Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Aristote et la reproduction du monde

    Il faut bien voir une chose très particulière : d’un côté, Aristote dit que la substance la plus authentique n’a pas de matière, de l’autre que l’accomplissement ne se déroule que dans la matière.

    Dans le livre XII, Lambda (Λ), il dit de manière formelle que :

    « Aussi, Platon ne se trompe-t-il pas quand il dit qu’il y a [pure hypothèse, qu’Aristote réfute] autant d’Idées qu’il y a de choses dans la nature, si, toutefois, il y a des Idées différentes pour des choses telles que le feu, la chair, la tête, etc.

    Tout est matière dans le monde ; et la matière dernière est la matière de la substance par excellence. Mais si la production et la destruction ont lieu quelque part, c’est dans les choses de la nature. »

    En effet, le moteur premier, sorte de super substance, ne connaît pas la destruction, ni réellement la production car il est en acte éternel, permanent, ininterrompu, etc.

    Mais faut-il alors pencher plutôt du côté de la nature et voir en le moteur premier un principe absolu (tel Averroès, voire confondre l’univers et le moteur, comme le fit Spinoza), ou bien voir en la nature une existence somme toute secondaire par rapport au moteur premier (comme le fait, avec des influences idéalistes, Avicenne, ou dans une version totalement réactionnaire Thomas d’Aquin) ?

    Aristote ne tranche pas, car pour lui il y a trois niveaux : la matière, le jeu des formes et de la substance, puis le moteur premier. Dans le livre VII, Zêta (Ζ), il explique ainsi :

    « Ce qu’on vient de dire fait donc bien voir que ce qu’on appelle la forme, ou la substance, ne se produit pas, à proprement parler ; que tout ce qui se produit, c’est la rencontre des deux éléments qui en recevront leur appellation ; que, dans tout phénomène qui vient à se produire, il y a préalablement de la matière, et que le résultat total se compose, partie de matière, et partie, de forme. »

    Cela implique en fait, conformément à la thèse de « l’ordre » préalable à tout acte (comme reflet du mode de production esclavagiste), qu’il n’y a jamais de transformation, simplement la rencontre d’éléments existant déjà. Dans l’univers d’Aristote, rien de nouveau ne peut se produire, car tout mouvement est circulaire, l’être humain se produisant de génération en génération, les formes nouvelles ne faisant que répéter des formes ayant existé déjà par le passé, etc.

    La société se re-produisant, l’univers se re-produit pareillement.

    Friedrich Engels, dans Socialisme utopique et socialisme scientifique, a souligné les défauts d’une telle approche, soulignant l’opposition entre dialectique et métaphysique :

    « Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes.

    Il ne pense que par antithèses sans moyen terme: il dit oui, oui, non, non; ce qui va au-delà ne vaut rien. Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle-même et une autre. Le positif et le négatif s’excluent absolument; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide.

    Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait plausible, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens.

    Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche, et la manière de voir métaphysique, si justifiée et si nécessaire soit-elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au-delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles: la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement; devant leur être, leur devenir et leur périr; devant leur repos, leur mouvement; les arbres l’empêchent de voir la forêt.

    Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée.

    Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre.

    A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’universelle action réciproque, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite et vice versa.

    Tous ces processus, toutes ces méthodes de pensée n’entrent pas dans le cadre de la pensée métaphysique. »

    Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique

    >Sommaire du dossier

  • Aristote et la substance de l’être

    Aristote entend remonter le plus haut possible dans la nature de ce qui existe. Il dit : les choses existent avec une matière façonnée en une certaine forme, qui réalisent un acte, mieux : qui sont un acte. Tout découle d’une cause et est une conséquence.

    Cependant, on a un souci ici, à savoir que ce mouvement présuppose un début et une fin, et ce de manière ininterrompue. Comment fonder le principe de l’existence sur quelque chose qui ne s’arrête jamais, et surtout ce qui est périssable ?

    Aristote sort alors un concept nouveau pour parvenir à cadrer le tir de sa réflexion : la substance, terme traduisant en grec ancien ousia, et dont l’insuffisance dans la traduction a amené certains à inventer celui d’étance pour chercher à correspondre au sens d’alors. Ousia est de fait un nom verbal tiré du verbe être (einai).

    On arrive alors au cœur de la « métaphysique ». La substance est le mode opératoire de ce qui s’affirme comme forme/matière.

    Version latine du commentaire de La Métaphysique d’Aristote
    par Averroès (1126-1198).

    Pour prendre un exemple concret, voyons ce qui est dit dans le livre Zêta, le septième. Aristote part d’une idée simple : il y a des choses qui sont et il y a des choses qui sont parce que d’autres choses sont. Dans ce second cas, il veut dire qu’il y a des remarques quantitatives, qualitatives, sur les affections, sur les actions… qui concernent ce qui relève du premier cas.

    Dans la phrase « un homme marche », ce qui compte c’est « un homme », le fait qu’il marche est secondaire. Il faut selon Aristote se tourner vers le principal et aller le plus loin possible dans cette démarche, et alors on saura ce qu’est « l’être ».

    Ce qui est principal, il l’appelle « substance », ce qui est secondaire est appelé « attribut ». La définition très connue de la substance par Aristote, qu’on trouve dans le live V, Delta (Δ), est tournée de manière complexe, mais résume cette opposition entre « quelque chose » d’un côté, et ce qui n’est pas vraiment de l’autre :

    « On appelle substance, dans chaque chose, ce qui la fait ce qu’elle est, et ce dont l’explication constitue la définition essentielle de cette chose. »

    La question de la substance devient alors centrale, puisque tout dépend d’elle. Aristote n’hésite pas à affirmer que :

    « En vérité, l’objet éternel de toutes les recherches, présentes et passées, le problème toujours en suspens : qu’est-ce que l’Être ? revient à demander : qu’est-ce que la Substance ? »

    Il faut donc, au-delà de regarder le rapport forme/matière, au-delà de saisir la dynamique de l’acte possible, en cours ou réalisé, s’intéresser au phénomène en lui-même, pour voir jusqu’où on peut remonter dans l’affirmation d’un aspect indépendant.

    Si l’on dit : un musicien monte les marches de l’escalier, on a un homme qui sait faire de la musique qui est en mouvement, et on a surtout un homme.

    Dans le livre XII. Lambda (Λ), Aristote affirme ainsi que :

    « La substance est l’objet de nos études, puisque ce sont les principes et les causes des substances que nous recherchons.

    Si, en effet, l’on considère une chose quelconque formant un tout, la première partie dans ce tout est la substance ; et si l’on considère l’ordre de succession, c’est la substance encore qui est la première, quand on se place à cet autre point de vue.

    La qualité et la quantité ne viennent qu’après elle ; et même, à parler d’une manière absolue, la qualité et la quantité ne sont pas même des êtres ; ce ne sont que des qualifications et des mouvements, qui n’ont pas plus de réalité que n’en peuvent avoir le Non-blanc ou le Non-droit.

    Nous disons néanmoins de la qualité et de la quantité qu’elles sont, comme nous le disons aussi du Non-blanc. »

    Et il y a toujours une substance au cœur de tout phénomène ; pour qu’une chose soit dite au sujet de quelque chose, il faut en effet cette chose. Si la substance du blanc existe, elle est elle-même en fait surtout existante dans son rapport à quelque chose qui est blanc.

    Dans Thêta, le neuvième livre, Aristote résume cela en disant que :

    « Nous avons antérieurement traité de l’Être compris au sens primordial de ce mot, c’est-à-dire de la substance, à laquelle se rapportent toutes les autres catégories de l’Être. C’est, en effet, par leur rapport à la substance que toutes les autres espèces d’êtres, quantité, qualité et tous les modes dénommés de la même manière, sont appelés aussi du nom d’Êtres. Tous ils impliquent la notion de la substance, ainsi que nous l’avons établi dans nos premières études. »

    Seulement, si la substance est périssable comme tout phénomène, alors on est coincé. Évidemment, les êtres humains donnent des êtres humains et par les générations, et la substance se maintient dans sa définition universelle. Cependant, si l’on veut justifier le mouvement ininterrompu, on ne peut pas se cantonner à cela, car on aurait une existence hachée en petits morceaux.

    Le matérialisme dialectique attribue quant lui le mouvement à la matière elle-même, et pose la contradiction du fini et de l’infini, ce problème est donc résolu pou lui. Aristote ne parvenait pas à ce degré de compréhension et il lui fallait une force qui puisse mettre en branle ce qui existe, qui justifie l’existence même.

    Et il voulait que cette force qui mette en branle ne soit pas extérieur pour autant à ce qui existe.

    Il lui faut donc déjà, d’un côté, mettre de côté ce qui vit et périt, pour préserver l’affirmation ininterrompue du mouvement (sans quoi il n’y a pas d’existence) ; il dit dans le douzième livre, Lambda (Λ) :

    « Comme, parmi les choses, les unes peuvent avoir une existence séparée, et que les autres ne le peuvent pas, ce sont les premières qui sont les substances ; et ce qui fait que les substances sont les causes de tout le reste, c’est que, sans les substances, les modes des choses et leurs mouvements ne sauraient exister (…).

    Si toutes les substances étaient périssables, tout absolument serait périssable comme elles. Mais il est impossible que le mouvement naisse, ou qu’il périsse, puisqu’il est éternel. »

    Il y a donc, au-delà des substances, la substance « pure », qui est comme les autres au sens où elle témoigne d’un processus, d’un acte, avec une conséquence se réalisant ; cette substance pure est par contre éternelle, car elle est ce qui porte la notion de mouvement en général.

    C’est le « moteur premier », l’acte pur, s’accomplissant éternellement de manière parfaite, posant le principe de l’existence comme accomplissement. C’est « Dieu ».

    Dans Epsilon (Ε), le sixième livre, Aristote formule de la manière suivante sa grande thèse générale :

    « La Science première a pour objet l’indépendant et l’immobile (…).

    S’il n’y avait pas, outre les substances qui ont une matière, quelque substance d’une autre nature, la Physique serait alors la science première.

    Mais s’il y a une substance immobile, c’est cette substance qui est antérieure aux autres, et la science première est la philosophie.

    Cette science, a titre de science première, est aussi la science universelle, et c’est à elle qu’il appartiendra d’étudier l’être en tant qu’être, l’essence, et les propriétés de l’être en tant qu’être. »

    La substance immobile, c’est le moteur premier, qui meut mais n’est lui-même pas mu, qui s’accomplit lui-même et porte le principe universel du mouvement comme accomplissement. S’intéresser à cette substance mobile, c’est comprendre comment les choses peuvent exister.

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  • Aristote et l’accomplissement naturel des choses

    Les choses changent, se modifient ; parfois elles n’existaient pas auparavant. Il faut qu’Aristote explique cela et il ne suffit pas de dire qu’un moteur premier, sorte de Dieu – mouvement, permet tout cela. Il ajoute donc deux concepts à celui de matière et de forme. Le premier, c’est celui d’acte, le second c’est celui de puissance.

    La puissance est secondaire comme concept, parce qu’elle signifie qu’un acte est potentiellement réalisable. Mais qu’est-ce qu’un acte ? C’est la réalisation concrète justement de ce qui était en puissance. On tourne en rond et c’est inévitable, car c’est le moyen qu’a trouvé Aristote pour justifier la rationalité de la réalité.

    Pour lui, chaque chose s’accomplit et c’est là le sens de son existence ; reflétant la conception passive du scientifique propre à un mode de production esclavagiste, il admire cela et y voit le sens de la vie, et il se dit que si cela s’accomplit, c’est que cela a été fait pour s’accomplir.

    On a, au-delà de la vision non dialectique, une véritable affirmation de la beauté de l’existence naturelle, matérielle ; c’est un regard authentiquement apaisé, serein, qui se pose sur le monde reconnu dans toute sa dignité.

    Ne connaissant pas le mouvement intérieur, il a donc par contre eu besoin de rationaliser le mouvement depuis l’extérieur. Si une chose est faite, c’est dans un but ; la réalisation de ce but avec succès est l’accomplissement de la chose en tant qu’acte. Le concept appelé « en acte » devient nécessairement central dans son dispositif intellectuel.

    Si l’on prend par exemple une maison, c’est une certaine matière (les briques, le bois, les pierres, etc.) ; cette matière est disposée d’une certaine manière, c’est la forme. Et en tant qu’acte, une maison est un abri.

    Dans le huitième livre, Êta (Η), Aristote souligne qu’il faut faire attention à une telle distinction, pas forcément aisée à cerner :

    « Il faut prendre garde que, dans quelques cas, on ne voit pas bien si le nom de la chose exprime la substance composée de la forme et de la matière, ou s’il exprime l’acte et la forme. Par exemple, on ne voit pas si le mot Maison signifie, en commun et tout ensemble, un abri formé de briques, de bois et de pierres, arrangés dans telle disposition ; ou si ce mot signifie seulement l’acte et la forme, c’est-à-dire que la maison est un abri. »

    Aristote appelle « entéléchie », un mot qu’il a inventé à partir du mot « parfait » en grec, cet accomplissement complet, absolu, d’un acte. L’entéléchie est en fait ni plus ni moins qu’un acte correspondant parfaitement à la nature de la chose en acte. Cette réalisation fait d’elle ce qu’elle devait être. C’est une lecture que l’on peut qualifier de vitaliste.

    D’où la formule qu’on trouve dans le livre VIII, Êta (Η) :

    « Il n’y a donc pas d’autre cause de l’unité que la cause motrice, qui fait passer l’être de la puissance à l’acte. »

    La conception d’Aristote, c’est que l’être de chaque chose, c’est son accomplissement.

    Cependant, ce vitalisme a beau être restrictif dans ses modalités d’expression de la complexité réelle de la matière (que seul le matérialisme dialectique saura montrer), il relève d’une lecture de la réalité assumant celle-ci sans chercher autre chose au-delà d’elle. Aristote célèbre le monde tel qu’il est, pour ce qu’il est ; rien que pour cela, il est un titan de l’Histoire humaine.

    Dans le douzième livre, Lambda (Λ), Aristote est en mesure de constater, avec pour la première fois une vision matérialiste synthétique, complète, une affirmation du monde matériel :

    « Tout dans l’univers est soumis à un ordre certain, bien que cet ordre ne soit pas semblable pour tous les êtres, poissons, volatiles, plantes.

    Les choses n’y sont pas arrangées de telle façon que l’une n’ait aucun rapport avec l’autre. Loin de là, elles sont toutes en relations entre elles ; et toutes, elles concourent, avec une parfaite régularité, à un résultat unique.

    C’est qu’il en est de l’univers ainsi que d’une maison bien conduite. Les personnes libres n’y ont pas du tout la permission de faire les choses comme bon leur semblé ; toutes les choses qui les regardent, ou le plus grand nombre du moins, y sont coordonnées suivant une règle précise, tandis que, pour les esclaves et, les animaux, qui ne coopèrent que faiblement à la fin commune, on les laisse agir le plus souvent selon l’occasion et le besoin.

    Pour chacun des êtres, le principe de leur action constitue leur nature propre ; je veux dire que tous les êtres tendent nécessairement à se distinguer par leurs fonctions diverses ; et, en général, toutes les choses qui contribuent, chacune pour leur part, à un ensemble quelconque, sont soumises à cette même loi. »

    Il va de soi que cette vision cosmologique d’un monde organisé était corrompue par l’esclavagisme. Cependant, il faut bien distinguer les deux aspects ; sans cela, on ne comprend pas justement la vision totale concernant l’univers des successeurs arabo-persans d’Aristote, de Spinoza, de Hegel, du matérialisme dialectique.

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  • Aristote,la matière et la forme des choses

    Aristote ne connaît pas la transformation d’une chose par elle-même, donc il est obligé d’attribuer l’origine des changements à une cause extérieure. Et, justement, il est évident que pour qu’il y ait une chose, ou un changement possible d’une chose, il faut que cette dernière ait un répondant en elle-même, sans quoi il ne se passerait rien.

    On ne peut pas avoir une table comme enfant ; on ne peut pas non plus envoyer un nuage par la poste. Si les choses se font, c’est qu’elles ont un essence permettant qu’elles soient faites.

    Pour tenter d’y voir clair, Aristote est donc obligé de casser les choses en plusieurs parties, de les décomposer : en ce qu’elles sont quelque chose avec une certaine forme et d’une certaine matière, et en ce qu’elles ont des particularités les amenant à pouvoir connaître des changements sous l’effet d’une impulsion extérieure, etc.

    En clair, en l’absence de dialectique de ce qui se passe à l’intérieur d’une chose, Aristote est obligé de se tourner vers l’extérieur et de lier l’intérieur à l’extérieur, sans quoi il ne se passerait rien, chaque chose restant infiniment elle-même, sans que jamais nulle part rien ne puisse se passer.

    D’où les concepts de forme, d’essence, de matière, de sujet, de mouvement, etc., qui vont lui permettre de chercher à délimiter toutes les possibilités de combinaison pouvant exister dans les choses, les phénomènes.

    Une version médiévale de La Métaphysique.

    Pour donner un exemple concret, cela donne la chose suivante. On a un vase en métal. Il est d’une certaine matière, en l’occurrence le métal. C’est là une forme de cause, au sens où pour exister, le vase s’appuie sur le métal qui le compose. Sans ce métal, il n’y aurait pas de vase.

    Tous les vases ne sont pas en métal, donc le rapport entre le vase et le métal n’est par contre pas généralisable.

    Ce vase a également une forme. Celle-ci n’est pas qu’en trois dimensions, elle consiste également en sa réalité fonctionnelle, existentielle. Les choses n’existent pas par hasard, elles ont une forme adaptée à leur environnement, leur entourage, la réalité où elles se meuvent, leur rôle, leur fonction, etc. La forme est ainsi la manière d’être par rapport aux autres choses.

    La vase a ainsi une forme de vase, sinon ce ne serait pas un vase, mais autre chose.

    Comme on le voit, on prend avec Aristote une chose et on en décortique la nature, la fonction, l’origine, le rapport qu’on a avec elle, ses qualités, ses rapports à la quantité, etc. Aristote en dresse le catalogue le plus poussé possible, ce qui rend très souvent les choses à la limite de l’incompréhensible sous l’overdose d’aspects et de rapports.

    Dans le cinquième livre, Delta, Aristote souligne toutefois l’importance de saisir la notion de cause de cette manière. Il ne s’agit pas de chercher le vase comme abstraction intellectuelle, ce qui reviendrait à la notion d’idée comme chez Platon. Chez ce dernier, le vase « pur », « parfait », existe dans le monde des idées ; le vase ici-bas n’en est qu’un pâle reflet.

    Aristote ne veut pas d’un tel système en appelant à l’au-delà. Aussi se protège-t-il de cela en faisant intervenir le concept de « principe ». Le vase est un tel principe : il a une fonction bien particulière, commençant avec un acte bien précis.

    Ce qu’il appelle cause, par contre, c’est la réalité directe à laquelle obéit le phénomène. C’est sa « raison d’être » au sens matériel, pas abstrait. Si l’on veut, le principe répond à la question : « Où cela commence-t-il ? », tandis que la cause répond à la question : « en vertu de quoi y a-t-il telle chose ? ».

    Une représentation arabe d’Aristote,
    autour du XIIIe siècle.

    Aristote a fourni historiquement un travail énorme sur le plan logique pour établir les différents rapports existant entre les phénomènes. Ainsi, il dit qu’il y a quatre nuances dans les causes, qui forment des doubles oppositions pouvant s’unir.

    Une cause peut être individuelle ou relever de l’ensemble du même genre d’individus. Par exemple, tel peintre peint tel tableau, mais au sens strict tous les peintres peignent des tableaux. La cause peut relever du hasard, ne se passer donc que rarement, ce qu’Aristote appelle « accident », mais des hasards peuvent également relever d’un certain genre (comme le fait de glisser en raison du verglas).

    A cela s’ajoute donc leur opposition, car on peut dire Gérard sculpte une statue comme on peut dire le sculpteur sculpte une statue, ainsi en même temps que Gérard le sculpteur sculpte une statue. Une autre nuance précisée par Aristote est que l’action peut être simplement potentielle, « en puissance » (Gérard est en mesure de sculpter), ou bien se réaliser, être « en acte » (Gérard en tant que sculpteur est en train de sculpter).

    Tout ce système de causes a comme vecteur le mouvement et joue sur le rapport forme/matière. La matière est présente et elle prend une forme particulière. Mais cette forme existe aussi, sinon il faudrait à l’infini créer la forme et la matière. Il y a donc quelque chose avant la matière et la forme, quelque chose qui permet au jeu de causes et de conséquences de s’enchaîner. Cette chose, c’est le mouvement, et c’est ce mouvement le thème de « La métaphysique ».

    Dans le douzième livre, Lambda (Λ), Aristote présente de la manière suivante la nécessité de cette force suprême soutenant littéralement l’existence :

    « Tout changement change quelque chose, par quelque chose, et en quelque chose :

    Par quelque chose, c’est le premier moteur ;

    Quelque chose, c’est la matière ;

    et En quelque chose, c’est la forme.

    Le devenir se perdrait dans l’infini, si ce n’est pas seulement l’airain qui devient sphérique, et qu’il faille encore que la forme sphérique devienne aussi, et que l’airain lui-même ait à devenir. Il faut donc nécessairement un point d’arrêt. »

    Si on veut en effet prendre de l’airain et en faire une boule, il faut :

    – que l’airain existe au préalable ;

    – que le concept de sphère existe au préalable également.

    Toute la pensée d’Aristote est une considération comme quoi si une chose existe, c’est qu’elle a une nature en tant que telle comme production, et que cette production a été décidée.

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  • Aristote et le reflet du mode de production esclavagiste

    C’est justement dans sa théorie de la connaissance que va puiser Aristote pour formuler la base de la métaphysique (au sens d’une synthèse théorique des règles de l’univers). Cela n’a pas été vu jusque-là, pour une raison très simple : on ne peut saisir le matérialisme d’Aristote qu’à la lumière de sa forme plus développée : le matérialisme dialectique.

    La clef réside dans la différence de ce qui est valorisé de la part d’Aristote d’un côté, du matérialisme dialectique de l’autre. Ce dernier considère que le mouvement de la matière est infinie et éternelle, qu’il y a des sauts. Tout s’appuie sur la transformation interne.

    Aristote ne connaît pas ce principe de la transformation. Il ne voit que les choses en mouvement, ou bien en train de changer. Pourquoi cela ?

    Il ne voit que les choses en mouvement, parce qu’il appartient à une couche parasitaire profitant du travail des esclaves. Il est décidé, les esclaves se mettent en mouvement, meuvent des choses, jusqu’à ce que le travail soit fait.

    Il ne voit que les choses en changement, parce qu’il est un scientifique profitant d’un statut social parasitaire, ce qui l’amène à être ainsi purement contemplatif.

    On a ici la clef absolue pour comprendre la méthode philosophique d’Aristote. Il va de soi que seule la perspective matérialiste dialectique permet de voir cela aussi aisément ; cela témoigne de la faillite intellectuelle de centaines d’années de raisonnements religieux ou bourgeois.

    Aristote ne connaît pas la transformation, il ne sait pas ce qu’est le travail. Il raisonne en termes théoriques, en profitant de sa mise à l’écart du travail. Par conséquent, son mode de représentation est passif et son identité de savant correspond à celui faisant du savoir contemplatif le sens même de sa démarche.

    Le livre Alpha soulignait bien cette dimension passive de la connaissance ; c’est en saisissant par les sens la réalité et en la comprenant qu’on est véritablement conforme à son existence. A la lumière du matérialisme historique, on relie cela au mode de production d’alors – l’esclavagisme – et on peut reconstruire sa dynamique intellectuelle.

    En fait, tout devient extrêmement facile si on inverse les choses présentées dans le livre Alpha ; il est frappant de voir comment tout cela a échappé aux commentateurs bourgeois.

    Chez Aristote, une chose est connue quand elle est saisie entièrement, non pas par l’activité concrète, mais intellectuellement.

    Mais si cette chose existe, c’est qu’elle a été poussée en ce sens.

    Soit cela a été dans sa nature d’aller dans cette direction, soit elle est le produit d’une activité, d’une énergie en ce sens. Que ce soit un enfant ou une sculpture, il y a une intention derrière, une intention qui savait ce qui allait être mis en branle.

    Il en va de même avec l’esclavagiste qui dit à l’esclave de mener telle activité à bien.

    Aristote renverse donc en fait la perspective. De la même manière que l’on connaît lorsqu’on étudie la physique au bout de la chaîne, il y a la connaissance au début de la chaîne, à la source. De la même manière qu’on a un résultat parce qu’un esclave a fait quelque chose, ce qui l’a mis en mouvement, l’ordre qui lui a été donné, présuppose qu’à la base on savait ce qui allait se passer.

    La connaissance d’une chose existe lorsque cette chose est réalisée mais également, selon Aristote, à la base même, avant que cette chose ne se produise, n’existe. C’est le reflet du mode de production esclavagiste dans sa conception.

    La Métaphysique, une version d’entre 1311 et 1321,
    à la bibliothèque du Vatican

    Cela a l’air simple dit ainsi, mais des centaines et des centaines d’années de réflexion n’ont jusqu’à présent jamais permis une lecture aussi limpide, et c’est peu dire. Sans le matérialisme dialectique, tout est terriblement tortueux, tourmenté, insaisissable ; on reste empêtré dans des discours ultra-techniques et sa sans fin.

    De quoi parle alors Aristote dans « La métaphysique » ? L’œuvre consiste en fait en toute une série de réflexions sur les modalités propres à la mise en mouvement depuis le début de la chaîne. De mouvement ou de changement ? Aristote ne parviendra pas à véritablement saisir les nuances de leurs différences, par incompréhension de ce qu’est une transformation.

    Bloqué dans une perspective purement passive, il n’a été en mesure que de concevoir des choses recevant une impulsion extérieure. Que les choses apparaissent ou bien soient modifiés restait de toutes façons secondaires par rapport au principe du mouvement venant d’ailleurs.

    La définition de cet « ailleurs » et de son rapport à la chose est le sujet de « La métaphysique ». Et comme le mouvement de l’extérieur donne le sens à l’existence d’une chose, alors on obtient la définition de la chose elle-même.

    On va au-delà de la chose, pour savoir ce qu’elle est vraiment : c’est la méta-physique.

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  • Aristote et la philosophie première : les mathématiques n’accèdent pas à l’être

    Il faut ici souligner le tournant que représente Aristote. Historiquement, Socrate a comme disciple Platon, Platon a comme disciple Aristote, et Aristote aura comme disciple Alexandre le grand. Mais Aristote est entré en rupture avec Platon, car il n’est pas d’accord pour trouver dans l’au-delà les explications à la réalité matérielle.

    S’il a été pendant dix-neuf ans son disciple, ce n’est pas pour rien : il est d’accord avec Platon pour affirmer qu’il est possible de parler de la réalité matérielle, que cette réalité est disposée selon un certain ordre.

    Cependant, Aristote n’est pas d’accord pour dire que cet ordre est de type mathématique ; il n’est pas d’accord non plus pour dire que ces chiffres mathématiques façonnent la matière brute selon des « images » idéales qui seraient dans l’au-delà. Il n’est d’ailleurs pas d’accord non plus avec l’idée d’un au-delà, dont il compte tout à fait se passer.

    En ce sens, Aristote est un matérialiste. L’ouvrage appelé « La métaphysique » est aussi une compilation de textes réfutant l’idéalisme de Platon, rejetant le principe d’un monde logico-mathématique, explorant les concepts liés à l’explication de la réalité matérielle. Les remarques d’Aristote à ce sujet dans « La métaphysique » sont innombrables.

    C’est là un aspect absolument essentiel, dont il faut comprendre tout la signification ; Lénine l’a parfaitement remarqué. Nous en avons en effet la chance de disposer de ses notes au sujet de « La métaphysique ». A un moment, il cite le livre 11 (Kappa), et plus précisément son chapitre 3, Aristote y disant :

    « le mathématicien néglige également la chaleur, le froid, et les autres oppositions que nos sens perçoivent. Il ne conserve que la quantité… Il en fait tout autant avec l’être. »

    Voici la citation dans son intégralité :

    « C’est comme le mathématicien, qui ne considère, dans ses théories, que des abstractions, puisque c’est en retranchant toutes les conditions sensibles qu’il étudie les choses.

    Ainsi, il ne tient compte, ni de la légèreté, ni de la dureté des corps, ni des qualités contraires à celles-là ; il néglige également la chaleur, le froid, et les autres oppositions que nos sens perçoivent.

    Il ne conserve que la quantité et le continu, ici en une seule dimension, là en deux, ailleurs en trois, et les affections propres de ces entités, en tant qu’elles sont quantitatives et continues ; il ne regarde absolument rien d’autre. [Il en fait tout autant avec l’être.] »

    Après avoir noté ce que dit Aristote, Lénine note en commentaire :

    « C’est ici le point de vue du matérialisme dialectique, mais par hasard, pas ferme, pas développé, en plein vol. »

    Un peu plus loin, Lénine écrit encore dans ses notes :

    « Le livre 13, chapitre 3, résout cette difficulté [des mathématiques à établir un rapport à la réalité] de manière excellente, précise, claire, matérialiste (les mathématiques et les autres sciences abstraient un des aspects du corps, du phénomène, de la vie). Mais l’auteur ne s’en tient pas de manière conséquente à ce point de vue. »

    On comprend ici que Lénine a tout à fait compris qu’Aristote est un précurseur de Hegel et de sa critique des mathématiques comme incapables de saisir la réalité autrement que comme processus terminé.

    Lénine a bien vu qu’il existe un parcours allant d’Aristote à Hegel (Marx a entrevu que Spinoza précédait immédiatement Hegel, malheureusement les cinq classiques du matérialisme dialectique ne connaissaient pas Averroès et Avicenne, les deux principales figures intermédiaires par rapport à Aristote).

    L’idéalisme pose une logique formelle, affirmant qu’il existe des briques statiques formant l’univers, ce qui exige un créateur à ces briques, un créateur qui a également fait des choix logico-mathématiques consistant en des lois.

    Le matérialisme rejette cette perspective qui prend la matière au bout d’une transformation et ne comprend pas que la matière continue de se transformer ; les mathématiques ne peuvent saisir qu’un instant T à la fin du processus, elles ne peuvent pas saisir le processus, ni sa nature.

    Aristote est ici celui qui, le premier, a compris cela et l’a affirmé ; il n’est toutefois pas parvenu à compenser par une lecture réellement matérialiste, par incompréhension (historique) de la dialectique.

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  • Aristote et la philosophie première : un naturalisme moniste

    Pour Aristote, la connaissance générale ayant atteint le point le plus haut est la « philosophie première », c’est-à-dire le mode de connaissance de la base de la réalité permettant à ce qui existe d’exister. Aristote reste donc matérialiste ; non seulement il part du sensible pour arriver à la connaissance, mais cette connaissance peut atteindre la complétude, elle est capable de saisir l’ensemble de la réalité.

    Aristote aurait pu capituler en route, faire des connaissances des moments épars d’une réalité aux multiples aspects. Il maintient cependant le cadre général et il le fait sans s’appuyer, comme le fait Platon, sur des idées qui existeraient au-delà de la réalité.

    Aristote a ainsi une approche matérialiste, naturaliste ; il considère qu’il existe un ordre naturel. Disposer de la connaissance de ce pourquoi et comment les choses existent est non seulement possible, mais également souhaitable, parce qu’ainsi on se confond avec l’ordre cosmique. C’est là un aspect matérialiste moniste de la plus haute valeur.

    Le stoïcisme surgira comme généralisation de cette thèse de fusion entre sa propre activité et ce qui est nécessaire.

    Or, on existe naturellement en saisissant les choses naturelles de manière naturelle. C’est là où on découvre le sens de « La métaphysique ».

    Car Aristote ne dit toutefois pas qu’il faut en rester au niveau immédiat de la perception, car là on en reste à ce qui est naturel, et c’est en réalité avec la nature elle-même qu’il faut se confondre.

    Chez Aristote, l’être humain est réellement lui-même lorsqu’il contemple la nature et qu’il la reflète par le savoir.

    Chez Aristote, l’être humain est naturel, mais par la connaissance il a accès à la notion de nature en tant que tel. C’est là un aspect essentiel, car c’est cette liaison entre nature et connaissance humaine, entre réalité matérielle naturelle en tant que principe et connaissance en tant que maîtrise des principes, qui va permettre l’affirmation selon laquelle l’être humain ne pense pas, que penser ce n’est que refléter l’ordre naturel universel en raisonnant de manière adéquate.

    Si l’on rate cette dimension matérialiste de son approche, on n’accède pas à la thèse d’Aristote, puis de la falsafa arabo-persane, sur l’intellect agent et la pensée comme reflet.

    Première page de La Métaphysique, d’une édition de 1837

    Malheureusement, les cinq classiques du marxisme ne connaissaient pas cet aspect, reconnaissant Aristote comme un matérialiste qui s’est enlisé (mais donc pas qui s’est enlisé jusqu’au bout, jusqu’à la question du rapport entre la pensée et le réel).

    Il faut bien saisir que si Aristote a produit un matérialisme faible en de nombreux points, il a formulé l’exigence du rapport à la totalité, où celle-ci écrit sur les esprits humains comme sur une tablette d’argile.

    Tout se fonde sur sa conception matérialiste – naturaliste, qui préfigure le matérialisme – panthéiste de Spinoza.

    Ainsi, chez Aristote, chaque chose se définit par rapport à sa propre définition naturelle ; c’est le principe du bien absolu existant lorsque la nature est elle-même. Être dans le vrai, c’est être dans le bien, c’est savoir comment une chose est juste, adéquate, conforme.

    Il faut reconnaître l’existence de la réalité, mais également en saisir son essence, c’est-à-dire son ordre interne, son mode de fonctionnement, sa nature. On comprend alors la nature en général.

    Aristote explique ainsi que :

    « Savoir uniquement pour savoir, appartient surtout à la science de ce qu’il y a de plus scientifique.

    En effet, celui qui veut apprendre dans le seul but d’apprendre, choisira sur toute autre la science par excellence, c’est-à-dire la science de ce qu’il y a de plus scientifique ; et ce qu’il y a de plus scientifique, ce sont les principes et les causes ; car c’est à l’aide des principes et par eux que nous connaissons les autres choses, et non pas les principes par les sujets particuliers.

    Enfin, la science souveraine, faite pour dominer toutes les autres, est celle qui connaît pourquoi il faut faire chaque chose ; or, ce pourquoi est le bien dans chaque chose, et, en général, c’est le bien absolu dans toute la nature. »

    « La métaphysique » n’appelle pas simplement à connaître les choses et leur fonctionnement, mais également à saisir leur nature et le caractère naturel de celle-ci.

    C’est une anticipation du principe des lois naturelles auxquelles obéissent les phénomènes et en ce sens, Aristote est le premier à poser les bases de la science.

    Il faut également saisir un aspect très important, lié au contexte historique. A maintes reprises dans le premier livre, Aristote souligne que la philosophie est née chez ceux qui n’avaient pas besoin de travailler pour vivre, qui profitaient déjà de toutes sortes de commodité. C’est parce qu’ils disposaient de temps libre que certaines personnes ont pu se tourner vers des activités scientifiques, philosophiques.

    Par conséquent, en déduit Aristote, les interrogations de haute valeur sur le plan de la pensée sont toujours gratuites ; elles ne visent pas à améliorer la réalité matérielle, puisque le confort matériel est la base sur laquelle peut exister justement une pensée développée, dénuée du souci de la bataille pour la vie quotidienne.

    C’est un constat qu’on peut faire effectivement à l’époque et Aristote a raison de mentionner que les activités intellectuelles des prêtres égyptiens reposaient sur leur statut social les plaçant à part, à l’abri du besoin.

    Cependant, Aristote ne voit pas l’autre aspect de la question, à savoir que la dimension purement contemplative du rapport à la science est également le reflet de la position parasitaire des couches supérieures du mode de production esclavagiste. Tel est le point de vue du matérialisme historique.

    C’est une dimension très importante, expliquant pourquoi Aristote n’est pas parvenu à la dialectique et, de fait, dans l’état alors des choses, ne pouvait pas y parvenir. Il faudra la classe ouvrière pour que l’on puisse atteindre une compréhension matérialiste de la dialectique, de la transformation.

    Aristote est obligé, dans son époque, puisqu’il ne voit pas comment les choses se transforment d’elles-mêmes, de par leur contradiction interne, de s’appuyer sur le principe des causes et des conséquences.

    Le texte sur Physique écrit par Aristote est l’ouvrage qui fait de cette question des causes et des conséquences, de la compréhension de la nature de ces causes et conséquences, l’alpha et l’oméga de la connaissance de la réalité ; « La métaphysique » consiste en le regard sur la nature de ce qui permet ce jeu de causes et conséquences, c’est la philosophie première.

    Si l’on parvient à saisir le pourquoi des choses qui existent, et si l’on remonte le plus haut possible dans le jeu des causes et des conséquences, en en saisissant la nature, alors on saisit ce qu’est l’univers.

    Dans le livre XI, Kappa (Κ), Aristote synthétise cela de la manière suivante :

    « L’on peut affirmer que les études de la Physique ne s’appliquent pas aux choses en tant qu’elles existent, mais bien plutôt en tant qu’elles sont soumises au mouvement. »

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  • Aristote, le matérialisme et la théorie de la connaissance

    Aristote reconnaît l’existence de la réalité matérielle ; il ne la remet pas du tout en cause. Averroès va reprocher à Avicenne d’avoir sous-estimé cet aspect essentiel d’Aristote et d’avoir trop cherché à faire de la métaphysique une sorte de domaine intermédiaire entre le monde matériel tel qu’on peut le percevoir et le Dieu-démarreur.

    En réalité, la métaphysique n’est pas chez Aristote au-delà de la physique, mais est son véritable noyau dur. C’est l’explication de son mode de fonctionnement interne… A ceci près qu’Aristote ne connaissait pas le principe de la contradiction interne et ne voyait pas que le mouvement est une propriété de la matière.

    En ce sens, le premier livre, Alpha, est un manifeste matérialiste, même si non dialectique ; ses premières lignes sont à ce titre très connues dans l’histoire de la philosophie. Elles attribuent au sens l’origine de la connaissance, mais également l’origine de la volonté de connaître. Ce faisant, Aristote expose de manière déformée la théorie matérialiste dialectique du reflet.

    Le matérialisme dialectique affirme que l’être humain est de la matière, que la sensibilité de cette matière particulière reflète le mouvement général de la matière, mouvement qui est lui-même reflet sensible de la matière elle-même par ailleurs, le processus général connaissant des sauts qualitatifs dans un univers en quelque sorte en forme d’oignon. Il n’y a que de la matière dont les couches se répondent les unes aux autres, par le reflet en elles du reste.

    Aristote, en très grand matérialiste cependant prisonnier de son époque, ne parvient pas bien sûr à une telle compréhension mais pourtant y tend de manière substantielle. Les premières lignes de « La métaphysique » sont d’une grande envergure :

    « Tous les hommes ont un désir naturel de savoir, comme le témoigne l’ardeur avec laquelle on recherche les connaissances qui s’acquièrent par les sens.

    On les recherche, en effet, pour elles-mêmes et indépendamment de leur utilité, surtout celles que nous devons à la vue ; car ce n’est pas seulement dans un but pratique, c’est sans vouloir en faire aucun usage, que nous préférons en quelque manière cette sensation à toutes les autres ; cela vient de ce qu’elle nous fait connaître plus d’objets, et nous découvre plus de différences. »

    Aristote est ici un vrai matérialiste, qui place les sens au centre de l’activité de l’être humain en tant que forme vivante. On existe par les sens et ce sont ces sens qui déterminent l’existence.

    Mais ce qui semblait relativement secondaire auparavant prend, à la lumière du matérialisme dialectique, une importance capitale. Aristote fait en effet de la vue le sens le plus important. Pour lui, voir c’est vivre pleinement et par conséquent, nous recherchons beaucoup de choses à voir.

    Or, c’est là ni plus ni moins que l’affirmation du reflet comme mode d’existence. Plus on peut, non seulement ressentir, mais cerner des choses, les saisir par la vue, plus on existe. Ce qui se reflète dans le regard permet de davantage exister.

    Aristote s’évertue alors à saisir la différence entre les êtres humains et les animaux, car ceux-ci ressentent aussi. Il la voit dans la capacité à généraliser ce qu’il a vu. Une véritable expérience, chez Aristote, n’est pas un simple vécu, mais un vécu vu de nombreuses fois, appréhendé de nombreuse fois par la mémoire. Il dit ainsi :

    « C’est la mémoire qui dans l’homme produit l’expérience ; car plusieurs ressouvenirs d’une même chose constituent une expérience ; aussi l’expérience paraît-elle presque semblable à la science et à l’art. »

    Cette manière de combiner la théorie et la pratique par l’intermédiaire de l’expérience vécue, appréhendée, est tout à fait matérialiste. Naturellement, Aristote ne vivait pas dans une société où la classe ouvrière existait, il ne pouvait pas saisir le principe de l’activité transformatrice.

    Toutefois, il a bien compris que la généralisation de l’expérience aboutissait à un saut qualitatif dans l’esprit. Cette conception de l’accumulation des souvenirs est tout à fait juste pour s’orienter.

    Cela est d’autant plus vrai qu’au-delà de l’expérience comme renouvellement d’une connaissance sensible, il y a l’art (au sens de la manière, de la technique) d’appréhender les fondements, c’est-à-dire la connaissance des fondements de ce qui fait l’expérience. C’est là un niveau de connaissance supérieur, une compréhension théorique.

    Il y a ainsi la connaissance sensible immédiate, l’expérience comme accumulation d’une même connaissance sensible, l’art d’appréhender les fondements comme connaissance du phénomène auquel est lié cette connaissance sensible.

    Aristote formule donc différents niveaux de saisie dans le rapport à la matière ; il résume cela par l’image suivante :

    « Aussi on regarde en toute circonstance les architectes comme supérieurs en considération, en savoir et en sagesse aux simples manœuvres, parce qu’ils savent la raison de ce qui se fait, tandis qu’il en est de ces derniers comme de ces espèces inanimées qui agissent sans savoir ce quelles font, par exemple, le feu qui brûle sans savoir qu’il brûle (…).

    Sous le rapport de la sagesse, l’expérience est supérieure à la sensation, l’art à l’expérience, l’architecte au manœuvre et la théorie à la pratique. Il est clair d’après cela que la sagesse par excellence, la philosophie est la science de certains principes et de certaines causes. »

    Aristote attribue donc une valeur supérieure à la connaissance, car elle a une portée universelle que n’a pas la sensibilité immédiate. La sensibilité ne peut saisir que le particulier, alors que la connaissance a une dimension universelle. Évidemment, Aristote ne voit pas le rapport dialectique et ne sait pas que la pratique, dans sa dimension transformatrice, porte également en elle l’universel.

    Cependant, Aristote pose déjà le principe de la connaissance atteignant l’universel, par l’intermédiaire de la sensibilité accumulée. C’est là une thèse matérialiste. Ne connaissant pas le principe de la transformation, il fut obligé de faire de l’art, de la science, un fétiche ; c’était là pencher vers une connaissance générale contemplative… Mais c’était déjà l’affirmation d’une connaissance générale, c’est-à-dire de la science.

    Et, aspect important à ne pas perdre de vue, Aristote ne fait pas de la connaissance quelque chose se baladant au-dessus de la matière, comme Platon, Descartes, etc. ; la connaissance reste ancrée dans la matière. C’est cela qui est expliqué dans « La métaphysique ».

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  • Aristote et le thème de «La métaphysique»

    « La métaphysique » est donc un bricolage de textes d’Aristote et, comme si cela ne suffisait pas, le titre de l’œuvre qu’ils forment l’est également. On le doit à Andronicos de Rhodes ; comme il a choisi de placer ces textes après ceux sur la physique, il a simplement pris comme titre la métaphysique, c’est-à-dire « après la physique », du moins c’est ce qui semble en apparence, car il est également possible de traduire le titre par « au-delà de la physique ».

    Rien que l’interprétation du choix de ce terme pose déjà un vrai casse-tête et de plus, pour ajouter au problème, Aristote n’utilise lui-même pas ce terme de « métaphysique » : ce dont il parle dans « La métaphysique », c’est de la philosophie première (πρώτη φιλοσοφία – protē philosophia).

    La question est ainsi de savoir ce qu’il faut comprendre par « métaphysique ». S’agit-il d’un prolongement de la physique à un niveau supérieur, ou plutôt plus profond ? S’agit-il au contraire d’un espace coupé de la physique, se situant sur un autre plan, de type mystique, voire divin ? S’agit-il d’un discours même sur Dieu directement ? Et ce Dieu a-t-il une réelle existence ou bien n’est-il qu’un simple principe justificateur, un simple outil intellectuel en attendant mieux ?

    Pour dire les choses plus directement : soit « La métaphysique » traite du cœur de la Physique, de son noyau dur, soit cette œuvre annonce un plan supérieur plus ou moins inaccessible, mais relativement compréhensible.

    L’anecdote d’Ibn Sina, Avicenne (980-1037), le géant de la philosophie de la civilisation islamique arabo-persane, le grand commentateur de « La métaphysique » au moyen-âge, est ici éloquente et possède un sens très profond :

    « Alors je revins à l’étude de la science divine. Je lus le livre intitulé : Métaphysique (d’Aristote).

    Mais je n’en comprenais rien ; les intentions de son auteur restaient obscures pour moi ; j’eus beau relire quarante fois ce livre, d’un bout à l’autre, au point de le savoir par cœur, je n’en saisis ni le sens ni le but ; je désespérais de l’entendre par mes propres moyens et je me dis : « Ce livre est incompréhensible ».

    Un jour, enfin, je passais par le bazar des libraires. Un marchand tenait un livre, dont il cria le prix ; il me le présenta dans mon découragement, je le repoussai, convaincu qu’il n’y avait nul profit en cette science.

    Le vendeur insista, disant : « Achète ce livre ; il est à bon marché. Je le vends au prix de trois dirhems parce que son propriétaire est dans le besoin ». Je l’achetai donc : c’était le livre d’Abou-Nasr-al-Farabi, Commentaires sur la métaphysique.

    Je revins à ma demeure et je m’empressai de le lire : sur le champ, les buts poursuivis par l’auteur de ce livre se découvrirent à moi parce que je le savais déjà par cœur. Tout réjoui de cet événement, je fis abondante aumône aux pauvres, en action de grâces, dès le lendemain. »

    Aujourd’hui nous ne disposons pas de l’ouvrage d’Alfarabi, mais simplement de huit pages d’un texte à ce sujet, peut-être un synthèse, dont il existe deux versions relativement concordantes. Alfarabi y fait la remarque suivante, qui a forcément été ce qui a marqué Avicenne : « La métaphysique » ne traite pas de Dieu.

    Avicenne, miniature persane.

    Il faut considérer ici les choses à deux niveaux. Chez Platon, on a le monde d’en bas et le monde d’en haut, avec celui d’en bas qui n’est que l’image imparfaite de celui d’en haut. Le sens de la philosophie est de s’intéresser au monde d’en haut et les choses s’arrêtent là ; le platonisme sombrera toujours plus dans le mysticisme, forcément, puisque le monde d’en bas est sans intérêt réel, étant une copie imparfaite du monde d’en haut.

    C’est le sens caché de l’allégorie de la caverne et cela donnera ce qu’on appelle le néo-platonisme.

    Aristote, quant à lui, rejette ce monde d’en haut. Ce qui l’intéresse, c’est la réalité matérielle, c’est la nature, d’où son obsession pour la science concrète, notamment la biologie. Il n’y a pas pour lui de « monde des idées » dont la réalité serait une copie. Il reconnaît toute sa valeur à la réalité.

    Centre de la fresque L’école d’Athènes, de Raphaël (1509-1510). A gauche, Platon indique le ciel, le monde des idées. A droite, Aristote désigne le sol, la matière.

    Cependant, pour s’en sortir, il est comme les déistes de l’époque de la révolution française : il a besoin d’un démarreur, d’une origine au monde, d’un grand architecte, d’un grand horloger, d’une entité ayant mis toute la réalité en mouvement. Aristote l’appelle « moteur premier », ou bien Dieu, c’est même là d’ailleurs le sens réel, historiquement parlant, du concept de Dieu.

    Cela signifie que chez Aristote, on n’a pas un monde d’en bas et un monde d’en haut, mais deux mondes cohabitant : le monde réel d’un côté, Dieu comme grand démarreur de l’autre. Les deux coexistent, éternellement (puisque si Dieu est toujours pareil et que donc s’il joue le rôle d’un démarreur, il le faut éternellement, et donc le monde existe lui aussi, parallèlement, éternellement).

    Or, « La métaphysique » ne parle de Dieu comme grand démarreur, et c’est cela qu’Avicenne a compris en lisant Alfarabi. L’ouvrage parle de pourquoi il y a une réalité matérielle : c’est cela, la réelle « métaphysique ».

    Cela laissera bien entendu place à un vaste débat pour savoir si chez Aristote le « démarreur » divin avait une importance ou pas, c’est-à-dire si Aristote était plutôt un matérialiste déiste ou plutôt un athée faisant avec les moyens du bord.

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  • Aristote et l’ouvrage «La métaphysique»

    Il n’existe pas d’ouvrage d’Aristote s’intitulant « La métaphysique » et d’ailleurs lui-même n’emploie pas ce terme : c’est l’un des grands paradoxes concernant un ouvrage assemblé de bric et de broc dont l’impact fut extrêmement important sur le plan des idées.

    Aussi tortueuse cependant que soit sa formulation et inappropriée que soit sa construction, « La métaphysique » est un véritable manifeste où est affirmée la possibilité de comprendre le sens et la nature de l’univers. Malgré ses faiblesses, c’est donc un appel matérialiste, une sorte d’équivalent inversé de la Torah, de la Bible, de l’Avesta, des Upanishads ou encore du Coran.

    Ce qu’on appelle « La métaphysique » est concrètement un bric-à-brac de textes attribués à Aristote, qui vécut dans les années 300 avant notre ère ; il y en a quatorze, formant des « livres ».

    Ces livres de « La métaphysique » sont historiquement désignés par des lettres grecques ou des chiffres romains : I. Alpha (Α) ; II. Petit alpha (α) ; III. Bêta (Β) ; IV. Gamma (Γ) ; V. Delta (Δ) ; VI. Epsilon (Ε) ; VII. Zêta (Ζ) ; VIII. Êta (Η) ; IX. Thêta (Θ) ; X. Iota (Ι) ; XI. Kappa (Κ) ; XII. Lambda (Λ) ; XIII. Mu (Μ) ; XIV. Nu (Ν).

    L’histoire de ces livres est raconté comme suit si l’on en croit Strabon et Plutarque ; c’est un aspect important, car « La métaphysique » n’a nullement les traits d’un ouvrage terminé par son auteur.

    A la base, le disciple d’Aristote dénommé Théophraste, et également son successeur à la tête de son école (appelée le Lycée), aurait confié ses propres manuscrits, ainsi que ceux d’Aristote, à Néleus. Lui-même voyagea et les laissa à ses héritiers qui, refusant de les remettre aux rois de Pergame, les cachèrent dans une cave sans s’en soucier davantage.

    Le lieutenant du gouverneur d’Athènes, Appellicon de Téos, découvrit leur existence et les acquit ; leur état était déjà très mauvais. Les copies qui en furent faites furent par ailleurs défectueuses, et plus tard celles-ci arrivèrent à Rome, car la bibliothèque d’Apellicon fut emmenée comme prise de guerre. On a alors Tyrannion, précepteur des fils de Cicéron, qui y a accès et les copia, les remettant ensuite à Andronicos de Rhodes, au premier siècle avant notre ère.

    Ce dernier était le chef de ce qui restait du Lycée ; c’était le onzième successeur à Aristote, ce qui témoigne de l’énorme distance existante entre ces textes et leurs redécouvertes. C’est lui qui organisa « La métaphysique » comme ouvrage en tant que tel.

    Est-ce là la vérité, on ne le sait pas trop, mais cela sous-tend si c’est le cas que d’importants documents d’Aristote étaient inconnus de son école. La question du fait que l’ensemble des textes de « La métaphysique » soit réellement d’Aristote se pose également, même si l’ensemble des professionnels de la question pense que c’est grosso modo bien le cas, malgré qu’il y ait certainement quelques retouches, ajouts, passages intercalés peut-être, provenant de ses propres autres textes sans doute.

    Dans tous les cas, le corpus de textes attribués à Aristote relève de son courant de pensée.

    En ce qui concerne « La métaphysique », le vrai souci est qu’il n’y a en tout cas aucune cohérence générale dans les textes composant cet ouvrage, et ce n’est au mieux qu’une ébauche d’un document général, voire même des notes, voire encore des notes de cours.

    En fait, à dire vrai, les propos ne sont pas ordonnés et cette œuvre a des caractéristiques terribles la rendant très ardue dans son étude : l’expression est hyper technique, l’esprit très synthétique, il n’y a aucune continuité dans le propos, il y a sans cesse des redites ou bien des références à des choses non expliquées, et cela au point que « La métaphysique » est, à proprement parler, littéralement illisible.

    Asclépios de Tralles raconte à ce sujet que :

    « Le présent ouvrage n’a pas l’unité des autres écrits d’Aristote, et manque d’ordre et d’enchaînement. Il laisse à désirer sous le rapport de la continuité du discours ; on y trouve des passages empruntés à des traités sur d’autres matières ; souvent la même chose y est redite plusieurs fois.

    On allègue avec raison, pour justifier l’auteur, qu’après avoir écrit ce livre, il l’envoya à Eudème de Rhodes, son disciple, et que celui-ci ne crut pas qu’il fût à propos de livrer au public, dans l’état où elle était, une œuvre si importante ; cependant Eudème vint à mourir, et le livre souffrit en plusieurs endroits.

    Ceux qui vinrent ensuite, n’osant y ajouter de leur chef, puisèrent pour combler les lacunes, dans d’autres ouvrages, et raccordèrent le tout du mieux qu’ils purent ».

    Cela n’empêcha pas « La métaphysique » d’avoir une importance historique essentielle dans l’Histoire, de par ce qu’elle posait comme problématique et comme affirmation matérialiste.

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  • Le révisionnisme de Deng Xiaoping : science et philosophie

    Deng Xiaoping a réussi à couper la science de la philosophie, ce qui signifie qu’il rejetait l’aspect universel du matérialisme dialectique. Il y aurait d’un côté la science, de l’autre la philosophie.

    Cette « double vérité » était nécessaire pour légitimer la domination du Parti « Communiste » révisionniste. La science doit servir le capitalisme, et le Parti « Communiste » devrait être la nouvelle bourgeoisie.

    Le rejet du mouvement de 1989 a été le rejet de l’option de dépasser cette « double vérité ». Le problème est bien sûr que plus la science devient contrôlée par les éléments bourgeois, plus elle est non-productive et aussi un facteur de libéralisme.

    C’est pourquoi l’idéologie du Parti « Communiste » révisionniste a de plus en plus tendance à se déplacer au-delà de la formule de Deng Xiaoping et à réhabiliter Hu Yaobang. En fait, le mouvement de 1989 est venu trop tôt, mais sa ligne est de plus en plus acceptée par le révisionnisme.

    Fondamentalement, le même processus a existé en Union Soviétique ou dans le Parti « Communiste » français. Le parti dirigeant faisait semblant d’être toujours sur une ligne politique communiste, mais en fait, dans tous les domaines et tous les sujets, il était sur ​une voie libérale.

    Contaminée, l’option politique s’est effondrée à la fin. C’est pourquoi Mao Zedong a formulé la GRCP comme une lutte dans tous les domaines et tous les sujets, pour défendre le socialisme dans les domaines culturel et scientifique.

    Citons ici Friedrich Engels, qui, dans Dialectique de la Nature explique comment les chercheurs ont besoin de suivre la philosophie d’être vraiment scientifique :

    « Les savants croient se libérer de la philosophie en l’ignorant ou en la vitupérant.

    Mais, comme, sans pensée, ils ne progressent pas d’un pas et que, pour penser, ils ont besoin de catégories logiques, comme, d’autre part, ils prennent ces catégories, sans en faire la critique, soit dans la conscience commune des gens soi-disant cultivés, conscience qui est dominée par des restes de philosophies depuis longtemps périmées, soit dans les bribes de philosophie recueillies dans les cours obligatoires de l’université (ce qui représente non seulement des vues fragmentaires, mais aussi un pêle-mêle des opinions de gens appartenant aux écoles les plus diverses et la plupart du temps les plus mauvaises), soit encore dans la lecture désordonnée et sans critique de productions philosophiques de toute espèce, ils n’en sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise.

    Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques.

    Les savants ont beau faire, ils sont dominés par la philosophie. La question est seulement de savoir s’ils veulent être dominés par quelque mauvaise philosophie à la mode, ou s’ils veulent se laisser guider par une forme de pensée théorique qui repose sur la connaissance de l’histoire de la pensée et de ses acquisitions.

    Physique, garde-toi de la métaphysique ! [phrase attribuée à Newton] C’est tout à fait juste, mais dans un autre sens [Engels renverse Newton].

    Les savants gardent à la philosophie un reste de vie factice en tirant parti des déchets de l’ancienne métaphysique.

    Ce n’est que lorsque la science de la nature et de l’histoire aura assimilé la dialectique que tout le bric-à-brac philosophique — à l’exception de la pure théorie de la pensée — deviendra superflu et se perdra dans la science positive. »

     Dialectique de la Nature 

    Le révisionnisme chinois s’est déplacé exactement dans le sens opposé: il a séparé la science de la philosophie, ce qui est impossible.

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  • Le révisionnisme de Deng Xiaoping : Zha Ruqiang

    Comme nous l’avons vu, l’émergence du libéralisme dans le domaine de la cosmologie a changé la situation pour le révisionnisme chinois. En effet, l’émergence de scientifiques dans ce cadre ouvert par le révisionnisme chinois a donné une contribution importante à l’idéologie de contre-révolution bourgeoise ouverte, au point que le régime révisionniste en a lui-même été mis en difficulté.

    Étudions plus précisément ce processus.

    Le rejet révisionniste de la cosmologie de Mao Zedong

    Au début des années 1980, l’objectif du révisionnisme chinois était de détruire la conception maoïste de la matière comme inépuisable, intarissable parce que chaque niveau de la matière est divisible, le processus étant infini.

    Les armes pour faire cela n’étaient pas originales : il s’agissait bien entendu, d’une part, de la mécanique quantique, qui théorisé le micro-monde comme étant observable et prévisible grâce aux probabilités : sont ici importants le « principe d’incertitude » de Heisenberg et l’école de Copenhague avec Niels Bohr.

    Ensuite, l’autre arme était le Big Bang : il y aurait une origine de l’univers et la matière ne serait pas infinie, la matière étant limitée et pour ainsi dire étirée dans un univers en expansion.

    Déjà en 1973, dans le premier numéro de la nouvelle série de la Revue d’études en philosophie, qui avait été arrêtée auparavant, un article écrit par Fang Lizhi et Yin Dengxiang attaqua les enseignements effectués dans la revue Journal de la dialectique de la nature, qui soutenait la cosmologie de Mao Zedong.

    Il exprimait la nécessité de considérer que l’univers était « fini » selon la science naturelle et « infini » du point de vue de la philosophie. C’était une façon de promouvoir le relativisme et le libéralisme.

    Fang Lizhi

    En fait, dans la science, les scientifiques bourgeois faisaient la promotion de la même chose que Deng Xiaoping en économie : tout serait trop compliqué, nécessitant une nouvelle formulation, avec la nécessité d’être « flexible », et non pas dogmatique, etc.

    L’infinie divisibilité de la matière peut être vrai, mais pas de la manière que l’on pensait auparavant, tout doit être reconsidéré, etc.

    L’influence du relativisme

    Dès que les « débats » sur l’indivisibilité de la matière ont été ouverts, la dialectique de la nature pouvait être mise de côté, en particulier sous l’influence de Fang Lizhi, un droitier qui a aidé Deng Xiaoping et était l’un des activistes majeurs donnant naissance au mouvement de 1989 (il a été expulsé du Parti « communiste » en 1987 et a demandé l’asile à l’ambassade américaine à Pékin en 1989).

    Néanmoins, et en parallèle avec la réforme de Deng Xiaoping, le rejet officiel de la divisibilité de la matière a pris du temps. Deng Xiaoping a progressivement transformé l’idéologie officielle, au nom de la modernisation, de la science et de la technologie qui serait « nouvelles » et devraient être adoptées.

    De la même manière, Zha Ruqiang joua un rôle majeur dans le domaine de la science du révisionnisme chinois. Il a été le principal promoteur de la conception dengiste dans la science, produisant de nombreux documents, en essayant de produire une toute nouvelle conception de la science, libérale d’un côté, mais avec l’apparence du marxisme.

    Au début des années 1980, la Chine a connu une grande offensive idéologique des conceptions réactionnaires traditionnelles occidentales : en psychologie cette offensive est venue par Freud, Jung, Adler, Rogers, en philosophie à travers Foucault, Heidegger, Lévi-Strauss, Derrida.

    La tendance était de considérer que la science devait être « autonome » de la philosophie, que le libéralisme complet était nécessaire, avec une forte influence des conceptions réactionnaires de Karl Popper, Thomas Kuhn et Imre Lakatos.

    Le rôle de Zha Ruqiang

    Dans ce contexte, Zha Ruqiang a joué le rôle de défenseur de l’hégémonie du Parti « communiste » révisionniste.

    D’un côté, selon Zha Ruqiang, c’était le temps de la « troisième révolution industrielle », avec la théorie quantique et la relativité, l’énergie nucléaire et la technologie spatiale, la technologie informatique, il y avait la nécessité d’une science « pratique ».

    Ce fut directement utile pour la ligne de modernisation de Deng Xiaoping.

    De l’autre côté, Zha Ruqiang défendait le « marxisme », et ainsi la théorie de l’indivisibilité de la matière, parce que c’était une thèse nécessaire pour justifier la nécessité scientifique du Parti « communiste » révisionniste.

    Ainsi, il a exprimé son désaccord avec Lukacs, Marcuse, Sartre, Merleau-Ponty, Sidney Hook, ce qui signifiait qu’il refusait les courants idéologiques occidentaux « de gauche », et a essayé de forger une continuité idéologique avec le passé.

    La tâche était pratiquement impossible : comment était-il possible de dire que la théorie de la divisibilité de la matière était correcte, quand Mao Zedong l’avait formulé durant la période de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, une période entièrement rejetée par Deng Xiaoping et le régime chinois?

    Conséquence de la position théorique impossible du révisionnisme chinois

    En effet, une fois que cette approche « pratique », c’est-à-dire « dengiste », avait commencé, Zha Ruqiang pouvait lui-même être rejeté pour avoir maintenu le concept de dialectique de la nature, même si « adapté ».

    Le « nouveau » marxisme du révisionnisme chinois résumait le matérialisme dialectique à la méthode de considérer un phénomène à travers son développement et son changement.

    C’est, de fait, exactement comment le Parti « Communiste » français a toujours limité les enseignements de Marx et Engels (ou Lénine et Staline) ; c’est le rejet révisionniste du « dogmatisme », de la « scolastique », du « stalinisme », etc.

    Ainsi, en 1986, la position de Zha Ruqiang a été fortement attaquée par Fang Lizhi, Dong Guangbi, Ji Wulun, Han Zenglu ; l’objectif principal était la philosophie, qui pouvait être considérée comme un « outil utile », mais jamais comme un guide. Hegel a été considéré comme la source des erreurs, Kant et le positivisme ont été valorisés.

    La tendance était à un rejet ouvert du matérialisme dialectique.

    Le choix du régime par le social-fascisme

    Il était clair que si la critique du matérialisme dialectique était généralisée, alors la science devait être libéralisée, et si c’était le cas, alors le Parti « communiste » ne pouvait prétendre à aucune légitimité idéologique.

    Ce n’était pas la voie choisie par le Parti « communiste » révisionniste en Chine, qui fit un plénum en septembre 1986 et a décidé de rejeter la « libéralisation bourgeoise ».

    Conséquence de cela, en novembre, des manifestations étudiantes commencèrent dans l’Anhui, où Fang Lizhi appelé à « lutter », puis à Shanghai et à Beijing.

    Le Parti « communiste » révisionniste réprima ces manifestations, Fang Lizhi a été expulsé du « Parti communiste » et Hu Yaobang, qui était secrétaire général du parti de 1982 à 1987, a été mis de côté en raison de son « soutien » aux manifestations.

    Lorsque Hu Yaobang est mort en 1989, le 15 Avril, ce fut prétexte à de nouvelles manifestations d’étudiants, soutenant ses options, et c’est devenu la célèbre protestations de la place Tian’anmen de 1989.

    En effet, les Sept demandes faites à la mi-avril 1989 étaient les suivantes :

    1. Affirmer que les conceptions de Hu Yaobang sur la démocratie et la liberté sont correctes ;

    2. Admettre que les campagnes de lutte contre la pollution spirituelle et la libéralisation bourgeoise étaient erronées ;

    3. Publier des informations sur les revenus des dirigeants de l’État et des membres de leur famille ;

    4. Mettre fin à l’interdiction de journaux privés et arrêter la censure de la presse ;

    5. Augmenter le financement pour l’éducation et augmenter la rémunération des intellectuels ;

    6. Mettre un terme aux restrictions sur les manifestations à Beijing ;

    7. Fournir une couverture objective sur les étudiants dans les médias officiels.

    Cela signifiait, pour être précis, d’aller jusqu’au bout du processus de lutte contre la cosmologie de Mao Zedong, à savoir le matérialisme dialectique. Mais le régime social-fasciste n’était pas en mesure de perdre sa position politique, et il lui fallait le « socialisme » comme prétexte.

    Par conséquent, la sixième plénum du Parti « communiste » de Chine (12e Comité central), en septembre 1986, fit une résolution sur la civilisation spirituelle, s’opposant le marxisme comme dogme (ce qui signifie: le véritable matérialisme dialectique), mais aussi à l’idée que le marxisme était dépassé .

    Et pour cette raison, le mouvement de 1989 a été écrasé et la modernisation a pris un nouveau développement, que nous pouvons tous voir aujourd’hui.

    Conclusion

    Fang Lizhi a évité la participation directe dans le mouvement de 1989 alors que cela a dégénéré en mai, mais en juin un mandat d’arrêt a été fait contre lui, car il était considéré comme le principal organisateur des manifestations.

    Il a ensuite cherché refuge à l’ambassade américaine ; après une année, il a été autorisé à quitter le pays. Il a joué ensuite un rôle aux États-Unis dans la mobilisation en faveur de la naissance d’une classe bureaucratique chinoise liée à ce pays.

    Mais, historiquement, une autre direction a été prise en Chine, qui est maintenant pratiquement dans la même situation que la Russie tsariste : un pays réactionnaire, largement ouvert à l’impérialisme, mais en essayant de gérer une indépendance bourgeoise à travers les possibilités d’un pays riche, qui ne peut arrivé bien entendu que par le fascisme.

    Et nous pouvons voir ici un exemple intéressant de la façon dont le révisionnisme n’a pas un seul visage, mais deux face ; il y avait deux possibilités pour révisionnisme chinois. Toute évaluation de la contre-révolution chinoise après la mort de Mao Zedong doit prendre cela en compte.

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  • Le révisionnisme de Deng Xiaoping : face aux « double soutien inconditionnel »

    Comment Deng Xiaoping a-t-il lancé à la lutte contre le matérialisme dialectique? Il a dû apparaître comme menant la réorganisation de l’idéologie, comme la remettant sur son chemin.

    Par conséquent, Deng Xiaoping prétendait agir au nom de la « vérité ».

    Lutte bourgeoise contre le « double soutien inconditionnel »

    Le 19 Septembre 1977, l’information a été donnée comme quoi Deng a expliqué que « chercher la vérité des faits » était « la quintessence de la pensée philosophique de Mao Zedong », en parlant avec la figure la plus importante du ministère de l’Éducation.

    Six mois plus tard, le 11 mai 1978, le Guangming Ribao (le Quotidien de Guangming) publia un article intitulé La pratique est le seul critère pour tester la vérité, qui était l’attaque de la ligne pragmatique contre le « double soutien inconditionnel », qui représente la fidélité au matérialisme dialectique.

    Voici comment Deng Xiaoping explique le « double soutien inconditionnel » :

    « Il y a quelques jours, deux camarades responsables de l’Administration générale du Comité central m’ont rendu visite, et je leur ai dit que c’était une erreur de pratiquer le « double soutien inconditionnel » [Il s’agit de : « Soutenir résolument toutes les décisions du Président Mao et soutenir invariablement toutes ses directives »].

    Si l’on s’y conformait, on ne pourrait ni expliquer pourquoi il a fallu me réhabiliter, ni affirmer que les activités menées par les larges masses populaires en 1976, sur la place Tian’anmen, « allaient dans le sens du sentiment et de la raison » [Allusion à la manifestation anti-communiste du 5 avril, en conséquence de quoi Deng Xiaoping fut considéré comme « contre-révolutionnaire » par Mao Zedong et le bureau politique du Comité central].

    Il est, en effet, impossible d’appliquer ce que le camarade Mao Zedong a dit au sujet d’un problème spécifique, en un lieu donné, à une époque précise et dans des conditions particulières, à un autre problème surgi en un lieu différent, à un autre moment et dans d’autres conditions.

    Le camarade Mao Zedong lui-même a déclaré à maintes reprises que certaines de ses paroles n’étaient pas tout à fait exactes (…).

    Le camarade Mao Zedong a avoué que lui-même avait également commis des erreurs. Il a affirmé qu’il n’existe personne qui soit dans la vérité à tout moment et en toute chose, et dont chaque parole soit correcte.

    Il disait encore : Ce serait déjà positif si les mérites et les erreurs d’une personne pouvaient être évalués dans un rapport de 70 à 30 pour cent ; après ma mort, si le jugement de la postérité m’accorde un tel rapport, je serai très content, très satisfait. »

    Le « double soutien inconditionnel » est le contraire du marxisme, 24 mai 1977

    Ce n’était pas tout. Deng Xiaoping a dû faire appel à une réinterprétation des enseignements de Mao, toujours dans l’esprit du rejet de la divisibilité de la matière. Deng Xiaoping a pu réduire ce qui est apparu comme le maoïsme, dans une sorte de « pensée Mao Zedong », qui était juste une « méthode. »

    Deng Xiaoping a ainsi expliqué:

    « La pensée de Mao Zedong a développé le marxisme-léninisme dans beaucoup de domaines. Elle forme un système, qui n’est autre que le marxisme-léninisme développé.

    Je propose donc que les camarades versés dans le travail théorique, tout en menant à bien la compilation et la publication des œuvres de Mao Zedong, consacrent de grands efforts à l’explication, sous différents angles, de sa pensée en tant que système. »

    Pour une compréhension intégrale et correcte de la pensée de Mao Zedong, 21 juillet 1977

    Le mouvement bourgeois de 1989

    Cela nous amène directement au mouvement de 1989. Ce qui s’est passé est la chose suivante: le 15 avril, Hu Yaobang décéda.

    Après avoir été l’un des responsables du Parti visés par la GRCP, il est devenu le chef de file des réformes économiques en Chine pendant les années 1980 ; il était l’homme de Deng Xiaoping, le numéro 2 du régime social-fasciste.

    Hu Yaobang et Deng Xiaoping

    Néanmoins, Hu Yaobang a estimé que le mouvement de libéralisation devait aller plus rapidement. Pour cette raison, il a refusé de critiquer le mouvement de protestation lancé en décembre 1986.

    Cette protestation était basée à l’Université des Sciences et Technologies de Hefei, avec l’astrophysicien Fang Lizhi comme figure principale.

    Fang Lizhi a dû travailler dans une mine de charbon au cours de la GRCP, il a été très actif dans la promotion de la conception bourgeoise du monde : il était le principal promoteur de la conception du « Big Bang », à l’encontre du principe de la divisibilité de la matière.

    Les responsables du mouvement de 1986 furent exclus du Parti « communiste », et Hu Yaobang lui-même a été mis de côté pour être sur la même ligne qu’eux.

    Lorsqu’il est mort, en 1989, le mouvement libéral bourgeois a commencé une nouvelle offensive. 50 000 étudiants ont défilé 22 avril 1989 sur la place Tiananmen afin de participer à la cérémonie commémorative pour la mort de Hu Yaobang et appeler au libéralisme.

    Ce fut le début des protestations de la place Tiananmen, en 1989. Fang Lizhi choisit alors de demander asile à l’ambassade américaine, et a ensuite déménagé aux États-Unis.

    Le mouvement de 1989 était le produit de la contradiction inévitable entre le révisionnisme et l’utilisation du libéralisme dans le domaine de la cosmologie.

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  • Le révisionnisme de Deng Xiaoping : la science et la technologie comme composante des forces productives

    Comme nous traitons de la question de savoir comment le révisionnisme chinois a rompu avec le principe maoïste de la divisibilité de la matière, nous allons porter un regard approfondi quant à la conception de la science chez Deng Xiaoping.

    Deng Xiaoping

    C’est cette conception qui a été le principal outil pour promouvoir et faire triompher le révisionnisme. Cette arme idéologique réactionnaire doit être comprise, de sorte de ne pas arriver au même révisionnisme qui consiste à voir le marxisme comme une « méthode ».

    Deng Xiaoping ne doit pas être considéré comme un « individu » qui a trahi, mais comme le porteur d’une vision du monde toute entière. Après la mort de Mao Zedong, il avait une façon bourgeoise de « comprendre » le maoïsme, afin de réorganiser l’Etat suivant les besoins de la bourgeoisie.

    Cette voie bourgeoise consiste principalement en une compréhension particulière de la science, nous allons voir de quelles positions il s’agissait … ou il s’agit, vu qu’il y a encore des « maoïstes » qui sont en fait des dengistes cachés.

    La thèse de la neutralité de la recherche et les décisions d’en haut

    Selon le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet du mouvement de la matière, les communistes luttent pour que cette pensée soit conforme à la réalité.

    Une fois le mouvement éternel de la matière rejeté, il n’y a pas de place pour une telle conception. Il n’y aurait pas de pensée, mais seulement une bataille et une construction. Le marxisme serait une « méthode » et de ce fait, ce qui est nécessaire n’est pas un cadre révolutionnaire à chaque niveau, mais un « expert ».

    C’est pourquoi Deng Xiaoping pourrait promouvoir le socialisme « par en haut », comme quand il dit:

    « Il convient de sélectionner quelques milliers de sujets d’élite dans les milieux scientifiques et techniques, pour lesquels on créera les conditions nécessaires afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à leurs travaux de recherche. »

    Respecter les connaissances et les hommes de talent, 14 mai 1977

    Cette approche voit la « science » comme neutre dans son contenu et son développement. Dans un autre document, Deng Xiaoping dit :

    « Que l’on fasse du travail manuel ou intellectuel, on est un travailleur dans la société socialiste (…).

    En déformant la notion de la division du travail – manuel et intellectuel – existant aujourd’hui dans notre société, pour la présenter comme un antagonisme de classes, la bande des Quatre cherchait en fait à attaquer et à persécuter les intellectuels, à miner l’alliance des ouvriers et des paysans avec les intellectuels, à détruire les forces productives sociales et à saper notre révolution et notre édification socialistes.

    La science et la technologie sont une partie des forces productives. »

    Discours à la conférence nationale sur les sciences, 18 mars 1978

    Deng Xiaoping contre la GRCP

    La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) affirmait exactement le contraire. Ce n’était pas seulement une tentative de bloquer une restauration réactionnaire ; la GRCP était un moyen de progresser dans les domaines du matérialisme dialectique.

    Dans la GRCP, la science et la technologie étaient considérées comme une manière d’approcher la réalité, et de cette façon elles ne sont pas des « forces productives », mais des choix idéologiques, qui reflètent un caractère de classe. Les communes populaires n’ont rien à voir avec la Chine capitaliste des années 2000.

    Deng Xiaoping était bien conscient de cela, comme il était le principal ennemi de la GRCP. Mais s’il a réussi à prendre la tête de la Chine après la mort de Mao, c’est parce qu’il a réussi à prendre un aspect du maoïsme – le développement du pays – mais pour le transformer dans le sens d’un développement pragmatique.

    C’est pourquoi le révisionnisme pouvait réussir: il est apparu comme une amélioration de la situation, la réorganisation apparente de l’économie, mais en fait pour la transformer. Voici comment Deng Xiaoping explique son point de vue:

    « La « révolution culturelle » a certainement été une grave erreur, mais notre Parti a brisé les cliques contre-révolutionnaires de Lin Piao et des Quatre, et mis fin à cette « révolution culturelle », ce qui nous a permis d’arriver où nous en sommes (…).

    Quand nous disons « rétablir le cours normal des choses », nous entendons justement réparer les ravages causés par Lin Piao et les Quatre, critiquer les erreurs commises par le camarade Mao Zedong dans les dernières années de sa vie, et ramener toutes les activités dans la juste voie de la pensée Mao Zedong. »
    (Entretien du 25 octobre 1980 avec des camarades responsables du Comité central)

    Deng Xiaoping à propos de la science et de la production

    L’astuce tactique de Deng Xiaoping était ainsi d’assimiler la science et de la production. C’est très proche du révisionnisme soviétique: comme les forces productives croissantes sont la preuve du développement du socialisme, alors tout ce qui aide est « socialiste ».

    Ce qui compte n’est pas le choix de comment et de savoir ce qui doit être produit, mais la production en elle-même. Il s’agit d’une conception bourgeoise mécanique, visant seulement à satisfaire le besoin du capital à se développer.

    Voici comment Deng Xiaoping explique cela :

    « Il faut comprendre que la science et la technique constituent une force productive. La bande des Quatre a fait beaucoup de tapage autour de cette question, inversant la vérité et jetant la confusion dans les esprits.

    Le marxisme a toujours considéré que la science et la technique font partie des forces productives. Il y a un peu plus d’un siècle déjà, Marx avait dit que l’essor de la production mécanisée impliquait l’application consciente des sciences de la nature. Et d’ajouter que « les forces productives comprennent aussi la science. »

    Le progrès de la science et de la technique modernes resserre chaque jour davantage les liens entre la science et la production. Le rôle considérable de la science et de la technique en tant que forces productives s’affirme avec toujours plus d’évidence. »

    Discours à la conférence nationale sur les sciences, 18 mars 1978

    La conception de Deng Xiaoping n’a servi que le capital.

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  • Le révisionnisme de Deng Xiaoping : le caractère de classe de la science, de la technologie et de la gestion

    Quelle est la clé du révisionnisme, en URSS et en République Populaire de Chine? C’est l’idéologie, il y avait un espace ouvert pour révisionnisme en URSS et en République populaire de Chine, où les éléments bourgeois ont pu s’agglutiner et ensuite faire un coup d’État.

    En URSS, cet espace était dans le domaine de la biologie. La conception bourgeoise de l’ADN comme support de tout ce qu’est la vie a été bien comprise comme une illusion réactionnaire.

    Néanmoins, cela a été confronté avec la conception erronée de modifier la matière depuis l’extérieur, sans suivre le principe selon lequel la contradiction est interne.

    Lyssenko prétendait modifier la matière d’une manière conforme à la volonté des êtres humains, ce qui a conduit à un échec scientifique et a permis au révisionnisme, plein de subjectivisme bourgeois, de s’organiser.

    Nikita Khrouchtchev n’a pas rejeté Lyssenko après la mort de Staline, au contraire, il a nié tous les enseignements matérialistes dialectiques, mais a conservé Lyssenko comme valable. Le révisionnisme prétendait changer la nature, la réalité, depuis l’extérieur, selon la volonté.

    Mao Zedong a réussi à « réparer » matérialisme dialectique avec la conception selon laquelle la contradiction est interne, comme quoi rien n’est indivisible. Le révisionnisme a dû lutter contre cela.

    Pour cette raison, le révisionnisme chinois vint de ce domaine. Les promoteurs du mouvement de Tien’anmen en 1989 viennent directement de ce domaine de la cosmologie. Ils étaient protégés par Deng Xiaoping.

    Couverture du Time, avec Deng Xiaoping.
    « CHINE
    S’écartant de Marx »

    Mais comment a-t-il été possible pour le révisionnisme chinois de lutter contre la cosmologie de Mao ? Ici, Deng Xiaoping apparaît avec ce que nous devons considérer comme une idéologie : le dengisme.

    Selon le dengisme, la technologie n’est pas une superstructure, mais une infrastructure. Il a formulé cela dans une phrase célèbre: « Ce n’est pas grave si un chat est blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris. »

    Quand on voit cela, il est facile de comprendre que la plupart des « maoïstes » dans le monde sont des dengistes ; ils maintiennent encore quelques enseignements de Mao Zedong, mais ils ont la même conception pragmatique d’une méthode suprême. Comme Deng Xiaoping, ils résument Mao Zedong à quelques livres, notamment De la pratique ; ce n’est pas une surprise que la plupart de ces « maoïstes » aient viré en « marxistes-léninistes » pro-albanais.

    Le pragmatisme est la base même du dengisme. Il rejette le principe de l’indivisibilité de la matière ; il considère que le monde obéit à un mouvement mécanique, où il est possible de pousser dans une direction ou une autre.

    Le prachandisme au Népal, l’avakianisme aux Etats-Unis … sont des idéologies empruntant directement leurs conceptions au dengisme, depuis une incompréhension du maoïsme, de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP).

    Le GRCP voulait mettre l’idéologie au poste de commande dans tous les domaines, alors que le dengisme limite l’idéologie à une méthode en politique. En fait, les « maoïstes » qui ne parlent jamais de la culture, de la science, de l’histoire … révèlent leur nature dengiste avec cette conception étroite.

    Ces faux « maoïstes » acceptent les valeurs bourgeoises dans tous les domaines, mais pas dans la politique, en tout cas ils le prétendent. Leur refus de reconnaître la crise écologique, de rejeter la destruction de la nature et l’utilisation des êtres vivants, est une grande preuve de leur approche non matérialiste dialectique. En fait, ils sont gens rêvant d’être les gestionnaires d’une réorganisation du capitalisme – comme Deng Xiaoping.

    Couverture du Time, avec Deng Xiaoping.
    « Bannissant le fantôme de Mao »

    Voici ce que Deng Xiaoping a répondu à la question de savoir si, finalement, le capitalisme n’est pas si mal que ça:

    « Il importe d’éclaircir ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme marque une supériorité par rapport au féodalisme. Il est certaines choses qui ne sauraient être qualifiées de capitalistes.

    Par exemple, la technologie et la gestion dans la production relèvent du domaine de la science ; elles sont utiles à n’importe quelle société et à n’importe quel pays.

    Nous avons l’intention d’acquérir des compétences techniques, scientifiques et de gestion avancées pour servir notre production socialiste. Et ces choses en tant que tels n’ont pas de caractère de classe. »

    Réponses aux questions de la journaliste italienne Oriana Fallaci, août 1980

    « Ces choses en tant que tels n’ont pas de caractère de classe » – c’est la grande ligne révisionniste, exactement ce qui a été combattu par la GRCP.

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