Lotta Continua: Brochure de juillet 1969

Est-ce que la lutte est terminée ?

Nous sommes maintenant à la veille des vacances, et nous attendons tous avec impatience le moment de quitter cet enfer.

Pour ceux qui depuis plus d’un an se crèvent de fatigue, ce désir est parfaitement justifié.

Mais que le patron ne s’imagine pas avoir imposé dans l’usine son « rythme de vie ».

Pour nous, la lutte n’est pas terminée.

Nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot.

Nous avons obtenu une grande victoire : en deux mois de lutte, nous nous sommes unis, nous avons pris conscience de notre force, nous nous sommes organisés tout seuls, à notre façon.

Le patron essaie bien de se venger, de reprendre le contrôle de nos luttes, de récupérer la production en augmentant les cadences et en menaçant les camarades les plus actifs ou en mettant ses menaces à exécution : mais tout cela ne se passe plus en douceur comme avant.

Il y a beaucoup d’équipes et d’ateliers qui débrayent chaque fois que la production augmente ou quand les cadences sont trop rapides ; dans certains ateliers, les ouvriers étaient tellement unis que la direction a été obligée de battre en retraite sur les mesures disciplinaires (aux ateliers 54 et 53, par exemple).

Ça veut dire que l’accord-bidon signé par les syndicats contre notre volonté, ou le chantage au manque d’argent pour les vacances, ça ne marche plus.

Ça veut dire que la lutte continue.

Mais la période qui nous sépare encore des vacances ne doit pas servir seulement à répondre aux contre-attaques du patron ou à l’augmentation de la production et à la répression.

Elle doit nous servir aussi à consolider notre organisation, et ànous préparera affronter les mois d’automne où nous reprendrons les grèves avec tous les autres ouvriers italiens.

En Septembre commencera la lutte pour le contrat national de travail des métallos, et tout de suite après pour celui des ouvriers de la chimie et du bâtiment.

La grande majorité des ouvriers sera en grève au même moment.

Nous savons ce que représentent les contrats pour les patrons et pour les syndicats.

Ce sont des accords pour une durée de trois ans, concernant le salaire de base, le nombre d’heures de travail, la classification et d’autres points importants pour nous.

Comme ça, les patrons veulent être sûrs que les ouvriers ne luttent qu’une fois tous les trois ans pour l’augmentation du salaire de base, les réductions d’heures de travail, etc.., au moment choisi par les capitalistes et les syndicats, et puis qu’après, ils restent bien tranquilles sans rien dire.

C’est-à-dire que le contrat est une espèce de cage dans laquelle on enferme à double tour la lutte des ouvriers, et les syndicats sont chargés de surveiller la cage pour qu’elle reste bien fermée.

Mais la lutte des ouvriers ne se laisse pas enfermer, ni par les patrons, ni par les syndicats.

Les ouvriers n’attendent pas le signal du patron pour lutter. Ils le font quand ils l’ont décidé.

Et de fait, à Mirafiori, nous n’avons pas attendu l’automne pour demander les augmentations de salaire et la classe supérieure ; nous avons commencé la lutte quand nous avons eu la force suffisante.

C’est exactement ce qu’ont fait les ouvriers de beaucoup d’autres usines italiennes, Pirelli, Olivetti, Fatme à Rome, Piaggio à Pontedera, Rese à Pordenone, Dalmine à Bergame et beaucoup d’autres.

Alors, la première chose à dire, c’est que:

Nous refusons de nous engager, avec les contrats, à planifier nos luttes sur le calendrier des patrons et des syndicats.

Les contrats, c’est des chiffons de papier, et rien de plus.

Ceci dit, nous devons ajouter que l’échéance des contrats est une occasion exceptionnelle pour notre lutte.

Si, jusqu’à maintenant, nous avons lutté chacun de notre côté, en automne, nous lutterons en même temps que tous les autres ouvriers.

Et rien que ça, ça veut dire que nous aurons une force extraordinaire.

Les patrons et leur gouvernement unis contre les ouvriers unis et leur organisation autonome : voilà en quels termes se pose la lutte de l’automne.

Mais pour utiliser véritablement cette force, il ne faut pas que nous attendions le dernier moment, il faut que nous nous préparions dès maintenant.

C’est-à-dire que nous devons discuter des objectifs que nous voulons atteindre en luttant, la façon dont nous voulons lutter, comment nous pouvons nous organiser mieux entre nous, et comment nous pouvons nous unir avec les ouvriers des autres usines et des autres villes.

A partir d’aujourd’hui et jusqu’aux vacances, nous devons tous nous engager à discuter de tout ça, dans l’usine et àl’extérieur de l’usine.

Ça aussi, c’est une façon de lutter.


Les objectifs des syndicats et ceux des ouvriers

La première chose à faire, c’est de décider, nous autres ouvriers, quels sont les objectifs de la lutte, sans laisser aux syndicats la possibilité de décider à notre place.

Au cours de notre dernière lutte, nous avons eu une nouvelle fois la preuve que les syndicats non seulement ne servent pas nos intérêts, mais qu’ils s’opposent à la lutte ou qu’ils cherchent à la faire dévier vers des objectifs qui ne nuisent pas du tout au patron ou qui lui sont même utiles.

Par exemple, leur revendication au sujet de l’augmentation du nombre des délégués.

D’une façon plus général e, nous avons constaté encore une fois que les syndicats sont ennemis de l’autonomie ouvrière, parce qu’ils ne s’occupent que d’aménager la façon dont le patron nous exploite.

Mais pour ce qui est de l’existence même des patrons et de l’exploitation, ils disent que ce n’est pas leur rayon.

Les syndicats acceptent les lois de l’organisation du travail telles que les ont faites les capitalistes, ils acceptent les lois de la productivité, les lois de la programmation patronale.

En revanche, les ouvriers, tous autant qu’ils sont, ne veulent qu’une seule chose : briser ces lois qui, pour la classe ouvrière, n’ont qu’un seul sens, toujours le même : misère et esclavage.

Tout cela est évident si on regarde la plateforme revendicative que les syndicats ont préparée en commun pour les contrats.

Il faut dire tout de suite que, comme d’habitude, les syndicats ont décidé des revendications de leur côté.

Aujourd’hui, ils font semblant de venir nous consulter en nous distribuant des bouts de papier sur lesquels nous pouvons répondre par oui ou par non aux questions auxquelles ils ont déjà répondu.

Comme ça, ils pourront dire qu’ils expriment nos désirs.

Comme si c’était nécessaire de faire des référendum par écrit pour connaître notre volonté alors que nous l’avons déjà exprimée très clairement, et pas chacun de son côté,avec un stylo à bille, mais tous ensemble, en débrayant, en faisant des assemblées, des manifestations, en luttant.

Le référendum des syndicats ne nous intéresse pas : ils le font pour mieux nous posséder.

Ces messieurs qui se disent nos représentants, parlent d’augmentations de salaire, mais ils se gardent bien de nous dire de combien elles doivent être, ces augmentations.

Ils n’ont pas le courage de venir nous dire qu’ils sont prêts à accepter des augmentations de cinquante lires, parce qu’ils savent bien que cinquante lires, ça nous fait rigoler.

Ils parlent d’augmentations, et ils refusent de demander une augmentation égale pour tous.

Comme ça, ils continuent à diviser les ouvriers au lieu de les unir.

Ils continuent à être partisans de la classification, et même, ils se préparent à inventer une nouvelle sous-classe, qu’ils appellent super, extra ou « sprint ».

Ils parlent de réglementer les heures supplémentaires, mais ils se gardent bien de parler de l’abolition des heures supplémentaires.

Es parlent des 40 heures, mais ils acceptent de les obtenir trois, quatre ans ou même plus après la signature du contrat.

Ils parlent de réajustement progressif avec les employés, ils se gardent bien de parler d’égalité.

Le réajustement qu’ils demandent ne s’applique qu’à quelques détails, et pas à l’essentiel.

Ils parlent de démocratie dans l’usine, mais ce qu’ils veulent, c’est des privilèges pour les syndicalistes.

iLs parlent de lutte, et ce qu’ils veulent dire par là, c’est deux ou trois journées de grève purement symboliques.

Tout ça, ça nous est étranger, c’est contraire à nos intérêts.

Nous, nous ne pouvons pas nous contenter de pleurnicher contre les syndicats, ou de les critiquer.

Nous avons démontré que nous sommes capables d’organiser nous-mêmes notre lutte, de décider de nos objectifs, de choisir la façon la plus efficace de lutter.

Et cela ne s’est pas passé seulement à Mirafiori, mais dans beaucoup d’autres usines italiennes.

C’est pourquoi aujourd’hui nous pouvons et nous devons décider nous-mêmes quels sont les objectifs que nous voulons atteindre en luttant en automne.

AUGMENTATIONS DE SALAIRES

Nous devons tous d’abord décider combien nous demandons.

Justement parce que nous ne sommes pas à la foire aux bestiaux, et parce que nous n’avons pas du tout l’intention de demander des augmentations qui sont tout de suite reprises par l’augmentation effrénée du coût de la vie, ça ne nous suffit pas de parler vaguement d' »augmentation », mais nous devons préciser de combien il faut qu’elle soit.

Et puis, ça sert à rendre les choses plus claires, et la clarté renforce la lutte.

Ensuite : les augmentations doivent être égales pour tous.

Ça, c’est ce que les ouvriers ont demandé au cours de toutes les luttes récentes les plus importantes.

Nous sommes tous exploités de la même façon, et le pain coûte le même prix pour tout le monde.

En ne nous augmentant pas tous de la même façon, le patron nous divise.

En demandant des augmentations égales pour tous, nous nous unissons, et nous nous renforçons.

Ensuite : toutes les rubriques différentes de la feuille de paye doivent être réduites aune seule : le taux de base.

En ce moment, la feuille de paye est divisée en un tas de colonnes : c’est bien utile au patron pour nous embrouiller et pour mieux nous voler.

La plupart du temps, pour comprendre sa feuille de paye, il faut être spécialiste.

Alors, le patron en profite pour nous embobiner.

Mais le plus important, c’est que nous ne travaillons pas pour avoir telle prime de vacances, telle classe, telle prime de nocivité, tel boni, tel salaire de base et ainsi de suite.

Nous sommes obligés de travailler tout simplement pour avoir un salaire, et pour qu’il soit aussi élevé que possible, compte tenu de nos exigences et de notre force organisée.

Le fait que notre salaire soit aussi fragmenté est une arme formidable dans les mains du patron.

Le forfait et la prime de production, par exemple, ne sont pas autre chose qu’une façon de nous rendre complices de l’exploitation que nous subissons : c’est une course suicide aux cadences qui augmentent toujours, et qu’on nous fait faire pour quelques lires de plus.

Autre exemple : quand on est au chômage « technique » – ça ne dépend pas de nous, mais du patron – les patrons font des économies sur notre dos.

Mais en étant payé au taux de base seulement, tel qu’il est maintenant, personne ne peut s’en tirer : d’autre part, la production, ça n’intéresse que le patron, sûrement pas nous.

Nous, ce qui nous intéresse, c’est le salaire.

Prenons encore un autre exemple : étant donné que le patron se fout complètement que nous crevions ou que nous nous esquintions la santé, la nocivité de certains travaux reste sans changement, et en échange de notre peau, on nous donne quelques lires de plus.

Comme ça, ils espèrent nous convaincre que nous sommes quittes: quatre sous de plus en échange de la silicose, d’une infirmité ou de la dépression nerveuse, et justice est faite.

Ils réussissent à envoyer trois couillons sur la lune, mais ils n’arrivent pas à éliminer la nocivité du travail.

Là aussi, il n’y a qu’une seule réponse : non âla nocivité, et en attendant, réduction des heures de travail, intégration des primes au salaire.

C’est comme ça que nous nous renforçons et que le patron s’affaiblit.

L’exploitation et la domination que le patron nous impose sont étroitement liés à la façon dont le travail est organisé, à l’utilisation qu’en fait le patron, pour contrôler et écraser les ouvriers : le salaire de poste, les augmentations au choix, les diverses indemnités, les forfaits, les primes et ainsi de suite.

Que tout ça soit intégré au salaire de base, ça veut dire s’opposer concrètement à la liberté de manoeuvre du patron sur notre dos.

TEMPS DE TRAVAIL

Nous voulons les 40 h. , nous les voulons sans perdre une seule lire, nous les voulons tout de suite.

On avait déjà demandé ça il y a 6 ans, pour les contrats de 1962, et on n’a encore rien vu venir.

La diminution des heures de travail est une revendication fondamentale, qui nous permet de nous unir concrètement avec les ouvriers des autres usines, et tout d’abord à ceux des usines que la logique capitaliste condamne au chômage croissant.

La diminution des heures de travail est une bonne façon de riposter à l’intensification du travail telle que nous la subissons à Fiat, et en même temps au chômage.

Mais tout d’abord, il faut dire que les 40 heures ne doivent pas servir au patron.

Les capitalistes les plus avancés sont tout à fait disposés à donner les 40 heures en échange d’une restructuration de la semaine de travail.

Par exemple, ils voudraient – comme l’a dit Pirelli – nous enlever le dimanche férié, et nous donner deux jours par semaine à tour de rôle.

Comme ça, ils peuvent faire fonctionner la production sans interruption pendant sept jours par semaine, dimanche compris, et utiliser les machines au maximum.

Pour nous, il n’y aurait plus de jours fériés, sauf quand le patron le voudrait bien.

Ou bien encore, toujours dans le même but, ils voudraient faire faire l’équipe de nuit à tous les ouvriers.

Mais la nuit est faite pour dormir.

Non seulement, nous n’accepterons pas de faire les équipes de nuit, mais nous demanderons partout où c’est possible l’abolition des équipes de nuit.

Cela ne doit plus se produire.

Mais nous savons aussi que la diminution des heures de travail, pour être effective, doit être liée à la question des heures supplémentaires.

Déjà maintenant les ouvriers italiens ne font pas les 43 ou 44 heures dont on parle dans les contrats.

Ils en font beaucoup plus.

Demander les 40 heures et ne pas supprimer les heures supplémentaires, ça veut dire se foutre de nous.

Maintenant, les patrons réussissent à nous imposer les heures supplémentaires – mis à part ceux qui les font uniquement parce qu’ils sont des salauds – parce que le salaire est trop bas et ne nous permet pas de nous en tirer.

C ‘est pourquoi toutes nos revendications sont liées :

– augmentations de salaire importantes

– les 40 heures

– suppression des heures supplémentaires

Il est inadmissible que dans les usines comme Fiat, où les conditions de travail sont épouvantables, il y ait des ouvriers qui fassent dix, onze heures de travail ou plus.

Il est inadmissible que cette surexploitation – qui rapporte énormément au patron et qui est payée une misère si ont tient compte des retenues – serve au patron à ne pas embaucher d’autres ouvriers.

Il est inadmissible que le patron se serve régulièrement des heures supplémentaires pour récupérer ce qu’il perd à cause des grèves que nous faisons.

CLASSIFICATION

Compte tenu de la production de l’usine, les classes n’ont pas de sens : nous sommes tous capables de tout faire.

Leur seul but est de nous diviser et de nous dresser les uns contre les autres, les jeunes contre les vieux, les ouvriers récemment embauchés contre les plus anciens, les ouvriers contre les ouvrières et ainsi de suite.

Nous devons avoir pour but de supprimer les classes, et, en attendant, demander la suppression des classes inférieures.

EGALITE COMPLETE AVEC LES EMPLOYES

Les employés et les ouvriers sont les esclaves du même patron.

Mais le patron réserve un « traitement de faveur » aux premiers, sur certains points, pour qu’ils continuent à croire qu’ils sont différents des ouvriers, et qu’ils se comportent en conséquence.

C’est exactement le même jeu que les patrons jouent aux Etats-Unis avec les ouvriers blancs et les ouvriers noirs.

Mais toutes les différences créées artificiellement par le patron doivent disparaître ; non seulement les différences de condition, mais les différences de salaire.

Commençons tout de suite par faire disparaître les différences de condition : cela doit donc signifier les mêmes droits pour les ouvriers et les employés (et pas seulement le vague « rapprochement » dont parlent les syndicats) ; cela doit signifier les mêmes droits pour tous : les vacances, les arrêts de travail, les indemnités et, non seulement en cas de maladie ou d’accident, mais tout le temps.

UNE LUTTE PROLONGEE

Voilà les objectifs qui- doivent être au centre de notre lutte et que nous ne sommes pas disposés à marchander contre d’autres concessions .

Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problèmes : ça veut dire tout simplement que c’est sur la base de ces objectifs, du fait qu’ils répondent à nos besoins et à notre force, que l’organisation autonome des ouvriers peut grandir en ce moment.

Et cette organisation est bien celle qui nous permet d’affronter les autres problèmes, ceux qui ne peuvent être résolus après une seule lutte.

Elle s’est déjà constituée, bren que d’une façon encore incomplète, à Fiat.

C’est le cas pour le problème des cadences qu’aucune négociation ne permettra de résoudre.

Ce problème ne pourra être réglé que par une lutte prolongée et organisée, dans l’usine, pas seulement contre les augmentations de production, mais pour la réduction de la production.

C ‘est le cas pour le problème de la lutte à l’extérieur de l’usinera où le patron récupère ce que nous lui arra-chons par nos luttes, en augmentant les prix, là où le patron essaie de nous isoler et de nous imposer ses idées.

L’organisation que nous créons dans l’usine est le point de départ pour nous unir en dehors de l’usine aussi, là où nous habitons, pour lutter contre les loyers, contre l’augmentation des prix, contre l’école bourgeoise.

Nous voulons construire des formes d’organisation qui uniront les ouvriers de toutes les branches, les étudiants, les autres travailleurs, pour avoir toujours l’initiative.

Corso Traiano [Avenue de Turin où, le 3 juillet 1969, ouvriers et étudiants de la ville ont tenu tête à la police pendant près de 24 heures] et Nichelino en sont deux beaux exemples.

LES FORMES DE LUTTE

Il ne suffit pas de savoir pourquoi nous nous battons, il faut aussi savoir comment.

L’époque de la passivité, celle où nous attendions que les syndicats décrètent un jour de grève pour en faire un jour de congé, au mieux faire un tour aux piquets, cette époque-là est terminée.

En automne il est possible, c’est même sûr,que les luttes démarrent dans beaucoup d’usines, sans attendre le coup d’envoi des syndicats.

De toute façon, les grèves des syndicats nous serviront à expérimenter notre force.

Mais ces grèves que les syndicats ont l’intention de nous faire faire sont celles qui nous coûtent le plus cher.

Ce sont celles qui coûtent le moins au patron : il est prévenu si longtemps à l’avance qu’il a le temps de s’organiser pour les récupérer.

Ce sont celles qui nous sont le moins utiles pour nous unir et nous organiser.

Pendant la lutte de Mirafiori, comme pendant celle de Pirelli à Milan, et celles des luttes récentes les plus avancées, les ouvriers ont remporté une grande victoire.

Si le patron nous rassemble dans l’usine, c’est pour produire des profits ; pour celui qui regarde notre organisation et notre lutte, il se sert de tout pour nous diviser, il nous arrive de travailler côte à côte pendant huit heures et de ne pas arriver à échanger trois mots, encore moins d’arriver à nous connaître .

Notre lutte nous à fait comprendre que si l’usine est le centre du pouvoir patronal, elle peut et elle doit devenir le centre de notre force.

Nous avons compris que le fait de mener la lutte dans l’usine nous permet de nous unir, de discuter entre nous, de nous organiser, tout cela dix fois plus que pendant les grèves à l’extérieur.

Nous avons compris qu’avec cette organisation, en faisant passer la lutte d’un atelier à l’autre, nous pouvions porter des coups encore plus sévères au patron avec le minimum de pertes.

Les luttes de l’automne seront un occasion unique pour généraliser, grâce aux luttes à l’intérieur de l’usine, l’organisation autonome qui existe déjà dans quelques ateliers.

Ce sera une occasion unique pour renforcer la capacité de lutte dans les usines italiennes où elle est encore insuffisante.

C’est seulement la lutte dans l’usine qui nous permet d’envisager un combat prolongé contre le patron ; c’est là qu’il est le plus faible, là qu’il paie le prix fort.

Qu’il soit bien clair, à partir de maintenant, que nous n’accepterons plus d’arrêter des luttes pour des négociations, pour donner au patron une belle occasion de planifier les grèves comme il l’entend.

C’est pendant le déroulement de la lutte qu’on discute.

Bien entendu, ça ne veut pas dire qu’il faut enfermer la lutte entre les murs de l’usine, mais ça veut dire qu’il faut utiliser l’usine comme point de départ, comme l’endroit où se construit la force qui nous permet d’en sortir au bon moment, avec les formes correctes et en bon ordre.

Ça veut dire également que nous pourrons trouver la riposte ouvrière la plus efficace à toutes les tentatives du patron pour reprendre le dessus : le lock-out ou les licenciements par exemple.

La riposte, ce sera l’intensification de la lutte dans l’usine et l’occupation s’il le faut.

Agnelli, comme tous les autres capitalistes, préfère sûrement que les ouvriers aillent faire des dégâts Piazza Statuto.

Là au moins il peut leur envoyer ses bandes de flics.

Mais s’ils s’emparent de l’usine, les choses à détruire sont beaucoup plus précieuses.

Pendant la lutte de la Fiat et pendant bien d’autres luttes prolétariennes en Italie, c’est la masse des ouvriers qui a fait preuve d’une conscience révolutionnaire élevée en montrant qu’ils savaient qu’il n’y avait pas de solution à leurs problèmes de classe en dehors de la destruction du capitalisme, en dehors de la destruction des classes.

Dans l’étape actuelle, le problème qu’il nous faut résoudre, c’est de traduire cette richesse révolutionnaire en processus de lutte, en formes organisationnelles.

Pendant les luttes de l’automne, ce n’est pas le problème du combat entre les prolétaires et les forces armées du capital pour la conquête du pouvoir qui se posera.

Le problème qui se pose, c’est celui de l’organisation autonome des ouvriers.

Et pour cela, la lutte à l’intérieur de l’usine joue un rôle décisif.

SIGNIFICATION DE LA LUTTE

Quand des millions d’ouvriers partent ensemble au combat, comme c’est le cas pour le renouvellement des contrats collectifs, le danger est toujours énorme pour les patrons.

Mais ceux-ci espèrent bien s’en tirer en signant avant ou après un accord avec les syndicats.

Ensuite, ils collaboreront pour ‘le faire respecter » : c’est-à-dire pour réduire « les pertes » au minimum et pour arrêter toutes les luttes au nom de la signature.

Mais cette fois, le danger est plus grand que jamais pour les patrons.

Ces derniers temps, les ouvriers ont appris non seulement à mener une lutte prolongée,mais encore à lutter d’une manière autonome, à décider eux-mêmes pourquoi et comment lutter.

A la Fiat, comme dans beaucoup d’autres usines, c’est pour cela qu’ils ont commencé à s’organiser et à mener des luttes sans accepter quelque contrôle que ce soit.

Et dans ces luttes, les ouvriers ne sont pas seuls.

Depuis deux ans, les étudiants se battent contre les mêmes ennemis.

Les paysans et les ouvriers agricoles, en ce mo – ment même, mènent de dures batailles.

Même les employés et les agents techniques qui paraissaient jusque là les plus dociles au patron ont commencé à se mobiliser dans certaines usines de Milan et à la Fiat elle-même (grèves de la mécanographie, par exemple).

Ainsi, les patrons savent que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement quelques lires d’augmentation en plus ou en moins.

Ils savent que ce qui est en jeu, c’est leur pouvoir.

Ils savent que pour la première fois depuis des années peut surgir de ces luttes une union organisée des travailleurs, capable de leur tenir tête et de balayer tous les compromis des syndicats et des partis.

C’est pourquoi ils utiliseront tous les moyens à leur disposition pour nous faire plier la tête et pouvoir nous narguer ensuite : « vous avez vu, vous vouliez n’en faire qu’à votre tête et vous avez pris une raclée ».

Ils ont beaucoup de moyens à leur disposition : l’Etat, la police, les tribunaux qui sont à leur solde.

Les syndicats ne mettent pas longtemps à se mettre d’accord pour freiner eux aussi la lutte des travailleurs au prix de quelques concessions : ces dernières semaines, à la Fiat, nous l’avons bien vu.

Ce sera donc un rude combat.

Mais nous sommes décidés à nous battre jusqu’au bout, parce que, dans ce combat, une seule victoire vaut plus que toutes celles du passé.

Nous pouvons sortir de cette lutte en ayant obtenu,non seulement plus que ce que nous voulions – et nous en avons bien besoin -, mais encore une force organisée qui soit vraiment la nôtre , et qui nous servira pour toutes les grèves que nous déciderons.

Cette force, elle ne se fait pas d’elle-même.

Elle est comme le combat futur : un combat dur et prolongé ; la victoire ne vient pas « d’elle-même », en comptant seulement sur l’élan spontané des masses.

Il faut que les ouvriers les plus conscients, les plus décidés ne s’arrêtent pas à quelques augmentations, mais pensent à l’objectif final : le renversement du pouvoir du patron. Qu’ils prennent la tête des luttes.

Il faut que des groupes de travailleurs se forment pour préparer la lutte, pour donner toutes les explications nécessaires à leurs camarades, pour les convaincre et les mobiliser.

D’une usine à l’autre, d’une ville à l’autre, il faut que ces groupes s’unissent.

C’est pourquoi, avant les vacances, nous avons organisé une rencontre nationale des travailleurs en lutte de différentes villes d’Italie : ce congrès sera un premier pas vers l’unité.

Turin

22 Juillet 69

Ouvriers et étudiants

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