la société sans l’intégrer, par des « intermédiaires ». Là encore c’est une illusion, car les enfants sont victimes de projection, ne sont pas éduqués car les parents sont autocentrés et basculent dans l’immaturité, alors que de toutes manières la société en pleine décadence formate les enfants dans un cadre ultra-individualiste.

    On a là un drame tout à fait actuel, au cœur même de la société française ; c’est quelque chose qui devrait être représenté dans les arts et les lettres, au moyen du réalisme socialiste.

    Ce serait là aider à la prise de conscience de ce qui est réel et ainsi servir le peuple, mais aussi combattre le fascisme qui profit des déceptions des gens cherchant de manière immature à être enchantés par le capitalisme.

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  • Étape et saut qualitatif

    Si l’on prend l’article Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine, publié ce 1er décembre 2011, et on le met en rapport avec l’article Inévitabilité du communisme et thermodynamique publié le 15 novembre 2010, on a un aperçu relativement clair du principe du saut qualitatif.

    Imaginons en effet quelqu’un qui ferme un robinet, arrêtant le processus où l’eau s’écoule. A-t-il réalisé un retour en arrière dans le temps, au moment où l’eau ne coulait pas, avant que l’eau ne s’écoule ?

    Non, évidemment. Prenons un autre exemple : une équipe de football marque un but, après que l’autre équipe ait marqué également. On en revient à un score d’égalité, 1 partout. Mais est-il juste de dire qu’on en « revient » à un tel score d’égalité, qui auparavant était justement de 0 à 0 et non de 1 partout ?

    En fait, non, et c’est là une des bases du matérialisme dialectique : le retour en arrière n’est pas possible. C’est ce qu’explique le document sur l’inévitabilité du communisme et la thermo-dynamique ; pour citer Engels :

    « C’est pourquoi la méthode dialectique considère que le processus du développement doit être compris non comme un mouvement circulaire, non comme une simple répétition du chemin parcouru, mais comme un mouvement progressif, ascendant, comme le passage de l’état qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur. »

    En marquant un but, le match est allé de l’avant ; même une égalisation n’est pas un retour en arrière. D’ailleurs le chronomètre n’est pas remis en arrière (ne serait-ce que symboliquement puisqu’on ne retourne pas en arrière dans le temps non plus).

    Mais il ne faudrait pas penser que les choses vont de manière linéaire. Prenons l’exemple d’un couple, qui en arrive à une rupture.

    Est-il possible à ce couple de réparer les dégâts et de « revenir ensemble » ? Non ce n’est pas possible. Le couple peut se reformer, mais ce n’est plus le même couple pour ainsi dire, il y a eu un saut qualitatif et la nature de leur relation a atteint un niveau plus complexe.

    On peut même considérer qu’un couple n’existe qu’une fois atteint justement un certain niveau de complexité. Et c’est vrai pour tout phénomène : tant qu’un certain niveau n’est pas atteint, la situation est précaire. Un enfant n’est pas un adulte, il est faible ; ce n’est qu’au bout du processus qu’il le sera définitivement.

    Ce processus étant évidemment, en quelque sorte, parsemé d’embûches.

    Le matérialisme dialectique enseigne ainsi que le « développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur » n’est pas linéaire. La révolution peut l’emporter, mais n’étant pas complète ou plus exactement complétée, la contre-révolution revient temporairement, la révolution grandissant et l’emportant de nouveau (finalement), dans un processus ne se terminant que lorsque le nouveau écrase l’ancien pour de bon.

    C’est cela qui explique pourquoi en Chine populaire, Deng Xiaoping n’a pas été fusillé, alors qu’il représentait la ligne noire, anti-Mao Zedong. Mao Zedong avait parfaitement compris la dialectique, nous permettant de comprendre celle-ci précisément (notamment grâce à son classique « De la contradiction »).

    Il savait que la présence de Deng Xiaoping permettait de comprendre plus facilement où était la ligne noire, alors que si on le fusillait, la ligne noire continuerait d’exister sans pour autant être visible facilement.

    D’ailleurs, à la mort de Mao Zedong, ce n’est pas officiellement Deng Xiaoping qui prend le pouvoir, pour une raison tactique, afin de masquer le révisionnisme.

    Mao Zedong avait compris que la Chine devait connaître une avancée dans les forces productives, mais la question était de savoir si elle serait portée par la ligne rouge ou la ligne noire.

    La construction du socialisme dans un pays anciennement semi-féodal semi-colonial consiste en effet en des étapes difficiles et douloureuses, présentant autant de dangers face à la bourgeoisie.

    Celle-ci était incapable de porter auparavant le capitalisme dans tout le pays et d’unifier celui-ci ; mais dans le socialisme, la bourgeoisie peut trouver une petite place, et même soumise elle tente de prendre le pouvoir. C’est le sens de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) de viser à empêcher cela.

    Mais empêcher cela ne signifie pas s’y opposer mécaniquement. Il y a des étapes dans la GRCP, strictement parallèlement aux étapes de la construction du socialisme en Chine populaire.

    Et une fois l’étape (déterminée précisément) terminée, une fois le « développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur » réalisée, il n’y a plus de retour en arrière.

    Toutefois, regardons ce qui se passe si la ligne noire l’emporte. Si l’on prend par exemple l’URSS dans les années 1950, le pays s’était reconstruit après la seconde guerre mondiale impérialiste. Il y avait là un tournant, un « développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur. »

    Ce tournant n’a pas été compris de manière complète par la ligne rouge, malgré un aperçu relativement net (Staline : Les problèmes économiques du socialisme en URSS, 1951).

    Le résultat a été le triomphe de la ligne noire, avec Khrouchtchev (et ici justement et d’ailleurs en URSS les communistes n’avaient pas compris le principe dialectique de la lutte de deux ligne).

    L’URSS a alors connu un « développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur » car l’économie s’est modernisée et renforcée, mais sous la direction de la ligne noire. Cela a amené la naissance du social-impérialisme russe.

    Et, de fait, une fois le développement réalisé, impossible d’aller en arrière. Cela signifie-t-il que la révolution a échoué, dans son ensemble ?

    Non, mais cela signifie que pour cette étape, la ligne noire l’emporte, qu’objectivement la base a été modifié et qu’ainsi, la révolution connaît un redémarrage, non pas dans ses fondamentaux, mais dans sa force.

    Le triomphe du révisionnisme en URSS en 1953 et en Chine populaire en 1976 marque l’aboutissement d’un processus ; celui-ci réalisé, il n’est pas possible de retourner en arrière.

    Il y avait un « développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur » et la ligne noire en a profité pour l’emporter. Mais le principe de la thermodynamique, qui finalement appartient à la dialectique, fait qu’on ne peut pas réparer les erreurs, la base a changé, il faut « recommencer. »

    De la même manière qu’un couple qui se reforme de ne « reforme » pas, mais forme une relation renouvelée.

    C’est le principe du nouveau qui chasse l’ancien, non pas de manière linéaire, mais par sauts qualitatifs.

    Mais qu’est-ce qui pourrait empêcher de penser alors que la roue de l’histoire peut aller de l’avant si la ligne rouge l’emporte, et en arrière si la ligne noire l’emporte ?

    Qu’est-ce qui au fond empêche tout retour en arrière, pourquoi la ligne noire ne ferait-elle pas reculer l’histoire, disons au moyen-âge ou la barbarie ?

    Eh bien, ce n’est pas possible en raison des forces productives ; leur accroissement amène une situation différente, permettant un développement différent.

    Bien entendu, si une série de catastrophes nucléaires anéantissaient l’ensemble de la planète, alors le processus recommencerait à un développement plus bas. Encore est-il que cela est même improbable (la série de catastrophes nucléaires) si l’on considère que le développement est ce qui compte.

    Mao Zedong a souligné cela, en partant non point de vue de notre simple planète, mais du développement de l’univers lui-même :

    « Même si les bombes atomiques américaines étaient d’une telle puissance que, larguées sur la Chine, elles feraient un trou à travers la planète, ou la feraient exploser, cela ne signifierait presque rien, à l’échelle de l’univers – quoique ce puisse être un événement notable pour le système solaire. »

    Mao Zedong a raison de considérer ici que le développement n’est pas simplement à notre échelle, mais à celui de l’univers qui se transforme.

    Cependant, à part ce cas de figure, le développement amène inévitablement le triomphe du communisme. Reste à savoir si les étapes seront rendues plus simples ou pas, selon le degré de conscience de l’humanité.

    Il est évident, par exemple, que sans une juste compréhension de la biosphère, l’humanité se complique grandement la tâche. Même si inversement et justement, les problèmes du réchauffement climatique se posent comme réalité matérielle que l’humanité doit saisir dans sa conscience.

    Pour résumer : une fois une étape matérielle passée, un retour en arrière n’est pas possible. Le capitalisme ne peut pas se transformer en féodalisme.

    Mais, par conséquent, lorsque la ligne noire triomphe sur la ligne rouge et profite d’un problème lors d’une étape, alors inévitablement la situation est modifiée et la ligne rouge doit se reformuler, selon les nouvelles conditions.

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  • «Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine»

    Voici une simple phrase qui a l’air toute logique :

    « Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine »

    Cela a l’air logique, en effet. Mais la logique n’est pas le matérialisme dialectique. La logique, c’est la logique, avec des concepts comme par exemple effet, cause, conséquence, origine.

    Il est donc incorrect de formuler une phrase comme : « Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine. » Pour le matérialisme dialectique, cette phrase est impossible. Le matérialisme dialectique, quant à lui, n’utilise pas ces concepts et ne considère pas un phénomène comme le fait la logique.

    Comment la logique comprend-elle un phénomène ? La logique est une méthode très particulière, élaborée au cours de nombreux siècles, principalement à partir d’Aristote. Le point de départ, c’est ce qu’on appelle le syllogisme:

    Socrate est un homme

    Les hommes sont mortels

    Donc : Socrate est mortel

    Voici comment le philosophe juif Maïmonide (1138-1204) présente le fond de la pensée d’Aristote :

    « Il a été exposé dans la Physique que tout ce qui existe, excepté la Cause Première, doit son origine aux quatre causes suivantes – la matière, la forme, l’agent (ou l’efficient) et la fin.

    Elles sont parfois prochaines, parfois lointaines, mais chacune de ces quatre est appelée cause.

    Ils pensent aussi, et je ne le conteste pas, que Dieu – bénit soit-il – est l’efficient du monde, sa forme et sa fin. » (Moreh Nebukim).

    Si l’on utilise en effet les concepts de cause et de conséquence, alors un phénomène a une cause et une conséquence, et ce serait valable, logiquement, pour tous les phénomènes.

    Cela revient inévitablement à dire que nous avons une cause nous-même en tant qu’individus (les parents ? L’espèce?). Et cela revient à dire que le monde, dans son ensemble, a une cause.

    Or, pour le matérialisme dialectique, le monde est sa propre « cause. » Il n’y a pas d’origine à un phénomène : un phénomène est une transformation, avec un saut qualitatif. Il ne peut pas être « causé » – il se produit.

    Voici comment Mao Zedong présente cette question dans De la contradiction :

    « L’école de Déborine, comme la lecture des articles dans lesquels les philosophes soviétiques la soumettent à la critique permet de le constater, considère que la contradiction n’apparaît pas dès le début du processus, mais à un certain stade de son développement. 

    Il s’ensuit que jusqu’à ce moment le développement du processus se produit non sous l’action des causes internes, mais sous celle des causes externes. Déborine revient ainsi aux théories métaphysiques des causes externes et du mécanisme. »

    « La cause fondamentale du développement des choses et des phénomènes n’est pas externe, mais interne; elle se trouve dans les contradictions internes des choses et des phénomènes eux-mêmes. »

    « Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde. »

    Le matérialisme dialectique rejette donc la théorie des causes externes.

    Est donc incorrecte la phrase :

    « Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine »

    qui sépare abstraitement l’effet et la cause, cassant le processus en deux éléments distincts, avec la cause qui serait « origine » et l’effet qui serait en quelque sorte la conséquence logique du phénomène.

    Mais est-ce que cela veut dire qu’un « effet » peut se produire avec sa « cause » ? Justement, cela ne veut rien dire car tout phénomène s’auto-transforme. C’est cela, la dialectique de la matière éternelle.

    Et c’est précisément le point d’ailleurs sur lequel a buté Aristote, avec le fameux « l’oeuf et la poule. »

    Aristote a dû élaboré toute une série de concepts : acte possible (« en puissance »), acte réalisé (« en acte »), génération, etc. pour tenter de s’en sortir.

    Et il a dû systématiquement se fonder sur un Dieu suprême qui serait le « Moteur » de tout mouvement, afin que son système de cause et de conséquence se mette en branle. Les penseurs juifs, arabes et perses de la période de la Falsafa commençaient leurs ouvrages par saluer Dieu comme cause de toutes les causes.

    Mais le matérialisme dialectique ne reconnaît pas une cause ayant logiquement une cause qui elle-même, etc. jusqu’à la cause suprême, appelé « Dieu. »

    Le matérialisme dialectique considère que la matière s’auto-transforme à coups de sauts qualitatifs !

    Le mouvement est le produit de l’identité des contraires – or, cause et conséquence s’opposent absolument.

    Dans la Dialectique de la nature, Engels présente ainsi l’erreur d’Aristote – erreur qui avait le mérite de paver la voie à la science, comme expliqué dans l’article L’importance historique (pour l’idéalisme) d’Aristote, disciple de Platon :

    « Deux courants philosophiques : le courant métaphysique avec des catégories immuables, le courant dialectique (Aristote et surtout Hegel) avec des catégories fluides ; les preuves que ces oppositions immuables : fondement et conséquence, cause et effet, identité et différence, apparence et essence, ne résistent pas à la critique, que l’analyse montre l’un des pôles déjà in nuce [en germe] dans l’autre, qu’à un point déterminé un pôle se convertit en l’autre et que toute la logique ne se développe qu’à partir de ces oppositions en mouvement progressif (…).

    Mais maintenant tout cela a changé. La chimie, la divisibilité abstraite du physique, le mauvais infini, – l’atomistique. La physiologie, – la cellule (le processus de développement organique tant des individus que des espèces par différenciation est la preuve la plus flagrante de la dialectique rationnelle), et enfin l’identité des forces de la nature et leur conversion réciproque, qui a mis fin à toute fixité des catégories. »

    Et donc, puisque les catégories ne sont pas « fixes », il est vrai qu’un effet peut se produire avant la cause qui en est à l’origine.

    Prenons ici un exemple avec la classe ouvrière. Celle-ci existe avec le mode de production capitaliste. Mais sa naissance a été un processus lent, et il y a eu des prémices. Ces prémices n’étaient-elles pas un effet – le courant plébéien de Babeuf durant la révolution française par exemple – avant la cause ?

    En fait, il n’y a pas de cause externe, c’est ce qui fait que l’expression peut exister, de manière balbutiante, avant que la cause interne ne soit complétée.

    Une femme enceinte peut ressentir un coup de pied du bébé – effet d’une cause qui n’existera au sens strict qu’avec la naissance de l’enfant.

    Cela sonne très contradictoire, mais c’est justement contradictoire, car il faut maîtriser le processus de contradiction. Une phrase comme « Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine »  ne veut rien dire pour le matérialisme dialectique.

    Pour finir, regardons de manière simple en nous demandant la chose suivante : est-il possible que la lumière d’une lampe-torche soit projetée sur le mur avant qu’on ait appuyer sur le bouton pour allumer la lampe ?

    Il est évident que non. Mais il ne s’agit pas d’une « cause » et d’une « conséquence. » Bien entendu, on peut le voir ainsi, ce que l’humanité a fait pour nombre d’actions pendant des centaines d’années.

    Mais en réalité, l’énergie contenue dans la lampe torche s’est transformée.

    C’est comme si on disait que la balle ne peut pas être lancée avant qu’on ait tapé dedans. Sauf que la balle est projetée par une énergie équivalente au coup. L’énergie s’est transformée.

    L’être humain ne voit pas cela, il pense qu’il a provoqué quelque chose, qu’il a créé, alors qu’il participe à un processus de transformation, de production.

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  • Le matérialisme dialectique et les «roi, prêtre, professeur, prostituée, mercenaire»

    Selon le matérialisme dialectique, chaque société se détermine par son mode de production. Ce qui compte, c’est la manière avec laquelle la société reproduit la vie de la société et de ses membres, dans quelle mesure elle élargit les moyens économiques permettant cette vie.

    Par conséquent, pour saisir la nature d’un mode de production, l’attention doit être portée sur la production réelle, pas sur la manière dont cette production est ensuite répartie. L’une des thèses récentes et fondamentalement erronée vise par exemple à faire des prostituées des « travailleurs du sexe ».

    Cela n’a aucun sens, car ce qui compte ce n’est pas la rémunération, mais la contribution à la production, qui n’existe pas pour les prostituées. Il en va de même pour toute une série de fonctions sociales.

    Dans Le Capital, Karl Marx nous explique au sujet de cette question :

    « Tous les membres de la société qui ne figurent pas directement dans la reproduction, avec ou sans travail, ne peuvent recevoir leur part du produit marchande annuelle – donc leurs moyens de consommation – que des catégories auxquelles la production échoit en première main : travailleurs productifs, capitalistes industriels et propriétaires fonciers.

    De ce point de vue, leurs revenus proviennent materialiter [matériellement] du salaire (des travailleurs productifs), du profit et de la rente foncière.

    Donc, ils apparaissent comme dérivés à ces revenus initiaux.

    Par ailleurs, cependant, les bénéficiaires de ces revenus dérivés, dans le sens que nous venons de voir, les reçoivent en vertu de leur fonction sociale de roi, prêtre, professeur, prostituée, mercenaire, etc. et peuvent donc tenir ces fonctions pour les sources premières de leurs revenus. »

    Il est tout à fait possible qu’un professeur se dise qu’il tire son salaire de la production générale de la société, que sans l’éducation qu’il fournit, cette même production générale ne serait pas ce qu’elle est.

    Cependant, c’est là un point de vue fondamentalement idéaliste. La société est déterminée par sa production de marchandises et le professeur ne participe pas à cette production de marchandises. Son salaire – c’est-à-dire le moyen de se procurer des marchandises – lui est fourni à partir de la part de ceux et celles qui participent directement, réellement à la production.

    C’est pour cette raison que Karl Marx et Friedrich Engels opposent deux classes : le prolétariat et la bourgeoisie. Dans la citation du Capital, il divise la bourgeoisie en propriétaires fonciers – qui possèdent les terres qu’ils fournissent à des gens la travaillant pour eux – et les capitalistes industriels, dont les ateliers et usines produisent les marchandises.

    Dans cette perspective, le capitaliste financier est également quelqu’un qui parasite la production, bien que lorsqu’il investit, il devienne en partie lui-même un capitaliste industriel, conformément à l’analyse de Lénine sur la fusion du capital bancaire et du capital industriel.

    Le matérialisme dialectique ne considère donc pas que les « roi, prêtre, professeur, prostituée, mercenaire » aient une activité relevant de la production, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’aient pas d’utilité sociale ; dans la citation de Karl Marx, le choix de ces catégories tient à ce que les personnes exerçant ces activités sont au service de la bourgeoisie.

    Karl Marx pensait ici aux professeurs d’université, mais il en est de même pour les professeurs des collèges et lycées, qui s’imaginent participer économiquement à la société, alors que leur existence est déterminée par le capitalisme qui sacrifie une part de sa richesse sociale afin de leur assurer une existence qui, on s’en doute, est nécessairement à leur service.

    Les professeurs s’imaginent fournissant une éducation « neutre » dans un cadre lié à l’État « neutre », et partant de là participer à la production, alors qu’en réalité ils relèvent de la superstructure érigée sur l’infrastructure qu’est le mode de production.

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  • La compréhension matérialiste dialectique du rapport travail – travailleur

    Il est bien connu que le symbole communiste est le drapeau rouge frappé du marteau et de la faucille. Le drapeau rouge est le drapeau historique du mouvement ouvrier, qui a versé son sang pour la cause du socialisme. Le marteau représente la classe ouvrière, la faucille la paysannerie, ces deux classes étant unies pour diriger l’URSS à la suite de la révolution de 1917.

    Il y a ici quelque chose de très important à saisir : on ne peut pas séparer abstraitement le marteau et le faucille du drapeau rouge, afin de célébrer abstraitement le travail.

    En effet, si le travail est ce qui compte, c’est sa nature qui détermine comment il compte. Le rapport travail-capital forme un ensemble dialectique et on ne peut pas séparer abstraitement le travail du capital.

    C’est cela la grande erreur historique du syndicalisme dit révolutionnaire de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui considère que le travail serait en soi une valeur suprême, en tant qu’activité concrète suffisante en soi.

    Le fascisme et le national-socialisme ont précisément utilisé cette interprétation erronée afin de célébrer la figure du « travailleur », en gommant totalement la question de la réalité de la production.

    Il est, en effet, vrai que le travail modifie le monde, cependant la manière dont c’est fait est déterminante et cela change tout pour la notion de travail.

    Si l’on formule de manière abstraite cela, on en arrive à dire que le capitalisme donne du travail aux travailleurs, qui alors travaillent : dire cela revient à tourner en rond et perdre de vue l’aspect essentiel de la question, qui est de savoir comment et pourquoi il y a ce travail.

    Le travail de l’artisan au Moyen-Âge et de l’ouvrier d’industrie des années 1960, ou encore celui de l’ouvrier d’une usine robotisée de 2016, ne peuvent pas être intégrées abstraitement dans une catégorie « travail ».

    Comment saisir la complexité de la question ?

    Karl Marx, dans Le Capital, formule de la manière suivante cette problématique et sa résolution :

    « Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n’est pas le travail, mais le travailleur.

    Ce que celui-ci vend, c’est lui-même, sa force de travail.

    Dès qu’il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler, dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui.

    Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs, mais il n’a lui-même aucune valeur.

    Dans l’expression : valeur du travail, l’idée de valeur est complètement éteinte.

    C’est une expression irrationnelle telle que par exemple valeur de la terre. Ces expressions irrationnelles ont cependant leur source dans les rapports de production eux-mêmes dont elles réfléchissent les formes phénoménales.

    On sait d’ailleurs dans toutes les sciences, à l’économie politique près, qu’il faut distinguer entre les apparences des choses et leur réalité. »

    On a ici un paradoxe, qui tient au double aspect du travailleur : celui-ci travaille, mais dès qu’il travaille, le travail effectué lui est arraché.

    Deux erreurs sont alors possibles, qui ont la même base : tout d’abord, considérer le travailleur comme séparé de son travail. C’est l’idéologie du travailleur individuel qui vendrait à un moment donné son travail, pour être totalement un autre à un autre moment. L’individu serait producteur d’un côté, consommateur de l’autre, comme coupé en deux dans son existence.

    Ensuite, considérer le travail comme séparé de ce qui est travaillé, ce qui amènerait à concevoir un travail abstrait, qui pourrait arbitrairement être lié à telle ou telle production.

    Dans les deux cas, il y a une incompréhension de ce qu’est un mode de production. Un individu appartient toujours à l’espèce humaine dans son ensemble, qui reproduit sa vie réelle au moyen d’un mode de production.

    Cette incompréhension amène tant l’existence du travailleur individuel « mercenaire », vendant sa force de travail en se désintéressant totalement de la production en général, n’ayant en tête que sa vie de « consommateur » qu’il imagine « indépendante »…, que celle du travailleur faisant un fétiche de son activité personnelle dans la production, basculant dans le corporatisme de sa fonction, de son statut, etc.

    Il est aisé de voir que de multiples déviations ont existé dans le mouvement révolutionnaire, tentant justement de s’orienter uniquement par exemple vers la nature « mercenaire » du travailleur individuel précarisé, ou bien de s’appuyer unilatéralement sur une catégorie de travailleurs avec un statut identitaire bien particulier, comme les cheminots ou les postiers par exemple.

    Il ne s’agit pas de nier l’existence de catégories au sein des travailleurs, mais l’incapacité à concevoir que ces catégories ne sont qu’un aspect de l’activité travailleuse en général est erroné, tout comme l’oubli de la question du mode de production.

    Il est évident que si les bouchers, les policiers, les chauffeurs privés, les gardiens de prison, les travailleurs des centrales nucléaires, etc. travaillent, non seulement leur rapport à la production demande à être explicité (ainsi une prostituée, au sens strict, ne travaille pas, car ne produisant rien), mais en plus il est évident que leur identité individuelle – si on peut la séparer abstraitement de leur emploi – subit une aliénation de par le type d’activité exercée (esprit réactionnaire, obséquiosité, fétichisme hiérarchique, etc.).

    Le travail n’existe jamais en tant que valeur abstraite, séparée de son emplacement dans le mode de production. C’est le capitalisme qui croit que le travail a une valeur en lui-même (ce que le calvinisme dira), c’est le fascisme qui fait un fétiche du « travailleur » comme figure individuelle.

    Le communisme célèbre le travailleur comme élément de la classe des travailleurs ; il célèbre le travail comme transformation de la réalité conforme aux modes de production socialiste et communiste.

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  • Concentration et centralisation selon le matérialisme dialectique

    Il existe une différence essentielle entre concentration et centralisation, deux concepts très importants pour étudier l’évolution d’un phénomène.

    Une définition erronée serait de dire que le fait de concentrer signifie réunir en un centre ce qui était auparavant dispersé : on ne verrait alors nullement la différence avec le fait de centraliser. De fait, dans l’idéologie bourgeoise tend à assimiler les deux concepts.

    Pourtant, on dira que Louis XIV a concentré les pouvoirs, pas qu’il les a centralisés (ce qu’on devrait dire pourtant en réalité), tout comme on dira de l’État français qu’il est historiquement centralisé (alors qu’en réalité il a justement concentré les pouvoirs).

    Quelle est la différence entre concentration et centralisation et quelle est son importance ?

    Elle tient, de fait, à la question de la synthèse, du saut qualitatif. On peut formuler la chose de la manière suivante : une concentration se produit, alors qu’une centralisation est voulue.

    La concentration est un processus d’assemblage, de regroupement, se produisant en quelque sorte de manière naturelle, par la force des choses. Une colère dans une entreprise aboutissant à une grève est le produit d’une concentration de forces, de leur assemblage naturel dans le cadre d’une lutte de classes.

    Si, par contre, les travailleurs de l’entreprise avaient choisi de s’unir, de manière consciente, afin de lutter, alors cela aurait été un processus de centralisation.

    Dans le mouvement ouvrier, cette question n’avait initialement pas été comprise et une bonne partie de lui défendait alors la conception anarchiste du fédéralisme, de la concentration sur le long terme des forces dispersées des travailleurs.

    Le syndicalisme révolutionnaire est l’aboutissement logique de cette démarche où les travailleurs concentrent leurs forces ; l’incapacité de la CNT à savoir quoi faire en Espagne en 1936 témoigne de l’échec de cette approche.

    En réalité, les travailleurs doivent centraliser leurs forces, c’est-à-dire non pas simplement les ajouter, mais en former une unité complète dont la conclusion est précisément la révolution socialiste. C’est parce qu’il avait compris le principe de centralisation que Lénine avait pu mener la révolution de 1917, tout comme par la suite, au moyen de cette même compréhension, Staline a pu développer le principe de planification.

    Il en va de même pour Mao Zedong avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, qui n’a jamais été une lutte « décentralisée » de rebelles se « fédérant », mais un lutte de classe centralisée suivant une ligne précise.

    Citons ici Karl Marx qui, dans Le Capital, aborde cette question de la concentration et de la centralisation dans le cadre du développement du capitalisme.

    « L’accumulation du capital social résulte non seulement de l’agrandissement graduel des capitaux individuels, mais encore de l’accroissement de leur nombre, soit que des valeurs dormantes se convertissent en capitaux, soit que des boutures d’anciens capitaux s’en détachent pour prendre racine indépendamment de leur souche.

    Enfin de gros capitaux lentement accumulés se fractionnent à un moment donné en plusieurs capitaux distincts, par exemple, à l’occasion d’un partage de succession chez des familles capitalistes.

    La concentration est ainsi traversée et par la formation de nouveaux capitaux et par la division d’anciens.

    Le mouvement de l’accumulation sociale présente donc d’un côté une concentration croissante, entre les mains d’entrepreneurs privés, des éléments reproductifs de la richesse, et de l’autre la dispersion et la multiplication des foyers d’accumulation et de concentration relatifs, qui se repoussent mutuellement de leurs orbites particulières.

    A un certain point du progrès économique, ce morcellement du capital social en une multitude de capitaux individuels, ou le mouvement de répulsion de ses parties intégrantes, vient à être contrarié par le mouvement opposé de leur attraction mutuelle.

    Ce n’est plus la concentration qui se confond avec l’accumulation, mais bien un procès foncièrement distinct, c’est l’attraction qui réunit différents foyers d’accumulation et de concentration, la concentration de capitaux déjà formés, la fusion d’un nombre supérieur de capitaux en un nombre moindre, en un mot, la centralisation proprement dite. »

    Karl Marx constate ici que, de manière dialectique, il y a dans le capitalisme un processus de concentration dont l’autre aspect est la division. Quand des capitalistes décident d’unir leurs forces dans un projet, il y a concentration ; le décès d’un capitaliste et la division du capital pour les répartir aux héritiers est inversement une dé-concentration.

    Il y a toutefois, au bout d’un moment, « à un certain point du progrès économique », un saut qualitatif. La dimension individuelle de la propriété du capital se heurte à un processus de socialisation, que Karl Marx qualifie de « procès foncièrement distinct » : c’est la centralisation.

    Les forces sociales ont, en effet, été tellement développés qu’il faut des forces toujours plus colossales pour mettre en branle de nouveaux processus ; le pionnier américain cède la place au monopoles mettant d’immenses moyens pour procéder à des réalisations non plus simplement locales, mais à très grande échelle.

    La mise en place, par exemple, de câbles destinés à l’utilisation d’internet ne saurait être réalisée par du capital concentré : il faut une centralisation générale, tant à la source pour disposer unilatéralement de capital, de moyens pour lancer le projet, que dans la réalisation, avec un seul centre de décision.

    Voilà pourquoi l’URSS et la Chine populaire disposaient d’un pouvoir centralisé, d’une planification centrale à laquelle il fallait obéir ; voilà pourquoi, inversement, après 1953 et 1976, ces pays devenus capitalistes connaissaient l’existence de capitaux autonomes concentrant leurs forces, la planification n’existant plus.

    Il y a donc lieu de bien distinguer concentration et centralisation, le dernier terme devant désigner un saut qualitatif dans l’unification (de forces, d’idées, de moyens, etc.). Lénine, en tant que personne ayant donné une pensée-guide à la révolution russe, n’a pas concentré ses idées sur le marxisme, il les a centralisés.

    Et c’est bien la nature de la révolution socialiste que de procéder à des centralisations tout au long de son parcours, et non pas à des concentrations. Le Parti, la pensée-guide, l’idéologie, les organismes générés pour mobiliser les masses : tout cela est nécessairement une centralisation, une synthèse.

    La concentration reste ici résolument attachée au spontanéisme, au syndicalisme, à l’économisme, à l’incompréhension du matérialisme dialectique.

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