Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La planification soviétique : biogéocénose et biosphère

    Ce qui est frappant c’est que si les zapovedniks n’avaient pas été compris par les communistes d’Union Soviétique, une fois le révisionnisme ayant triomphé après 1953, les révisionnistes avaient tout à fait compris que les zapovedniks formaient pour eux une menace terrible.

    Le principe des zapovedniks tient à celui de Biosphère, de superorganisme ; il s’oppose à la conception bourgeoise d’écosystème où tout est relatif et individualisé, défendue par exemple en URSS par Leontii Ramensky (1884-1953), qui rejoignit le PCUS(b) en 1946.

    La base du zapovednik n’est pas que des êtres vivent en commun, mais bien qu’ils forment un ensemble. Pour cette raison, un nouveau concept fut développé et établi en URSS, en 1944 : celui de biogéocénose.

    Ce concept fut élaboré par Vladimir Sukachev (1880-1967), qui rejoignit le PCUS(b) en 1937 et fut un disciple de Ivan Borodine et de Georgy Morozov (1867-1920), devenant un spécialiste des sols dans la lignée de Vassili Dokoutchaïev. Georgy Morozov concevait également la forêt comme un système, considérant qu’il n’était pas possible de la considérer comme une sorte de « ferme » produisant des arbres.

    Selon lui, la forêt est « un seul organisme complexe avec des interconnections régulières entre ses parties et, comme tout autre organisme, se distinguant par une stabilité définie ». Ainsi, « une forêt n’est pas simplement une accumulation d’arbres, mais est elle-même une société, une communauté d’arbres s’influençant mutuellement, donnant ainsi naissance à toute une série de nouveaux phénomènes qui ne sont pas la propriété des arbres seulement ».

    C’est là un point de vue tout à fait matérialiste et bien entendu Georgy Morozov élargit le champ d’action des forêts au sol et à l’atmosphère ; la forêt n’est pas un phénomène géographique seulement, mais bien biologique.

    Georgy Morozov (1867-1920)

    Le concept de biogéocénose se situe dans cette perspective, étudiant la biocénose – un ensemble d’être vivants en interaction dans un milieu précis – en y ajoutant la dimension planétaire exigée par Vladimir Vernadsky. On a ici une assimilation de la biologie et de la géologie dans une même science planétaire d’étude des forêts.

    Il faut donc étudier le rapport entre les plantes, les micro-organismes, les animaux, les champignons, les bactéries, etc. c’est-à-dire voir comment l’énergie solaire permet à la vie de se développer et d’adapter l’ensemble de la réalité matérielle où elle se développe.

    Le problème est que le concept de biogéocénose a été limité à certains systèmes au sein de la Biosphère, sans que la dimension unifiée de celle-ci n’ait été soulignée. Cela n’aurait pu l’être justement qu’avec une juste compréhension matérialiste dialectique et des forces productives suffisamment développées pour avoir un niveau de conscience adéquat.

    La situation après 1950 a alors été la suivante : le révisionnisme rejetait tout ce qui se rapprochait du matérialisme dialectique et de son monisme, de sa vision unifiée de la réalité – même si dans le domaine de la Biosphère, les communistes soviétiques n’ont pas su aller jusqu’au bout de leur démarche.

    Cependant, les défenseurs de la nature ont formé, dès les années 1950, un frein au révisionnisme en défendant les zapovedniks et empêché que celui-ci réussisse sur toute la ligne à imposer ses vues.

    Le prix à payer était par contre que les zapovedniks se voyaient limiter à la fonction de ressources d’étalons, d’exemples de développement naturel propres à une région géographique, qu’il pourrait être utile de comparer avec des développements imposés par les humains. La question de l’écotourisme se développa également.

    De plus, étant donné que le plan avait échoué et se voyait remplacé par la concurrence capitaliste des entreprises soviétiques, les zapovedniks faisaient face à un environnement autour d’eux toujours plus agressif, polluant et pollué, modifiant leur propre situation. Au lieu d’un paradis universel vert, les zapovedniks formaient des îlots de résistance ne pouvant triompher à eux seuls.

    C’est bien là le sens de ce qui a été raté par le plan soviétique : se mettre au niveau du développement de la nature sauvage, synthétiser la nature et la culture.

    Pour cette raison, et depuis les années 1960, les zapovedniks – tant en URSS qu’en ex-URSS, ainsi qu’en république tchèque – sont les témoins d’un même débat sans fin pour savoir dans quelle mesure la zone est vraiment sauvage, dans quelle mesure il n’y a pas eu historiquement de changements faits par l’humanité, dans quelle mesure par conséquent il faut intervenir ou non pour réguler, notamment en cas de maladies ou d’insectes bouleversant les forêts.

    C’est toute la conception d’un zapovednik n’évoluant pas, formant un îlot indépendant, existant de manière séparée du reste du monde, qui montre à chaque fois son absurdité. C’est là le prix à payer pour l’échec du plan à fusionner, à se synthétiser avec les zapovedniks.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique et l’erreur du plan révélé par le rapport aux zapovedniks

    Le plan considère l’ensemble des forces productives. Par conséquent, l’existence de zones naturelles fait face à lui comme une possibilité et une menace. C’est une possibilité, car le développement de l’humanité se déroule au sein même de la nature et il y a donc une nécessaire rencontre qui doit se faire. C’est une menace, au sens où les zones naturelles échappent à la tendance historique formée par le plan.

    La question de la résolution de cette question était vitale pour le plan ; on peut considérer que cet aspect – qui va de pair avec la question de l’agriculture, arriérée malgré sa base socialiste majoritaire, en raison de l’importance de la production des kolkhozes relativement autonomes, ainsi que de l’infime secteur privé – a joué un rôle central dans l’émergence et la victoire du révisionnisme.

    L’évolution du nombre de zapovedniks exprime parfaitement bien cette crise. On reconnaît tout à fait qu’il y a ici une tendance démocratique qui se renforce avec le socialisme avant de se voir brisée.

    En 1946, un décret sur la protection de la nature en Russie soviétique annonçait qu’il y aurait davantage de zapovedniks ; de nouveaux zapovedniks furent instaurés : Denezkhin Kamen et Visim en 1946, Chita ainsi que Sakhaline du centre et du sud en 1948, alors que d’autres zones furent agrandies.

    La Russie soviétique comptait 19 zapovedniks en 1937, 27 en 1940, 31 en 1948.

    Cependant, en 1950, en URSS en tant que telle, dix zones furent réduites en taille, passant 8 784 800 hectares à 5 591 200. 1951 est l’année charnière, avec un conseil des ministres qui organisa le décret « Sur les zapovedniks » en août, avec la liquidation de 88 zapovedniks sur 128.

    La surface des zapovedniks passa alors de 12,5 millions d’hectares à 1,5 million, ceux-ci étant cette fois unifiés au-delà des républiques, de manière centrale, avec une élévation des salaires des scientifiques. En Russie soviétique, en 1952, les vingt zapovedniks restants formaient 6,8 % de la surface du total deux années auparavant.

    Toutefois, au sens strict, moins de 100 000 hectares devaient rester véritablement sauvages. La nature devait s’intégrer au plan, comme s’il y avait une contradiction entre elle et lui.

    On ne sera nullement surpris qu’avec le révisionnisme, la tendance se prolonge, réalisant ouvertement cette tendance erronée. Un conseil des ministres de décembre 1960 exige une étude sur les zapovedniks, amenant Nikita Khrouchtchev à affirmer devant le Comité Central en 1961 :

    « Qu’est-ce qu’un zapovednik ? C’est de la richesse nationale ayant besoin d’être protégée. Mais il apparaît que nos zapovedniks ne sont d’aucune valeur. Nous devons régler cela… Qu’arriverait-il dans les forêts si les zapovedniks n’existaient pas ? Rien du tout… »

    On peut aisément opposer cette conception de Nikita Khrouchtchev à celle de Grigori Aleksandrovich Kozhevnikov (1866–1933), une figure des zapovedniks.

    Grigori Aleksandrovich Kozhevnikov

    Celui-ci considérait que : 

    « Protéger la nature vierge, sauvage, pour elle-même, est l’idée à la base même de la protection de la nature. La considération de ses applications [pour un usage humain] est de valeur, mais d’intérêt secondaire. »

    Sa vision allait par ailleurs de pair avec une conception résolument scientifique : 

    « Afin d’étudier la nature, nous devons nous efforcer de préserver la terre dans un état parfait, non touché, protégeant les exemples les plus typiques de tels territoires. Bien sûr, avant tout nous avons besoin de protéger la steppe vierge et les forêts primaires de la taïga.

    Quel est l’objectif de telles zones non dérangées ? Tout d’abord, il y en a un scientifique, et ainsi également purement pratique, étant donné que seule la recherche scientifique nous donne une base ferme pour l’utilisation pratique de la nature…  (…)  De telles zones préservées doivent être protégées au sens strict du terme. Aucune chasse ou trappage en aucune forme ne doit être permis, des prélèvements seulement pour des objectifs scientifiques. »

    Nikita Khrouchtchev, de son côté, fut alors connu comme la figure se moquant publiquement des zapovedniks, insistant sur le passage d’un film où l’on voit un scientifique regardant un écureuil manger une noix.

    S’ensuivit un document intitulé « Sur la rationalisation du réseau d’État des zapovedniks et des zakazniks [c’est-à-dire des réserves pouvant être partiellement utilisées] », amenant la fermeture de six zapovedniks, deux autres étant réduits au total de 353 600 hectares, trois autres étant transformés en branches d’autres.

    En pratique, en 1961, la moitié de la surface est laissée aux « besoins » de l’économie et il faut se rappeler ici que Nikita Khrouchtchev a sabordé la totalité du matérialisme dialectique, ne préservant de l’époque de Staline qu’une seule chose : la perspective anthropocentrique, par conséquent, idéaliste de Trofim Lyssenko, qui considérait qu’il était possible d’agir arbitrairement sur la nature pour la « forcer » à pratiquer des synthèses.

    On se doute évidemment que le plan de transformation de la nature fut stoppé par la clique de Nikita Khrouchtchev. Le programme des forêts ne fut réalisé selon les zones qu’à 27, 29, 31, 33, 46, 49, 71, 98, 100 %, dans des conditions particulièrement mauvaises amenant rapidement un grand retour en arrière ; le Minleskhoz, le ministère de la gestion de la forêt, fut liquidé et intégré dans le ministère de l’agriculture.

    C’était là une rupture avec toute une tendance historique soviétique. La VOOP, Société panrusse pour la protection de la nature, avait été fondée dès 1924 sur l’initiative de scientifiques, notamment des biologistes.

    En 1926, un Comité d’État pour la protection de la nature fut mis en place, ayant la capacité d’examiner toutes les décisions étatiques concernant les ressources et en mesure de proposer un veto en cas de dégâts écologiques trop prononcés.

    En 1931 fut fondé le Journal d’écologie et de biocénologie (« Zhurnal ekologii i biotsenologii »), la biocénologie désignant l’étude des biocénoses, c’est-à-dire de l’ensemble de la vie dans un biotope ; existait aussi Protection de la nature(« Okhrana prirody »), qui devint La nature et l’économie socialiste (« Priroda i sotsialisticheskoe khoziaistvo »).

    La loi exigea qu’autour des fleuves, une bande boisée d’au moins un kilomètre inviolable fut formée ; en 1932, la VOOP avait 15 000 membres et était soutenue par un bureau central d’étude des connaissances locales de 60 000 membres ; dans les années 1930, la VOOP disposait de 5000 ouvrages, en 16 langues et tint son premier congrès en 1938, après la tenue d’un congrès pour la protection de la nature en 1933, prolongeant celui de 1929. A Kharkov, en Ukraine, eut également lieu en avril 1935 la première conférence soviétique sur le contrôle de l’air pollué.

    Par la suite participèrent l’académie des sciences, le comité des zapovedniks, l’administration des forêts et du reboisement, alors qu’à partir de 1936 fut fondée une section ornithologique et en 1938 une section dédiée aux mammifères, établissant des listes d’espèces menacées et oeuvrant notamment pour la défense des dauphins de la Mer noire, celle des lions de mer dans l’Est du pays ou encore celle des ours polaires lors des opérations dans l’océan arctique soviétique. En 1941, une section pour la protection de la mer et des voies navigables fut aussi mise en place.

    Une section pour la protection de la croûte terrestre fut fondée par Alexandre Fersman (1883-1945), un disciple de Vladimir Vernadsky, qui fut la grande figure du congrès géologique international qui se tint à Moscou en juillet 1937 et avait dirigé de 1917 à 1930 la revue scientifique à visée populaire, Priroda (« nature »), qui dépendit de la Commission pour l’étude des forces productives de la nature, puis directement de l’académie des sciences.

    Il fut appelé à former une ceinture de forêts de 25 kilomètres de large autour de Moscou, ce qui fut réalisé après 1950 ; en juin 1948 fut établie une société panrusse pour la promotion et la protection des plantations vertes urbaines (VOSSOGZN), qui regroupa rapidement 100 000 adultes et jeunes, avec 26 unités administratives fonctionnelles, alors qu’en Géorgie la société « L’ami de la forêt » comptait pas moins de 800 000 membres.

    Toutefois, la VOOP fut incapable de proposer un modèle concret au plan et devint subordonnée au révisionnisme, fusionnant avec la VOSSOGZN pour donner naissance en septembre 1954, sur décision du conseil des ministres la Société panrusse pour la promotion de la protection de la nature et du verdissement des centres de populations, VOSOPiONP, avant de redevenir la VOOP en 1959, dirigée par l’ancien responsable de l’Administration principale de protection des forêts et de reforestation qui avait été fondée en 1936.

    Le plan de transformation de la nature n’avait pas été en mesure de converger avec les zapovedniks ; la porte était ouverte au révisionnisme.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique et la question des zapovedniks

    Il existe une contradiction dans la société soviétique, qui n’a pas été vue par le PCUS(b). Celle-ci ne tient pas seulement aux restes idéologiques de la bourgeoisie, mais à l’arriération de l’agriculture. C’est d’ailleurs cette arriération qui empêche la liquidation complète des restes idéologiques du passé.

    Ainsi, en 1931, une loi organisa l’établissement de « zones de culture de forêts » et appela le Commissariat au peuple à l’agriculture à empêcher les sécheresses par une ceinture de forêts, en formulant bien que cela devait être réalisé sur le terrain de l’État et celui des fermes collectives.

    C’est là reconnaître une contradiction sociale, implicitement ; le problème qui sera évident lors de la formation de ces ceintures, y compris dans les années 1950, est l’indifférence totale des fermes collectives à ce sujet, leur non participation. Il n’y a pas eu d’engouement des masses, ni de mobilisation par le PCUS(b), à part idéologiquement et symboliquement au niveau de l’État.

    Cela tient à une erreur de positionnement du PCUS(b) sur la question de la Nature.

    En 1932, 40 000 hectares de ceinture de forêts sont formés et 350 000 au total de 1933 à 1936. De ce point de vue, c’est un succès et en 1936 est également formé la GLO, l’organisme central de protection des forêts et de boisement. La GLO dispose également d’une revue, au titre parfaitement évocateur : Za zashchitu lesa, « En défense de la forêt ».

    Toutefois, en 1947 la GLO devient le Ministère de la Gestion de la Forêt et la GUPL fut formée, un organisme directement dédié à la formation de la ceinture de protection. Cela révèle un glissement dans la démarche soviétique, reflétant le positionnement quant à la nature.

    Le problème qui se posa fut celui des zapovedniks. Il s’agit de vastes parcs naturels, ayant cependant le statut de sanctuaires. La Nature y est absolument sauvage et y pénétrer est strictement interdit, sauf pour des scientifiques triés sur le volet, dans des conditions bien spécifiques, etc.

    Le processus commença avant 1917, mais dès 1919 Lénine donne une base légale aux zapovedniks, qui furent érigés au fur et à mesure.

    Celui de l’Astrakhan fut fondé en 1919, celui d’Ilmen en 1920, celui du Caucase et celui de Galichya Gora, ainsi que celui de Kedrovaya Pad et celui de Stolby, en 1925, celui de Voronezh en 1927, celui de Bashkirsky et celui de Pechoro-Ilych en 1930, celui de Kivach en 1931, celui de l’Altaï et celui de Kandalaksha furent fondés en 1932, celui de Belogorye et celui du Tsernozemsky central, ainsi que celui de Khopyor, celui de Mordovski, celui de Sikhote-Alin et celui d’Oka, en 1935, celui de Teberda en 1936, celui de Polistovsky en 1944, celui de Prioksko-Terrasny en 1945.

    Deux raisons historiques sont à l’origine des zapovedniks, qui ont de fait une même base. Dans la culture russe, la forêt se voit attribuée une grande valeur culturelle et à ce titre dispose d’un large respect.

    C’est cela qui a aidé à la formation de perspectives scientifiques particulières, notamment celle de Vassili Dokoutchaïev (1846-1903), le fondateur de la pédologie (la science des sols) et qui a joué un grand rôle pour la naissance des zapovedniks.

    Vassili Dokoutchaïev est aux sols ce que Vladimir Vernadsky est à la géologie, Vladimir Vernadsky sera d’ailleurs un de ses élèves. Il a compris qu’il existait des interactions, que les sols relevaient d’un ensemble, lié aux roches d’un côté et lié à la vie de l’autre côté, c’est-à-dire connaissant une évolution en propre et ne relevant pas simplement de la géographie, mais également de la climatologie, de la chimie, de la biologie, de la physique, de la minéralogie, etc.

    Voici comment Vassili Dokoutchaïev avait formulé, initialement, au début du XXe siècle, sa demande de formation d’un zapovednik :

    « Afin de restaurer la steppe, si possible dans un état parfait… pour témoigner cette influence puissante de la couverture herbacée vierge sur la vie et la qualité du sol et de la surface de l’eau… afin de prévenir finalement de la destruction des steppes… afin de préserver ce remarquable monde de la steppe pour nos descendants, pour toujours… afin de le préserver pour des objectifs scientifiques (et pratiques)…. afin de prévenir de la part de toute une série d’organismes particuliers, animaux et végétaux, de la steppe, dans sa lutte avec l’humanité… l’État devrait placer sous protection permanente une étendue plus ou moins large dans le Sud de la Russie et la placer à la disposition de ces organismes primordiaux, et maintenant disparaissant.

    Et si une station de recherche permanente est établie dans un tel endroit, il n’y a pas de doute que les dépenses reviendront rapidement et pleinement en retour. »

    Ivan Borodine (1847-1930) contribua également à avoir une vue d’ensemble des zapovedniks, en les formant non plus selon les occasions mais comme représentatifs des différents types propres à la nature russe. Le groupe de travail fondé par Vassili Dokoutchaïev fut intégré en 1919 par Féodor Loewinson-Lessing dans une Commission pour l’étude des forces productives naturelles, qui devint en avril 1927 l’Institut d’études des sols Dokoutchaïev, basé à Léningrad puis Moscou.

    Le problème se posa alors : comment fallait-il considérer les zapovedniks, alors que la planification se renforçait toujours davantage ?

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique et le plan de transformation de la nature

    Le plan le plus connu qui fut développé parallèlement aux plans quinquennaux est ce qui fut connu sous le nom doctobre 1948 avait comme nom complet « Plan des plantations forestières protectrices, de l’introduction d’ensemencement en herbes variables, sur la construction des digues et d’étangs artificiels en vue d’obtenir des rendements élevés et stables dans les régions de la steppe et de la steppe boisée de la partie européenne de l’URSS ».

    C’était une décision du Conseil des ministres de l’URSS et du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) ; administrativement, un poste de vice-premier ministre à l’irrigation fut constitué et l’Administration Centrale de l’Économie des Eaux, dépendant du ministère de l’agriculture, fut renforcée.

    Il s’agissait de faire en sorte que la production puisse exister dans une zone marquée par la sécheresse et de vents particulièrement secs provenant d’Asie centrale. 

    Voici comment la revue Etudes Soviétiques présente la question, en décembre 1948 :

    « Cette méthode est fondée sur l’observation suivante, jamais controuvée : des récoltes abondantes et sans cesse croissantes (ce qui, entre parenthèses, démolit la théorie réactionnaire de l’appauvrissement des sols) ne sont possibles que sur un sol de structure solide et finement granuleuse. Or, le moyen le plus efficace d’assurer une structure finement granuleuse du sol est l’introduction périodique dans les assolements d’un mélange d’herbes vivaces, de légumineuses et de céréales. En se putréfiant, les racines des herbes vivaces accomplissent un travail gigantesque d’amélioration et d’enrichissement des qualités physiques du sol. Ce dernier acquiert une structure solide et fine qui possède une remarquable capacité d’accumuler et de conserver l’humidité qui apparaît à l’époque des pluies et de la fonte des neiges. L’eau des averses orageuses de l’été ne parvient pas non plus à raviner les terres; elle est retenue et utilisée ultérieurement par les plantes. »

    Le plan devait permettre un accroissement de 656 000 hectares de la superficie des terres irriguées et de 615 000 hectares des terres asséchées. Pour ce faire, devaient être formées des forêts sur une longueur de 5320 kilomètres, d’une largeur entre 30 et 300 mètres, 60 mètres étant la norme.

    L’opération devait s’étaler sur quinze ans, de 1950 à 1965, sur les bords de la Volga de Saratov à Astrakhan sur 900 kilomètres ainsi que de Chapaevsk jusqu’à Vladimirova sur 580 km, depuis Stalingrad vers le sud pour une longueur de 570 kilomètres et 170 kilomètres, sur les bords de l’Oural sur 1080 kilomètres (trois de chaque côté, espacé chacun de 200 mètres), sur les deux bords du fleuve Don de Voronezh à Rostov, sur 920 kilomètres, sur les bords de la rivière Donets sur 500 kilomètres et 600 kilomètres.

    De 1949 à 1965 devaient également être formés 5 709 000 hectares de plantations forestières dans les régions des steppes et steppes boisées, dont 3 592 000 hectares par les kolkhozes, 580 000 par les sovkhozes et 1 536 500 par le ministère de l’économie forestière.

    C’était là bien sûr un pas en avant pour renforcer l’économie des kolkhozes et les amener à s’intégrer plus en avant dans le socialisme, liquidant l’opposition villes-campagnes un peu plus.

    Les nouvelles forêts s’étendraient alors sur 16 provinces, 204 districts, sur un territoire plus grand que la France, l’Angleterre, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas réunis ; unie en une seule ceinture de 30 mètres, celle-ci ferait 50 fois le tour de la planète.

    En plus de cela, le ministère de la sylviculture devait procéder à des travaux d’endiguement et de reboisement sur 322 000 hectares.

    Enfin, de 1949 à 1955, les kolkhozes devait produire 41 300 étangs artificiels, les sovkhozes 2928 ; 570 stations de protection forestière devaient être formées, 22 000 tracteurs et 5 000 machines fabriqués et fournis aux stations pour planter les semences, des pépinières et des plantations d’herbes organisées, la formation d’une Administration centrale des plantations forestières de protection dépendant directement du conseil des ministres.

    Parallèlement à ce projet, il exista également celui de former un barrage sur le fleuve Ob, qui fait 5400 kilomètres et se jette dans la partie sibérienne dans l’océan Arctique, où règne parfois une température de -60°C, et de construire un canal 930 kilomètres pour le faire aboutir dans la mer d’Aral et la mer Caspienne.

    Ce projet était l’aboutissement logique de l’idéologie portant la planification ; de par son ampleur toutefois, il formulait l’expression d’une nouvelle étape. A celle de la construction d’une économie suit celle d’un rapport nouveau à la nature.

    Comme expression de ce passage, le 15 novembre 1949, Le Chant des forêts du compositeur Dmitri Chostakovitch fut joué au philarmonique de Léningrad, sous la direction de Ievgueni Mravinski.

    Staline y est présenté comme « le grand jardinier », la composition étant divisée en sept parties : « Lorsque la guerre fut finie » (Andante), « L’appel retentit à travers le pays » (Allegro), « Souvenir du passé » (Adagio), « Les pionniers plantent les forêts » (Allegretto), « Les combattants des forges de Stalingrad avancent » (Allegro con brio), « Promenade dans l’avenir » (Adagio), « Gloire » (Allegro non troppo).

    Or, à ce moment-là, la contradiction entre les villes et les campagnes est encore présente ; si l’industrie est socialisée, les campagnes sont encore dépendantes des kolhozes, qui sont des fermes collectives autonomes par rapport à l’État en grande partie, et où existe une production individuelle jouant encore un grand rôle dans l’économie.

    Le plan de transformation de la nature va alors connaître une contradiction importante, propre à la société soviétique de l’époque.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique et la libération des forces productives

    La planification de la totalité de l’économie permet, plan quinquennal après plan quinquennal, d’agrandir la production et par conséquent de renforcer la consommation qui n’a, dans le socialisme, pas le même sens que dans le capitalisme. Ce dernier, en effet, nivelle culturellement vers le bas, tend à des produits de masse de mauvaise qualité et à des marchandises élitistes sans intérêt réel bien souvent.

    En URSS, la planification visait donc à renforcer le développement matériel et spirituel, en attribuant une part toujours plus grande à la culture, aux sciences, à la vie sociale, aux soins médicaux, etc. Une partie des ressources servait à l’accumulation pour lancer et renforcer le prochain cycle quinquennal, une autre partie à la consommation afin de satisfaire de mieux en mieux les masses.

    Plus l’accumulation permettait de renforcer la production, plus celle-ci permet de déverser ses avancées dans le domaine de la consommation.

    Cela allait d’autant plus vite que la distribution des marchandises échappait au parasitage commercial réalisé par les capitalistes existant normalement dans ce secteur, à la spéculation, à l’absurdité de la concurrence, aux crises, etc.

    Le problème de l’URSS était que le pays partait de très loin, d’une arriération économique terrible ; le plan quinquennal ne pouvait pas profiter d’un socle déjà solide en termes de développement. Toutefois, on voit d’autant plus comment la production s’est agrandi justement grâce à la planification.

    Entre 1929 et 1932, 2 400 usines et ateliers sont formés, entre 1933 et 1937 4 500 y sont ajoutés et 3 000 entre 1938 et 1940, 8 000 entre 1946 et 1954. Entre 1929 et 1933, la production industrielle a doublé et représente déjà plus de quatre fois celle de 1913 ; en 1938, elle est 4,7 fois plus grande qu’en 1929.

    Staline, dans son rapport de 1933 sur le bilan du premier plan quinquennal, qui fut réalisé en quatre ans, explique la chose suivante :

    « La tâche essentielle du plan quinquennal était de faire passer notre pays, de sa technique arriérée, parfois médiévale, à une technique nouvelle, moderne. La tâche essentielle du plan quinquennal était de transformer l’U.R.S.S., de pays agraire et débile, qui dépendait des caprices des pays capitalistes, en un pays industriel et puissant parfaitement libre de ses actions et indépendant des caprices du capitalisme mondial.

    L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se maintenir sur la base d’une industrie arriérée; que seule une grande industrie moderne, qui non seulement ne le cède en rien à l’industrie des pays capitalistes mais est capable, avec le temps, de la surpasser, peut servir de fondement réel et sûr au pouvoir des Soviets.

    L’idée que le pouvoir des Soviets ne peut longtemps se baser sur deux fondements opposés, sur la grande industrie socialiste qui anéantit les éléments capitalistes, et sur la petite économie paysanne individuelle, qui engendre les éléments capitalistes.

    L’idée qu’aussi longtemps qu’une base de grosse production ne sera pas assignée à l’agriculture; qu’aussi longtemps que les petites exploitations paysannes ne seront pas groupées en de grandes exploitations collectives, le danger de restauration du capitalisme en U.R.S.S. est le danger le plus réel de tous les dangers possibles (…).

    Avons-nous remporté la victoire dans ce domaine ? Oui, nous l’avons remportée. Et non seulement nous l’avons remportée, mais nous avons fait plus que nous n’attendions nous-mêmes, plus que ne pouvaient attendre les têtes les plus chaudes de notre Parti. Cela, nos ennemis eux-mêmes ne le nient plus maintenant. D’autant moins peuvent le nier nos amis.

    Nous n’avions pas de sidérurgie, base de l’industrialisation du pays. Nous l’avons maintenant. Nous n’avions pas d’industrie des tracteurs. Nous l’avons maintenant. Nous n’avions pas d’industrie automobile. Nous l’avons maintenant. Nous n’avions pas d’industrie des constructions mécaniques. Nous l’avons maintenant.

    Nous n’avions pas une sérieuse industrie chimique moderne. Nous l’avons maintenant. Nous n’avions pas une véritable et sérieuse industrie pour la fabrication des machines agricoles modernes. Nous l’avons maintenant. Nous n’avions pas d’industrie aéronautique. Nous l’avons maintenant.

    Pour la production de l’énergie électrique nous occupions la toute dernière place. Nous sommes maintenant arrivés à une des premières places. Pour la production des produits du pétrole et du charbon, nous occupions la dernière place. Maintenant nous sommes arrivés à une des premières places. Nous ne possédions qu’une seule base houillère et métallurgique, — celle de l’Ukraine, — que nous avions beaucoup de mal à exploiter.

    Nous sommes arrivés non seulement à remettre debout cette base, — mais encore nous avons créé une nouvelle base houillère et métallurgique dans l’Est, qui fait l’orgueil de notre pays.

    Nous ne possédions qu’une seule base de l’industrie textile, dans le nord du pays. Nous avons fait en sorte que d’ici peu nous aurons deux nouvelles bases de l’industrie textile, en Asie centrale et en Sibérie occidentale. Et non seulement nous avons créé ces nouvelles et vastes industries, mais nous les avons créées sur une échelle et dans des proportions qui font pâlir les échelles et les proportions de l’industrie européenne.

    Tout cela a abouti au fait que les éléments capitalistes sont éliminés de l’industrie, définitivement et sans retour, cependant que l’industrie socialiste est devenue la seule forme de l’industrie en U.R.S.S.

    Tout cela a abouti au fait que notre pays, d’agraire est devenu industriel, puisque la part de la production industrielle par rapport à la production agricole a passé de 48%, au début de la période quinquennale (1928), à 70% vers la fin de la quatrième année du plan quinquennal (1932).

    Tout cela a abouti au fait que, vers la fin de la quatrième année de la période quinquennale, nous avons accompli le programme de l’ensemble de la production industrielle, établi pour cinq ans, à 93,7%, en augmentant ainsi le volume de la production industrielle de plus du triple en comparaison du niveau d’avant-guerre, et de plus du double en comparaison du niveau de 1928. Quant au programme de la production de l’industrie lourde, nous avons réalisé le plan quinquennal à 108%. »

    Voici comment Staline présente cela en 1934 au XVIIe congrès du PCUS(b) :

    « Comment ces changements prodigieux ont-ils pu s’opérer en quelque trois ou quatre ans, sur le territoire d’un immense Etat, à technique et à culture arriérées ? N’est-ce point là un miracle ?

    C’en eût été un, si ce développement s’était fait sur la base du capitalisme et de la petite économie individuelle. Mais on ne peut parler de miracle, si l’on tient compte que l’essor s’est poursuivi chez nous sur la base du développement de l’édification socialiste.

    On conçoit que cet essor gigantesque n’ait pu se développer que sur la base des succès de l’édification socialiste, sur la base du travail social de dizaines de millions d’hommes, sur la base des avantages que le système d’économie socialiste a sur le système d’économie capitaliste, sur le système d’économie paysanne individuelle.

    Il n’est donc pas étonnant que le prodigieux essor économique et culturel de l’U.R.S.S., pendant la période écoulée, ait marqué en même temps la suppression des éléments capitalistes et le refoulement à l’arrière-plan de l’économie paysanne individuelle.

    C’est un fait que la part du système d’économie socialiste dans l’industrie est actuellement de 99% et, dans l’agriculture, si l’on tient compte des emblavures de céréales, de 84,5%, tandis qu’à l’économie paysanne individuelle il n’en revient que 15,5%.

    Il en résulte que l’économie capitaliste est d’ores et déjà liquidée en U.R.S.S., et le secteur des paysans individuels à la campagne, refoulé sur des positions de second plan. »

    La planification a permis de libérer les forces productives, qui pouvaient s’élancer alors de manière naturelle, sans les freins du capitalisme décadent.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : du léninisme à la planification

    La planification soviétique consistait, à l’époque de Staline, en une comptabilité administrée par un organisme d’État, donnant aux entreprises d’État une liste de tâches productives.

    C’est là le grand apport de Staline au marxisme-léninisme, puisque la planification n’est pas mise en place en URSS, en tant que telle et véritablement, avant 1932, cet apport étant dans la continuité directe du léninisme.

    Il est important de voir comment la planification débouche directement de la révolution d’Octobre, c’est-à-dire comment Staline – qui met en place la planification – est le produit du léninisme. Dans Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ?, Lénine constatait, ainsi, en 1917 :

    « Si le génie créateur des classes révolutionnaires n’avait pas formé les Soviets, la révolution prolétarienne serait sans espoir en Russie, car, avec l’ancien appareil d’Etat, le prolétariat, sans aucun doute, n’aurait pas pu garder le pouvoir, et on ne peut d’un coup créer un nouvel appareil.

    La triste histoire de la prostitution des Soviets par Tsérétéli et Tchernov, l’histoire de la « coalition » est en même temps l’histoire de l’affranchissement des Soviets à l’égard des illusions petites-bourgeoises, de leur passage par le « purgatoire » de l’étude pratique qu’ils ont faite de toutes les turpitudes et saletés qu’entraînent toutes les coalitions bourgeoises quelles quelles soient.

    Espérons que ce « purgatoire » n’a pas débilité les Soviets, mais les a trempés. La principale difficulté pour la révolution prolétarienne est de réaliser a l’échelle nationale l’inventaire et le contrôle le plus précis et le plus scrupuleux, le contrôle ouvrier, de la production et de la répartition des produits (…).

    Quand nous disons : « contrôle ouvrier », ce mot d’ordre étant toujours accompagné de celui de la dictature du prolétariat, le suivant toujours, nous expliquons par là de quel Etat il s’agit. L’Etat est l’organe de domination d’une classe.

    De quelle classe ?

    Si c’est de la bourgeoisie, c’est bien l’Etat cadet-Kornilov-« Kérenski », par lequel le peuple est « kornilovisé et kérenskisé » en Russie voici déjà plus de six mois.

    Si c’est la domination du prolétariat, s’il s’agit de l’Etat prolétarien, c’est-à-dire de la dictature du prolétariat, le contrôle ouvrier peut devenir le recensement national, général, universel, le plus minutieux et le plus scrupuleux de la production et de la répartition des produits.

    Là est la principale difficulté, la tâche principale de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire socialiste.

    Sans les Soviets cette tâche, du moins pour la Russie, serait insoluble. Les Soviets décident du travail d’organisation qui permettra au prolétariat de réaliser cette tâche de portée universelle.»

    Lénine, dans Sur l’infantilisme « de gauche » et les idées petites-bourgeoises, datant de 1918, affirme également :

    « Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d’après le dernier mot de la science la plus moderne, sans une organisation d’Etat méthodique qui subordonne des dizaines de millions d’hommes à l’observation la plus rigoureuse d’une norme unique dans la production et la répartition des produits.

    Nous, les marxistes, nous l’avons toujours affirmé ; quant aux gens qui ont été incapables de comprendre au moins cela (les anarchistes et une bonne moitié des socialistes-révolutionnaires de gauche), il est inutile de perdre même deux secondes à discuter avec eux.

    Le socialisme est également impossible sans que le prolétariat domine dans l’Etat : cela aussi, c’est de l’abc. »

    Comme on le voit, la planification mise en place par Staline est le prolongement de la position de Lénine.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : un accompagnement de la marche à la matière vers le communisme

    Comment l’URSS de Staline concevait-elle sa planification ? Quelle était sa « loi économique », c’est-à-dire sa manière d’appréhender la production et la consommation ?

    Cette question est d’une importance capitale, car il serait faux de penser que la planification suffirait « en soi » à caractériser le socialisme. Le socialisme a un contenu et la planification ne peut pas exister s’il n’y a pas ce contenu.

    La bourgeoisie ne peut pas, de ce fait, pratiquer de planification, seule la classe ouvrière suivant la tendance inéluctable au communisme est en mesure de le faire.

    L’avancée du socialisme au communisme

    Voici ce que dit à ce sujet Staline, en 1951, dans Les problèmes économiques du socialisme, dans un passage très important :

    « Existe-t-il une loi économique fondamentale du socialisme ?

    Oui, elle existe.

    Quels sont les traits essentiels et les dispositions de cette loi ?

    Les traits essentiels et les dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de toute la société, en augmentant et en perfectionnant toujours la production socialiste sur la base d’une technique supérieure.

    Par conséquent : au lieu que soit assuré le maximum de profits, c’est la satisfaction au maximum des besoins matériels et culturels de la société ; au lieu que la production se développe avec des temps d’arrêt – de l’essor à la crise, de la crise à l’essor, – c’est une croissance ininterrompue de la production ; au lieu de temps d’arrêt périodiques qui s’opèrent dans le progrès technique et s’accompagnent de la destruction des forces productives de la société, c’est un perfectionnement ininterrompu de la production sur la base d’une technique supérieure.

    On dit que la loi économique fondamentale du socialisme est celle d’un développement harmonieux, proportionnel de l’économie nationale. Cela est faux.

    Le développement harmonieux de l’économie nationale et, par suite, sa planification, qui constitue le reflet plus ou moins fidèle de cette loi, ne peuvent rien donner par eux-mêmes, si on ignore au nom de quels objectifs se fait le développement planifié de l’économie nationale, ou bien si la tâche n’est pas claire.

    La loi du développement harmonieux de l’économie nationale, ne peut donner l’effet voulu que dans le cas où il y a une tâche au nom de laquelle ce développement se poursuit.

    Cette tâche ne peut être fournie par la loi même du développement harmonieux de l’économie nationale.

    A plus forte raison ne peut-elle pas être fournie par la planification de l’économie nationale. Cette tâche est contenue dans la loi économique fondamentale du socialisme sous la forme des dispositions exposées plus haut.

    Aussi, la loi du développement harmonieux de l’économie nationale ne peut-elle exercer à fond son action que si cette action s’appuie sur la loi économique fondamentale du socialisme.

    En ce qui concerne la planification de l’économie nationale, elle ne peut obtenir de résultats positifs qu’en observant deux conditions :

    a) si elle reflète correctement les dispositions de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale ;

    b) si elle tient compte partout des dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme. »

    Lénine et Staline

    La question de la loi du développement harmonieux tient à ce que la planification est l’expression d’une tendance à la synthèse. Il ne peut pas y avoir de planification qui serait une simple reproduction de l’économie précédente, qui donnerait une économie statique.

    La planification n’est qu’un reflet imparfait de la réalité matérielle en développement, et qu’un plan correctement mené de bout en bout retranscrirait en développement harmonieux de l’économie nationale.

    La matière est, en effet, en marche vers le communisme ; par conséquent, la planification ne fait que correspondre à une tendance inéluctable. Pour cette raison, la loi du développement harmonieux est subordonnée au développement de la production socialiste : seul le développement des forces productives permet d’être en accord avec la marche au communisme.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : un équilibre général

    Organisant l’économie à l’échelle d’un pays, le GOSPLAN était dans la nécessité de procéder à des équilibres, des opérations de balances, afin qu’il y ait un équilibre général.

    Le plan consiste en la gestion de la matière relevant des forces productives, avec un plan comptable consistant en des entrées et des sorties, un équilibre devant être réalisé, chaque entreprise devant être capable d’une « assimilation » complète de ses possibilités afin de les réaliser.

    Ce plan général était la synthèse d’autres plans, dont le découpage était le suivant :

    – production de l’industrie et de l’agriculture,

    – transports et développement des communications,

    – grands travaux et développement et de l’introduction de nouvelles techniques

    – approvisionnement

    – travail et salaires,

    – commerce et stockages,

    – domaines social et culturel,

    – prix de revient de la production,

    – développement de l’économie nationale par république fédérée et par région économique,

    – prix et finances,

    – commerce extérieur,

    – synthèse générale des plans.

    L’arithmétique du contre-plan :
    2 [ans] + 2 [ans] + l’enthousiasme des travailleurs = 5

    Dans chaque plan, il faut des équilibres également entre les balances, ces équilibres se reliant par branches ; en 1951, il y avait 1600 balances, formant le noyau de l’économie et réparties dans les 14 groupes suivants : les métaux ferreux, les métaux non ferreux, les combustibles solides, les produits pétroliers, l’énergie électrique, les produits chimiques, les produits en caoutchouc, les machines et les équipements, les matériaux de construction, les produits forestiers, le papier, les produits alimentaires, les produits manufactures, les matières premières d’origine agricole.

    L’ensemble de l’économie était alors évalué selon le revenu national, en portant l’attention sur la part relevant de la consommation et celle relevant de l’accumulation destinée pour les prochains cycles productifs.

    Bien sûr, en raison des faiblesses générales de l’économie, le plan est obligé de faire en sorte que le salaire à la pièce soit la règle dans les usines et dans les ateliers ; les entreprises elles-mêmes disposent de davantage de moyens en fonction de leur réussite, de leur capacité à bien exécuter le plan, à rembourser les éventuels prêts, l’idée étant que chaque entreprise doit tout faire pour dépasser le plan, une partie des « revenus » de chacune lui étant remise de toutes manières et d’autant plus en cas de dépassement.

    Cela contribue de meilleure manière à l’amélioration des techniques, des outils, de l’entretien, des conditions générales de travail, de la vie sociale et culturelle avec des équipements sportifs, artistiques, etc.

    La nécessité d’aller de l’avant dans le plan amena le GOSPLAN à élaborer toute une série d’initiatives théoriques et documentaires. L’Académie des sciences en 1943 formula par exemple les « Perspectives générales de la science soviétique », pour développer les sciences, visant ainsi le long terme ; un autre exemple parlant est le Second Plan d’Électrification, dont les documents de préparation de 1932 font pas moins de 4 000 pages.

    On notera à ce sujet la présence d’une proposition de systématisation de l’énergie éolienne ; si le projet avait été choisi, dès 1937 l’énergie éolienne aurait fourni 2 millions de kW, soit 9 % du total, tout en formant 34 % du secteur énergétique. Après 1945, en tout cas, l’URSS produisait 9000 éoliennes par an ; rien qu’entre 1950 et 1952, la production électrique augmenta de plus de la moitié.

    Un autre exemple intéressant est, en 1936, la mise en place par le GOSPLAN d’études communes avec l’Académie des sciences dans huit domaines de recherches considérés comme d’une importance capitale : l’établissement de la balance de l’économie nationale, le développement de la culture des céréales, la mécanisation et l’automatisation, l’intensification dans la chimie et la sidérurgie, la prospection minière, la recherche d’une nouvelle base pétrolière, la formation d’un centre d’interconnexion, l’approvisionnement en essence des automobiles et des tracteurs.

    On se doute que, avec la question de la tendance à la guerre des pays capitalistes, la défense était une question essentielle ; l’éditorial de la revue Planexpliquait à ce sujet en mai 1937 :

    « L’encerclement capitaliste et les préparatifs des États fascistes en vue d’une guerre contre l’URSS met les organes de planification devant l’obligation d’assurer un renforcement général du potentiel de défense du pays.

    Tous les Plans de développement des différentes branches et de la répartition géographique des constructions nouvelles doivent être réexaminés en fonction du renforcement de la puissance militaire et défensive de l’URSS. Un élan particulier doit être donné au développement de l’industrie de la défense. »

    Hors industrie d’armement, le budget de la défense passa ainsi de 23,2 milliards de roubles en 1938 à 39,2 milliards de roubles en 1939. Une telle évolution ne pouvait que nuire à la planification, de par les changements imposés ; le troisième plan fut lui-même interrompu en 1941, le quatrième n’intervenant qu’en 1945.

    Ce qui nuisait également à la réalisation de la planification étaient les obstacles posées par des contre-révolutionnaires ou des personnes ne saisissant pas l’évolution en cours, provoquant des utilisations incorrectes du matériel, des retards, des manquements dans la réparation, des commandes incorrectes, une absence de modernisation, un frein aux mobilisations ouvrières, la bureaucratisation, la sous-estimation des moyens réels, des allongements de délais, la dispersion des moyens, la sous-évaluation des devis, etc.

    Tout cela relevait du sabotage, mené soit subjectivement, soit objectivement, ce qui revient au même et relève de la lutte de classes, ce que les commentateurs bourgeois ont toujours nié.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : un plan en mouvement

    Si le GOSPLAN a besoin de statistiques, ce n’est pas pour gérer une économie qui se reproduit, c’est pour saisir la situation afin de la transformer en transmettant des ordres et des moyens aux entreprises collectivisées.

    Cela passait également par une gestion par branches économiques, ainsi que par territoires (l’URSS étant une fédération de républiques, comprenant chacune une division territoriale plus ou moins hiérarchisée).

    Or, la difficulté était alors d’organiser des comités et sections administratives chargées, à chaque étape entre le haut (le GOSPLAN) et le bas (les entreprises), de transmettre, de vérifier, de servir d’intermédiaire (dans les deux sens). A la mort de Staline, il existait ainsi 5 000 commissions du plan au niveau des districts et des villes.

    C’est le GOSPLAN lui-même qui devait gérer tout cela et, conformément à ses missions, ses consignes devaient être comprises et il devait lui-même donner les moyens qu’on les comprenne. Pour cela, des indices étaient utilisés et il n’en fallait pas trop, pour ne pas saper les initiatives à la base. Dans la production industrielle, on en trouvait environ 1600, et 9500 pour l’ensemble de l’économie.

    Le GOSPLAN ne consistait pas qu’une administration formant un plan. Il devait gérer chaque programme de production, organiser le développement scientifique et administratif pour que le plan puisse être conçu et mis en place, gérer la diffusion des ordres ainsi que l’organisation du travail de la planification, vérifier la cohérence de l’ensemble, etc.

    On comprendra la difficulté qu’il y avait à réaliser cela, dans la période 1917-1953, sans l’informatique. Pour cette raison, la planification soviétique a scindé certains aspects au départ, tentant d’améliorer ensuite l’organisation du travail.

    Jusqu’au milieu des années 1930, le Commissariat aux voies de communication, celui des télécommunications, de l’approvisionnement de l’industrie légère, des transports par eau… fonctionnaient de manière autonome.

    En 1948, et cela jusqu’à dix jours après la mort de Staline, le GOSPLAN – devenu un comité et non une commission – abandonna également certaines prérogatives : l’approvisionnement matériel de l’économie nationale au GOSSNAB, l’introduction des techniques nouvelles dans l’économie au GOSTEKHNIKA, la répartition des fonds matériels, ainsi que le département de technologie.

    En pratique, le plan lui-même obéissait au plan, à l’évolution de la production, à son amélioration. La planification se situe dans une marche au communisme, c’est dans sa nature même : son moteur est idéologique, sa raison même d’exister. En 1937, on lit ainsi dans le document du PCUS(b) intitulé « Liquider jusqu’au bout les suites du sabotage dans la planification » :

    « La condition essentielle de la solution des problèmes de planification économique réside dans l’approche politique de n’importe quel problème du plan, de n’importe quel chiffre, de chaque projet…

    Ces directives du camarade Staline constituent la base de la direction bolchevique.

    Pour élaborer, de façon correcte, le plan économique et diriger la lutte pour sa réalisation, il est indispensable de garder fermement en vue le caractère inséparable du politique et de l’économique.

    Tout le travail du GOSPLAN et de tous les organes de planification doit être imprégné de l’esprit de Parti et garantir la réalisation bolchevique des directives du Parti et du gouvernement. »

    Là où les choses se compliquaient donc, c’est qu’en plus lorsqu’un plan est réalisé, un autre est préparé, année après année, alors que, tous les cinq ans, il faut fournir de nouveau un plan pour cinq ans.

    Les entreprises, tout comme les Républiques, les régions, etc., étaient, naturellement, en liaison régulière avec le GOSPLAN, effectuant des demandes, des ajustements ayant lieu, des améliorations, des changements, des demandes d’investissement, etc. Tout cela demande une intendance très efficace.

    On a, bien entendu, ici une raison essentielle pour laquelle Nikita Khrouchtchev a attendu le XXe congrès en 1956, pour asseoir ouvertement la prise du pouvoir par la clique révisionniste, alors que Staline était mort en 1953. Il était nécessaire d’attendre qu’un cycle quinquennal se conclut, afin de jouer sur le nouveau plan, sur les cadres liés à ce plan.

    Le cœur de l’URSS, c’était la planification, la compréhension politique et idéologique de celle-ci en haut comme en bas. Le Grand Bond en Avant et la Grande Révolution Prolétarienne Culturelle en Chine populaire visaient justement à donner à la réalisation de la planification une dimension idéologique, politique et culturelle à la hauteur.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : la bataille pour les statistiques avec des «chiffres vivants»

    On se doute que la grande difficulté de l’établissement d’un plan, c’est la question des données : non seulement il faut les déterminer, les définir en détail, mais il faut aussi les rassembler, elles doivent être fiables, complètes, mais en plus il faut savoir les utiliser. Pour cette raison, l’URSS de Staline a fourni un apport d’une incroyable valeur à la comptabilité et aux statistiques.

    Staline, au XVIe congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik), résume cela de la manière suivante :

    « Un travail de construction, un travail de gouvernement, un travail planifié sont impensables sans une comptabilité exacte. Et la comptabilité est impensable sans la statistique. »

    Le plan quinquennal, qualifié de fantaisie enfantée par l’utopisme, triomphe par l’industrialisation de l’URSS

    Le premier problème qu’a affronté la révolution d’Octobre, à ce niveau, est la question des statisticiens. Si ceux-ci ont une approche erronée, s’ils sont contre la révolution, alors les données seront incomplètes, fausses, contre-productives, etc.

    Or, on peut voir que lorsque les statisticiens tiennent leur congrès, le premier depuis 1917, à Moscou en juin 1918, il s’agit pratiquement des mêmes personnes qu’auparavant. Par conséquent, il était à craindre que leur vision du monde, leurs méthodes, leur conception de statistiques « neutres » soit encore présente.

    A leurs yeux, les statistiques se basent sur une moyenne, principe niant le développement inégal ; les transformations se feraient de manière lisibles à travers les chiffres, qu’il suffirait de décrire, conception niant les sauts qualitatifs, la complexité du réel, etc. C’est, en définitive, l’idéologie de la sociologie, qui prétend expliquer la société à travers des photographies chiffrées des comportements et des situations socio-économiques.

    Cela rentre profondément en contradiction avec la révolution d’Octobre qui instaure le matérialisme dialectique comme idéologie et par conséquent le plan quinquennal comme gestion complète de l’économie, ce qui suppose en même temps un renforcement du rôle des statistiques comme support à la planification. Entre 1918 et 1920, d’ailleurs, l’administration s’occupant des statistiques, la Direction Centrale de la Statistique, voit son nombre de départements passer de 10 à 26, avec 3000 personnes y travaillant.

    Par conséquent, les contradictions, antagoniques ou non, devaient nécessairement grandir et se développèrent effectivement avec la pratique. Les statisticiens tentaient, en effet, de prendre des photographies des rapports existants, avec le PCUS(b) attendant des informations contribuant à l’élaboration de plans modifiant les rapports existants.

    Gleb Krzhizhanovsky, responsable du GOELRO devenu responsable du GOSPLAN, formulera cela ainsi au XIIIe congrès du PCUS(b) :

    « La statistique antérieure nous donnait un cimetière de chiffres, et il nous faut des chiffres vivants. Voilà l’approche de l’économie qu’il nous faut, la tâche de nos camarades des statistiques, pour que leur sagesse ne se déverse pas dans de gros livres de rayons poussiéreux de bibliothèques, et pour que notre immense travail économique ne puisse se passer de leurs courtes mais vivantes indications. »

    Les statisticiens formés par l’ancien régime se considéraient pourtant comme indépendants, fournissant des informations brutes, sur une réalité statique ; ils rentraient en contradiction avec la recherche d’informations étant en transformation.

    Par conséquent, en 1924 eut lieu une première purge de l’administration, qui échoua en raison du sabotage de la direction, qui avait pratiqué le népotisme, placé des gens appartenant à leurs familles, caché les origines sociales de ses membres, etc., avec le directeur adhérant même au PCUS(b) pour saboter les mesures de l’intérieur.

    L’affrontement se produit alors à l’issue du XIVe congrès du PCUS(b), où Staline dénonça les données statistiques qui affirmaient qu’il y aurait, en 1925, plus de paysans pauvres qu’en 1917, ainsi qu’un renforcement des koulaks, les paysans riches. S’ensuivit une bataille lancée contre Staline par le responsable des statistiques, qui fut alors éjecté dans la foulée par une direction du Bureau Politique.

    C’était une mise au pas et une réorganisation qui, en arrière-plan, posait la question de la relation à établir entre le GOSPLAN et l’Administration pour les Statistiques. Le GOSPLAN n’a initialement pas intégré cette administration et en décembre 1929, cela fut considéré comme une nécessité. L’administration s’occupant de statistiques devint alors le secteur statistique et économique du GOSPLAN, avec une direction dont les membres étaient en majorité au PCUS(b).

    En 1931, le terme de statistique fut abandonné et l’organisme, devenu bien plus puissant, devint la « Direction centrale de la comptabilité économique nationale de l’URSS auprès du Gosplan », qui à partir de 1932 ne dut plus rendre public ses informations.

    C’est que le développement de la planification se heurtait à une violente réaction de classe de la part des réactionnaires, qui procédaient à de multiples sabotages, à la formation d’organismes clandestins et terroristes, etc.

    Dans la comptabilité, les partisans de la « neutralité » des statistiques, partisans ainsi d’une vision « sociologique », descriptive-explicative « en soi », de manière découplée de l’analyse matérialiste historique de la société et de sa transformation par la planification, furent donc de nouveau écrasés.

    Ces sont les statistiques au sujet de la démographie qui furent le grand point d’achoppement ; voici l’accusation qui fut faite en 1937 à l’organisme ayant fourni les statistiques :

    «Le recensement a été organisé en l’absence des règles les plus élémentaires ;

    Le recensement a été saboté dans le but préconçu de démontrer le mensonge fasciste au sujet des décès en URSS, de la famine et de l’émigration hors des frontières de l’URSS en relation avec la collectivisation de quelques millions de personne ;

    Ont été oubliés dans le recensement, à en juger d’après les données que nous avons présentées plus haut, pas moins de 4 % de la population, soit environ 6,5 millions de personnes. »

    La direction centrale fut alors de nouveau purgée et amena l’avènement d’une nouvelle génération, authentiquement soviétique, capable de compiler les données et d’épauler le GOSPLAN.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : l’administration centralisée

    La planification soviétique se fonde sur le matérialisme dialectique. Elle se fonde par conséquent sur la réalité matérielle et le travail comme transformation de la réalité, en ayant les moyens d’agir tant sur l’une que sur l’autre.

    En effet, la réalité matérielle a été progressivement socialisée ; l’ensemble des moyens de production appartient à la société, au lieu d’appartenir à des individus en concurrence. Le travail est désormais extrêmement organisé, étant donné que c’est la classe ouvrière elle-même qui dirige l’État.

    Il y a donc davantage de moyens, puisque les forces productives sont unifiées d’un côté et qu’elles peuvent tendre dans une seule direction de l’autre. On aurait tort toutefois de penser que cela est suffisant en soi : encore faut-il, en effet, que les méthodes de la planification soient matérialistes, que la mise en place elle-même soit matérialiste.

    Rattraper et dépasser

    Comment la planification soviétique s’est-elle organisée ? Elle a généré des organismes, c’est-à-dire des administrations travaillant aux différents aspects nécessaires.

    Tout d’abord, on se doute qu’il y a une contradiction entre le long terme et le court terme, avec la nécessité de prendre en compte les spécificités de chacun de ces termes. Aussi, pour le long terme il y a le Comité étatique pour la planification, dont l’acronyme est GOSPLAN, qui dresse des plans quinquennaux, ainsi que sur dix-quinze ans, à tous les niveaux géographiques – républiques, régions, zones économiques – et pour tous les secteurs de l’économie.

    Ces plans quinquennaux fournis par le GOSPLAN sont la base de la planification ; c’est en s’appuyant sur eux que, par la suite, on travaille à l’établissement de plans courants, d’une année ou moins. C’est le GOSPLAN qui s’en charge également, toutefois il procède à une adaptation toujours plus minutieuse afin de fournir les indications les plus précises aux entreprises.

    Cela suppose un gigantesque appareil statistique, afin que le GOSPLAN ait des connaissances sur toutes les entreprises, toutes leurs spécificités, par exemple géographiques, ou encore d’approvisionnement en main d’œuvre ou en matières premières, la situation des bâtiments, etc.

    Carte des grands projets du second plan soviétique

    On se doute qu’il y a ici des limites dans la centralisation des informations et c’est pourquoi chaque entreprise d’État a son propre plan de production, ainsi que son propre plan financier. Toutefois, les objectifs sont décidés par le GOSPLAN ; le plan n’est pas indicatif, il est une obligation.

    Staline, dans son Rapport politique au 16e congrès du PCUS(b), note ainsi :

    « Aucun plan quinquennal ne peut prendre en compte toutes les possibilités qui se cachent dans le coeur de notre système social, et qui ne se révéleront qu’au cours du travail, dans le processus d’appliquer le plan dans l’usine, les ateliers, la ferme collective, la ferme d’État, le district, etc.

    Il n’y a que des bureaucrates pour imaginer que le travail de planification est terminée avec la compilation d’un plan. La compilation d’un plan n’est que le commencement de la planification.

    Une orientation planifiée réelle ne se développe qu’après la compilation du plan, après son essai sur place, au cours de son application, avec sa correction et son amélioration pour le rendre plus exact. »

    S’il n’y a pas les masses pour se saisir du plan, alors rien n’est possible. C’est ce qui explique l’effondrement de l’économie soviétique après Staline, le régime ne consistant plus qu’en la domination d’une clique révisionniste usurpant le pouvoir et incapable de mobiliser les masses.

    On retrouve ici le principe général de l’émulation socialiste, avec notamment les commissaires politiques qui doivent galvaniser l’armée rouge. Dans l’industrie, l’épisode d’Alekseï Stakhanov, mineur du Donbass ayant réalisé quatorze fois la norme d’extraction du charbon, donna naissance au mouvement dit des stakhanovistes.

    Alekseï Stakhanov

    La question de l’interprétation locale concrète des exigences centralisées est absolument dialectique, relevant de la contradiction entre l’ensemble et le particulier. Résoudre cela de manière productive est la clef de la planification et c’est le sens, par la suite, du Grand Bond en Avant et de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine Populaire.

    Cela signifie que, localement, les entreprises doivent également être en mesure de satisfaire la capacité à élaborer un plan et à rassembler les informations statistiques pour le GOSPLAN. Plus on a ici une décadence – comme les forces mafieuses au sein du social-impérialisme soviétique, après 1953 –, plus il est impossible d’avoir des informations fiables, bien établies.

    Une autre contradiction à résoudre de manière productive tient à la question des branches à considérer comme principales, par opposition à celles considérées comme secondaires.

    Ici, un argument traditionnel employé par les détracteurs du plan quinquennal tel qu’il fut réalisé en URSS était que l’industrie légère a été délaissée au profit de l’industrie lourde. Cet argument typiquement bourgeois est un non-sens ou plutôt il sous-tend que l’URSS aurait dû devenir une colonie dépendante des pays capitalistes, troquant ses matières premières contre des biens manufacturés.

    En effet, aucun pays ne peut disposer d’une industrie légère sans avoir développé au préalable une industrie lourde.

    Sans usines de tracteurs, on ne peut pas développer l’agriculture et renforcer la production de biens agricoles pour la consommation. Sans voies ferrées, sans constructions mécaniques, l’industrie légère ne peut pas exister, ne peut pas dépasser un niveau faible.

    L’aspect principal, c’est l’industrie lourde, dont le développement détermine celui du reste de l’économie.

    C’est pourquoi le premier plan quinquennal, qui visait à remettre sur pied l’économie du pays, de le ramener au niveau de 1913 et de le dépasser, a amené la fabrication de 160 000 tracteurs.

    La victoire du plan quinquennal
    sur le capitalisme

    Il faut concevoir que cela signifie également qu’il fallait les distribuer, être en mesure d’avoir des pièces de rechange, de disposer de carburant, etc.

    Tout cela n’aurait pas pu avoir lieu sans une industrie lourde servant d’ossature économique.

    Ainsi, la planification socialiste de l’économie s’occupe de chaque aspect, dans la mesure où elle indique la tendance générale, qu’il faut suivre, en cherchant à la réaliser de la manière la plus efficiente.

    Il y a une centralité dans les choix, dans la réflexion au sujet de ces choix.

    La base de ces choix est totalement idéologique, puisque se fondant sur les principes du matérialisme historique et du matérialisme dialectique, sur l’inéluctabilité du développement de certaines productions.

    Dans le cas de l’électricité, il apparaissait comme inéluctable que la production électrique soit mise en place : le plan a été établi et réalisé.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : l’exemple de l’électrification

    Le premier plan réalisé après la révolution d’Octobre 1917 fut adopté par le 8e congrès des soviets, en décembre 1920 ; entre-temps, la guerre civile et l’intervention étrangère avaient empêché une réorganisation générale d’un pays qui, rappelons le, était extrêmement arriéré dans son développement.

    Pour toutes ces raisons – chaos, guerre civile, arriération culturelle – la direction centrale des statistiques mise en place par le nouveau régime dirigé par le Parti Communiste ne possédait pas de vue d’ensemble avant la fin de l’année 1919.

    Ce premier plan ne concernait toutefois qu’une quinzaine de branches de l’industrie, bien qu’un aspect important tenait à la construction de trente centrales électriques.

    Il y a de multiples raisons à cela : tout d’abord, l’ensemble de l’économie n’était pas encore socialisée, il y avait le recul temporaire menée avec la période dite de la « NEP ».

    Ensuite, on ne peut pas socialiser une industrie qui n’existe pas et pour qu’elle existe, il faut des forces productives déjà établies.

    La production, pour exister, a besoin d’une production produisant cette production : il faut des machines pour être en mesure de fabriquer des biens de consommation.

    Une phrase de Lénine est connue à ce sujet, au sujet du communisme comme résultat de l’équation pouvoir soviétique + électrification ; dans Notre situation extérieure et intérieure et les tâches du parti, Lénine expliquait en novembre 1920 :

    « Tout l’ordre du jour est construit de telle sorte que toute l’attention et la sollicitude de tous les délégués rassemblés, de toute la masse des militants soviétistes et communistes de toute la république, soient concentrées sur la question économique, sur le rétablissement des transports et de l’industrie, sur ce qui est appelé prudemment « aide à l’économie paysanne » mais cela veut dire beaucoup plus, puisqu’il s’agit de tout un système, toute une série réfléchie de mesures tendant à élever l’économie paysanne, destinée à subsister encore assez longtemps, à la hauteur voulue.

    En lien avec ceci, le congrès des Soviets entendra le rapport concernant l’électrification de la Russie, afin que le plan économique unique de rétablissement de notre économie nationale dont nous avons parlé soit solidement assis du côté technique.

    Sans instaurer en Russie une technique perfectionnée, plus élevée qu’auparavant, il ne saurait être question ni de rétablissement de la vie économique, ni de communisme.

    Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification de tout le pays, car sans électrification il est impossible de perfectionner l’industrie.

    C’est là une tâche de longue haleine, qui exige au moins 10 ans, à condition d’y faire participer une masse de ces techniciens qui donneront au congrès des Soviets une série de documents imprimés où tout ce plan [d’électrification de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, Rapport au 8e Congrès des Soviets de la Commission d’Etat pour l’électrification delà Russie] est étudié en détail.

    En moins de 10 ans, nous ne pouvons pas réaliser les fondements de ce plan, ni créer les 30 grandes régions de stations électriques permettant de placer sur le pied moderne toute notre industrie.

    Il est clair que sans cette transformation de notre industrie pour la mettre à la hauteur de la grande production mécanique contemporaine, le régime socialiste restera un ensemble de décrets, une alliance politique de la classe ouvrière avec le paysan, une défense du paysan contre les Koltchak et les Denikine, un exemple pour toutes les puissances du monde, mais n’aura pas de base propre. »

    Le communisme, ce sont les soviets + l’électrification

    Dans son Rapport au VIIIe congrès des Soviets de la R.S.F.S.R., Lénine expliquera cela également de la manière suivante :

    « Tant que nous vivons dans un pays de petits paysans, il existe en Russie, pour le capitalisme, une base économique plus solide que pour le communisme. Il faut bien retenir cela.

    Tous ceux qui ont observé attentivement la vie rurale en la comparant à la vie urbaine, savent que nous n’avons pas arraché les racines du capitalisme, ni sapé les fondements, la base de l’ennemi intérieur.

    Ce dernier se maintient sur les petites exploitations, et pour en venir à bout il n’est qu’un moyen: faire passer l’économie du pays, y compris l’agriculture, sur une nouvelle base technique, sur la base technique de la grande production moderne…

    C’est lorsque le pays sera électrifié, lorsque nous aurons donné à l’industrie, à l’agriculture et aux transports la base technique de la grande industrie moderne, c’est alors seulement que notre victoire sera définitive. »

    Dépasser l’arriération de la petite production amenait la nécessité de l’électrification pour que la grande industrie existe. Un plan d’électrification fut, pour cette raison, réalisé.

    C’est une Commission d’État pour l’Électrification de la Russie, dont l’acronyme était GOELRO, qui s’en chargea ; son objectif était de faire passer la production nationale annuelle d’électricité à 8,8 milliards de kWh, soit bien au-delà d’avant la première guerre mondiale impérialiste, le chiffre étant de 1,9 milliards de kWh en 1913.

    Le premier document du GOELRO

    La GOELRO avait été mise en place dans la foulée de la révolution, par le Conseil des Commissaires du peuple, comme composante d’un vaste Conseil Suprême de l’Économie Nationale, dont l’acronyme était Vesenkha (ou VSNKh).

    Ce Conseil Suprême va, dans les faits, s’occuper de l’économie jusqu’à la mise en place réelle et complète de la planification, en 1932. Lorsque Nikita Khrouchtchev prendra le pouvoir à la mort de Staline en 1953, il abolira justement la planification et rétablira le Conseil Suprême.

    Une figure importante de la GOELRO fut le vieux bolchevik et scientifique Gleb Krzhizhanovsky (ou encore Kryjanovsky), qui devint jusqu’à sa mort en 1959 un spécialiste de la question. La GOELRO divisait le pays en plusieurs zones : Région économique du Sud, Région économique du Centre, Région économique du Nord, Bassin de l’Oural, Bassin de la Volga, Turkestan, Région du Caucase et de Sibérie de l’Ouest.

    Cette division était un préalable pour la relance de l’économie, déjà fragile de par sa base, qui s’était effondrée de manière quasi complète. En 1920, les zones agricoles ont perdu 76 % de leur surface, alors que l’industrie produisait 1/7e du niveau de 1913.

    La situation des chemins de fer était particulièrement terrible, puisque non seulement plus de la moitié des locomotives et le quart des wagons de marchandises avaient été rendues inutilisables, mais en plus leur production n’était qu’à 15 % d’avant-guerre.

    L’électrification était la base pour relancer la production, pour faciliter les transports, pour remettre sur pied l’économie au niveau national. De fait, entre 1927 et 1934, la grande bataille lancée en 1921 était gagnée. Dès 1924-1925, l’économie soviétique avait atteint environ 75 % de l’économie d’avant-guerre.

    Cette mise en place par en haut n’est cependant qu’un seul aspect de la planification.

    >Sommaire du dossier

  • La planification soviétique : des lois objectives

    La grande caractéristique de l’URSS de l’époque de Staline a été la planification de l’économie : un organisme central établissait un plan qui était suivi par toutes les entités productives, elles-mêmes collectivisées.

    Contrairement au capitalisme où c’est le marché, par la concurrence, qui décide de ce qui est produit, le matérialisme dialectique considère qu’il est possible de prévoir ce qu’il faut produire, le plan étant établi de manière quinquennale, avec des adaptations trimestrielles et annuelles.

    Voici comment Staline – qui a mis en place le principe de planification en URSS – explique la conception matérialiste dialectique de l’économie, dans Les problèmes économiques du socialisme, en 1951 :

    « Le marxisme conçoit les lois de la science, – qu’il s’agisse des lois de la nature ou des lois de l’économie politique, – comme le reflet des processus objectifs qui s’opèrent indépendamment de la volonté humaine.

    Ces lois, on peut les découvrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l’intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir.

    A plus forte raison ne peut-on former ou créer de nouvelles lois de la science.

    Est-ce à dire, par exemple, que les résultats de l’action des lois de la nature, des forces de la nature sont, en général, inéluctables ; que l’action destructive des forces de la nature se produit toujours et partout avec une spontanéité inexorable, qui ne se prête pas à l’action des hommes ?

    Évidemment non. Si l’on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et quelques autres analogues, où les hommes, même s’ils connaissent les lois de leur développement, sont véritablement impuissants à agir sur eux ; ils sont en maintes occasions loin d’être impuissants quant à la possibilité d’agir sur les processus de la nature.

    Dans toutes ces circonstances, les hommes, en apprenant à connaître les lois de la nature, en en tenant compte et en s’appuyant sur elles, en les appliquant avec habileté et en les exploitant, peuvent limiter la sphère de leur action, imprimer aux forces destructives de la nature une autre direction, les faire servir à la société.

    Prenons un exemple parmi tant d’autres. Aux temps anciens, on considérait les débordements des grands fleuves, les inondations, la destruction des habitats et des superficies cultivées, comme un fléau contre lequel les hommes étaient impuissants.

    Mais avec le temps, avec le progrès des connaissances humaines, les hommes ayant appris à construire des barrages et des stations hydrauliques, on a trouvé moyen de détourner de la société les inondations qui paraissaient autrefois inéluctables.

    Bien plus : on a appris à museler les forces destructives de la nature, à les dompter pour ainsi dire, à faire servir la puissance des eaux à la société et à l’exploiter pour irriguer les champs, pour obtenir l’énergie électrique.

    Est-ce à dire que l’on ait par là même aboli les lois de la nature, les lois de la science, que l’on ait créé de nouvelles lois de la nature, de nouvelles lois de la science ?

    Évidemment non. La vérité est que toute cette opération tendant à prévenir l’action des forces destructives de l’eau et à l’exploiter dans l’intérêt de la société, s’effectue sans que les lois de la science soient le moins du monde violées, changées ou abolies, sans que de nouvelles lois de la science soient créées.

    Au contraire, toute cette opération se fait sur la base exacte des lois de la nature, des lois de la science, car une violation quelconque des lois de la nature, la moindre atteinte à ces lois amènerait la désorganisation, l’échec de cette opération.

    Il faut en dire autant des lois du développement économique, des lois de l’économie politique, – qu’il s’agisse de la période du capitalisme ou de la période du socialisme.

    Là aussi, comme dans les sciences de la nature, les lois du développement économique sont des lois objectives reflétant les processus du développement économique qui se produisent indépendamment de la volonté des hommes.

    On peut découvrir ces lois, les connaître et, s’appuyant sur elles, les exploiter dans l’intérêt de la société, imprimer une autre direction à l’action destructive de certaines lois, limiter la sphère de leur action, laisser le champ libre aux autres lois qui se fraient un chemin, mais on ne peut les détruire ou créer de nouvelles lois économiques.

    Un des traits particuliers de l’économie politique est que ses lois, à la différence des lois de la nature, ne sont pas durables ; qu’elles agissent, du moins la plupart d’entre elles, au cours d’une certaine période historique, après quoi elles cèdent la place à d’autres lois.

    Elles ne sont pas détruites, mais elles perdent leur force par suite de nouvelles conditions économiques et quittent la scène pour céder la place à de nouvelles lois qui ne sont pas créées par la volonté des hommes, mais surgissent sur la base de nouvelles conditions économiques (…).

    Par conséquent, quand on parle de « conquérir » les forces de la nature ou les forces économiques, de les « dominer », etc., on ne veut nullement dire par là qu’on peut « abolir » les lois de la science ou les « former ».

    Au contraire, on veut seulement dire par là que l’on peut découvrir des lois, les connaître, les assimiler, apprendre à les appliquer en pleine connaissance de cause, à les exploiter dans l’intérêt de la société et les conquérir par ce moyen, les soumettre à sa domination.

    Ainsi, les lois de l’économie politique sous le socialisme sont des lois objectives qui reflètent la régularité des processus intervenant dans la vie économique indépendamment de notre volonté. Nier cette thèse, c’est au fond nier la science ; or nier la science, c’est nier la possibilité de toute prévision, – c’est donc nier la possibilité de diriger la vie économique. »

    Le matérialisme dialectique considère que la totalité de la vie économique peut être planifiée, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit décidée de manière arbitraire. La planification comprend les tendances historiques et permet de faire en sorte qu’elles triomphent de manière la plus adéquate.

    L’économie est considérée comme la transformation de la matière dans le cadre de la reproduction sociale de l’Humanité, elle-même matière, l’ensemble de la matière obéissant à des lois expliquées par le matérialisme dialectique.

    >Sommaire du dossier

  • CPM : Quelques notes méthodologiques sur le travail du collectif politique métropolitain

    [Cinquième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

    5. Quelques notes méthodologiques sur le travail du collectif politique métropolitain

    1) Le collectif ne se pose pas comme organisme dirigeant, mais comme noyau agent

    Notre problème n’est pas de concurrencer les syndicats, partis, partis, groupes, pour « diriger les masses », mais d’exercer une action dialectique qui contribue à la croissance politique des masses, au développement de l’autonomie, à la transformation de luttes sociales spécifiques et sectorielles en lutte sociale généralisée.

    Nous nous positionnons donc comme un outil théorico-pratique au sein du mouvement général du prolétariat qui – bien que sous des formes embryonnaires et encore très limitées – tend à une transformation globale de la société.

    Le collectif n’est pas une association de groupes, mais est individuellement impliqué, en tant que militants.

    Il ne s’agit donc pas d’« hégémoniser » ou de « capturer » des Cub, des groupes d’étude ou d’autres organismes de base, puis de les gérer au niveau général, mais de constituer un organisme politique, de militants actifs, s’engageant à effectuer un travail politiquement homogène au sein des situations sociales et dans le tissu métropolitain le plus général.

    Militants actifs : nous ne sommes donc pas intéressés à organiser une adhésion passive, de spectateurs, d’individus qui délèguent à d’autres la responsabilité politique de leurs actions et de leurs pensées.

    La mesure et la référence de nos actions doivent être recherchées dans la capacité à développer les contradictions antagonistes entre le mouvement général de masse et le système capitaliste, dans la capacité de frapper le système bourgeois.

    2) Attaquer au point le plus élevé.

    Parmi les différents problèmes que le travail politique nous a posés ces derniers mois, un est très important et peut être formulé en ces termes : dans une situation où différents niveaux de conscience sont présents, devons-nous attaquer le point le plus haut ou le point le plus bas?

    Un exemple clarifiera le problème et la réponse.

    Un militant révolutionnaire qui doit travailler dans un organisme de base politiquement hétérogène, une fois la gauche et la droite de cette situation identifiées, où commencera-t-il à développer son travail politique?

    – S’il part de la « droite », c’est-à-dire du point le plus bas, il exclut la possibilité de développer une action émancipatrice, entraînante, révolutionnaire et en tout cas se posant à un niveau de problèmes déjà « escomptés »dans l’expérience globale du groupe.

    C’est une position opportuniste qui permet de travailler avec des « ouvriers » ou des « étudiants », mais pas avec l’autonomie prolétarienne.

    – S’il attaque à partir du plus haut point, c’est-à-dire de la gauche, il est en mesure de vérifier son discours et sa force réelle, permettant à l’autonomie une dialectique clarificatrice.

    C’est la deuxième réponse qui doit aviser nos choix et notre travail.

    3) Les militants ne participent pas au collectif, mais constituent le collectif.

    En 1968-69 se sont constitués des organismes de base (Cubs, Gds, groupes de MS, etc.), placés politiquement, ainsi qu’organisationnellement, dans des situations spécifiques (usine, école, quartier, etc.), concevant aujourd’hui le collectif comme leur propre organisme de base.

    Ce qui signifie:

    a) Le point de référence de sa propre action politique n’est plus l’aire spécifique, mais devient l’aire générale métropolitaine.

    Le dépassement d’organismes particuliers, sectoriels, se matérialise dans une nouvelle définition du militant qui assume de lui-même et dans sa propre action toute la complexité d’une intervention politique générale.

    En fait, le militantisme révolutionnaire est général et global, ou n’est pas.

    b) Les militants du collectif doivent identifier, au sein d’une analyse politique globale, les points nodaux de développement et les aires stratégiques d’intervention dans la métropole.

    Il est nécessaire de déterminer, par points de force, le développement du travail politique du collectif au sein des structures productives et des ganglions fondamentaux de la vie sociale métropolitaine.

    Agir pour les points de forces signifie aussi concentrer dans un mode articulé les petites forces dont on dispose pour les rendre incisives dans l’action politique. Concrètement: si un camarade, voulant mener une action révolutionnaire, se trouve isolé dans son aire spécifique, il est préférable de le mettre à disposition pour construire l’organisation générale du collectif et se concentrer sur d’autres domaines de travail politique plus productifs.

    4) Lutte politique et révolution culturelle.

    Le prolétariat occidental erre dans une Europe en quête de recomposition. Les instruments qu’il avait créés pour établir sa « dictature » lui font maintenant face, lui sont opposés, étrangers, et l’impliquent dans un processus dépourvu à la fois de raison et d’histoire.

    De nouveau, la raison et l’histoire des classes dominantes se sont emparées de son cerveau. Le patron a tout pris, le présent et le passé, la tête et les couilles [sic] : une expropriation globale qui n’admet qu’une réponse globale.

    C’est ainsi qu’une histoire honteuse comme celle de nos classes dominantes ne nourrit pas notre haine à leur égard. C’est ainsi qu’un présent intolérable, par rapport à nos possibilités, ne correspond pas à une conscience adéquate de son caractère intolérable.

    Nous sommes profondément marqués par une vie sociale aliénée dans laquelle la « séparation » semble être la loi dominante : séparation entre public et privé, séparation entre l’être et la conscience, séparation entre la tête et les couilles [sic].

    Le moi ultra-faible, névrosé, aliéné, égoïste, individualiste, manipulé, est une donnée dont il faut tenir compte : c’est une donnée de notre révolution.

    La lutte pour un « nouveau monde » est aussi la lutte pour un « nouvel homme ». La révolution politique coïncide finalement avec un processus réel et profond de révolution sociale et culturelle.

    La révolution issue de l’utopie devient actuelle en premier lieu dans la communauté révolutionnaire.

    Cela passe à la fois « dans » et « en-dehors » de chacun de nous ; dans et hors de chaque communauté révolutionnaire, dans et hors de chaque groupe de travail.

    Il faut une réelle contemporanéité entre la transformation de l’homme et la transformation de ses institutions, entre la transformation des besoins et la transformation de l’appareil de production et de consommation.

    Dans la communauté révolutionnaire, le travail collectif est le premier moment de la réunification indispensable de la vie sociale avec sa conscience. Le travail collectif est une responsabilité collective, c’est un apport personnel des problèmes globaux de tous.

    Deux éléments généraux soutiennent ce travail. Ce sont : la confiance et la disponibilité réciproque.

    Confiance: Il ne s’agit pas d’une question psychologique, fondée sur le fait de « bien se connaître », sur les aspects vagues de la camaraderie, mais d’une confiance politique qui a été conquise à travers une pratique commune. Nous ne devons jamais oublier que nous vivons dans une société capitaliste qui aliène constamment les valeurs fondamentales des rapports publics et privés, dans une société capitaliste tardive qui produit un « moi » faible.

    Nous ne sommes pas des bons sauvages dans une bonne société, mais « a priori » nous sommes des fils de pute dans une société malade. Un militant n’a pas le droit d’oublier cela, ni donner ni pour accorder une confiance les yeux fermés, qui peut mettre en péril le développement du travail politique organisé.

    D’autre part, la méfiance illimitée – même celle prodiguée par des bases psychologiques – est paralysante et ne permet pas de développer le processus de collaboration.

    Ainsi: nous construisons des structures de travail dans lesquelles nous pouvons progressivement traduire nos besoins en capacités, notre curiosité en connaissance, notre bonne volonté en participation effective.

    Disponibilité réciproque : il y a une seule façon de se rendre mutuellement disponible : définir et accepter une discipline collective, offrir aux autres la garantie que vous êtes au poste où vous devriez être, que vous faites ce que vous vous êtes engagés à faire.

    L’improvisation et l’indiscipline sont les caractéristiques organisationnelles du spontanéisme (et non de la spontanéité de la masse, capable d’un degré très élevé, bien que sporadique, de discipline collective).

    Parlant de discipline, pour les échos désagréables que cela suscite, signifie se retrouver à faire face à l’objection : mais alors la liberté?

    Une vieille réponse marxiste à une vieille question : la liberté bourgeoise est la liberté de l’individu isolé confronté à d’autres individus isolés, tous écrasés par une impitoyable machine de domination (quoique aujourd’hui maquillée et enjolivée).

    Vouloir rappeler à la vie cette « liberté » illusoire dans la vie signifie abandonner la réalisation de la vraie liberté.

    Cette forme de liberté (bien qu’encore imparfaite) qu’est la discipline militante exclut toute acceptation passive des ordres, mais elle est basée sur la participation constante et consciente de tous dans le travail collectif.

    Ce sont les spectateurs, les passifs (ce qui ne veut pas dire que les camarades soient moins expérimentés ou moins capables) qui permettent la formation de hiérarchies bureaucratiques.

    Janvier 1970

    Collettivo Politico Metropolitano [Collectif Politique Métropolitain]

    >Sommaire du dossier

  • CPM : Mouvement de masse et organisation révolutionnaire

    [Quatrième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

    4. Mouvement de masse et organisation révolutionnaire

    Le mouvement des masses en Europe et en Italie a atteint un tournant décisif. Son développement spontané et impétueux a été arrêté par la manœuvre en tenaille de répression policière et de répression syndicale-partidaire. Ce qui s’est passé en France, en Allemagne et en Italie, à différents moments et de différentes manières, n’est pas un « cas défavorable », mais est le résultat de la logique même de la lutte des classes.

    Il est nécessaire de comprendre clairement les termes du problème :

    – n’a pas été défait le mouvement autonome du prolétariat européen, qui repose sur la contradiction fondamentale entre le développement actuel des forces productives et les rapports de production existant dans le régime capitaliste tardif, mais simplement la spontanéité et l’impulsion du mouvement.

    – Les forces conservatrices ont appris de la réalité avant nous. De la répression « spontanée » de la première phase (le simple patron, recteur, questeur qui s’arrangeait pour résoudre ses problèmes spécifiques), le système passa rapidement à une seconde étape, celle de la lutte continuelle, répressive, organisée au niveau national et international contre le mouvement autonome du prolétariat et contre toutes ses expressions directes et indirectes.

    – L’autonomie prolétarienne n’a aujourd’hui plus qu’un moyen de se développer : s’organiser. Le saut du mouvement spontané au mouvement organisé n’implique pas l’abandon du contenu de l’autonomie prolétarienne, mais en constitue l’unique possibilité de développement.

    – L’exigence d’organisation (perçu par tous) doit se trtaduire en une lutte pour l’organisation, qui doit se faire sur deux fronts : contre la répression globale du système, contre les tendances erronées au sein du mouvement.

    – La lutte pour l’organisation doit être menée sur un nouveau terrain : celui de la lutte sociale globale. Le saut de qualité est double : du mouvement spontané au mouvement organisé, de la lutte à l’usine et à l’école à la lutte sociale globale.

    L’autonomie prolétaire face au saut qualitatif

    L’autonomie n’est pas un mot vide, une auréole sur la tête du prolétariat, un mythe à vendre au marché des idées. L’autonomie s’exprime sous une forme politique, dans une partie définie du prolétariat qui a pu affirmer, au-dessus des divisions syndicales et partisanes, l’intérêt réel de la classe exploitée.

    Le mouvement ouvrier traditionnel, du moment qu’il s’est attaqué au noyau politique portant en avant la pratique autonome, a assumé la grave responsabilité historique de briser l’unité réelle du prolétariat (qui s’affirmait dans la lutte), lui substituant une unité fictive, relevant du simple slogan.

    Tout en affirmant que « enfin la classe ouvrière est unie contre les patrons », il a tenté d’amputer la classe ouvrière de son d’avant-garde de lutte.

    Avec le bâton de la répression et la carotte de la démocratie syndicale, avec les slogans de gauche et la pratique conservatrice, l’offensive syndicale a conduit à la scission entre la droite et la gauche ouvrière.

    La gauche ouvrière a tardé à comprendre ce qui se passait, victime elle-même du contenu de « l’unité » qui n’avait pas été suffisamment approfondi sur le plan théorico-pratique. Les noyaux politiques (Cub, Gds, groupes d’étudiants, etc.) ont tenté de se reconnecter spontanément avec la classe ouvrière, mais ont fini par trouver devant eux la droite déployée et organisée.

    Un droite qui n’a pas du tout le contrôle réel de la situation, mais qui a su exploiter au maximum le terrain de lutte favorable (la lutte contractuelle) et qui a cyniquement mis en avant son indifférence (sous-estimant les périls à long terme).

    La gauche, quant à elle, a commis quelques erreurs : dans certaines situations, elle s’est repliée sur elle-même, renonçant à la lutte, dans d’autres elle a radicalisé le conflit sur des contenus syndicaux, s’auto-isolant, dans d’autres elle a cherché des relations ambiguës avec les syndicats.

    Les choses allaient de manière diverse à l’université et dans les écoles. La faiblesse organisationnelle des partis révisionnistes a imposé ici une tactique plus subtile et indirecte, fondée principalement sur les contradictions internes du mouvement étudiant : les contradictions entre le caractère autonome du mouvement et le contrôle exercé sur lui par les groupes bureaucratiques, son « intellectualisme » verbeux et l’absence d’une élaboration théorique au niveau des problèmes actuels, ses victoires tactiques et de l’absence de perspectives stratégiques.

    Le PCI et les organisations néo-révisionnistes ont proposé une organisation, une théorie et une stratégie toutes faites. Cela a amené une fracture qui tendra à s’approfondir de plus en plus.

    D’une part, la droite du mouvement, qui cache derrière la phrase « révolutionnaire » l’opportunisme objectif de ceux qui acceptent les règles du jeu, se justifiant par le fait que… les masses ne soient pas mûres (les ouvriers parce qu’ils sont sous l’hégémonie des partis et des syndicats, les étudiants parce qu’ils n’ont pas encore acquis la conscience marxiste-léniniste); de l’autre, une gauche qui accepte le défi du système et tend à développer une lutte sociale globale qui a comme terme de référence l’autonomie prolétarienne.

    La scission entre la droite et la gauche du prolétariat n’est pas un acte volontariste, qui ne concerne que quelques militants, mais reflète les niveaux non homogènes de la conscience des masses. La lutte décisive et implacable contre la droite prolétarienne est la condition de la conquête des masses à la lutte révolutionnaire.

    Il est nécessaire de combattre l’« unitarisme » mal intentionné de ceux qui disent : nous sommes peu nombreux, nous sommes une minorité, alors ne vous battez pas entre vous ; nous acceptons les conditions du plus fort (la droite actuellement), et à l’avenir nous développerons les contradictions.

    Dans le même temps, il est nécessaire que la lutte ne soit pas seulement idéologique, verbale ou menée au niveau des intrigues de corridors, mais qu’elle se développe au sein des luttes de masse, qu’elles soient un moment des luttes de masse.

    L’extension de l’autonomie prolétarienne de l’usine et de l’école à la société n’est pas une opération quantitative, mais un saut politique fondamental.

    La lutte continue contre la paix sociale, contre la légalité répressive, contre l’organisation du consensus, contre la dictature technopolitique social-capitaliste a un seul nom : la lutte révolutionnaire pour vaincre le pouvoir bourgeois.

    Lutte révolutionnaire et « révolution »

    Le mot même de « révolution » a aujourd’hui un destin particulier : d’une part, il est abusivement employé pour définir tout événement ou toute attitude qui ne se conforme pas aux normes de la le commune bourgeoise (par exemple chez les étudiants), d’autre part le terme même disparaît (par exemple dans la « vieille » classe ouvrière).

    Définir a priori un processus révolutionnaire est impossible; en lui confluent tellement d’éléments que préfigurer en détail le développement signifie faire œuvre de mystification plutôt que du travail scientifique.

    Mais qui se réclame du marxisme révolutionnaire ne peut pas renoncer à saisir les lignes du processus révolutionnaire dans lesquelles il s’implique, ne peut pas renoncer à tracer une ligne stratégique, à apporter sa contribution à la création d’une théorie révolutionnaire dans la métropole.

    Note : au mot d’ordre « sans théorie, pas de révolution », il est nécessaire d’ajouter « sans théorie, pas d’organisation, ou plutôt pas d’organisation révolutionnaire ». Tout le monde est d’accord sur le principe, maiis en pratique aujourd’hui, il y a deux tendances à combattre:

    1) La pratique spontanée, qui tend à confondre la théorie avec sa propre pratique politique. C’est ainsi qu’une volonté révolutionnaire subjective se transforme en opportunisme objectif : la mesure de sa propre action devient le succès, réalisé à n’importe quel prix et au prix de n’importe quel compromis.

    La lutte, n’importe quelle lutte, est surestimée ; l’étiquette la plus utile s’applique à eux.

    On passe ainsi de victoire en victoire, le patron subit des défaites continues, les syndicats et les partis sont maintenant réduits à rien, la révolution est à portée de main !

    Mais il est alors découvert que tout cela était un rêve les yeux ouverts ! Alors la crise du désespoir, du pessimisme, du renoncement. D’où sort une nouvelle vague de succès, de victoires, et ainsi de suite.

    De cette façon, il est vrai, « on ne s’enferme pas à la maison pour étudier », on n’élabore pas de « théorie sur une la table », mais on pense par lieu commun, on prend pour acquis de misérables parodies de « thèses politiques », on agit avec des yeux bandés terminant dans l’impasse de l’activisme. On finit par « faire de la politique » au lieu de « faire la révolution ».

    2) L’idéologisme dogmatique. Cela fonctionne comme ça. La récitation de la litanie: « Marxisme, léninisme pensée de Mao Zedong, adapté aux conditions historiques particulières ».

    Après cela, les alternatives sont au nombre de deux : : soit on met le ml-maoïsme dans le tiroir et on navigue dans les eaux les plus calmes de la politique de couloir; ou on adhère à un parti se proclamant le seul véritable héritier de Marx, de Lénine et de Mao, et on s’attend à ce que les masses en soient convaincues.

    Ces deux attitudes «théoriques» erronées ont une origine pratique: elles sont à la fois la base du pouvoir de la direction bureaucratique et dirigiste établie de façon parasitaire dans le mouvement de masse.

    La croissance pratique et théorique du mouvement, sa transformation en un mouvement révolutionnaire organisé constituerait la fin d’un privilège qui prend souvent la forme de l’exploitation politique.

    Nous croyons que le front de la lutte théorique est fondamental pour le développement du mouvement prolétarien.

    La lutte est à deux niveaux : pour l’élaboration d’une théorie révolutionnaire dans la métropole (qui n’existe pas actuellement, bien que de nombreuses indications fondamentales soient contenues dans le patrimoine théorique du marxisme révolutionnaire), pour la propagande militante des idées justes et leur application dans l’autogestion des luttes du prolétariat.

    Il est nécessaire aujourd’hui de redéfinir le concept même de révolution, à la lumière des conditions objectives et du développement réel du mouvement autonome du prolétariat européen. Deux points semblent importants à souligner:

    1) Processus révolutionnaire et non moment révolutionnaire.

    Comme l’écrit le révolutionnaire brésilien Marcelo De Andrade : « Avant l’unification du capitalisme mondial par l’impérialisme yankee, le prolétariat avait l’occasion de s’armer par des moyens non armés, c’est-à-dire qu’il pouvait d’abord s’organiser politiquement et développer jusqu’à un certain point la lutte politique et la violence non armée, pour ensuite profiter de la défaite sociale, politique et militaire des classes dirigeantes de leurs pays respectifs, pour s’armer et prendre le pouvoir…

    Aujourd’hui, puisque la possibilité d’une guerre inter-impérialiste est historiquement exclue, une alternative prolétarienne de pouvoir doit être, dès le début, politico-militaire, étant donné que la lutte armée est la voie principale de la lutte des classes. »

    Il est nécessaire de comprendre de fond en comble cette thèse, car elle est à la base de tous les mouvements révolutionnaires opérant dans le monde.

    Dans la conception courante aujourd’hui en Italie du rapport entre mouvement de masse et organisation révolutionnaire, il y a implicitement l’image d’un processus de ce genre : d’abord nous développons la lutte politique, conquérons les masses à la révolution, puis, quand les masses sont devenues révolutionnaires, nous faisons la révolution.

    D’où : aujourd’hui, il n’y a pas de conditions révolutionnaires objectives ; il ne reste plus à faire que de la politique d’une manière plus ou moins traditionnelle. L’objectif intermédiaire : la construction du parti marxiste-léniniste.

    Est également implicite que la révolution en Europe ne peut que coïncider avec un moment insurrectionnel qui amènera le prolétariat au pouvoir.

    Après la prise du pouvoir, se transforme la société. Les révisionnistes objectent : l’insurrection générale est une utopie ; il ne reste alors qu’à s’insérer à l’intérieur des structures du pouvoir bourgeois et à les transformer de l’intérieur.

    En effet, l’hypothèse d’une insurrection généralisée est aujourd’hui illusoire. Mais cela ne signifie pas renoncer en tant que tel à la tâche des révolutionnaires.

    C’est la réalité même qui nous enlève toutes les suggestions d’une fausse alternative. La dimension sociale de la lutte, et le point le plus élevé de son développement : la lutte contre la répression généralisée, constitue déjà un moment révolutionnaire.

    Le processus révolutionnaire tend à se développer dès le départ sur tous les plans: ce n’est pas un choix volontariste, mais une condition imposée par la réalité.

    Quand on peut avoir quatre ans de prison pour ne pas avoir agressé un flic, un choix s’impose : soit on se réfugie dans le bourbier du réformisme renonciateur, soit on accepte le terrain révolutionnaire de l’affrontement.

    La bourgeoisie a compris de bout en bout la situation et se comporte en conséquence. La bourgeoisie a déjà choisi l’illégalité. La longue marche révolutionnaire dans la métropole est l’unique riposte adéquate. Cela doit commencer aujourd’hui et ici.

    2) Processus révolutionnaire métropolitain. Il n’a pas été encore suffisamment compris ce que cela signifie pour développer un processus révolutionnaire dans une aire métropolitaine de développement capitaliste tardif.

    Les modèles révolutionnaires du passé ou les zones périphériques sont inapplicables. Notre problème est aujourd’hui de prendre acte de la réalité dans laquelle nous nous trouvons à opérer ; la difficulté de cette recherche ne doit pas nous conduire à faire semblant d’être en Russie en 1917 ou en Chine en 1927. Il semble nécessaire de travailler sur un mode théorico-pratique sur ces points :

    a) Dans les aires métropolitaines nord-américaines et européennes, il existe déjà les conditions objectives pour la transition vers le communisme : la lutte est essentiellement la révolte pour créer les conditions subjectives.

    Cela implique que le prolétariat doit porter en avant d’un mode direct sa révolution, et qu’on ne peut plus, comme cela est arrivé dans le passé, engager sa propre action sur des objectifs essentiellement bourgeois : la démocratie parlementaire, l’indépendance, l’unité nationale, le développement industriel, etc.

    Les révisionnistes ont aujourd’hui assumé la défense de ces valeurs ; notre problème est d’attaquer par rapport un objectif directement révolutionnaire : renverser le système de pouvoir bourgeois et transformer l’essence même du pouvoir (autoritaire, centralisé, hiérarchique, répressif, manipulateur, etc.).

    b) Le rapport muté (par rapport au capitalisme classique) entre la structure et la superstructure, qui tend de plus en plus à coïncider, fait que le processus révolutionnaire se présent aujourd’hui comme à la fois global, politique et « culturel ».

    Ce qui signifie que mutent substantiellement les rapports entre le mouvement de masse et l’organisation révolutionnaire, et par conséquent viennent également à muter radicalement les principes d’organisation.

    Note – S’impose sur ce point une critique au « parti marxiste-léniniste » tel qu’il est compris, ou mal compris.

    Se réclamer du marxisme révolutionnaire signifie aujourd’hui développer le patrimoine théorique du mouvement ouvrier et le faire accomplir le saut dialectique que la réalité impose. Selon Marx, le parti politique du prolétariat coïncide avec l’ensemble du prolétariat (qu’il soit « révolutionnaire ou non »).

    Cela n’empêcha pas Lénine de développer, en des temps et sous des conditions différentes, la théorie du parti bolchevik qui est l’avant-garde du prolétariat, ni Mao de promouvoir la révolution culturelle qui, dans son essence, est la proposition d’un une nouvelle forme d’organisation prolétarienne.

    La tradition marxiste est pour nous un point de référence, un héritage à partir duquel puiser, mais elle ne doit en aucun cas nous paralyser face à nos tâches actuelles.

    Pour en venir au spécifique. Les fondements du parti léniniste sont au nombre de trois :

    1) distinction entre le moment économique et le moment politique ;

    2) distinction entre les luttes de la classe ouvrière et la conscience socialiste dont les intellectuels sont les dépositaires ;

    3) distinction entre l’avant-garde et les masses.

    Aucun de ces trois éléments n’est présent dans la réalité actuelle de l’aire métropolitaine européenne.

    Mais nous devons faire une déclaration claire : le dépassement du parti ne peut pas consister en le retour aux formes que le léninisme a surmontées : l’ouvriérisme, la spontanéité, l’économisme, le terrorisme.

    Surmonter le parti n’est pas un travail fait sur le coin d’une table, qui peut être épuisé dans la recherche de formules, mais est une œuvre collective pour la recherche d’une nouvelle forme organisationnelle, le développement et le dépassement des formes organisationnelles embryonnaires actuelles assumées par l’autonomie prolétarienne.

    c) Le terrain essentiellement urbain de la lutte. Une donnée objective : en 1961, 14 481 000 Italiens étaient concentrés dans huit zones urbaines ; on s’attend à ce que d’ici 2001 le chiffre soit de 29 153 000 personnes, soit la moitié de la population totale.

    Ce chiffre statistique correspond à une donnée politique : la ville est aujourd’hui le cœur du système, le centre organisateur de l’exploitation économico-politique, la vitrine où est exposé le « plus haut point », le modèle qui devrait motiver l’intégration prolétarienne.

    Mais c’est aussi le point le plus faible du système: là où les contradictions apparaissent plus aiguës, où le chaos organisé qui caractérise la société capitaliste tardive apparaît comme le plus évident, où les clivages politiques fendent verticalement tout le tissu social.

    C’est sur ce terrain que le prolétariat moderne émerge le plus impétueusement, où il prend conscience de son unité.

    C’est ici, dans son cœur, que le système est frappé.

    La ville doit devenir pour l’adversaire, pour les hommes qui exercent aujourd’hui un pouvoir de plus en plus hostile et étranger aux intérêts des masses, un terrain dangereux : chacun de leur geste peut être contrôlé, tout point de vue dénoncé, toute collusion entre pouvoir économique et pouvoir politique mise à découvert.

    « Agir dans les masses comme des poissons dans l’eau » signifie pour nous d’empêcher le pouvoir d’avoir une image précise de sa force, le chasser de sa tanière et se retourner contre lui et ses représentants (ou contre une personne qui assume sur un mode conscience ou inconscient sa défense, et se rend complice) de toute la violence qu’il crache de manière ininterrompue contre la grande majorité du peuple.

    À la violence globale d’un système qui tend à contrôler les citadins dans chacun de ses actes publics et privés, il est nécessaire d’opposer l’engagement global du révolutionnaire, capable de transformer chacun de ses geste, chaque lieu de travail ou de résidence en un centre de lutte.

    La révolution culturelle d’aujourd’hui fait corps avec la révolution politique : à cette opposition globale qui est capable de transformer en force son immense supériorité politique, culturelle et morale, le système ne peut seulement opposer que le poids de son oppression, de son chantage, de sa corruption.

    Avec ces armes, aucun système n’a jamais réussi à survivre.

    Le niveau d’organisation dans la situation actuelle

    Les caractéristiques de la situation actuelle peuvent être résumées comme suit :

    Les luttes particulières, spontanées ont épuisé leur fonction entraînante. La dimension réelle de l’affrontement est aujourd’hui sociale, globale ; son point culminant est la lutte contre la répression, qui est la lutte contre la violence globale du système, et donc déjà directement révolutionnaire.

    Les organisations révisionnistes sont incapables de descendre sur ce terrain : l’appel en référence à la Résistance à la légalité constitutionnelle, la tactique défensive, dénonce en pratique la « voie italienne au socialisme » pour ce qu’elle est : une stratégie réformiste pour l’inclusion du prolétariat dans l’aire de l’hégémonie bourgeoisie économico-politique.

    Pratiquement, cela signifie qu’à l’avenir, de plus en plus, les organisations syndicales et le parti « ouvrier » apparaîtront aux masses pour ce qu’ils sont et se révéleront incapables de faire face à l’offensive capitaliste.

    D’autre part, les forces révolutionnaires subjectives se placent dans l’affrontement dans un état d’extrême faiblesse : cette faiblesse, théorique et pratique, s’exprime d’une manière éclatante sur le plan organisationnel.

    L’« attente du Parti » paralysante et la pratique essentiellement spontanéiste constituent un cercle vicieux qui s’exprime dans la fausse alternative entre :

    – La controverse institutionnalisée, c’est-à-dire les luttes particulières qui sollicitent des solutions particulières, les « révolutions culturelles » qui s’appuient sur la tolérance du système, les manifestations « ordonnées et pacifiques » derrière les slogans pseudo-révolutionnaires masquant le reddition au réformisme.

    – L’extrémisme spontanéiste qui s’exprime par la radicalisation du contenu politique réformiste lui-même.

    Ils demandent plus d’argent, plus de liberté à l’usine, plus d’énergie dans la lutte contre la répression, dans l’illusion de battre les syndicats et le parti dans cette « course aux surenchères ».

    Ces positions sont justifiées par un seul argument : que les masses ne sont pas préparées à affronter le niveau de confrontation au niveau imposé par le capital.

    Évaluation qui contient une double erreur : d’une part, une mythification des masses, les considérant capables de faire spontanément face (un jour ou l’autre) à la lutte révolutionnaire ; de l’autre, la sous-estimation des masses, les considérant incapables de comprendre les termes d’une lutte révolutionnaire, qui est la tâche à entreprendre par l’avant-garde.

    Note – il est nécessaire de distinguer entre :

    Masses : elles sont constituées par la soi-disant « majorité silencieuse » manipulée et manipulable, victimes d’une oppression qui les ramène au niveau de « l’opinion publique », principal champ d’intervention de l’organisation du consensus.

    [Le socialiste Pietro] Nenni, par exemple, a justifié le centre-gauche avec un argument plus ou moins de ce genre : les masses d’aujourd’hui veulent atteindre un niveau de consommation plus élevé, et elles ont peur de changer radicalement la société ; moi-même, socialiste, qui suis toujours avec les masses, j’œuvre à créer la société du bien-être.

    Mouvement de masse : c’est l’élément dynamique dans lequel la lutte de classe s’exprime immédiatement en termes de conflictualité entre la force de travail et les donneurs de travail, entre les classes dirigeantes et les subordonnés, entre les oppresseurs et les opprimés.

    Par rapport au mouvement de masse, les attitudes peuvent être de deux types : ceux qui exploitent le mouvement, restant essentiellement à sa queue, ceux qui interprètent les besoins les plus profonds, encore latents et inexprimés, et œuvrent subjectivement à un débouché révolutionnaire de la lutte.

    C’est la distinction, ancienne comme le mouvement ouvrier, entre réformistes et révolutionnaires. L’alibi des réformistes a toujours été : les masses ne sont pas mûres. En réalité, il est absurde de demander aux masses une maturité que la soi-disant « avant-garde » ne parvient pas à exprimer.

    Organisation révolutionnaire : c’est l’organisme politique exprimé par les contenus le plus avancés du mouvement de masse, son plus haut degré de conscience collective.

    Qu’il ne puisse pas et ne doive pas « se détacher des masses » est bien entendu évident ; mais il est également vrai que cette unité masse – organisation révolutionnaire est une unité dialectique, le fruit d’une lutte, non une donnée existant a priori amenant à manquer à celle-ci en restant stagnant.

    Se soumettre à la spontanéité du mouvement, c’est rester en fait stagnant. Il peut être important de se rappeler que pendant la Révolution chinoise, l’ancienne incitation des officiers « Allez de l’avant », a été remplacée par la plus correcte « Venez en avant ».

    Le corps politique qui n’est pas en mesure de se tourner vers les masses avec la devise « Venez de l’avant » est la parodie ridicule, verbalement révolutionnaire, des partis révisionnistes.

    Nous devons poser le problème en des termes concrets.

    Quel niveau d’organisation est aujourd’hui possible et nécessaire? Il est utile de comparer ce moment avec la phase initiale des luttes spontanées de 1968-1969.

    Comme alors devaient « s’inventer » les voies et les outils organisationnels capables de contenir et d’exprimer le nouveau discours politique de l’autonomie, de sorte qu’aujourd’hui se réalise un saut qualitatif nécessaire dans le développement des structures organisationnelles, capable de correspondre à la nouvelle perspective de lutte : la lutte sociale généralisée contre la société capitaliste.

    L’outil organisationnel, pour ne pas devenir un joug bureaucratique, doit toujours être fonctionnel par rapport au contenu et aux objectifs politiques que l’on veut poursuivre.

    Les Cubs, les Gds, les mouvements d’étudiants de base, etc. avaient une fonction : être les instruments de la renaissance du mouvement autonome du prolétariat, à travers des luttes autodéterminées et auto-dirigées.

    L’aire politique de cette lutte était essentiellement dans l’école et dans l’usine, c’est-à-dire dans les institutions. L’outil organisationnel ne pouvait donc pas être interne à cette aire.

    Alors que les luttes se sont généralisées et que beaucoup de contenus politiques de l’autonomie ont été acquis (au point que les syndicats et les partis sont contraints de faire semblant), alors que les luttes n’ont plus comme point politique de référence politique seulement l’usine et l’école, les outils organisationnel internes, sectoriels, n’ont plus de véritable fonction politique et sont à juste titre dépassées par les luttes mêmes qu’ils ont générées.

    Développer l’autonomie prolétarienne signifie aujourd’hui surmonter les luttes sectorielles et les organismes sectorielles.

    Un tel dépassement ne peut se faire que par la lutte contre les tendances « conservatrices » présentes au sein du mouvement, qui confondent l’autonomie avec son premier niveau d’expression organisée : à savoir les Cubs, les Gds, le MS.

    Quel est le véritable espace politique des organismes de base aujourd’hui?

    L’expérience des luttes contractuelles et la paralysie du mouvement étudiant démontrent que l’espace politique au sein de la lutte revendicatrice s’est rétréci au point que si l’action des organismes sectoriels est fonctionnelle pour le développement de la lutte, elle l’est dans la même direction et vers les mêmes objectifs que les syndicats des partis.

    En d’autres termes, avec ces structures organisationnelles sectorielles, nous finissons par renforcer la gestion syndicale-parlementaire des luttes prolétariennes.

    La dimension sociale de la lutte requiert des organismes de base au niveau social.

    En ce qui nous concerne, la principale unité de base de notre travail politique est la zone métropolitaine de Milan.

    Il ne s’agit donc pas de faire un saut de’une organisation de base à une organisation supérieure, ni d’étendre quantitativement un réseau de liens en constituant une sorte de fédération de groupes de base, mais de construire des organismes politiquement homogènes pour intervenir dans la lutte sociale métropolitaine.

    Le dépassement de l’ouvriérisme et de l’étudiantisme (les tendances conservatrices du mouvement) ne peut, à notre avis, se produire à travers l’union spontanée, sporadique et apolitique des ouvriers et des étudiants (ou la remise au mythique parti marxiste-léniniste), mais à travers le création de noyaux organisationnels qui se placent au niveau des problèmes sociaux globaux.

    La confluence en eux des ouvriers, des étudiants et des techniciens n’est pas un fait mécanique, de type organisationnel étroit et mécanique, mais le fruit de la conscience des nouveaux contenus et des nouveaux objectifs qui s’imposent au mouvement.

    >Sommaire du dossier