La systématisation inégale des démocraties populaires

Les succès bulgare et tchécoslovaque renforcèrent bien entendu les Fronts des autres pays, indiquant la tendance à suivre. Les communistes et les socialistes fusionnent ainsi en février 1948 en Roumanie, pays devenant une démocratie populaire en avril de la même année.

La Hongrie devient une démocratie populaire en août 1949, l’Allemagne orientale en octobre 1949 (sous la forme d’une « république démocratique » en réponse à la « République Fédérale Allemande fondée en avril).

Les communistes et les socialistes fusionnent en décembre 1948 en Pologne, mais le pays devint une démocratie populaire en juillet 1952 seulement, ce qui reflète les difficultés rencontrées.

Car cette systématisation apparaît d’un côté comme inévitable, de par le prestige de l’URSS, la mise en place d’un Front, l’hégémonie de l’armée rouge bloquant la réaction, la fusion des socialistes et des communistes.

Affiche du Parti Communiste de Tchécoslovaquie

C’est ce qu’exprime la mise en place de la conférence communiste à Szklarska Poręba en septembre 1947, avec le Parti Communiste (bolchévik) de l’URSS, les Partis Communistes des pays de l’Est européen (sauf l’Allemagne orientale, l’Albanie et la Grèce, ainsi que les Partis Communistes de France et d’Italie).

Elle marqua la fondation du Bureau d’information des Partis Communistes et Ouvriers, souvent désigné par l’acronyme Kominform.

L’amitié polono-soviétique c’est la paix, l’indépendance, le bon lendemain de notre patrie (en fond le Palais de la culture et de la science de Varsovie offert par l’URSS à la Pologne)

Un journal est publié : « Pour une paix durable, pour une démocratie populaire » ; y seront publiés des articles des différents Partis, ainsi que les résolutions. Il sera notamment interdit en janvier 1951 par le gouvernement français, le forçant à reparaître sous un autre nom, « Paix et démocratie ».

De l’autre côté, l’affirmation des démocraties populaires fait face à la « guerre froide » de la part des impérialistes, alors que par ailleurs le dirigeant communiste italien Palmiro Togliatti est victime d’un sabotage de sa voiture et que le dirigeant communiste belge Julien Lahaut est assassiné devant chez lui.

C’est à travers la question allemande que cela se jouera principalement. L’Allemagne, occupée par l’URSS, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, est en effet le verrou. Son basculement dans un camp ou l’autre sera d’une grande conséquence.

Notre amitié avec l’Union soviétique force à la paix

Aussi, le Parti Communiste d’Allemagne œuvre-t-il dès le départ pour l’unification avec les sociaux-démocrates. Malheureusement, cela ne fonctionne que dans la partie orientale du pays, avec le Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), avec comme dirigeants le communiste Willhelm Pieck et le social-démocrate Otto Grotewohl.

Staline c’est la paix

Ce dernier a perdu la bataille dans son parti face à Kurt Schumacher, non pas en raison d’un réel soutien de la base qui était tout à fait favorable à l’unité, voire l’unification, mais par le rôle américain qui transforme la social-démocratie en institution du nouveau régime ouest-allemand, ce que décriront longuement Ulrike Meinhof et la Fraction Armée Rouge par la suite au début des années 1970.

Pour donner le ton, lors d’un discours à Berlin, le 1er mars 1951, Kurt Schumacher expliqua que :

« Ce pays [l’Allemagne] a toujours été, dans les rêves de la révolution mondiale communiste, la pièce centrale de la conquête mondiale communiste.

Il était clair pour nous que cette attaque devait être parée par le réveil de toutes les forces des qualités humaines et sociales, nationales et personnelles.

Pour nous, il était clair : la liberté en Europe n’était pas peu une affaire de l’auto-affirmation démocratique du peuple allemand (…).

Dans la zone d’occupation soviétique, les travailleurs n’ont que le droit de se laisser exploiter, d’obéir et de passer d’êtres humains au rang de matériel.

Mais qu’on ose se dresser contre le droit à la coparticipation [comme en Allemagne de l’Ouest avec l’intégration de la social-démocratie dans l’appareil de gestion capitaliste], qui a une valeur politique pour les travailleurs dans l’économie, comme cela fut le cas avec le droit de vote universel en politique, c’est une honte pour un parti avec des membres prolétaires.

C’est une tâche nationale et morale de faire passer les ouvriers communistes de la dictature soviétique à la liberté allemande. »

Mais des tendances capitulardes apparurent également dans les autres pays, obligeant à mettre de côté des figures parfois dirigeantes qui étaient oscillantes en raison du poids de l’impérialisme américain et du camp occidental.

En Pologne, il y avait ainsi Władysław Gomułka, qui fut mis à l’écart en 1948-1949 ; en Roumanie, il y avait Lucretiu Patrascanu, qui fut exécuté en 1948, avant la répression du groupe déviationniste de droite Pauker – Luca – Georgescu en 1952.

En Hongrie, il y eut László Rajk, exécuté en 1952 ; en Albanie, il y eut Kotchi Dzoze (Koçi Xoxe en albanais), qui entendait même rattacher le pays à la Yougoslavie ; il fut exécuté en 1949, tout comme Traycho Kostov en Bulgarie.

Il y eut aussi, en Tchécoslovaquie, le groupe autour de Milada Horáková et Záviš Kalandra, tous deux exécutés en 1950, et surtout le groupe autour de Rudolf Slánský. Haut dirigeant du Parti Communiste, et responsable de la sécurité, ce dernier fut démis de ses fonctions en 1951 et accusé de complot, puis exécuté en 1952.

En Bulgarie, le groupe s’était organisé autour de Traicho Kostov, qui fut exécuté en 1949.

Tous ces groupes d’opposition avaient comme dénominateur commun une ligne convergeant avec l’impérialisme américain et les forces occidentales, considérées comme « incontournables ». Ils s’orientaient également vers une soumission à l’esprit capitaliste paysan. Ils passaient surtout par une approche nationaliste exigeant que leur pays ait un statut « intermédiaire » entre l’URSS et les États-Unis, ce qui revient à se soumettre à ce dernier.

Un pays va concrétiser cette démarche : la Yougoslavie.

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La démocratie populaire à l’instar du succès tchécoslovaque

De toutes les pays, c’est la Tchécoslovaquie qui voit le Parti Communiste le plus triompher. Il progresse tellement qu’il est rejoint par 2,5 millions de personnes, soit pratiquement 23 % de la population totale, ou encore un adulte sur trois, et pratiquement 50 % de la population active.

Le Front est opérationnel. C’est un socialiste de gauche, Zdeněk Fierlinger, qui fut le premier chef du gouvernement du nouveau régime.

Et lorsque, en novembre 1947, c’est la droite qui l’emporta dans le Parti Socialiste, avec Zdeněk Fierlinger remplacé à la direction par Bohumil Lausman lors du congrès de Brno, la réponse fut de dimension populaire.

En février 1948, le Parti Communiste quitta le gouvernement, pour mieux revenir cependant avec un nouveau gouvernement qui comprenait une majorité progressiste (12 communistes et 3 sociaux-démocrates pour 24 ministres en tout), avec l’appui d’une immense mobilisation de masse.

Prague en février 1948

C’est que la presse bourgeoise internationale appela le « coup de Prague », étant en fait en panique générale devant un succès communiste, qui s’était fait surtout sans aucun appui de l’armée rouge.

Et, par la suite, à l’été 1948 le parti social-démocrate fusionna avec le Parti Communiste, qui lança des mouvements populaires, capables de briser la tentative conservatrice de bloquer la progression.

Klement Gottwald, dirigeant du Parti Communiste de Tchécoslovaquie

La Tchécoslovaquie devint alors une république populaire en juin 1948, à l’instar de la Bulgarie qui avait pu la précéder en décembre 1947 grâce à l’armée rouge et le prestige de Georgi Dimitrov.

Ce dernier, dans son rapport politique au Comité central du Parti ouvrier (communiste) bulgare en décembre 1948, souligna ainsi les traits de l’État populaire-démocratique :

« Le caractère de l’État démocratique-populaire est déterminé par ces quatre traits fondamentaux :

a) L’État démocratique-populaire représente le pouvoir des travailleurs, de la grande majorité du peuple, sous le rôle dirigeant de la classe ouvrière.

Ce fait signifie premièrement, que le pouvoir des capitalistes et des gros propriétaires est renversé et que celui des travailleurs des villes et des campagnes est établi, sous la direction de la classe ouvrière ; cette classe, la plus progressiste de la société contemporaine, joue dans l’État et dans la vie sociale, un rôle dirigeant.

Deuxièmement, que l’État sert d’instrument aux travailleurs dans leur lutte contre les éléments exploiteurs, contre toutes tentatives et tendances, en vue de rétablir le régime capitaliste et la domination de la bourgeoisie.

b) L’État démocratique-populaire apparaît comme un état de la période transitoire, appelé à assurer le développement du pays, dans la voie du socialisme.

Ceci signifie : bien que le pouvoir des capitalistes et dés grands propriétaires fonciers soit renversé et que la fortune de cette classe soit devenue la propriété du peuple, les racines économiques du capitalisme ne sont pas encore extirpées : certains éléments subsistent encore et se développent, s’efforçant de rétablir l’esclavage.

C’est pour cela que l’évolution vers l’avant, vers le socialisme, n’est possible qu’en menant une lutte de classe intransigeante contre eux, pour leur liquidation complète.

Ce n’est qu’en marchant sans détours vers le socialisme que l’État démocratique-populaire pourra se fortifier et accomplir sa mission historique. Si la démocratie populaire cesse de lutter contre les classes d’exploiteurs, si elle cesse d’étouffer et de refouler les éléments capitalistes, ceux-ci l’emporteraient inévitablement, et non seulement saperaient les bases de la démocratie populaire, mais amèneraient sa perte.

c) L’État démocratique-populaire s’édifie dans la collaboration et l’amitié avec l’Union soviétique.

De même que l’affranchissement de notre pays des chaînes de l’impérialisme et la création de l’État démocratique-populaire ne devinrent possibles que grâce à l’appui et à la mission libératrice de l’U.R.S.S. dans la lutte contre l’Allemagne fasciste et ses alliés, le développement ultérieur de notre démocratie populaire suppose la conservation et le renforcement des relations étroites de collaboration sincère, d’assistance mutuelle et d’amitié, entre nos pays et le grand Etat soviétique.

Toute tendance à affaiblir la collaboration avec l’U.R.S.S. est dirigée contre l’existence même de la démocratie populaire dans notre pays.

d) L’Etat démocratique-populaire appartient au camp démocratique anti-impérialiste (…).

Incarnant la domination des travailleurs sous la direction de la classe ouvrière, le régime de démocratie populaire peut et doit, ainsi que l’expérience l’a déjà prouvé, exercer avec succès les fonctions de la dictature du prolétariat, pour la liquidation du capitalisme et l’organisation de l’économie socialiste.

Il peut briser la résistance des capitalistes et des propriétaires fonciers, étouffer et liquider leurs tentatives, en vue de restaurer le pouvoir du Capital.

Il peut organiser la construction d’une industrie sur la base de la propriété publique et de l’économie planifiée.

Le régime de démocratie populaire sera également en état de surmonter l’instabilité de la petite bourgeoisie des villes et de la paysannerie moyenne, de maîtriser les éléments capitalistes dans les campagnes et d’unir les masses fondamentales des travailleurs autour de la classe ouvrière, dans la lutte décisive pour le passage au socialisme. »

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Vers la démocratie populaire : les déviations française, albanaise, yougoslave

De par la réalité des différences de situation, les Fronts nationaux-démocratiques mis en place par les Partis Communistes vont avoir des résultats nullement uniformes et, de fait, dans trois cas, la situation va être très grave.

La faillite totale est ainsi du côté français. Le Parti Communiste Français va appliquer entièrement la ligne du Front national démocratique, mais sans l’existence d’un tel Front. De plus, il se précipite dans une participation gouvernementale avec les forces politiques autour du général de Gaulle.

Charles Tillon est initialement ministre de l’Air, François Billoux ministre de la Santé publique, puis après un remaniement le dirigeant du PCF Maurice Thorez est ministre d’État (où il met en place l’Ecole Nationale d’Administration), Ambroise Croizat ministre du Travail, Marcel Paul ministre de la Production industrielle, François Billoux ministre de l’Économie nationale, Charles Tillon ministre de l’Armement.

C’est une intégration dans l’État bourgeois, théorisé d’ailleurs par Maurice Thorez dans une interview accordée au journal anglais The Times en novembre 1946 :

« Nous avons préconisé un programme démocratique et de reconstruction nationale, acceptable pour tous les républicains, comportant les nationalisations, mais aussi le soutien des moyennes et petites entreprises industrielles et artisanales et la défense de la propriété paysanne contre les trusts.

A l’étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations – le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés – constituent un progrès dans la voie du socialisme.

Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’œuvre de redressement économique et social du pays.

Il est évident que le Parti communiste, dans son activité gouvernementale, et dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir, s’en tiendra strictement au programme démocratique qui lui a valu la confiance des masses populaires.

Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes.

De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale.

Cependant, l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort. Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C’est le sens même de la vie.

L’union des forces ouvrières et républicaines est le sûr fondement de la démocratie. Le Parti ouvrier français que nous proposons de constituer par la fusion des partis communiste et socialiste, serait le guide de notre démocratie nouvelle et populaire. »

C’était une interprétation totalement opportuniste de la ligne national-démocratique, niant de fait le Front, puisque après les premières affirmations il n’y a rien de fait pour établir un large front au-delà du Parti alors le premier parti politique numériquement en France. Le Parti s’est imaginé autosuffisant historiquement.

De plus, il n’y a aucune reconnaissance de la nécessité de la mise en place d’un nouveau régime. Le Parti Communiste Français a littéralement agi comme si le pays était dans la même situation que la Hongrie ou la Bulgarie, avec l’armée rouge en appui.

L’erreur inverse des Français exista en Albanie et en Yougoslavie. Dans ces pays, la résistance armée avait été très puissante, parvenant littéralement à libérer le pays. Le prestige d’Enver Hoxha en Albanie et de Tito en Yougoslavie, les deux dirigeants communistes, étaient immenses.

Tito en mai 1944

En Yougoslavie, les partisans avaient atteint le nombre de 650 000 à la fin de 1944 ; le Front populaire obtint 90,4 % des voix en novembre 1945, avec un taux de participation de 88 %.

En Albanie, les partisans étaient au nombre de 70 000, ayant contrôlé dès 1943 des territoires rassemblant un million de personnes. En mai 1944 le Congrès Antifasciste de Libération Nationale formait un conseil national, dirigé par Enver Hoxha, et le Front populaire obtint 93,2 % des voix en décembre 1945.

Cependant, les communistes yougoslaves avaient mis en place une démarche reprise en Albanie, consistant à maintenir le Parti Communiste dans la clandestinité, à maintenir la cooptation en interne et à ne pas apparaître publiquement.

Le Front national-démocratique était conçu comme une façade à employer mécaniquement. Cela aboutit à une absence de vie démocratique à la base du Parti Communiste, à une bureaucratisation de son appareil, à une dépolitisation systématique des communistes.

Au cours de ce processus, l’Albanie passa littéralement sous la coupe yougoslave, alors qu’un dirigeant albanais, Sejfulla Malëshova, prôna de tenir le pays à mi-chemin de la Grande-Bretagne et de l’URSS, et qu’un autre, Koçi Xoxe, était directement un agent de la Yougoslavie.

Enver Hoxha en 1944

C’est Enver Hoxha qui mena la lutte contre cette tendance. En novembre 1948, dans son rapport sur l’activité du Comité Central et sur les devoirs nouveaux du Parti au Congrès du Parti Communiste d’Albanie, il raconte à ce sujet que :

« Parmi les importantes questions que soulèvent les lettres historiques adressées par le Parti bolchévik au Comité central du Parti communiste yougoslave [en 1948], figure la question du Front, en corrélation avec la question du Parti lui-même dans lequel le groupe trotskiste [à la tête de la Yougoslavie avec Tito] s’est éloigné de la voie des enseignements du marxisme.

Dans cette question de principe, d’une importance énorme, notre Parti ne peut pas dire qu’il n’a pas subi l’influence néfaste du Parti communiste yougoslave.

Qu’il ait adopté un grand nombre des principes qui régissent l’organisation du Front en Yougoslavie, ainsi que de nombreuses formules erronées des Yougoslaves, cela est vrai.

Notre Parti a reconnu ces erreurs et y a remédié. Il est redevable de ce redressement au Parti bolchévik et au Bureau d’information qui, en mettant à notre disposition l’expérience des huit partis communistes et ouvriers frères, apporte une aide précieuse à notre Parti.

Le Front, créé dans notre pays, dans les circonstances que j’ai déjà signalées, a été d’emblée une large organisation de masses que dirigeait le Parti (…). On doit avouer que l’importance du rôle et la solidité de l’organisation du Front avaient été négligées, et notamment que l’organisation était devenue assez large.

Notre Front différait de ceux qui existaient dans les autres démocraties populaires en ceci que, dans le nôtre, le seul parti qu’on y trouvait était notre Parti (…). Il y avait donc dans notre Front différents éléments individuels qui, nous pouvons le dire, n’échappaient pas à un certain contrôle ; mais nous pouvons dire aussi que, dans ce sens, nous avons été un peu sectaires (…).

Mais, à la veille de la libération de l’Albanie, sous l’influence du délégué du C. C. du Parti communiste de Yougoslavie à Bérat, notre Front a ouvert toutes grandes ses portes et, dans ses rangs, ont pénétré des ennemis qui méritaient le gibet.

Mais ce ne fut pas tout : les opinions opportunistes du Comité central du Parti communiste yougoslave au sujet de l’élargissement du Front, et celles de Seïfoulla Maleuchova en vue de desserrer la bride à la réaction et à la bourgeoisie, firent commettre des relâchements à notre Comité central jusqu’au point de laisser parvenir même à l’Assemblée populaire des éléments camouflés, insinués dans le Front (…).

Ces éléments réactionnaires camouflés étaient la réserve et le dernier enjeu de la réaction ; ils avaient pu résister à la pression de la guerre et, après la libération, ils sont entrés en action. Et justement après la libération de l’Albanie, sous l’influence du Comité central du Parti communiste yougoslave, notre Parti a commis l’erreur de se tenir dans une demi-clandestinité (…).

Comment envisagions-nous, après la libération, les relations réciproques du Front et du Parti ? Nous craignions de mettre en lumière le rôle joué dans le Front par le Parti, de peur d’intimider les éléments réactionnaires et hésitants qui s’y étaient camouflés.

Non seulement nous dissimulions le grand honneur qui s’attachait à notre qualité de membres du Parti, mais nous trouvions encore opportun et juste que certains ministres, membres du Parti, mais inconnus comme tels des larges masses du Front, continuassent de garder le secret sur leur qualité de membres du Parti.

On avait peur de laisser croire que notre gouvernement, ou notre Assemblée populaire, étaient un gouvernement communiste ou une Assemblée populaire où prédominaient les communistes.

On se proposait, ce faisant, de laisser entendre aux éléments hostiles, camouflés dans le Front, qu’il était inutile de s’organiser, soit légalement, soit clandestinement, étant donné que participaient aussi au gouvernement et à d’autres organes des hommes qui n’étaient pas communistes (…).

Les bureaux du Parti se déguisaient en bureaux du Front ; le Parti ne publiait plus ses décisions sous sa signature, mais les diffusait par l’intermédiaire du Front. Les larges masses du peuple travailleur n’apercevaient plus le visage du Parti, ce visage qu’elles aimaient tant (…).

L’absence de démocratie intérieure, d’élections, de centralisme démocratique, de critique et d’autocritique, ainsi que la pratique de la cooptation au sein du Comité central, ont été autant d’erreurs.

Le parti communiste yougoslave en a sa part de responsabilité.

Il faut ajouter à ces erreurs cette autre grave erreur d’organisation, anticommuniste-léniniste-bolchévique, le cumul des fonctions de secrétaire du Parti aux cadres et de ministre de l’intérieur, ce qui a entraîné la soumission du Parti au contrôle de la Sûreté.

D’autres erreurs d’organisation en ce qui concerne la politique des cadres, ont causé au Parti un grave préjudice et ont entravé sa marche. »

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Les difficiles démarrages hongrois, roumain, polonais et allemand vers la démocratie populaire

Contrairement à la Bulgarie et la Tchécoslovaquie, trois pays partaient de relativement loin dans la nouvelle situation : la Hongrie, la Roumanie et la Pologne. Dans ces pays, en effet, les communistes disposaient de moins d’ancrage et de traditions.

La Hongrie avait été un État fasciste puissamment agressif durant la seconde guerre mondiale, alors que les communistes ne s’étaient jamais remis de l’écrasement de la révolution hongroise de 1919.

Le Parti Communiste était en Pologne littéralement un désastre lors de toute son histoire, au point que l’Internationale Communiste procéda même à dissolution en avril 1938. Il se reconstitua avec peine à partir de 1942, dans un pays écrasé sans pitié par l’Allemagne nazie.

La Roumanie présentait une situation relativement meilleure, mais relativement seulement, puisque le pays était passé dans l’orbite nazie et hébergeait de puissants mouvements fascistes. La monarchie tenta également de sauver son existence au dernier moment en renversant le gouvernement pro-allemand alors que l’armée intervenait.

Les Fronts nationaux-démocratiques furent donc des entreprises malaisées, traversant d’importantes vicissitudes.

Le Front fut formé en Hongrie en mars 1944, mais son poids était faible, comme en témoignent les élections de novembre 1945, alors que les communistes n’obtiennent que 17 % des voix, autant que le reste de la gauche, alors que le parti des petits propriétaires et bourgeois indépendants obtient 59 % des voix.

Les communistes avaient cependant, de par le prestige de la victoire, su faire en sorte que 150 000 personnes rejoignent le rang.

Pour la paix, pour l’avenir de nos enfants ! Votez pour le front populaire !

Aux élections d’août 1947, les résultats furent de 22 % pour les communistes, contre 15 % aux sociaux-démocrates, 15 % au parti des petits propriétaires, 9 % au parti national paysan, alors que font une quinzaine de pourcents le parti de l’indépendance, ainsi que la démocratie chrétienne.

La droite du Parti Socialiste mobilisa au même moment dans la rue contre le régime, cependant cela amena l’aile gauche à la rupture, et en juin 1948 eut lieu la fusion avec les communistes. C’était un cap essentiel, qui s’ajoutait aux mesures prises dans le cadre du gouvernement du nouveau régime.

Avait ainsi eu lieu la nationalisation des grandes banques en décembre 1947, puis de la production de charbon, des centrales électriques, des mines de bauxite et de la production d’aluminium en février 1948.

Le 28 avril 1948, toutes les entreprises de plus de 100 personnes furent nationalisées, ainsi que toutes les entreprises complémentaires au secteur étatisé.

En Pologne, le Front était par contre paralysé par la constitution d’un gouvernement d’union nationale des communistes et des conservateurs, ces derniers ayant formé un gouvernement à Londres.

Néanmoins, les grandes industries et les entreprises de plus de cinquante salariés sont nationalisées en juin 1946, avec une réforme agraire distribuant pratiquement six millions d’hectares de terres aux paysans.

Gloire à Staline le meilleur ami de notre peuple

En Roumanie le Front patriotique restait faible, malgré une insurrection armée le 23 août 1944, alors que se constituait un Front national démocratique des forces libérales, conservatrices et communistes.

Aux élections de novembre 1945, le parti national paysan d’opposition obtint 878 000 voix, contre 4,7 millions de voix au bloc gouvernemental (les communistes obtenant 68 sièges, les socialistes 81, et le front des laboureurs 70).

Cependant, la grande majorité du secteur industriel était étatisé en juin 1948.

Pour l’unité la paix la liberté
Votez pour les communistes !

La situation était totalement différente en Allemagne. Les communistes avaient une très grande expérience, ils avaient connu le fascisme très tôt dans les années 1930 et avaient eu le temps de se préparer à la ligne national-démocratique.

Le 6 février 1944, une commission de travail avait été organisée par le bureau politique du Parti Communiste d’Allemagne, avec comme tâche d’avoir une vue générale de l’histoire allemande, en prévision de l’après-guerre.

Or, à part plusieurs écrits de Friedrich Engels et certains de Franz Mehring qui avait effectué un véritable effort de saisie de l’évolution de la culture allemande, il y avait somme toute peu de matière. Il est évident que le contraste était d’autant plus saisissant avec l’arrière-plan de l’écrasement du mouvement ouvrier par le nazisme.

C’était toute la question allemande qui explosait à la figure des communistes alors, avec une ampleur terrible de par le soutien massif du peuple allemand à Hitler.

L’unité de la masse laborieuse dans un Parti
Le front de l’unité des partis antifascistes
L’unité de l’Allemagne !

Une initiative parallèle fut menée par le NKFD, le Comité National Allemagne Libre, qui disposait de locaux consistant en un centre de repos du syndicat des cheminots, à Lunjowo, à un peu plus de trente kilomètres de Moscou.

Il visait à rassembler tous les oppositionnels au national-socialisme, y compris les conservateurs, les nationalistes ; bien entendu, les soldats étant passés dans le camp de l’armée rouge pendant la guerre y jouèrent un rôle essentiel en tant que cadres.

Le journal du NKDF, Freies Deutschland, avait même en bas et en haut des bandes noire, rouge et blanche, c’est-à-dire les couleurs impériales, visant clairement à ébranler les officiers de la Wehrmacht, ce qui fonctionna en partie, intégrant des gens éduqués et diplômés dans le camp démocratique, voire même parfois dans le camp communiste.

C’était une politique du pas à pas, rendu nécessaire par une vérité vite comprise : la population voyait la défaite de l’Allemagne nazie comme sa propre défaite. La situation était idéologiquement catastrophique.

Patriotes allemands! Combattez de manière encore plus déterminée pour l’unité, l’indépendance nationale et la paix!
Faites comme nous !
Formez des coopératives de maisons et de blocs de logements du Front National de l’Allemagne Démocratique

Il y avait toutefois un autre facteur essentiel. Le pays était occupé, divisé en quatre zones, la seule réellement détruite étant la partie orientale sous contrôle soviétique.

Le démarrage concret du Front va avoir ainsi deux aspects. Le premier, c’est qu’en raison de la défaite allemande, l’administration soviétique a les mains entièrement libres et soutient les exigences démocratiques.

Les expropriations des grands propriétaires terriens et des propriétaires nazis se firent sous l’égide de 10 000 commissions de réforme agraire à l’échelle communale (avec des membres à 56,8 % de sans parti, 23,9 % du KPD, 17,5 % du SPD, 1,8 % des libéraux du LPD et de la démocratie-chrétienne du CDU).

Les machines, les outillages, etc. furent intégrés dans des stations de prêts, alors que l’ensemble des terres fut alors géré par un fonds agraire, qui remit à l’État 0,61 millions d’hectares de forêts et 0,498 millions d’hectares de surfaces agricoles, à des particuliers 0,433 millions d’hectares de forêt et 1,757 million d’hectares de surfaces agricoles.

210 000 propriétés agricoles furent de ce fait créés (surtout au profit de réfugiés ou de paysans sans terre), alors que 122 000 déjà existantes voyaient leur surface s’agrandir. La distribution de terres de 1946 se divise comme suit : 41,3 % pour les paysans sans terre et les journaliers, 22 % pour les paysans pauvres, 31,6 % pour les déplacés, 2,3 % pour les petits métayers.

A cela s’ajoute que 460 000 paysans âgés reçurent un apport de forêt et plus de 183 000 un jardin.

1er Mai
Côte à côte pour l’unité des travailleurs!

Cet élan transformateur favorisait le front, qui était composé des communistes, des sociaux-démocrates, des démocrates-chrétiens du CDU, des libéraux du LDPD, puis du parti paysan démocratique et du parti national-démocrate.

Surtout, l’unité communiste et socialiste fonctionnait réellement.

Or, cela ne pouvait évidemment pas être du goût des impérialistes américains, britanniques et français. Ceux-ci exercèrent une pression gigantesque sur les sociaux-démocrates alors que se formait une lutte de lignes entre Kurt Schumacher et Otto Grotewohl.

La question de la victoire de l’un ou de l’autre déciderait de la suite.

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Le démarrage fulgurant bulgare et tchécoslovaque vers la démocratie populaire

La Bulgarie et la Tchécoslovaquie furent les deux pays modèles pour l’établissement du Front national-démocratique. Il y a plusieurs raisons très expressives pour cela. La première, c’est que ces deux pays sont historiquement proches de la Russie, pays considéré comme un grand frère slave capable de venir à la rescousse.

La seconde, c’est l’importance massive des Partis Communistes, celui de Bulgarie étant d’ailleurs dirigé par Georgi Dimitrov, le théoricien du Front populaire, du Front national démocratique et du principe de Démocratie populaire.

Un aspect essentiel était qui plus est que la Tchécoslovaquie était le seul pays de l’Est européen à être authentiquement capitaliste avant 1938, du moins dans sa partie tchèque (la Bohême-Moravie-Silésie) qui avait été marqué au XVe siècle par la tempête révolutionnaire protestante hussite, avec toute sa tradition démocratique.

Le Parti Communiste de Tchécoslovaquie avait mené la résistance pendant l’Occupation allemande du « protectorat de Bohême-Moravie » et le compte-rendu de son dirigeant Julius Fucik sur son emprisonnement deviendra le livre de langue tchèque le plus publié dans le monde.

Meeting en l’honneur de Julius Fucik

La partie slovaque, agraire et arriéré, avait quant à elle connu une grande résistance au nazisme, alors qu’un État fasciste slovaque fantoche avait été mis en place, sous la forme du « soulèvement national slovaque » commencé au milieu de l’année 1944.

Cette vague démocratique et populaire tchécoslovaque fit que les troupes soviétiques quittèrent le pays dès novembre 1945, alors que se forma un gouvernement de Front National.

Panneau du Front populaire avec les symboles des partis membres

Aux élections de 1946, le Parti Communiste de Tchécoslovaquie obtint un score de 38 %. Si on lui additionne le score du parti social-démocrate, le chiffre montre à 55,75 % ; si on y ajoute le score du parti socialiste national, plus au centre, on a alors un résultat de 79,41 % pour l’ensemble de la gauche et du Front national-démocratique.

Le dirigeant du Parti Communiste, Klement Gottwald, est premier ministre, le communiste Václav Nosek ministre de l’Intérieur, Ludvík Svoboda celui de la Défense.

Un événement significatif fut dans ce cadre l’établissement d’un décret par le chef du président de la République réinstaurée, le démocrate bourgeois Edvard Beneš, de l’expulsion des Allemands des Sudètes et des Hongrois de Slovaquie à moins de preuves d’actes antifascistes (aboutissant à l’expulsion de respectivement 2,6 millions et 400 000 personnes).

Affiche du Parti Communiste de Tchécoslovaquie

On notera par ailleurs que, en tant que pays membre des pays alliés, la Tchécoslovaquie, fait partie des vainqueurs officiels de la seconde guerre mondiale. Tel n’est pas le cas de la Bulgarie, pays allié des nazis avant que le Front patriotique ne renverse le régime le 9 septembre 1944 avec 30 000 partisans appuyés par un réseau par 200 000 personnes.

Le renversement fait directement suite à la déclaration de guerre de l’URSS à la Bulgarie. Le républicain bourgeois Kimon Georgiev devint alors président du Conseil et déclara l’armistice avec l’URSS.

L’ensemble de l’appareil d’État fut alors organisé par le Front patriotique ; l’épuration lors des six premiers mois de 1945 amena l’exécution de 2050 personnes et 6208 condamnations à de longues peines.

Georgi Dimitrov en 1945

Les élections de novembre 1945 marquèrent la victoire du Front avec 88 % et en juillet 1946 un référendum marqua l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République. Cependant l’opposition s’était majoritairement abstenue et de nouvelles élections eurent lieu en octobre 1946, le Front obtenant 78 % des voix, la monarchie étant abolie lors d’un référendum en septembre 1947 (par 4 500 000 voix contre 175 000).

Georgi Dimitrov devint président du conseil, alors que Kimon Georgiev devint vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, puis ministre du Développement et des Travaux publics et enfin ministre du Développement.

En décembre 1947, toutes les entreprises non artisanales étaient nationalisées ; en août 1948, les communistes et les socialistes fusionnèrent en une seule organisation. Entre 1950 et 1953, la partie collectivisée des terres passe de 12 % à 61 %.

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Les tâches national-démocratiques menant aux démocraties populaires

L’objectif des Fronts nationaux-démocratiques a une double nature : national et démocratique. On peut considérer les tâches principales comme les suivantes :

– expropriation de la haute bourgeoisie ;

– nationalisation des principales entreprises du pays et du secteur bancaire ;

– condamnation des dirigeants et responsables militaires ;

– réforme agraire ;

– mise en place d’un nouvel appareil d’État ;

– génération de structures démocratiques populaires à tous les niveaux ;

– unifier les socialistes et les communistes en un seul Parti, unifier toutes les organisations ouvrières en général.

Ce dernier point est essentiel. Il est considéré comme l’élément déclencheur permettant tout le reste. Cela se reflète dans la position du Parti Communiste Français lors de son Xe congrès au milieu de l’année 1945 :

« Le Xe Congrès, au nom des 900 000 MEMBRES DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, appelle solennellement les camarades socialistes à réaliser, avec les communistes, leur UNITÉ au sein d’un GRAND PARTI OUVRIER FRANÇAIS ; cette UNITÉ donnera à la classe ouvrière de notre pays une force, un rayonnement, une capacité d’action et de rassemblement incomparable.

Et l’UNITÉ politique de la classe ouvrière, loin d’être un obstacle à la réalisation d’une large UNITÉ NATIONALE, en sera, au contraire, le plus sûr garant, car un GRAND PARTI OUVRIER FRANÇAIS, réalisant en son sein l’UNITÉ politique de la classe ouvrière, pourra jouer un rôle décisif dans le rassemblement de toutes les forces progressives démocratiques du pays.

EN AVANT, donc, sous le drapeau de l’UNITÉ de la classe ouvrière et de l’Union de la Nation française !

EN AVANT, avec courage, audace et confiance pour la RENAISSANCE DE L’ÉCONOMIE et de la DÉMOCRATIE dans notre PAYS, pour une FRANCE LIBRE, GRANDE, FORTE ET DÉMOCRATIQUE.

EN AVANT POUR LA RÉALISATION DU GRAND PARTI OUVRIER FRANÇAIS !

VIVE LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, auquel par milliers et par milliers, hommes et femmes de FRANCE, vous donnerez votre adhésion pour travailler à la grandeur de la France et à la puissance de la République.

VIVE LA FRANCE !

VIVE LA RÉPUBLIQUE ! »

Si le positionnement français correspondait toutefois en apparence à celui de tous les autres Partis Communistes dans leur ligne national-démocratique, le cadre politique réel avait sa particularité.

Il y a en effet quatre cas de figures concernant la situation, modifiant de fait la réalisation possible des tâches.

Dans la majeure partie de l’Europe de l’Est, l’armée rouge avait été l’élément central pour vaincre le régime et ses troupes étaient sur place. C’était le cas pour la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la partie orientale de l’Allemagne.

La milice populaire en Pologne

Dans deux pays, le mouvement armé de résistance dirigé par le Parti Communiste avait joué le rôle principal et l’armée rouge n’était pas présente : l’Albanie et la Yougoslavie.

Dans un pays, la guerre anti-nazie s’était transformé en guerre contre un régime passé sous la coupe de l’impérialisme britannique, puis de l’impérialisme américain. C’est la Grèce où la guerre civile va durer plusieurs années.

Enfin, dans deux pays, en France et en Italie, la Résistance dirigée par les Communistes a intégré le Front mis en place par la bourgeoisie réinstaurant un appareil d’État à son service.

Les tâches national-démocratiques sont ainsi :

– réalisables dans la majeure partie de l’Europe de l’Est en raison de l’hégémonie militaire de l’armée rouge, à condition d’avoir un Front suffisamment puissant pour donner un élan ;

– réalisables en Albanie et en Yougoslavie de par l’hégémonie de la Résistance dirigée par les communistes :

– non réalisables en Grèce en raison de la guerre civile en cours ;

– non réalisables en France et en Italie en raison de l’existence d’un État dirigé par la bourgeoisie.

Ces différences de situation sont essentielles et vont décider de tout le développement à suivre.

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Les fronts nationaux démocratiques menant aux démocraties populaires

Dans la seconde moitié des années 1930, l’Internationale Communiste a mis en avant le Front populaire comme moyen de faire obstacle au fascisme. Elle cessa son activité en 1943 mais, parallèlement, les Partis Communistes qui en avaient fait partie et qui faisaient face à l’occupation nazie ou à des régimes fascistes pro-nazis mirent en place une ligne y correspondant.

Un front national-démocratique devait être mis en avant afin d’unifier l’ensemble des forces opposées aux régimes fascistes. Ce Front fut donc proposé sans distinction à tous les partis opposés au régime fasciste, donc jusqu’aux partis bourgeois non nationalistes, du centre, chrétien, etc.

Sa base était nationale, au sens de pour l’indépendance ; sa symbolique reprend les couleurs nationales. Cela devait souligner qu’une petite minorité aux commandes de la guerre et du fascisme étaient hostiles à tout le reste du pays.

Sa base était également démocratique, car il s’agissait de liquider les institutions établies par cette petite minorité aux commandes.

L’armée rouge à Budapest

En France est ainsi mis en place un Front National en 1941, alors qu’en Allemagne on a en 1943 un Comité national pour une Allemagne libre, puis en 1945 un Bloc des partis antifascistes-démocratiques et en 1949 un Front National de la République Démocratique Allemande.

En Albanie, il y a un Front de Libération Nationale en 1942, qui devint le Front Démocratique en 1945 ; en Tchécoslovaquie, un Front National des Tchèques et des Slovaques est mis en place en 1943.

En Grèce, on a le Front de Libération Nationale fondé en 1941, en Italie le Front populaire démocratique en 1948.

En Bulgarie, il y a un Front patriotique fondé en 1942 ; en Roumanie, on trouve un Front National Démocratique fondé en 1944 ; en Pologne, c’est un Bloc Démocratique en 1947, puis un Front de l’Unité Nationale en 1952.

En Yougoslavie, c’est un Front Uni de Libération populaire fondé en 1944 (devenant l’Alliance socialiste du peuple travailleur de Yougoslavie en 1953).

En Hongrie, on trouve le Front de l’Indépendance Nationale en 1944, devenant le Front populaire de l’indépendance hongroise en 1949.

Des combattants de l’Armée Grecque de Libération Populaire

Les positionnements de ces fronts étaient cependant très différents et on peut considérer qu’il existe quatre cas de figure.

Le modèle standard est celui où le Parti Communiste développe un élan suffisant pour être à la pointe du Front populaire qu’il a généré, galvanisant les masses populaires et s’arrogeant à la fois prestige et reconnaissance.

Le modèle inverse est celui où le Front disparaît au profit d’une alliance avec la bourgeoisie sous sa direction, comme en France et en Italie ; le Front populaire démocratique en Italie en 1948 est en fait un simple front électoral.

Il y a deux autres cas : celui où le Parti Communiste est très faible et à la traîne dans le Front et celui où il s’efface derrière le Front, n’apparaissant même plus publiquement.

Front national démocratique avec le Parti Communiste puissant comme moteurTchécoslovaquie, Grèce,
Bulgarie, Allemagne
Front national démocratique avec le Parti Communiste faible et suivisteHongrie, Pologne, Roumanie
Front national démocratique inexistantFrance, Italie
Front national démocratique remplaçant le Parti CommunisteAlbanie, Yougoslavie

Tous ces Fronts, au-delà des différences de mise en place, de situations, voire de conceptions, ont le même objectif : liquider la haute bourgeoisie et les dirigeants de l’armée, qui tous deux ont dirigé le pays pendant la guerre aux dépens de la population.

Dresde appelle
Plus jamais les bombes américaines sur nos villes
Toutes nos forces pour la préservation de la paix
Pour l’unification et la construction de notre patrie!

Le Front est national et démocratique. Il est national, car il veut éjecter la haute bourgeoisie soit qui a eu une visée impériale cosmopolite ou qui a suivi une telle visée en transformant le pays en satellite. Il est démocratique, car le régime mis en place par la haute bourgeoisie a consisté en une dictature fasciste opprimant les plus larges masses, ne servant que la haute bourgeoisie.

Ce que dit Walter Ulbricht dans son rapport à Berlin le 19 avril 1946 lors du XVe congrès du Parti Communiste d’Allemagne est ainsi valable dans tous les pays où il y a front national démocratique :

« La question essentielle qui se pose présentement en Allemagne est de se débarrasser des bases matérielles de l’impérialisme et du militarisme allemands, et la lutte contre les idéologies impérialistes et militaristes.

Il ne doit pas être de nouveau permis aux forces impérialistes réactionnaires, aux messieurs des monopoles et de la banque et aux grands propriétaires terriens d’utiliser la démocratie dans leur combat contre l’ordre démocratique et pour la reconstruction de leurs organisations réactionnaires.

Le malheur national de notre peuple a tenu justement en cela que les forces réactionnaires aient réussi, à tous les tournants décisifs dans l’histoire allemande, à avoir le dessus sur les forces progressistes.

La tâche nationale fondamentale est pour cette raison présentement d’arracher le pouvoir aux porteurs de cette politique réactionnaire, pillarde, ennemi du peuple. »

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L’élégance et l’élan dans la sculpture de Zsigmond Kisfaludi Strobl

Formé de manière académique mais tourné vers le réalisme, le sculpteur hongrois Zsigmond Kisfaludi Strobl (1884-1975) a réussi le saut qualitatif vers le réalisme socialiste, contribuant à la culture universelle en son domaine.

[html] L’élégance et l’élan

[html] Le trait monumental

[html] Le Monument de la Libération

[html] « Le peuple hongrois reconnaissant à Staline »

Zsigmond Kisfaludi Strobl et « Le peuple hongrois reconnaissant à Staline »

Zsigmond Kisfaludi Strobl a réalisé d’innombrables productions, allant des petites figurines en porcelaine à des petits bronzes, en passant par les plaques et des œuvres monumentales, célébrant le travailleur, le footballeur, le pharmacien, l’architecte, etc. Il a exprimé un élan et une élégance proprement hongrois, en mettant en place des productions réalistes.

C’est cependant par la composition qu’il parvient à faire en sorte que le caractère monumental possède une réelle charge. Le peuple hongrois reconnaissant à Staline, de par sa taille restreinte, montre comment il a même établi une véritable contribution au réalisme, en insérant la dimension monumentale dans la composition elle-même.

Sans être d’une taille écrasante, l’oeuvre réalisée pour l’anniversaire de Staline en 1949 porte le monument en elle. C’est un chef d’oeuvre d’une immense portée.

L’oeuvre existe initialement en deux versions. L’originale, en marbre, est théoriquement au musée Pouchkine de Moscou, mais en pratique elle s’est retrouvée dès 1950 au musée des arts de Stalino. Par la suite, avec la victoire du révisionnisme de Khrouchtchev, Stalino prend le nom de Donetzk, et l’oeuvre est déplacée au palais de la culture et sa provenance oubliée autant que sa nature.

Une copie a été installée à Budapest, mais elle a été détruite durant l’insurrection anti-communiste de 1956.

Collection Fortepan
Collection Fortepan

Le peuple hongrois reconnaissant à Staline est magistrale et historique, parce qu’elle est une expression du passage à la monumentalité sans monument, de par l’intensité accordée au rapport dialectique entre le réalisme et la densité matérielle propre à la sculpture.

C’est une oeuvre ainsi classique, mais ancrée dans le réel.

Ce qui triomphe en effet, c’est la dimension humaine avant tout. Celle-ci n’est pas un support pour l’allégorie : c’est bien celle-ci qui reconnaît comme principal le réel. Si l’on porte son regard sur le personnage féminin en tant que tel, non pas en le séparant de la composition, mais en lui reconnaissant sa part, on voit qu’il s’agit d’une figure réelle, concrète.

Sa tenue, son physique, sa posture… tendent à une dignité, qui accorde un caractère monumental. Il ne s’agit pas d’une oeuvre formellement abstraite caricaturant la femme travailleuse.

Cela est particulièrement marquant quand on voit la main reflétant la posture d’ensemble. La nature réelle de cette main, la subtilité de ses doigts qui sont comme saisissant ou retenant les épis de blé – elle représente la paysannerie – rendent cette scène vivante, vraie, authentique, existante.

La main de l’homme – qui représente la classe ouvrière – agrippe fermement un marteau, dans une scène pareillement tout à fait réelle. Il ne s’agit pas d’une allégorie abstraite, mais d’être concrète portant leur propre dignité jusqu’à une représentation imagée.

Les deux mains se saisissant, image de l’alliance entre la paysannerie et la classe ouvrière, ne pourraient pas avoir de valeur si ce n’était pas une authentique représentation de mains appartenant à un couple.

Si l’homme est trop musclé – ce qui renforce trop le côté allégorique – il s’efface sur le plan physique dans le couple, ce qui rétablit l’harmonie. Il faut dire ici qu’il exprime également la soif de vivre, par la santé et la vigueur, par opposition à la femme qui représente clairement une dimension plus subtile, moins brute. Les deux vont d’ailleurs très bien ensemble.

Le caractère formidable de l’oeuvre tient bien entendu surtout à la composition de la famille. L’ouvrier et la paysanne ne se conjuguent pas seulement avec les enfants, ils se répondent dialectiquement. Les membres du couple sont mis sur un pied d’égalité, de manière statique, mais les enfants eux vont de l’avant, ils expriment l’avenir mais surtout ils expriment, de par leur mouvement inégal, le développement.

La guirlande, en remerciement à Staline, permet d’éviter la rupture dans ce mouvement inégal, de par sa taille et le fait qu’elle enveloppe les deux enfants, fermant leur marche et les ramenant dans l’espace du couple, mais également de par sa composition avec de multiples fleurs, donnant une impression de multiple par rapport à l’unité de l’oeuvre, et également de pesanteur comme pour équilibrer l’avancée des enfants.

Une vue en contre-plongée permet d’encore mieux saisir l’importance des pas, de la flexion des jambes. On comprend très bien la démarché de Zsigmond Kisfaludi Strobl si on saisit comment il combine l’élégance et l’élan. Ici, c’est absolument exemplaire.

Est également admirable dans l’oeuvre la dialectique masculin-féminin, parfaitement représentée pour le couple comme pour les enfants, et on notera qu’il n’y a bien entendu pas le féminin d’un côté, le masculin de l’autre, ce qui aurait nui au caractère dialectique.

On a également, comme pour le couple, un féminin plus subtil, plus profond qu’un masculin plus pratique, comme on le voit d’ailleurs avec l’uniforme.

On notera que, dans le mouvement des enfants, les deux pieds gauches sont parallèles. Ils descendent ainsi l’escalier ensemble, mais séparément, dans l’esprit de la dialectique masculin-féminin.

Zsigmond Kisfaludi Strobl, maître du classicisme capable de porter le réalisme, et inversement, a ici produit une oeuvre réaliste classique, témoignage du nouveau classicisme qu’est le réalisme socialiste.

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Zsigmond Kisfaludi Strobl et le Monument de la Libération

La colline Gellért de Budapest abrite le Monument de la Libération érigé en 1947 pour fêter le second anniversaire de la libération par l’armée rouge.

Zsigmond Kisfaludi Strobl a ici formé une oeuvre entière et puissante, un chef d’oeuvre. On a en effet une grande statue allégorie de la victoire surplombant un soldat de l’armée rouge, avec sur les côtés un homme terrassant un dragon et un jeune transportant un flambeau.

Ce monument a été très largement remodelé depuis par nécessité d’anticommunisme.

Le soldat de l’armée rouge a été enlevé, la statue ayant déjà dû être refaite après sa destruction lors de l’insurrection anti-communistes de 1956. Les inscriptions en l’honneur de l’armée rouge ont depuis enlevées également, etc.

C’est que l’oeuvre, surplombant Budapest, était en soi une ode au communisme, le symbole de la victoire de la république populaire.

Le personnage féminin de 14 mètres qui surplombe le groupe a ceci de très intéressant qu’il présente une certaine rigidité, rendue nécessaire par sa hauteur et son prolongement du long socle-piédestal. La figure culmine ainsi à 40 mètres de hauteur.

Or, cette rigidité est précisément atténuée par trois éléments. Il y a d’abord la feuille de palmier tenue à bout de bras, permettant de « fermer » la représentation et d’y apporter une touche atténuante par rapport à la rigidité, avec les éléments du végétal s’orientant dans plusieurs directions, d’ailleurs contradictoires, vers le haut et le bas.

Il y a ensuite le drapé formant l’habit porté, qui est littéralement une sorte de contenant d’où s’extraie le corps devenant porteur lui-même. Cela fait une sorte d’emboîtement très significatif.

Collection Fortepan

Les trois autres éléments présentent chacun leur particularité. Sur l’un des côtés, on a une figure terrassant un dragon, avec une dimension réaliste s’effaçant pratiquement entièrement derrière l’allégorie. Cela étant, il y a un mouvement qui a un sens dans la mesure où cela correspond au mouvement de la statue lui faisant pendant.

Collection Fortepan

La figure au flambeau est en effet allégorique, atténuant l’effet massif qu’aurait eu une celle de ces statues si isolée. Le côté triomphant – une sorte d’élan porté à son paroxysme allégorique, d’élégance rendue solide de par le contexte historique d’adversité – l’emporte.

Collection Fortepan

La troisième figure prend alors tout son sens, car elle se situe entre les deux éléments sur le côté et son prolongement vertical consiste en la figure féminine allégorie de la victoire. Il y a ici un côté démonstratif – idéologique correspondant au choix de l’endroit. Le réalisme est au service de la cause de manière relativement directe, de par la fonction idéologique.

Source wikipédia

Le Monument de la Libération est ainsi une oeuvre allégorique plus que réaliste, mais elle n’aurait pas être produite sans la base réalisme qui est son fondement même, même si extrapolé.

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Zsigmond Kisfaludi Strobl et le trait monumental

La capacité de Zsigmond Kisfaludi Strobl à combiner l’élégance et l’élan, dans une formulation typiquement hongroise ou plus exactement caractéristique – national, n’empêche pas une capacité à aller vers un sens du monument, une direction particulièrement tendancielle dans la sculpture, et naturellement pleine de risques de par le risque d’une approche en termes purs de « masse ».

La représentation du poète progressiste et anti-nationaliste Ady Endre (1877-1919), réalisé en 1955, montre de par sa finesse que l’écueil a été évité, que toute tendance à densifier artificiellement a été évacué. La statue, ici de bronze, reste humaine, elle représente pleinement, tout en conservant ici très précisément le rapport dialectique entre élégance et élan.

On sent toute la profondeur du poète, préoccupé par la vie en elle-même.

Est indéniablement intéressante également la statue de François II Rákóczi, ce souverain progressiste de Transylvanie qui s’opposa aux Habsbourg. On y retrouve une posture de suzerain, mais avec une certaine bonhomie ou bienveillance de par la position du corps, avec toujours ce petit retrait, ce sorte d’élan comme maîtrisé, d’élégance contenue.

Source wikipédia

On parle là de figures historiques et il est évidemment plus malaisé de présenter de manière monumentale une figure anonyme, même si c’est par l’allégorie. On voit la différence avec L’accusateur, de 1949.

Source : wikipédia

Zsigmond Kisfaludi Strobl va en fait systématiser le classicisme pour éviter de basculer dans un formalisme historique. Pour cela, il va procéder à des compositions. C’est par la composition qu’il va aboutir à des chefs d’oeuvres.

La place Lajos Kossuth de Budapest, du nom de la grande figure patriotique – républicaine de 1848, n’accueille plus le monument réalisé dans l’immédiate après-guerre de Zsigmond Kisfaludi Strobl. Celui-ci fut déplacé et remplacé par une copie d’une oeuvre existant après 1945.

Cette oeuvre de 1952 fait de Lajos Kossuth (qui fait ici cinq mètres de haut) comme symbole national, avec sur les côtés, façonné par des aides (András Kocsis et Lajos Ungvári), une paysanne avec un enfant, un paysan, un soldat, un ouvrier (avec un fusil), un étudiant (avec une épée), un jeune (avec un pistolet).

Lajos Kossuth y est élégant et plein d’élan. Il est dans une posture relevant d’une contenance magistrale ; Zsigmond Kisfaludi Strobl ne tombe pas dans le travers d’un écrasement par la masse de matière.

Collection Fortepan
Collection Fortepan
Collection Fortepan
Collection Fortepan
Collection Fortepan
Collection Fortepan

Parvenir au trait monumental, apogée de la sculpture, tout en conservant la finesse, place Zsigmond Kisfaludi Strobl dans la lignée de Michel-Ange. Il développe le réalisme, dans le cadre du classicisme.

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Zsigmond Kisfaludi Strobl, l’élégance et l’élan

Zsigmond Kisfaludi Strobl est un sculpteur hongrois né en 1884 dans le village d’Alsórajk (dans l’ouest du pays) et décédé à Budapest en 1975. Titan du réalisme, il a produit des oeuvres relevant du meilleur patrimoine culturel de l’humanité.

Il a étudié une année à Vienne, la Hongrie relevant alors de l’Autriche-Hongrie, puis de 1904 à 1908 à la Magyar Képzőművészeti Egyetem, l’université des Beaux-Arts de Budapest, où il sera enseignant de 1924 à 1961. Très vite reconnu dans son pays, ainsi qu’à l’international, ses œuvres sont initialement ancrées dans l’académisme.

En preuve cette statue pour la tombe de Flóris Korb, un architecte décédé en septembre 1930. On a un caractère réaliste, un mouvement naturel pour la statue, mais celle-ci intègre un ensemble formel et cela lui confère un trait forcé, une attitude formelle.

La statue semblé posée, décorative, directement fonctionnelle et cela reste ainsi dans un ton académique. C’est bien fait, joliment fait, il y a une patte artistique, mais c’est sans âme.

Source wikipédia

On remarque toutefois immédiatement comment l’oeuvre est façonnée avec élégance, avec un certain élan typiquement hongrois dans la formulation. On a cela de manière bien plus marquée, même si avec une approche empreint de cubisme, avec son Soldat de la révolution, en 1918. L’oeuvre fait 71 cm.

L’excavateur, de 1946, bien que pour le coup formulée de manière plus brute, témoigne de cette même approche, avec une grande attention portée à l’action façonnant l’ensemble des éléments du corps, le visage reflétant le moment de tension. La facture réaliste de l’ensemble est éminente.

Le hussard équestre, de 1928 (et faisant 24 cm), montre comment l’élan et l’élégance vont de pair, chez Zsigmond Kisfaludi Strobl, avec un certain positionnement en arrêt, une sorte d’effet de retrait, très prononcé ici chez le hussard mais également présent de manière marquée chez le cheval.

Dans ce dernier cas, il n’y a pas que le visage de celui-ci qui compte, il faut regarder l’admirable positionnement des pattes, avec un effet d’arrêt et de tension en même temps, extrêmement subtil.

L’archer, de 1918, est emblématique de cette démarche. On est ici dans une démarche académique entièrement tournée vers le classique, ce même classique étant travaillé par une puissante tension typique du classicisme lui-même, mais qui se voit ajouter un esprit de courbe pour renforcer le caractère réel de la figure.

C’est un classicisme détourné, où le réel l’emporte sur la facture, où la dignité du moment n’est pas qu’un témoignage au service d’une expression. L’approche est puissamment élégante, une harmonie d’ensemble s’imprime sur l’ensemble.

Collection Fortepan

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Le second pas vers l’unité socialiste-communiste en 1932

Le 23 novembre 1932, la direction du Parti socialiste (la Commission Administrative Permanente, C.A.P.), avait décidé d’apposer des affiches dans la région parisienne, en accord avec les Fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise.

Ces affiches allaient dans le sens de l’unité de classe, dans le prolongement du message du Parti d’Unité Prolétarienne et du Parti Communiste Français en octobre.

Il faut se rappeler ici que les ouvriers de la Seine, c’est-à-dire de la région parisienne, sont les plus actifs dans toute la France, que la région est même le bastion de l’activisme révolutionnaire. C’est aussi, au sein du Parti socialiste SFIO, le bastion de l’aile gauche.

Celle-ci s’est structurée, sous l’impulsion de Jean Zyromski et Bracke-Desrousseaux, sous la forme de la « Bataille socialiste » fondée en 1927. Initialement une simple plate-forme, la « Bataille socialiste » a fini par consister en une véritable tendance à partir de 1929.

La « Bataille socialiste » rejoint en fait au sujet de l’URSS les positions de la très puissante social-démocratie autrichienne, qui irradie alors la social-démocratie. Depuis le départ, les sociaux-démocrates autrichiens rejettent le bolchevisme qu’ils considèrent comme une déviation autoritaire et volontariste. Cependant, ils considèrent que cela s’explique historiquement et ils soutiennent l’URSS qui est selon eux socialiste.

La « Bataille socialiste » se rapproche de cette conception au sens où c’est la planification soviétique et son succès qui l’impressionne et en qui elle voit une grande source d’inspiration.

Par contre, la « Bataille socialiste » n’est pas de tradition social-démocrate et, par conséquent, adopte une approche volontariste-idéaliste, dans la tradition « socialiste » française, notamment dans le style « dur », de facture syndicaliste-révolutionnaire, de la région parisienne.

D’ailleurs, le dirigeant de la « Bataille socialiste », Jean Zyromski, est ouvertement sur la ligne d’un équilibre et d’une double reconnaissance entre Parti d’un côté, syndicats et coopératives de l’autre, étant ainsi clairement sur la ligne socialiste française résolument anti-social-démocrate d’avant 1914.

Cette combinaison de volontarisme et de fascination pour la planification va aboutir, avec la crise de 1929 et ses conséquences, à reprocher à la direction du Parti socialiste SFIO de ne pas aller assez de l’avant en termes de proposition et de démarche.

Les affiches parisiennes de la fin novembre 1932 sont une expression de cette situation interne chez les socialistes. On y lit la chose suivante :

« L’UNITÉ ? OUI, NOUS LA VOULONS
Aux Travailleurs de la région parisienne

Citoyens,

Le 14 octobre, le secrétaire général du Parti d’Unité prolétarienne adressait un appel en faveur de l’unité de classe des travailleurs au Parti socialiste et au Parti communiste.

Le 29 octobre, après avoir délibéré sur cette proposition, nous répondions publiquement :

1° Que toute tentative loyale vers une recherche de cette unité trouverait toujours parmi nous l’accueil le plus favorable ;

2° Que nous étions, d’ores et déjà, disposés à désigner nos délégués à une réunion préparatoire où seraient fixées les bases morales et politiques de conversations ultérieures, étant entendu expressément que la première des conditions acceptées de tous devrait être la cessation immédiate des polémiques injurieuses et des calomnies grossières de parti à parti.

Le 1er novembre, le Secrétaire général du Parti d’Unité prolétarienne se déclarait d’accord avec nous.

Il ne restait plus qu’à attendre la réponse du Parti communiste.

Elle parut dans l’Humanité du 4 novembre et fut reproduite intégralement dans le Populaire du lendemain.

Tous les citoyens de bonne foi ont alors pu se rendre compte qu’à la proposition du Parti d’Unité prolétarienne, a la réponse socialiste, qui laissait toutes les possibilités ouvertes, le Bureau politique du Parti communiste opposait la plus catégorique et la plus injurieuse des fins de non recevoir.

Le comble, après cela, c’est de voir maintenant le Parti communiste organiser un meeting à Bullier, le 2 décembre, où, d’après l’Humanité seraient invités « M. Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste, et M. Paul Louis, secrétaire du P. U. P. », pour participer à une « controverse » sur la question de l’unité révolutionnaire du prolétariat.

Bien entendu, nous n’avons reçu aucune invitation, et d’autre part, nous savons, par expérience, ce que signifie la controverse dans une réunion communiste.

Le Parti d’Unité prolétarienne a répondu que « c’est par la voie de négociations de parti à parti, et non par la voie de meetings qu’on aboutira à des résultats ».

Nous partageons naturellement cette manière de voir.

Mais, ne voulant endosser aucune responsabilité ni encourir aucun reproche dans le maintien des divisions ouvrières et des abominables querelles fratricides qui font obstacle à la marche en avant du prolétariat, nous n’écartons nullement l’idée d’une controverse et d’un meeting.

Seulement, même pour un meeting, il faut une entente préalables sur les points suivants ;

Bureau commun ;

Nombre égal de cartes d’assistants mises à la disposition des organisations participantes ;

Engagements réciproques d’éviter de part et d’autre, des injures et des violences.

Sans ces précautions élémentaires, la prétendue controverse aboutit à une bagarre et la soi-disant invitation à un guet-apens.

Quand le Parti communiste sera, disposé à discuter sur ce terrain de loyauté cl de franchise, la conversation pourra utilement s’engager.

D’ici là, et nous le déclarons une fois pour toutes an peuple de l’agglomération parisienne, qui jugera
l’attitude des uns et des autres, nous n entendons être ni les dupes, ni les victimes de manœuvres et de traquenards qui ne trompent plus personne sur les intentions de ceux qui y ont recours.

VIVE L’UNITÉ OUVRIÈRE ET SOCIALISTE !

Pour la C. A. P. du Parti Socialiste (S.F.I.O.) :
Paul FAURE,
Secrétaire général.

Pour la Fédération de la Seine du Parti (S.F.I.O.) :
E[mile]. FARINET,
Secrétaire fédéral.

Pour la Fédération de Seine-et-Oise du Parti (S.F.I.O.) :

[Eugène] DESCOURTIEUX,
Secrétaire fédéral

La réponse communiste est alors positive et le pas vers une initiative unitaire était donc réalisée.

« 1er décembre 1932

Citoyen Paul Faure, secrétaire du parti socialiste (S.F.I.O.)
Citoyen,

Le Bureau politique du Parti communiste, après avoir pris connaissance du texte de l’affiche commune de la C. A. P. [c’est-à-dire la direction du Parti socialiste SFIO] et des fédérations socialistes de Seine et de Seine-et-Oise, déclare

1° Qu’il accepte la proposition d’organiser un bureau commun pour le meeting convoqué à Bullier et vous invite à déléguer le 2 décembre un de vos représentants auprès de lui pour discuter avec les organisateurs, en vue de régler la composition du bureau, l’ordre des orateurs et le temps de parole.

2° Le Parti communiste propose l’organisation de meetings sur le même sujet dans toute la France, avec les mêmes garanties.

3° Le meeting de Bullier étant public et ouvert aux ouvriers de toutes les tendances la question de l’unité de classe du prolétariat débordant largement le cadre des organisations il ne saurait être
question d’en interdire l’accès aux masses inorganisées. D’ ailleurs, l’histoire du mouvement ouvrier français est pleine de ces controverses publiques dont nous ne citerons que l’exemple fameux de l’hippodrome de Lille entre Jaurès et Guesde. La crainte que les meetings publics sur la question de l’unité ouvrière soient un traquenard et se transforment en bagarres est absolument démentie par de récents exemples, dont celui du meeting des travailleurs des services publics d’hier, 30 novembre.

4° Le Bureau politique du Parti communiste, qui connaît la discipline de classe du prolétariat parisien et du prolétariat français, est convaincu que les orateurs de toutes tendances auront la plus grande liberté d’expression.

5° Il ne saurait être question, dans une telle controverse, d’échanger des injures. Il s’agit simplement de permettre a chaque représentant de nos partis d’exposer sans restriction nos conceptions différentes sur les moyens qui conduisent à l’unité du prolétariat.

Nous pensons que ces précisions vous offrent toutes les garanties désirables et nous renouvelons instamment au citoyen Paul Faure ou à tout autre représentant de la C. A. P. ou des fédérations socialistes de Seine et de Seine-et-Oise, l’invitation qui vous a été faite par lettre en date du 22 novembre.

Salutations communistes.

Pour le Bureau politique, du Parti communiste français

Le secrétaire : M. Thorez »

Le grand meeting unitaire du 2 décembre 1932 à la salle Bullier à Paris rassembla 8 000 personnes.

Cependant, ni Paul Faure ni Paul Louis, les dirigeants respectivement du Parti socialiste SFIO et du Parti d’Unité Prolétarienne, ne vinrent. Du côté communiste, cette absence était considérée comme une « dérobade » explicable par le fait que c’est le Parti Communiste français qui était au centre du jeu avec la question de la guerre.

Il est vrai que les orateurs socialistes tirèrent à boulets rouges sur la direction de leur propre parti, appelant les socialistes à réaliser l’unité avec les communistes, à soutenir la révolution russe :

« Nous sommes décidés à marcher avec vous pour vos revendications de classe, non seulement sur le terrain syndical, mais aussi le terrain politique, et pour la défense de l’Union soviétique. »

Maurice Thorez, de son côté, appela à refuser un nouveau « 4 août 1914 », et par conséquent à rompre avec la bourgeoisie afin d’être en mesure de réaliser le front unique. Quant au rapport avec le Parti socialiste SFIO et le Parti d’Unité Prolétarienne, Maurice Thorez précisa qu’il faut

« renouer les traditions des grands débats organisés. »

Une réunion en ce sens eut lieu le 16 janvier 1933. Et c’est dans ce contexte de rapprochement contradictoire qu’un événement provoqua un électro-choc : la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne.

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Le premier pas vers l’unité socialiste-communiste en 1931

L’impact du congrès d’Amsterdam fut immense dans les rangs ouvriers et débloqua une situation marquée auparavant pour le Parti Communiste Français par un certain isolement. Celui-ci cherchait toujours à dépasser le Parti socialiste SFIO, à aspirer sa base, mais sans succès. Les attaques étaient d’ailleurs permanentes de l’un envers l’autre.

La position du Parti Communiste Français au sujet du Parti socialiste SFIO était la suivante dans le programme électoral de 1931 :

« A gauche, le parti socialiste S.F.I.O., qui n’a plus de socialiste que le nom, se présente faussement comme un parti de la classe ouvrière. Il n’est, en réalité que la principale agence de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat.

Comme ceux de la droite et du centre, malgré sa composition et son influence ouvrière, il n’est, dans ses buts et dans sa politique, qu’un parti de la bourgeoisie.

Les points de la charte de l’ancien parti socialiste d’avant-guerre dont il ose quelquefois se réclamer, ne font que mieux souligner sa transformation d’ancien parti réformiste en parti impérialiste, son développement social-fasciste et son reniement complet.

Il est l’ennemi le plus dangereux de la classe ouvrière parce que mieux que tout autre il sait couvrir par des paroles pseudo-révolutionnaires ses actes réactionnaires et illusionner les ouvriers et les paysans pauvres qui croient pouvoir lutter sous sa direction contre les bourgeois exploiteurs, contre la réaction et pour la paix. »

L’initiative anti-guerre du congrès d’Amsterdam modifiait cependant la donne, par une grande activation de la base ouvrière. Ainsi, le 30 novembre 1932, 8 000 travailleurs municipaux de la Seine, des services hospitaliers de la Seine et des PTT se réunirent à la salle Bullier à Paris, rassemblant des militants de la CGT et de la CGT Unitaire.

Cette initiative réunissant des socialistes et des communistes était pourtant tout à fait en décalage avec les incessantes accusations faites de part et d’autres par les directions de chaque Parti. Mais elle reflétait en fait une tendance de fond qui ne cessera de prendre le dessus à partir du congrès d’Amsterdam.

C’est qu’en plus de la question toujours prégnante de la guerre – le gouvernement organise des manœuvres militaires avec la population dans les régions aux frontières avec la Belgique et l’Allemagne – il y a un problème très net dans le contexte historique d’alors.

Les communistes sont les plus actifs, mais ils ne dépassent pas un plafond de verre. La rectification n’a rien changé à ce niveau. Quant aux socialistes, ils ne sont pas assez en activité aux yeux d’une base socialiste touchée par la crise et en décalage avec le jeu de positions perpétuel d’une direction privilégiant les options gouvernementales.

Cette situation permettait l’existence entre les socialistes et les communistes d’un petit « Parti d’unité prolétarienne », fondé en décembre 1930 par des exclus du Parti Communiste français provenant du Parti socialiste communiste fondé en 1924 avec notamment Ludovic-Oscar Frossard (ancien secrétaire général du PCF en 1920-1923) et du Parti ouvrier et paysan fondé en 1929 par Louis Sellier (ancien secrétaire général du PCF en 1923-1924).

Le Parti d’Unité prolétarienne rejetait le bolchevisme mais se voulait plus à gauche que la SFIO ; de par sa position coincée, il devait soit parvenir à une unité avec les socialistes et les communistes, soit rejoindre les premiers.

Le 14 octobre 1932, ce Parti d’Unité prolétarienne avec son secrétaire général, Paul Louis, envoya un texte d’unité destiné aux socialistes et aux communistes, ou plus exactement de quête d’unité en proposant une voir pour « rechercher les éléments doctrinaux d’une unité future ».

Le 16 octobre, Maurice Thorez y répondit indirectement, et favorablement, dans l’Humanité par un article, « Le chemin de l’unité de classe ». C’est qu’avec la ligne anti-guerre, le Parti était désormais à l’initiative politiquement. Voici ce que dit l’article :

« Les thèses de la XIIe assemblé du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste constatent qu’en France « il se produit une forte poussée du mouvement révolutionnaire contre la guerre. »

Le sûr instinct des travailleurs leur fait découvrir, sous le masque hypocrite des formules de paix et de sécurité, abondamment répétées par les gouvernants et leurs soutiens socialistes, la très réelle politique de guerre de l’impérialisme français.

La France n’est plus qu’un vaste champ de manœuvres. Sur terre, dans les plaines et en montagnes, dans les airs, le long des côtes, on exerce, et on tue les hommes, on expérimente le matériel, on met au point les engins de destruction et de mort.

Éclairés par des démonstrations guerrières, alertés par la propagande inlassable de notre Parti – qu’on se souvienne de nos campagnes de 1928, du 1er août 1929 et des calomnies et des quolibets social-fascistes, et aussi la répression, que cela nous valut alors – les travailleurs s’émeuvent et luttent contre la guerre.

La moisson d’adhésions au Congrès d’Amsterdam, la participation de délégués socialistes et confédérés [c’est-à-dire CGT], sont le double indice de l’angoisse croissante des masses populaires et de leur volonté de lutte contre la guerre.

Mais rien n’est plus dangereux et plus irritant pour la bourgeoisie et pour son principal soutien social, le parti socialiste, que l’action débutante des masses laborieuses contre la guerre devenue imminente.

Car l’action unie des masses, en s’élargissant et en épousant de multiples formes (manifestations contre les manœuvres, travail dans les usines de guerre et dans les transports pour parvenir au refus de la fabrication et du transport de matériel de guerre, travail antimilitariste, etc.) peut faire reculer la guerre et, dans tous les cas, préparer l’échec des plans de l’impérialisme français, même s’il parvenait à déclencher la guerre malgré nos efforts.

Car l’action unie des masses contre la guerre, suivant la juste recommandation du Congrès d’Amsterdam, en étant liée aux luttes partielles contre l’offensive patronale et gouvernementale et pour la défense du salaire et de toutes les revendications immédiates (conduite des grèves, des manifestations de chômeurs et des paysans pauvres) fera obstacle aux tentatives socialo-bourgeoises qui voudraient résoudre la crise économique dans le sens capitaliste, et fera progresser les masses dans le combat pour l’issue révolutionnaire à la crise.

Car l’action unie des masses laborieuses entamera plus profondément l’influence de la social-démocratie sur les masses, jusqu’à en assurer la liquidation, élargira la première fissure surgie dans le parti socialiste et dans la C.G.T., entre les ouvriers et militants du rang, honnêtes et désireux d’action révolutionnaire et leurs dirigeants devenus les agents conscients de l’impérialisme.

Tenter, par tous les moyens d’entraver l’action et de briser les premiers liens noués à l’occasion du Congrès d’Amsterdam entre les prolétaires socialistes et confédérés et leurs frères communistes et unitaires, telle est la tâche contre-révolutionnaire que remplissent le parti socialiste et la C.G.T. dans l’intérêt du capital.

Dans l’arsenal démagogique du parti socialiste, une arme des plus dangereuses pour la classe ouvrière, c’est la spéculation éhontée à laquelle se livre ce parti sur le sentiment profond, le désir sincère d’unité pour la lutte des travailleurs.

Dans le même moment où les procureurs de la C.A.P. [la Commission Administrative Permanente formant la direction du Parti socialiste] brandissent les foudres, excluent les ouvriers du rang, décident la dissolution de sections entières à cause de leur participation aux Comités de lutte préconisés par le Congrès d’Amsterdam, ils ont l’audace de parler de « front unique » et « d’unité ouvrière ».

Sous prétexte d’unité syndicale, Zyromski, du défunt comité des 22, recommande avec insistance la désagrégation de la C.G.T.U.

Il entend réaliser « l’unité organique » en faisant disparaître le Parti communiste, dont son chef de file, Blum, veut détruire les cadres.

Le parti socialiste, comme la C.G.T., comme la bourgeoise et pour les mêmes buts, voudrait briser les seules organisations qui luttent réellement à la tête des masses contre tous les méfaits de l’exploitation capitaliste et contre la guerre.

Plus grandit la menace de guerre, plus se déchaîne l’offensive capitaliste, plus aussi s’élève la protestation des masses et s’affirme le désir d’unité pour la lutte, plus les démagogues de la social-démocratie vont multiplier les manœuvres contre l’unité de la classe ouvrière, et plus nous devrons, nous, communistes, travailler avec patience au rassemblement des forces prolétariennes.

Notre Parti a fait quelques pas dans cette voie, ils sont encore insuffisants.

Les préventions sectaires subsistent dans nos rangs à l’égard des ouvriers socialistes et réformistes. Alors que se manifestent dans la presse et dans les organismes régionaux, certaines tendances à atténuer la critique du parti socialiste et surtout de son aile « gauche », on est amené à constater l’absence d’un véritable travail à la base en vue de convaincre et de gagner à la lutte chaque ouvrier socialiste.

La passivité opportuniste et le sectarisme se confondent, nourrissant les tendances liquidatrices. C’est le sectarisme qui empêche le pas décisif vers les ouvriers socialistes dans la région parisienne. C’est le sectarisme qui met obstacle dans la région du Nord au rapprochement avec les mineurs et les ouvriers du textile socialistes, qui facilite le jeu démagogique du parti socialiste, qui entrave par conséquent le développement de l’action, sans laquelle on ne démasquera pas le parti socialiste, on ne vaincra pas l’ennemi principal, la bourgeoisie.

Formulant concrètement les revendications immédiates, indiquant les moyens de lutte contre le patron, et de l’action générale contre la guerre, dans les entreprises et sur tous les terrains, nos organisations de base doivent se tourner résolument vers les ouvriers socialistes, faire éventuellement des propositions de lutte commune aux sections socialistes.

Par leurs actes opposés aux phrases du parti socialiste, les communistes indiquent le chemin de l’unité dans les rangs de la classe ouvrière. Le chemin de l’unité se fraye dans l’action sous toutes ses formes, dans l’action que, seul, avec les syndicats unitaires, notre Parti communiste et saura organiser et diriger jusqu’à la victoire finale. »

La situation se débloquait par ce premier pas.

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L’appel antiguerre du 22 mai 1932 et le congrès d’Amsterdam

Le Parti Communiste Français se sort de sa difficile situation en 1932 grâce à une initiative qui, bien entendu, trouve sa base dans l’Internationale Communiste.

Le 22 mai 1932 en effet, les écrivains Henri Barbusse et Romain Rolland publient un appel antiguerre dans l’Humanité, mettant en avant la conception d’un congrès en ce sens. Voici cet appel :

« Pendant que la Conférence du Désarmement battait son plein à Genève le Japon s’est jeté sur le continent asiatique. Il a massacré à Chapeï une immense population innocente. Il a mis la main sur la Mandchourie.

Grossièrement camouflée en République indépendante, la Mandchourie constitue de toute évidence la base stratégique de la guerre contre l’U.R.S.S. L’U.R.S.S. qui depuis quinze ans s’efforce d’édifier un monde nouveau sur la communauté des travailleurs, la répartition logique de la production, l’intérêt général, la coopération et l’abolition de l’exploitation et de l’oppression de l’homme par l’homme : sur des principes diamétralement opposés à l’anarchisme du système capitaliste.

L’U.R.S.S. a donnée à sa grande construction socialiste et humaine, résiste héroïquement depuis des mois aux provocations japonaises.

En Europe et surtout en Roumanie, en Pologne et dans les États limitrophes, on s’arme fiévreusement sous la direction des impérialismes occidentaux, parmi lesquels, l’impérialisme français qui pèse sur la politique de ses « États vassaux », joue un rôle prépondérant.

Nous voyons, en même temps, la recrudescence des militarismes, la montée fantastique des budgets de guerre, les armements démesurés se multipliant dans tous les Etats, la fabrication intensifiée des usines de guerre et de produits chimiques en France (Schneider-Creusot, Renault, Kuhlman), de, l’Allemagne (Krupp et de la métallurgie de la Ruhr), de la Tchécoslovaquie (Skoda), de la Roumanie et de la Pologne — et avec cela la préparation de l’assassinat de continents entiers par des moyens formidables de guerre chimique aérienne.

De toute évidence, c’est une nouvelle guerre mondiale qui nous menace.

Le courant de guerre, déclenché en Chine se dirige mathématiquement contre l’U.R.S.S. avec la complaisance et la connivence des grandes puissances impérialistes. On découvre sous cette agitation mondiale l’action des grands trusts capitalistes d’Occident; l’industrie lourde universelle dont les gouvernements apparaissent comme les agents.

La guerre contre l’U.R.S.S., cela veut dire une guerre mondiale, cela veut dire la ruine et la destruction de pays entiers et d’incalculables hécatombes de foules. Au milieu de ce tragique état de choses qui rend les jours où nous vivons comparables à ceux de 1913 et du début 1914, un seul devoir pour chacun et pour tous: comprendre l’imminence du cataclysme, pousser le cri d’alarme et de protestation qui alerte les pays et surtout chercher et trouver les moyens effectifs pour arrêter l’attentat de l’impérialisme contre les hommes.

Nous sommes fermement résolus à tout tenter pour empêcher le crime international et nous disons que personne ne doit aujourd’hui se tenir à l’écart des intérêts humains en jeu. Il faut enfin organiser pratiquement et solidement la mobilisation contre la guerre, dans la voie ouverte par tous ceux qui ont déjà entrepris cette lutte réaliste.

Nous appelons tous les hommes, toutes les femmes, sans tenir compte de leur affiliation politique, et toutes les organisations ouvrières — culturelles, sociales et syndicales, — toutes les forces et toutes les organisations, en masse! Qu’elles s’unissent à nous dans un congrès international de guerre contre la guerre.

Ce congrès aura donc pour tâche de susciter une grande œuvre de ralliement, une vague de fond contre la barbarie de la guerre recommençante. Sur le plan pratique, il faudra spécifier les moyens immédiats de dresser toutes les barrières possibles contre l’attentat généralisé qui s’élabore et que le premier prétexte venu suffit à déclencher.

II faut opposer, sur toute la ligne, préparatifs à préparatifs. Pour cela, tout dépend aujourd’hui de la conscience et de l’énergie de la classe ouvrière.

Le Congrès aura donc pour tâche d’éclairer avec précision la situation historique et de mettre les masses en face des réalités qui les menacent et d’organiser les volontés des travailleurs en bloc autour de leur patrie socialiste en danger.

Ce Congrès aura lieu le 28 juillet à Genève. Il s’élargira par la force des choses en une manifestation internationale, démasquera tous les fauteurs de guerre et tous leurs auxiliaires de toute espèce.

Évitons la honte de n’avoir pas compris la gravité de l’heure ou de l’avoir comprise trop tard. Éveillez votre conscience et affermissez votre volonté. Aidez-nous à organiser la résistance des masses! Aidez-nous à entraîner dans une marée redoutable ceux qui, une fois de plus, seraient voués à être les acteurs ou les victimes de la tuerie collective!

Romain ROLLAND, Henri BARBUSSE »

Le succès de l’appel des écrivains Henri Barbusse et Romain Rolland est à la fois immense et international. Immédiatement, 210 comités d’initiative se forment en France, sous l’impulsion de la Confédération générale du travail unitaire, alors que l’appel est republié dans une partie de la presse française (Monde, le Populaire).

Il y a rapidement 15 000 adhésions, plus de 2 000 étant individuelles et les autres collectives, dont de très nombreux organismes populaires, bien au-delà des réseaux communistes. On a ainsi la Fédération CGT des instituteurs (80 000 membres), la Fédération Nationale des Combattants Républicains (100 000 membres), etc.

Parmi les figures notables adhérentes, on trouve les scientifiques Albert Einstein et Paul Langevin, les écrivains Upton Sinclair, John Dos Passos, Theodore Dreiser, Karl Kraus, Maxime Gorki, Martin Andersen Nexö et Heinrich Mann, les philosophes Bertrand Russel et Félicien Challaye, les artistes Frans Masereel et Paul Signac, les figures politiques historiques comme Michel Karolyi et la veuve de Sun ya-Tsen, l’avocat Constantin Costa-Foru.

Le Parti Communiste Français appuie notamment le mouvement avec deux initiatives en région parisienne : les 3 et 4 juillet se tient tout d’abord une assemblée populaire contre la guerre, avec 2 764 délégués, dont 1 195 sont au Parti Communiste, 4 socialistes, 32 à la CGT Unitaire, 42 syndiqués autonomes, 215 entièrement inorganisés.

Ensuite avec un rassemblement de 20 000 personnes contre la guerre au stade de l’Unité à Saint-Denis le 31 juillet 1932.

Le congrès appelé le 22 mai 1932 se tint finalement quant à lui à Amsterdam et non à Genève, les 27, 28 et 29 août 1932.

Les 2 196 délégués (dont 492 de France) provenaient de 29 pays ; 291 étaient socialistes, dont 20 membres du Parti socialiste SFIO, dont la direction avait fermement combattu l’initiative du congrès.

Les congressistes, qui représentaient 30 000 organisations et 30 millions de personnes, mirent en place un « Comité mondial contre la guerre ».

Dans cette même perspective anti-guerre, les Partis Communistes d’Allemagne et de France firent une déclaration commune le 25 octobre 1932 et le 31 octobre le secrétaire général du Parti Communiste d’Allemagne, Ernst Thälmann, est applaudi par 10 000 personnes en France (en janvier 1933, à la veille de la prise du pouvoir par les nazis, c’est Maurice Thorez qui tient un discours à Berlin sur la tombe de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg).

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