Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Transformer et l’embedding

    Comment comprendre comment l’intelligence artificielle utilisant « Transformer » aborde une phrase ? On va prendre comme exemple « José aime danser la cumbia ».

    La cumbia est un genre musical dans un esprit de danse, née en Colombie et ayant irradié toute l’Amérique latine avec de multiples variations, notamment la chicha (ou cumbia tropicale) au Pérou.

    La première étape est le découpage de la phrase. Chaque mot devient un jeton pour la machine de calcul, en anglais un token.

    On a ici cinq tokens : « José », « aime », « danser », « la », « cumbia ».

    L’intelligence artificielle va ici attribuer des vecteurs à chaque mot. Cela donne par exemple [0.1, 0.2, 0.3] ; dans l’exemple donné ici, il y a trois vecteurs, mais en réalité, il y en a des centaines, des milliers.

    Chaque vecteur correspond à une dimension : on peut penser à un nom, un verbe d’action, une description d’émotion, etc.

    Cependant, il y a une erreur à ne pas commettre. On pourrait penser ici que les dimensions des vecteurs et le rapport entre ces vecteurs a été choisi rationnellement par des êtres humains, suivant différents critères : la grammaire, les familles de mots, les thèmes, les domaines concernés, etc.

    Il n’en est rien. L’intelligence artificielle fonctionne ici comme une caisse enregistreuse, sauf qu’au lieu de nombres, on lui donne des phrases. On prend tout internet, on lui fait avaler cela, et l’intelligence artificielle établit les vecteurs propres à chaque mot selon les statistiques.

    Dans l’exemple choisi, « aimer » et « danser » sont des verbes, mais le modèle Transformer ne les désigne pas comme tels : les textes qu’il a ingurgités les désignent comme des verbes, donc pour lui ce sont des verbes.

    Il s’aperçoit statistiquement que ces verbes se modifient selon certaines situation – en pratique, ils se conjuguent – et il prend cela en compte.

    Pour faire la distinction entre « aime » et « danser », le modèle Transformer ne « sait » donc pas qu’il s’agit d’un verbe conjugué et d’un infinitif. Il va rapprocher statistiquement d’autres mots terminant de la même manière, placés au même endroit, utilisés de la même manière, etc.

    C’est le premier aspect qu’il faut bien comprendre. L’interprétation d’un texte par l’intelligence artificielle, du type Transformer, se fait sur la base d’autres textes qui ont été au préalable analysés, et seulement ainsi.

    Si dans la très grande majorité des cas, l’intelligence artificielle a constaté que le mot marteau est associé au mot clou, alors elle s’attendra à ce que le mot clou apparaisse avec le mot marteau, et elle-même emploiera le mot clou si elle parle d’un marteau.

    Cela implique qu’une intelligence artificielle du type Transformer n’est pas en mesure de comprendre ou de répondre en s’alignant sur un mode de pensée qui n’a pas été assimilé par lui de manière au moins assez significative.

    Tout ce qui est nouveau, minoritaire, d’avant-garde, en développement inégal… reste incompris par lui. Mais il s’agira de revenir sur cet aspect.

    Ce qu’il faut déjà retenir ici, c’est l’association à la fois statique et statistique. Le modèle Transformer va par exemple rapprocher « roi » de « reine », car il voit souvent les deux mots ensemble, et il va effectuer une sorte de grand balayage de tous les mots pour saisir les interconnexions entre eux.

    Concrètement, des vecteurs sont attribués aux mots selon les interconnexions constatées dans l’assimilation de textes par l’intelligence artificielle, un processus appelé « embedding ».

    Donnons deux exemples pour bien saisir le principe. Les chiffres correspondent à l’évaluation générale des mots dans la grande digestion d’innombrables textes, cela correspond à une sorte de vaste classement, ou plutôt de rangement.

    Premier cas : on a « manger » et « dîner », deux mots qui sont liés à l’alimentation.

    manger → [0.12, -0.45, 0.89, 0.33, -0.67, 0.22, 0.54, -0.11, 0.77, -0.29]

    dîner → [0.10, -0.42, 0.85, 0.30, -0.65, 0.20, 0.50, -0.10, 0.75, -0.27]

    Dans ce premier cas, les valeurs sont proches, ce qui signifie que ces mots sont souvent utilisés dans des contextes similaires.

    Second cas : on a « manger » et « ordinateur », deux mots utilisés dans des contextes très différents.

    manger → [0.12, -0.45, 0.89, 0.33, -0.67, 0.22, 0.54, -0.11, 0.77, -0.29]

    ordinateur → [-0.78, 0.32, -0.44, 0.91, 0.15, -0.89, 0.03, 0.77, -0.56, 0.40]

    Dans ce second cas, les valeurs sont très différentes, indiquant une forte distance.

    En termes mathématiques, le calcul se fait avec le cosinus de l’angle entre les deux vecteurs :

    Cos(manger, dîner) ≈ 0.95 (très proche)

    Cos(manger, ordinateur) ≈ 0.12 (très éloigné)

    C’est ainsi que le modèle Transformer aborde les mots. Mais cet embedding n’est que la première étape.

    Cependant, avant de voir la suite, il faut bien comprendre la chose suivante : le texte « José aime danser la cumbia » n’a pas encore été utilisé en tant que tel par l’intelligence artificielle !

    Seuls les éléments constitutifs de la phrase ont été pris en compte et retrouvés dans la base de données, pour leur attribuer des valeurs issues de l’assimilation des textes et d’une évaluation statistique.

    C’est absolument fondamental.

    Tout comme pour les libertariens, la société est simplement un agrégat d’individus et la souveraineté d’un ensemble dépend des individus le composant, pour le modèle Transformer les mots sont des éléments uniques accordant indirectement de la valeur à un ensemble plus grand qui est la phrase.

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    L’intelligence artificielle, prolongement de la cybernétique

  • Les différentes intelligences artificielles : RNNs et CNNs

    Dans sa présentation, le document Attention is all you need explique qu’il propose de mettre en place un processus d’intelligence artificielle nouveau, et ce au moyen des « mécanismes d’attention, se passant totalement de récurrence et de convolutions ».

    Ces mots semblent en tant que tel incompréhensibles. Voici comment il faut les comprendre.

    Il existe trois types d’intelligence artificielle :

    – celle relevant de réseaux dits récurrents (RNNs), fondés sur la récurrence ;

    – celle relevant de réseaux dits convolutifs (CNNs), fondés sur la convolution ;

    – celle relevant du modèle dit « Transformer » proposé par Attention is all you need qui dit qu’on peut se passer « totalement de récurrence et de convolutions ».

    La révolution technologique de 2017 produite par Attention is all you need a fait que parler d’intelligence artificielle, c’est parler du modèle Transformer.

    Présentons déjà les deux anciens types d’intelligence artificielle.

    Les réseaux dits récurrents (RNNs) les plus connus sont :

    DeepSpeech qui fait de la reconnaissance vocale et est développé par Mozilla ;

    WaveNet qui fait de la génération vocale et est développé par DeepMind ;

    – l’ancienne version de Google Translate ;

    OpenAI GPT-1.

    On ne les utilise plus désormais que pour des systèmes embarqués où la puissance de calcul est limitée, pour la modélisation de séries temporelles (prévisions financières, météorologiques…), la génération de musique.

    La reconnaissance vocale de Siri et d’Alexa utilise une telle intelligence artificielle ; c’est un très bon exemple, car lorsqu’on donne un ordre à Siri ou Alexa, les phrases sont courtes.

    Ce type d’intelligence artificielle fonctionne en effet bien pour des phrases courtes, ou bien pour ce qui marche par séquence (d’où l’application capitaliste dans la musique, la bourse, la météo).

    Le mode de fonctionnement, pour faire simple, est le suivant : on prend un mot, on l’analyse, on prend le second mot, on l’interprète et on le rapproche du premier mot, puis on fait pareil avec le troisième mot, et ainsi de suite.

    On avance mot par mot, ce qui est long et implique d’avoir une « mémoire » prononcée afin de maintenir en contact les analyses effectuées – les connexions entre ces analyses sont dites récurrentes, elles se maintiennent à travers toute la boucle où on avance mot par mot.

    Et le souci, c’est que plus la séquence est longue, plus les liaisons entre les mots commencent à être ingérables, l’intelligence artificielle perdant le fil ou bien s’accrochant à une liaison surinterprétée.

    C’est d’autant plus un problème qu’il faut entraîner cette intelligence artificielle littéralement en la bourrant de phrases avec leur traduction, afin qu’elle se « souvienne » de quel mot va avec quel mot.

    Ici, on est encore dans la démarche robotique : s’il se passe ça, alors il doit y avoir ça, et ainsi de suite pour toute une chaîne d’éléments. Plus la chaîne est longue, plus il faut une puissance de calcul toujours plus grande et une mémoire à la fois massive et réactive.

    Les réseaux dits convolutifs (CNNs) étaient minoritaires avant 2017, mais ils sont encore relativement présents, car spécialisés sur la reconnaissance faciale et l’analyse d’image. Ils sont utiles également dans le domaine du son.

    Le principe est ici d’utiliser un filtre pour réaliser une cartographie d’une image ou d’un son, afin d’en souligner les caractéristiques. On appelle convolution l’évaluation faite pour chaque zone de l’image.

    On procède ensuite à la classification de l’image : il y tant de chances que l’animal sur l’image soit un chien, tant de chances qu’en fait ce soit un loup, etc.

    Il s’agit également de détecter des objets spécifiques, par exemple dans le cadre d’une voiture autonome qui doit éviter des piétons.

    C’est ce type d’intelligence artificielle qu’on entraîne lorsqu’on doit répondre à un (insupportable) « captcha » où il faut cliquer sur un objet spécifique telle une voiture, des cyclistes, un pont, des feux de signalisation, un escalier, etc.

    Les intelligences artificielles du type CNNs les plus connues sont :

    LeNet-5 mis en place en 1998 et utilisé pour la reconnaissance de chiffres manuscrits ;

    AlexNet développé en 2012 avec un accent sur le « deep learning » ;

    VGGNet datant de 2014 et très performant ;

    EfficientNet développé en 2019 par Google ;

    ConvNeXt développé en 2022 par Facebook AI.

    Transformer a une approche fondamentalement différente.

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  • « Attention is all you need »

    Pour tirer à gros traits la situation, on peut dire la chose suivante. Les intelligences artificielles ont été, jusqu’en 2017, des programmes s’appuyant sur les syllogismes pour « lire » des textes et être capable de les enregistrer, pour ensuite être capable de les redire, de les reformuler.

    Les intelligences artificielles s’appuyaient sur la grammaire d’une langue, voyaient comment les mots se reliaient entre eux, comment les phrases se construisaient.

    Ce processus était lent et laborieux, car il fallait beaucoup de calcul pour gérer toutes les phrases et qui plus est les phrases étaient analysées mot à mot.

    Vint alors la crise de 2017. Cette année-là voit en effet la publication d’une courte étude, d’une dizaine de pages, écrite en commun par huit chercheurs de Google.

    Elle est intitulée Attention is all you need, soit « L’attention est tout ce dont tu as besoin », ce qui est une allusion à la chanson des Beatles « All you need is love » où il est dit de manière marquée à un moment : « Love is all you need ».

    Le principe de l’attention est présenté comme permettant un fonctionnement bien plus efficace : il faut qu’en analysant les choses et en proposant des choses, l’intelligence artificielle accorde plus ou moins d’importance à tel ou tel aspect, c’est-à-dire soit capable de nuances.

    Le résultat a été immédiat avec une efficacité bien plus grande ; on peut dire qu’historiquement Attention is all you need a révolutionné les intelligences artificielles, qui ont totalement changé de méthode d’approche, pour suivre le nouveau modèle proposé, dénommé « Transformer ».

    Le résultat obtenu a été d’une telle ampleur que cela a abouti à l’irruption de l’intelligence artificielle comme thème dans les médias et les entreprises, avec comme intelligence artificielle la plus connue ChatGPT, présentée en 2022.

    À la fin du premier quart du 21e siècle, ces intelligences artificielles sont déjà incontournables pour beaucoup d’activités intellectuelles, en raison de leur dimension extrêmement utiles.

    Il y a ici deux aspects : d’un côté, il y a une nouveauté fondamentale, qui est « l’attention » modifiée qui doit régir le robot analyseur et répéteur, qui devient intelligence artificielle.

    De l’autre, il y a qu’une intelligence artificielle est en fait la superstructure d’internet et de son immense accumulation de données, et rien d’autre.

    Là est la limite.

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  • Du monde organisé d’Aristote à « Attention is all you need »

    Au quatrième siècle avant notre ère, Aristote enseigna des points de vue qui firent de lui le plus important « philosophe » jusqu’à la fin du moyen-âge européen. Platon est bien plus connu, mais c’est parce qu’il défend le point de vue idéaliste, le point de vue religieux, alors qu’Aristote est un matérialiste.

    Et Aristote ne s’est pas contenté d’étudier la réalité, de montrer comment aborder la physique, les espèces, le bonheur, etc.

    Il a également affirmé qu’il était en mesure de résumer le principe commun à toute chose. Il le fait dans l’ouvrage qu’on connaît désormais sous le titre de « La métaphysique ».

    Le terme meta, en grec, signifie « au-delà » ; on est donc « au-delà de la physique » ; ce n’est pas au sens strict le titre de l’œuvre, constitué à partir d’écrits retrouvés et éparpillés en différentes sections, mais cela correspond bien à sa vision du monde.

    Il ne faut par contre pas faire l’erreur de croire que la métaphysique concerne quelque chose en dehors de la matière. Bien au contraire, la métaphysique d’Aristote est « au-delà » de la physique au sens où elle est commune à toute la physique : les choses peuvent être différentes, elles relèvent toutes fondamentalement du même principe.

    Qui maîtrise la métaphysique ne connaît pas, s’il ne les étudie pas, les différents domaines de la physique, comme les animaux ou la météorologie, mais il en maîtrise au moins les fondamentaux, car il a la « clef » pour les comprendre.

    Quelle est cette clef ? Pour résumer simplement les choses, Aristote dit que chaque chose s’appuie sur un moteur interne, prédéterminé, qui fonctionne mécaniquement.

    C’est en fonctionnant que ce moteur se réalise pleinement : l’oeil n’a de sens que par l’utilisation de la vision, l’échelle est faite pour être montée dessus, le gland doit se transformer en chêne, etc.

    Cela sous-tend un monde « ordonné », qui existe pour lui-même, éternellement. Il n’y a pas selon Aristote de Dieu « créateur ».

    Il y a un Dieu « moteur », qui sert simplement à insuffler de l’énergie à la grande machine universelle qui tourne comme une horloge.

    Comme tout tourne comme une machine, on ne peut pas « penser » au sens strict, on peut simplement réfléchir, constater les choses telles qu’elles sont.

    C’est la thèse matérialiste et lorsque celle-ci est arrivé en Europe au Moyen-Âge par l’intermédiaire des philosophes arabes, la première chose que fait l’Église catholique c’est de formellement s’y opposer, dans le cadre d’une très fameuse interdiction de 219 thèses par l’évêque de Paris Etienne Tempier, le 7 mars 1277.

    Dans la perspective matérialiste d’Aristote, « penser » n’est pas possible : ce qu’on peut faire, ce qu’on doit faire, c’est réfléchir sur les choses pour comprendre leur mode de fonctionnement, leur mode opératoire.

    Là où cela rejoint la question de l’intelligence artificielle, c’est qu’Aristote pose la thèse de l’intellect agent et de l’intellect patient.

    Selon lui, on réfléchit, en effet, passivement : lorsqu’on le fait, on ne fait que redécouvrir une réalité qui était déjà là, sans avoir besoin de nous pour exister.

    La réalité n’a pas besoin de nous : elle est présente, elle fonctionne selon des principes qu’on peut découvrir, mais qu’on ne les découvre éventuellement pas ne change rien à l’affaire.

    Qu’on les découvre ne change en fait rien non plus : Aristote ne connaît pas le principe de transformation, qui arrivera par la suite avec les masses laborieuses du capitalisme.

    Par conséquent, pour lui, le bonheur absolu, c’est d’observer et de se perdre dans la contemplation du fonctionnement des choses et de la vie en général.

    Cela étant, dans cette conception, l’univers est comme appuyé sur un « intellect agent » virtuel, qui contient tous les modes de fonctionnement de chaque chose, car ces choses existent, et lorsqu’on réfléchit bien, de manière correcte, juste, adéquate, alors on retombe sur le contenu de cet intellect agent qui est une sorte de bibliothèque virtuelle de la réalité, qui permet à celle-ci de « fonctionner ».

    C’est une lecture panthéiste de la réalité, un matérialisme passif tourné vers la Nature, et on ne s’étonne pas ici que des penseurs musulmans se consacrant à la science se soient naturellement tournés vers Aristote.

    On a dans l’Islam une Nature organisée, on a même un livre codé comme porte d’entrée à la compréhension de ce système : le Coran. Car l’objectif idéaliste de Mahomet, reflétant son absurdité mais également sa formidable grandeur, a été de « résumer » le monde en un ouvrage.

    Ainsi, chez Aristote, et dans l’Islam si on adopte une lecture de cette religion en suivant Aristote (ce que feront les titans Avicenne et Averroès), si on réfléchit à tout, sur tout, avec tout… on rejoint une sorte de super réflexion virtuelle qui contient les connaissances de tous les modes opératoires différents.

    Cela préfigure internet, où à partir de chaque ordinateur, on rejoint une sorte de gigantesque base de données.

    C’est tellement vrai qu’Aristote a également étudié les « syllogismes », dont un est très connu : Socrate est un homme, les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel. Il dresse le catalogue des syllogismes, et il dit quel syllogisme fonctionne pour aller à la vérité, quel syllogisme ne fonctionne pas.

    Il a posé la logique comme base de la compréhension des choses, des phénomènes ; il expose une méthode scientifique pour savoir si une proposition se fondant sur des vérités est vraie, ou fausse, selon sa construction.

    On arrive ici à la question clef de l’intelligence artificielle, car l’intelligence artificielle enregistre des propositions par millions et les combine, pour être soi-même en mesure de « parler », d’interagir à une communication.

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    L’intelligence artificielle, prolongement de la cybernétique

  • Cybernétique, informatique, intelligence artificielle, robot et cyborg

    L’intelligence artificielle n’est pas un concept nouveau ; sa première forme fut la cybernétique, développée par l’Américain Norbert Wiener (1894-1964). On était alors au tout début d’un saut technologique mêlant l’électricité et ses applications (l’électrotechnique), les communications dans le cadre de l’émergence de l’électronique (les télécommunications), l’ingénierie avec l’apparition des systèmes de contrôle.

    Le terme choisi pour le concept vient d’ailleurs du grec pour désigner le « pilotage » ; κυβερνητική (kubernêtikê) voulant dire « pilotage d’un navire ».

    Pour faire très simple, on peut dire qu’on a une chose nouvelle alors : des machines, qu’on peut munir de transistors, ce qui fait qu’elles ont de la mémoire, qu’on peut leur donner des ordres pour la mise en action de différents appareils.

    On peut demander des calculs, on peut demander des actions mécaniques : il suffit de penser ici aux usines de voitures des années 1980-2000, largement automatisées.

    Norbert Wiener a expliqué les thèses fondamentales de la cybernétique dans Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine ; les mots-clefs sont information et communication, puisqu’il s’agit de recevoir des informations et de les transmettre.

    Dans cette approche, tout comme les êtres vivants interagissant avec leur environnement, avec des « entrées » et des « sorties », les machines peuvent désormais fonctionner pareillement.

    Il y a un arrière-plan utopiste et humaniste ; Norbert Wiener fut par exemple végétarien et un farouche opposant à la vivisection. La cybernétique est née comme une utopie : celle de pouvoir rendre transparentes toutes les informations, y compris de nature industrielle.

    On pourrait ainsi améliorer la production en répartissant mieux les ressources, mais c’est vrai pour la société également puisqu’on pourrait mieux répartir les moyens d’existence. En pratique, la cybernétique relevait pourtant au-delà de ces discours d’un saut technologique dans le cadre du capitalisme, avec de très grandes entreprises capables d’élever leur niveau technique.

    La dimension utopique de la cybernétique, masquant sa finalité purement technique-productive, fit d’ailleurs qu’elle devint ensuite la vision officielle du monde du social-impérialisme soviétique, alors que l’URSS socialiste de Staline la rejetait formellement comme une approche mécaniste et somme toute pseudo-scientifique.

    Pourquoi cette critique, qui est celle effectuée par le matérialisme dialectique effectivement ? C’est que la cybernétique a une explication comptable de la pensée : il suffirait de tant d’informations, de tant de mémoires, de tant de mises en réseaux.

    La dimension qualitative est entièrement absente de cette logique de pur calcul. C’est exactement comme si on se disait que la planification de l’économie était une pure technique et qu’il n’y avait pas de choix idéologiques à faire (l’URSS social-impérialiste est née justement du rejet de la dimension idéologique dans le plan).

    La critique soviétique, de l’époque de Staline, à l’encontre de la cybernétique tient ainsi à dire qu’il s’agit d’une progression dans le calcul, mais qu’il faut savoir à quoi ça sert. Si c’est pour fabriquer des robots-tueurs pour le capitalisme, c’est réactionnaire.

    Une telle critique prend indéniablement tout son sens à une époque bien différente, celle du début du second quart du 21e siècle, où l’intelligence artificielle est justement utilisée pour l’utilisation améliorée de drones tueurs et de missiles.

    L’opération israélienne contre Gaza a été marquée tout au long de 2024 par l’emploi massif de missiles, dont les objectifs ont été choisis à l’aide d’une intelligence artificielle. Début février 2025, Google a abandonné son refus que son intelligence artificielle puisse servir des objectifs militaires.

    Cependant, il faut ici souligner la différence entre intelligence artificielle et cybernétique. Cette dernière visait à constituer une allocation idéale des ressources, c’est-à-dire que sa mise en place fonctionne en amont. On sait quel but on a.

    Dans l’intelligence artificielle, le système est par contre mis en place sans savoir quel but on a.

    Pour prendre un exemple, un emploi cybernétique d’un drone tueur ferait qu’on sait au préalable que la cybernétique va fonctionner pour un drone tueur. Ce n’est pas le cas pour l’intelligence artificielle, qui existe « en soit » et qu’on peut appliquer indépendamment à telle ou telle chose.

    Au sens strict, c’est la différence entre un robot et un cyborg. Ce n’est pas la définition historique, mais c’est ainsi qu’il faut voir les choses, comme le montre de manière très paradoxale un simple film de science-fiction.

    Normalement, un robot est en effet un être entièrement artificiel, alors qu’un cyborg est un être humain « amélioré » au moyen de l’électronique.

    Il est absolument nécessaire de procéder à une modification de ces définitions, sans quoi on ne comprendrait plus la différence entre un robot permettant l’automatisation d’une action technique et un cyborg procédant à des évaluations et s’auto-corrigeant.

    Dans le film Terminator (1984), on a un robot recouvert de tissus organiques humains, ce qui ne change rien au fait qu’il reste un robot. Le film parle cependant de cyborg pour le désigner et c’est tout à fait juste si on prend en compte l’exemple suivant, qui est fondamental pour saisir l’intelligence artificielle dans sa différence avec la robotisation.

    Le cyborg est dans un hôtel miteux de New York en train d’étudier un document devant l’aider à retrouver la cible qu’il doit éliminer. Un homme de ménage vient et tape la porte, disant que ça sent le « chat crevé ».

    Le film montre les différentes options de réponse qui se proposent au cyborg et celui-ci en choisit une. Là est la différence fondamentale. Un robot n’aurait pas choisi : il a été programmé, la réponse tombe d’elle-même, selon des critères choisis au préalable.

    Il fonctionne de manière mécanique : à telle entrée correspond telle sortie, à telle question telle réponse.

    Le cyborg a quant à lui fait une relecture de la situation et a été amené à choisir la réponse adéquate ; sa programmation a été auto-corrigée. C’est ainsi que fonctionne l’intelligence artificielle : en accordant de l’attention différemment selon les situations.

    C’est un excellent exemple pour saisir comment l’intelligence artificielle née au milieu des années 2010 ne relève pas d’une dimension automatisée. Si on n’a pas cela à l’esprit, on passe à côté de son fonctionnement et de son impact.

    Le mot « attention » est la clef pour l’intelligence artificielle.

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    L’intelligence artificielle, prolongement de la cybernétique

  • Le PCF et les « classes moyennes » en 1937

    Le long document suivant est très important pour comprendre l’histoire du Parti Communiste Français. Il date de juillet 1937 et consiste en le bilan du Groupe Parlementaire Communiste en faveur des classes moyennes.

    Il témoigne du véritable travail de fond mené par rapport aux classes moyennes, qui sont considérées alors comme l’alpha et l’oméga de toutes les questions politiques.

    De manière secondaire, mais significative pour la suite, le document a été écrit par Auguste Havez (1897-1959). Celui-ci a été un des plus importants cadres du Parti, actif dans tous ses rouages les plus significatifs, notamment la clandestinité. Il sera cependant exclu du Parti Communiste Français dans l’incroyable imbroglio d’après 1945, tout en maintenant lui-même sa fidélité envers celui-ci et Maurice Thorez.

    Ce parcours révèle bien que le style propre Parti Communiste Français de la période 1930-1950, d’alors, composé de révolutionnaires qui se précipitent pleins d’abnégation, utilisent le marxisme-léninisme comme « méthode » et pensent avoir trouvé la clef avec le principe du Front populaire, de « l’Union » nationale, en parallèle avec l’URSS.


    « La presse, ces temps derniers, a beaucoup parlé de la situation actuelle des classes moyennes.

    On a même pu voir le Temps, l’organe de la grande bourgeoisie, du Comité des Forges et des trusts, épiloguer en de nombreux articles et « prendre la défense » des classes moyennes.

    A première vue, on est un peu stupéfait de cette mansuétude soudaine des « 200 Familles » pour les petites gens, mais on en devine tout de suite les raisons.

    C’est ainsi que le Temps écrit dans son numéro du 21 février 1937 :

    « Ainsi l’un des résultats les plus nets de la politique du Front populaire au pouvoir est que les classes moyennes se trouvent en grand danger sinon de disparition totale, du moins de régression, ou pour reprendre l’affreux terme à la mode, de prolétarisation. »

    Et comme le lecteur pourrait ne pas être disposé à avaler facilement la pilule, le Temps , grand journal d’apparence sérieuse, écrit également :

    « Selon le marxisme, la concentration indéfinie des entreprises sur le régime capitaliste doit tôt ou

    tard, on le sait, mettre fin au petit commerce, à la petite industrie. »

    Autrement dit, lorsque l’on constate que les nuages amènent la pluie, on est responsable des intempéries. Mais le Temps ne s’arrête pas à ces détails d’interprétation : le Front populaire menace de mort certaine les classes moyennes, il faut les grouper, les organiser :

    « Devant la nécessité chaque jour plus évidente et plus impérieuse de grouper pour la défense de leurs intérêts et de leurs droits tous les Français appartenant aux classes moyennes, si éprouvées et si menacées, etc… »

    Bien entendu ; il s’agit de les grouper contre le Front populaire, contre les travailleurs.

    Si l’on en doutait, il suffirait de lire quelques extraits d’un autre journal, celui des saboteurs de l’économie nationale, la Journée Industrielle. Dans le numéro du 26 janvier, M. Germain-Martin y écrit :

    « Le problème du sort des classes moyennes est posé. Il ne peut être résolu sans une modification des tendances politiques qui ont inspiré la législation de classe dont on nous a dotés depuis le mois de juillet 1936. »

    C’est clair : que le Gouvernement cède la place ou change sa politique. Et pour bien faire comprendre que la politique du Front populaire est absolument contraire à la grande majorité du pays, ce défenseur tard-venu des petits indique :

    « C’est donc entre un prolétariat peu nombreux, si proche de la terre qu’il n’est pas à proprement parler un prolétariat, et une classe dite élevée, que se situent en France les classes moyennes. Elles sont l’immense majorité du pays. »

    Par conséquent, c’est simple : l’immense majorité du pays, ce sont les classes moyennes ; celles-ci étant vouées à la mort par le Front populaire, que ce dernier s’en aille.

    Mais si les choses sont comme le pensent très probablement les rédacteurs du Temps et de la Journée Industrielle , elles ne sont pas du tout comme ils l’écrivent.

    Ce sont les banques, les trusts, les monopoles capitalistes qui sont la cause de la « prolétarisation » d’une grande partie des classes moyennes et de la misère de celles qui subsistent. Il suffit, pour s’en rendre compte, de citer quelques chiffres.

    De 1906 à 1931, le nombre des travailleurs occupés dans les entreprises de plus de 100 salariés est monté de 1.714.000 à 3.294.000, soit une augmentation de 92 %.

    Dans le même laps de temps, le nombre des travailleurs occupés dans les entreprises de plus de 5.000 salariés est monté de 140.000 à 442.000, soit une augmentation de 215 %.

    Or, pour la même période, le nombre des employés et ouvriers dans l’industrie a augmenté de 21 %.

    II faut en conclure que ces 21 %, qui n’étaient pas salariés, sont allés renforcer la masse des prolétaires et qu’une partie importante, des salariés de la petite industrie (moins de 100 ouvriers) est allée s’embaucher dans les usines des gros capitalistes.

    Le petit industriel a dû licencier une partie de son personnel, l’artisan s’est séparé de ses compagnons, au détriment de leurs affaires et au profit des gros capitalistes.

    Ajoutons que de 1921 à 1926, le nombre des ouvriers industriels a augmenté d’un million, fourni en partie par la diminution du nombre des ouvriers agricoles qui fut, pendant cette période, de 460.000. Le reste, soit 540.000, a été fourni inévitablement par les classes moyennes. Par conséquent, les journaux de la grosse industrie métallurgique, du Comité des Forges et des Houillères sont bien mal qualifiés pour s’apitoyer sur le sort de ceux qui ont été, qui sont, ou qui seront dans l’avenir, victimes du gros capitalisme. Le Gouvernement de Front populaire, disons-le franchement, n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour les classes moyennes, mais il n’est pas du tout responsable de leur situation difficile.

    Ce sont les banques, les trusts, les monopoles capitalistes qui sont la cause de leur mort lente.

    C’est la concentration capitaliste qui a acculé les classes moyennes à la misère.

    La petite industrie a dû céder le pas à la grande usine et, dans la mesure où elle subsiste encore, ce n’est que dans les plus mauvaises conditions ; ou bien elle vend « librement » ses produits à des prix que lui impose une concurrence formidable, ou bien, elle produit pour la grande industrie, à des prix de vente qui ne laissent même pas aux producteurs indépendants, petits industriels, artisans, le revenu d’un salarié.

    Les commerçants, eux, sont acculés entre les prix élevés des marchandises qui leur sont vendues par le commerce de gros et la concurrence que leur fait le commerce à succursales multiples et à capitaux puissants. L’un et l’autre ont, d’ailleurs, les mêmes actionnaires qui, ainsi, gagnent à tous les coups.

    Les paysans ne. Sont pas plus favorisés. Les trusts vendent engrais et instruments aratoires au prix fort, les propriétaires fonciers exigent des loyers élevés et les paysans vendent leurs produits agricoles à des prix insuffisamment rémunérateurs.

    Mais il faut dire que tous, petits industriels, commerçants, artisans, paysans, sont également victimes du gros capitalisme par suite de l’appauvrissement du prolétariat qui constitue la masse fondamentale de leur clientèle et dont les revenus avaient été éliminés par suite de la baisse des salaires, du chômage, etc.

    Dans ce domaine, le gouvernement du Front populaire aurait pu faire davantage pour les classes moyennes.

    Cette nécessité n’a pas échappé au Parti radical et radical-socialiste, au nom duquel le président Daladier disait, le 11 février 1937 :

    « Il n’y aura de véritable restauration financière que dans la mesure où les classes moyennes pourront tenir dans la vie économique française le rôle capital qui leur a toujours appartenu. Aujourd’hui, elles sont placées devant une hausse considérable des matières premières qui coïncide par ailleurs avec la réduction des crédits bancaires, tandis que les charges de leurs entreprises sont accrues. Il n’est pas de tâche plus urgente que de venir à leur aide. Le parti radical est prêt à lui consacrer tous ses efforts. »

    Certes, nous ne croyons pas, comme le président Daladier, que « les classes moyennes pourront tenir dans la vie économique française le rôle capital qui leur a toujours appartenu » car, d’une part, on ne peut ignorer que les classes moyennes ont joué ce « rôle capital » dans la mesure où elles ont présidé au développement capitaliste et jusqu’au moment où elles ont dû céder la place à la grande bourgeoisie capitaliste, et que, d’autre part, elles ont parallèlement présidé à la création d’un puissant prolétariat.

    Si les communistes, en marxistes, constatent que la concentration capitaliste étouffe et détruit les classes moyennes, ils ne peuvent qu’appeler celles-ci à l’alliance avec le prolétariat contre le gros capitalisme générateur de misère et pro-fasciste, ennemi de toute la classe laborieuse.

    Mais, pour les communistes, une alliance n’est pas un vain mot, c’est un acte qui suppose une défense réciproque, une action d’ensemble, des buts définis.

    Le programme du Rassemblement populaire reste notre règle immédiate : Tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire. C’est la ligne politique de notre grand Parti que le groupe communiste au parlement a su interpréter, malgré les embûches et les tentatives de division que notre camarade Jacques Duclos rappelait, en ces termes, le 26 février, lors du débat sur la politique générale du Gouvernement :

    « Rien ne saurait nous faire oublier que le but de la réaction est de séparer les classes moyennes de la classe ouvrière afin de les écraser séparément et de ramener des gouvernements du type Tardieu ou Laval, condamnés par le suffrage universel. »

    Un certain nombre d’élus du Front populaire ont parfois oublié cette tactique de la réaction et sont allés jusqu’à aider les ennemis de la classe ouvrière et des classes moyennes en essayant de les opposer. Les communistes au parlement n’ont jamais cessé de vouloir l’union de la Nation française contre les 200 Familles.

    Pour cela, aucune des revendications des petites gens ne leur a échappé.

    Il suffirait d’indiquer que sur 115 propositions de loi et de résolution déposées sur le bureau de la Chambre par le groupe communiste entre le 10 juin 1936 et le 25 mars 1937, 63 d’entre elles visent directement ou indirectement les classes moyennes. Aucune question intéressant la paysannerie, les commerçants, les artisans, etc., n’a été discutée dans les commissions parlementaires sans que nos camarades ne se soient prononcés en leur faveur. Aucun débat ne s’est déroulé à la Chambre sans que les communistes ne soient intervenus pour les classes moyennes.

    Le groupe communiste et son bureau exécutif n’ont tenu aucune réunion sans que le problème ne soit discuté, et c’est par dizaines de fois, que nos camarades, membres de la délégation des gauches, ont reçu le mandat de souligner le mécontentement des classes moyennes et la nécessité d’apporter un remède à leur situation difficile. Le dernier communiqué du bureau exécutif, en date du 25 mars 1937, n’indique-t-il pas :

    Après les interventions de Jacques Duclos, Paul Ramette et Billoux, le Bureau exécutif a chargé ses représentants à la délégation des gauches de rappeler à celle-ci la nécessité de prendre des mesures pour faire aboutir d’urgence un certain nombre de questions comme la retraite aux vieux travailleurs, pour la discussion immédiate de laquelle le groupe a accordé ses 72 signatures au Dr Fié ; la propriété culturale, que la Chambre pourrait voter aujourd’hui même, les calamités agricoles et les problèmes intéressant les petits commerçants qui ne peuvent attendre plus longtemps.

    Les représentants de la délégation des gauches insisteront également pour que la rentrée des Chambres ait lieu, comme il a déjà été entendu, dès le 20 avril.

    Le Bureau exécutif a chargé Langumier de suivre attentivement la proposition de loi tendant à supprimer le palier d’augmentation de 15 % sur les loyers et à interdire le retour au droit commun. »

    Déjà le 16 mars 1937, s’inspirant des nécessités immédiates, le Bureau exécutif affirmait son désir de voir aboutir un certain nombre de questions dominantes avant la séparation des Chambres.

    « Le Bureau exécutif a, en outre, estimé que les Chambres ne peuvent se séparer pour une longue période sans apporter une solution aux problèmes les plus immédiats qu’attend le pays. Il convient, en effet, de faire aboutir :

    La retraite aux vieux travailleurs, aux infirmes et incurables ;

    Le relèvement du taux des allocations de chômage. Le Bureau exécutif a, en outre, décidé d’intervenir auprès de la délégation des gauches pour demander que les lois sur les conventions pour la vente des produits agricoles, les conventions entre employés et employeurs dans l’agriculture, sur la propriété culturale, les calamités et les dettes agricoles, ainsi que sur le métayage, la révision des fonds de commerce, l’aménagement des dettes commerciales, le renouvellement des baux et l’amnistie, soient votées au cours de la session ordinaire.

    A la demande du Bureau exécutif, la délégation des gauches se réunira le jeudi 18 mars, à 10 h. 30.»

    Et ce n’était là que la confirmation de ses précédentes décisions, puisqu’après la provocation de Clichy, le bureau exécutif avait immédiatement déclaré que :

    Le groupe communiste est convaincu que les manoeuvres de la réaction et les puissances d’argent ne céderont que devant l’application intégrale du programme du Rassemblement populaire qu’exigent les travailleurs des villes et des champs, les classes moyennes et tous ceux qui veulent le pain, la paix et la liberté.

    Aux pressions de la réaction et du fascisme pour contraindre le Front populaire à l’abandon de son programme, le groupe estime qu’il faut répondre par une application stricte des lois sociales votées par le Parlement et par le vote des mesures urgentes qui s’imposent en faveur des chômeurs, des vieux travailleurs, de la paysannerie, des artisans et des petits commerçants.

    La réalisation de ces mesures, c’est la condition essentielle du renforcement du Front populaire qui s’opposera victorieusement aux forces de la réaction.

    Mais revenons aux propositions déposées sur le bureau de la Chambre intéressant : petits industriels, petits commerçants et artisans, paysans, petits rentiers, etc.

    A – PETITS INDUSTRIELS, PETITS COMMERÇANTS ET ARTISANS

    On sait que les gros propriétaires et les vendeurs de fonds ou d’immeubles font inscrire dans les baux ou actes de vente de fonds, qu’à défaut de paiement d’un seul terme à son échéance ou d’inexécution d’une seule des conditions inscrites en leur faveur, le contrat sera résilié de plein droit.

    Par suite de la crise, ont eu lieu de nombreuses expulsions et ventes de commerçants, industriels et artisans honnêtes qui n’ont pu faire face à leurs engagements.

    Le nombre des ruinés est innombrable ; les suicides fournissent à la presse une chronique douloureuse.

    Pour y mettre fin, notre groupe communiste déposait, dès le 11 juin 1936, une proposition de loi tendant à suspendre les effets de la clause résolutoire inscrite dans les contrats, pendant la durée de la crise économique.

    Cette proposition indique en son article premier :

    « A titre exceptionnel, tout locataire, sous-locataire ou cessionnaire, tout débiteur au titre d’un contrat ou titre, sous quelque forme qu’il soit conclu, passé ou signé avant la promulgation de la présente loi, peut, nonobstant toute clause résolutoire ou contraire, ou toute décision de justice non encore exécutée, demander des délais pour se libérer et même la suspension provisoire de ses paiements s’il justifie que sa défaillance est due à la crise, à toute autre cause indépendante de sa volonté. » Le premier alinéa de l’article 2 est ainsi conçu :

    « Tout locataire, expulsé en vertu d’une clause résolutoire et dont les locaux n’étaient pas encore reloués à la promulgation de la présente loi, devra être réintégré s’il en fait la demande. »

    La situation empirant pour les intéressés, les gros propriétaires et marchands de fonds redoublant d’ardeur par haine du Front populaire, notre groupe déposait une nouvelle proposition de loi le 24 juillet.

    Reprenant les termes de la première, elle la complétait, notamment par un nouvel alinéa à l’article 2 :

    « En cas d’impossibilité de réintégration pour n’importe quel motif que ce soit, le propriétaire qui, après l’expulsion de son locataire, aura bénéficié d’une plus-value ou amélioration quelconque faite par son locataire, ou de la valeur de son fonds sous n’importe quelle forme que ce soit, lui devra le remboursement intégral des travaux et améliorations, ainsi que la restitution entière des profits qu’il aurait pu ou pourrait acquérir des suites de l’expulsion. »

    Enfin, un article 4 rendait l’article premier applicable à toutes les créances civiles ou commerciales, y compris celles de l’État et les impôts.

    Mais il nous faut ajouter qu’avant le dépôt de cette proposition, notre groupe avait, à la date du 3 juillet, et par une proposition de résolution, demandé au gouvernement de prendre des mesures afin de venir en aide aux commerçants, artisans et petits industriels, en attendant la mise en application d’un programme économique destiné à ranimer l’activité industrielle et commerciale.

    Les communistes y demandaient en particulier :

    a) Un moratoire fiscal pour ceux qui seront en mesure de justifier leur impossibilité de se libérer de leurs impôts arriérés ; b) La généralisation des mesures prises par la Banque de France, en vue d’apporter un concours effectif pour permettre des facilités de paiement ;

    c) La mise en vigueur de l’article 8 de la loi du 31 mars, 1930 prévoyant des abattements à la base.

    d) L’interdiction de toutes ventes et expulsions.

    Comme on le voit, ces propositions communistes pouvaient apporter une sérieuse amélioration à la situation des commerçants, petits industriels et petits artisans.

    Elles ont cet avantage de ne rien coûter, ou presque, aux finances publiques.

    Et pourtant de multiples séances à la Chambre, des débats à n’en plus finir, n’ont apporté que bien peu de choses pour les petites gens. La loi du 19 août 1936 instituait une aide temporaire aux entreprises commerciales, industrielles et agricoles ne prévoit que des avances dont le montant ne peut être supérieur à 12 % du montant des salaires payés entre le 1er juillet 1935 et le 30 juin 1936.

    Les conditions requises pour obtenir des avances ont fait que les petites entreprises frappées par la crise n’ont pu en bénéficier, puisque leur situation financière devait offrir des garanties suffisantes de solvabilité. L’aide prévue par la loi alla directement favoriser les grosses entreprises. Les classes moyennes avaient été oubliées.

    La loi du 21 août 1936, permettant l’octroi de délais aux commerçants, industriels et artisans, fut un peu plus heureuse, mais, sans pour cela apporter un changement notable dans la situation de ceux que guettait la ruine, puisque seuls peuvent bénéficier de délais, les artisans, commerçants et industriels non admis à l’impôt général sur le revenu. Une infime partie des intéressés a pu en bénéficier. La Chambre a été beaucoup mieux inspirée en votant le projet de loi sur le prix de vente des fonds de commerce actuellement en suspend devant le Sénat.

    Dans tous les débats, nos camarades n’ont manqué aucune occasion d’intervenir pour en améliorer les textes sans prolonger la discussion, ce qui permettait à notre camarade Honel de dire à la séance du 9 février 1937 :

    « Nul ne put contester au groupe communiste son désir d’aboutir au plus vite. Ce souci, nous l’avons manifesté à diverses reprises, notamment au mois de juin, lorsque nous disions aux grévistes qu’il fallait savoir arrêter les revendications pour que l’effort constructif du Front populaire puisse se développer en faveur des classes moyennes.

    Ce souci, enfin, nous voulons le manifester une fois de plus en adoptant un projet qui sert à la fois les intérêts sacrés, parce que les fruits d’un travail personnel, des acquéreurs et des vendeurs de fonds de commerce. »

    Les résultats insuffisants n’ont pas ralenti l’activité de notre groupe communiste.

    Le 4 février 1937, il déposait une proposition de loi tendant à relever de la forclusion les commerçants n’ayant pas demandé le renouvellement de leur bail dans les délais légaux ou l’ayant demandé irrégulièrement.

    Le 23 du même mois, une proposition ayant pour but de réduire les frais de procédure. Signalons, pour terminer sur ce point, ses propositions pour :

    – Soulager la petite industrie de la bière ; assurer la liberté commerciale des débitants de boissons et les libérer complètement du système de « contrats fournitures ».

    Et, en collaboration avec des députés d’autres groupes, les propositions visant :

    – la protection des entreprises et salons de coiffure ;

    – la protection des petits artisans et l’aménagement fiscal de l’artisanat ;

    – la simplification des formalités imposées aux marchands ambulants et forains ;

    – la fixation d’un maximum aux droits de place sur les foires et marchés.

    Enfin, c’est grâce à l’inlassable activité de notre camarade Gitton, que l’indemnité accordée aux petits hôteliers qui logent des chômeurs a été relevée.

    Parlant au nom du groupe communiste, notre camarade Rigal, au cours de la discussion du budget indiquait, en ces termes, la nécessité de satisfaire les revendications du petit commerce et de l’artisanat :

    « J’appelle l’attention du gouvernement sur les conditions trop sévères imposées au petit commerce et aux artisans pour bénéficier des dispositions de la loi du 18 août 1936 tendant à faciliter la mobilisation des créances commerciales garanties par l’Etat. On ne manque pas, par ailleurs, de tirer argument contre la politique du gouvernement du retard apporté au dépôt d’un certain nombre de projets impatiemment attendus par les petits commerçants.

    Nous voudrions que le gouvernement réponde à ces campagnes par des actes. Il convient, tout d’abord, de faire cesser toutes les poursuites et toutes les tracasseries dont les petits et moyens commerçants, ainsi que les artisans, sont l’objet, et qui les exaspèrent.

    Il est temps ; aussi, d’abroger l’article 18 de la loi sur la propriété commerciale, instrument de la ruine de tant de commerçants parisiens qui étaient, pour leur malheur, locataires de la ville de Paris ; celle-ci a pu, en effet, refuser le renouvellement de leur bail moyennant une indemnité dérisoire de deux années de loyer ; c’est pour eux la perte du fruit d’une vie de travail.

    II faut faire cesser d’autre part le scandale soulevé par la saisie des prestations allouées aux hôteliers logeant des chômeurs. Je veux croire que le gouvernement tiendra à cœur de prendre les mesures utiles à satisfaire les autres revendications du petit commerce, dont voici les principales : fixation du plafond des loyers à 200 % du prix d’avant-guerre, propriété commerciale intégrale, suppression de la clause résolutoire, réforme de la patente en attentant sa suppression totale, suppression des poursuites en matière fis cale.

    Jusqu’à présent, le petit commerce n’a pas suffisamment bénéficié de l’effort réformateur de la nouvelle majorité.

    Nous savons que le gouvernement ne peut résoudre tous les problèmes à la fois, mais celui que j’ai évoqué est un des plus graves : nous appelons le gouvernement et la majorité à s’intéresser à la misère des petits commerçants. »

    Dans sa séance du 28 mai dernier, la Chambre a voté une loi d’une extrême importance, qui révise de la façon la plus favorable la loi dite de propriété commerciale du 13 juillet 1933, et qui y apporte d’heureuses adjonctions. Nous en indiquons les principales dispositions :

    La demande pour le renouvellement du bail devra parvenir au bailleur dans le délai maximum de deux ans et minimum de neuf mois avant l’expiration du bail. Elle pourra être faite par simple lettre recommandée avec avis de réception adressé au bailleur. Dans les grosses agglomérations, le juge de paix sera compétent pour trancher les différents locatifs lorsque le loyer du bail arrivera à expiration et ne dépassera pas 9.000 francs. Pour les loyers supérieurs à 9.000 francs, le tribunal civil restera compétent. Dans les nouveaux immeubles construits avant le 1er août 1914, le nouveau loyer ne pourra en aucun cas dépasser, de 200 % le prix du loyer fixé en 1914 ; pour les autres immeubles, le nouveau loyer sera établi par analogie avec les prix payés pour les locaux similaires construits avant le 1er août 1914.

    Les charges ne pourront excéder 15 % du prix des loyers. La durée du bail sera au moins égale à la durée du bail précédent, sans pouvoir excéder 12 ans.

    Dans tous les cas de reprise, y compris par le propriétaire, les collectivités locales, départementales, nationales, ou les services publics, une indemnité d’éviction égale au préjudice subi sera versée au locataire sortant.

    Les clauses résolutoires conclues dans les baux sont nulles. Tous les cas de forclusion sont relevés.

    Les poursuites pour défaut de paiement ne pourront être intentées que si les loyers arriérés dépassent les loyers d’avance. Les loyers d’avance, la garantie versée au propriétaire ne pourront dépasser le montant d’un semestre de loyer payé à terme échu et d’un trimestre pour les loyers payés à terme à échoir.

    Signalons que les dispositions importantes relatives à la compétence du juge de paix, à la limitation de la garantie versée au propriétaire, à l’indemnité d’éviction exigée en tous cas, ont été acquises grâce aux amendements déposés par le groupe communiste et soutenus notamment par le camarade Honel, vice-président de la Commission du Commerce.

    La Chambre a commencé en juin de discuter l’aménagement des dettes commerciales et la substitution à la faillite d’un règlement transactionnel. Les décisions fiscales de la Chambre entraînent de grandes modifications aux textes proposés.

    Là encore, nos camarades sont intervenus avec force, et la Chambre, dans sa séance du 18 juin, a adopté un projet dont notre camarade Rigal a ainsi résumé l’opinion du groupe communiste : « Le groupe communiste reconnaît que sur cette question, l’une des plus importantes pour le petit commerce et l’artisanat, le projet qui vous est présenté, après tant de recours au moratoire, représente un réel progrès. Il estime cependant que le contre-projet présenté par notre collègue Colin a été repoussé par la Commission du Commerce avec un excès de légèreté.

    Ce contre-projet prévoyait que la loi serait définitive, alors que le projet ne la rend applicable que jusqu’en 1940. De plus, il décidait que serait considéré comme de bonne foi tout commerçant qui n’au rait pas été convaincu de malversation.

    Enfin, et c’est l’une des dispositions que nous regrettons le plus d’avoir vu repousser par la Commission, nous estimons que l’accord d’une seule des deux majorités suffisait, et que, si le débiteur demandait une réduction de moins de 50 %, il était préférable de laisser la commission statuer sans appel ; on aurait sans doute ainsi obtenu des débiteurs un effort plus considérable.

    Cependant, soucieux de ne pas ralentir la discussion, nous ne maintiendrons pas notre contre-projet, demandant seulement au gouvernement d’obtenir avant les vacances le vote par le Sénat, et de ce projet, et des autres projets qui intéressent le petit commerce. » ( Applaudissements à l’extrême-gauche .)

    Quel sort le Sénat réservera à ces textes votés par la Chambre ?

    Le gouvernement du camarade Léon Blum ayant cédé, malgré les conseils de résistance que lui donnaient nos camarades Duclos et Gitton dans la nuit du 20 au 21 juin, nous ne voulons pas présumer de l’attitude du cabinet Chautemps.

    B – LA PAYSANNERIE

    Le problème de la paysannerie est l’un de ceux qui ont le plus retenu l’attention du groupe communiste.

    Le 9 juin 1936, il déposait une proposition de loi pour la création d’un office national interprofessionnel du blé.

    La Chambre et le Sénat ont voté un texte plus restrictif que le texte communiste, mais l’activité de nos camarades, leurs nombreuses interventions, ont fait que les paysans producteurs de blé ne sont plus maintenant les victimes de la haute spéculation.

    Le même jour était remise, au président de la Chambre, une proposition :

    « Tendant à la révision des baux à ferme dont l’article 1er indique que le prix des baux à ferme est ramené à deux fois et demie au maximum du prix payé le 1er août 1914. »

    Tandis que l’article 6 prévoit que :

    « La révision d’un bail à ferme ne peut entraîner sa résiliation que dans le cas où le fermier en ferait la demande. »

    Le 23 juin, c’est une proposition qui vise la réglementation du métayage et l’institution de contrats collectifs entre propriétaires et métayers, comportant, entre autres, obligatoirement :

    1. La liberté syndicale et la liberté d’opinion des métayers ;

    2. La suppression des prestations, corvées, redevances ou autres charges pesant sur le métayer et sa famille sous quelque forme que ce soit ;

    3. La rémunération du travail du métayer.

    Le 25 juin, c’est le dépôt d’une proposition de loi pour le vote d’une indemnité de crise aux producteurs de plantes à parfums, qui intéressé plus particulièrement les paysans de la région de Grasse, dans les Alpes-Maritimes.

    Le lendemain, le groupe dépose la proposition pour l’aménagement des dettes agricoles dont l’article 2 stipule que :

    « Tout cultivateur ou artisan agricole, débiteur de bonne foi, pourra obtenir des délais pouvant atteindre deux ans pour le remboursement de ses dettes arrivant à échéance. Toutes les poursuites, les saisies et les ventes sont suspendues pendant le même temps. »

    Le 30 juin, nos camarades soumettent à la Chambre une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à déposer un projet de loi organisant l’assurance contre la mortalité du bétail, la grêle, la gelée, l’inondation, l’ouragan.

    Cette réalisation communiste coûterait 100 millions par an à l’Etat, c’est-à-dire moins que ce qu’il en coûte actuellement. Mais c’est l’époque où les paysans sont, nombreux, menacés d’expulsion, ou obligés d’accepter des augmentations de loyers. Avec d’autres députés, nos camarades Renaud Jean et Waldeck Rochet demandent le 7 août, dans une proposition, que : « Tous les baux à ferme venant à expiration en 1936 soient prorogés d’un an, sur une demande faite par le fermier par lettre recommandée, dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi. »

    Les 14 et 29 janvier 1937, notre groupe dépose deux nouvelles propositions sur la revalorisation de la culture de la fleur d’oranger, et pour la défense des oliveraies.

    Enfin le 2 février, il demande au gouvernement :

    1. D’étendre, à tous les départements, la mise en vigueur des allocations familiales ;

    2. De déposer un projet de loi faisant supporter aux propriétaires, en cas de métayage, une partie des versements à effectuer aux caisses de compensation, en vue du paiement d’allocations familiales aux salariés agricoles ;

    3. De déposer un projet de loi instituant des allocations familiales au profit des petits exploitants agricoles, métayers, fermiers, petits propriétaires.

    La situation particulière des métayers, du point de vue des lois sociales, n’a pas échappé à notre groupe dont les camarades Waldeck-Rochet et Renaud Jean se sont faits les interprètes, et leur activité a contribué, pour beaucoup, à faire venir devant la Chambre le projet de loi sur l’extension, aux métayers, du bénéfice des allocations familiales, et Renaud Jean, dans la séance du 18 mars, défendait le principe du paiement d’une partie des cotisations par le propriétaire : « Nous voterons le texte qui nous est soumis, car il nous semble conforme à la fois à la justice et au bon sens. Au surplus, qu’est-ce donc que le petit métayer, sinon un salarié qui, en général, touche un salaire nettement inférieur à celui de tous les travailleurs de la même région ?

    En ce qui concerne le payement des cotisations, deux cas peuvent se présenter : l’exploitation familiale d’abord. Dans ce cas, le propriétaire paye l’ensemble des cotisations.

    Dans les exploitations plus importantes exploitées par le métayer, sa famille et un certain nombre d’ouvriers, on rembourse au métayer la moitié des cotisations.

    Cela me paraît fort juste, et je demande à la Chambre de se prononcer tout de suite, étant bien convenu que le gouvernement déposera avant longtemps le projet de statut du métayage, avant longtemps, c’est-à-dire suffisamment tôt pour que ce statut soit mis en application, comme la loi sur la propriété culturale, dès cet été. »

    Cet ensemble de propositions communistes démontre avec quel souci notre groupe s’intéresse à la paysannerie.

    Leur vote, leur réalisation n’en coûterait rien au Trésor public. Pourquoi faut-il que les paysans n’aient pas à se réjouir d’avoir obtenu ces revendications ?

    Défendre les classes moyennes oui, mais il faudrait en parler moins et leur donner plus. Cela était possible.

    Dans le courant de février dernier, la Chambre fut appelée à discuter d’un projet de la plus grande importance pour la paysannerie. Il s’agissait de régler les rapports entre producteurs agricoles, commerçants et industriels, par la conclusion de conventions collectives fixant les conditions de vente de produits agricoles pour une branche de production.

    Dans la séance du 11 février, notre camarade Renaud Jean marquait l’accord de notre groupe en ce sens :

    « Ce projet nous apparaît comme un des problèmes les plus importants qui se posent, à la fois pour les producteurs agricoles et satisfaction à plus d’un million de fermiers et à apporter un peu de joie dans les chaumières de France. »

    L’explication ci-dessus est suffisante pour faire comprendre toute l’importance de ce projet.

    Pourquoi faut-il que dix mois après la victoire du Front populaire, une couche aussi importante de la population n’ait pas obtenu cette loi indispensable ?

    Les communistes ont tout fait pour qu’il en soit autrement. Leur insistance auprès du gouvernement et de la délégation des gauches, leur action permanente à la Chambre, dans les commissions parlementaires, n’a pas réussi à vaincre les résistances, et souvent les résistances de ceux qui parlent beaucoup des classes moyennes.

    C – LA PETITE PROPRIÉTÉ

    On connaît les deux propositions de notre camarade Jacques Duclos intéressant les petits propriétaires logeant des chômeurs. La première, en date du 31 décembre 1936, qui fait suite à de nombreuses interventions de notre camarade, tend à réaliser ce double but :

    – Exonérer les chômeurs du paiement de leur loyer et assurer le paiement d’une indemnité compensatrice aux petits propriétaires ayant des locataires chômeurs.

    L’article 4 de cette proposition stipule :

    « Une indemnité compensatrice de loyer sera attribuée aux propriétaires privés de tout ou partie de leurs revenus et non-inscrits au rôle de l’impôt général sur le revenu, etc.

    Cette indemnité sera égale à la totalité de l’exonération dont ont bénéficié les locataires chômeurs.

    « Si le propriétaire est inscrit au rôle de l’impôt général sur le revenu, cette allocation sera diminuée d’autant de fois 1 % que la somme pour laquelle le propriétaire est inscrit au dernier rôle publié, compte de multiples de mille. »

    Autrement dit, un propriétaire inscrit au rôle de l’impôt général pour 10.000 francs, toucherait, si son ou ses locataires sont chômeurs, le montant intégral de son loyer, moins 10 %.

    Celui, inscrit au rôle pour un revenu de 50.000 francs, toucherait le montant de ses loyers de chômeurs, moins 50 %.

    On voit par-là, que notre proposition vise surtout à sauver les petits propriétaires, c’est-à-dire, les représentants-type des classes moyennes. Et pour qu’il n’en coûte rien à la caisse de l’Etat, l’article 5 prévoit la constitution d’une caisse de compensation alimentée par un prélèvement progressif sur les revenus locatifs supérieurs à. 30.000 francs. Ce qui ne toucherait pas les petites gens.

    La deuxième proposition, déposée le 12 février 1937, préconise un système de dégrèvement d’impôts en faveur des petits propriétaires chômeurs. L’article premier prévoit :

    « Une réduction de un douzième par mois de chômage dans l’année écoulée à laquelle s’applique l’imposition, sera appliquée à la contribution foncière sur la propriété bâtie, établie pour les chefs de famille chômeurs au 1er janvier, et propriétaires de la maison qu’ils habitent, à condition :

    1. Qu’ils ne possèdent pas sur l’ensemble du territoire des biens immobiliers autres que la maison habitée et le terrain immédiatement attenant, et que celui-ci ne dépasse pas une superficie de 1.500 mètres carrés ;

    2. Qu’ils ne sous-louent pas une partie de la maison.

    L’exonération sera totale après douze mois de chômage. »

    Comme l’on dit en « style parlementaire », le texte se suffit à lui- même et il n’est point besoin d’en exposer les motifs. La place nous manque pour donner, ici, le texte des nombreuses interventions et la liste des démarches de nos camarades, Jacques Duclos, pour les petits propriétaires en général ; Midol et Capron, pour les mal-lotis ; Benoist, pour les malheureuses victimes de la Société de Crédit Immobilier de Seine et Seine-et-Oise, dont le scandale démontre mieux que tout, que le souffle républicain n’est pas encore passé dans les hautes sphères des administrations.

    D – LES RETRAITES

    Nous ne nous attarderons pas à souligner l’importance de la proposition de loi déposée le 3 juillet 1936, tendant à la création d’une caisse de solidarité nationale, et à accorder une retraite aux vieux travailleurs. Nos lecteurs connaissent suffisamment l’attitude de notre Parti et les efforts admirables de notre secrétaire général, Maurice Thorez.

    Nous voulons indiquer qu’il n’est pas question seulement d’attribuer une retraite aux vieux ouvriers et employés du commerce et de l’industrie, mais aussi à tous ceux, commerçants, artisans, paysans, artistes, intellectuels, etc., qui n’ont pu s’assurer une vieillesse à l’abri du besoin.

    Notre groupe a déposé également :

    1. Le 22 décembre 1936, une proposition tendant à inviter le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que les retraités et pensionnés puissent toucher les sommes qui leur sont

    dues à la perception ou au bureau de poste de leur choix, ce qui éviterait de trop longs et trop pénibles déplacements à nos vieux ;

    2. Le 31 décembre 1936, une proposition de loi tendant au rajustement des pensions de retraites servies par les caisses de retraites des employés, ouvriers et agents des communes et établissements publics communaux du département de la Seine, aux agents des communes ou à leurs ayant-droit ;

    3. Le 12 février 1937, une proposition de loi tendant à admettre les fonctionnaires féminins des lycées, collèges, cours secondaires de jeunes filles et de garçons, à faire valoir, pour la constitution du droit à pension, les services rendus par ces fonctionnaires en qualité de surveillantes d’internat.

    Ces propositions ne démontrent-elles pas le souci de notre groupe communiste d’améliorer la situation des petites gens ?

    E – LES LOCATAIRES

    Certes, nos propositions tendent à préserver les locataires en général, mais, parmi eux, se trouvent les classes moyennes. Parfois, les intérêts de celles-ci (les petits et moyens propriétaires) peuvent s’opposer à ceux des locataires en général. La position des communistes ? Notre camarade Langumier l’a traduite à la tribune de la Chambre, au cours de la discussion du budget :

    « Nous voulons une loi égale pour tous. Les locataires de locaux d’habitation sont protégés et les

    propriétaires ne peuvent dépasser, en ce qui les concerne, un pourcentage déterminé de majoration. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les locataires de locaux industriels et commerciaux ? »

    Jacques Duclos disait au meeting de Wagram, le 16 avril : « C’est d’une politique concrète du logement que dépend la santé de la famille française. Détruire le taudis, c’est avoir une politique hardie du logement, avec l’aide de l’Etat. »

    C’est en s’inspirant de ces idées que le groupe communiste a déposé une série de propositions sur le bureau de la Chambre :

    1. Le 9 juin 1936, tendant à modifier la loi du 29 juin 1929 réglementant les rapports entre propriétaires et locataires de locaux à usage d’habitation et professionnels.

    II s’agit d’interdire, notamment, le retour au droit commun, d’empêcher la hausse illimitée des loyers et de supprimer le palier d’augmentation de 15 % qui menace les locataires de toutes sortes, petits commerçants, artisans, fonctionnaires, etc.

    Le 11 juin, notre groupe déposait deux autres propositions pour compléter celles ci-dessus.

    2. Le 21 juillet, c’était une proposition de loi ayant pour objet la révision des baux commerciaux. L’article premier indique : « A partir de la promulgation de la présente loi, les locataires, sous- locataires, cessionnaires ou leurs ayants cause, titulaires de baux ou d’engagements de location à usage commercial, industriel, professionnel ou artisanal, ou occupants à quelque titre que ce soit, auront droit de payer leur loyer à raison de 200 % de celui de 1914, compte tenu de l’augmentation réelle des charges afférentes aux locaux si le propriétaire justifie qu’elles sont supérieures à celles fixées dans le contrat. »

    Le texte prévoit des mesures particulières pour les locaux non loués en 1914 et ceux construits après cette date.

    3. Le 24 juillet, notre groupe dépose une nouvelle proposition pour interdire les augmentations ;

    4. Le 23 février 1937, est déposé un texte tendant à réglementer le paiement de la garantie et du terme d’avance pour les loyers des locaux à usage commercial, professionnel et d’habitation. De quoi s’agit-il ?

    – de considérer le terme d’avance comme un dépôt de garantie ;

    – de limiter le montant de ce dépôt à 10 % du montant du loyer, ce qui, pratiquement, supprimerait les termes d’avance, semestriel et trimestriel, pour ne permettre que le terme mensuel ;

    – de rendre, obligatoirement, le montant de la garantie productif d’intérêt à 5 %.

    5. Le 26 février, notre groupe invitait le gouvernement à proposer d’urgence les mesures législatives permettant une refonte de la législation sur les loyers ;

    6. Le 4 mars, le groupe communiste déposait une nouvelle proposition pour :

    – empêcher la majoration de 15 % prévue pour le 1er juillet 1937 ;

    – proroger les baux prenant fin au 1er juillet 1937 jusqu’au 1er juillet 1939.

    Ces lois sont attendues par la multitude de commerçants, d’artisans, des personnes à professions libérales.

    Enfin, le 26 janvier 1937, était déposée une proposition de loi tendant à la coordination des constructions d’habitations à bon marché et à loyers modérés qui mettrait fin au gâchis et permettrait, entre autres, aux classes moyennes, de trouver de véritables logements à loyers modérés.

    Ne terminons pas sur ce point sans signaler notre proposition de loi qui intéresse la région parisienne, déposée le 4 août 1936, et qui tend au rachat, par les sociétés concessionnaires distributrices d’électricité, des canalisations collectives d’immeubles, avec interdiction de leur location. Elle vise à faire cesser ce scandale dit « des colonnes montantes ».

    F – POUR TOUTES LES CLASSES MOYENNES

    Tout ce que nous avons indiqué ci-dessus ne résulte que de ce qui, de l’activité communiste, pouvait être à peu près classifié pour en rendre la lecture plus facile.

    Mais le groupe communiste n’a pas limité son activité à cela. Un certain nombre de ses propositions et de ses interventions intéressent toutes les classes moyennes.

    C’est ainsi que, tenant compte qu’en six années, plus de 70.000 commerçants ont fait faillite, que des milliers d’artisans ont perdu tout leur avoir pendant la crise, que des dizaines de milliers de représentants de commerce, de travailleurs en extra, d’artistes, de petits paysans ruinés également, ont perdu leurs moyens de vivre, notre groupe déposa tout d’abord, et dès juin 1936, une proposition demandant au gouvernement de prendre des mesures pour établir un vaste programme de grands travaux, en vue de ranimer la vie économique et de donner du travail aux chômeurs, quels qu’ils soient.

    Le 22 décembre de la même année, une nouvelle proposition était faite, plus précise, plus pressante. Elle invitait le gouvernement : « A prendre sans retard toutes dispositions utiles a pour que soient admis au bénéfice des allocations de chômage les artisans, commerçants et toutes catégories de travailleurs non-salariés qui, par suite des circonstances, ont perdu l’occupation dont ils tiraient leurs moyens d’existence. »

    Il s’agissait de sauver de la misère ceux que le gros capitalisme avait jetés à la ruine.

    Le gouvernement ne déposant pas son projet de création d’un fonds national de chômage, malgré l’insistance des communistes, notre groupe en prend l’initiative par sa proposition du 29 janvier 1937, dont l’article 7 dit :

    « Doit être considéré comme chômeur total, toute personne ayant dépassé l’âge scolaire, justifiant a qu’elle a perdu l‘occupation dont elle tirait les moyens d’existence, et gagnant au moins 6 francs par jour, qui, ayant présenté au service public, syn dical ou artisanal de placement de son domicile, une demande d’emploi, n’a pu voir cette demande satisfaite dans un délai de trois jours. »

    Et pour que les services compétents n’interprètent pas restrictivement, le dernier alinéa de cet article précise que : « Cette définition s’applique à toute personne indistinctement, y compris les matelots, dockers, saisonniers, commerçants, artisans, artistes, etc. »

    N’est ce pas là, un moyen de venir en aide aux classes moyennes dont on parle tant pour ne rien faire pour elles ?

    On sait aussi que commerçants, petits industriels, artisans, petits propriétaires gênés par la crise, ont dû recourir à des emprunts pour faire face à leurs engagements.

    Les banques, les sociétés véreuses, les usuriers en on profité pour les acculer à la ruine, sous prétexte de les aider.

    Chacun sait que des prêts sont effectués à 10, 15 et même 20 % d’intérêts.

    Notre groupe a estimé que le Front populaire se devait de faire cesser un pareil état de choses et, le 26 mars, une proposition de loi demandait qu’on y mette fin en rétablissant le délit d’usure qui, pratiquement, n’existe plus.

    L’article 4 indique :

    « Les prêts qui seront contractés pendant l’année 1937 ne devront pas comporter un taux d’intérêts supérieur à 5 % en matière civile et 6 % en matière commerciale. »

    Et l’article 5 comporte :

    « Pour tous les prêts contractés avant la promulgation de la présente loi et dont le taux, d’intérêt est supérieur à 5 % en matière civile et 6 % en matière commerciale, ce taux sera réduit pour l’année en cours au moment de cette promulgation aux limites indiquées à l’article 4.

    Lorsque le taux de ces mêmes prêts dépassera 9 % pour conventions civiles et 10 % pour les transactions commerciales, il sera réduit respectivement à 7 % et 8 % pour l’année en cours, et au taux fixé à l’article 4 pour les années suivantes. »

    Est-il utile de se demander ce que penseraient d’une telle loi les commerçants, artisans, etc ? Chacun connaît leur réponse. Notre groupe communiste ne visait-il pas à favoriser les classes moyennes, en déposant :

    Le 31 décembre 1936, une proposition tendant à inviter le gouvernement à déposer un projet de loi en vue d’organiser, en 1937, la célébration nationale du tricentenaire du Discours de la Méthode de René Descartes.

    Le 11 mars 1937, une autre proposition invitant le gouvernement à prendre toutes mesures utiles en vue d’organiser, en 1937,1a célébration nationale du bicentenaire de la naissance d’ Antoine Parmentier.

    N’est-ce pas rendre hommage aux morts des classes moyennes, tout en suscitant des manifestations propres à ranimer la vie économique ?

    Le 12 février 1937, une proposition de résolution pour que isolent prises toutes mesures nécessaires pour que des conditions spéciales de voyage soient accordées aux anciens combattants de France et de l’Etranger, à l’occasion de l’Exposition de 1937, ce qui donnerait des satisfactions aux anciens combattants des classes moyennes, comme aux autres, tout en favorisant le commerce.

    Le 29 janvier, une autre proposition tendant à inviter le gouvernement à prendre toutes mesures en vue de l’aménagement, de l’agrandissement et de la réorganisation des Halles Centrales, en liaison avec l’organisation des marchés de province, ce qui, certes, gênerait les gros mandataires pour favoriser commerçants, paysans, maraîchers, etc.

    Ce sont de nombreuses lettres de petites gens qui ont incité notre groupe à déposer, le 5 novembre 1936, une proposition de loi pour modifier la législation sur les pupilles de la nation qui fait que, de deux enfants d’un grand mutilé, l’un est pupille parce que né avant le 20 août 1920, et l’autre ne peut l’être parce que né après cette date, ce qui gêne sérieusement les familles de la petite bourgeoisie qui veulent faire une situation et qui ne peuvent le faire pour le second enfant, l’aide de l’Etat leur faisant défaut.

    Ce sont les mêmes lettres des mêmes petits commerçants et artisans qui ont plus particulièrement décidé notre groupe à déposer, le 11 mars dernier, une proposition demandant que soit relevé le taux des allocations militaires aux soutiens de famille, et que soit élargie la notion de « soutien », pour que commerçants, artisans et autres petites gens puissent en bénéficier.

    Et notre groupe défendait également les petits gens, lorsqu’au cours de la discussion du projet de loi sur la hausse injustifiée des prix, Ramette disait :

    « II est évident que si l’on veut vraiment augmenter le pouvoir d’achat des masses, il ne faut pas permettre que les améliorations obtenues par elles viennent s’inscrire aussitôt dans les prix. Ce serait tourner dans un cercle vicieux. Ce que nous voulons, c’est que les profits excessifs du grand capitalisme subissent une réduction. »

    Tandis que, n’oubliant pas les paysans, Renaud Jean précisait que :

    « Il ne faut pas confondre revalorisation des produits agricoles et hausse illicite. C’est la raison pour laquelle le groupe communiste a présenté un amendement aux termes duquel la loi ne jouera pas pour les produits agricoles vendus par le producteur.»

    Et, notre camarade Nicod mettait la Chambre en garde ainsi :

    « Va-t-on se borner à lutter contre les petits commerçants, écrasés par la crise, sans même inquiéter les spéculateurs et les grands trusts capitalistes ? »

    II faut croire que la Chambre n’était pas de son avis, car point n’est besoin d’être grand clerc pour savoir que cette loi ne verra jamais le jour.

    Il y avait pourtant là une belle occasion de frapper les gros et d’aider les petits, qu’ils soient des classes moyennes ou de la classe ouvrière. Enfin, un dernier point.

    Les efforts des communistes pour le tourisme populaire sont connus de tous et nous ne voulons ici souligner que la partie de ces efforts qui ne touchent pas la classe ouvrière.

    Indiquons, en passant, que l’Association touristique populaire créée par notre camarade Barel, au lendemain des élections, a fait que le commerce de la Côte d’Azur connaît une clientèle nouvelle, mais aussi un nombre de visiteurs qu’il n’espérait pas revoir un jour. Or, l’activité de nos camarades a fait, qu’entre le vendredi saint et le lundi de Pâques, 54.345 touristes sont descendus sur la Côte d’Azur, contre 20.688 l’année dernière. Qu’on aille donc demander aux commerçants de Nice ce qu’ils en pensent.

    On sait que le tourisme fait vivre 500.000 personnes et rapporte 1 milliard par an au Trésor.

    L’apport du tourisme étranger représente, entre 1927 et 1930, une somme de 12 milliards par an qui réduit d’autant le déficit de la balance commerciale.

    C’est en tenant compte de ces considérations que nos camarades des Alpes-Maritimes ont agi, que notre groupe défend les revendications des commerçants et hôteliers de Vichy, etc., et que nos camarades sont intervenus dans différents débats à la Chambre. C’est ainsi qu’en mars, au cours de la discussion sur la fixation des prix dans les hôtels et restaurants, notre camarade Lévy affirmait avec force :

    « La loi a pour objet d’éviter une hausse des prix et l’exploitation des touristes. Ne pas légiférer serait empêcher l’arrivée des touristes étrangers et le développement du tourisme populaire ; ce serait mettre en péril le succès de l’Exposition. »

    Et dans le même débat, notre camarade Gaou terminait son intervention en disant :

    « Pour arriver à ce résultat (donner aux touristes étrangers le désir de prolonger leur séjour en France) il ne faut pas que notre pays passe pour le pays de la vie chère, il faut que le gouvernement ait les moyens de défendre le commerce honnête, de manière que nos hôtes ne quittent pas la capitale et nos différentes provinces sur une mauvaise impression. »

    Terminons en citant la fin du discours que notre camarade Ramette prononçait le 11 juin dernier à l’occasion des débats sur les pleins pouvoirs douaniers :

    « Ce projet de loi n’est d’ailleurs que la reconduction, avec une amélioration, des pleins pouvoirs antérieurs. Ces pleins pouvoirs ont été utilisés par des gouvernements dont la politique était foncièrement différente de celle du gouvernement de Front populaire.

    C’est la démonstration que le projet peut servir a à la satisfaction de la rapacité des trusts capitalistes et, par suite, à l’écrasement des masses travailleuses, et en particulier des classes moyennes, petits industriels, artisans et paysans, ou bien inversement à l’amélioration des conditions d’existence des travailleurs de toutes conditions, et notamment à la satisfaction des légitimes besoins des classes moyennes.

    Dans ce dernier cas, les pleins pouvoirs douaniera ne suffisent pas ; il faut aussi que le gouvernement exprime clairement sa volonté de lutter efficacement contre la hausse des prix et contre le sabotage de l’économie nationale ; sa volonté de sortir du cercle vicieux dans lequel nous contraint détourner la reconnaissance au patronat du droit de reprendre, par la hausse des prix, ce qu’il a été obligé d’accorder aux travailleurs pour qu’ils puissent vivre décemment. Il faut que, dans le pays, on reste convaincu que le gouvernement veut maintenir les améliorations acquises par les ouvriers et développer l’aide aux classes moyennes, à la classe paysanne. »

    Nous pourrions citer de nombreux exemples encore de l’activité de notre groupe communiste en faveur des classes moyennes, Mais nos lecteurs comprendront que ce bilan est déjà suffisamment éloquent pour démontrer ce que le grand Parti communiste à fait et tenté de faire pour cette importante couche de la population. Il nous faut maintenant tirer quelques conclusions indispensables. On remarquera que de toutes nos propositions, trois d’entre elles seulement supposent des dépenses ou des moins-values de recettes :

    a) Celle qui a trait aux dégrèvements d’impôts au bénéfice des petits propriétaires logeant des chômeurs ;

    b) La création du fonds national de chômage ;

    c) La retraite aux vieux travailleurs.

    Nous pourrions simplement affirmer que cela était et est contenu dans le programme du Rassemblement populaire et que, par suite, l’on connaissait par avance leurs répercussions financières. Mais nous pensons qu’en dehors de l’obligation qui est faite aux partis du Front populaire de tenir leurs promesses électorales, il convient d’indiquer que ces trois propositions ne nécessiteraient pas de somme importante.

    Les dégrèvements apporteraient quelques millions de moins-values en recettes.

    La création du fonds national de chômage nécessitera des dépenses d’autant moins importantes que d’une part la retraite aux vieux travailleurs sera un fait accompli, et que, d’autre part, l’activité économique sera ranimée, notamment en satisfaisant les classes moyennes.

    La retraite des vieux travailleurs est couverte pour les trois quarts, d’après les chiffres mêmes du docteur Fié.

    Les 800 millions qui manquent peuvent être obtenus par l’obligation pour les compagnies d’assurances d’appliquer la péréquation aux rentes en viager, par l’obligation pour les caisses, de retraites autonomes de verser à la Caisse nationale de retraite les sommes qu’elles ont reçues d’affiliés qui ne toucheront jamais d’elles une retraite, puisque n’ayant pas un nombre suffisant d’années de versements, par des conditions particulières à faire aux nombreux porteurs de rentes sur l’Etat.

    Toutes les autres propositions ne nécessiteraient aucune dépense nouvelle pour l’État.

    Par suite, on peut s’étonner de n’avoir pas trouvé à la Chambre plus de compréhension et de sens politique, moins de bavardages et plus de réalisations.

    L’adoption de toutes ces propositions faites dans l’intérêt des classes moyennes aurait éclairai sérieusement l’horizon politique. Elles auraient été satisfaites dans la plupart de leurs revendications. Le Front populaire, pour elles, n’aurait pas été une coalition politique sur laquelle des doutes peuvent s’élever ; mieux, ceux qui, nombreux, et sans être idéologiquement fascistes, n’ont pas voté pour les partis du Front populaire, se seraient sans aucun doute rangés du bon côté et par là même auraient supprimé toute chance d’avènement du fascisme en France.

    Nous n’en serions plus à redouter les attaques sournoises de la droite réactionnaire, à craindre la division du Front populaire, à redouter les manœuvres de dislocation.

    La « clientèle » possible des partis factieux leur serait enlevée sans espoir de retour.

    Les hésitations de certains de nos amis radicaux auraient disparu et l’alliance de la classe ouvrière et des classes moyennes serait effectivement réalisée.

    Le Front populaire serait plus solide que jamais ; car, ainsi que le disait le secrétaire général de notre Parti, Maurice Thorez : « Le Front populaire, c’est l’alliance durable entre la classe ouvrière et les travailleurs des classes moyennes, la paysannerie notamment. »

    Cette alliance durable, les communistes la veulent de toutes leurs forces. Ils l’ont voulue pour le Pain, la Paix et la Liberté. Ils la veulent contre les 200 familles, pour l’Union du peuple français, pour faire de notre pays une France libre, forte et heureuse. »

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    et l’identification au Front populaire

  • Le PCF et la chute du gouvernement de Léon Blum en 1937

    La lecture des choses est également faussée, pour le Parti Communiste Français, par l’apparente stabilité gouvernementale. Ainsi, le 8 mai 1937 a lieu un vote de confiance, et le résultat est sans appel avec 389 voix contre 199 en défaveur du gouvernement.

    Léon Blum apparaît comme légitime, les radicaux représentent pour les communistes le pivot de la République. Ils ont donc toute confiance en la situation.

    La vigueur de la traditionnelle manifestation au mur des Fédérés, avec des centaines de milliers de manifestants le 30 mai 1937, apparaît comme une confirmation de cela, surtout que communistes et socialistes tiennent un meeting commun.

    Les aléas parlementaires bouleversent cependant la donne. Lors de la séance de nuit parlementaire du 16 juin 1937, le gouvernement obtient les pleins pouvoirs en matière financière, par 346 voix contre 247.

    Mais le Sénat s’y oppose, par 168 voix contre 96 ; les radicaux commencent à basculer à droite. En fait, le pays décroche, à tous les niveaux.

    Socialement, économiquement, politiquement, tout l’élan du Front populaire s’assèche et le pivot de la République qu’étaient censés être les radicaux se révèlent le centre de gravité du régime lui-même.

    Le Parti Communiste Français est pris par surprise ; toute sa stratégie voit son socle remis en cause. Il va alors se précipiter dans l’ultra-légitimisme et se positionner de telle manière à reprendre le positionnement des radicaux eux-mêmes.

    On est là dans une espèce de construction artificielle, pour faire vivre le Front populaire coûte que coûte, quitte à simuler des forces sur le plan idéologique.

    Voici la ligne initiale du Parti Communiste Français, développée dans une vaste campagne de tracts et d’affiches.

    « Pour le salut du pays

    La réaction ne désarme pas. Ne pouvant abuser les masses laborieuses et capter leur confiance elle multiplie les manœuvres et les intrigues contre le Front populaire du Pain, de la Liberté et de la Paix.

    Elle organise l’attaque contre le cours des rentes pour dépouiller l’épargne française. Elle complote contre le franc.

    Elle viole les lois sociales et sabote le redressement économique du pays.
    Elle s’oppose à ce que soient réalisées les réformes attendues par les commerçants et par les paysans de France.

    Le plan des forces de régression sociale et de réaction est de détruire les conquêtes sociales et humaines du Front populaire.

    Battue aux élections, de 1936 par le suffrage universel dont le verdict républicain est confirmé à chaque élection partielle, la réaction veut s’opposer à la volonté légale du pays et pour parvenir à ses fins, elle vise en premier lieu à briser l’union des forces de progrès, de liberté et de paix.
    Le Parti communiste attaché de toutes ses forces au Front populaire dont il s’honore d’avoir été l’initiateur se dresse contre les prétentions des oligarchies financières.

    Ces forces occultes et malfaisantes voudraient imposer au pays de nouveaux sacrifices alors que les gros possédants ne veulent pas remplir leur devoir envers la Nation.

    Or ce, n’est pas par l’augmentation des tarifs de transport, des tarifs postaux, du prix du tabac et des allumettes, pas plus que par l’adoption de certaines autres taxes génératrices de vie chère que peut être réalisé l’assainissement des finances publiques.

    Ces mesures ne peuvent qu’imposer aux masses populaires des charges nouvelles sans apporter une solution durable au problème des ressources de l’Etat et de l’équilibre budgétaire.

    Pour sauvegarder les intérêts des masses populaires et pour assainir la situation financière de là France il n’y a pas d’autre voie que celle qui a été indiquée par la Nation Souveraine

    le programme du Front populaire

    Ce que la France veut, c’est :

    que, soit rassurée la défense du franc contre la spéculation nationale et internationale

    que l’équilibre budgétaire soit atteint par une réforme démocratique du système des impôts

    que les lois sociales ne puissent pas être considérées comme provisoires par un grand patronat qu’anime une volonté de réaction sociale et politique

    que des réformes sociales particulièrement importantes pour la population laborieuse soient enfin réalisées.

    Des lois concernant les dettes, les baux, la propriété commerciale le crédit sont attendues parles commerçants.

    Des lois concernant les dettes, la propriété culturale, les calamités agricoles, le fermage, le métayage, des mesures d’extension des allocations familiales sont également attendues par les paysans.

    L’ouverture de grands travaux destinés à donner du travail aux ouvriers, à ranimer l’économie nationale et à améliorer la condition humaine aussi bien dans les villages que dans les villes est attendue.

    Le Parti communiste défenseur du peuple est animé de la noble ambition de faire triompher avec l’ensemble du Front populaire

    les revendications de la France laborieuse

    Il veut aussi que l’immense espérance qui remplit le cœur des vieux de France ne soit pas déçue.

    Le 12 juin dernier, par milliers et par milliers, de vieux travailleurs ont adressé aux représentants de la Nation une émouvante supplique. La voix de ces vieux doit pas être entendue.

    La retraite qu’ils attendent doit être instituée.

    Tout cela est possible à la condition de frapper les grosses fortunes comme le prévoit le programme du Rassemblement populaire et comme l’ont revendiqué plusieurs générations de républicains français.

    DE L’ORDRE dans les finances, par la réforme démocratique des impôts ;

    DE L’ORDRE dans les usines, par la marche normale de la production, par le respect des lois et par la réglementation du débauchage et
    de l’embauchage ;

    DE L’ORDRE dans la rue par la mise hors d’état de nuire des ligues fascistes de guerre civile ;

    DE L’ORDRE et de la tranquillité dans le pays tout entier, par des mesures extrêmement sévères contre les organisations de malfaiteurs qui multiplient les assassinats ;

    DE L’ORDRE dans les esprits par l’exemple de la fidélité aux engagements pris.

    Voilà comment le Front populaire peut et doit consolider les bases de son union et de sa résistance à toutes les entreprises de la réaction.

    Cela est d’autant plus nécessaire, que l’attaque du fascisme international contre l’Espagne vise aussi notre pays. Elle met en danger la paix du monde dont la sauvegarde ne peut être assurée que par l’application du programme du Front populaire, par la sécurité collective que garantit le pacte franco-soviétique, et par le respect du droit international auquel est contraire le blocus de l’Espagne républicaine.

    Le Parti communiste entend demander à tous les partis et organisations du Front populaire d’examiner et de résoudre en commun l’ensemble de ces questions.
    Tous ensemble, nous pouvons et nous devons trouver la force de briser l’assaut des forces d’argent et d’imposer le respect de la volonté populaire.

    Pour mener à bien cette tâche et pour briser l’assaut furieux de la réaction, LE PARTI COMMUNISTE EST PRET A PRENDRE TOUTES SES RESPONSABILITES DANS UN GOUVERNEMENT RENFORCÉ ET CONSTITUÉ A L’IMAGE DU FRONT POPULAIRE, POUR LE SALUT DE LA FRANCE, DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA PAIX.

    LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS »

    Le chef du nouveau gouvernement est le radical Camille Chautemps ; lui obtient du Sénat les pleins pouvoirs jusqu’au 30 août 1937, par 167 voix contre 82, après avoir eu le soutien du parlement, par avec 393 députés contre 142.

    Il procède à une nouvelle dévaluation (de 26%), les impôts sur le revenu augmentent, ainsi que les prix du tabac, des PTT et des chemins de fer.

    Naturellement, la mobilisation est immédiatement importante ; dès le 24 juin, 150 000 personnes manifestent à l’appel du comité de la région parisienne du Front populaire. Cependant, les cortèges parisiens du 14 juillet 1937, où défilent plusieurs centaines de milliers de personnes (100 000 à Lyon, 100 000 à Marseille), débouchent sur une scène place de la Nation à Paris où les participants au Front populaire tiennent des discours d’unité.

    Officiellement, le Front populaire existe encore et on a le paradoxe de mobilisations de luttes qui sont lancées sans être lancées, offensives sans être offensives, où le grand perdant est le Parti Communiste Français, dans la mesure où il n’apparaît ni réellement combatif, ni réellement comme partie prenante d’une solution négociée avec les radicaux comme peuvent le prétendre les radicaux.

    Mais cela, le Parti Communiste Français ne le voit pas. Il est aveuglé par sa reconnaissance généralisée obtenue en 1936, et par sa base de masse.

    Le Parti a environ 340 000 adhérents ; L’Humanité tire à plus de 500 000 exemplaires. Il a également un vrai impact sur la jeunesse, il apparaît comme solide et moderne, au moins relativement.

    Ainsi, le 11 juillet 1937, 50 000 personnes sont présentes au Stade Buffalo, à l’occasion de l’ouverture le lendemain au Palais de la Mutualité du congrès de la Fédération des Jeunesses communistes de France, avec 3 000 délégués.

    Les meetings amènent des dizaines de milliers de personnes, partout dans le pays, de manière régulière ; Maurice Thorez parle ainsi à la fin de l’année 1937 devant 20 000 personnes à Longwy, puis devant 50 000 personnes à Lille.

    Il y a également des masses qui bougent, s’agitent, avec des grèves éparses mais dures, et les manifestations ne semblent pas montrer autre chose, avec encore l’esprit du Front populaire qui apparaît comme intact dans la forme.

    Les cortèges parisiens du 14 juillet 1937, où défilent plusieurs centaines de milliers de personnes (100 000 à Lyon, 100 000 à Marseille), débouchent ainsi sur une scène place de la Nation à Paris où les participants au Front populaire tiennent des discours d’unité.

    Le chef du gouvernement Camille Chautemps n’est pas présent, par souci de s’éloigner, mais le message qu’il fait lire salue « l’œuvre immense et généreuse du gouvernement Blum ». Les apparences sont sauves.

    Le 1er août, quelques dizaines de milliers de personnes sont à Vincennes pour le Rassemblement universel pour la paix ; début septembre 1937, 300 000 personnes sont à Garches pour la fête de L’Humanité.

    Le 23 septembre 1937, 40 000 personnes à Boulogne à l’appel de l’intersyndicale, contre la vie chère et fin septembre, c’est aussi le congrès du Rassemblement Universel pour la Paix, à Paris, avec 2000 délégués.

    Lorsque meurt Paul Vaillant-Couturier, à 45 ans, une figure extrêmement populaire, un des principaux cadres communistes et un acteur majeur du quotidien L’Humanité, il y a un demi-million de personnes pour l’accompagner, puis 100 000 personnes le lendemain pour refaire le même parcours, symboliquement.

    Le 23 octobre 1937, 200 000 personnes sont présents à un grand meeting à Vincennes, contre la vie chère et pour le soutien à l’Espagne ; l’initiative en revient à la CGT et au Comité du Front populaire et il y a de nouveau 200 000 de nouveau pour une manifestation sur le même thème, le 30 octobre 1937.

    À la fin de l’année 1937, le Parti Communiste Français pense donc encore qu’il peut maintenir les choses en l’état, et d’ailleurs Maurice Thorez lance de nouveau un grand appel aux catholiques.

    Le 9e congrès du Parti Communiste Français, qui se tient à Arles du 25 au 29 décembre 1937, est alors le point culminant de l’identification faite du Parti avec le Front populaire.

    Le titre du rapport effectué par Maurice Thorez ne laisse aucun doute à ce sujet : « La France du Front populaire et sa mission dans le monde ».

    La présentation faite souligne le haut degré d’illusion chauvine qui existe, sous l’impulsion de la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez. La France serait à part, elle pourrait trouver un chemin à part, pour vivre à part.

    « Il appartient maintenant au IXe congrès de notre Parti communiste de dresser le bilan des deux dernières années, d’apprécier exactement les résultats obtenus, de tenir compte également, afin de les surmonter, des difficultés rencontrées par le Front populaire.

    Il nous appartient, à nous, délégués des organisations communistes des villes et des campagnes, représentants authentiques des ouvriers et des paysans de France, il nous appartient d’éclairer la voie pour un nouveau pas en avant des masses populaires.

    En des heures lourdes d’angoisse, alors que pèse sur notre peuple la double menace de la guerre intérieure et de la guerre extérieure, alors que déjà la guerre a commencé et fait rage sur plusieurs points du globe, le Parti communiste français doit proclamer la MISSION PROGRESSIVE ET PACIFIQUE DE LA FRANCE DU FRONT POPULAIRE.

    Ce sera le but de mon rapport. »

    Si le projet possède une véritable cohérence, car la France du Front populaire peut effectivement grandement jouer sur le cours des choses, il y a ouvertement l’illusion de faire en sorte que la France échappe aux vicissitudes, au moyen d’un Front populaire maintenu finalement on ne sait trop comment.

    Les premières paroles de Maurice Thorez sont à ce titre un véritable scandale. Cela dégouline de chauvinisme niais, de démagogie nationaliste, d’illusions prétentieuses.

    « Le rapport du Comité central au congrès de Villeurbanne [en 1936] fit, plusieurs d’entre nous s’en souviennent, une grande impression sur tous les délégués, puis sur tous les membres du Parti.

    Au dehors, il subit la critique bienveillante, amère ou rageuse des amis et des adversaires. Il provoqua la colère des uns et la moquerie facile des autres.

    Le rapport était comme une nouvelle rencontre de la classe ouvrière avec la France, un des plus beaux pays et des plus riches pays du monde.

    Il débutait par le tableau des richesses de la France, de ses ressources immenses, agricoles et industrielles. Il détaillait les principales productions de la terre de France fécondée par la sueur et le sang de Jacques Bonhomme, l’ancêtre de nos laboureurs.

    La production de ses usines géantes, fruit du labeur de nos pères, et des pères de nos pères, jusqu’aux plus lointaines générations.

    Sur notre sol fertile lèvent de belles moissons. »

    C’est un cauchemar, mais qui a un sens : ayant souffert de son isolement en raison de la ligne opportuniste de gauche, le Parti Communiste Français s’est précipité dans une ligne opportuniste de droite.

    Maurice Thorez justifie cela en disant que les conditions de vie se sont améliorées, qu’il y a désormais le tourisme populaire et un meilleur accès à la culture ; les mentalités, en général, ont changé.

    La phrase clef, c’est celle-ci :

    « Le patron n’a plus en face de lui un être craintif, jusqu’à l’humiliation, n’osant pas revendiquer, se méfiant de lui-même et de son voisin, enclin à la résignation parce qu’il se croit, parce qu’il se sent plus ou moins isolé.

    Le patron, dont la responsabilité et l’autorité dans son entreprise n’est [sic] nullement contestée dans les conditions du régime actuel, se trouve en présence de prolétaires unis, solidaires et forts, confiants dans leurs syndicats, dans leurs militants. »

    On est là dans l’éloge d’un système qui sera celui du capitalisme développé après 1945. De plus, la situation économique est lamentable en réalité et la dévaluation réalisée par Léon Blum, contrairement à ce qu’il avait promis, a mangé tous les acquis obtenus par les revendications en mai 1936.

    Maurice Thorez extrapole donc les choses lorsqu’il s’imagine qu’on en est encore, purement simplement, au combat entre fascisme et démocratie, et qu’il faut se fondre dans la démocratie, s’identifier au Front populaire qui porte celle-ci.

    On retrouve d’ailleurs à l’instar de Léon Blum une véritable fascination pour la modernité américaine :

    « Nous nous réjouissons sincèrement des succès de la politique démocratique et réformatrice du président Roosevelt. Nous applaudissons de tout coeur à ses discours retentissants en faveur de la démocratie, contre le fascisme.

    Nous avons salué avec enthousiasme la victoire magnifique du maire de New York, l’antifasciste [Fiorello] La Guardia [un républicain populiste pro-Roosevelt, opposé à Mussolini mais ayant soutenu l’invasion italienne de l’Ethiopie], qui a dit courageusement son fait à Hitler, le bourreau sanguinaire du peuple allemand. »

    On a ici le paradoxe : il y a urgence mondiale, car la guerre menace, et partant de là il y a urgence… de ne rien faire, de continuer le Front populaire en cherchant à le cimenter, et ce à tout prix.

    C’est le choix fait en 1937 et il va coûter extrêmement cher en 1938, poussant le Parti Communiste Français à se prétendre le véritable représentant du centrisme, des « radicaux », pour réactiver coûte que coûte le Front populaire en perdition.

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    et l’identification au Front populaire

  • « Grand capitalisme + classes moyenne = fascisme ; classe ouvrière + classes moyennes = front populaire »

    Plus de 100 000 personnes manifestent à Vincennes à l’appel de la CGT, fin avril 1937, « pour les grands travaux, contre la vie chère et l’augmentation des transports, pour la réglementation du travail à domicile ».

    Et c’est un million de personnes qui défilent à Paris le premier mai. On comprend qu’aux yeux de la base du Parti Communiste Français, aux yeux des 340 000 membres, une telle masse cache largement tous les problèmes alors.

    L’impact est là, le degré d’exigence est là ; de par sa tradition syndicaliste, le mouvement ouvrier français n’a pas les clefs pour chercher autre chose.

    Voici le document communiste pour le premier mai, écrit par Gaston Monmousseau. Il résume parfaitement la vision du monde du Parti Communiste Français, en tant que démonstration aboutissant à la thèse : « grand capitalisme + classes moyenne = fascisme ; classe ouvrière + classes moyennes = front populaire ».

    « Voilà un an, au 1er Mai 1936, nous nous trouvions en pleine poussée des forces populaires, entre les deux tours de scrutin, quelques jours avant la proclamation de la victoire électorale qui allait donner 72 élus communistes au Parlement et permettre par l’autorité et le rayonnement de notre Parti d’entreprendre sans délai la réalisation du programme du Front populaire.

    Voilà un an, l’unité syndicale était certes réalisée, mais le mouvement syndical se trouvait encore dans sa période de regroupement ; les effectifs, déjà en pleine croissance, n’atteignaient guère plus de un million de membres.

    Mais le résultat des élections législatives, le renversement de la majorité Laval furent tels que sans attendre la constitution du nouveau ministère, les masses se mirent en mouvement et, en rangs compacts, engagèrent la lutte pour la révision des salaires et pour les conventions collectives.

    Le 12 juin, le nouveau gouvernement s’installait et il s’installait dans une ambiance générale telle que la réaction elle-même se trouvait désemparée et devait céder du terrain.

    Chacun se souvient, mais il n’est pas mauvais de le rappeler, des grandioses mouvements de juin qui, prenant naissance fin mai sous la forme de la grève sur place, s’étendirent à toutes les industries et à toutes les régions.

    Prudemment, la grande bourgeoisie baissait la voix ; elle faisait même son mea culpa sous l’emprise de la peur, en avouant qu’elle avait vraiment trop abusé de sa force à l’égard de la classe ouvrière alors qu’elle était au pouvoir, qu’on avait été trop loin clans la réduction des salaires, qu’on avait piétiné les sentiments de justice et le droit syndical au cours des années écoulées.

    Certains patrons, invités à faire appel à la force publique pour l’évacuation de leurs entreprises, dédaignaient cette provocation en disant que ma foi les travailleurs se conduisaient très sagement à l’intérieur des usines, respectant l’outillage et même lui apportant tous leurs soins.

    Comme nous étions loin des anathèmes, des appels à l’emploi de la force, des calomnies à l’égard du mouvement syndical et de ses militants, que nous avions connus précédemment et que nous recommençons à entendre depuis quelque temps.

    En l’espace de quelques heures, des conventions collectives furent élaborées et signées par les organisations patronales et syndicales ; en moins d’une soirée, la puissante Confédération de la Production Française engageait sa signature dans le bureau de la présidence du Conseil à côté de celle de la Confédération Générale du Travail.

    La classe ouvrière française, soutenue par toutes les forces du Front populaire, réalisait plus en quelques heures qu’au cours de toute l’histoire de la IIIè République.

    Le salaire se trouvait garanti, les syndicats officiellement reconnus, les libertés syndicales affranchies des lourdes restrictions que jusque- là les oligarchies leur imposaient.

    Finie la douloureuse et révoltante époque où le salarié, créateur des richesses nationales, devait cacher son Humanité aux yeux du patron et de ses agents, où il devait la lire en cachette !

    Finie cette époque humiliante où le salarié devait cacher avec soin ses liaisons syndicales et politiques pour pouvoir trouver du travail et conserver sa place à l’étau, à la forge, au train, au comptoir de magasin, au bureau, au chantier, au métier à tisser, etc. Le joug du patronat avait été plus lourd encore, puisqu’en de nombreux cas il fallait faire acte d’adhésion aux Croix-de-Feu pour demeurer à son poste.

    Dès l’avènement du Front populaire, les travailleurs ont senti la force immense qui s’était dégagée de la consultation électorale ; ils ont senti qu’une nouvelle période de la lutte des classes venait de s’ouvrir devant eux ; ils se sont senti des hommes nouveaux.

    Incontestablement, le 1er Mai 1936 a ouvert en France la voie à un renversement de l’ancien rapport des forces entre la classe ouvrière et le grand capital ; il est à l’origine des conquêtes réelles réalisées par la classe ouvrière contre les oligarchies. Il restera une date ineffaçable dans notre histoire.

    Nous voici au 1er mai 1937, avec une année entière d’expérience du Front populaire derrière nous ; avec une C.G.T. Forte de près de cinq millions de membres, qui au cours de ces douze mois ont acquis une conscience de classe dont nous pouvons mesurer la portée par le fait que, contrairement aux espoirs du grand capital, les effectifs syndicaux, loin de régresser, se consolident et se renforcent.

    L’autre fait non moins important réside dans la croissance du parti communiste, dont les effectifs atteignent aujourd’hui 311.000 membres. Enfin, le courant d’unité politique s’amplifie dans les masses, qui comprennent à merveille que cette unité orientée contre le grand capitalisme constitue une garantie essentielle pour le renforcement du Front populaire et du mouvement syndical en face des attaques de la réaction.

    Nous n’ approuvons pas ceux-là qui, affectant de croire que le vote des lois sociales termine et garantit à lui seul l’œuvre du Front populaire, proposent de souffler et de profiter de la « pause » pour édifier un programme nouveau.

    Le programme du Front populaire, tel qu’il fut rédigé et présenté à la ratification des masses, ne permet pas une telle interprétation qui est contraire au fait social, à l’existence des oligarchies, à leurs offensives directes et indirectes contre les réalisations obtenues et celles qui ne sont pas encore acquises dans la réalité et qui intéressent des couches sociales extrêmement importantes.

    D’où vient, en effet, qu’à peine un an après la signature des conventions collectives du travail, les syndicats portent à leur ordre du jour le réajustement des salaires, et que déjà des réajustement s’opèrent sous la pression des masses et parfois même par la grève ?

    En réalité, le grand capital, un moment désemparé par l’impétuosité du mouvement ouvrier – en mai et juin derniers – s’est ressaisi. Patiemment, souterrainement, il s’est attaché à préparer le terrain pour sa contre-offensive pour reprendre peu à peu les positions perdues.

    C’est un fait que la hausse des prix affecte gravement l’ensemble de la population laborieuse en même temps qu’elle procure aux spéculateurs et gros industriels de nouveaux bénéfices.

    Les masse paysannes ont certes bénéficié de l’Office du blé, mais les produits industriels dont ils sont acheteurs pour satisfaire aux besoins de leurs exploitations, et les denrées de première nécessité dont ils ont besoin pour vivre, ont considérablement augmenté, et les charges qui pèsent sur la petite et moyenne culture sont demeurées les mêmes.

    Les petits artisans et commerçants ne sont pas satisfaits. Sans doute, le nombre des faillites a diminué, les affaires vont mieux ; mais ils doivent vendre au prix imposé par les fabricants et les grossistes ; leurs bénéfices n’ont pas augmenté et leurs charges n’ont pas été notablement allégées.

    L’idée transmise par les fomenteurs de vie chère, que le Front populaire a uniquement profité à la classe ouvrière, que les classes moyennes n’ont rien à attendre de lui, trouve dans la réalité économique un terrain favorable.

    Ce n’est évidemment qu’une calomnie.

    Dans l’ordre économique les difficultés dont souffrent les classes moyennes ont eu leur cause essentielle dans la diminution du pouvoir d’achat de larges masses ouvrières ; c’est la politique du grand capitalisme, de ses gouvernements Pierre Laval et Doumergue, qui est à l’origine de ces difficultés ; c’est eux qui, en frappant les salaires ouvriers, ont tari les revenus du petit commerce et de la masse des paysans, sans oublier la concurrence sans merci que les grands propriétaires fonciers, les grandes exploitations industrielles, les grands magasins et magasins à succursales multiples mènent contre les petits exploitants.

    Il était clair que le Front populaire, appuyé par les masses, devait prendre dès le début le contre-pied de la politique lavalienne, et pour ouvrir une nouvelle voie à la reprise des affaires relever le pouvoir d’achat des masses, lutter contre le chômage, garantir la paysannerie contre les spéculateurs.

    Les inquiétudes, et parfois un certain mécontentement qui règnent chez les classes moyennes, ont comme cause principale, non pas les lois sociales votées depuis un an, mais le fait que la réaction a su, au moins partiellement, freiner l’oeuvre en cours, jeter des obstacles sur la route du Front populaire en limitant de façon notable les réalisations destinées à favoriser les classes moyennes.

    La responsabilité première fondamentale de cet état de choses incombe aux oligarchies et non au Front populaire, mais il faut bien convenir que le gouvernement du Front populaire a été porté au pouvoir pour se dresser contre les prétentions réactionnaires des oligarchies et pour passer outre.

    Or, s’il était absolument juste de commencer l’œuvre économique du Front populaire en restaurant le pouvoir d’achat des grandes masses salariées, il était nécessaire de prendre simultanément toutes mesures utiles afin de maintenir une marge favorable au pouvoir d’achat de ces masses, par rapport au coût de la vie, et de limiter la marge des profits du grand capital. Ainsi le jeu des lois sociales aurait eu un plein effet sur le cours de la vie économique.

    Les conséquences budgétaires de l’application des premières lois sociales étaient prévues quand le programme du Front populaire fut élaboré, et aussi leur correction, puisque la réforme fiscale s’y trouve mentionnée.

    En réalisant celle-ci, sans se laisser intimider par les criailleries réactionnaires, les charges qui grèvent les classes moyennes se trouvaient réduites, le Front populaire se renforçait et se préparait de nouvelles et solides positions pour continuer son oeuvre.

    Cela, le Parti communiste n’a cessé de le préconiser ; on pouvait et on devait le faire et, parce qu’on ne l’a pas voulu, la réaction, voyant le chemin libre, a provoqué la hausse des prix ; ce faisant, elle a menacé le pouvoir d’achat des salariés et jeté lé trouble au sein des classes moyennes, accusant le Front populaire de ses propres crimes.

    Répondant à des observations de même nature que celles-ci, des militants socialistes, chargés de responsabilités gouvernementales, ont argué, à maintes reprises, que le gouvernement n’était pas désigné pour réaliser le Programme socialiste.

    Mais, précisément, il s’agit du programme du Rassemblement populaire, d’un programme qui reprend les idées essentielles du vieux programme radical-socialiste.

    Nous, communistes, qui n’oublions nullement notre programme, ne demandant présentement rien qui ne puisse se réaliser dans le cadre du régime actuel, nous l’avons répété cent fois.

    La lutte contre la spéculation, la réforme fiscale, les mesures à prendre contre la hausse exagérée et anormale des prix constituent des mesures fort modestes par rapport à ce que nous voudrions, nous, communistes ; elles ont été acceptées par tous, la majorité du pays y a souscrit et, parmi ceux qui ont voté contre le Front populaire, des centaines de milliers de personnes eussent applaudi à leur application, car elles répondent à leurs désirs.

    Les mouvements de juin 1936 étaient soutenus par la majorité de la nation, parce que leurs objectifs étaient reconnus légitimes ; parce que les classes moyennes voyaient dans les lois sociales les premières fondations de l’oeuvre commune d’une politique de justice sociale.

    Le Front populaire est bien une formation nouvelle dont le destin est loin de consister à revenir, après une période d’expériences heureuses, dans les vieux chemins de la politique traditionnelle des anciens cartels.

    Une telle conception du Front populaire correspondrait, non pas à la réalité, non pas au désir des masses, mais elle irait au devant de la pensée secrète du grand capitalisme qui, dans le passé, sut utiliser avec brio les partis de gauche pour apaiser, durant un moment, les mécontentements populaires, tout en tenant le gouvernement en laisse dans la ligne générale de la défense de ses intérêts.

    Reprendre le programme du Parti radical socialiste n’a jamais voulu dire qu’il s’agissait de reprendre la politique des vieux partis de gauche ou des cartels, mais de l’appliquer grâce au concours de toutes les forces populaires et au seul profit de la majorité du pays.

    Ces jours-ci, des grèves ont eu lieu et ont abouti à un réajustement des salaires d’une moyenne de 12 %, alors que les travailleurs la voulaient de 15.

    On ne saurait trouver exagéré ce dernier chiffre, étant donné le coefficient du coût de la vie par rapport à celui de juin dernier. Une réunion monstre des vieux travailleurs, convoquée par notre Parti, au Vélodrome d’Hiver, avait réuni 25.000 de ces derniers : il s’agissait de faire aboutir leur retraite.

    Une grande démonstration fut organisée le 24 avril, à Vincennes, par l’Union des Syndicats de la région parisienne, contre la vie chère, pour la mise en application des grands travaux, la retraite aux vieux travailleurs, l’échelle mobile des salaires, etc. Léon Jouhaux y représentait la C.G.T.

    Voilà qui donne au 1er Mai 1937 sa physionomie.

    Si, placé en face de mouvements grévistes, le patronat doit accorder des augmentations de salaires, on ne saurait insinuer sans être de mauvaise foi que les travailleurs abusent de leurs forces pour tirer à eux la couverture.

    Et si comme c’est le cas cité plus haut, la majorité des travailleurs acceptent un compromis portant à 12 % au lieu de 15 leur augmentation de salaire, on ne saurait mettre en doute leur pondération et leur esprit de discipline. Nous ne pouvons, quant à nous, que les approuver et pour leur fermeté, et pour leur pondération et pour leur discipline.

    Certains d’entre eux expriment leur mécontentement à l’égard d’un tel compromis ; il n’est pas question, en la circonstance présente, de considérer comme contraire à la justice la prétention des travailleurs ; loin de là.

    Mais nous devons considérer les changements qui depuis juin se sont produits dans l’esprit de toutes les couches sociales composant le Front populaire et dans les positions occupées par le grand capitalisme.

    Nous devons surtout ne pas laisser jeter l’oubli sur la situation économique et politique de la classe ouvrière avant l’avènement du Front populaire, avant que ne soit réalisée l’unité syndicale.

    Nous devons rappeler avec force et sans nous lasser qu’avant l’époque de l’unité syndicale et du Front populaire, il ne s’agissait pas de compromis pour la classe ouvrière, mais d’un asservissement aux volontés des oligarchies, mais de grèves brisées, mais de lock-out victorieux, mais de salaires diminués.

    La force arrogante des oligarchies venait de ce qu’elles possédaient le pouvoir, de ce que les classes moyennes, séparées du prolétariat, offraient des avantages essentiels à l’agression réactionnaire.

    Et toutes les tentatives actuelles de la réaction sont orientées vers le retour à une telle situation, vers la rupture du Front populaire, vers une rupture entre la classe ouvrière et les classes moyennes et, disons-le, vers la liquidation de l’unité syndicale.

    Nous devons rappeler avec fierté qu’en juin 1936, alors que s’affirmait avec une telle puissance la volonté de lutte du prolétariat, alors que certains hommes en proie à une griserie plus ou moins suspecte tendaient à pousser les travailleurs hors des limites de la victoire par leurs exagérations gauchistes, nous devons rappeler les sages et décisifs appels de Maurice Thorez et de Benoît Frachon a plus de modération : Non, tout n’est pas possible ; il faut savoir terminer une grève.

    S’agissait-il de tracer, une fois pour toutes, les limites de l’action revendicative de la classe ouvrière ?

    Évidemment non ! Il s’agissait de tracer dans un moment donné des limites dictées par l’intérêt du Front populaire, par la nécessité de lier des revendications des classes moyennes et du prolétariat, par la nécessité de conserver un contact précieux entre la classe ouvrière et le classes moyennes.

    Le problème, aujourd’hui, demeure entier ; au 1er mai 1937, il se trouve posé d’une manière plus aiguë qu’il ne l’était voilà un an, en raison de certaines faiblesses dont on a fait preuve pour lutter contre les oligarchies, pour poursuivre la réalisation du programme commun en faveur de couches importantes de la population.

    En 1937 comme en 1936 le problème continue de se poser ainsi : grand capitalisme + classes moyenne = fascisme ; classe ouvrière + classes moyennes = front populaire. »

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    et l’identification au Front populaire

  • L’unité organique avec les socialistes voulue par le PCF en 1937

    Tout comme il y a la réunification de la CGT, socialistes et communistes sont censés fusionner, du moins c’est le discours qui a été accepté de part et d’autre, formellement du moins. Car si les masses insistaient sur cette unification ou réunification, pour la direction socialiste il en était hors de question et tout était fait pour gagner du temps.

    Le Parti Communiste Français s’est vu ici trop beau trop fort, s’aveuglant lui-même avec son identification avec le Front populaire, et le Parti socialiste-SFIO a pu le mettre en échec, sans réellement trop d’efforts.

    Voici comment les communistes formulent leurs illusions, fin juillet 1937, dans le document « Le Parti unique se fera ».

    « La délégation du Parti communiste au Comité d’Entente est heureuse de constater le rapprochement des points de vue exprimés par le Parti socialiste et le Parti communiste en ce qui concerne la réalisation du Parti unique de la classe ouvrière.

    En proclamant, au congrès de Marseille que le Parti unique devrait avoir pour base « la démocratie à tous les degrés de l’organisation, la souveraineté des congrès nationaux et internationaux, l’indépendance du Parti vis-à-vis de tout gouvernement », le Parti socialiste a émis une opinion identique à celle qui se dégage du projet de conciliation et de synthèse soumis par le Parti communiste à la commission d’unification.

    Il n’y a donc aucune divergence de nature à empêcher la réalisation de l’unité politique.

    C’est pourquoi selon les décisions prises par notre Comité central lors de sa Session des 22 et 23 juillet 1937, nous soumettons au Comité d’Entente les propositions concrètes suivantes :

    1) A dater de ce jour, la C.A.P. du Parti socialiste et le Comité central du Parti communiste se réuniront régulièrement deux fois par mois et en commun, afin de procéder à l’examen de la situation, de prendre toutes les décisions que commande cette situation et d’en assurer l’application.

    Les bureaux des fédérations socialistes et des régions communistes agiront de la même façon. Les sections socialistes et communistes se réuniront également en commun.

    2) Les élus de nos deux partis agiront de concert. Pour cela, les deux groupes parlementaires à la Chambre et au Sénat, les élus cantonaux et municipaux d’un même département et d’une même localité tiendront des réunions communes, afin d’examiner ensemble les questions soumises aux assemblées dont ils dépendent et de déterminer une attitude commune.

    3) La propagande sera désormais organisée en commun à travers tout le pays en rassemblant les hommes et les moyens de propagande dont disposent nos deux partis.

    4) Un accord interviendra, qui établira la collaboration des camarades socialistes a « l’Humanité » et à la presse de province actuellement sous le contrôle du Parti communiste et la collaboration des camarades communistes au « Populaire » sous le contrôle du Parti socialiste.

    Dans des conditions identiques sera instituée la collaboration réciproque aux organes théoriques des deux partis.

    5) Jusqu’à la fusion totale des deux partis, les adhérents continueront à payer leurs cotisations à leur parti respectif.

    Toutefois, il pourra être créé à chaque échelon, de la base au sommet, des commissions de contrôle communes, de manière à faciliter la préparation du congrès de fusion.

    6) La mise en pratique de ces propositions entraîne les deux partis à examiner et à résoudre ensemble les questions soulevées par les élections cantonales d’octobre et aussi par chaque élection partielle (programme, campagne à mener, candidats à présenter, etc.).

    En formulant ces propositions, la délégation communiste est convaincue de bien servir la cause de l’unité ouvrière et de répondre au désir profond des travailleurs socialistes et communistes qui veulent le Parti unique, arme au service du Front populaire et de l’émancipation humaine. »

    Voici la réponse socialiste, qui arriva un mois plus tard, fin août 1937. Elle est simple : impossible de se réunir à tous les niveaux, malgré le choix de l’unité, car celle-ci doit passer par tout en haut d’abord…

    « Au comité central du parti communiste, 120, rue Lafayette, Paris (10e).

    Chers camarades,

    Je vous informe qu’il ne nous est pas possible, de donner suite aux propositions que vous nous avez faites relativement aux méthodes d’unification de nos deux partis, car ces propositions sont en contradiction absolue avec les décisions de notre congrès de Marseille qui stipulent très clairement, et sans équivoque possible, que seuls nos organismes centraux doivent travailler à la recherche de l’unité.

    Nous pensons, en effet, que la meilleure méthode est celle même qui a été suivie en 1905 pour aboutir à l’unification des forces socialistes en France.

    Nous proposons donc que la commission d’unification, composée des représentants de votre parti et des représentants dit nôtre soit chargée d’élaborer successivement deux projets

    a) Un projet de charte du futur parti unifié

    b) Un projet de statut pour ce parti assurant la démocratie à tous les degrés de l’organisation et la souveraineté des congrès nationaux et internationaux.

    Lorsque nos organismes, centraux auront approuvé ces’ projets, ils seront soumis, l’un puis l’autre, aux délibérations de chaque parti séparément.

    En ce qui nous concerne nous appellerons alors nos sections, nos fédérations et un congrès national extraordinaire à se prononcer sur ces projets et à décider de la suite à leur donner.

    Telle est la méthode à laquelle nous sommes fermement attachés, car elle a donné des résultats féconds dans le passé et, forts de cette expérience, nous I pensons que c’est la seule qui puisse encore, aujourd’hui, offrir le maximum de garanties à nos deux partis et leur permettre d’aboutir à des résultats pratiques.

    Veuillez agréer, chers camarades, nos bien cordiales salutations socialistes.

    Pour la commission administrative, permanente, le secrétaire général

    signé, Paul Faure. »

    Les communistes répondent immédiatement, prenant au pied de la lettre la position socialiste, qui ne visait bien entendu qu’à gagner du temps.

    « Paris, le 2 septembre 1937

    A la C.A.P. du Parti Socialiste

    Chers camarades,

    Le Bureau politique du Comité central de notre Parti communiste a pris connaissance de la réponse que vous avez faite en date du 27 août à notre proposition relative à l’unité dont le Comité d’Entente de nos deux partis fut saisi le 29 juillet dernier.

    Nous regrettons beaucoup que notre proposition n’ait pas été acceptée par vous et nous persistons à penser qu’en organisant sans plus tarder des réunions communes des organisations de nos deux partis, du sommet à la base, en mettant en commun nos moyens de propagande et en établissant une collaboration réciproque à la presse socialiste et communiste, on rendrait un immense service à la cause de l’unité.

    Ces propositions correspondent trop aux nécessités du moment pour que nous ne les maintenions pas et nous pensons que les travaux de la Commission d’unification seraient grandement facilités si elles étaient adoptées..

    Mais puisque vous déclarez vouloir vous en tenir, pour l’instant tout au moins, aux travaux de la Commission d’unification, nous, pensons qu’elle devra se réunir très prochainement.

    En ce qui nous concerne, nous entendons ne négliger aucun effort pour aboutir rapidement à l’élaboration du projet de charte du futur Parti unique.

    Nous pouvons d’autant plus facilement aboutir que nos deux partis sont d’accord puisqu’aussi bien notre proposition souligne que la résolution du Congrès socialiste de Marseille correspond exactement, en ce qui concerne l’unité, à l’opinion du Parti communiste.

    Nous sommes, comme vous, partisans d’élaborer pour le Parti unique un projet de statut assurant en fait et non seulement en paroles, la démocratie à tous les degrés de l’organisation et la souveraineté des Congrès nationaux et internationaux.

    C’est pourquoi, considérant que nos deux Partis étant d’accord, peuvent très vite faire de l’unité une réalité vivante, nous proposons que la Commission d’unification se réunisse le mardi 7 septembre.

    Nous avons confiance dans la réalisation de l’unité qui est indispensable pour que nous puissions résister aux assauts des ennemis du peuple, pour que nous puissions défendre le pain, la liberté et la paix, et pour que nous puissions tous ensemble appliquer intégralement le programme du Front populaire.

    Dans l’espoir d’une réponse favorable à notre proposition.

    Recevez, chers camarades, nos fraternelles salutations.

    Pour le Secrétariat du Parti Communiste Français

    Jacques Duclos »

    Il n’y aura naturellement aucune suite à cela. Et la base socialiste ne pressa pas les choses non plus, à part en région parisienne, où il eut notamment en septembre 1937 un appel commun des organisations du Parti socialiste et du Parti Communiste Français à la défense de l’Espagne républicaine et à la mise en place de comités pour la réunification.

    On parle là d’une dynamique très particulière, propre à la région parisienne où les ouvriers étaient bien plus à gauche que le reste du pays et surtout dans un activisme réel pratiquement au quotidien.

    Le Parti Communiste Français se félicita donc d’une telle avancée, et de quelques autres initiatives locales du même type, mais il ne sut pas agir correctement avec la base socialiste qui, bientôt, va finir par lui tourner le dos sous l’effet de la propagande acharnée de la direction, Léon Blum en tête.

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    et l’identification au Front populaire

  • L’identification du PCF au Front populaire en 1937

    Quel est le point de vue du Parti Communiste Français après la fusillade de Clichy ?

    Il n’a pas le choix : s’il ne choisit pas de se mettre en avant comme pôle antifasciste, alors il se soumet au Front populaire comme gouvernement, il doit s’effacer devant celui-ci, il doit s’identifier avec lui.

    Voici le procès-verbal d’une séance du Bureau politique, en mars 1937, qui le montre bien. On est dans la constatation, l’évaluation, la participation ; la logique de confrontation est absente.

    Le Front populaire est vu comme le seul outil est possible, et le Parti Communiste Français se réduit à se voir comme un rouage, même si en théorie le plus important.

    « Le Bureau politique a tenu séance jeudi matin 25 mars sous la présidence de François Billoux, député de Marseille, retour d’Espagne.

    Il s’est préoccupé de la grave menace contre la paix que constituent les déclarations faites au nom du dictateur italien par M. Grandi, ambassadeur à Londres.

    Ainsi se vérifie le danger que fait courir à la paix et à la sécurité de la France, la politique de blocus de l’Espagne républicaine, pratiquée en dépit des avertissements donnés par les Communistes soucieux de la sauvegarde des foyers français.

    Le Bureau politique demande une action immédiate et énergique de la France pour obtenir le retrait des troupes fascistes envoyées en Espagne.

    Il demande la cessation du blocus et le rétablissement de la liberté de commerce avec le gouvernement légal de l’Espagne.

    Pour garantir une politique conforme aux intérêts de la paix et de la France, il est urgent que soient écartés du Quai d’Orsay les hauts fonctionnaires lavaliens [liés à Pierre Laval] comme M. Léger, dont la mission est de nuire à la politique de paix voulue par le peuple de France.

    Le Parti communiste soutiendra l’action du comité d’aide au peuple d’Espagne pour secourir les populations civiles, et notamment les enfants qu’il faut soustraire au massacre et aux horreurs de la guerre.

    La dissolution des ligues de guerre civile

    Le débat parlementaire qui s’est institué à la suite des douloureux événements de Clichy a établi les responsabilités et le caractère de préparation à la guerre civile du Parti Social Français et du Parti Populaire Français.

    Le camarade Léon Blum au cours de son intervention, en déclarant que « le Parti Social Français n’est pas autre chose que la reconstitution sous un autre nom des associations croix de feu dissoutes », a montré la nécessité de la dissolution de ce soi-disant parti.

    Le Bureau politique partage l’opinion exprimée par maintes organisations (syndicats, sections communistes et socialistes, etc.) qui réclament la dissolution des ligues factieuses et s’étonnent qu’aucune mesure efficace ne soit encore prise à ce sujet, alors qu’on interdit des comptes rendus de mandat de députés sous le prétexte que des ligues qui devraient être dissoutes, auraient manifesté l’intention de tenir, au même moment, une réunion dans la localité.

    Les revendications des classes laborieuses

    Le Bureau politique s’est réjoui des résultats heureux obtenus par de nombreux syndicats par le rajustement des salaires, rajustement indispensable en raison de la hausse du coût de la vie. Le problème locatif a aussi retenu l’attention du bureau politique en rapport avec la menace de retour pur et simple au droit commun.

    Si l’on tient compte des indices de la construction, on constate la gravité de la crise que traverse l’industrie du bâtiment, l’absence de capitaux s’engageant dans la construction, ce qui n’est pas complètement étranger à l’action pernicieuse exercée par la toute puissante Chambre syndicale de la grosse propriété bâtie que préside M. Truitié de Vareux.

    Cela pose une grave question sociale. La défense de la famille et le soutien de l’enfance, la protection de la santé publique exigent un effort rationnel pour la construction de logements sains, bien aérés et à bon marché, et la destruction des immondes îlots insalubres. Cet effort ne peut être sérieusement entrepris sans le concours des collectivités publiques, en premier lieu de l’État.

    Le Bureau politique adresse ses félicitations à tout le personnel de l’Humanité (rédacteurs, administrateurs, imprimeurs, etc.) qui, au lendemain de la nuit tragique de Clichy, sous la direction de Marcel Cachin et de Vaillant-Couturier, rédacteur en chef, ont accompli un gros effort.

    Le Bureau politique est heureux de porter à la connaissance de tout le Parti que le tirage moyen de l’Humanité au cours de la semaine écoulée a atteint le chiffre de 575.000 numéros.

    L’Humanité est au troisième rang des grands quotidiens du matin, et au premier rang des journaux de Front populaire.

    En outre, les effectifs du Parti, en constante progression, atteignent à ce jour 302 976 membres.

    En ce qui concerne les chômeurs, le rajustement de leur allocation s’impose également et il serait souhaitable, après le vote émis par le Conseil général de la Seine en faveur d’une augmentation de 2 francs par jour, avec participation de l’État, que le gouvernement prenne la décision attendue par les malheureux sans-travail.

    Le Bureau politique estime qu’à la reprise des travaux parlementaires, il devrait être examiné par le parlement, toute affaire cessante, l’institution de la retraite aux vieux travailleurs et les revendications essentielles du petit commerce (billets de fonds, loyers, propriété commerciale, dettes civiles et commerciales, etc.). »

    Le Parti Communiste Français se veut constructif et même la force la plus constructive ; il y a l’arrière-plan l’obsession de Maurice Thorez : il faut réfuter tout ce qui pourrait amener un isolement, même relatif, des communistes.

    Jacques Duclos résume cette approche passive – participative en avril 1937, avec le document « Pour réaliser le programme. L’union du Front populaire doit être sauvegardée ».

    « Les événements tragiques de Clichy dont les ligues factieuses reconstituées en Partis portent la lourde responsabilité, ont servi de prétexte à de nouvelles attaques de la réaction contre le Parti communiste et contre le Front populaire.

    La tactique constante des ennemis du peuple vise naturellement à dissocier les hommes qui prêtèrent le serment du 14 juillet 1935 et à dresser, les uns contre les autres, les partis dont l’union est indispensable à la sauvegarde de la liberté et des conquêtes sociales de ces derniers mois.

    La presse au service des factieux a, naturellement, essayé de présenter les provocations de La Rocque et de Doriot sous un jour bien particulier. On a beaucoup parlé dans cette presse de la séance de cinéma organisée à Clichy par le Parti social français, qui fût à l’origine des sanglantes fusillades du 16 mars dernier.

    Mais on a omis de rappeler que, sous le couvert de semblables représentations cinématographiques, le Parti social français a procédé ailleurs à des rassemblements motorisés ayant un caractère régional. Bien entendu, ceux qui ont aussi tenté de dénaturer les faits, n’ont pas manqué d’accuser les communistes.

    II faut bien dire malheureusement, que la Radio d’État avait, dès le lendemain des événements de Clichy, donné une version des faits susceptible de servir cette mauvaise cause, puis qu’aussi bien elle indiquait que le Comité local du Parti communiste avait organisé la contremanifestation, alors que c’est le Comité local du Front populaire, dont le président est le maire socialiste de Clichy, qui en avait pris l’initiative.

    On ne peut que regretter une telle déformation des faits de la part de la Radio d’Etat, dont il faudrait bien d’ailleurs assurer la disposition aux divers partis, comme le prévoit le programme du Front populaire. Comme on le pense bien, la campagne forcenée de la presse réactionnaire, destinée à laver les factieux et à accuser les communistes, procédait d’un plan bien connu qui consiste à taper sur notre Parti pour mieux aboutir à la dislocation du Front populaire.

    C’est là la méthode préconisée par l’Alliance démocratique de M. Pierre Etienne Flandin, qui, de ce point de vue, fait école. A l’occasion de cette campagne, la presse réactionnaire qui sert le fascisme et se fait l’instrument servile de l’hitlérisme, a essayé de se présenter comme défendant la liberté.

    Les ennemis du peuple ont présenté notre Parti communiste comme hostile au principe de la liberté pour tous.

    Ils ont essayé de mettre en relief de prétendues divergences sur cette question, entre nos amis radicaux et nous.

    Ils ont essayé d’interpréter à leur manière le discours prononcé à Marommes par le président Daladier, qui avait dit avec raison : « La France veut la liberté pour tous les citoyens qui respectent la loi ».

    C’est là exactement la position défendue par notre Parti, qui a fait la démonstration que le « Parti social français » et le « Parti populaire français » sont des groupements de guerre civile et de lutte contre le peuple.

    Des preuves irréfutables ont été apportées par nous, et le président du Conseil, notre camarade Léon Blum, a déclaré que « le Parti social français n’est que la reconstitution des Croix de Feu ». Il suffit, d’ailleurs, de lire le décret de dissolution des Croix de Feu pour voir comment les motifs de dissolution de ce groupement sont valables pour le parti de La Rocque et pour celui de Doriot.

    Voici en effet la teneur de ce décret donnant la définition du groupement à dissoudre :

    « Association… qui, par son organisation, ses permanences, ses formations en sections placées sous les ordres de chefs, les moyens de concentration rapide dont elle dispose, la subordination complète des ligueurs à leurs supérieurs ainsi que les consignes secrètes qui leur sont adressées, revêt sans contestation possible le caractère de groupes de combat ou de milices privées que définit et condamne la loi du 10 janvier 1936.« 

    Ce qui a été fait contre les Croix de Feu s’impose aujourd’hui contre le Parti social français et contre le Parti de Doriot (ce personnage devrait bien aussi être révoqué de sa fonction de maire de Saint Denis où il n’a donné que trop de motifs à des sanctions administratives aussi nécessaires qu’attendues).

    Ces partis ne sont pas des partis comme les autres, et c’est pourquoi il faut en finir avec eux.

    Au cours de la réunion du Vel’ d’Hiv’, le 18 mars, nous avons eu l’occasion de voir comment les travailleurs réagissaient contre les responsables du sang versé à Clichy en criant : « La Rocque, Doriot, en prison !».

    Quant aux ouvriers de la région parisienne qui, le 18 mars également, firent cette grève d’une demi-journée qui fut surprenante de grandeur et de discipline, ils exprimèrent clairement leur volonté de voir dissoudre les ligues.

    C’est également cette même volonté qui se dégagea de la puissante et inoubliable manifestation qui, le 21 mars, rassembla tout un peuple frémissant et douloureux derrière les cinq cercueils des victimes de Clichy…

    Oui, il faut mettre les ligues hors d’état de nuire. Il faut les dissoudre, en application même du programme du Front populaire. C’est cela qu’attend le pays qui ne comprendrait pas que l’on puisse faire preuve d’une mansuétude inquiétante à l’égard des fauteurs de guerre civile dont l’activité est inspirée par Hitler.

    On est en droit de penser que personne n’a intérêt dans le Front populaire à faciliter l’activité criminelle des factieux, et c’est pourquoi il eût peut-être été bon qu’une mise au point fît suite à la publication par le « Bulletin quotidien » (inspiré par le Comité des Forges) d’un article très curieux sur la séance de la Chambre, au cours de laquelle on discuta des événements de Clichy.

    Voici comment, après avoir, bien entendu, félicité Doriot pour ses ragots anticommunistes, le « Bulletin quotidien » s’est exprimé : Le deuxième phénomène politique de la journée, c’est l’échec du scénario de réconciliation nationale pour lequel toute la séance avait été organisée.

    Il est probable que l’inventeur et l’artisan principal de ce scénario n’était autre que l’honorable M. Frossard. Ce scénario n’était pas original. II s’inspirait de la fameuse séance de désarmement des ligues qui avait rapproché, un matin de la dernière législature, MM. Ybarnégaray et Léon Blum.

    Il faisait appel, en partie, aux mêmes acteurs, en incorporant entre eux M. Bonnevay. Ce scénario a échoué. Maladresse des deux côtés ? Imprudences fortuites de langage exploitées par une majorité soucieuse de noyer les responsabilités du sang de Clichy dans une pluie d’incidents secondaires et d’alibis historiques ?

    Trop grande force encore des irréductibles, de droite comme de gauche ? Et le propre des irréductibles est de créer les incidents de séance. Quoi qu’il en soit, c’est en vain qu’au terme d’un discours, en certaines parties fort beau, M. Ybarnégaray a fait l’importante déclaration suivante :

    « A deux reprises, j’ai pris ici, au nom de mon parti, des engagements solennels.

    Ils ont été strictement tenus. Aujourd’hui, avec la même loyauté et la même franchise, je vais faire une nouvelle déclaration qui engagera mon honneur personnel et celui de mon parti ; j’affirme que le Parti social français a été régulièrement constitué, avec l’autorisation et l’agrément du ministre de l’Intérieur.

    Je dis que l’organisation de ce parti n’a rien de commun avec celle des Croix de feu, que nous ne sommes ni un parti de guerre civile, ni un parti de subversion sociale. Nous réprouvons la lutte des classes, nous croyons qu’il n’y a de salut que dans l’oubli des haines. J’affirme que nous réprouvons la dictature et que nous adhérons sans réserve au régime républicain. »

    L’atmosphère dans laquelle cette déclaration fut faite n’était pas celle que l’on pouvait espérer.

    Aussi c’est inutilement que M. Bonnevay s’acquitta, avec une habileté consommée, de la seconde partie de l’opération.

    Après avoir lu le texte de l’invitation à la contremanifestation de Clichy, publiée dans le Populaire, il évoqua l’appel publié dans l’Écho de Paris le 6 février 1934. Il évoqua la nécessité de perfectionner la législation, notamment en matière de vente d’armes, mais surtout de désarmer les haines.

    « La paix, conclut-il, ne se conquiert que par la justice. La paix civile ne peut renaître que du respect des lois et des droits de chacun, dans la sauvegarde de la liberté. Les citoyens français ont le droit d’exiger autre chose que la liberté du silence. On ne fonde rien sur l’intolérance, ni sur la violence. C’est pour défendre la liberté que, souvent divisés, les républicains se sont toujours retrouvés et réunis. »

    Certes, ces paroles trouvèrent à gauche un écho profond. Mais l’atmosphère n’était pas telle que M. Léon Blum, qui prit ensuite la parole, pût tenter une opération de grande envergure. Aussi dut il se cantonner dans un jeu d’équilibre difficile… etc.

    Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Nous n’en savons rien, mais en tout cas, si cette opération avait réussi, elle n’aurait pu aboutir qu’à légitimer l’existence des ligues reconstituées en partis, ce dont le pays soucieux d’ordre et non de « combines » subalternes, ne veut pas.

    Pour notre part, nous en tenant à la déclaration de Léon Blum, nous demandons que l’on dissolve le Parti Social Français qui n’est que la reconstitution des Croix de feu.

    Notre Parti entend ainsi affirmer sa fidélité à la parole donnée quand il s’agit de défendre la liberté et d’assurer l’union du Front populaire.

    Pour ce qui est de la défense du pain des travailleurs, c’est aussi la fidélité à la parole donnée, c’est la réalisation du programme du Front populaire qui constitue l’élément d’union indispensable des forces de gauche.

    La retraite pour les vieux travailleurs, le fonds national de chômage, le vote des lois attendues par les commerçants et pair les paysans, voilà ce dont le Front populaire doit se préoccuper, d’autant plus que le plan des ennemis du peuple est non seulement d’empêcher que tout cela soit réalisé, mais aussi de porter atteinte aux réformes sociales obtenues (40 heures, congés payés, contrats collectifs, abrogation des décrets-lois frappant les anciens combattants et les fonctionnaires, etc.) Tout cela peut être fait, à la condition d’appliquer le programme du 3 mai en réalisant une véritable réforme fiscale qui fera payer les riches.

    Notre parti a pour sa part élaboré un projet soumis à l’examen du Comité d’entente du Parti communiste et du Parti socialiste.

    Souhaitons que notre proposition soit prise en considération, afin de faire droit aux légitimes revendications des masses travailleuses. En tout cas, nous avons le sentiment que nos propositions correspondent tellement aux désirs des masses qu’elles finiront par s’imposer.

    Déjà des amis radicaux se sont prononcés favorablement sur cette question. A plus forte raison, pensons-nous, pouvons-nous compter sur l’adhésion de nos frères socialistes.

    Cela serait d’autant plus important que, soucieux de réaliser au plus vite le parti unique de la classe ouvrière, nous avons proposé la convocation d’une conférence préparatoire au Congrès d’unité.

    Ainsi notre Parti entend servir à la fois la cause de l’union du Front populaire et la cause de l’unité de la classe ouvrière dont nous sommes sûrs qu’elle serait un facteur de succès d’une force incomparable dans la lutte à poursuivre pour le pain, la liberté et la paix.

    Ce dernier point est essentiel : la fusion avec le Parti socialiste-SFIO est le grand mythe mobilisateur du Parti Communiste Français tout au long de l’année 1937. Cette fusion est présentée comme un fait qui se réalisera à court terme, obligatoirement.

    Il n’y aura, évidemment, rien de cela, la direction socialiste faisant en sorte de systématiquement empêcher sa base de se rapprocher des communistes.

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    et l’identification au Front populaire

  • La fusillade de Clichy de 1937 et la question des armes pour le PCF

    En octobre 1936, Léon Blum avait fait en sorte que le gouvernement du Front populaire, trahissant les promesses initiales, mette en place une dévaluation, de 35 %. Cela rendait caduc les hausses de salaires obtenues quelques mois plus tôt.

    Pour autant, cela et l’absence de réel soutien militaire à l’Espagne républicaine ne jouent pas sur la dynamique apparente du Front populaire. L’ambiance conserve une certaine chaleur en France au début de l’année 1937 et il existe un optimisme encore solide chez les radicaux, les socialistes et les communistes.

    Naturellement, le Front populaire n’a plus la dimension de masse qu’il avait eu ; il ne reste somme toute désormais que la dimension gouvernementale. Celle-ci coexiste toutefois avec, à tous les niveaux de la société, des restes politiques, idéologiques, culturels de ce qui fut un événement de portée nationale.

    Les congés payés, l’accès à la culture, la fin du despotisme de l’employeur… ont établi une démocratisation réelle.

    La crédibilité semble donc encore là et le 9 mars 1937, Maurice Thorez peut encore appeler, devant 30 000 personnes au vélodrome d’Hiver, à une « union de tous pour appliquer le programme du Front populaire et pour sauver la paix ».

    Maurice Thorez

    Puis vient le coup de tonnerre, le 16 mars 1937, avec une terrible fusillade en banlieue parisienne, à Clichy.

    Cet événement ne fut pas à l’origine d’une surprise quant au contenu des faits ; cependant, l’implication de figures importantes de l’État, le nombre de morts et la dimension provocatrice du lieu firent que se posa, franchement, la question des armes.

    Les ex-Croix de feu, désormais Parti social français, sont à l’origine des faits. Ils avaient organisé une réunion politique au cinéma Olympia, autour d’un roman d’un des leurs, l’écrivain Claude Farrère.

    Le choix d’une ville de la ceinture ouvrière de Paris était une terrible provocation ; localement, le maire socialiste Charles Auffray et le député communiste Maurice Honel avaient tenté d’annuler cette réunion.

    Son maintien fit se confronter 300 personnes liées à l’extrême-droite à 7 000 manifestants antifascistes, qui cherchèrent à prendre d’assaut le cinéma. L’intervention de la police fit alors 5 morts (Émile Mahé, Arthur Lepers, René Chrétien, Marcel Cerrutti et Victor Mangemann) et 200 blessés.

    La situation est tellement tendue que le ministre de l’Intérieur Marx Dormoy vint sur place, ainsi que le directeur du chef du cabinet du gouvernement, André Blumel, qui se prit deux balles.

    Léon Blum se précipita pour le voir à l’hôpital en revenant de l’opéra, alors que des fusillades éclataient pendant plusieurs heures à Clichy, jusqu’à l’hôtel de ville où les manifestants se sont barricadés. Parallèlement, des scènes similaires se déroulèrent à Asnières, non loin.

    L’onde de choc fut immédiatement immense en région parisienne, avec 40 000 ouvriers manifestant même à Boulogne à partir des usines Renault et 10 000 autres dans Paris à partir des usines Citroën, 6 000 autres à Issy, 5 000 à Gennevilliers, 3 000 à Argenteuil, 2 500 à Ivry.

    Une grève d’une demi-journée se mit ensuite en place, extrêmement bien suivie et organisée, avec également au vélodrome d’Hiver un meeting avec Maurice Thorez et Jacques Duclos.

    Conscient de la dimension de la question, Léon Blum reçut chez lui Maurice Thorez et Jacques Duclos, afin de s’assurer du maintien du cadre général du Front populaire.

    Le dirigeant de la CGT Léon Jouhaux apporta son appui et le gouvernement fit en sorte d’empêcher tout débordement : les manifestations sont interdites, sauf celles du Front populaire à Clichy et au Magic City à Paris.

    Voici deux communiqués du Parti Communiste Français, avec d’abord une proclamation dans la foulée de la fusillade.

    « Mardi soir, 16 mars, à Clichy, se tenait une réunion du Parti Social Français. Des travailleurs ont été tués, d’autres ont été blessés, alors qu’ils manifestaient contre cette provocation de guerre civile. Des chefs de la police, où les fascistes bénéficient de complicités certaines, ont fait tirer sur les contremanifestants « qui avaient répondu à l’appel du comité local du Front populaire ».

    Cinq morts, plus d’une centaine de blessés : tel est le bilan des événements tragiques de Clichy dont les hommes du 6 février portent l’écrasante responsabilité.

    Le Parti communiste n’a cessé de dénoncer les agissements du colonel-comte de La Rocque et de Doriot qui provoquent à la lutte entre Français et veulent créer une atmosphère de guerre civile dans le pays. En provoquant les travailleurs, les chefs fascistes visent à compromettre l’œuvre sociale du Front populaire, à empêcher que les légitimes revendications du peuple soient satisfaites.

    Derrière les fauteurs de troubles aux mains rouges du sang des travailleurs, il y a les trusts, les puissances d’argent qui organisent la vie chère, refusent le rajustement des salaires, traitements, pensions, ne veulent pas que les vieux travailleurs bénéficient d’une retraite bien gagnée pas plus qu’ils ne veulent faire droit aux justes revendications des commerçants et des paysans de France.

    A bas la guerre civile ! que cherchent les factieux. Il faut en finir avec ces groupements de désordre ; il faut en finir avec les chefs de la police qui favorisent leurs menées.

    Il faut faire passer le souffle républicain dans les cadres de la police et de l’administration. Les responsables du sang versé à Clichy doivent être frappés. Le peuple de France veut l’ordre et la tranquillité, il veut vivre en paix dans le travail et le respect de l’ordre républicain.

    Afin de mettre hors d’état de nuire ceux qui veulent troubler l’ordre en France pour favoriser les desseins d’asservissement de notre pays que poursuit le fascisme international, nous demandons, en application du «programme du Front populaire» :

    Le désarmement et la dissolution des Ligues factieuses camouflées en partis ;

    L’épuration des cadres de la police et de l’administration. Peuple de France, en présence de cette nouvelle attaque de tes ennemis, c’est de ton union que dépend la sauvegarde de l’ordre et de la liberté.

    Vive l’unité d’action de tous les partisans de la liberté et de la paix, radicaux, démocrates, syndiqués, socialistes, communistes ! Vive l’union de la Nation Française contre les fascistes fauteurs de troubles et contre leurs complices !

    Le Parti communiste français. »

    Il s’ensuivit une réunion du Bureau politique, c’est-à-dire le noyau dur du Comité central.

    « La terrible nuit de Clichy dicte au front populaire son devoir immédiat

    Le Bureau politique du Parti communiste français s’est réuni ce matin, jeudi, au siège du Comité central, sous la présidence de Marcel Cachin.

    Douloureusement ému par les sanglants événements de Clichy, le Bureau politique s’incline devant les malheureuses victimes qui s’ajoutent à la liste déjà longue des meilleurs fils de la classe ouvrière qui ont donné leur vie pour la défense de la République, pour la sauvegarde de la démocratie et de la paix.

    Il décide de s’inscrire pour un versement de 5.000 francs dans la souscription lancée par le Secours populaire de France en faveur des familles éplorées.

    La douleur du peuple ouvrier est profonde comme en témoigne l’unanimité avec laquelle il vient de répondre à l’appel de ses organisations syndicales, de l’Union des Syndicats de la Région parisienne et de la Confédération générale du travail.

    La grève générale limitée à une demi-journée, se déroulant dans un calme, une discipline impressionnante et une dignité parfaite, atteste la puissance de la classe ouvrière organisée et sa volonté de voir mettre un terme aux agissements intolérables des provocateurs à la guerre civile.

    Les ennemis de la République, ceux qui rêvent d’un nouveau 6 février, ceux qui fomentent continuellement des troubles en France et dans les colonies, pour le compte de puissances étrangères, ne doivent pas pouvoir perpétrer leur mauvais coup.

    Le Front populaire qui a déjà tant fait en faveur du peuple ne se laissera pas manœuvrer par la réaction et le fascisme, ennemis de la France.

    Le Front populaire plus uni que jamais, dont la cohésion sera resserrée par les leçons qui se dégagent des événements tragiques de Clichy, poursuivra son œuvre pour le plus grand bien du pays.

    Avec le Parti radical dont le prestige provient de sa lutte pour les libertés républicaines, avec ses chefs tant injuriés par ceux qui ont fait couler le sang ouvrier, avec nos frères socialistes qui, hier, à la réunion du Comité d’entente parisien, proclamaient avec nous la nécessité de désarmer et dissoudre les ligues factieuses, avec la grande C.G.T. dirigée par notre camarade Léon Jouhaux, avec tous les démocrates, tous les républicains, tous les hommes de bonne volonté, le Front populaire ira de l’avant vers le progrès social pour le triomphe de la démocratie et de la République.

    Mais la terrible nuit de Clichy dicte au Front populaire son devoir immédiat.

    Il faut, comme le souligne le Programme adopté par tous, désarmer et dissoudre effectivement les ligues factieuses.

    Il faut, selon la parole de notre camarade Léon Blum, président du Conseil, que passe enfin le souffle républicain dans la police, dans l’armée, dans les administrations de l’Etat.

    Il faut, sans faiblesse, garantir la réalisation du Programme du Rassemblement populaire :

    garantir la retraite aux vieux travailleurs,

    garantir les revendications légitimes des paysans, des petits commerçants, des artisans,

    garantir aux chômeurs le relèvement de leur allocation, garantir la mise en route des grands travaux,

    réaliser la réforme démocratique de la fiscalité française de manière à donner à l’Etat les ressources qui lui sont nécessaires en même temps qu’il sera possible de soulager les pauvres.

    Par la réalisation de son Programme, par son union, par sa cohésion, le Front populaire assurera à la France le pain, la liberté et la paix. Tout pour le Front populaire ! Tout par le Front populaire ! »

    L’appel pour le cortège funéraire est du même esprit. Plusieurs centaines de milliers de présentes manifestent de la place de la République à Clichy. Voici l’appel communiste.

    « Peuple de Paris !

    Tu vas, cet après-midi, en un émouvant cortège, accompagner à leur dernière demeure les morts de Clichy : Émile Mahé, Arthur Lepers, René Chrétien, Marcel Cerrutti et Victor Mangemann, dont les noms sont venus s’ajouter à la liste de tous ceux qui sont tombés pour la cause de la liberté et de la paix.

    Toi, peuple de Paris, à l’âme si sensible, toi que guide un noble idéal de liberté, de justice sociale et de paix, tu seras une fois de plus fidèle à ton glorieux passé en faisant de grandioses funérailles à tes morts dont les familles sont entourées par toi d’une affectueuse solidarité.

    Toi, peuple de Paris, qui, en février 1934, arrêtas par ton élan généreux l’assaut du fascisme assassin et qui te dressas frémissant contre toutes les entreprises de tyrannie et de violence, tu signifieras par l’ampleur de ta manifestation aux fauteurs de troubles et aux chercheurs d’aventures, que tu ne veux pas du fascisme, que tu veux la dissolution des ligues de guerre civile dont les agissements criminels sont à l’origine des événements tragiques de Clichy.

    Les hommes du fascisme voudraient rayer d’un trait de plume toutes les conquêtes sociales du Front populaire.

    Ils voudraient aussi, foulant aux pieds les plus nobles sentiments filiaux, empêcher que les vieux travailleurs de France ne soient pas laissés à l’abandon ; ils voudraient empêcher qu’une retraite bien gagnée soit accordée aux vieux de la ville et des champs.

    Ils voudraient diviser le Front populaire pour ramener notre pays aux jours les plus sombres de la réaction.

    Toi, peuple de Paris, tu ne veux pas cela ! Tu veux vivre dans l’ordre, dans la paix et la liberté par ton travail. Tu veux que soient mis hors d’état de nuire ceux dont l’intérêt est d’empêcher le relèvement économique du pays.

    Tu veux qu’en dissolvant les ligues, Paris retrouve le calme et puisse recevoir dignement les étrangers qui se préparent à visiter l’Exposition [internationale].

    Tu veux qu’on en finisse avec les provocations d’un La Rocque qui menace de fomenter des troubles et fait appel à la guerre civile. Tu veux qu’on en finisse avec un Doriot complice de La Rocque et agent de l’hitlérisme en France.

    Tu veux que ces fauteurs de désordre ne puissent pas trouver de concours dans les rouages de l’administration de l’Etat et de la haute police, dont tu réclames l’épuration.

    Tu veux que le fascisme assassin ne puisse plus jamais faire couler le sang de tes enfants.

    Peuple de Paris ! En masse cet après-midi derrière les cercueils des cinq martyrs de Clichy pour honorer leur mémoire et signifier avec force que la France restera libre.

    Le Parti communiste français. »

    Le Parti Communiste Français apporte également son soutien à l’Assemblée nationale : le gouvernement y demande la confiance. Il l’obtient par 362 voix contre 215. La première catastrophe était passée.

    Mais sa substance ne fut pas vue. Toute l’année 1937 connaîtra de manière ininterrompue des découvertes de caches d’armes organisées par les fascistes, en complicité avec l’armée souvent. Le 11 septembre 1937, un puissant double attentat à Paris vise la Confédération générale du patronat français et l’Union des industries et métiers de la métallurgie.

    Ses auteurs étaient organisés en une « Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale », qui tentèrent ensuite en novembre un coup d’État en intoxiquant l’armée quant à une prétendue imminente prise du pouvoir par les communistes.

    Dans ce contexte, les fascistes font usage de leurs armes, comme le 16 août 1937, à Villeurbanne, un fasciste tue à coups de pistolet Joseph Fuentes, 26 ans, marié et trois enfants, un employé municipal secrétaire d’une cellule, membre du comité de la section et très connu dans son quartier.

    Au moment de tirer, l’assassin avait dit : « Tu es communiste, il faut que je te tue ». Après avoir été arrêté, il déclare qu’il aurait été « heureux d’en descendre d’autres ».

    C’est un événement d’une portée considérable ; néanmoins, si L’Humanité titre l’information en Une, elle salue le maire communiste Camille Joly pour avoir empêché le lynchage de l’assassin !

    L’Humanité ne fournit ensuite que très peu d’informations au sujet de cette affaire, et encore pendant quelques jours seulement ; aux funérailles de Joseph Fuentes le 21 août 1937, ce fut Gaston Monmousseau, un éminent cadre membre du Comité central et du Bureau politique, qui prit la parole, mais donc pas Maurice Thorez ou même Jacques Duclos.

    On est là dans une volonté très claire d’étouffer tout ce qui polarise et d’éviter toute la question de l’affrontement armé.

    L’assassin de Joseph Fuentes reçut comme peine six mois de prison, le 25 janvier 1938, et s’il y eut un meeting de protestation, il n’y eut jamais de campagne, pas plus que pour Bjibril, mitraillé à Marseille le 16 octobre 1937 alors qu’il collait des affiches.

    On est ici dans la posture de l’évitement, qui reflète la ligne opportuniste de droite impulsé par Maurice Thorez : il s’agit d’intégrer la République, à tout prix, et de n’absolument jamais chercher de contradiction hors de ce cadre.

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    et l’identification au Front populaire

  • Contraste, différenciation, lutte & développement

    Tout se transforme, et cela tout le temps. Il n’est rien qui puisse être toujours pareil, sans changement.

    Le constat qu’on fait ici est inquiétant dans la mesure où il ne rassure pas : on ne sait pas sur quoi on peut compter, puisque rien ne reste jamais pareil.

    Et l’humanité a, effectivement, eu peur, pendant des siècles, des milliers d’années ; elle a eu besoin d’imaginer des dieux en lutte contre les autres pour expliquer les changements ; elle s’est mise à prier tel ou tel dieu de changer de point de vue ou d’en vaincre un autre.

    Puis finalement, ayant amélioré ses conditions de vie, l’humanité a considéré qu’il existait un Dieu absolu, tout puissant, éternel, toujours le même.

    Il fallait le prier pour que les choses n’empirent pas, pour qu’en certaines circonstances les choses se passent au mieux.

    Il y a beaucoup de dignité dans ces espoirs, dans ces interprétations religieuses ; néanmoins, elles relèvent du passé.

    La compréhension scientifique de l’univers met forcément de côté les rêves d’une humanité au rapport privilégié avec un Dieu absolu ; il n’y a tout simplement pas eu d’Adam et Eve sur ce qui n’est qu’une petite planète parmi beaucoup d’autres.

    Le système solaire se trouve dans une galaxie, la Voie lactée, où il y a vraisemblablement plus de 100 milliards de planètes, avec entre 200 et 400 milliards d’étoiles.

    Et il est estimé qu’il y a 2 000 milliards de galaxies, une chiffre toujours en hausse en liaison avec les nouvelles découvertes.

    Car, en réalité, l’univers est infini. Il n’a ni début, ni fin ; il n’a pas d’origine, ni de but.

    L’univers a toujours été et sera toujours. Il n’a pas de limites, pas de frontières quelles qu’elles soient ; il est infini dans l’espace et dans le temps, autant dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand.

    La naissance de la vie sur Terre est le fruit d’une immense évolution de la matière, dans un processus éternel ; les mélanges, les synthèses de la matière ont donné naissance à des phénomènes toujours plus complexes, toujours plus organisés et en interaction.

    L’humanité et la vie sur la planète Terre en général ne sont qu’un aspect de l’univers, dont tous les éléments sont en transformation ininterrompue.

    Une fois qu’on a compris cela, on sort de l’étroitesse d’esprit, on cesse de s’accrocher à des choses relatives, si insignifiantes par rapport au grand mouvement universel.

    Les préjugés racistes, le culte des clans, le fétichisme relatif à tel ou tel territoire, les divertissements insignifiants pour nourrir son ego, le mépris pour la vie, le dédain pour la culture, la mise à l’écart de la science…

    Tout cela est vain et insignifiant par rapport à l’existence de l’univers et ses transformations, par rapport à la beauté de la vie en soi.

    Pourquoi les choses se transforment-elles ?

    C’est parce qu’il se passe quelque chose en leur sein. Il y a un mouvement, provoqué par un conflit interne, un affrontement entre deux aspects qui s’opposent.

    Tout comme l’électricité a les pôles positif et négatif, la peinture connaît le beau et le laid, les mains le côté gauche et le côté droit, l’alpiniste la montée et la descente, le fait de manger l’absorption des aliments et leur rejet.

    Tout comme les mathématiques a l’addition et la soustraction, la cuisine oppose le cru et le cuit, le tennis de table la balle à la raquette (de chaque joueur), le lycéen la révision au devoir sur table, l’écureuil les noisettes à l’hiver.

    Tout a toujours deux aspects, partout et tout le temps. Avoir soif répond au fait de boire, tout comme le fait de boire répond au fait d’avoir soif.

    Lorsqu’on commence et on finit une partie de backgammon, il y a un vainqueur et un perdant ; quand on tombe amoureux, on veut voir la personne aimée et en même temps, on en a peur.

    Les enfants naissent de la contradiction physique entre les hommes et les femmes ; l’agitation du jour s’oppose au calme de la nuit ; les nombres sont pairs ou impairs.

    Tout va par deux, toujours ; tel est le principe de la théorie des deux points. En chaque chose, il y a deux points, qui s’opposent.

    Il ne s’agit nullement d’opposer pour opposer : il s’agit de constater les oppositions et de voir quel sens elles ont.

    Certaines oppositions sont directement productives : un homme et une femme se marient, leur union d’opposés produit des enfants.

    D’autres oppositions sont indirectement productives : on fait face à un problème de mathématique et on doit se surpasser, afin de parvenir à le résoudre.

    Il ne s’agit pas de forcer les oppositions, pas plus qu’il ne s’agit de les nier. Il s’agit de les reconnaître, d’en comprendre la nature, de voir dans quelle direction elles poussent les choses. C’est ce qu’on appelle la science ; c’est le matérialisme dialectique.

    C’est en appliquant la théorie des deux points qu’on évite d’être unilatéral.

    Être unilatéral, c’est considérer que les choses vont en ligne droite, que les phénomènes se déroulent mécaniquement, qu’on peut faire des plans pré-établis absolument parfaits pour tout.

    Or, en réalité, les choses se déroulent toujours avec des nuances, avec un décalage par rapport à ce à quoi on s’attendait.

    C’est pourquoi tout scientifique, tout dialecticien sait que l’humilité est une qualité fondamentale. Elle seule permet de reconnaître la dignité du réel.

    Sinon, quand pointe la déception par rapport au résultat, il y a alors la volonté de forcer, d’en faire encore plus, en s’imaginant que cette dimension quantitative va modifier la nature même des choses.

    C’est une illusion. Qui veut trop bien faire ruine tout ; c’est une expérience bien connue.

    Quand on en fait trop, on perd le fil, on se disperse, on abîme, on casse.

    Il existe une vieille expression française qui résume cela en disant : Qui embrasse trop mal étreint.

    On a une expression équivalente avec Le mieux est l’ennemi du bien ; plus simplement, beaucoup de monde a fait l’expérience d’avoir, à l’école, trop révisé et d’avoir alors mal retenu les leçons, et de s’être retrouvé sans énergie devant sa copie le jour venu.

    S’imaginer qu’on puisse avoir un contrôle absolu, depuis l’extérieur, sur les choses, c’est se prendre pour un Dieu et c’est l’expression d’un ego hypertrophié, c’est basculer dans la démesure.

    Malheureusement, l’Histoire de l’humanité est remplie de folies exemplaires de cela, notamment dans le rapport à la Nature.

    Être unilatéral est une erreur aux lourdes conséquences ; il faut savoir être dialectique et reconnaître les choses pour ce qu’elles sont.

    Être dialectique, c’est promouvoir l’affirmation, parce qu’on souligne l’existence de deux aspects, on affirme leur existence. Être unilatéral, c’est nier une telle existence, pour essayer de donner aux choses un contenu uniforme, linéaire, statique.

    Cependant, toute chose est dialectique et il en va ainsi du vrai et du faux, du juste et de l’injuste.

    Le vrai devient le faux, le faux le vrai ; le juste devient l’injuste, l’injuste devient le juste.

    Rater ces transformations, c’est rater les moments clefs des transformations et se retrouver du côté inverse où on voulait être.

    On peut, par exemple, considérer qu’il faut être toujours gentil. Cela semble juste, mais dit ainsi, c’est unilatéral ; c’est oublier qu’afin d’aider quelqu’un à s’en sortir, il faut parfois le secouer, le brusquer, le motiver.

    Comprendre qu’il faut être gentil, mais que parfois cela implique de remuer ardemment des choses difficiles chez quelqu’un, donc de ne pas être gentil, voilà qui est dialectique.

    On devine la difficulté de la chose, puisque dans ce genre de situations, être gentil ne permet pas de l’être, et c’est justement en cessant de l’être en tant que tel qu’on peut réellement l’être.

    Il y a ici d’innombrables situations paradoxales et, sans la dialectique, on est perdu, on ne voit pas que les choses se retournent en leur contraire.

    Il faut toujours ajuster ce qu’on fait suivant les nécessités ; il faut savoir oser dire à un musicien qu’il joue mal pour qu’il puisse ensuite jouer bien, il faut savoir oser accepter son manque de connaissance afin de devenir un érudit.

    Mao Zedong a bien formulé les choses en constatant que Affirmation, négation, affirmation, négation… dans le développement des choses, chaque maillon de la chaîne des événements est à la fois affirmation et négation.

    Refuser d’être unilatéral, ce n’est ainsi pas chercher la neutralité, un équilibre ; ce n’est pas « couper la poire en deux ». Ce n’est pas se cantonner dans la bienveillance et l’affirmation, c’est parfois oser la négation, pour qu’elle serve l’affirmation.

    Dans l’Histoire, ceux qui ont osé la négation ont toujours été très isolés au départ de leur initiative, tel le gladiateur Spartacus qui a nié l’ordre dominant dans la Rome antique. Mais il avait raison de le faire et, finalement, l’empire romain esclavagiste s’est effondré.

    La difficulté est bien là : le nouveau naît de manière faible, alors que l’ancien est bien installé. Ceux qui portent la négation sont initialement mal vus.

    Mais ils reflètent la transformation, ils la portent eux-mêmes en eux, car ils ont été profondément marqués par elle. Les transformations ont un impact sur leur environnement, notamment l’esprit humain.

    Tous les grands penseurs de l’humanité ont compris que l’être humain est un animal social. Il existe dans un cadre bien défini qui encadre son existence.

    L’être humain croit choisir, il est soumis cependant en réalité aux nécessités de sa propre existence ; son cerveau s’est développé et il peut s’inventer beaucoup d’illusions, mais les faits le rattrapent et il est malheureux s’il ne vit pas de manière conforme à sa nature d’animal social.

    Comme cette nature change avec les époques, l’être humain est d’autant plus malheureux et désorienté : il est sorti de la Nature, étant différent des autres animaux de par sa capacité à transformer celle-ci. Toutefois, sa capacité à transformer la Nature n’a cessé de se transformer elle-même.

    C’est l’immense mérite du plus grand penseur de l’humanité, Karl Marx, notre immense maître, d’avoir compris ce qu’est un « mode de production », et comment l’humanité pensait et agissait différemment selon le mode de production dominant.

    Tout se transforme dans l’univers et l’humanité joue un grand rôle sur la Terre avec sa capacité de transformer la Nature, et cette transformation la transforme aussi. C’est tout un parcours où l’être humain sort de la Nature pour transformer la Nature et revenir à celle-ci désormais transformée, lui-même également transformé. C’est alors le Communisme.

    Le Communisme est la fin du grand traumatisme que vit l’humanité depuis sa sortie de la Nature. D’un côté, elle a pu profiter de l’agriculture et de la domestication des animaux pour ne plus vivre au jour le jour. L’existence des villes modernes et de leur confort est l’aboutissement de ce processus qui est à l’opposé de la chasse et de la cueillette.

    Ce processus a néanmoins été une naissance, douloureuse. L’être humain a connu le froid, la faim, les maladies, les souffrances, en ayant désormais conscience de celles-ci. Il s’est dressé contre la Nature dont il est pourtant issu. Il a fait la guerre aux animaux, tout en étant lui-même un animal.

    Tout cela amène la situation, dans le début du second quart du 21e siècle, où l’humanité agit de manière destructrice envers la Nature sur l’ensemble de la planète. Et elle comprend lentement qu’elle agit ainsi de manière destructrice envers lui-même, car elle est encore une composante de la Nature.

    L’humanité a agi de manière unilatérale, afin d’améliorer son sort, de faciliter son existence ; maintenant qu’elle est parvenue à d’immenses capacités techniques et productives, elle doit agir différemment.

    Elle doit rétablir un lien productif avec la Nature, mettre en place un rapport harmonieux avec le reste de la vie sur Terre. C’est inévitable, car toute la vie sur Terre est en interaction, comme la pandémie de 2020 l’a rappelé à l’humanité, et ce pour une crise de conscience planétaire.

    La planète Terre est une Biosphère ; l’humanité est une composante, et de par sa nature, elle doit avoir comme fonction d’en devenir la gardienne.

    La grande caractéristique de l’humanité, c’est son besoin de célébration. Depuis son émergence en tant qu’animal social jusqu’à la société capitaliste la plus développée, il y a toujours le besoin de se réunir et de célébrer.

    Ce qui est célébré, c’est le triomphe de la vie ; c’était le sens des fêtes liées aux solstices dans les premières sociétés humaines ayant observé les cycles des saisons.

    Ce qui est célébré, c’est la vie elle-même, la vie en elle-même, la possibilité d’éprouver des sensations agréables, des émotions bonnes qui emplissent entièrement les corps et les esprits.

    L’humanité apprécie ce qui est joyeux et ce qui est agréable, ce qui est harmonieux et mélodique.

    Elle n’est pas attirée, elle met de côté ce qui relève du nihilisme, de la destruction, du chaos, de la disharmonie.

    C’est un slogan très juste que fut celui lancé dans les années 1930 lors de la construction du socialisme en URSS, sous la direction de Staline : La vie est devenue meilleure, camarades, la vie est devenue plus joyeuse.

    Cela reflète la justesse des orientations prises alors ; cela montre le caractère populaire, démocratique du socialisme mis en place.

    La célébration est directement liée à la dialectique. Célébrer, c’est en effet reconnaître l’existence de quelque chose, la saluer en ce qu’elle est en soi.

    C’est souligner de manière joyeuse qu’on apprécie d’éprouver des sensations en rapport avec elle ; c’est affirmer que cette chose a toute sa place, qu’elle s’insère harmonieusement dans l’existence.

    La célébration témoigne de l’appréciation d’une chose en particulier ; elle reflète la dimension universelle que cette chose porte de par son existence.

    La célébration salue le nouveau, le renouveau, la vie.

    Elle est portée par des êtres humains qui ont conscience qu’ils veulent être heureux. Ils expriment le besoin de développer leurs facultés, de les utiliser pleinement dans un cadre harmonieux. Ils ont envie d’éprouver la joie et l’amour, ils ont besoin de savoir et de comprendre.

    Le sens même de la vie d’un être humain réside dans le fait de vivre pleinement sa vie, de profiter d’une personnalité développée capable d’apprécier le monde et de se rendre utile à celui-ci.

    Ce n’est en effet qu’en se plaçant, comme particulier, comme être humain particulier, avec ses particularités, en rapport productif avec l’universel – la société, l’humanité, l’ensemble des êtres vivants, l’univers – que l’être humain peut se réaliser en tant que tel.

    Les êtres humains sont des animaux sociaux qui reconnaissent leur propre joie et leur place dans le monde, jusqu’à la célébration !

    Les artistes jouent un grand rôle dans la célébration, parce qu’ils produisent des images, des musiques, des danses… qui sont employées en ce sens.

    Cependant, tout producteur doit se placer dans la perspective de la célébration, qu’on parle d’un architecte ou d’un ouvrier.

    Ce qui est produit doit correspondre à un besoin, d’où la nécessité de planifier la production ; ce qui est produit doit être une transformation consciente, ce qui implique un haut niveau de conscience par rapport aux activités menées.

    Produire, lutter pour produire de manière juste et dans un cadre juste, expérimenter de manière scientifique, plonger dans la psyché humaine avec les arts et les lettres, telles sont les activités qui ont un impact sur soi-même et la société, qui façonnent la vie quotidienne et la conception de la vie qu’on peut avoir.

    C’est pourquoi Staline parlait des écrivains comme des ingénieurs des âmes, mais c’est vrai en pratique de tout producteur, depuis l’architecte façonnant un quartier à l’ouvrier fabriquant des jouets.

    C’est tout l’environnement de l’humanité qui a un impact sur elle, tout comme elle a un impact sur elle.

    Tout se répond, c’est la dialectique ; c’est si l’on veut une question d’état d’esprit. C’est pourquoi d’ailleurs le rôle des artistes n’en apparaît que d’autant plus grand.

    Les artistes sont en effet des producteurs qui s’isolent des autres, au nom de leur sensibilité, pour se précipiter dans une pratique artistique avec un haut degré de technique, telles que la peinture, la musique, la sculpture, la danse.

    Les artistes ne peuvent en ce sens exister que s’ils sont reconnus comme tels par la société, tant pour la reconnaissance de leurs activités comme artistiques que pour la reconnaissance de leur droit à un soutien matériel.

    Le dilemme des artistes est alors de savoir s’ils veulent servir le peuple, se placer dans l’histoire démocratique de celui-ci, dans le patrimoine culturel de celui-ci, dans l’héritage sur le plan de la civilisation de celui-ci, ou s’ils veulent mettre leur sensibilité au service des possédants, des dominants.

    S’ils veulent réellement produire de l’art, les artistes doivent bien entendu choisir le camp du peuple, assumer l’héritage culturel et non pas inventer à la chaîne des « œuvres d’art » qui ne sont que des biens de consommation à portée symbolique pour les possédants et les dominants.

    Les artistes doivent célébrer la réalité, ils doivent en refléter la beauté dans leurs œuvres, c’est là leur vraie nature.

    Ce qui rend le travail des artistes si à part, c’est qu’ils s’intéressent à des choses bien en particulier, alors que la production industrielle produit en masse et de manière générale.

    Naturellement, une société communiste ira dans le sens de combiner la production de masse avec l’art, afin d’ajouter de la beauté à la vie quotidienne. Personne n’a envie d’un environnement fade.

    Néanmoins, les activités artistiques auront toujours tendance à rechercher de ce qu’il y a le plus spécifique dans une personne, dans un phénomène, dans une situation.

    Et les vraies œuvres d’art sont celles qui parviennent à se fonder sur ce particulier pour l’amener à la hauteur du général. C’est ce qui donne sa substance à des classiques comme l’Odyssée d’Homère, Roméo et Juliette de Shakespeare, Guerre et paix de Tolstoï.

    Les artistes poussent davantage la recherche du spécifique, tout comme les scientifiques dans leurs domaines spécifiques (chimie, physique, biologie, etc.) qui sont d’ailleurs tous reliés les uns aux autres.

    On peut dire ici que la dialectique est universelle, mais que ses réalisations, ses modes de réalisation sont par contre particulières. C’est la dialectique de l’universel et du particulier.

    Mao Zedong dit avec justesse à ce sujet que Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde.

    Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc.

    Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence.

    L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes.

    Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique.

    Être un dialecticien, c’est comprendre comment il y a l’universel dans le particulier, et comment le particulier rejoint l’universel.

    C’est se fonder sur le fait que l’univers est infini.

    Penser à l’infini, c’est avoir le tournis, parce qu’on cherche forcément dans son esprit à se raccrocher à quelque chose, sans quoi on se sent perdu puisque tout part dans tous les sens.

    C’est là l’expression d’une contradiction, celle entre le fini et l’infini. Un être humain est en effet « fini » et non pas infini ; il est ce qu’il est et il va mourir un jour. Sa vie est limitée.

    Il ne peut pas lire tous les livres, il ne peut pas tout connaître. Il ne peut pas vivre toutes les sensations ; il ne peut pas rencontrer tout le monde.

    Il ne peut pas écouter toutes les musiques produites dans le passé, ni celles qui seront produites après sa mort.

    La notion d’infini est donc extérieure à lui, elle apparaît comme abstraite, impossible ou inatteignable, réservée à Dieu. C’est pourquoi peu de penseurs ont osé affronter cette notion d’infini à travers l’Histoire : Aristote, Spinoza, Hegel, Marx, Mao Zedong.

    Il faut ajouter ceux qui ont assumé avec eux cette notion d’infini : Engels, Lénine, Staline. Il leur a fallu un remarquable courage pour porter leur réflexion sur un univers conçu comme infini, sans s’y perdre intellectuellement.

    Leur mérite est immense ; ils ont porté la libération de l’humanité, au sens où la notion d’infini arrache celle-ci de la mesquinerie et du fétichisme.

    Avec la notion d’infini, l’humanité change de dimension. Elle perd son arrogance et son attention fixée purement sur elle-même ; elle ne se cantonne plus dans la satisfaction de choses superficielles. Elle s’ouvre au monde et découvre la réelle beauté des choses.

    Elle s’aperçoit que son environnement ne consiste pas en des briques qu’on peut manipuler mécaniquement afin d’améliorer sa propre existence.

    Elle comprend que dans l’univers tout est lié et tout se transforme, dans une infinité de nuances et de différences. Par quelque bout qu’on prenne les choses, elles sont inépuisables.

    Si on veut tenter de trouver une image adéquate, on peut voir l’univers comme un immense océan.

    Chaque chose qui se transforme est une petite vague, et toutes les vagues se rencontrent les unes les autres, elles se heurtent, elles fusionnent, et le processus ne s’arrête jamais.

    Les vagues changent ainsi de forme ; elles se développent. Elles gagnent en complexité dans leur nature de vague ; les combinaisons entre les vagues deviennent pareillement toujours plus intenses, plus profondes, plus puissantes.

    C’est la loi de l’évolution qu’on est en train de résumer ici. L’évolution est dans la nature des choses elles-mêmes : leurs contradictions se rencontrent, s’affrontent et se relient, produisant un développement par leur mélange.

    Ce processus est inépuisable, d’autant plus que l’univers lui-même n’a aucune limite ; il est infini et il ne peut pas être autrement qu’infini, puisque chaque chose elle-même contient en quelque sorte l’infini elle-même de par sa nature.

    Le matérialisme dialectique célèbre donc le nouveau, car les « vagues » de l’univers produisent toujours de nouvelles choses ; c’est dans leur nature.

    Tout se transforme, de manière inéluctable ; le matérialisme dialectique est en substance la science des transformations, dans tous les domaines.

    Le matérialisme dialectique, c’est l’affirmation du nouveau contre l’ancien, comme Mao Zedong l’expose : Nous parlons souvent du ‘‘remplacement de l’ancien par le nouveau’’. Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers.

    La transformation d’un phénomène en un autre par des bonds dont les formes varient selon le caractère du phénomène lui-même et les conditions dans lesquelles il se trouve, tel est le processus de remplacement de l’ancien par le nouveau.

    Dans tout phénomène, il existe une contradiction entre le nouveau et l’ancien, ce qui engendre une série de luttes au cours sinueux.

    Il résulte de ces luttes que le nouveau grandit et s’élève au rôle dominant ; l’ancien, par contre, décroît et finit par dépérir.

    Et dès que le nouveau l’emporte sur l’ancien, l’ancien phénomène se transforme qualitativement en un nouveau phénomène.

    Il ressort de là que la qualité d’une chose ou d’un phénomène est surtout déterminée par l’aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

    Lorsque l’aspect principal de la contradiction, l’aspect dont la position est dominante, change, la qualité du phénomène subit un changement correspondant.

    Autrement dit, la transformation a un fil conducteur.

    La matière est inépuisable et chaque chose est inépuisable, il y a une infinité de contradictions. Pour autant, chaque chose porte une contradiction principale. Le conflit représenté par cette contradiction produit un saut qualitatif, qui va jouer sur toutes les autres contradictions.

    C’est, si l’on veut, le principe résumé sous la formule thèse – antithèse – synthèse.

    Ceux qui ont un point de vue unilatéral considèrent que thèse, antithèse, synthèse signifie que deux choses se rencontrent pour fournir une ligne directrice à quelque chose de désormais stable.

    Ce n’est pas du tout le cas. Il n’y a pas de thèse qui vienne rencontrer l’antithèse, pour s’unir et former une situation en équilibre, appelée synthèse.

    Pour le matérialisme dialectique, la synthèse est le saut qualitatif qui découle de l’affrontement entre la thèse et l’antithèse.

    Un affrontement qui est en même temps une « alliance », car la rencontre entre la thèse et l’antithèse ne doit rien au hasard.

    C’est un processus de transformation qui a abouti à cette rencontre, qui est à la fois une union et un conflit ; c’est toute une tension qui se forme ici, permettant à la chose d’exister et d’être en mouvement, de connaître un nouveau processus de transformation.

    Les choses se transforment, somme toute pour se transformer.

    On pourrait dire en fin de compte que toutes les choses sont, finalement, des contradictions, même si en réalité on ne peut pas dire ça, car les contradictions n’existent pas sans les choses.

    Il y a des choses qui portent une thèse et une antithèse, celles-ci s’affrontent et finalement la chose se transforme, dans une synthèse. Puis le processus recommence, à l’infini.

    C’est pour cela qu’il y a perpétuelle transformation : les contradictions sont relatives, elles ne durent pas éternellement ; l’union cède immanquablement le pas à l’affrontement et le choc produit la transformation.

    L’union des opposés thèse-antithèse ne dure qu’un temps ; elle est relative. Leur lutte prend toujours le dessus. Comme le dit Lénine, L’unité (coïncidence, identité, équivalence) des contraires est conditionnelle, temporaire, transitoire, relative.

    La lutte entre contraires s’excluant mutuellement est absolue, comme sont absolus le développement et le mouvement.

    Le processus thèse-antithèse-synthèse concerne absolument chaque chose et chaque phénomène ; tout est amené à se transformer. Et comme tout se transforme partout, cela donne toujours plus de combinaisons entre ces choses nouvelles, avec de nouveau des transformations.

    Ce processus n’aboutit pas qu’à des choses nouvelles ; ce qui est produit est davantage complexe, avec toujours plus de qualité.

    Les choses se transforment parce que les contradictions font leur effet, et ces contradictions sont elles-mêmes issues de transformations.

    Tout s’ajoute, se lie, se mélange ; pour cette raison, les rapports entre les choses deviennent toujours plus denses, plus profonds, plus complexes.

    Les choses elles-mêmes sont portées par des contradictions qui ont gagné en qualité avec les précédentes transformations, étant formées par davantage de mélanges, d’interactions, d’enchevêtrement, d’imbrication, de fusion, de compilation, de combinaison, d’entortillement, d’imprégnation, de contamination, d’assimilation, etc.

    Il suffit de penser à quelqu’un qui fait du sport et étudie le corps humain. Il va mêler sa pratique sportive à des connaissances sur la fréquence cardiaque, l’utilisation de l’oxygène par le corps, le fonctionnement des muscles et des articulations.

    Plus cette personne va connaître de choses, plus les connaissances acquises vont jouer les unes sur les autres, s’accumulant jusqu’à aboutir à des sauts qualitatifs, améliorant la pratique sportive elle-même.

    Ces connaissances sont d’ailleurs sans limites ; on peut toujours apprendre davantage à ce sujet, tout comme la pratique sportive peut toujours connaître des ajustements, des améliorations. On reconnaît ici le caractère inépuisable de la matière.

    Staline caractérise avec justesse le processus du saut qualitatif : Contrairement à la métaphysique, la dialectique considère le processus du développement, non comme un simple processus de croissance où les changements quantitatifs n’aboutissent pas à des changements qualitatifs, mais comme un développement qui passe des changements quantitatifs insignifiants et latents à des changements apparents et radicaux, à des changements qualitatifs ; où les changements qualitatifs sont, non pas graduels, mais rapides, soudains, et s’opèrent par bonds, d’un état à un autre ; ces changements ne sont pas contingents, mais nécessaires ; ils sont le résultat de l’accumulation de changements quantitatifs insensibles et graduels.

    C’est pourquoi la méthode dialectique considère que le processus du développement doit être compris non comme un mouvement circulaire, non comme une simple répétition du chemin parcouru, mais comme un mouvement progressif, ascendant, comme le passage de l’état qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur.

    Le saut qualitatif est ce qui justifie que le nouveau est supérieur à l’ancien : l’ancien ne disparaît pas, mais cède la place à une version modifiée de lui-même, une version plus approfondie, plus complexe, plus développée.

    Avec les transformations, il y a bien sûr beaucoup de changements et les lointains ancêtres sont toujours plus méconnaissables.

    C’est pour cela que seule la dialectique permet de bien aborder l’Histoire, dans tous les domaines, en montrant comment chercher les modifications passées.

    On peut lire le passé grâce à la dialectique, car tous les processus passés ont abouti au présent.

    Plus on connaît le présent, plus on peut davantage comprendre le passé, car l’évolution continuant, on a toujours plus de recul, on voit la marche qu’elle a prise.

    On peut également connaître les grandes tendances menant à l’avenir, car le mouvement dialectique est irrépressible et les sauts qualitatifs, les bonds en avant, sont inéluctables.

    L’univers « obéit » à cette loi, plus exactement il est cette loi. Toutes les choses connaissent, à un moment ou à un autre, un saut qualitatif. L’ensemble des phénomènes consistant en des choses multiples se combinant connaît, à un moment ou à un autre, un saut qualitatif.

    Le passé est l’Histoire des transformations passées, qu’on peut comprendre à partir du présent qui est l’aboutissement de celles-ci. Et le présent porte en lui les déséquilibres qui formeront les équilibres de demain.

    L’avenir est le produit du présent, tout comme le présent est le produit du passé. Il n’y a rien de figé, il n’y a rien qui se répète en tant que tel ; il y a des situations temporaires d’équilibre, qui portent en elles des contradictions donnant naissance à des choses nouvelles.

    Comme le dit Mao Zedong, Le déséquilibre est une loi générale et objective.

    Le cycle, qui est sans fin, passe du déséquilibre à l’équilibre et, à nouveau, de celui-ci à celui-là.

    Chaque cycle, cependant, correspond à un niveau supérieur de développement.

    Le déséquilibre est absolu, tandis que l’équilibre est temporaire et relatif.

    La rupture de l’équilibre, c’est un bond en avant.

    Il n’y a pas un monde fini créé une fois pour toutes par un Dieu infini ; il y a un monde infini produisant des choses nouvelles de manière inépuisable.

    Au fur et à mesure de son vécu, l’humanité a compris cela ; elle s’est aperçu que les choses évoluaient.

    Les animaux se sont transformés, l’humanité elle-même est liée à la famille des grands singes. La Terre elle-même s’est transformée, pendant des milliards d’années.

    Et l’humanité a elle-même transformé la Terre.

    L’agriculture et la domestication des animaux ont été les premiers vecteurs de cette transformation, qui a pris des proportions toujours plus grandes avec l’apparition de l’industrie moderne, des grandes machines, de l’emploi de ressources énergétiques de masse comme le pétrole, le gaz, le nucléaire.

    Il y a ici une source de réflexion, d’inspiration et d’inquiétude pour qui raisonne en termes de passé, de présent, d’avenir.

    Car l’humanité est dans la démesure dans son rapport à la Terre, elle mène des actions de grande ampleur qui modifient radicalement la géographie, les êtres vivants, les environnements.

    C’est le grand mérite du savant Vladimir Vernadsky que d’avoir ici étudié le rôle de l’humanité dans la transformation de la Terre.

    Son ouvrage La Biosphère, publié en 1926, est l’aboutissement intellectuel de toute une époque de transformation de la planète par l’humanité, sous l’effet du travail humain et des techniques modernes employées.

    La planète Terre est une Biosphère, avec des êtres vivants qui sont en interaction, avec des montagnes, des fleuves, des sols qui eux aussi sont en interaction, et toute la matière, vivante comme non vivante est en interaction. Rien n’existe de manière indépendante.

    Un événement est venu rappeler aux êtres humains qu’ils sont des animaux, mêmes si sociaux.

    La pandémie de 2020 a été une épreuve pour l’humanité, à l’échelle mondiale ; pour la première fois, il y a eu la confrontation à la même maladie dans tous les pays du monde, avec des informations diffusées en temps réel.

    Ce fut un épisode immense de la vie de l’humanité.

    Ce fut la démonstration qu’on en est arrivé à un stade où l’unification de tous les êtres humains à l’échelle planétaire représente déjà quelque chose de concret.

    C’est également l’enseignement que l’humanité ne vit pas isolée du reste. Les autres êtres vivants et l’environnement ont un impact sur celle-ci.

    Il y a une dialectique entre l’humanité et les êtres vivants, entre l’humanité et l’environnement.

    Et il est évident que l’humanité ne peut plus se comporter avec les êtres vivants et l’environnement comme elle l’a fait pendant des dizaines, des centaines, des milliers d’années.

    Il n’est plus possible que l’humanité considère que tout ce qui existe autour d’elle est à sa disposition, qu’il est possible de tout saccager, d’enfermer des êtres vivants et de les utiliser comme bon lui semble, notamment pour les expérimentations ou pour l’alimentation.

    Une humanité célébrant les transformations, célébrant la vie qui suit son cours, célébrant l’évolution, ne peut pas agir de manière destructrice envers justement le produit des transformations, le fruit de la vie, le résultat de l’évolution.

    La compréhension des rapports dialectiques entre les choses oblige l’humanité à une vaste et profonde remise en cause. Ses agissements ne peuvent plus être désordonnés, meurtriers et destructeurs.

    Elle doit avoir la mesure de ses actions, se placer comme protectrice du vivant et non pas comme appropriatrice et pillarde.

    Pourquoi l’humanité doit-elle protéger la Terre et, on peut l’imaginer, permettre l’expansion de la vie sur d’autres planètes ?

    C’est lié à sa situation historique, à sa particularité dans le cadre général de l’évolution des êtres vivants.

    Pourquoi l’être humain a-t-il, en effet, un parcours qui l’a amené à être particulièrement différent des autres animaux ?

    Comment se fait-il que lui seul a été en mesure de développer une production artisanale, puis industrielle, avec des techniques, des technologies toujours plus élaborées ?

    C’est qu’aucun mouvement n’est rectiligne ; rien ne se produit de manière « pure » il n’y a jamais de processus qui ne soit pas contradictoire.

    Aussi y a-t-il un développement inégal, ce qu’on peut considérer en un certain sens comme un décalage dans le processus général des transformations.

    L’humanité représente précisément le développement inégal dans l’expansion de la vie sur Terre.

    L’auteur de la Biosphère, Vladimir Vernadsky, avait précisément constaté cette particularité humaine qui était de modifier radicalement la planète Terre.

    Il se disait de manière pertinente qu’il était impossible que la Terre, en tant que système abritant la vie, permette l’émergence d’une telle espèce transformatrice sans que cela n’ait un sens par rapport à l’ensemble.

    Et, si on regarde bien, l’humanité emploie d’ailleurs massivement les énergies fossiles, qui sont issues de la lente transformation de matière organique issue d’êtres vivants et enfouie dans le sol depuis plusieurs millions d’année.

    Ce qui amène à penser que l’humanité utilise des ressources fournies par la vie elle-même.

    Bien entendu, pour l’instant, le résultat de l’humanité dans son rapport à la Biosphère est désastreux. Mais il pourrait en être totalement autrement et la question se pose, de manière révolutionnaire.

    Ce qui correspond à un nécessaire saut qualitatif. L’humanité s’est développée hors de la Nature, contre elle ; le processus doit être renversé. L’humanité doit revenir dans la Nature, en conservant ses acquis, au service de celle-ci, en étant enfin épanouie car célébrant les sensations liées à l’harmonie, la paix, le bonheur.

    Tel est le sens du Communisme.

    Le développement inégal peut surprendre comme conception, mais il est très simple à comprendre si on voit qu’il ne faut pas définir les choses positivement, mais négativement.

    C’est Spinoza qui a compris cela au 17e siècle, dans un effort incommensurable pour affronter la notion d’infini. Il a synthétisé l’approche nécessaire en disant que toute détermination est une négation.

    Ce qu’il faut comprendre par là, c’est qu’il ne faut pas simplement se dire qu’une chose existe et qu’elle a des caractéristiques. Le plus grand penseur avant Spinoza, Aristote, raisonnait ainsi : il cherchait la mécanique à l’oeuvre en chaque chose, son mode de fonctionnement.

    Spinoza a compris que ce n’était là qu’un aspect de la question. Et il dit : il faut considérer qu’il y a un grand tout, et on enlève la chose qu’on veut définir.

    Cette chose est ce qui n’est pas tout le reste ; elle-même n’est pas tout ce qui reste.

    C’est une définition par la négative et si cela apparaît comme une contorsion intellectuelle, c’est un outil fondamental, car cela permet de voir une chose non pas séparément, isolément, mais de la considérer dans son rapport au reste, à l’infini.

    Cela marche très précisément pour l’humanité en ce qu’elle se distingue des animaux ; ce n’est pas que l’être humain est ainsi, le chien comme cela et le chat comme encore différemment.

    C’est que l’humanité s’oppose à tous les autres animaux, pris comme un ensemble.

    Cela veut dire qu’il existe une contradiction spécifique entre l’humanité et l’ensemble des animaux, qui doit être pris en tant que tel.

    Comme l’humanité fait la guerre aux animaux, il est facile de comprendre que le renversement nécessaire, le bond en avant, le saut qualitatif, implique la cessation de cette guerre.

    Mais de manière générale, toute détermination est négation permet de prendre chaque chose en particulier, en ce qu’elle n’est pas autre chose.

    Les choses se définissent à l’endroit, mais à l’envers aussi ; c’est que finalement, non seulement les choses relèvent de contradictions internes, mais elles-mêmes sont en contradiction avec d’autres choses.

    Tout est contradiction, partout et tout le temps.

    On peut en quelque sorte dire que pour avoir une bonne approche de la dialectique, il suffit de considérer que tout a une influence sur tout.

    C’est comme si l’existence d’une chose produisait un écho, et que cet écho allait avoir sur les autres choses.

    On peut également penser à un miroir : chaque chose est un miroir dont l’image se reflète dans autre chose, qui est elle-même un miroir, et tout se reflète ainsi à l’infini.

    C’est Karl Marx qui le premier a compris dans quelle mesure l’esprit humain était façonné par son environnement, dans la mesure où l’être humain vit dans des conditions concrètes, sa vie quotidienne reposant sur un certain mode de production.

    On ne pense pas pareillement dans une société esclavagiste, dans une société féodale, dans une société capitaliste, dans une socialiste.

    Ce n’est pas seulement qu’on ne pense pas la même chose ; on ne pense véritablement pas pareil. Ce qui peut paraître anodin dans la société esclavagiste sera considéré comme intolérable du point de vue de la société socialiste.

    Les notions de crime, de morale, de religion, de politique, de droit, d’art, de culture… tout est lié à une réalité donnée, où les choses se reflètent les unes les autres. Il est ainsi impossible d’échapper à son époque ; on en dépend à tous les niveaux, on est mentalement lié à un cadre donné.

    Naturellement, comme les sociétés se transforment, on conserve le meilleur de chacune dans la société suivante. C’est là encore une question de miroir : le meilleur continue de se refléter, alors que le reste disparaît.

    Les mentalités esclavagistes s’effacent par exemple, de par leur nature liée à un mode de production donné.

    Les grands auteurs de la Rome antique esclavagiste conservent par contre leur intérêt, comme aspect positif de l’époque concernée.

    C’est pourquoi on doit comprendre que les échos qu’ont les choses, l’impact que les choses ont les unes sur les autres, leur permettent justement de s’insérer les unes dans les autres.

    Tous les reflets ne se valent pas, tous les échos n’ont pas la même profondeur. Tout s’entremêle et il se forme un fil conducteur, avec un aspect principal, des aspects secondaires.

    C’est la raison pour laquelle le matérialisme dialectique dit que tout se reflète partout, tout le temps, mais qu’en même temps il faut voir comment les reflets jouent eux-mêmes les uns sur les autres.

    Un compositeur de musique, par exemple, utilise des notes. L’existence de chaque note a un écho, a un impact sur les autres notes. La science du rapport entre les notes s’appelle le contrepoint.

    Et les notes ensemble forment une mélodie, qu’il faut maîtriser. La science de la mélodie s’appelle l’harmonie. Un musicien doit comprendre ces deux niveaux.

    C’est un bon exemple car on voit facilement comment les notes restent ce qu’elles sont tout en s’emboîtant les unes dans les autres, tout en formant à une autre échelle une mélodie d’ensemble.

    Toutes les choses sont semblables aux notes.

    C’est une question bien compliquée, toutefois c’est justement l’intérêt de l’image d’un univers en océan composé de vagues qui se rencontrent les unes les autres à l’infini.

    On peut également raisonner en pensant à un oignon, car ses feuilles s’enveloppent les unes dans les autres.

    C’est l’image employé au milieu du 20e siècle par le très important physicien japonais Shoichi Sakata, qui a compris les apports de Mao Zedong.

    L’idée est la suivante : d’un côté, chaque chose appartient à des regroupements comme les atomes, les masses, les planètes, les galaxies, etc.

    De l’autre côté, chaque chose relève en même temps de regroupements d’autres types, comme une montagne, un poumon, le corps d’un chat, etc.

    Shoichi Sakata en déduit alors que Dit de manière métaphorique, ces circonstances peuvent être décrites comme ayant une sorte de structure multi-dimensionnelle du type d’un filet de pêche ou, plutôt serait-il mieux de dire, qu’ils ont une structure du type des oignons, en phases successives.

    Ces niveaux ne sont en rien isolés mutuellement et indépendants, mais sont connectés mutuellement, dépendants et constamment « transformés » les uns en les autres.

    La compréhension de l’univers en oignon ne saurait bien entendu être absolue. L’univers est infini et une connaissance infinie est impossible.

    On ne peut pas tout connaître, et de toutes façons tout est tout le temps en transformation, à tous les niveaux.

    C’est pourquoi Lénine parle de la dialectique comme connaissance vivante, multilatérale (le nombre de côtés augmentant perpétuellement) avec une foule de nuances pour toute façon d’aborder, d’approcher la réalité (avec un système philosophique qui croit en un tout à partir de chaque nuance).

    Sur quoi donc doit alors se fonder l’approche dialectique ?

    Il faut se tourner vers l’opposé de l’absolu et de l’infini : le particulier et le fini. Puisque tout est lié, se tourner vers le fini amène à l’infini, le particulier à l’absolu.

    Bien entendu, on ne parviendra ni à l’infini, ni à l’absolu. Mais on avancera tout de même sur le chemin de la science ; on tendra au maximum vers la vérité.

    Contrairement à la conception qui voit les choses de manière unilatérale, et qui prétend qu’il faut être un observateur neutre, le matérialisme dialectique affirme qu’il est nécessaire d’être partie prenante des processus pour être en mesure d’en comprendre la nature. C’est le primat de la pratique, afin de satisfaire à la dignité du réel.

    C’est ce que Mao Zedong résume en rappelant fort justement que Si l’on veut acquérir des connaissances, il faut prendre part à la pratique qui transforme la réalité.

    Si l’on veut connaître le goût d’une poire, il faut la transformer : en la goûtant. Si l’on veut connaître la structure et les propriétés de l’atome, il faut procéder à des expériences physiques et chimiques, changer l’état de l’atome.

    Si l’on veut connaître la théorie et les méthodes de la révolution, il faut prendre part à la révolution. Toutes les connaissances authentiques sont issues de l’expérience immédiate.

    C’est que par la pratique, par la mise en jeu des sensations, on se relie soi-même au processus qu’on étudie, on voit de l’intérieur les multiples aspects qui, vu de l’extérieur, sont masqués par l’apparence d’un ensemble unique.

    La pratique relève de la transformation et s’associe à une transformation en cours : tel est le vrai sens de l’action, de l’engagement, qui jamais ne peut agir de l’extérieur, avoir un sens sans se conformer à la tendance générale.

    Une action s’inscrit dans une réalité, ou bien elle est vaine ; cette réalité se transforme, donc il faut s’aligner sur cette transformation. On doit chercher à se placer conformément à la tendance générale, sans quoi on est mis de côté dans le processus, qu’on ne comprend plus.

    La manière qu’on a de se relier à une chose, pour la connaître, est celle d’une spirale, car les choses ne vont jamais en ligne droite.

    C’est vrai déjà pour la pensée, qui tend vers la connaissance de quelque chose, sans jamais pouvoir l’atteindre entièrement, puisque cette chose se transforme et il y a toujours un retard de la pensée par rapport à celle-ci.

    Lénine nous enseigne ici que La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale.

    Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes).

    Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques [de la théorie de la connaissance] de l’idéalisme.

    Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement ; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine.

    Autrement dit, on peut prendre une photographie du réel, cela aura un sens, mais un sens figé, bloqué, qui ne comprend pas le mouvement perpétuel de transformation et ainsi amène la pensée à se geler.

    Ce n’est plus une réflexion en tant que reflet de la réalité, mais une pensée congelant une idée et en la rendant éternelle au moyen de l’imagination.

    Mais cette image de la spirale est valable pour la transformation des choses elles-mêmes. Une contradiction n’est jamais statique, cela correspond à une tension.

    Les deux pôles sont en conflit, et on peut s’imaginer qu’on penche parfois vers un pôle, parfois vers l’autre, et c’est alors très exactement l’image d’une spirale qu’on peut concevoir.

    Car ce n’est pas un mouvement de balancier : on avance dans la transformation, avec à chaque moment un pôle qui l’emporte sur l’autre, qui fait pencher dans un sens plutôt que l’autre, tout en n’empêchant pas le mouvement général.

    Et, évidemment, lorsqu’une spirale a atteint son but, lorsqu’il y a transformation, elle continue d’avancer, sous une autre forme, immédiatement, portée par une nouvelle série de contradictions portant une nouvelle transformation.

    Lorsqu’une chose va connaître une transformation, lorsque le mouvement de la spirale est à son maximum pour ainsi dire, alors il va se produire un moment de grande intensité où les opposés se transforment l’un en l’autre, de manière la plus complète possible.

    C’est un moment de crise, car l’ancien vacille et le nouveau prend sa place ; plus rien ne reste en place, il y a des modifications à tous les niveaux.

    Il suffit de penser à la naissance d’un enfant, à la révolution d’Octobre 1917, à la fin de la lecture d’un roman, au moment où on tombe amoureux, etc.

    Un excellent exemple de célébration du nexus se retrouve dans ce qu’on lit dans L’Univers est l’unité du fini et de l’infini, publié dans le Journal de la dialectique de la Nature au moment de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au début des années 1970 : La fin de toute chose concrète, le soleil, la Terre et l’humanité n’est pas la fin de l’Univers.

    La fin de la Terre apportera un corps cosmique nouveau et plus sophistiqué.

    À ce moment-là, les gens tiendront des réunions et célébreront la victoire de la dialectique et souhaiteront la bienvenue à la naissance de nouvelles planètes.

    La fin de l’humanité se traduira également par de nouvelles espèces qui hériteront de toutes nos réalisations. En ce sens… la mort de l’ancien est la condition de la naissance du nouveau.

    On a là une excellente mise en perspective du nexus du point de vue de l’Histoire de l’humanité. Tout se transforme, l’humanité également et il n’y a jamais de fin, toujours un processus ininterrompu de transformation avec à chaque fois des bonds qualitatifs.

    Le nexus précède le bond qualitatif, ou plus exactement il correspond à sa naissance lorsque la contradiction commence à produire le nouveau.

    Le reconnaître peut être une chose malaisée, car de par le caractère inépuisable de la matière, les échéances peuvent être longtemps repoussées ; il y a des aspects secondaires significatifs, qui modifient le cheminement, le parcours de la transformation.

    Néanmoins, le caractère inépuisable de la matière ne modifie pas le caractère de la contradiction principale, qui produit inévitablement le saut qualitatif.

    Ce sont simplement les modalités qui sont modifiées, de par les rapports entre la contradiction principale et les contradictions secondaires.

    Une contradiction secondaire peut également devenir principale, mais en prenant cette position elle se doit d’assumer pareillement le caractère inéluctable du saut qualitatif.

    Il y a ici beaucoup de choses à prendre en compte et on comprend que le matérialisme dialectique ne puisse être compris par l’esprit humain que dans le cadre d’une société où l’humanité a produit beaucoup de choses, les utilisant, les modifiant, et ce à grande échelle.

    Il faut avoir l’habitude de manier de très grandes données quantitatives et ici il est évident que le développement d’internet est un grand apport à l’esprit humain, à sa capacité à gérer les réseaux, les connexions, les liaisons.

    Naturellement, il manque la dimension qualitative, la saisie de la transformation comme processus : il ne suffit pas de constater l’existence des réseaux, encore faut-il saisir que tout est lié, que tout s’enchevêtre, que tout se fait écho.

    D’où la tentative historique de la bourgeoisie, au début du 21e siècle, de développer une idéologie ultra-individualiste, où chaque personne se voit réduite à un individu unique, fondamentalement différent des autres, vivant à l’écart et n’ayant que des rapports de « contrat » avec les autres.

    C’est une tentative de nier l’universel au nom du particulier, afin de prétendre qu’il n’existe que des consommateurs, que la notion de transformation – portée justement par la classe ouvrière – ne joue pas de rôle.

    Le matérialisme dialectique est justement la science portée par la classe ouvrière, car celle-ci transforme et assume la transformation, étant donné que c’est dans sa nature même.

    Les artistes et les scientifiques transforment également, mais ils visent le particulier, alors que la classe ouvrière transforme avec une valeur universelle.

    De plus, la classe ouvrière joue le rôle central dans le cadre du mode de production qui permet de reproduire la vie quotidienne : c’est elle qui produit pour que l’humanité puisse vivre, et pourtant elle est mise de côté, aliénée, exploitée.

    C’est pourquoi elle doit prendre les commandes de la société.

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    Cela correspond à l’expression de la contradiction entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, et plus généralement à l’affrontement entre les masses et les exploiteurs profitant du mode de production en exploitant.

    La guerre populaire, portée par les masses, ouvre la voie de la révolution, portée par l’Histoire, conformément à ce qu’a formulé Mao Zedong : Sans contraste, pas de différenciation. Sans différenciation et sans lutte, pas de développement.

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    sur le matérialisme dialectique

  • Mao Zedong : De la contradiction

    La loi de la contradiction inhérente aux choses, aux phénomènes, ou loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la dialectique matérialiste. Lénine dit : « Au sens propre, la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses … »1 

    Cette loi, Lénine dit souvent qu’elle est le fond de la dialectique, il dit aussi qu’elle est le noyau de la dialectique 2.

    C’est pourquoi lorsque nous étudions cette loi, nous sommes obligés d’aborder un vaste cercle de problèmes, un bon nombre de questions philosophiques. Si nous pouvons tirer au clair toutes ces questions, nous comprendrons dans ses fondements mêmes la dialectique matérialiste.

    Ces questions sont les suivantes : les deux conceptions du monde, l’universalité de la contradiction, le caractère spécifique de la contradiction, la contradiction principale et l’aspect principal de la contradiction, l’identité et la lutte des aspects de la contradiction, la place de l’antagonisme dans la contradiction.

    La critique dont l’idéalisme de l’école de Déborine3 a été l’objet dans les milieux philosophiques soviétiques au cours de ces dernières années a suscité un vif intérêt parmi nous. L’idéalisme de Déborine a exercé une influence des plus pernicieuses au sein du Parti communiste chinois, et on ne peut dire que les conceptions dogmatiques dans notre Parti n’aient rien à voir avec cette école. Par conséquent, l’objectif principal dans notre étude de la philosophie, à l’heure actuelle, doit être d’extirper les conceptions dogmatiques.

    Dans l’histoire de la connaissance humaine, il a toujours existé deux conceptions des lois du développement du monde : l’une est métaphysique, l’autre dialectique ; elles constituent deux conceptions du monde opposées. Lénine dit :

    Les deux concepts fondamentaux (ou les deux possibles ? ou les deux concepts donnés par l’histoire ?) du développement (de l’évolution) sont : le développement en tant que diminution et augmentation, en tant que répétition, et le développement en tant qu’unité des contraires (dédoublement de ce qui est un, en contraires qui s’excluent mutuellement, et rapports entre eux)4.

    Lénine parle justement ici de ces deux conceptions différentes du monde.

    Pendant une longue période de l’histoire, le mode de pensée métaphysique a été le propre de la conception idéaliste du monde et a occupé, en Chine comme en Europe, une place dominante dans l’esprit des gens. En Europe, le matérialisme lui-même, au début de l’existence de la bourgeoisie, a été métaphysique.

    Du fait que toute une série d’Etats européens sont entrés, au cours de leur développement socio-économique, dans la phase d’un capitalisme hautement développé, que les forces productives, la lutte des classes et la science ont atteint un niveau de développement sans précédent dans l’histoire et que le prolétariat industriel est devenu la plus grande force motrice de l’histoire, est née la conception marxiste, matérialiste-dialectique, du monde.

    Dès lors, au sein de la bourgeoisie, on a vu apparaître, à côté d’un idéalisme réactionnaire patent, nullement camouflé, un évolutionnisme vulgaire opposé à la dialectique matérialiste.

    La métaphysique, ou l’évolutionnisme vulgaire, considère toutes les choses dans le monde comme isolées, en état de repos ; elle les considère unilatéralement. Une telle conception du monde fait regarder toutes les choses, tous les phénomènes du monde, leurs formes et leurs catégories comme éternellement isolés les uns des autres, comme éternellement immuables.

    Si elle reconnaît les changements, c’est seulement comme augmentation ou diminution quantitatives, comme simple déplacement. Et les causes d’une telle augmentation, d’une telle diminution, d’un tel déplacement, elle ne les fait pas résider dans les choses ou les phénomènes eux-mêmes, mais en dehors d’eux, c’est-à-dire dans l’action de forces extérieures.

    Les métaphysiciens estiment que les différentes choses, les différents phénomènes dans le monde ainsi que leur caractère spécifique restent immuables dès le commencement de leur existence, et que leurs modifications ultérieures ne sont que des augmentations ou des diminutions quantitatives. Ils estiment qu’une chose ou un phénomène ne peut que se reproduire indéfiniment et ne peut pas se transformer en quelque chose d’autre, de différent.

    Selon eux, tout ce qui caractérise la société capitaliste : l’exploitation, la concurrence, l’individualisme, etc. se rencontre également dans la société esclavagiste de l’antiquité, voire dans la société primitive, et existera éternellement, immuablement. Les causes du développement de la société, ils les expliquent par des conditions extérieures à la société : le milieu géographique, le climat, etc. Ils tentent d’une façon simpliste de trouver les causes du développement en dehors des choses et des phénomènes eux-mêmes, niant cette thèse de la dialectique matérialiste selon laquelle le développement des choses et des phénomènes est suscité par leurs contradictions internes.

    C’est pourquoi ils ne sont pas en mesure d’expliquer la diversité qualitative des choses et des phénomènes et la transformation d’une qualité en une autre. Cette pensée, en Europe, a trouvé son expression aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le matérialisme mécaniste, puis, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, dans l’évolutionnisme vulgaire.

    En Chine, la pensée métaphysique qui s’exprimait dans les mots « Le ciel est immuable, immuable est le Tao »5 a été défendue longtemps par la classe féodale décadente au pouvoir. Quant au matérialisme mécaniste et à l’évolutionnisme vulgaire, importés d’Europe dans les cent dernières années, ils ont trouvé leurs tenants dans la bourgeoisie.

    Contrairement à la conception métaphysique du monde, la conception matérialiste-dialectique veut que l’on parte, dans l’étude du développement d’une chose ou d’un phénomène, de son contenu interne, de ses relations avec d’autres choses ou d’autres phénomènes, c’est-à-dire que l’on considère le développement des choses ou des phénomènes comme leur mouvement propre, nécessaire, interne, chaque chose, chaque phénomène étant d’ailleurs, dans son mouvement, en liaison et en interaction avec les autres choses, les autres phénomènes qui l’environnent.

    La cause fondamentale du développement des choses et des phénomènes n’est pas externe, mais interne ; elle se trouve dans les contradictions internes des choses et des phénomènes eux-mêmes.

    Toute chose, tout phénomène implique ces contradictions d’où procèdent son mouvement et son développement. Ces contradictions, inhérentes aux choses et aux phénomènes, sont la cause fondamentale de leur développement, alors que leur liaison mutuelle et leur action réciproque n’en constituent que les causes secondes.

    Ainsi donc, la dialectique matérialiste a combattu énergiquement la théorie métaphysique de la cause externe, de l’impulsion extérieure, propre au matérialisme mécaniste et à l’évolutionnisme vulgaire. Il est clair que les causes purement externes sont seulement capables de provoquer le mouvement mécanique des choses et des phénomènes, c’est-à-dire les modifications de volume, de quantité, et qu’elles ne peuvent expliquer pourquoi les choses et les phénomènes sont d’une diversité qualitative infinie, pourquoi ils passent d’une qualité à une autre.

    En fait, même le mouvement mécanique, provoqué par une impulsion extérieure, se réalise par l’intermédiaire des contradictions internes des choses et des phénomènes. Dans le monde végétal et animal, la simple croissance, le développement quantitatif est aussi provoqué principalement par les contradictions internes. De même, le développement de la société est dû surtout à des causes internes et non externes.

    On voit des pays qui se trouvent dans des conditions géographiques et climatiques quasi identiques se développer d’une manière très différente et très inégale. Il arrive que dans un seul et même pays de grands changements se produisent dans la société sans que soient modifiés le milieu géographique et le climat.

    La Russie impérialiste est devenue l’Union soviétique socialiste, et le Japon féodal, fermé au monde extérieur, est devenu le Japon impérialiste, bien que la géographie et le climat de ces pays n’aient subi aucune modification. La Chine, longtemps soumise au régime féodal, a connu de grands changements au cours des cent dernières années ; elle évolue maintenant vers une Chine nouvelle, émancipée et libre ; et pourtant ni la géographie ni le climat de la Chine ne se sont modifiés.

    Certes, des changements se produisent dans la géographie et le climat de tout le globe terrestre et de chacune de ses parties, mais ils sont insignifiants en comparaison de ceux de la société ; les premiers demandent des dizaines de milliers d’années pour se manifester, tandis que pour les seconds, il suffit de millénaires, de siècles, de décennies, voire de quelques années ou de quelques mois seulement (en période de révolution).

    Selon le point de vue de la dialectique matérialiste, les changements dans la nature sont dus principalement au développement de ses contradictions internes. Ceux qui interviennent dans la société proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle.

    La dialectique matérialiste exclut-elle les causes externes ? Nullement. Elle considère que les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l’intermédiaire des causes internes. L’œuf qui a reçu une quantité appropriée de chaleur se transforme en poussin, mais la chaleur ne peut transformer une pierre en poussin, car leurs bases sont différentes.

    Les différents peuples agissent constamment les uns sur les autres. A l’époque du capitalisme, en particulier à l’époque de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes, l’influence mutuelle et l’interaction des différents pays dans les domaines de la politique, de l’économie et de la culture sont énormes.

    La Révolution socialiste d’Octobre a ouvert une ère nouvelle non seulement dans l’histoire de la Russie, mais aussi dans celle du monde entier ; elle a influé sur les changements internes dans différents pays, et aussi, avec une intensité particulière, sur les changements internes en Chine.

    Mais les modifications qui en ont résulté se sont produites par l’intermédiaire des lois internes propres à ces pays, propres à la Chine. De deux armées aux prises, l’une est victorieuse, l’autre est défaite : cela est déterminé par des causes internes. La victoire est due soit à la puissance de l’armée, soit à la justesse de vue de son commandement ; la défaite tient soit à la faiblesse de l’armée, soit aux erreurs commises par son commandement ; c’est par l’intermédiaire des causes internes que les causes externes produisent leur effet.

    En Chine, si la grande bourgeoisie a vaincu en 1927 le prolétariat, c’est grâce à l’opportunisme qui se manifestait au sein même du prolétariat chinois (à l’intérieur du Parti communiste chinois). Lorsque nous en eûmes fini avec cet opportunisme, la révolution chinoise reprit son essor.

    Plus tard, elle a de nouveau sérieusement souffert des coups infligés par l’ennemi, cette fois à la suite des tendances aventuristes apparues au sein de notre Parti. Et quand nous eûmes liquidé cet aventurisme, notre cause recommença à progresser. Il s’ensuit que pour conduire la révolution à la victoire, un parti doit s’appuyer sur la justesse de sa ligne politique et la solidité de son organisation.

    La conception dialectique du monde apparaît en Chine et en Europe dès l’antiquité. Toutefois, la dialectique des temps anciens avait quelque chose de spontané, de primitif ; en raison des conditions sociales et historiques d’alors, elle ne pouvait encore constituer un système théorique, donc expliquer le monde sous tous ses aspects, et elle fut remplacée par la métaphysique. Le célèbre philosophe allemand Hegel, qui a vécu à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, a apporté une très importante contribution à la dialectique ; toutefois, sa dialectique était idéaliste.

    C’est seulement lorsque Marx et Engels, les grands protagonistes du mouvement prolétarien, eurent généralisé les résultats positifs obtenus par l’humanité au cours du développement de la connaissance et qu’ils eurent, en particulier, repris dans un esprit critique les éléments rationnels de la dialectique de Hegel et créé la grande théorie du matérialisme dialectique et historique qu’une révolution sans précédent se produisit dans l’histoire de la connaissance humaine.

    Cette théorie fut développée plus tard par Lénine et Staline. Dès qu’elle pénétra en Chine, elle provoqua d’immenses changements dans la pensée chinoise.

    La conception dialectique du monde nous apprend surtout à observer et à analyser le mouvement contradictoire dans les différentes choses, les différents phénomènes, et à déterminer, sur la base de cette analyse, les méthodes propres à résoudre les contradictions.

    C’est pourquoi la compréhension concrète de la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes est pour nous d’une importance extrême.

    Pour la commodité de l’exposé, je m’arrêterai en premier lieu à l’universalité de la contradiction, puis à son caractère spécifique.

    En effet, depuis la découverte de la conception matérialiste-dialectique du monde par les grands fondateurs et continuateurs du marxisme, Marx, Engels, Lénine et Staline, la dialectique matérialiste a été appliquée avec le plus grand succès à l’analyse de nombreux aspects de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle, ainsi qu’à la transformation de nombreux aspects de la société et de la nature (par exemple en U.R.S.S.) ; l’universalité de la contradiction est donc déjà largement reconnue et nous n’aurons pas besoin de l’expliquer longuement.

    Par contre, le caractère spécifique de la contradiction est pour nombre de camarades, en particulier les dogmatiques, une question où ils ne voient pas encore clair. Ils ne comprennent pas que dans les contradictions l’universel existe dans le spécifique. Ils ne comprennent pas non plus combien il est important, pour diriger le cours de notre pratique révolutionnaire, d’étudier le spécifique dans les contradictions inhérentes aux choses et aux phénomènes concrets devant lesquels nous nous trouvons.

    Nous devons donc étudier le caractère spécifique de la contradiction avec une attention particulière, en accordant une place suffisante à son examen.

    C’est pourquoi dans notre analyse de la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes, nous commencerons par examiner le problème de l’universalité de la contradiction, puis nous analyserons plus particulièrement son caractère spécifique pour revenir finalement au problème de l’universalité.

    L’universalité ou le caractère absolu de la contradiction a une double signification : la première est que les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène ; la seconde, que, dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin.

    Engels a dit :

    « Le mouvement lui-même est une contradiction »6.

    La définition, donnée par Lénine, de la loi de l’unité des contraires, dit qu’elle  » reconnaît (découvre) des tendances contradictoires, opposées et s’excluant mutuellement dans tous les phénomènes et processus de la nature (et de l’esprit et de la société dans ce nombre) »7.

    Ces idées sont-elles justes ? Oui, elles le sont. Dans toutes les choses et tous les phénomènes, l’interdépendance et la lutte des aspects contradictoires qui leur sont propres déterminent leur vie et animent leur développement. Il n’est rien qui ne contienne des contradictions. Sans contradictions, pas d’univers.

    La contradiction est la base des formes simples du mouvement (par exemple, le mouvement mécanique) et à plus forte raison des formes complexes du mouvement.
    Engels a expliqué de la façon suivante l’universalité de la contradiction :

    Si le simple changement mécanique de lieu contient déjà en lui-même une contradiction, à plus forte raison les formes supérieures de mouvement de la matière et tout particulièrement la vie organique et son développement… la vie consiste au premier chef précisément en ce qu’un être est à chaque instant le même et pourtant un autre. La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment.

    Et dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient. De même, nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contradictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaître, intérieurement infinie, et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, – tout au moins dans le progrès sans fin.

    … l’un des fondements principaux des mathématiques supérieures est [la]… contradiction …

    Mais [les mathématiques inférieures] déjà fourmillent de contradictions8.

    Et Lénine illustrait à son tour l’universalité de la contradiction par les exemples suivants :

    En mathématiques, le + et le -. Différentielle et intégrale.
    En mécanique, action et réaction.
    En physique, électricité positive et négative.
    En chimie, union et dissociation des atomes.
    Dans la science sociale, lutte de classe9.

    Dans la guerre, l’offensive et la défensive, l’avance et la retraite, la victoire et la défaite sont autant de couples de phénomènes contradictoires dont l’un ne peut exister sans l’autre. Les deux aspects sont à la fois en lutte et en interdépendance, cela constitue l’ensemble d’une guerre, impulse le développement de la guerre et permet de résoudre les problèmes de la guerre.

    Il convient de considérer toute différence dans nos concepts comme le reflet de contradictions objectives. La réflexion des contradictions objectives dans la pensée subjective forme le mouvement contradictoire des concepts, stimule le développement des idées, résout continuellement les problèmes qui se posent à la pensée humaine.

    L’opposition et la lutte entre conceptions différentes apparaissent constamment au sein du Parti ; c’est le reflet, dans le Parti, des contradictions de classes et des contradictions entre le nouveau et l’ancien existant dans la société. S’il n’y avait pas dans le Parti de contradictions, et de luttes idéologiques pour les résoudre, la vie du Parti prendrait fin.

    Il ressort de là que partout, dans chaque processus, il existe des contradictions, aussi bien dans les formes simples du mouvement que dans ses formes complexes, dans les phénomènes objectifs que dans les phénomènes de la pensée : ce point est maintenant éclairci. Mais la contradiction existe-t-elle également au stade initial de chaque processus ? Le processus de développement de toute chose, de tout phénomène connaît-il un mouvement contradictoire du début à la fin ?

    L’école de Déborine, comme la lecture des articles dans lesquels les philosophes soviétiques la soumettent à la critique permet de le constater, considère que la contradiction n’apparaît pas dès le début du processus, mais à un certain stade de son développement.

    Il s’ensuit que jusqu’à ce moment le développement du processus se produit non sous l’action des causes internes, mais sous celle des causes externes. Déborine revient ainsi aux théories métaphysiques des causes externes et du mécanisme.

    Appliquant cette façon de voir à l’analyse des problèmes concrets, l’école de Déborine arrive à la conclusion que, dans les conditions de l’Union soviétique, il existe entre les koulaks et la masse paysanne seulement des différences et non des contradictions, et elle approuve entièrement Boukharine10.

    Etudiant la Révolution française, elle soutient qu’avant la révolution il existait également au sein du tiers état, composé des ouvriers, des paysans et de la bourgeoisie, seulement des différences et non des contradictions. Ces vues de l’école de Déborine sont antimarxistes.

    Cette école ne comprend pas que dans toute différence il y a déjà une contradiction et que la différence elle-même constitue une contradiction. La contradiction entre le Travail et le Capital est née avec l’apparition de la bourgeoisie et du prolétariat, mais elle n’est devenue aiguë que plus tard.

    Entre les ouvriers et les paysans, même dans les conditions sociales de l’Union soviétique, il existe une différence ; cette différence est une contradiction qui, toutefois, contrairement à la contradiction entre le Travail et le Capital, ne peut s’accentuer jusqu’à devenir un antagonisme ou revêtir la forme d’une lutte de classes ; les ouvriers et les paysans ont scellé une solide alliance au cours de l’édification du socialisme, et ils résolvent progressivement la contradiction en question dans le processus de développement allant du socialisme au communisme.

    Il s’agit ici de différentes sortes de contradictions, et non de la présence ou de l’absence de contradictions. La contradiction est universelle, absolue ; elle existe dans tous les processus du développement des choses et des phénomènes et pénètre chaque processus, du début à la fin.

    Que signifie l’apparition d’un nouveau processus ? Cela signifie que l’ancienne unité et les contraires qui la constituent font place à une nouvelle unité, à ses nouveaux contraires ; alors naît un nouveau processus qui succède à l’ancien. L’ancien processus s’achève, le nouveau surgit. Et comme le nouveau processus contient de nouvelles contradictions, il commence l’histoire du développement de ses propres contradictions.

    Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin. C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de développement de toute chose, de tout phénomène. Et Lénine lui-même a utilisé judicieusement cette méthode, qui imprègne tous ses écrits.

    Marx, dans Le Capital, analyse d’abord ce qu’il y a de plus simple, de plus habituel, de fondamental, de plus fréquent, de plus ordinaire, ce qui se rencontre des milliards de fois : les rapports dans la société bourgeoise (marchande) : l’échange de marchandises.

    Son analyse fait apparaître dans ce phénomène élémentaire (dans cette « cellule » de la société bourgeoise) tous les antagonismes (resp. embryons de tous les antagonismes) de la société moderne. La suite de l’exposé nous montre le développement (et la croissance, et le mouvement) de ces antagonismes et de cette société dans le S de ses diverses parties, depuis son début jusqu’à la fin.

    Et Lénine ajoute : « Tel doit être aussi le mode d’exposition (resp. d’étude) de la dialectique en général… »

    Les communistes chinois doivent s’assimiler cette méthode s’ils veulent analyser d’une manière correcte l’histoire et la situation actuelle de la révolution chinoise et en déduire les perspectives.

    Les contradictions existent dans le processus de développement de toutes les choses, de tous les phénomènes et elles pénètrent le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, du commencement à la fin. C’est là l’universalité et le caractère absolu de la contradiction, dont nous avons parlé précédemment. Arrêtons-nous maintenant sur ce qu’il y a de spécifique et de relatif dans les contradictions.

    Il convient d’étudier cette question sur plusieurs plans.

    En premier lieu, les contradictions des différentes formes de mouvement de la matière revêtent toutes un caractère spécifique. La connaissance de la matière par l’homme, c’est la connaissance de ses formes de mouvement, étant donné que, dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement, le mouvement de la matière revêtant d’ailleurs toujours des formes déterminées.

    En nous penchant sur chaque forme de mouvement de la matière, nous devons porter notre attention sur ce qu’elle a de commun avec les autres formes de mouvement. Mais ce qui est encore plus important, ce qui sert de base à notre connaissance des choses, c’est de noter ce que cette forme de mouvement a de proprement spécifique, c’est-à-dire ce qui la différencie qualitativement des autres formes de mouvement.

    C’est seulement de cette manière qu’on peut distinguer une chose d’une autre. Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres.

    C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde. Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc.

    Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence. L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes. Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique.

    La délimitation des différentes sciences se fonde justement sur les contradictions spécifiques contenues dans les objets respectifs qu’elles étudient. Ainsi, les contradictions propres à la sphère d’un phénomène donné constituent l’objet d’étude d’une branche déterminée de la science.

    Par exemple, le + et le – en mathématiques ; l’action et la réaction en mécanique ; l’électricité positive et négative en physique ; la combinaison et la dissociation en chimie ; les forces productives et les rapports de production, la lutte entre les classes dans les sciences sociales ; l’attaque et la défense dans la science militaire ; l’idéalisme et le matérialisme, la métaphysique et la dialectique en philosophie – tout cela constitue les objets d’étude de différentes branches de la science en raison justement de l’existence de contradictions spécifiques et d’une essence spécifique dans chaque branche.

    Certes, faute de connaître ce qu’il y a d’universel dans les contradictions, il est impossible de découvrir les causes générales ou les bases générales du mouvement, du développement des choses et des phénomènes. Mais si l’on n’étudie pas ce qu’il y a de spécifique dans les contradictions, il est impossible de déterminer cette essence spécifique qui distingue une chose des autres, impossible de découvrir les causes spécifiques ou les bases spécifiques du mouvement, du développement des choses et des phénomènes, impossible par conséquent de distinguer les choses et les phénomènes, de délimiter les domaines de la recherche scientifique.

    Si l’on considère l’ordre suivi par le mouvement de la connaissance humaine, on voit que celle-ci part toujours de la connaissance du particulier et du spécifique pour s’élargir graduellement jusqu’à atteindre celle du général. Les hommes commencent toujours par connaître d’abord l’essence spécifique d’une multitude de choses différentes avant d’être en mesure de passer à la généralisation et de connaître l’essence commune des choses.

    Quand ils sont parvenus à cette connaissance, elle leur sert de guide pour étudier plus avant les différentes choses concrètes qui n’ont pas encore été étudiées ou qui l’ont été insuffisamment, de façon à trouver leur essence spécifique ; c’est ainsi seulement qu’ils peuvent compléter, enrichir et développer leur connaissance de l’essence commune des choses et l’empêcher de se dessécher ou de se pétrifier. Ce sont là les deux étapes du processus de la connaissance : la première va du spécifique au général, la seconde du général au spécifique.

    Le développement de la connaissance humaine représente toujours un mouvement en spirale et (si l’on observe rigoureusement la méthode scientifique) chaque cycle élève la connaissance à un degré supérieur et sans cesse l’approfondit.

    L’erreur de nos dogmatiques dans cette question consiste en ceci : d’une part, ils ne comprennent pas que c’est seulement après avoir étudié ce qu’il y a de spécifique dans la contradiction et pris connaissance de l’essence spécifique des choses particulières qu’on peut atteindre à la pleine connaissance de l’universalité de la contradiction et de l’essence commune des choses ; et d’autre part, ils ne comprennent pas qu’après avoir pris connaissance de l’essence commune des choses nous devons aller plus avant et étudier les choses concrètes, qui ont été insuffisamment étudiées ou qui apparaissent pour la première fois.

    Nos dogmatiques sont des paresseux ; ils se refusent à tout effort dans l’étude des choses concrètes, considèrent les vérités générales comme quelque chose qui tombe du ciel, en font des formules purement abstraites, inaccessibles à l’entendement humain, nient totalement et renversent l’ordre normal que suivent les hommes pour arriver à la connaissance de la vérité. Ils ne comprennent pas non plus la liaison réciproque entre les deux étapes du processus de la connaissance humaine : du spécifique au général et du général au spécifique ; ils n’entendent rien à la théorie marxiste de la connaissance.

    Il faut étudier non seulement les contradictions spécifiques de chacun des grands systèmes de formes du mouvement de la matière et l’essence déterminée par ces contradictions, mais aussi les contradictions spécifiques et l’essence de chacune de ces formes de mouvement de la matière à chaque étape du long chemin que suit le développement de celles-ci.

    Toute forme du mouvement, dans chaque processus de développement qui est réel et non imaginaire, est qualitativement différente. Dans notre étude, il convient d’accorder une attention particulière à cela et, de plus, de commencer par là.

    Les contradictions qualitativement différentes ne peuvent se résoudre que par des méthodes qualitativement différentes. Ainsi, la contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie se résout par la révolution socialiste ; la contradiction entre les masses populaires et le régime féodal, par la révolution démocratique ; la contradiction entre les colonies et l’impérialisme, par la guerre révolutionnaire nationale ; la contradiction entre la classe ouvrière et la paysannerie, dans la société socialiste, par la collectivisation et la mécanisation de l’agriculture ; les contradictions au sein du parti communiste se résolvent par la critique et l’autocritique ; les contradictions entre la société et la nature, par le développement des forces productives.

    Les processus changent, les anciens processus et les anciennes contradictions disparaissent, de nouveaux processus et de nouvelles contradictions naissent, et les méthodes pour résoudre celles-ci sont en conséquence différentes elles aussi. Les contradictions résolues par la Révolution de Février et les contradictions résolues par la Révolution d’Octobre, en Russie, de même que les méthodes employées pour les résoudre, étaient entièrement différentes.

    Résoudre les contradictions différentes par des méthodes différentes est un principe que les marxistes-léninistes doivent rigoureusement observer. Les dogmatiques n’observent pas ce principe ; ils ne comprennent pas que les conditions dans lesquelles se déroulent les différentes révolutions ne sont pas les mêmes, aussi ne comprennent-ils pas que les contradictions différentes doivent être résolues par des méthodes différentes ; ils adoptent invariablement ce qu’ils croient être une formule immuable, et l’appliquent mécaniquement partout, ce qui ne peut que causer des revers à la révolution ou compromettre ce qui aurait pu réussir.

    Pour faire apparaître le caractère spécifique des contradictions considérées dans leur ensemble ou dans leur liaison mutuelle au cours du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, c’est-à-dire pour faire apparaître l’essence du processus, il faut faire apparaître le caractère spécifique des deux aspects de chacune des contradictions dans ce processus ; sinon, il sera impossible de faire apparaître l’essence du processus ; cela aussi exige la plus grande attention dans notre étude.

    Dans le processus de développement d’un phénomène important, il existe toute une série de contradictions. Par exemple, dans le processus de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, il existe notamment une contradiction entre les classes opprimées de la société chinoise et l’impérialisme ; une contradiction entre les masses populaires et le régime féodal ; une contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie ; une contradiction entre la paysannerie et la petite bourgeoisie urbaine d’une part, et la bourgeoisie d’autre part ; des contradictions entre les diverses cliques réactionnaires dominantes : la situation est ici extrêmement complexe.

    Toutes ces contradictions ne peuvent être traitées de la même façon, puisque chacune a son caractère spécifique ; qui plus est, les deux aspects de chaque contradiction ont, à leur tour, des particularités propres à chacun d’eux, et l’on ne peut les envisager de la même manière.

    Nous qui travaillons pour la cause de la révolution chinoise, nous devons non seulement comprendre le caractère spécifique de chacune de ces contradictions considérées dans leur ensemble, c’est-à-dire dans leur liaison mutuelle, mais encore étudier les deux aspects de chaque contradiction, seul moyen pour arriver à comprendre l’ensemble.

    Comprendre chaque aspect de la contradiction, c’est comprendre quelle situation particulière il occupe, sous quelles formes concrètes il établit avec son contraire des relations d’interdépendance et des relations de contradiction, quelles sont les méthodes concrètes qu’il utilise dans sa lutte contre l’autre quand les deux aspects se trouvent à la fois en interdépendance et en contradiction, et aussi après la rupture de leur interdépendance.

    L’étude de ces questions est d’une haute importance. C’est ce qu’avait en vue Lénine lorsqu’il disait que la substance même, l’âme vivante du marxisme, c’est l’analyse concrète d’une situation concrète11. Nos dogmatiques enfreignent les enseignements de Lénine, ne se donnent jamais la peine d’analyser quoi que ce soit d’une manière concrète ; leurs articles et leurs discours ne font que ressasser d’une manière vaine, creuse, des schémas stéréotypés, et font naître dans notre Parti un style de travail des plus néfastes.

    Dans l’étude d’une question, il faut se garder d’être subjectif, d’en faire un examen unilatéral et d’être superficiel. Etre subjectif, c’est ne pas savoir envisager une question objectivement, c’est-à-dire d’un point de vue matérialiste. J’en ai déjà parlé dans « De la pratique ». L’examen unilatéral consiste à ne pas savoir envisager les questions sous tous leurs aspects.

    C’est ce qui arrive, par exemple, lorsqu’on comprend seulement la Chine et non le Japon, seulement le Parti communiste et non le Kuomintang, seulement le prolétariat et non la bourgeoisie, seulement la paysannerie et non les propriétaires fonciers, seulement les situations favorables et non les situations difficiles, seulement le passé et non l’avenir, seulement le détail et non l’ensemble, seulement les insuffisances et non les succès, seulement le demandeur et non le défendeur, seulement le travail révolutionnaire dans la clandestinité et non le travail révolutionnaire légal, etc., bref, lorsqu’on ne comprend pas les particularités des deux aspects d’une contradiction.

    C’est ce qu’on appelle envisager les questions d’une manière unilatérale, ou encore voir la partie et non le tout, voir les arbres et non la forêt. Si l’on procède ainsi, il est impossible de trouver la méthode pour résoudre les contradictions, impossible de s’acquitter des tâches de la révolution, impossible de mener à bien le travail qu’on fait, impossible de développer correctement la lutte idéologique dans le Parti.

    Quand Souentse, traitant de l’art militaire, disait : « Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles »12, il parlait des deux parties belligérantes. Wei Tcheng13, sous la dynastie des Tang, comprenait lui aussi l’erreur d’un examen unilatéral lorsqu’il disait :  » Qui écoute les deux côtés aura l’esprit éclairé, qui n’écoute qu’un côté restera dans les ténèbres. »

    Mais nos camarades voient souvent les problèmes d’une manière unilatérale et, de ce fait, il leur arrive souvent d’avoir des anicroches. Dans Chouei hou tchouan, on parle de Song Kiang qui attaqua à trois reprises Tchou-kiatchouang « 14.

    Il échoua deux fois pour avoir ignoré les conditions locales et appliqué une méthode d’action erronée. Par la suite, il changea de méthode et commença par s’informer de la situation ; dès lors, il connut tous les secrets du labyrinthe, brisa l’alliance des trois villages Likiatchouang, Houkiatchouang et Tchoukiatchouang, et envoya des hommes se cacher dans le camp ennemi pour s’y mettre en embuscade, usant d’un stratagème semblable à celui du cheval de Troie dont parle une légende étrangère ; et sa troisième attaque fut couronnée de succès.

    Chouei hou tchouan contient de nombreux exemples d’application de la dialectique matérialiste, dont l’un des meilleurs est l’attaque, par trois fois, de Tchou-kiatchouang.

    Lénine dit :

    Pour connaître réellement un objet, il faut embrasser et étudier tous ses aspects, toutes ses liaisons et « médiations ». Nous n’y arriverons jamais intégralement, mais la nécessité de considérer tous les aspects nous garde des erreurs et de l’engourdissement15.

    Nous devons retenir ses paroles. Être superficiel, c’est ne pas tenir compte des particularités des contradictions dans leur ensemble, ni des particularités des deux aspects de chaque contradiction, nier la nécessité d’aller au fond des choses et d’étudier minutieusement les particularités de la contradiction, se contenter de regarder de loin et, après une observation approximative de quelques traits superficiels de la contradiction, essayer immédiatement de la résoudre (de répondre à une question, de trancher un différend, de régler une affaire, de diriger une opération militaire).

    Une telle manière de procéder entraîne toujours des conséquences fâcheuses. La raison pour laquelle nos camarades qui donnent dans le dogmatisme et l’empirisme commettent des erreurs, c’est qu’ils envisagent les choses d’une manière subjective, unilatérale, superficielle.

    Envisager les choses d’une manière unilatérale et superficielle, c’est encore du subjectivisme, car, dans leur être objectif, les choses sont en fait liées les unes aux autres et possèdent des lois internes ; or, il est des gens qui, au lieu de refléter les choses telles qu’elles sont, les considèrent d’une manière unilatérale ou superficielle, sans connaître leur liaison mutuelle ni leurs lois internes ; une telle méthode est donc subjective.

    Nous devons avoir en vue non seulement les particularités du mouvement des aspects contradictoires considérés dans leur liaison mutuelle et dans les conditions de chacun d’eux au cours du processus général du développement d’une chose ou d’un phénomène, mais aussi les particularités propres à chaque étape du processus de développement.

    Ni la contradiction fondamentale dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, ni l’essence de ce processus, déterminée par cette contradiction, ne disparaissent avant l’achèvement du processus ; toutefois, les conditions diffèrent habituellement les unes des autres à chaque étape du long processus de développement d’une chose ou d’un phénomène.

    En voici la raison : Bien que le caractère de la contradiction fondamentale dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène et l’essence du processus restent inchangés, la contradiction fondamentale s’accentue progressivement à chaque étape de ce long processus. En outre, parmi tant de contradictions, importantes ou minimes, qui sont déterminées par la contradiction fondamentale ou se trouvent sous son influence, certaines s’accentuent, d’autres se résolvent ou s’atténuent temporairement ou partiellement, d’autres ne font encore que naître.

    Voilà pourquoi il y a différentes étapes dans le processus. On est incapable de résoudre comme il faut les contradictions inhérentes à une chose ou à un phénomène si l’on ne fait pas attention aux étapes du processus de son développement.

    Lorsque, par exemple, le capitalisme de l’époque de la libre concurrence se transforma en impérialisme, ni le caractère de classe des deux classes en contradiction fondamentale – le prolétariat et la bourgeoisie – ni l’essence capitaliste de la société ne subirent de changement ; toutefois, la contradiction entre ces deux classes s’accentua, la contradiction entre le capital monopoliste et le capital non monopoliste surgit, la contradiction entre les puissances coloniales et les colonies devint plus marquée, la contradiction entre les pays capitalistes, contradiction provoquée par le développement inégal de ces pays, se manifesta avec une acuité particulière ; dès lors apparut un stade particulier du capitalisme – le stade de l’impérialisme.

    Le léninisme est le marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne précisément parce que Lénine et Staline ont donné une explication juste de ces contradictions et formulé correctement la théorie et la tactique de la révolution prolétarienne appelées à les résoudre.

    Si l’on prend le processus de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, qui a commencé par la Révolution de 1911,16 on y distingue également plusieurs étapes spécifiques. En particulier, la période de la révolution où sa direction a été bourgeoise et la période où sa direction est assumée par le prolétariat représentent deux étapes historiques dont la différence est considérable.

    En d’autres termes, la direction exercée par le prolétariat changea radicalement le visage de la révolution, conduisit à un regroupement des forces dans le rapport des classes, amena un large développement de la révolution paysanne, imprima à la révolution dirigée contre l’impérialisme et le féodalisme un caractère conséquent, créa la possibilité du passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste, etc. Tout cela était impossible à l’époque où la direction de la révolution appartenait à la bourgeoisie.

    Bien que la nature de la contradiction fondamentale du processus pris dans son ensemble, c’est-à-dire le caractère de révolution démocratique anti-impérialiste et antiféodale du processus (l’autre aspect de la contradiction étant le caractère semi-colonial et semi-féodal du pays), n’eût subi aucun changement, on vit se produire au cours de cette longue période des événements aussi importants que la défaite de la Révolution de 1911 et l’établissement du pouvoir des seigneurs de guerre du Peiyang, la création du premier front uni national et la révolution de 1924-1927, la rupture du front uni et le passage de la bourgeoisie dans le camp de la contre-révolution, les conflits entre les nouveaux seigneurs de guerre, la Guerre révolutionnaire agraire,17 la création du second front uni national et la Guerre de Résistance contre le Japon – autant d’étapes de développement en l’espace de vingt et quelques années.

    Ces étapes sont caractérisées notamment par le fait que certaines contradictions se sont accentuées (par exemple, la Guerre révolutionnaire agraire et l’invasion des quatre provinces du Nord-Est18 par le Japon), que d’autres se sont trouvées partiellement ou provisoirement résolues (par exemple, l’anéantissement des seigneurs de guerre du Peiyang, la confiscation par nous des terres des propriétaires fonciers), que d’autres enfin ont surgi (par exemple, la lutte entre les nouveaux seigneurs de guerre, la reprise des terres par les propriétaires fonciers après la perte de nos bases révolutionnaires dans le Sud).

    Lorsqu’on étudie le caractère spécifique des contradictions à chaque étape du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, il faut non seulement considérer ces contradictions dans leur liaison mutuelle ou dans leur ensemble, mais également envisager les deux aspects de chaque contradiction.

    Par exemple, le Kuomintang et le Parti communiste. Prenons l’un des aspects de cette contradiction : le Kuomintang. Aussi longtemps qu’il suivit, dans la période du premier front uni, les trois thèses politiques fondamentales de Sun Yat-sen (alliance avec la Russie, alliance avec le Parti communiste et soutien aux ouvriers et aux paysans), il conserva son caractère révolutionnaire et sa vigueur, il représenta l’alliance des différentes classes dans la révolution démocratique.

    A partir de 1927, il se transforma en son contraire en devenant un bloc réactionnaire des propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie. Après l’Incident de Sian 19 en décembre 1936, un nouveau changement commença à se produire en son sein, dans le sens de la cessation de la guerre civile et de l’alliance avec le Parti communiste pour une lutte commune contre l’impérialisme japonais. Telles sont les particularités du Kuomintang à ces trois étapes. Leur apparition a eu, bien entendu, des causes multiples.

    Prenons maintenant l’autre aspect : le Parti communiste chinois. Dans la période du premier front uni, il était encore fort jeune ; il dirigea courageusement la révolution de 1924-1927, mais montra son manque de maturité dans la façon dont il comprit le caractère, les tâches et les méthodes de la révolution, c’est pourquoi le tchentou-sieouisme20, qui était apparu dans la dernière période de cette révolution, eut la possibilité d’y exercer son action et conduisit la révolution à la défaite.

    A partir de 1927, le Parti communiste dirigea courageusement la Guerre révolutionnaire agraire, créa une armée révolutionnaire et des bases révolutionnaires, mais commit des erreurs de caractère aventuriste, à la suite de quoi l’armée et les bases d’appui subirent de grosses pertes.

    Depuis 1935, il a surmonté ces erreurs et dirige le nouveau front uni pour la résistance au Japon ; cette grande lutte est en train de se développer. A l’étape présente, le Parti communiste est un parti qui a déjà subi l’épreuve de deux révolutions et qui possède une riche expérience. Telles sont les particularités du Parti communiste chinois à ces trois étapes. Leur apparition a eu également des causes multiples.

    Faute d’étudier les particularités du Kuomintang et du Parti communiste, il est impossible de comprendre les relations spécifiques entre les deux partis aux diverses étapes de leur développement : création d’un front uni, rupture de ce front, création d’un nouveau front uni. Mais pour étudier ces diverses particularités, il est encore plus indispensable d’étudier la base de classe des deux partis et les contradictions qui en résultent dans différentes périodes entre chacun de ces partis et les autres forces.

    Par exemple, dans la période de sa première alliance avec le Parti communiste, le Kuomintang se trouvait en contradiction avec les impérialistes étrangers, ce qui l’amena à s’opposer à l’impérialisme ; d’autre part, il se trouvait en contradiction avec les masses populaires à l’intérieur du pays – bien qu’en paroles il fît toutes sortes de promesses mirifiques aux travailleurs, il ne leur accordait en fait que très peu de choses, voire rien du tout.

    Au cours de sa guerre anticommuniste, il collabora avec l’impérialisme et le féodalisme pour s’opposer aux masses populaires, supprima d’un trait de plume tous les droits que celles-ci avaient conquis pendant la révolution, rendant ainsi plus aiguës ses contradictions avec les masses populaires.

    Dans la période actuelle de résistance au Japon, il a besoin, en raison de ses contradictions avec l’impérialisme japonais, de s’allier avec le Parti communiste, sans toutefois mettre un frein ni à sa lutte contre le Parti communiste et le peuple ni à l’oppression qu’il exerce sur eux.

    Quant au Parti communiste, il a toujours été, dans n’importe quelle période, aux côtés des masses populaires pour lutter contre l’impérialisme et le féodalisme ; mais dans la période actuelle de résistance au Japon, il a adopté une politique modérée à l’égard du Kuomintang et des forces féodales du pays, étant donné que le Kuomintang s’est prononcé pour la résistance au Japon.

    Ces circonstances ont donné lieu tantôt à une alliance tantôt à une lutte entre les deux partis, ceux-ci étant, d’ailleurs, même en période d’alliance, dans une situation complexe à la fois d’alliance et de lutte. Si nous n’étudions pas les particularités de ces aspects contradictoires, nous ne pourrons comprendre ni les rapports respectifs des deux partis avec les autres forces, ni les relations entre les deux partis eux-mêmes.

    Il s’ensuit que lorsque nous étudions le caractère spécifique de n’importe quelle contradiction – la contradiction propre à chaque forme de mouvement de la matière, la contradiction propre à chaque forme de mouvement dans chacun de ses processus de développement, les deux aspects de la contradiction dans chaque processus de développement, la contradiction à chaque étape d’un processus de développement, et les deux aspects de la contradiction à chacune de ces étapes – bref, lorsque nous étudions le caractère spécifique de toutes ces contradictions, nous ne devons pas nous montrer subjectifs et arbitraires, mais en faire une analyse concrète.

    Sans analyse concrète, impossible de connaître le caractère spécifique de quelque contradiction que ce soit. Nous devons toujours nous rappeler les paroles de Lénine : analyse concrète d’une situation concrète.

    Marx et Engels ont été les premiers à nous donner de magnifiques exemples de ce genre d’analyse concrète.

    Lorsque Marx et Engels ont appliqué la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes à l’étude du processus de l’histoire de la société, ils ont découvert la contradiction existant entre les forces productives et les rapports de production, la contradiction entre la classe des exploiteurs et celle des exploités, ainsi que la contradiction qui en résulte entre la base économique et sa superstructure (politique, idéologie, etc.) ; et ils ont découvert comment ces contradictions engendrent inévitablement différentes sortes de révolutions sociales dans différentes sortes de sociétés de classes.

    Lorsque Marx a appliqué cette loi à l’étude de la structure économique de la société capitaliste, il a découvert que la contradiction fondamentale de cette société, c’est la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de la propriété.

    Cette contradiction se manifeste par la contradiction entre le caractère organisé de la production dans les entreprises isolées et le caractère inorganisé de la production à l’échelle de la société tout entière. Et dans les rapports de classes, elle se manifeste dans la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat.

    Comme les choses et les phénomènes sont d’une prodigieuse diversité et qu’il n’y a aucune limite à leur développement, ce qui est universel dans tel contexte peut devenir particulier dans un autre. Inversement, ce qui est particulier dans tel contexte peut devenir universel dans un autre.

    La contradiction dans le régime capitaliste entre le caractère social de la production et la propriété privée des moyens de production est commune à tous les pays où existe et se développe le capitalisme ; pour le capitalisme, cela constitue l’universalité de la contradiction.

    Mais cette contradiction du capitalisme appartient seulement à une étape historique déterminée du développement de la société de classes en général, et, du point de vue de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production dans la société de classes en général, cela constitue le caractère spécifique de la contradiction.

    Or, en dégageant le caractère spécifique de toutes les contradictions de la société capitaliste, Marx a élucidé d’une manière encore plus approfondie, plus totale, plus complète l’universalité de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production dans la société de classes en général.

    L’unité du spécifique et de l’universel, la présence dans chaque chose de ce que la contradiction a d’universel aussi bien que de ce qu’elle a de spécifique, l’universel existant dans le spécifique, nous obligent, quand nous étudions une chose déterminée, à découvrir le spécifique et l’universel ainsi que leur liaison mutuelle, à découvrir le spécifique et l’universel au sein de la chose elle-même ainsi que leur liaison mutuelle, à découvrir la liaison que cette chose entretient avec les nombreuses autres choses, extérieures à elle.

    En dégageant les racines historiques du léninisme, Staline analyse, dans son célèbre ouvrage Des principes du léninisme, la situation internationale qui a donné naissance au léninisme, il analyse les contradictions du capitalisme qui ont atteint un point extrême dans les conditions de l’impérialisme, il montre comment ces contradictions ont fait de la révolution prolétarienne une question d’activité pratique immédiate et ont créé les conditions favorables à un assaut direct contre le capitalisme.

    De plus, il analyse les raisons pour lesquelles la Russie est devenue le foyer du léninisme, expliquant pourquoi la Russie tsariste fut alors le point crucial de toutes les contradictions de l’impérialisme et pourquoi c’est justement le prolétariat russe qui a pu devenir l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire international.

    Ainsi, Staline a analysé l’universalité de la contradiction propre à l’impérialisme, montrant que le léninisme est le marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne ; mais il a aussi analysé le caractère spécifique de l’impérialisme de la Russie tsariste dans cette contradiction générale, montrant que la Russie est devenue la patrie de la théorie et de la tactique de la révolution prolétarienne et que ce caractère spécifique contenait en lui l’universalité de la contradiction. L’analyse de Staline est pour nous un modèle de la connaissance du caractère spécifique et de l’universalité de la contradiction ainsi que de leur liaison mutuelle.

    En traitant la question de l’emploi de la dialectique dans l’étude des phénomènes objectifs, Marx et Engels, et également Lénine et Staline, ont toujours indiqué qu’il faut se garder de tout subjectivisme et de tout arbitraire, qu’il faut partir des conditions concrètes du mouvement réel objectif pour découvrir dans ces phénomènes les contradictions concrètes, la situation concrète de chaque aspect de la contradiction et le rapport mutuel concret des contradictions.

    Nos dogmatiques n’ont pas cette attitude clans l’étude, aussi ne se font-ils jamais une idée juste d’une chose. Nous devons tirer la leçon de leur échec et parvenir à acquérir cette attitude, la seule qui soit correcte dans l’étude.

    La relation entre l’universalité et le caractère spécifique de la contradiction, c’est la relation entre le général et le particulier. Le général réside dans le fait que les contradictions existent dans tous les processus et pénètrent tous les processus, du début à la fin ; mouvement, chose, processus, pensée – tout est contradiction. Nier la contradiction dans les choses et les phénomènes, c’est tout nier.

    C’est là une vérité universelle, valable pour tous les temps et tous les pays sans exception. C’est pourquoi la contradiction est générale, absolue. Toutefois, ce général n’existe que dans le particulier ; sans particulier, point de général. Si tout particulier en est exclu, que reste-t-il du général ? C’est le fait que chaque contradiction a son caractère spécifique propre qui donne naissance au particulier. Tout élément particulier est conditionné, passager et partant relatif.

    Cette vérité concernant le général et le particulier, l’absolu et le relatif, est la quintessence de la question des contradictions inhérentes aux choses et aux phénomènes ; ne pas comprendre cette vérité, c’est se refuser à la dialectique.

    Dans la question du caractère spécifique de la contradiction, il reste deux éléments qui requièrent une analyse particulière, à savoir la contradiction principale et l’aspect principal de la contradiction.

    Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions ; l’une d’elles est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux.

    Ainsi, dans la société capitaliste, les deux forces en contradiction, le prolétariat et la bourgeoisie, forment la contradiction principale ; les autres contradictions, comme par exemple la contradiction entre les restes de la classe féodale et la bourgeoisie, la contradiction entre la petite bourgeoisie paysanne et la bourgeoisie, la contradiction entre le prolétariat et la petite bourgeoisie paysanne, la contradiction entre la bourgeoisie libérale et la bourgeoisie monopoliste, la contradiction entre la démocratie et le fascisme au sein de la bourgeoisie, les contradictions entre les pays capitalistes et les contradictions entre l’impérialisme et les colonies, sont toutes déterminées par la contradiction principale ou soumises à son action.

    Dans un pays semi-colonial tel que la Chine, la relation entre la contradiction principale et les contradictions secondaires forme un tableau complexe.

    Quand l’impérialisme lance une guerre d’agression contre un tel pays, les diverses classes de ce pays, à l’exception d’un petit nombre de traîtres à la nation, peuvent s’unir temporairement dans une guerre nationale contre l’impérialisme. La contradiction entre l’impérialisme et le pays considéré devient alors la contradiction principale et toutes les contradictions entre les diverses classes à l’intérieur du pays (y compris la contradiction, qui était la principale, entre le régime féodal et les masses populaires) passent temporairement au second plan et à une position subordonnée. Tel est le cas en Chine dans la Guerre de l’Opium de 1840 21, la Guerre sino-japonaise de I89422, la Guerre des Yihotouan en 1900 et l’actuelle guerre sino-japonaise.

    Néanmoins, dans d’autres circonstances, les contradictions se déplacent. Lorsque l’impérialisme n’a pas recours à la guerre comme moyen d’oppression, mais utilise dans les domaines politique, économique et culturel des formes d’oppression plus modérées, la classe dominante du pays semi-colonial capitule devant l’impérialisme ; il se forme alors entre eux une alliance pour opprimer ensemble les masses populaires.

    A ce moment, les masses populaires recourent le plus souvent à la guerre civile pour lutter contre l’alliance des impérialistes et de la classe féodale ; quant à l’impérialisme, au lieu d’avoir recours à une action directe, il use souvent de moyens détournés en aidant les réactionnaires du pays semi-colonial à opprimer le peuple, d’où l’acuité particulière des contradictions internes.

    C’est ce qui est arrivé en Chine pendant la guerre révolutionnaire de 1911, la guerre révolutionnaire de 1924-1927, la Guerre révolutionnaire agraire commencée en 1927 et poursuivie dix ans durant. Les guerres intestines entre les différents groupes réactionnaires au pouvoir dans les pays semi-coloniaux, comme celles que les seigneurs de guerre se sont faites en Chine, appartiennent à la même catégorie.

    Lorsque la guerre civile révolutionnaire prend une envergure telle qu’elle menace l’existence même de l’impérialisme et de ses laquais, les réactionnaires de l’intérieur, l’impérialisme a fréquemment recours, pour maintenir sa domination, à d’autres moyens encore : ou bien il cherche à diviser le front révolutionnaire, ou bien il envoie directement ses troupes au secours de la réaction intérieure.

    A ce moment, l’impérialisme étranger et la réaction intérieure se placent tout à fait ouvertement à un pôle, et les masses populaires, à l’autre pôle, formant ainsi la contradiction principale qui détermine le développement des autres contradictions ou agit sur lui. L’aide apportée par différents pays capitalistes aux réactionnaires de Russie après la Révolution d’Octobre est un exemple d’une telle intervention armée. La trahison de Tchiang Kaï-chek en 1927 est un exemple de division du front révolutionnaire.

    En tout cas, il ne fait absolument aucun doute qu’à chacune des étapes de développement du processus il n’existe qu’une contradiction principale, qui joue le rôle dirigeant. Il apparaît donc que si un processus comporte plusieurs contradictions il y en a nécessairement une qui est la principale et qui joue le rôle dirigeant, déterminant, alors que les autres n’occupent qu’une position secondaire, subordonnée. Par conséquent, dans l’étude de tout processus complexe où il existe deux contradictions ou davantage, nous devons nous efforcer de trouver la contradiction principale.

    Lorsque celle-ci est trouvée, tous les problèmes se résolvent aisément. Telle est la méthode que nous enseigne Marx dans son étude de la société capitaliste. C’est aussi cette méthode que nous enseignent Lénine et Staline dans leur étude de l’impérialisme et de la crise générale du capitalisme, dans leur étude de l’économie de l’Union soviétique.

    Des milliers de savants et d’hommes d’action ne comprennent pas cette méthode ; le résultat, c’est que, perdus dans le brouillard, ils sont incapables d’aller au cœur du problème et de ce fait ne peuvent trouver la méthode pour résoudre les contradictions.

    Nous avons déjà dit plus haut qu’il ne faut pas traiter toutes les contradictions dans un processus comme si elles étaient égales, qu’il est nécessaire d’y distinguer la contradiction principale des contradictions secondaires et d’être particulièrement attentif à saisir la contradiction principale.

    Mais dans les différentes contradictions, qu’il s’agisse de la contradiction principale ou des contradictions secondaires, peut-on aborder les deux aspects contradictoires en les considérant comme égaux ? Non, pas davantage. Dans toute contradiction, les aspects contradictoires se développent d’une manière inégale. Il semble qu’il y ait parfois équilibre entre eux, mais ce n’est là qu’un état passager et relatif ; la situation fondamentale, c’est le développement inégal.

    Des deux aspects contradictoires, l’un est nécessairement principal, l’autre secondaire. Le principal, c’est celui qui joue le rôle dominant dans la contradiction. Le caractère des choses et des phénomènes est surtout déterminé par cet aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

    Mais cette situation n’est pas statique ; l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction se convertissent l’un en l’autre et le caractère des phénomènes change en conséquence.

    Si, dans un processus déterminé ou à une étape déterminée du développement de la contradiction, l’aspect principal est A et l’aspect secondaire B, à une autre étape ou dans un autre processus du développement, les rôles sont renversés ; ce changement est fonction du degré de croissance ou de décroissance atteint par la force de chaque aspect dans sa lutte contre l’autre au cours du développement du phénomène.

    Nous parlons souvent du « remplacement de l’ancien par le nouveau ». Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers. La transformation d’un phénomène en un autre par des bonds dont les formes varient selon le caractère du phénomène lui-même et les conditions dans lesquelles il se trouve, tel est le processus de remplacement de l’ancien par le nouveau.

    Dans tout phénomène, il existe une contradiction entre le nouveau et l’ancien, ce qui engendre une série de luttes au cours sinueux. Il résulte de ces luttes que le nouveau grandit et s’élève au rôle dominant ; l’ancien, par contre, décroît et finit par dépérir. Et dès que le nouveau l’emporte sur l’ancien, l’ancien phénomène se transforme qualitativement en un nouveau phénomène.

    Il ressort de là que la qualité d’une chose ou d’un phénomène est surtout déterminée par l’aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante. Lorsque l’aspect principal de la contradiction, l’aspect dont la position est dominante, change, la qualité du phénomène subit un changement correspondant.

    Le capitalisme, qui occupait dans l’ancienne société féodale une position subordonnée, devient la force dominante dans la société capitaliste ; le caractère de la société subit une transformation correspondante : de féodale, elle devient capitaliste.

    Quant à la féodalité, de force dominante qu’elle était dans le passé, elle devient, à l’époque de la nouvelle société capitaliste, une force subordonnée qui dépérit progressivement. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en Angleterre et en France.

    Avec le développement des forces productives, la bourgeoisie elle-même, de classe nouvelle, jouant un rôle progressif, devient une classe ancienne, jouant un rôle réactionnaire, et, finalement, elle est renversée par le prolétariat et devient une classe dépossédée du droit à la propriété privée des moyens de production, déchue de son pouvoir et qui disparaîtra avec le temps.

    Le prolétariat, qui est de loin supérieur en nombre à la bourgeoisie et a grandi en même temps qu’elle, mais se trouve sous sa domination, constitue une force nouvelle ; occupant, dans la période initiale, une position dépendante par rapport à la bourgeoisie, il se renforce progressivement, se transforme en une classe indépendante, jouant le rôle dirigeant dans l’histoire, et finalement s’empare du pouvoir et devient la classe dominante.

    De ce fait, le caractère de la société change – l’ancienne société, capitaliste, devient une nouvelle société, socialiste. Tel est le chemin déjà parcouru par l’Union soviétique et que suivront inévitablement tous les autres pays.

    Voyons la situation de la Chine. Dans la contradiction où la Chine s’est trouvée réduite à l’état de semi-colonie, l’impérialisme occupe la position principale et opprime le peuple chinois, alors que la Chine, de pays indépendant, est devenue une semi-colonie.

    Mais la situation se modifiera inévitablement ; dans la lutte entre les deux parties, la force du peuple chinois, force qui grandit sous la direction du prolétariat, transformera inévitablement la Chine de semi-colonie en pays indépendant, alors que l’impérialisme sera renversé et la vieille Chine transformée inévitablement en une Chine nouvelle.

    La transformation de la vieille Chine en une Chine nouvelle implique aussi une transformation dans les rapports entre les forces anciennes, féodales, et les forces nouvelles, populaires. La vieille classe féodale des propriétaires fonciers sera renversée ; de classe dominante, elle deviendra classe dominée et dépérira progressivement.

    Quant au peuple, maintenant dominé, il accédera, sous la direction du prolétariat, à une position dominante. De ce fait, le caractère de la société chinoise se modifiera, la vieille société, semi-coloniale et semi-féodale, deviendra une société nouvelle, démocratique.

    De semblables transformations se sont déjà produites dans le passé. La dynastie des Tsing, qui avait régné en Chine pendant près de trois cents ans, a été renversée lors de la Révolution de 1911, et le Kebmingtongmenghoui 23 dirigé par Sun Yat-sen a remporté à un moment donné la victoire.

    Dans la guerre révolutionnaire de 1924-1927, les forces révolutionnaires du Sud, nées de l’alliance entre le Parti communiste et le Kuomintang, de faibles sont devenues puissantes et ont remporté la victoire dans l’Expédition du Nord, alors que les seigneurs de guerre du Peiyang, qui avaient été un temps les maîtres du pays, furent renversés. En 1927, les forces populaires, dirigées par le Parti communiste, ont beaucoup diminué sous les coups des réactionnaires du Kuomintang, mais, après avoir épuré leurs rangs de l’opportunisme, elles ont grandi progressivement.

    Dans les bases révolutionnaires, dirigées par le Parti communiste, les paysans asservis sont devenus les maîtres, alors que les propriétaires fonciers ont subi une transformation inverse. Il en a toujours été ainsi dans le monde : le nouveau chasse l’ancien, le nouveau se substitue à l’ancien, l’ancien s’élimine pour donner le nouveau, le nouveau émerge de l’ancien.

    A certains moments de la lutte révolutionnaire, les difficultés l’emportent sur les conditions favorables ; en ce cas, les difficultés constituent l’aspect principal de la contradiction et les conditions favorables l’aspect secondaire. Néanmoins, les révolutionnaires réussissent par leurs efforts à surmonter progressivement les difficultés, à créer des conditions nouvelles, favorables ; alors la situation défavorable cède la place à une situation favorable.

    C’est ce qui s’est passé en Chine après la défaite de la révolution en 1927 et pendant la Longue Marche de l’Armée rouge. Et dans la guerre sino-japonaise actuelle, la Chine se trouve de nouveau dans une situation difficile, mais nous pouvons la changer et transformer radicalement la situation respective de la Chine et du Japon. Inversement, les conditions favorables peuvent se transformer en difficultés si les révolutionnaires commettent des erreurs.

    La victoire remportée au cours de la révolution de 1924-1927 est devenue une défaite. Les bases révolutionnaires créées depuis 1927 dans les provinces méridionales ont toutes connu la défaite en 1934.

    Il en va de même dans notre étude, en ce qui concerne la contradiction dans le passage de l’ignorance à la connaissance. Tout au début de notre étude du marxisme, il existe une contradiction entre notre ignorance ou notre connaissance limitée du marxisme et la connaissance du marxisme.

    Toutefois, en nous appliquant, nous parviendrons à transformer cette ignorance en connaissance, cette connaissance limitée en connaissance profonde, l’application à l’aveugle du marxisme en une application faite avec maîtrise.

    D’aucuns pensent qu’il n’en est pas ainsi pour certaines contradictions. Selon eux, par exemple, dans la contradiction entre les forces productives et les rapports de production, l’aspect principal est constitué par les forces productives ; dans la contradiction entre la théorie et la pratique, l’aspect principal est constitué par la pratique ; dans la contradiction entre la base économique et la superstructure, l’aspect principal est représenté par la base économique ; les positions respectives des aspects ne se convertissent pas l’une en l’autre.

    Cette conception est celle du matérialisme mécaniste et non du matérialisme dialectique. Certes, les forces productives, la pratique et la base économique jouent en général le rôle principal, décisif, et quiconque le nie n’est pas un matérialiste ; mais il faut reconnaître que dans des conditions déterminées, les rapports de production, la théorie et la superstructure peuvent, à leur tour, jouer le rôle principal, décisif. Lorsque, faute de modification dans les rapports de production, les forces productives ne peuvent plus se développer, la modification des rapports de production joue le rôle principal, décisif.

    Lorsqu’on est dans le cas dont parle Lénine : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire », la création et la propagation de la théorie révolutionnaire jouent le rôle principal, décisif. Lorsqu’on a à accomplir une tâche (peu importe laquelle), et qu’on n’a pas encore fixé une orientation, une méthode, un plan ou une politique, ce qu’il y a de principal, de décisif, c’est de définir une orientation, une méthode, un plan ou une politique.

    Lorsque la superstructure (politique, culture, etc.) entrave le développement de la base économique, les transformations politiques et culturelles deviennent la chose principale, décisive.

    Allons-nous à l’encontre du matérialisme en disant cela ? Non, car tout en reconnaissant que dans le cours général du développement historique le matériel détermine le spirituel, l’être social détermine la conscience sociale, nous reconnaissons et devons reconnaître l’action en retour du spirituel sur le matériel, de la conscience sociale sur l’être social, de la superstructure sur la base économique.

    Ce faisant, nous ne contredisons pas le matérialisme, mais, évitant de tomber dans le matérialisme mécaniste, nous nous en tenons fermement au matérialisme dialectique.

    Si, dans l’étude du caractère spécifique de la contradiction, nous ne considérons pas les deux situations qui s’y présentent – la contradiction principale et les contradictions secondaires d’un processus ainsi que l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction -, c’est-à-dire si nous ne considérons pas le caractère distinctif de ces deux situations dans la contradiction, nous tombons dans l’abstraction et ne pouvons comprendre concrètement où en est cette contradiction, ni par conséquent découvrir la méthode correcte pour la résoudre. Le caractère distinctif, ou le caractère spécifique, de ces deux situations représente l’inégalité des forces en contradiction.

    Rien au monde ne se développe d’une manière absolument égale, et nous devons combattre la théorie du développement égal ou la théorie de l’équilibre. Et c’est dans ces situations concrètes des contradictions et dans les changements auxquels sont soumis l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction dans le processus de développement que se manifeste précisément la force du nouveau qui vient remplacer l’ancien.

    L’étude des différents états d’inégalité dans les contradictions, de la contradiction principale et des contradictions secondaires, de l’aspect principal et de l’aspect secondaire de la contradiction, est une méthode importante dont se sert un parti révolutionnaire pour déterminer correctement sa stratégie et sa tactique en matière politique et militaire ; elle doit retenir l’attention de tous les communistes.

    Après avoir élucidé le problème de l’universalité et du caractère spécifique de la contradiction, nous devons passer à l’étude de la question de l’identité et de la lutte des aspects de la contradiction.

    L’identité, l’unité, la coïncidence, l’interpénétration, l’imprégnation réciproque, l’interdépendance (ou bien le conditionnement mutuel), la liaison réciproque ou la coopération mutuelle – tous ces termes ont la même signification et se rapportent aux deux points suivants : Premièrement, chacun des deux aspects d’une contradiction dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène présuppose l’existence de l’autre aspect qui est son contraire, tous deux coexistant dans l’unité ; deuxièmement, chacun des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans des conditions déterminées. C’est ce qu’on appelle l’identité.

    Lénine dit :

    La dialectique est la théorie qui montre comment les contraires peuvent être et sont habituellement (et deviennent) identiques – dans quelles conditions ils sont identiques en se convertissant l’un en l’autre -, pourquoi l’entendement humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, pétrifiés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre.24

    Que signifie ce passage de Lénine ?

    Les aspects contradictoires dans tous processus s’excluent l’un l’autre, sont en lutte l’un contre l’autre et s’opposent l’un à l’autre. Dans le processus de développement de toute chose comme dans la pensée humaine, il y a de ces aspects contradictoires, et cela sans exception.

    Un processus simple ne renferme qu’une seule paire de contraires, alors qu’un processus complexe en contient davantage. Et ces paires de contraires, à leur tour, entrent en contradiction entre elles. C’est ainsi que sont constituées toutes les choses du monde objectif et toutes les pensées humaines, c’est ainsi qu’elles sont mises en mouvement. Puisqu’il en est ainsi, les contraires sont loin d’être à l’état d’identité et d’unité ; pourquoi parlons-nous alors de leur identité et de leur unité ?

    C’est que les aspects contradictoires ne peuvent exister isolément, l’un sans l’autre. Si l’un des deux aspects opposés, contradictoires, fait défaut, la condition d’existence de l’autre aspect disparaît aussi. Réfléchissez : l’un quelconque des deux aspects contradictoires d’une chose ou d’un concept né dans l’esprit des hommes peut-il exister indépendamment de l’autre ?

    Sans vie, pas de mort ; sans mort, pas de vie. Sans haut, pas de bas ; sans bas, pas de haut. Sans malheur, pas de bonheur ; sans bonheur, pas de malheur. Sans facile, pas de difficile ; sans difficile, pas de facile. Sans propriétaire foncier, pas de fermier ; sans fermier, pas de propriétaire foncier. Sans bourgeoisie, pas de prolétariat ; sans prolétariat, pas de bourgeoisie. Sans oppression nationale par l’impérialisme, pas de colonies et de semi-colonies ; sans colonies et semi-colonies, pas d’oppression nationale par l’impérialisme. Il en va ainsi pour tous les contraires ; dans des conditions déterminées, ils s’opposent d’une part l’un à l’autre et, d’autre part, sont liés mutuellement, s’imprègnent réciproquement, s’interpénètrent et dépendent l’un de l’autre ; c’est ce caractère qu’on appelle l’identité. Tous les aspects contradictoires possèdent, dans des conditions déterminées, le caractère de la non-identité, c’est pourquoi on les appelle contraires.

    Mais il existe aussi entre eux une identité et c’est pourquoi ils sont liés mutuellement. C’est ce qu’entend Lénine lorsqu’il dit que la dialectique étudie « comment les contraires peuvent être… identiques ». Comment peuvent-ils l’être ? Parce que chacun d’eux est la condition d’existence de l’autre. Tel est le premier sens de l’identité.

    Mais est-il suffisant de dire que l’un des deux aspects de la contradiction est la condition d’existence de l’autre, qu’il y a identité entre eux et que, par conséquent, ils coexistent dans l’unité ? Non, cela ne suffit pas. La question ne se limite pas au fait que les deux aspects de la contradiction se conditionnent mutuellement ; ce qui est encore plus important, c’est qu’ils se convertissent l’un en l’autre. Autrement dit, chacun des deux aspects contradictoires d’un phénomène tend à se transformer, dans des conditions déterminées, en son opposé, à prendre la position qu’occupé son contraire. Tel est le second sens de l’identité des contraires.

    Pourquoi y a-t-il là aussi une identité ? Voyez : par la révolution, le prolétariat, de classe dominée, se transforme en classe dominante, et la bourgeoisie qui dominait jusqu’alors se transforme en classe dominée, chacun prenant la place qu’occupait son adversaire.

    Cela s’est déjà accompli en Union soviétique, et cela s’accomplira également dans le monde entier. S’il n’existait entre ces contraires ni lien, ni identité dans des conditions déterminées, comment de tels changements pourraient-ils se produire ?

    Le Kuomintang, qui joua à une étape déterminée de l’histoire moderne de la Chine un certain rôle positif, se transforma à partir de 1927 en un parti de la contre-révolution par suite de sa nature de classe et des promesses alléchantes de l’impérialisme (ce sont des conditions), mais il se vit contraint de se prononcer pour la résistance au Japon en raison de l’approfondissement des contradictions sino-japonaises et de la politique de front uni appliquée par le Parti communiste (ce sont d’autres conditions). Entre des contraires se transformant l’un en l’autre, il existe donc une identité déterminée.

    Notre révolution agraire a connu et connaîtra le processus suivant : la classe des propriétaires fonciers qui possède la terre se transforme en une classe dépossédée de sa terre et les paysans dépossédés de leur terre deviennent de petits propriétaires ayant reçu de la terre.

    La possession et la dépossession, l’acquisition et la perte sont mutuellement liées dans des conditions déterminées, et il existe entre elles une identité. Dans les conditions du socialisme, la propriété privée des paysans, à son tour, se transformera en propriété sociale dans l’agriculture socialiste ; cela s’est déjà accompli en Union soviétique, et cela s’accomplira également dans le monde entier. Il existe un pont menant de la propriété privée à la propriété sociale ; en philosophie, cela s’appelle identité, ou transformation réciproque, interpénétration.

    Renforcer la dictature du prolétariat ou la dictature du peuple, c’est préparer les conditions pour mettre fin à cette dictature et passer à un stade supérieur où l’Etat en tant que tel disparaîtra. Fonder le parti communiste et le développer, c’est préparer les conditions pour supprimer le parti communiste et tous les partis politiques.

    Créer une armée révolutionnaire dirigée par le parti communiste, entreprendre une guerre révolutionnaire, c’est préparer les conditions pour en finir à jamais avec la guerre. Nous avons là toute une série de contraires qui cependant se complètent l’un l’autre.

    La guerre et la paix, comme chacun le sait, se convertissent l’une en l’autre. La guerre est remplacée par la paix ; par exemple, la Première guerre mondiale se transforma en paix de l’après-guerre ; actuellement, la guerre civile a cessé en Chine et la paix s’est établie dans le pays.

    La paix est remplacée par la guerre ; en 1927, par exemple, la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste se transforma en guerre ; il est possible aussi que la paix actuelle dans le monde se transforme en un second conflit mondial.

    Pourquoi cela ? Parce que dans la société de classes, entre les aspects contradictoires, telles la guerre et la paix, il existe, dans des conditions déterminées, une identité.

    Tous les contraires sont liés entre eux ; non seulement ils coexistent dans l’unité dans des conditions déterminées, mais ils se convertissent l’un en l’autre dans d’autres conditions déterminées, tel est le plein sens de l’identité des contraires. C’est justement ce dont parle Lénine : « … comment les contraires… sont habituellement (et deviennent) identiques – dans quelles conditions ils sont identiques en se convertissant l’un en l’autre… »

    « … l’entendement humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, pétrifiés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre. »

    Pourquoi cela ? Parce que c’est justement ainsi que sont les choses et les phénomènes dans la réalité objective. L’unité ou l’identité des aspects contradictoires d’une chose ou d’un phénomène qui existe objectivement n’est jamais morte, pétrifiée, mais vivante, conditionnée, mobile, passagère, relative ; tout aspect contradictoire se convertit, dans des conditions déterminées, en son contraire.

    Et le reflet de cela dans la pensée humaine, c’est la conception marxiste, matérialiste-dialectique, du monde. Seules les classes dominantes réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que les métaphysiciens qui sont à leur service, considèrent les contraires non comme vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre, mais comme morts, pétrifiés, et ils propagent partout cette fausse conception pour égarer les masses populaires afin de pouvoir perpétuer leur domination.

    La tâche des communistes, c’est de dénoncer les idées fallacieuses des réactionnaires et des métaphysiciens, de propager la dialectique inhérente aux choses et aux phénomènes, de contribuer à la transformation des choses et des phénomènes, afin d’atteindre les objectifs de la révolution.

    Lorsque nous disons que, dans des conditions déterminées, il y a identité des contraires, nous considérons que ces contraires sont réels et concrets, et que la transformation de l’un en l’autre est également réelle et concrète.

    Si l’on prend les nombreuses transformations qu’on trouve dans les mythes, par exemple dans le mythe de la poursuite du soleil par Kouafou dans Chan bai king 25, le mythe de la destruction de neuf soleils sous les flèches du héros Yi 26 dans Houai nan tse, le mythe des 72 métamorphoses de Souen Wou-kong dans Si yeou kï 27 ou celui de la métamorphose des esprits et des renards en êtres humains dans Liao tchai tche yi 28, on constate que les conversions de contraires l’un en l’autre n’y sont pas des transformations concrètes reflétant des contradictions concrètes ; ce sont des transformations naïves, imaginaires, conçues subjectivement par les hommes, elles leur ont été inspirées par les innombrables conversions des contraires, complexes et réelles.

    Marx disait : « Toute mythologie maîtrise, domine les forces de la nature dans le domaine de l’imagination et par l’imagination et leur donne forme : elle disparaît donc quand ces forces sont dominées réellement 29. »

    Les récits des innombrables métamorphoses qui figurent dans les mythes (et dans les contes pour enfants) peuvent nous enchanter en nous montrant entre autres les forces de la nature dominées par l’homme, les meilleurs des mythes possèdent un « charme éternel » (Marx), mais les mythes n’ont pas été formés à partir de situations déterminées par des contradictions concrètes ; ils ne sont donc pas le reflet scientifique de la réalité.

    Autrement dit, dans les mythes ou les contes pour enfants, les aspects constituant une contradiction n’ont pas une identité réelle, mais une identité imaginaire. La dialectique marxiste, en revanche, reflète scientifiquement l’identité dans les transformations réelles.

    Pourquoi l’œuf peut-il se transformer en poussin, et pourquoi la pierre ne le peut-elle pas ? Pourquoi existe-t-il une identité entre la guerre et la paix et non entre la guerre et la pierre ? Pourquoi l’homme peut-il engendrer l’homme et non quelque chose d’autre ? L’unique raison est que l’identité des contraires existe seulement dans des conditions déterminées, indispensables. Sans ces conditions déterminées, indispensables, il ne peut y avoir aucune identité.

    Pourquoi la Révolution démocratique bourgeoise de Février 1917 en Russie est-elle directement liée à la Révolution socialiste prolétarienne d’Octobre, alors que la Révolution bourgeoise française n’est pas directement liée à une révolution socialiste et qu’en 1871 la Commune de Paris 30 aboutit à l’échec ?

    Pourquoi encore le régime nomade en Mongolie et en Asie centrale a-t-il passé directement au socialisme ? Pourquoi enfin la révolution chinoise peut-elle éviter la voie capitaliste et passer immédiatement au socialisme, sans suivre la vieille voie historique des pays d’Occident, sans passer par la période de la dictature bourgeoise ?

    Cela ne s’explique que par les conditions concrètes de chacune des périodes considérées. Quand les conditions déterminées, indispensables, sont réunies, des contraires déterminés apparaissent dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, et ces contraires (au nombre de deux ou plus) se conditionnent mutuellement et se convertissent l’un en l’autre. Sinon, tout cela serait impossible.

    Voilà pour le problème de l’identité. Mais qu’est-ce alors que la lutte ? Et quel rapport y a-t-il entre l’identité et la lutte ?

    Lénine dit :

    L’unité (coïncidence, identité, équipollence) des contraires est conditionnée, temporaire, passagère, relative. La lutte des contraires qui s’excluent mutuellement est absolue, de même que l’évolution, de même que le mouvement.31

    Que signifie ce passage de Lénine ?

    Tous les processus ont un commencement et une fin, tous les processus se transforment en leurs contraires. La permanence de tous les processus est relative alors que leur variabilité, qui s’exprime dans la transformation d’un processus en un autre, est absolue.

    Tout phénomène dans son mouvement présente deux états, un état de repos relatif et un état de changement évident. Ces deux états sont provoqués par la lutte mutuelle des deux éléments contradictoires contenus dans le phénomène lui-même.

    Lorsque le phénomène, dans son mouvement, se trouve dans le premier état, il subit des changements seulement quantitatifs et non qualitatifs, aussi se manifeste-t-il dans un repos apparent. Lorsque le phénomène, dans son mouvement, se trouve dans le second état, les changements quantitatifs qu’il a subis dans le premier état ont déjà atteint un point maximum, ce qui provoque une rupture d’unité dans le phénomène, et par suite un changement qualitatif ; d’où la manifestation d’un changement évident.

    L’unité, la cohésion, l’union, l’harmonie, l’équipollence, la stabilité, la stagnation, le repos, la continuité, l’équilibre, la condensation, l’attraction, etc., que nous observons dans la vie quotidienne, sont les manifestations des choses et des phénomènes qui se trouvent dans l’état des changements quantitatifs, alors que la destruction de ces états d’unité, de cohésion, d’union, d’harmonie, d’équipollence, de stabilité, de stagnation, de repos, de continuité, d’équilibre, de condensation, d’attraction, etc., et leur passage respectif à des états opposés, sont les manifestations des choses et des phénomènes qui se trouvent dans l’état des changements qualitatifs, c’est-à-dire qui se transforment en passant d’un processus à un autre.

    Les choses et les phénomènes se transforment continuellement en passant du premier au second état, et la lutte des contraires qui se poursuit dans les deux états aboutit à la solution de la contradiction dans le second. Voilà pourquoi l’unité des contraires est conditionnée, passagère, relative, alors que la lutte des contraires qui s’excluent mutuellement est absolue.

    Nous avons dit plus haut qu’il existe une identité entre les contraires et que, pour cette raison, ils peuvent coexister dans l’unité et, par ailleurs, se convertir l’un en l’autre ; tout est donc dans les conditions, c’est-à-dire que, dans des conditions déterminées, ils peuvent arriver à l’unité et se convertir l’un en l’autre, et que, sans ces conditions, il leur est impossible de constituer une contradiction ou de coexister dans l’unité, de même que de se transformer l’un en l’autre.

    L’identité des contraires se forme seulement dans des conditions déterminées, c’est pourquoi l’identité est conditionnée, relative. Ajoutons que la lutte des contraires pénètre tout le processus du début à la fin et conduit à la transformation d’un processus en un autre, qu’elle est partout présente, et que par conséquent elle est inconditionnée, absolue.

    L’identité conditionnée et relative unie à la lutte inconditionnée et absolue forme le mouvement contradictoire dans toute chose et tout phénomène.

    Nous autres, Chinois, nous disons souvent : « Les choses s’opposent l’une à l’autre et se complètent l’une l’autre. » 32 Cela signifie qu’il y a identité entre les choses qui s’opposent. Ces paroles contiennent la dialectique ; elles contredisent la métaphysique.

    « Les choses s’opposent l’une à l’autre », cela signifie que les deux aspects contradictoires s’excluent l’un l’autre ou qu’ils luttent l’un contre l’autre ; elles « se complètent l’une l’autre », cela signifie que dans des conditions déterminées les deux aspects contradictoires s’unissent et réalisent l’identité. Et il y a lutte dans l’identité ; sans lutte, il n’y a pas d’identité.

    Dans l’identité, il y a la lutte, dans le spécifique, l’universel, et dans le particulier, le général. Pour reprendre la parole de Lénine, « il y a de l’absolu dans le relatif « .33

    Dans le problème de la lutte des contraires est incluse la question de savoir ce qu’est l’antagonisme. A cette question, nous répondons que l’antagonisme est l’une des formes et non l’unique forme de la lutte des contraires.

    Dans l’histoire de l’humanité, l’antagonisme entre les classes existe en tant qu’expression particulière de la lutte des contraires. Considérons la contradiction entre la classe des exploiteurs et celle des exploités : Ces deux classes en contradiction coexistent pendant une période prolongée dans la même société, qu’elle soit esclavagiste, féodale ou capitaliste, et elles luttent entre elles ; mais c’est seulement lorsque la contradiction entre les deux classes a atteint un certain stade de son développement qu’elle prend la forme d’un antagonisme ouvert et aboutit à la révolution. Il en va de même de la transformation de la paix en guerre dans la société de classes.

    Dans une bombe, avant l’explosion, les contraires, par suite de conditions déterminées, coexistent dans l’unité. Et c’est seulement avec l’apparition de nouvelles conditions (allumage) que se produit l’explosion. Une situation analogue se retrouve dans tous les phénomènes de la nature où, finalement, la solution d’anciennes contradictions et la naissance de choses nouvelles se produisent sous forme de conflits ouverts.

    Il est extrêmement important de connaître ce fait. Il nous aide à comprendre que, dans la société de classes, les révolutions et les guerres révolutionnaires sont inévitables, que, sans elles, il est impossible d’obtenir un développement par bonds de la société, de renverser la classe réactionnaire dominante et de permettre au peuple de prendre le pouvoir.

    Les communistes doivent dénoncer la propagande mensongère des réactionnaires affirmant par exemple que la révolution sociale n’est pas nécessaire et qu’elle est impossible ; ils doivent s’en tenir fermement à la théorie marxiste-léniniste de la révolution sociale et aider le peuple à comprendre que la révolution sociale est non seulement tout à fait nécessaire mais entièrement possible, que l’histoire de toute l’humanité et la victoire de la révolution en Union soviétique confirment cette vérité scientifique.

    Toutefois, nous devons étudier d’une manière concrète les différentes situations dans lesquelles se trouve la lutte des contraires et éviter d’appliquer hors de propos à tous les phénomènes le terme mentionné ci-dessus.

    Les contradictions et la lutte sont universelles, absolues, mais les méthodes pour résoudre les contradictions, c’est-à-dire les formes de lutte, varient selon le caractère de ces contradictions : certaines contradictions revêtent le caractère d’un antagonisme déclaré, d’autres non. Suivant le développement concret des choses et des phénomènes, certaines contradictions primitivement non antagonistes se développent en contradictions antagonistes, alors que d’autres, primitivement antagonistes, se développent en contradictions non antagonistes.

    Comme il a été dit plus haut, tant que les classes existent, les contradictions entre les idées justes et les idées erronées dans le parti communiste sont le reflet, au sein de ce parti, des contradictions de classes. Au début ou dans certaines questions, ces contradictions peuvent ne pas se manifester tout de suite comme antagonistes. Mais avec le développement de la lutte des classes, elles peuvent devenir antagonistes.

    L’histoire du Parti communiste de l’U.R.S.S. nous montre que les contradictions entre les conceptions justes de Lénine et de Staline et les conceptions erronées de Trotski 34, Boukharine et autres ne se sont pas manifestées d’abord sous une forme antagoniste, mais que, par la suite, elles sont devenues antagonistes. Des cas semblables se sont présentés dans l’histoire du Parti communiste chinois.

    Les contradictions entre les conceptions justes de nombreux camarades de notre Parti et les conceptions erronées de Tchen Tou-sieou, Tchang Kouo-tao 35 et autres ne se sont pas manifestées non plus, au début, sous une forme antagoniste, mais elles sont devenues antagonistes plus tard. Actuellement, les contradictions entre les conceptions justes et les conceptions erronées, au sein de notre Parti, n’ont pas pris une forme antagoniste, elles n’iront pas jusqu’à l’antagonisme si les camarades qui ont commis des erreurs savent les corriger.

    C’est pourquoi le Parti doit, d’une part, mener une lutte sérieuse contre les conceptions erronées, mais, d’autre part, donner pleine possibilité aux camarades qui ont commis des erreurs d’en prendre conscience. Dans ces circonstances, une lutte poussée à l’excès est évidemment inadéquate. Toutefois, si ceux qui ont commis des erreurs persistent dans leur attitude et les aggravent, ces contradictions peuvent devenir antagonistes.

    Les contradictions économiques entre la ville et la campagne sont d’un antagonisme extrême tant dans la société capitaliste, où la ville, contrôlée par la bourgeoisie, pille impitoyablement la campagne, que dans les régions du Kuomintang en Chine, où la ville, contrôlée par l’impérialisme étranger et la grande bourgeoisie compradore chinoise, pille la campagne avec une férocité inouïe.

    Mais dans un pays socialiste et dans nos bases révolutionnaires, ces contradictions antagonistes sont devenues non antagonistes et elles disparaîtront dans la société communiste.

    Lénine dit : « Antagonisme et contradiction ne sont pas du tout une seule et même chose. Sous le socialisme, le premier disparaîtra, la seconde subsistera » 36. Cela signifie que l’antagonisme n’est qu’une des formes, et non l’unique forme, de la lutte des contraires, et qu’il ne faut pas employer ce terme partout sans discernement.

    Nous pouvons, maintenant, conclure brièvement.

    La loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes, c’est-à-dire la loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la nature et de la société, et partant la loi fondamentale de la pensée. Elle est à l’opposé de la conception métaphysique du monde.

    Sa découverte a constitué une grande révolution dans l’histoire de la connaissance humaine. Selon le point de vue du matérialisme dialectique, la contradiction existe dans tous les processus qui se déroulent dans les choses et les phénomènes objectifs et dans la pensée subjective, elle pénètre tous les processus, du début à la fin ; c’est en cela que résident l’universalité et le caractère absolu de la contradiction. Chaque contradiction et chacun de ses aspects ont leurs particularités respectives ; c’est en cela que résident le caractère spécifique et le caractère relatif de la contradiction.

    Dans des conditions déterminées, il y a identité des contraires, ceux-ci peuvent donc coexister dans l’unité et se transformer l’un en l’autre ; c’est en cela également que résident le caractère spécifique et le caractère relatif de la contradiction. Toutefois, la lutte des contraires est ininterrompue, elle se poursuit aussi bien pendant leur coexistence qu’au moment de leur conversion réciproque, où elle se manifeste avec une évidence particulière.

    C’est en cela, à nouveau, que résident l’universalité et le caractère absolu de la contradiction. Lorsque nous étudions le caractère spécifique et le caractère relatif de la contradiction, nous devons prêter attention à la différence entre la contradiction principale et les contradictions secondaires, entre l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction ; lorsque nous étudions l’universalité de la contradiction et la lutte des contraires, nous devons prêter attention à la différence entre les formes variées de lutte ; sinon, nous commettrons des erreurs.

    Si, à l’issue de notre étude, nous avons une idée claire des points essentiels ci-dessus exposés, nous pourrons battre en brèche les conceptions dogmatiques qui enfreignent les principes fondamentaux du marxisme-léninisme et qui nuisent à notre cause révolutionnaire ; et nos camarades qui ont de l’expérience seront en mesure d’ériger celle-ci en principes et d’éviter la répétition des erreurs de l’empirisme.

    Telle est la brève conclusion à laquelle nous conduit l’étude de la loi de la contradiction.

    1. V. I. Lénine : Notes sur les Leçons d’histoire de la philosophie de Hegel, tome premier, « Ecole des Eléates » dans « Résumé des Leçons d’histoire de la philosophie de Hegel » (1915).
    2. Voir V. I. Lénine : « A propos de la dialectique » (1915), où il dit : « Le dédoublement de ce qui est un et la connaissance de ses parties contradictoires (voir, dans l’Heraclite de Lassalle, la citation de Philon sur Heraclite au début de la IIIe partie, De la Connaissance) constituent le fond (une des ’essences’, une des particularités ou traits principaux, sinon le principal) de la dialectique. » Et également les notes sur « La Science de la logique de Hegel », livre trois, troisième section : « L’idée » dans « Résumé de La Science de la logique de Hegel » (septembre-décembre 1914), où Lénine dit : « On peut brièvement définir la dialectique comme la théorie de l’unité des contraires. Par là on saisira le noyau de la dialectique, mais cela exige des explications et un développement. »
    3. A. M. Déborine (1881-1963), philosophe soviétique et membre de l’Académie des Sciences de l’U.R.S.S. C’est en 1930 que les milieux philosophiques en Union soviétique commencèrent à critiquer l’école de Déborine en montrant que ces erreurs – divorce de la théorie avec la pratique et de la philosophie avec la politique – étaient de caractère idéaliste.
    4. V. I. Lénine : « A propos de la dialectique ».
    5. Paroles de Tong Tchong-chou (179-104 av.J.-C.), célèbre représentant du confucianisme sous la dynastie des Han.
    6. F. Engels : « Dialectique. Quantité et qualité », Anti-Duhring (1877-1878), première partie, chapitre douze.
    7. V. I. Lénine : « A propos de la dialectique »
    8. F. Engels : « Dialectique. Quantité et qualité », Anti-Duhring, première partie, chapitre douze.
    9. V. I. Lénine : « A propos de la dialectique ».
    10. N. I. Boukharine (1888-1938), chef d’un groupe antiléniniste au sein du mouvement révolutionnaire russe. Il fut plus tard exclu du Parti en 1937 et condamné à mort par le Tribunal suprême de l’U.R.S.S. en 1938, pour avoir fait partie d’un groupe de traîtres à la nation. Le camarade Mao Tsé-toung critique ici le point de vue erroné longtemps défendu par Boukharine et qui consistait à dissimuler les contradictions de classes et à substituer la collaboration de classes à la lutte de classes. Dans les années 1928-1929, alors que l’Union soviétique se préparait à la collectivisation intégrale de l’agriculture, Boukharine soutenait plus ouvertement que jamais son point de vue erroné, s’efforçant d’estomper les contradictions de classes entre les koulaks et les paysans pauvres et moyens et de s’opposer à une lutte résolue contre les koulaks. En outre, il prétendait que la classe ouvrière pourrait former une alliance avec les koulaks et que ces derniers pourraient « s’intégrer pacifiquement dans le socialisme ».
    11. Voir V. I. Lénine : « Le Communisme » (12 juin 1920), où l’auteur, critiquant le dirigeant du Parti communiste de Hongrie Bêla Kun, disait qu’ »il oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète. »
    12. Souentse (Souen Wou), célèbre stratège et théoricien militaire du Ve siècle av. J.-C., auteur du traité du même nom, en 15 chapitres. Cette citation est extraite du « Plan de l’attaque », Souentse, chapitre III.
    13. Homme politique et historien, Wei Tcheng (580-643) vécut au début de la dynastie des Tang.
    14. Chouel hou tchouan (Au bord de l’eau), célèbre roman chinois du XIVe siècle, qui décrit une guerre paysanne des dernières années de la dynastie des Song du Nord. Le village Tchoukiatchouang se trouvait non loin de Liangchanpo, où Song Kiang, chef de l’insurrection paysanne et héros du roman, avait établi sa base. Le maître de ce village était un véritable despote, le grand propriétaire foncier Tchou.
    15. V. I. Lénine : « A nouveau les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotski et Boukharine » (janvier 1921).
    16. Révolution bourgeoise qui renversa le gouvernement autocratique des Tsing. Le 10 octobre 1911, une partie de la Nouvelle Armée qui avait subi l’influence de la révolution se souleva à Woutchang. Puis, des sociétés révolutionnaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie ainsi que les larges masses des ouvriers, des paysans et des soldats firent écho avec enthousiasme à ce soulèvement dans différentes provinces, ce qui entraîna bientôt l’écroulement du régime réactionnaire des Tsing. En janvier 1912, le Gouvernement provisoire de la République chinoise fut proclamé à Nankin et Sun Yat-sen devint président provisoire de la République. La monarchie féodale qui avait régné sur la Chine pendant plus de deux mille ans fut abolie, et la conception d’une république démocratique commença à s’implanter dans les esprits. Mais la bourgeoisie qui dirigeait cette révolution avait une forte tendance au compromis. Au lieu de soulever les larges masses paysannes pour renverser la domination féodale de la classe des propriétaires fonciers à la campagne, elle céda, sous la pression de l’impérialisme et des forces féodales, le pouvoir à Yuan Che-kai, seigneur de guerre du Peiyang. Et ce fut l’échec de la révolution.
    17. Cette révolution, connue également sous le nom de Première guerre civile révolutionnaire, était une lutte anti-impérialiste et antiféodale menée conjointement par le Parti communiste chinois et le Kuomintang, et qui eut pour contenu principal l’Expédition du Nord. Après avoir consolidé sa base d’appui dans le Kouangtong, l’Armée révolutionnaire constituée par les deux partis marcha vers le nord en juillet 1926 pour mener une expédition punitive contre les seigneurs de guerre du Peïyang que soutenaient les impérialistes. Avec l’appui chaleureux des larges masses d’ouvriers et de paysans, elle réussit à occuper, au cours du deuxième semestre de 1926 et du premier semestre de 1927, la majeure partie des provinces dans les bassins du Yangtsé et du fleuve Jaune. Alors que la révolution progressait avec succès, les deux cliques réactionnaires au sein du Kuomintang, ayant respectivement Tchiang Kaî-chek et Wang Tsing-wei pour chefs de file (elles représentaient les intérêts de la bourgeoisie compradore et de la classe des despotes locaux et des mauvais hobereaux), firent, avec l’aide des impérialistes, deux coups d’Etat contre-révolutionnaires, l’un en avril, l’autre en juillet 1927. Les idées de droite au sein du Parti communiste chinois, dont le représentant était Tchen Tou-sieou, ayant dégénéré en une ligne capitulationniste, le Parti et le peuple ne purent organiser une résistance efficace contre l’attaque lancée brusquement par les cliques réactionnaires du Kuomintang, ce qui fit échouer la révolution.
    18. Les quatre provinces du Nord-Est étaient alors le Liaoning, le Kirin, le Heilongkiang et le Jehol, qui correspondent actuellement aux provinces du Liaoning, du Kirin et du Heilongkiang, à la partie nord-est du Hopei située au nord de la Grande Muraille, et à la partie est de la Région autonome de Mongolie intérieure. Après l’Incident du 18 Septembre, les forces d’agression japonaises s’emparèrent d’abord du Liaoning, du Kirin et du Heilongkiang, et occupèrent plus tard, en 1933, le Jehol.
    19. En 1956, l’Armée du Kuomintang du Nord-Est commandée par Tchang Hsiué-liang et l’Armée du Kuomintang du Nord-Ouest commandée par Yang Hou-tcheng étaient cantonnées à Sian et dans les régions voisines ; elles avaient pour tâche d’attaquer l’Armée rouge chinoise, qui était arrivée dans le nord du Chensi. Influencées par l’Armée rouge et le mouvement antijaponais du peuple, elles approuvèrent le front uni national contre le Japon, proposé par le Parti communiste chinois, et demandèrent à Tchiang Kaï-chek de s’allier avec le Parti communiste pour résister au Japon. Tchiang Kaï-chek refusa cette demande, se montra plus actif encore dans ses préparatifs militaires pour l’ »extermination des communistes » et massacra à Sian la jeunesse antijaponaise. Tchang Hsiué-liang et Yang Hou-tcheng, agissant de concert, se saisirent de Tchiang Kaï-chek. Ce fut le fameux Incident de Sian du 12 décembre 1936. Tchiang Kaï-chek fut forcé d’accepter les conditions suivantes : alliance avec le Parti communiste et résistance au Japon ; puis il fut relâché et retourna à Nankin.  
    20. Tchen Tou-sieou était un démocrate radical à l’époque du Mouvement du 4 Mai. Ayant subi par la suite l’influence de la Révolution socialiste d’Octobre, il devint l’un des fondateurs du Parti communiste chinois. Pendant les six premières années du Parti, il resta le principal dirigeant du Comité central. Il était depuis longtemps fortement imprégné d’idées déviationnistes de droite, lesquelles dégénérèrent en une ligne capitulationniste pendant la dernière période de la révolution de 1924-1927. A cette époque, les capitulationnistes représentés par Tchen Tou-sieou « abandonnèrent volontairement la direction des masses paysannes, de la petite bourgeoisie urbaine, de la moyenne bourgeoisie et, en particulier, des forces armées, ce qui entraîna la défaite de la révolution » (« La Situation actuelle et nos tâches », Œuvres choisies de Mao Tsétoung, tome IV). Après la défaite de la révolution en 1927, Tchen Tou-sieou et une poignée d’autres capitulationnistes cédèrent au pessimisme, perdirent confiance dans l’avenir de la révolution et devinrent des liquidationnistes. Ils adoptèrent la position réactionnaire trotskiste et formèrent avec les trotskistes un groupuscule antiparti. En conséquence, Tchen Tou-sieou fut expulsé du Parti en novembre 1929. Il mourut de maladie en 1942.
    21. Pendant plusieurs décennies, à partir de la fin du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne fit entrer en Chine de l’opium en quantité de plus en plus importante. L’opium importé intoxiquait dangereusement le peuple chinois et drainait la monnaie argent de la Chine. Des protestations s’élevèrent dans tout le pays. En 1840, sous prétexte de protéger son commerce, la Grande-Bretagne envoya des troupes qui envahirent la Chine. Les troupes chinoises, sous la conduite de Lin Tseh-siu, résistèrent, tandis que le peuple de Canton organisait spontanément des « Corps de répression antianglais » qui portèrent des coups sévères aux envahisseurs. Néanmoins, en 1842, le gouvernement corrompu des Tsing conclut avec les agresseurs anglais le « Traité de Nankin » aux termes duquel la Chine dut payer des indemnités et céder Hongkong à la Grande-Bretagne, et de plus ouvrir à son commerce les ports de Changhaï, de Foutcheou, d’Amoy, de Ningpo et de Canton, et fixer conjointement avec elle les tarifs douaniers pour toutes les marchandises qu’elle introduirait en Chine.
    22. Guerre d’agression déclenchée par l’impérialisme japonais contre la Corée et la Chine. La grande masse des soldats et un certain nombre de généraux patriotes chinois se battirent héroïquement. Mais comme le gouvernement corrompu des Tsing ne s’était nullement préparé à résister à l’agression, la Chine fut défaite. En 1895, le gouvernement des Tsing conclut avec le Japon l’humiliant « Traité de Simonoseki ».
    23. En 1905, Sun Yat-sen forma le Kebming tongmenghouei (Ligue révolutionnaire) avec le Hsingtchonghouei (Association pour la Régénération de la Chine) pour base et deux autres organisations opposées au régime des Tsing – le Houahsinghouei (Association pour la Renaissance chinoise) et le K.ouangfouhouei (Association pour le Rétablissement de la Chine). C’est un parti révolutionnaire bourgeois qui avait pour programme politique : « L’expulsion des Tatars [des Mandchous], le relèvement de la Chine, la fondation d’une république et l’égalisation du droit à la propriété de la terre ». Réorganisé après la Révolution de 1911, ce parti devint le Kuomintang.
    24. V. I. Lénine : Notes sur La Science de la logique de Hegel, livre premier, première section : ’’La détermination (qualité) » dans « Résumé de La Science de la logique de Hegel ».
    25. Chan hai king (Le Livre des monts et des mers), œuvre de l’époque des Royaumes combattants (403-221 av. J.-C.). Kouafou est un être divin décrit dans Chan hai king. On y dit : « Kouafou poursuivit le soleil. Quand celui-ci disparut à l’horizon, il ressentit la soif et alla boire dans le Houangho et le Weichouei. Ces deux cours d’eau ne lui suffisant pas, il courut vers le nord pour se désaltérer au Grand Étang. Mais avant d’y arriver, il mourut de soif. Le bâton qu’il laissa devint la forêt Teng. »
    26. Yi, héros légendaire de l’antiquité chinoise, célèbre pour son adresse au tir à l’arc. Selon une légende dans Houai nan tse, ouvrage composé au IIe siècle av. J.-C., dix soleils apparurent simultanément au temps de l’empereur Yao. Pour mettre fin aux dégâts causés à la végétation par leur chaleur torride, Yao ordonna à Yi de tirer contre les dix soleils. Une autre légende, recueillie pat Wang Yi (IIe siècle), dit que Yi abattit neuf des dix soleils.
    27. Si yeou ki (Le Pèlerinage à l’Ouest), roman chinois fantastique du XVIe siècle. Le héros du roman, Souen Wou-kong, est un singe divin, capable d’opérer sur lui-même 72 métamorphoses. Il pouvait, à volonté, se transformer en oiseau, fauve, insecte, poisson, herbe, arbre, objets divers ou encore prendre la forme humaine.
    28. Liao tchai tche yi (Contes étranges de la Chambre Sans-Souci), recueil de contes composé au XVIIe siècle sous la dynastie des Tsing par Pou Song-ling sur la base des légendes populaires qu’il avait recueillies. L’ouvrage contient 431 récits, dont la plupart ont trait à des fantômes, des renards ou autres êtres surnaturels.
    29. K. Marx : « Introduction à la critique de l’économie politique » (1857-1858) dans Contribution à la critique de l’économie politique.
    30. Ce fut le premier pouvoir instauré par le prolétariat dans le monde. Le 18 mars 1871, le prolétariat français s’insurgea à Paris et s’empara du pouvoir. Le 28 mars fut fondée, par voie d’élection, la Commune de Paris dirigée par le prolétariat. Elle constitue la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour briser la machine d’Etat bourgeoise et une initiative de grande envergure pour substituer le pouvoir du prolétariat au pouvoir bourgeois renversé. Manquant de maturité, le prolétariat français ne s’attacha pas à s’unir aux masses paysannes, ses alliées, il se montra d’une indulgence excessive à l’égard de la contre-révolution et ne sut entreprendre des actions militaires énergiques en temps utile. Ainsi, la contre-révolution, qui eut tout le temps de regrouper ses forces mises en déroute, put revenir à la charge et massacra en masse ceux qui avaient pris part à l’insurrection. La Commune de Paris tomba le 28 mai.
    31. V. I. Lénine : « A propos de la dialectique ».
    32. Cette phrase se rencontre pour la première fois dans les annales Tsien han chou (tome XXX, « Yi wen tche »), rédigées par Pan Kou, célèbre historien chinois du Ier siècle. Par la suite, elle fut couramment employée.
    33. V. I. Lénine : « A propos de la dialectique ».
    34. L. Trotski (1879-1940), chef d’un groupe antiléniniste au sein du mouvement révolutionnaire russe qui devint par la suite membre d’une bande contre-révolutionnaire. Il fut exclu du Parti par le Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. en 1927, expulsé par le gouvernement soviétique en 1929 et privé de sa nationalité soviétique en 1932. Il mourut à l’étranger en 1940.
    35. Renégat de la révolution chinoise. Dans sa jeunesse, spéculant sur la révolution, il adhéra au Parti communiste chinois. Il commit dans le Parti un nombre considérable d’erreurs qui dégénérèrent en véritables crimes. Le plus connu fut celui de 1935, lorsque, s’opposant à la marche de l’Armée rouge vers le nord, il préconisa par esprit défaitiste et liquidationniste la retraite de l’Armée rouge vers les régions peuplées de minorités nationales, situées à la limite du Setchouan et du Sikang (province supprimée en 1955 et incorporée dans le Setchouan et la Région autonome du Tibet) ; en outre, il se livra ouvertement à une activité de trahison contre le Parti et son Comité central, forma un pseudo-Comité central et sapa l’unité du Parti et de l’Armée rouge, faisant subir de lourdes pertes au IVe Front. Cependant, grâce au patient travail d’éducation accompli par le camarade Mao Tsétoung et le Comité central du Parti, l’Armée rouge du IVe Front et ses nombreux cadres revinrent rapidement se mettre sous la juste direction du Comité central et jouèrent un rôle honorable dans les luttes ultérieures. Quant à Tchang Kouo-tao, il resta incorrigible : au printemps de 1938, il s’enfuit seul de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia et devint un agent des services secrets du Kuomintang.
    36. V. I. Lénine : « Remarques sur le livre de N. I. Boukharine : L’Economie de la période transitoire » (mai 1920).

    =>Oeuvres de Mao Zedong

  • La Fraction trotskyste – Quatrième Internationale

    [publié dans Crise numéro 30, janvier 2025]

    La Fraction trotskyste – Quatrième Internationale

    – un exemple de réformisme « révolutionnaire » à travers un parti de masse « accompagnateur » populiste de la révolution, une idée liée au développement du tiers-monde durant la période 1989-2020

    Le capitalisme s’est grandement développé durant la période 1989-2020 et le tiers-monde a changé de visage. Certains pays ont connu un développement extrêmement prononcé, amenant leur niveau de vie à se placer parallèlement à celui des pays occidentaux, même si avec des nuances très prononcées. On parle ici de pays aussi différents que la Corée du Sud ou le Qatar.

    Mais même sans aller jusque-là, l’urbanisation s’est imposée en général. 56 % de la population mondiale vit désormais en ville et ce sera 7 personnes sur 10 dans le monde en 2050.

    Ainsi, même des pays qui ont encore un retard prononcé, comme la Turquie, le Brésil, le Mexique, le Vietnam, le Maroc, le Bangladesh… ont connu des transformations de grande ampleur. Le pays a changé de visage, plus personne ne vit comme la génération précédente, il y a accès à ce qui caractérise les villes, l’éducation et la santé principalement.

    Naturellement, on parle d’une urbanisation ignoble, avec une expansion chaotique, des maisons et immeubles s’entassant dans la laideur du béton. Il n’en est pas moins vrai que, depuis trente ans, il y a dans le tiers-monde, proportionnellement à auparavant, davantage d’étudiants, de médecins, de voitures.

    Il est courant de disposer d’une télévision, d’un smartphone ; l’analphabétisme a été vaincu, l’accès aux informations est généralisé. Le mode de vie a grandement changé, ce qui a provoqué de grands troubles par ailleurs, car on a des masses paysannes qui se sont retrouvées d’un coup dans un cadre urbain anonyme et immense.

    En prenant en compte l’agglomération, Shanghai avait 7,8 millions d’habitants en 1990, 14,2 millions en 2000, et les 20 millions étaient dépassées en 2010. Dhaka avait 6,2 millions d’habitants en 1991, 13,2 millions en 2008, 22,4 millions en 2022.

    Hô Chi Minh-Ville est passé d’un peu plus de 5 millions d’habitants en 1999 à plus de 9 millions en 2021 ; dans le même temps, Le Caire est passé de quasi 10 millions d’habitants à plus de 20 millions.

    Dans ce cadre, le caractère semi-féodal de ces pays s’est en grande partie déplacé avec l’exode rural. Le système des castes propre à l’Inde a ainsi prolongé son existence au sein des villes, même s’il a dû s’adapter à des villes immenses.

    Les clans arabes se sont maintenu malgré les déplacements dans les villes, et bien souvent même dans l’émigration. Les mariages au sein d’une ethnie ou d’un courant religieux, les deux se recoupant souvent, restent une norme pour les Turcs, que ce soit dans leur pays comme dans l’émigration.

    Qui plus est, les grands propriétaires terriens ont maintenu leur existence ; ils appliquent une oppression de type féodale « modernisée », et c’est vrai pour le capitalisme bureaucratique tourné vers l’industrie, qui véhicule la conception que les hiérarchies sont décisives, que le patriarcat est une forme justifiée.

    Le tiers-monde implique une vraie coupure entre un « en haut » et un « en bas », avec un patriarcat qui se maintient coûte que coûte, du Pakistan au Mexique, du Nigéria au Cambodge, de la Turquie jusqu’en Égypte.

    Mais il y a désormais, une vaste couche intermédiaire entre le « en haut » et le « en bas », une vaste petite-bourgeoisie qui joue un rôle dans l’éducation, dans le domaine de la santé, dans l’administration.

    Cette petite-bourgeoisie cherche à défendre ses intérêts. Mieux, elle a des prétentions. Elle n’existait pas vraiment dans les années 1970, du moins certainement pas avec une telle ampleur. Désormais, elle est incontournable dans les villes, et elle tient à le faire savoir.

    Si on prend l’Argentine, on a un exemple très significatif de transformation et de formation d’une masse petite-bourgeoise. C’est un pays qui avait déjà connu une avancée économique significative au début du 20e siècle ; son PIB par habitant est, en 1913, légèrement supérieur à celui de la France. La base féodale a cependant fait que le régime est régulièrement passé à une forme dictatoriale, avec une économie à la traîne.

    Il y avait cependant de nombreux éléments pour profiter de l’élan capitaliste de la période 1989-2020, et c’est ce qui s’est passé, avec de très nombreux soubresauts il est vrai. Le pays s’est retrouvé en faillite régulière et l’instabilité dans le développement est récurrente. Néanmoins, entre 1983 et 2022, le nombre d’étudiants a été multiplié par 7,5. Durant la même période, le nombre d’habitants été multiplié par 1,5 seulement.

    Et de manière notable, 80 % des étudiants passent par l’une des 55 universités publiques (soit 2,1 millions d’étudiants – 550 000 allant dans des structures privées). C’est un chiffre élevé, le second le plus élevé d’Amérique latine. Les étudiants passant par le public forment 90 % du total en Uruguay, 75 % en Bolivie, 65 % au Mexique, 51 % en Colombie, 26 % au Brésil, 16 % au Chili.

    On est donc dans un système social étatique très développé, mais dont les capacités matérielles, structurelles sont celles du tiers-monde. Cette contradiction produit le développement d’une couche sociale passée par les aides de l’État, mais se confrontant aux limites de celle-ci.

    Cette couche sociale n’est plus populaire, mais elle ne saurait parvenir aux postes les plus élevés, qui relèvent de la bourgeoisie bureaucratique locale, de l’oligarchie. C’est une couche sociale petite-bourgeoise, qui vit du travail intellectuel. Elle se doit de protester, de chercher à défendre ses intérêts, et c’est ce qui la pousse à soutenir l’idée d’un « socialisme » nouveau, différent : c’est le masque donné à un contenu en fait petit-bourgeois.

    Pourquoi ce masque ? C’est que les diplômés ne représentant que 5,5 % des 46,6 millions d’Argentins. Il est donc nécessaire de trouver un appui. Cet appui ne peut pas être trouvé dans l’oligarchie, donc il est recherché du côté du peuple.

    Cependant, il est impossible de trouver des appuis dans le peuple depuis l’extérieur. Il fallait donc trouver des éléments existants. C’est pourquoi les « diplômés » se sont tournés vers des syndicalistes. Car tout comme l’université s’est développée, l’économie s’est développée et a donné naissance à d’innombrables structures syndicales, intégrées au fonctionnement général du capitalisme sur place.

    Naturellement, de par les conditions propres au tiers-monde, ces syndicalistes intégrés au capitalisme arriéré, déformé, bureaucratique, sont obligés de prendre un masque « transformateur », voire révolutionnaire. Ils prétendent vouloir radicalement modifier la situation, procéder à des bouleversements sociaux, etc.

    L’alliance des diplômés petits-bourgeois « radicalisés » et des syndicalistes « radicalisés », s’imaginant « socialistes » mais protestant en fait simplement contre l’oligarchie afin d’avoir une meilleure part du gâteau, a donné naissance à la théorie du « parti révolutionnaire de masse ».

    Le parti révolutionnaire de masse ne vise pas à mener la révolution, il vise à l’accompagner, ce qui est bien différent.

    Si on dit qu’on veut faire la révolution, et qu’on a comme modèle la révolution d’octobre 1917, ou bien la révolution chinoise, alors cela implique de s’appuyer sur un Parti de cadres, agissant de manière légale mais également clandestine et même illégale.

    Il s’agit, en effet, d’agir de manière insurrectionnelle, de faire en sorte que l’agitation et la propagande poussent au soulèvement. On est dans une démarche de confrontation assumée, où la révolution n’est pas un phénomène extérieur, mais justement l’activité qu’on mène soi-même. Sans l’avant-garde, pas de révolution ; sans activité de l’avant-garde, pas d’activité révolutionnaire.

    Si par contre on dit qu’on est dans une logique d’accompagnementde la la révolution, c’est différent. Bien entendu, personne ne dira qu’il veut simplement accompagner la révolution. Ce qui va être dit, est qu’il s’agit de réaliser la révolution, d’être un outil pour elle. La révolution existe ici en soi, de manière indépendante. Elle existe même forcément, indépendamment de l’avant-garde. Par contre, pour se réaliser, elle a besoin de l’avant-garde.

    Cette avant-garde ne doit pas consister en un Parti de cadres, d’agitateurs professionnels agissant en-dehors de la surveillance de l’État, mais comme un « parti révolutionnaire de masse ». S’il existait un tel parti, alors forcément, dans un contexte révolutionnaire, les choses basculeraient. L’arrière-plan de cette conception accompagnatrice, c’est la thèse de Léon Trotski dans « Le programme de transition ». Depuis 1917, la révolution est à l’ordre du jour, le capitalisme est coulé. Malheureusement, les capitalistes s’unissent et il y a une bureaucratie qui a triomphé dans le mouvement ouvrier, le « stalinisme ».

    Il suffirait de faire mieux que les capitalistes et les « staliniens » pour qu’il soit enfin profité de la révolution qui attend depuis 1917. Il faudrait donc un « parti révolutionnaire de masse ».

    Le tout est cependant une pure fiction, car il n’y a pas de révolution qui flotte toute seule, dans l’attente d’un tel parti. Ce dernier a ainsi l’air révolutionnaire, mais est en réalité super-réformiste.

    L’Argentin Hugo Miguel Bressano Capacete dit Nahuel Moreno (1924-1987) est une figure majeure du trotskisme en Amérique latine.

    Le « morénisme » s’oppose ici à une autre tradition, celle dite « posadiste », établie par un autre Argentin, Homero Rómulo Cristalli Frasnelli dit Juan Posadas (1912-1981).

    Juan Posadas avait une lecture apocalyptique de la situation ; à ses yeux, la guerre nucléaire était inévitable, et les pays socialistes devaient même faire une frappe préventive sur les pays capitalistes.

    Il considérait que les extra-terrestres, forcément venant d’un monde communiste puisque technologiquement développé, pouvaient venir en aide à la cause.

    Nahuel Moreno avait au contraire une lecture terre à terre, pragmatique et « intégrationnelle ». Farouchement opposé à la lutte armée, il prônait l’intégration à tout prix dans le paysage politique, afin de former un parti socialiste de masse.

    Sa première tentative se fit dans les années 1950, dans le cadre de la dictature de Juan Perón. Le but était de construire un « parti centriste de gauche » qui soit légal.

    Par la suite, après avoir initialement rejeté la révolution cubaine de Fidel Castro, il se déclare « castriste » et fait de celui-ci, « conjointement à Lénine et Trotsky, un des plus grands génies révolutionnaires de notre époque ».

    Il affirme dans ce cadre :

    « Nous avons surmonté le schéma trotskiste selon lequel seul le prolétariat est l’avant-garde de la révolution, mais pour ne pas tomber dans un autre aussi désastreux que celui-là (…).

    Et nous ne sommes pas prêts à sacrifier notre méthode à un quelconque dogme paysan. Nous acceptons la réalité, y compris les relations entre les classes exploitées, telle qu’elle est.

    Nous faisons la même chose avec les méthodes révolutionnaires et la lutte armée : nous n’en adoptons non pas une seule, mais celle qui convient à la classe d’avant-garde et à son expérience. »

    Il combat par contre toute tendance guévariste proposant la lutte armée.

    Il reprend ensuite sa tentative d’un grand parti légal, ce qui aboutit à la naissance en 1972 du Partido Socialista de los Trabajadores, dans un paysage politique contrôlé par une junte militaire catholique nationaliste.

    Lorsque les choses tournèrent très mal en 1976, il dut prendre la fuite et quitter le pays, lui qui pensait que la répression ne viserait que les tenants de la lutte armée, dont il se dissociait publiquement.

    Il expliqua alors :

    « Pour nous, les guérilleros ne sont pas des prisonniers politiques. Ils sont « en rapport », comme les disent les guérilleros eux-mêmes. Ils n’agissent pas politiquement mais militairement.

    Et ils ne sont pas capturés dans des actions politiques mais dans des actions militaires. Même les membres d’une des organisations de guérilla exigent d’être traités conformément à la Convention de Genève relative aux prisonniers de guerre.

    Quel est le rapport avec le statut de prisonnier politique ? En tant que prisonniers, ils sont donc politiquement indéfendables et notre parti ne réclame pas leur libération en tant que telle. »

    L’illusion de Nahuel Moreno se maintint à différents degrés ; le Partido Socialista de los Trabajadores fut la seule organisation de gauche rejetant le boycott international de la coupe du monde de football en Argentine en 1978, alors que Nahuel Moreno parlait de la terrible dictature argentine (100 000 personnes arrêtées et torturées, 30 000 assassinés) comme de la « dictature la plus démocratique d’Amérique latine ».

    La présence de l’épouse du dictateur Jorge Rafael Videla fut même considérée par lui comme « une positive et grande avancée de la condition féminine ».

    Par la suite, il se reconnut dans la ligne politique portée par le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) du Nicaragua, et mit en place en 1979 une «  Brigade Simon Bolivar » agissant en son sein. Elle fut expulsée du pays à la victoire du FSLN.

    Revenu en Argentine, il fonda alors le MAS (Movimiento al Socialismo), qui devint une composante du front électoral de la Gauche Unie.

    Le MAS eut un réel succès comme « gauche de la gauche » en Argentine, mais après la mort de Nahuel Moreno, il se divisa en une trentaine d’organisations.

    Léon Trotski est un révolutionnaire russe qui a considéré que la révolution d’Octobre 1917 avait connu une confiscation. Une bureaucratie avait pris les commandes et le pays était devenu un « Etat ouvrier dégénéré ». Cela nuisait à la révolution mondiale commencée en 1917.

    Cependant, cette révolution mondiale ne s’était selon lui pas arrêtée, elle était encore en cours. Il fallait donc arracher la direction des partis de masse aux réformistes et aux « staliniens », afin de faire en sorte que cette révolution mondiale soit enfin accompagnée correctement.

    Léon Trotski a résumé cette conception dans « Le programme de transition », écrit en 1938. C’est là-dessus que se fonde la conception d’un « parti révolutionnaire de masse ». Voici le début de l’oeuvre, qui expose parfaitement la question.

    « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat.

    La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l’humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle.

    Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l’État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d’une banqueroute à l’autre.

    La bourgeoisie elle-même ne voit pas d’issue. Dans les pays où elle s’est déjà trouvée contrainte de miser son dernier enjeu sur la carte du fascisme, elle marche maintenant les yeux fermés à la catastrophe économique et militaire. »

    Tout cela est lié à un profond sens de l’urgence. Le trotskisme est une idéologie d’ultra-gauche, qui propose la « révolution permanente ». Tout serait possible sur le plan révolutionnaire, pratiquement tout le temps. Il y a par contre des éléments qui freinent la révolution, il faut dépasser ces blocages, il faut procéder à des débordements.

    Le trotskisme a un arrière-plan ultra-révolutionnaire sur le plan des idées ; les trotskistes s’imaginent qu’avec eux aux commandes, la révolution mondiale triompherait d’un coup. Cet optimisme s’associe à un très grand pessimisme, puisque naturellement, les choses ne se passent pas comme ils le voudraient.

    Ainsi, déjà en 1938, Léon Trotski parle de révolution « mûre » et même plus que mure. Le capitalisme est considéré comme en échec, les forces productives ne croissent plus, la situation historique est gelée. Après le constat effectué au tout début du « Programme de transition », Léon Trotski explique ainsi que :

    « Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore « mûres » pour le socialisme ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente.

    Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir.

    Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe.

    Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. »

    Maintenant, imaginons que la révolution mondiale dont parle Léon Trotski ne permette pas la « révolution permanente » dans chaque pays, et que les forces productives aient finalement tout de même continué de croître.

    Que reste-t-il alors du « Programme de transition » ? Rien d’autre qu’un auto- justificatif pour prendre la direction des luttes, des mouvements. Au nom de la révolution, bien entendu, mais comme elle n’arrive pas, il faut en attendant se contenter d’être réformiste.

    Par contre, ce réformisme doit être « de masse ». D’où l’idée d’un parti trotskiste de masse qui est réformiste en pratique, mais s’imagine être prêt à « accompagner » la révolution à la première occasion.

    On est dans une fiction, où il y a une auto-intoxication permanente. Les luttes en cours justifient… un attentisme de plus grandes luttes, et en même temps valideraient qu’il faudrait bien que les trotskistes soient aux postes de commande des luttes et des mouvements, afin d’être prêt « au cas où ».

    On est dans le hold-up permanent, puisqu’il s’agit coûte que coûte de prendre le « contrôle » des directions. D’où dans le trotskisme la tradition de l’entrisme (parfois caché, parfois non) dans d’autres partis, ainsi que de la formation de tendances et de fractions dans les syndicats.

    Le but, c’est de prendre la direction pour l’empêcher de « mal faire ». C’est tout. Il ne s’agit pas pour les trotskistes de mener la révolution, de procéder à des batailles des idées, de porter des combats culturels, de transformer les mentalités, de diffuser la conception matérialiste du monde.

    L’Argentin Nahuel Moreno est une figure très importante du trotskisme, justement parce qu’il a formulé de manière très approfondie le mode opératoire du « Programme de transition ». Il n’a bien entendu pas été le seul pour ça. Mais, mais pour faire simple, Nahuel Moreno a été « validé » dans sa démarche, par opposition aux autres principales tentatives.

    Nommons les principales figures à côté de Nahuel Moreno. On a le Belge Ernest Mandel (1923-1995), le Français Pierre Boussel dit Pierre Lambert (1920-2008), le Grec Michalis Raptis dit Michel Pablo, l’Argentin Homero Rómulo Cristalli Frasnelli dit J. Posadas (1912-1981).

    Chacun de ces théoriciens sont à l’origine d’une nouvelle « Internationale », qui toujours se revendique de la « Quatrième Internationale » de Léon Trotski. Ils se sont tous alliés à différents moments, pour finalement s’opposer ; leurs propres mouvements ont connu des scissions nombreuses également.

    Tout cela fait qu’il est très difficile se s’y retrouver dans les multiples ramifications du trotskisme, néanmoins on peut résumer les différences comme suit, en omettant de raconter les étapes où les uns se sont alliés avec les autres, pour finalement se séparer.

    Toutes les différences tiennent à la justification de la thèse d’une « révolution mondiale » en cours. Sans cette justification, en effet, le « Programme de transition » n’a plus de justification.

    Il fallait donc trouver des choses positives coûte que coûte. Une variante est celle de J. Posadas, qui dit que toutes les révolutions anti-coloniales sont très bien, que les pays socialistes doivent bombarder les pays capitalistes avec des armes nucléaires et que de toutes façons les extra-terrestres sont forcément nos alliés puisque leur technologie indique qu’ils sont très développés, donc dans le communisme.

    Il va de soi que la conception de J. Posadas n’a eu qu’un succès marginal. Michel Pablo eut le succès le plus important par contre, en disant qu’il fallait pratiquer « l’entrisme » dans les partis staliniens, soutenir toutes les luttes de libération nationale (notamment le FLN algérien).

    Cela donna naissance à une sorte de trotskisme-guévarisme qui fut finalement mis de côté, et Ernest Mandel prit le dessus sur Michel Pablo. Le trotskisme se dilua ici dans une logique associative et syndicaliste liée aux revendications politiques « de gauche ».

    Les plus virulents théoriciens trotskistes opposés au soutien aux guérillas furent Pierre Lambert et Nahuel Moreno. Eux prônaient un parti trotskiste de masse, légal à tout prix, et ils obtinrent un réel succès dans leur pays. Les organisations qu’ils ont dirigé furent effectivement de masse, se heurtant par contre évidemment à un moment à un plafond de verre.

    Nahuel Moreno profita d’ailleurs que l’Organisation Communiste Internationaliste de Pierre Lambert soit « avalée » par le Parti socialiste pour dénoncer celui-ci. Il mit alors en avant sa propre expérience en Argentine, pour valider sa thèse.

    Quelle est la conception précise de Nahuel Moreno ? On trouve somme toute la substance de sa démarche dans la 31e thèse de sa « Mise à jour du programme de Transition », publiée en 1980.

    Cette mise est à jour a, on s’en doute, une grande signification stratégique. Nahuel Moreno doit montrer qu’il a compris comment rendre concret le « Programme de transition », qu’il est le seul à avoir saisi comment suivre Léon Trotski, comment s’inspirer correctement de lui.

    Ce qu’il est dit est simple à comprendre. Tout doit se fonder, selon Nahuel Moreno, sur les « opportunités ».

    « Thèse XXXI

    Le temps est venu de construire des partis trotskistes de masse utilisant le opportunités

    Nos partis et l’Internationale n’ont pas réussi, au cours de ces presque 40 années d’essor révolutionnaire, à se transformer en partis forts avec une influence de masse. Apparemment c’est impossible.

    Si nous approfondissons l’analyse, nous découvrons les raisons objectives profondes cachées dans cette difficulté. Cette raison objective a été, pour nous, le renforcement des appareils contre-révolutionnaires au rythme des triomphes révolutionnaires de cette période d’après-guerre.

    La volonté révolutionnaire à elle seule ne saurait surmonter les processus objectifs. La volonté révolutionnaire est une condition, mais elle ne suffit pas à elle seule à construire des partis révolutionnaires marxistes de masse si la situation objective ne le permet pas.

    Si les appareils bureaucratiques contre-révolutionnaires continuaient à se consolider de plus en plus, englobant de plus larges sections du mouvement de masse sous son contrôle, la Quatrième Internationale ne serait pas en mesure de construire des partis ayant une influence dans le mouvement de masse.

    Heureusement, ce n’est pas le cas. La situation objective, d’abord lentement et depuis cinq ou six ans à grande vitesse, est en train d’ouvrir d’énormes possibilités pour la construction de partis trotskistes de masse.

    Ces conditions objectives chaque fois plus favorables sont dus au fait que dans ces trente années la crise de l’impérialisme d’une part, et la crise des appareils contre-révolutionnaires d’autre part, s’accentue et depuis cinq ou six ans ont acquis un caractère convulsif, chronique.

    Parallèlement à cela se multiplient de plus en plus des crises révolutionnaires. La combinaison de ces facteurs ouvre des opportunités toujours plus grandes pour renforcer les partis trotskistes.

    Mais pour que nos partis puissent se consolider au sein du mouvement de masse, il est indispensable qu’ils sachent étudier attentivement la réalité pour découvrir les opportunités qui s’offriront à nous.

    Ces opportunités – campagnes électorales, grèves, luttes des secteurs opprimés du prolétariat — revêtent un caractère immédiat ; une fois passées, elles ne peuvent plus se répéter. C’est pour ça qu’il est essentiel de les utiliser avec audace dès qu’ils apparaissent.

    Parmi ces opportunités se distinguent celles offertes par la lutte des secteurs les plus exploités du prolétariat, en raison de leur caractère permanent et parce qu’ils sont systématiquement ignorés par les appareils bureaucratiques et par l’aristocratie ouvrière.

    Ces secteurs, vers lesquels notre attention devrait de préférence se porter, travail, ce sont les parias des sociétés industrielles modernes, les travailleurs qui unissent à leur condition d’ouvriers celle d’appartenir aux secteurs ou nationalités opprimées.

    C’est le cas des travailleurs immigrés qui, dans certains pays européens, constituent un quart de la main-d’œuvre, les travailleurs issus de nationalités opprimées ou de pays sous-développés – par exemple, les noirs, les travailleuses du monde entier, les Portoricains, les Chicanos qui font partie du prolétariat nord-américain, les Indiens et les travailleurs noirs des pays africains. Le programme de transition est le seul qui pourra répondre à leurs besoins et ils seront les plus grands combattants dans de nombreux pays. »

    Il est fascinant de lire ces lignes écrites en 1980 et de voir comment, en 2025, cette stratégie est appliquée, mais de manière masquée. Le principal courant moréniste, la « Fraction trotskyste – Quatrième Internationale », vise en effet clairement le recrutement de personnes dites « racisées ».

    C’est clairement le cas si on regarde sa section française, Révolution permanente, qui ne cesse de dénoncer un prétendu racisme systématique, un État qui accumulerait les mesures racistes.

    Il y a ici tout un discours hyper démagogique qui vise au recrutement spécifique. On est dans le racolage le plus brut, même.

    Aya Nakamura est une chanteuse de variété contemporaine, avec une musique relevant de la soupe commerciale combinant différents genres (la variété, la pop, le RnB, le reggaeton, l’afrobeat).

    Elle était présente lors de la cérémonie d’ouverture des JO 2024 à Paris, avec l’orchestre la garde républicaine, pour un mélange de ses propres chansons et de celles de Charles Aznavour. Ce fut le meilleur pic d’audience de l’histoire de la télévision française.

    Sa nomination, appuyée par Emmanuel Macron et la bourgeoisie moderniste, avait fait scandale et il va de soi que l’extrême-droite en a profité pour protester au passage.

    Démagogie oblige, la section française de la « Fraction trotskyste – Quatrième Internationale » moréniste, Révolution permanente, a agi pareillement

    Son article à ce sujet fait l’éloge des pires horreurs commerciales, flatte de manière vile la variété la plus infâme, et cela au nom d’une défense des « racisés », car la France serait raciste et que de toutes façons, la « culture française » serait un fantasme.

    « La « polémique », profondément xénophobe, vise les origines maliennes de l’artiste et lui reproche tour à tour de jouer avec les règles du français dans ses textes, de ne pas se conformer aux stéréotypes genrés « occidentaux » ou encore de soutenir le Comité Adama.

    En réalité, ce n’est pas la première fois que la chanteuse est prise pour cible.

    Ni d’ailleurs les chanteurs racisés, et cela d’autant plus quand ils font de la musique populaire. Quelques exemples. En 2021, le rappeur Youssoupha est ciblé par une campagne de harcèlement alors qu’il devait interpréter la chanson d’ouverture de la coupe d’Europe de football.

    Depuis de nombreuses années, le rappeur Médine, en raison notamment de ses textes engagés, ou encore le chanteur Bilal Hassani, parce qu’il remet en cause les stéréotypes de genre sont eux aussi régulièrement visés par des campagnes racistes. Tous font de la musique populaire. Tous sont racisés.

    En réalité, cette « polémique » bidon n’a qu’un objectif : faire taire toute personne racisée qui prend un peu trop la lumière.

    Ce qui « dérange » vraiment avec Aya Nakamura, c’est que la possibilité même de la voir chanter le jour de la cérémonie d’ouverture des JO, enfreint déjà la « clause raciste » tacite qui existe en France.

    Quand on est noire, une femme et de culture populaire on reste à sa place. Un état de fait d’autant plus vrai sur l’autel du fantasme réactionnaire de la « culture française » et de ce qu’elle implique de mépris de classe.

    Sur X, Aya Nakamura a tenu à répondre : « Vous pouvez être raciste mais pas sourd… C’est sa qui vous fait mal ! Je deviens un sujet d’état numéro 1 en débats ect mais je vous dois quoi en vrai ? Kedal. ».

    Il n’y avait sans doute pas grand chose d’autre à dire. »

    Agissant dans le prolongement de Nahuel Moreno, la « Fraction trotskyste – Quatrième Internationale » est emblématique d’un mouvement petit-bourgeois du tiers-monde semblable à la grenouille désireuse de se faire bœuf, comme dans la fable de Jean de La Fontaine.

    La preuve absolue de cela, c’est son obsession pour les « théories critiques contemporaines ». Normalement, le marxisme se suffit en soi ; c’est une idéologie qui se distingue résolument des autres. Il peut bien entendu y avoir des échanges, des confrontations, mais la base idéologique, la matrice ne change pas.

    La « Fraction trotskyste – Quatrième Internationale », elle, assume ouvertement de puiser ailleurs que dans le marxisme, d’incorporer dans le marxisme des choses totalement extérieures à lui.

    Cette incorporation se déroule au nom de la lutte – il s’agirait de ramener des gens sincères dans le droit chemin. En réalité, on est dans une conception syncrétique, dans un mélange des genres. La « Fraction trotskyste – Quatrième Internationale » obéit à la grande loi petite-bourgeoise, en Amérique latine comme d’ailleurs en Europe depuis les années 2000 : la « convergence des luttes ».

    Voici un extrait d’un article tout à fait représentatif de cet esprit qui, en définitive, n’a aucune confiance en le marxisme et cherche « ailleurs » de quoi bricoler une conception révolutionnaire.

    Ces « Notes sur la bataille idéologique et l’actualité de la théorie de la révolution permanente », publiées en avril 2024, sont présentées comme une « contribution aux débats sur la bataille idéologique qui ont eu lieu lors de la XIIIème Conférence de la Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    « Considérer la question de la transcroissance de la révolution démocratique vers la révolution socialiste nous permet d’intervenir dans de nombreux débats actuels sur la relation entre la classe ouvrière et les mouvements sociaux.

    Notamment pour polémiquer avec la séparation mécanique entre « revendications sociales » et « revendications démocratiques » ou autour des questions féministes ou de l’antiracisme.

    Mais aussi pour débattre avec les secteurs qui séparent les luttes féministes de la lutte de classes, ou avec les luttes identitaires et les théories des mouvements sociaux, qui séparent ces questions de la lutte contre le capitalisme et pour une perspective socialiste.

    En ce sens, nous défendons une stratégie d’ « hégémonie ouvrière », qui s’oppose au corporatisme ouvrier et envisage la lutte politique comme l’articulation de la classe ouvrière avec les luttes de tous les secteurs opprimés.

    Ce sont des thématiques que Juan Dal Maso aborde souvent dans ses livres[Gramsci-Trotsky] et qui sont également développées dans le dernier livre de Matías Maiello.

    C’est aussi un sujet que nous avons abordé avec Andrea D`Atri et plusieurs camarades, en polémique avec différents courants féministes. »

    Mais il faut bien noter ici le paradoxe. Dans ses documents, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » affirme défendre le marxisme, et critique à ce titre les différentes conceptions, par exemple post-coloniales. Dans la pratique pourtant, il n’y a pas de différence qui est marquée, seulement des nuances.

    La ligne de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », c’est de dire que les idéologies contestataires n’ont pas tort en soi, simplement qu’elles sont mal posées et qu’elles devraient s’aligner sur le trotskysme (et Nahuel Moreno).

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » entretient ainsi un débat permanent avec les idées à la mode, les adoptant à différents degrés, afin d’être tout à fait en phase avec l’état d’esprit de la contestation étudiante ou syndicaliste.

    Le trait le plus marqué tient à la question du racisme, où la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » a adopté précisément les modes de pensée universitaires « post-coloniaux ». Pour preuve, ce qu’on lit dans « Recompositions du marxisme, futurs du socialisme », un article de « contribution » à la réflexion, qui reflète cependant l’approche générale menée.

    « Notre pratique à la FT-QI consiste à reprendre une politique d’interpellation de classe, liée à une perspective hégémonique, en soulignant, d’une part, la communauté d’intérêts qui unit la classe ouvrière, au-delà des origines ethniques ou nationales et de tout autre type de différence, et, d’autre part, la nécessité d’unir la classe aux mouvements qui luttent contre les différentes oppressions.

    Les interventions d’Anasse Kazib et de Révolution Permanente[en France] sont particulièrement remarquables à cet égard. »

    La convergence des luttes est un prétexte pour puiser dans les références universitaires et intellectuelles bourgeoises. D’ailleurs, lire un article publié dans ce cadre d’expression des positions de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », c’est avoir à faire face à une avalanche de références intellectuelles, universitaires.

    Il n’est pas caché non plus que l’objectif est de refonder le marxisme et le trotskisme est surtout considéré comme une sorte de remarquable contribution.

    Le même article cité présente cette conception de la manière suivante :

    « Mille et un marxismes » ont aujourd’hui enrichi la théorie marxiste de multiples élaborations qui sont autant de points d’appui : une meilleure connaissance de l’œuvre de Marx et Engels ; des analyses du capitalisme et de l’impérialisme dans la conjoncture actuelle ; des élaborations sur les rapports entre production et reproduction sociale dans le capitalisme, et notamment le rôle des femmes et du féminisme dans la lutte des classes ; des analyses sur le problème de l’Etat, de l’idéologie et de l’hégémonie ; des élaborations sur la question écologique et son rapport au socialisme, ainsi que des réflexions sur les relations entre le marxisme et les sciences ; des études sur les mutations de la classe ouvrière à l’échelle internationale (liées par exemple au développement spécifique de la logistique) et leur impact sur les formes d’organisation et la lutte des classes.

    On pourrait ajouter à cette liste les intellectuels dont les élaborations sur la planification socialiste et ses moyens technologiques actuels(…).

    Du point de vue d’un marxisme militant qui entreprend de construire un parti, la lutte pour la recomposition théorique est (ou devrait être) inséparable du travail de création d’une tendance révolutionnaire au sein de l’intelligentsia.

    Dans ce cadre, les avancées sur ce terrain impliqueront nécessairement la croissance d’une tendance plus engagée dans le militantisme révolutionnaire dans une frange, au moins, du marxisme académique, qui, à son tour, repensera la relation entre le marxisme et le processus d’« académisation ».

    Dans ce contexte, la question se pose de savoir si les conditions existent déjà ou doivent être construites pour une « nouvelle synthèse » ou – pour le dire plus clairement et utiliser un terme moins prétentieux – une nouvelle recomposition du marxisme qui intégrerait toutes ces contributions diverses dans une théorie puissante, au service de la critique du capitalisme, la préfiguration de la construction du socialisme et la théorie de la révolution, et à laquelle le trotskysme pourrait apporter des contributions remarquables et spécifiques. »

    On a ici une caractéristique de la petite-bourgeoisie : son refus de la science. La petite-bourgeoisie est une couche sociale, pas une classe ; elle n’est pas en mesure d’exprimer une vision du monde en tant que telle.

    Pour cette raison, une organisation fondée sur la petite-bourgeoisie, même si elle a une prétention à être « révolutionnaire », ne peut pas avancer une ligne « fixe », des thèses « déterminées ».

    Elle est dans l’obligation de se positionner de manière souple, de promouvoir la lecture permanente même des fondamentaux.

    Cela fournit un grand avantage : il est difficile de critiquer une organisation qui se veut avant tout militante, et non pas intellectuelle. Mieux encore : en piochant dans les thèses intellectuelles, l’organisation peut muter comme bon lui semble, adaptant son propre discours à ses besoins.

    Et si jamais une situation devient trop complexe, il suffit de s’ouvrir de manière massive aux idées « nouvelles », et de promouvoir la lutte, la lutte unitaire, pour échapper à toute « prise ».

    Critiquer la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est ainsi très difficile, en apparence, car ses organisations dans chaque pays se présentent avant tout comme « militantes », reflétant le bagage commun de la contestation.

    C’est résolument petit-bourgeois dans le style, c’est typique de l’agitation étudiante, mais c’est également vrai pour les milieux syndicalistes, du moins en Amérique latine.

    En France et en Belgique, le syndicalisme est anti-politique de manière assumée, sa démarche est corporatiste dans le cadre d’un capitalisme développé permettant une société de consommation. Il n’y a rien de cela dans le tiers-monde.

    Quelle est la différence fondamentale ?

    Dans les pays capitalistes développés, les pays impérialistes, la question du régime ne se pose pas. Il y a une contestation envers un gouvernement, mais le cadre est posé.

    Dans le tiers-monde, par contre, chaque élection d’un nouveau président soulève la question du régime, de la mise en place d’un nouveau régime. Les pays du tiers-monde sont instables et en permanence, il y a la question de la ré-adéquation des différentes structures en place dans le pays.

    Les syndicats n’ont donc pas comme fonction simplement d’accompagner le capitalisme, mais également de s’insérer dans une certaine dynamique perpétuellement relancée. Cela confère une dimension politique aux syndicats et une dimension syndicale aux élus.

    Dans le tiers-monde, à chaque fois un nouveau président affirme qu’il va faire des réformes de structures, et la « gauche » en général doit se positionner. Du côté des disciples de Mao Zedong, c’est facile puisqu’on comprend qu’il s’agit toujours d’une tentative de réimpulser le capitalisme, à différents degrés.

    Du côté trotskiste par contre, il y a à évaluer à quel degré le nouveau président permet des réformes de fond. D’où les innombrables scissions en raison des désaccords. La question de l’évaluation des modifications d’un régime par l’intermédiaire du gouvernement « nouveau » est toujours l’origine des scissions dans le trotskisme ; ce n’est jamais en soi une réelle question idéologique qui joue.

    Que dit à ce sujet, en Argentine, lePartido de los Trabajadores Socialistas (PTS), Parti des Travailleurs Socialistes, le noyau dur de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ?

    En fait, ce qui compte, ce n’est pas ce qu’il dit, mais comment il le dit. En effet, il n’y a pas lieu de s’attarder sur les évaluations de tel ou tel président, de tel ou tel gouvernement, car ce n’est pas la question ici. Peu importe qu’il soit dit telle ou telle chose, qu’il y ait une scission en raison d’un refus d’une partie d’une organisation à adopter telle ou telle ligne.

    Ce qui joue réellement, c’est comment une telle évaluation est présentée, comment elle est mise en place. Et ici, on est ni dans le syndicalisme, ni la politique tels qu’on les connaît en Europe du point de vue révolutionnaire.

    En Europe, dans le cadre du mouvement ouvrier en effet, le syndicat s’accapare la défense des intérêts élémentaires des travailleurs.

    Il y a trois cas de figure : soit le syndicat est réformiste et c’est sa fin en soi, soit le syndicat est révolutionnaire et considère que cela amène à la révolution, soit il s’intègre à la démarche plus générale du Parti.

    Cette dernière approche est celle de la social-démocratie historiquement, puis du bolchevisme russe qui en est issu. La politique revient au Parti. Mais dans tous les cas, le syndicat ne fait pas de politique en tant que telle et ne souhaite pas en faire, qu’il se soumette au Parti ou non.

    Le PTS se situe totalement en-dehors de cette tradition historique du mouvement ouvrier. Il est clairement issu de l’alliance des étudiants et des syndicalistes alignés sur la « contestation ».

    Pour cette raison, le PTS réfute le réformisme syndical, car il se présente lui-même comme révolutionnaire. En même temps, il ne pratique cependant pas de politique révolutionnaire. Il se définit comme le super-parti des revendications syndicales élargies aux opprimés.

    Cette position était déjà celle de Nahuel Moreno et son justificatif est le « programme de transition » de Léon Trotski.

    S’il y avait pas, à l’arrière-plan, l’affirmation d’une « agitation » mondiale, alors un tel projet d’un super-parti des revendications n’aurait aucun sens, il apparaîtrait immédiatement comme du réformisme.

    Si on ajoute par contre le sens de l’urgence, on justifie l’affirmation d’une impérative nécessité d’un parti contestataire de gauche disposant d’une certaine surface dans les masses…

    Et à ce jeu-là, tous les moyens sont bons, y compris l’agrégation des contestations les plus diverses.

    On passe ainsi de la convergence des luttes à une justification de la convergence des luttes au nom de la révolution. On assume des revendications réformistes très exigeantes ou « maximalistes », car ce serait le préalable à une agitation qui aurait ensuite, de manière naturelle, une portée révolutionnaire.

    Voici ce que dit le PTS à ce sujet dans une synthèse des discussions menées en son sein lors d’une conférence nationale en 2019.

    « Le grand débat de la Conférence a été de définir qu’il existe deux niveaux indissociables auxquels nous devons répondre :

    – d’une part, proposer des initiatives politiques (avec un programme et des tactiques pour le faire avancer) face à chaque processus, y comprisles critiques, même théorique, des tendances de chaque mouvement à l’intégration dans le régime, profitant également des campagnes électorales qui auront lieu en 2019 au niveau national et dans chaque province pour atteindre des millions de personnes avec notre programme et nos perspectives ;

    -d’un autre part, développer un militantisme commun (« croisade ») qui permette aux secteurs les plus dynamiques (depuis la jeunesse combative et l’aile gauche du mouvement des femmes) d’influencer, d’encourager et, à leur tour, d’apprendre des secteurs ouvriers les plus expérimentés et ayant le plus de traditions, qui connaissent actuellement une situation profondément conservatrice.

    Dans tous les secteurs où nous opérons, il s’agit de combattre le « corporatisme » qui a pour seul but de défendre les revendications de chaque « mouvement » (syndical, féministe, étudiant), tâche éminemment utopique dans le cadre de l’ensemble du mouvement. attaque. que nous vivons (…).

    Il est posé que les militants d’un parti socialiste et révolutionnaire doivent agir comme des « tribuns populaires » en élevant un programme commun qui prenne les revendications de tous les opprimés (pas seulement des travailleurs) dans le cadre de ce que nous appelons aujourd’hui une ‘‘politique hégémonique’’, révolutionnaire et socialiste. »

    Fort logiquement, cela amène à considérer les élections comme un grand moment. Officiellement, pas pour les gagner, mais pour élargir la base du super-parti des revendications. En pratique, c’est par contre du réformisme de gauche, même si radicalisé, tout ce qu’il y a de plus classique.

    On ne peut pas comprendre le sens d’une participation aux élections en Argentine sans voir ce que signifie le syndicalisme dans ce pays. Tout comme les élections amènent le syndicalisme à se positionner par rapport au futur gouvernement censé modifier le régime, le syndicalisme amène les candidats à se positionner en fonction d’eux.

    Il faut savoir ici qu’en Argentine, le taux de syndicalisation est d’autour de 35 %. C’est un chiffre très important, qui oblige à prendre en compte la question syndicale de la part du régime.

    Ce qu’on appelle le péronisme, cette idéologie nationaliste du nom du général Juan Perón (1891-1974), se voulait profondément ancré chez les travailleurs, par l’intermédiaire du grand syndicat, la Confederación General del Trabajo, totalement intégré à l’État.

    Un élément venant perturber tout cela est l’importance du travail au noir, à hauteur de 30-40 % de la population laborieuse, ce qui donne naissance à des activités et luttes para-syndicales, hors institutions.

    Cela ne change toutefois rien au fait que l’idée du super-parti des revendications aboutisse à la participation électorale, dans une logique d’agrégation des forces revendicatives.

    Concrètement, le PTS se présente de manière régulière aux élections en Argentine et voici les résultats pour les présidentielles, en sachant qu’à partir de la troisième la candidature, cela relève d’une coalition électorale : 1995 / 0,16 %, 1999 / 0,24 %, 2007 / 0,44 %, 2011 / 2,3 %, 2015 / 3,23 %, 2019 / 2,16 %, 2023 / 2,7 %.

    Voici les résultats pour les élections parlementaires, à chaque fois dans le cadre d’une coalition électorale : 2011 / 2,82 %, 2013 / 5,25 %, 2015 / 4,18 %, 2017 / 4,28 %, 2019 / 2,96 %, 2021 / 5,41 %, 2023 / 3,25 %.

    Mais avec qui le PTS s’allie-t-il, justement ? Il le fait au sein du Frente de Izquierda y de Trabajadores – Unidad (Front de la Gauche et des Travailleurs – Unité), avec le Partido Obrero (Parti Ouvrier) et Izquierda Socialista (Gauche socialiste), à quoi s’ajoute plus récemment le Movimiento Socialista de los Trabajadores (Mouvement Socialiste des Travailleurs).

    Hormis le premier qui a sa propre histoire (mais qui est trotskiste également), toutes ont la même origine : Nahuel Moreno et son Movimiento al Socialismo (Mouvement au Socialisme) ! On est ici dans la sainte union moréniste, dans la tentative d’élaborer un parti trotskiste de masse.

    Il existe par ailleurs bien d’autres organisations qui sont également issues du MAS, et existent plus ou moins indépendamment de la coalition électorale (Convergencia Socialista, Frente Obrero Socialista, Liga Socialista Revolucionaria, Unión Socialista de los Trabajadores, etc.).

    On a ici une situation qui montre bien qu’il existe une situation bien particulière en Argentine. Le « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » n’est qu’un aspect d’une situation où la « gauche de la gauche » consiste en ces multiples organisations trotskistes.

    On est ici dans le schéma traditionnel des partis légaux à « gauche de la gauche », qui rassemblent quelques pour cents symboliques aux élections, année après année, dans chaque pays.

    Le Frente de Izquierda y de Trabajadores – Unidad a d’ailleurs cinq députés et le PTS met largement en avant son activité parlementaire. C’est la clef de la légitimité pour le parti trotskiste de masse.

    On n’a donc pas affaire à une démarche révolutionnaire, où le PTS agirait de manière spécifique, avec ses propres caractéristiques. On est dans une concurrence de regroupements « révolutionnaires » légaux, se faisant concurrence ou étant alliés, selon les situations, toutes se plaçant dans la tradition de Nahuel Moreno.

    Comme on va de scissions en scissions, il y a bien entendu des remises en cause de tel ou tel aspect, des redéfinitions, voire des ruptures ; chaque organisation nouvelle forme alors sa propre « Internationale ».

    Mais cela ne change rien au fait qu’en Argentine, ce sont les « morénistes » qui jouent le rôle qu’on retrouve joué dans chaque pays par différentes structures, comme le Parti du Travail en Belgique. C’est la candidature témoignage du parti « révolutionnaire » de masse, qui ne fait pas de politique révolutionnaire mais agrège les luttes et les contestations.

    Et la logique moréniste a bien sûr poussé à dépasser le morénisme lui-même. Avec une démarche « ouverte » comme celle du PTS, où la remise en cause des idées est permanente, où le marxisme est une inspiration, il était impossible de conserver Nahuel Moreno comme inspiration. La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ne pouvait donc que supprimer la référence au fondateur historique de ses traditions politiques.

    Ce processus date d’il y a longtemps, de 1988 et d’une rupture avec les autres courants fidèles aux morénistes. Il était considéré que Nahuel Moreno avait une conception trop ouverte de la « révolution démocratique », qu’il considérait comme possible sans que la base productive soit changée.

    Néanmoins, c’était là simplement mettre Nahuel Moreno de côté en raison du fait qu’en tant que figure politique, il a été contredit par les faits ; c’était également un moyen de se placer comme courant « moderne », post-moréniste pour ainsi dire, car dans les analyses du PTS, tout le patrimoine historique de Nahuel Moréno est par contre assumé.

    L’Argentine a profondément été marquée, à partir des années 1940, par le « justicialisme », également péronisme, en référence au général Juan Perón (1891-1974) qui en fut l’initiateur.

    On parle ici d’une idéologie profondément nationaliste, mais se revendiquant une substance populaire. Ses trois « drapeaux » tenaient en « l’indépendance économique », la « justice sociale » et la « souveraineté politique ».

    Il vaut mieux d’ailleurs employer le verbe au présent, car le péronisme est une composante fondamentale de la vie politique argentine et de l’État lui-même. Depuis 1946, 10 des 14 élections présidentielles ont été gagnées par des péronistes, lorsque ceux-ci n’étaient pas interdits de concourir.

    Le péronisme se présente comme une troisième voie, suivant le mot d’ordre de Juan Perón : « Nous ne sommes ni des Yankees, ni des marxistes ». C’est en fait un mouvement fasciste, qui s’appuie de ce fait sur le corporatisme. La CGT se voyait ainsi largement reconnue et soutenue, ainsi que son pendant patronal, la Confédération Économique Générale.

    Par contre, en raison de l’instabilité de la situation, nombre de soutiens des péronistes se définissaient comme de gauche, voire très à gauche, et même révolutionnaire jusqu’à être favorable à la lutte armée (les « Monteneros »).

    Juan Perón lui-même se revendiquait de la Gauche, dans une perspective « justicialiste » ; il se revendiquait des luttes du tiers-monde et mit en avant le mot d’ordre « dépendance ou libération ». L’influence catholique est très présente et assumée. En pratique, le péronisme est un équivalent latino-américain du nationalisme arabe.

    Juan Perón fut initialement ministre du Travail lors du coup d’État militaire de 1943, avant de devenir président en 1946, jusqu’en 1955. Il fut renversée par un coup d’État militaire qui provoqua une situation de semi-guerre civile, l’aviation militaire n’hésitant à bombarder un rassemblement péroniste en plein centre de Buenos Aires.

    Juan Perón partit en exil, pour revenir comme président en 1973-1974. Sa femme Isabel qui prit le relais à sa mort fut renversé par un coup d’État militaire, avec une dictature terrible s’exerçant jusqu’en 1983.

    Le péronisme fut ensuite aux commandes du pays de 1989 à 1999, de 2003 à 2015, puis de 2019 à 2023.

    Les succès du péronisme doivent tout au nationalisme des couches urbaines, petites-bourgeoises mais également populaires. Le nationalisme était le dénominateur commun et le prétexte à un « socialisme » interprété de manière toujours différente.

    C’était la base d’un capitalisme bureaucratique, de nature oligarchique, qui tentait de procéder à un développement accéléré du pays. On a le modèle de la « gauche » latino-américaine, qui pratique un hold-up sur le besoin de changement et de modernisation en faisant porter le changement par une couche capitaliste bureaucratique étroitement liée à l’État.

    Cette « gauche » est pour cette raison dénoncée comme castriste et anti-démocratique par la droite libérale, qui par contre est immanquablement phagocytée par la droite pro-américaine.

    Le coup d’État militaire contre Juan Perón se situe dans cette perspective : le rapport à la superpuissance américaine était considérée comme insuffisant, le poids de l’État trop grand, la modernisation trop rapide et bousculant les campagnes avec toute leur soumission aux grands propriétaires terriens et à l’Église catholique.

    Faire du morénisme sans Nahuel Moreno est, somme toute, le pendant de la tradition politique argentine qui est de faire du péronisme sans Juan Perón. Toute la gauche argentine est pourrie par le péronisme, comme d’ailleurs la gauche de chaque pays latino-américain par une idéologie similaire, à part le Pérou. Dans ce dernier pays, on a eu en effet José Carlos Mariátegui (1894-1930) qui a réalisé une véritable analyse matérialiste historique du parcours de son pays. Le marxisme a pu s’y développer réellement, sans la contamination par le panaméricanisme et le nationalisme.

    On a deviné qu’en Argentine, Nahuel Moreno avait soutenu Juan Perón. Il a justifié cela dans les années 1950, en expliquant qu’il existait un plan secret des États-Unis pour coloniser l’Argentine, et qu’il fallait s’y opposer en convergeant avec le péronisme, en formant un grand parti centriste de gauche légal.

    À la suite du coup d’État de 1955, Nahuel Moreno mit en place une alliance avec des syndicalistes péronistes, puis ensuite un « entrisme » dans les rangs de la « jeunesse péroniste ». Il écrivit même une lettre à Juan Perón en 1962, synthétisant la position moréniste :

    « Je crois que notre Mouvement se trouve face à une situation difficile, dans laquelle il doit choisir entre hisser ses drapeaux clairement nationalistes et populaires ou jouer le rôle d’une pièce de plus du régime colonial et oligarchique qui nous gouverne.

    Comme vous le savez bien, il existe un plan cohérent de la part de l’impérialisme yankee et d’importants secteurs de l’anti-patrie, aujourd’hui peints en « bleu », pour tenter de domestiquer le péronisme et de le transformer en une pièce docile de la machine oligarchique, en le reléguant au second plan à un triste rôle de pare-chocs des travailleurs argentins.

    Pour y parvenir, ils veulent nous donner quelques misérables sièges parlementaires et la promesse qu’un jour ils reconnaîtront notre droit incontesté à gouverner le pays.

    Mais pour ce faire, ils exigent que nous renoncions à notre défense incorruptible de la souveraineté nationale, de l’indépendance économique et de la justice sociale, que nous renoncions à notre principal dirigeant et que nous devenions un pilier de l’arrogance colonialiste étrangère désormais masquée sous le nom de « défense du monde occidental et chrétien ».

    Ils oublient que notre mouvement péroniste n’est pas l’APRA et que le général Perón n’est pas Haya de la Torre. Et que notre personnalité en tant que mouvement nationaliste révolutionnaire, qui est partie intégrante du mouvement universel des peuples et des masses opprimés de la terre, se montrera dans toute sa vigueur pour renverser leurs plans.

    À cette fin, je crois, comme vous l’avez dit récemment dans vos lettres, qu’il est nécessaire de clarifier notre ligne de conduite, pour pouvoir ensuite commencer à discuter des tactiques concrètes face au processus électoral à venir.

    Tout d’abord, je pense que nous devons être clairs dans le sens où le général Perón est le leader suprême du péronisme, élu par la volonté souveraine du peuple argentin, et non le « leader » choisi par le Département d’État, l’Évêché de Buenos Aires. et le ministère de la Guerre.

    Et que si le général Perón est à l’étranger, c’est uniquement parce que les différents gouvernements usurpateurs l’empêchent de retourner dans sa patrie, comme lui et son peuple le souhaitent. »

    Pas la peine d’en lire plus et de toutes manières, la question n’est au sens strict ni l’Argentine, ni le PTS, ni même la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ». La vraie question concerne la possibilité ou non de changer un régime politique depuis un régime politique.

    Car, aussi bizarre que cela puisse sonner, c’est là la perspective de l’opportunisme. L’opportunisme dit : oui, le régime est mauvais, il est capitaliste. Mais là il se passe quelque chose en son sein, il y a des forces qui montent et qui le contestent. Ces forces ne sont pas révolutionnaires, ce n’est pas la révolution.

    Il faut toutefois, dans cette perspective, accompagner ces forces, les soutenir de manière plus ou moins critique, s’allier, voire fusionner avec eux pour un temps. Cela permettra de disposer d’un mouvement de masse avec une « direction » révolutionnaire et comme de toutes façons il y a la révolution mondiale qui va pointer son nez, alors on fera la révolution.

    C’est mensonger de bout en bout et cela permet des compromis, compromis amenant des compromis, jusqu’à la compromission. L’exemple le plus achevé du trotskisme est ici le soutien à l’élection de François Mitterrand comme président français en 1981. L’OCI a agi en sa faveur, la LCR également, et également Lutte Ouvrière même si elle a prétendu le faire « sans illusions ».

    Au nom du « Programme de transition » de Léon Trotski, n’importe quel opportunisme se voit consacré comme « correct », « justifié », car il s’agit avant tout de conquérir la « direction » des mouvements ouvriers, populaires, d’une manière ou d’une autre.

    Le PTS a ainsi, non pas convergé avec le péronisme, mais absolument choisi d’utiliser le péronisme, exactement comme le trotskisme choisit (ou non, d’où les scissions en son sein) de soutenir de l’extérieur tel ou tel phénomène qui se voit attribuer des qualités « contestataires ».

    C’est la logique de l’entrisme permanent.

    De manière plus spécifique concernant la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », sa dimension péroniste apparaît avec son concept de néo-libéralisme.

    Pourquoi cela ? Parce que pour considérer quelque chose comme partiellement « bon », il faut avoir un équivalent en partiellement « mauvais ».

    Si on ne veut pas considérer les choses sous l’angle de l’affrontement entre le Socialisme et le capitalisme, alors il faut inventer un substitut de Socialisme et un substitut de capitalisme.

    Cela permet de dire que l’actualité est l’affrontement de ces substituts, que le marxisme est très juste à l’arrière plan, qu’effectivement le Socialisme et le capitalisme s’affrontent, mais… que dans la situation actuelle, il y a des modalités particulières, des formes spéciales auxquelles s’adapter.

    Ayant intégré que « l’allié » était le péronisme en Argentine, le PTS a modifié sa critique du capitalisme en dénonciation du « néo-libéralisme ».

    Que faut-il comprendre par là ? Le concept de néo-libéralisme dit grosso modo la chose suivante : on serait passé de l’État-providence des années 1950-1960, avec des aides sociales et une régulation du capitalisme, à une situation marquée par un libéralisme brutal.

    Dans les années 1980, l’Américain Ronald Reagan et la Britannique Margaret Thatcher ont représenté un libéralisme très marqué ; le néo-libéralisme dit qu’ils ont gagné dans leur pays et que tous les pays du monde ont accompagné le mouvement.

    C’est bien entendu totalement faux. Mais cela permet de critiquer non plus le capitalisme, mais les privatisations ou la possibilité de privatisations, l’affaiblissement des aides sociales qu’elles aient lieu ou non.

    Cela permet de critiquer le capitalisme, mais sans l’attaquer de manière révolutionnaire. Cela permet de dire que le capitalisme est « mauvais », pas qu’il faut le renverser. Il s’agit simplement de le transformer, de le dépasser, etc.

    On ne serait plus vraiment dans le capitalisme, mais dans un néo-libéralisme destructeur, et il faut par conséquent une unité de la part des gens de bonne volonté pour freiner, stopper et proposer des alternatives immédiates.

    L’altermondialisme des années 2000 a très largement popularisé ce concept et on le retrouve partout dans le monde chez les réformistes « révolutionnaires », depuis les zapatistes au Mexique jusqu’à la gauche indienne marxiste-léniniste, en passant par les trotskistes de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    Le concept est même utilisé à tout bout de champ par cette dernière, notamment pour un dialogue critique régulier avec une myriade d’auteurs universitaires se revendiquant du marxisme et s’appuyant sur celui-ci.

    Plus précisément, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » considère que le « néo-libéralisme » se serait systématisé durant les années 1980, que cela aurait été le moyen avec lequel la bourgeoisie aurait « rétabli » un taux de profit acceptable pour tenir le coup.

    Voici un extrait de document « Les limites de la restauration bourgeoise » publié en 2011, qui aborde la question.

    « En étendant l’analogie on pourrait appeler « restauration bourgeoise » la contre-offensive que l’impérialisme a entamée dans toute la planète après la poussée révolutionnaire du cycle 1968-1981 et à laquelle il met un terme par une combinaison de défaites physiques et de déviations.

    Cette progression réactionnaire qui a porté le nom de « néo-libéralisme » s’est exprimée dans un premier temps dans les pays impérialistes à partir de l’arrivée de Reagan au pouvoir aux États-Unis et de Thatcher en Grande-Bretagne, à travers la mise en œuvre de toute une série de « contre-réformes » économiques, sociales et politiques ayant pour objectif de détruire les acquis arrachés par le mouvement ouvrier pendant les années du « boom » d’après-guerre (la sécurité sociale, les services publics, les conditions de vie et de travail), et ce au nom du marché, afin de garantir les profits capitalistes.

    Ceci a ensuite été étendu aux pays semi-coloniaux à travers le « Consensus de Washington », son expression dans les États ouvriers bureaucratisés ayant été la restauration du capitalisme avec, comme nous le verrons, des conséquences différentes en URSS et en Chine. »

    On a ici un prétexte pour s’unir de manière opportuniste contre le « néo-libéralisme », au lieu de mener une politique révolutionnaire pour renverser le capitalisme.

    Pour la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », l’actualité n’est pas l’affirmation communiste subjective, mais la défense « socialiste » des travailleurs face au « néo-libéralisme ».

    Il faut bien saisir ce qu’implique la thèse du « néo-libéralisme », qui forme une thèse très poussée, qui pose véritablement un cadre de réflexion.

    Et tout y est faux. Car, au fond, le support d’une telle réflexion, c’est l’idée social-démocrate des années 1920 selon laquelle le capitalisme « pense » et est en mesure de se gérer lui-même grâce à l’intervention de l’État pour faire face aux « travailleurs ».

    C’est une thèse idéaliste.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ne considère pas la politique de Ronald Reagan ou Margaret Thatcher comme le reflet dans l’appareil d’Etat de l’élévation des forces productives donnant lieu à une restructuration du capitalisme.

    Elle s’imagine que c’est une restructuration du capitalisme qui a été choisie, de manière consciente, sciemment, par le capitalisme, afin de se sauver, et de procéder à des modifications du capitalisme.

    Son point de vue est faux. Les années 1980 ne relèvent pas d’une « offensive néo-libérale », mais consistent en un seuil franchi par le mode de production capitaliste, du fait notamment de nouveaux moyens de production.

    Il y a eu approfondissement de la surproduction de capital et de marchandises, avec des investissements toujours plus colossaux en capital constant. Deux phénomènes qui ont débouché sur la modernisation des marchés financiers vue par les commentateurs de la bourgeoisie « progressiste » comme une « dérégulation ».

    En mettant en avant le concept de « néolibéralisme », il est tout simplement tenté de mettre en avant une pseudo « nouvelle phase » du développement capitaliste à l’époque impérialiste.

    Le capital aurait développé un mode de gestion de son existence pour « s’en sortir » face à une impasse historique déjà-là dans les années 1920-1930, mais ayant été remise à plus tard avec les destructions-reconstructions de la seconde guerre mondiale.

    L’épuisement du taux de productivité dans les années 1970 serait de ce fait un retour à la situation bloquée des années 1930, mais, entre temps, la classe ouvrière aurait tellement poussé fort que l’État aurait répondu par l’organisation de certains secteurs économiques (grandes entreprises nationalisées) et le développement des institutions sociales.

    Ainsi pour s’en sortir, le capital devait se mettre en lutte à marche forcée : c’est le rôle des « politiques néo-libérales », qui auraient atteint leur limite avec la crise financière de 2008.

    Dans l’article « Crises et contradictions du capitalisme au 21e siècle » publié sur le site international de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » , il est dit :

    « En dernière analyse, et quand la contre tendance pour la récupération du taux de profit – qui s’est traduite par l’offensive néolibérale – est en train d’atteindre sa limite, comme le met en évidence l’actuelle crise qui trouve son épicentre dans le cœur du système capitaliste mondial (les USA). »

    Si l’on regarde bien au fond des choses, il est donc considéré que le capital pense et agit de manière rationnelle contre la classe ouvrière, afin de « récupérer » dans les années 1980 les avantages sociaux accordés après 1945. Une fois cela fait, le capitalisme se ralentit alors, jusqu’à la crise de 2008.

    Autrement dit, pour la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » , le capitalisme ne peut s’en sortir qu’en « attaquant » de manière unilatérale les masses mondiales, qui leur serait par « nature » opposées.

    Il ne peut pas en être autrement, puisque Léon Trotski a dit en 1938 que les forces productives ont cessé de croître.

    Voici ce qu’affirme la dernière version du « Manifeste international » de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    Il a initialement été publié en 2013, puis actualisé en 2017 et de nouveau en 2021, sous le titre de « la catastrophe capitaliste et la lutte pour une organisation mondiale de la révolutions socialiste ».

    « En dépit de la restauration capitaliste dans les États ouvriers bureaucratisés et des décennies d’offensive néo-libérale contre les conditions de vie du monde du travail et des masses populaires dans le monde entier, le capitalisme n’a non seulement pas su résoudre ses contradictions et tendances à la crise.

    Il les a portées à un niveau extrême qui souligne toujours plus l’incompatibilité entre le capitalisme et la survie de l’espèce humaine et de la planète. »

    Il n’est pas compris que ni la classe ouvrière en soi, ni les pays pauvres en soi, ne sont des « extérieurs » offrant un espace neuf d’accumulation du capital. La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » répète ici l’erreur de Rosa Luxembourg, pour qui le capitalisme ne peut se développer qu’en s’appropriant des zones non capitalistes.

    Cette erreur repose sur une incompréhension de ce qu’est la dialectique. Dit plus simplement pour le comprendre : tous les capitalistes ne produisent pas tout au même moment, ils ne vendent pas tout au même moment.

    Le capital circule et le capitalisme peut parvenir pendant toute une période à un élargissement de sa propre base – à partir de lui-même. C’est ce qui a permis l’établissement de la société de consommation dans les pays capitalistes.

    Naturellement, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » nie l’existence d’une telle société de consommation.

    Voici un autre exemple du point de vue de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » sur le « néo-libéralisme ». On le lit dans l’article « Le budget Barnier au prisme de la crise du capitalisme français », publié par sa section française, Révolution permanente, fin octobre 2024 :

    « Si la France se trouve actuellement en difficulté, la crise de la dette n’en est pas moins mondiale et exprime l’épuisement du modèle néolibéral.

    Après la crise des années 70-80, le néolibéralisme a permis de redresser de manière relative le taux de profit sans résoudre la stagnation de la productivité, grâce à une offensive tous azimuts contre les droits des travailleurs, rendue possible par la défaite des processus révolutionnaires des années 68-80, et à l’intégration de plus d’un milliard de nouveaux travailleurs dans l’économie mondiale, après la chute de l’URSS et l’entrée de la Chine dans la mondialisation (…).

    Malgré les innombrables subventions, la productivité stagnante des entreprises les a progressivement rendues de moins en moins compétitives et rentables, décourageant la capitalisation des profits, les capitalistes préférant maximiser leurs revenus plutôt que d’investir.

    En un mot, le taux d’investissement, en berne, a décroché par rapport au taux de profit, ouvrant sur cette situation paradoxale dans laquelle la croissance stagne tandis que les profits du grand patronat explosent. »

    Tout cela est absurde quand on voit comment les forces productives se sont incroyablement développées, en particulier dans la période 1989-2020. La vie quotidienne de la totalité de l’humanité a été bouleversée, en très peu de temps, et cela quasiment sans résistance.

    On reconnaît justement le capitalisme développé dans le fait qu’il a généré des forces productives qui lui sont propres, permettant ainsi une consommation de masse qui dialectiquement sert à la reproduction élargie du capital.

    Cela est vrai pour les pays capitalistes développés, mais il est impossible de nier que même les pays du tiers-monde ont très largement profité du développement du capitalisme et largement amélioré leur niveau de vie.

    La vie d’un Argentin en 2025 est incommensurablement meilleure que celle d’un Argentin en 1995, sans même parler de 1975 ou 1955. C’est bien là le drame historique d’ailleurs que cette instauration du 24 heures sur 24 du capitalisme dans les pays capitalistes développés, mais aussi en partie dans le tiers-monde.

    À Buenos Aires, on donne son Instagram comme on le ferait à Paris ou à Bruxelles, et on utilise communément Whatsapp avec les gens qu’on connaît bien. Tinder est l’application de « rencontres » sur smartphone comme dans bien des pays capitalistes développés.

    Le misérabilisme n’a donc aucun sens, d’autant plus que l’amélioration des forces productives s’est accompagnée d’un grand approfondissement de l’aliénation.

    L’insistance de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » sur le « néolibéralisme » a donc un sens bien précis.

    Cela révèle au fond le blocage dans l’ascension sociale d’une petite-bourgeoisie ayant bénéficié du développement 1945-1975, avec une période d’accès massif aux études et une promotion sociale facilitée vers des emplois stables, notamment dans l’appareil d’État et les grandes entreprises d’État.

    Cette petite-bourgeoisie regrette de ne pas vivre dans une métropole impérialiste, de ne pas pouvoir davantage profiter. D’où son adhésion à un « Socialisme » en fait clairement réformiste, mais réformiste contestataire.

    Il est évident que sur le plan pratique, l’utilisation du concept de « néo-libéralisme » permet toutes les alliances qu’on veut, toutes les « unités » qu’on veut. Les moyens de s’adapter sont immenses puisqu’il suffit de qualifier telle ou telle chose de « résistance » au néo-libéralisme pour la valoriser.

    En mettant en avant ce concept, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » maintient ouvert des possibilités de dialogue avec toute la bourgeoisie « progressiste », dans le but de garantir des places au chaud à sa base sociale estudiantine, ainsi qu’aux syndicalistes pouvant devenir force d’expertise et de direction des luttes contre les « politiques néo-libérales ».

    C’est une forme de péronisme sans péronisme, d’unité sans réel cadre mais justifiée par la nécessité de parvenir aux postes de direction pour accompagner une prétendue révolution mondiale qui n’est pas loin.

    Cela permet un discours militant « ultra », pour aboutir toutefois à des activités somme toute réformistes. C’est le coeur de la démarche de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » qui développe l’idée d’un mouvement en lutte utilisant les « opportunités » des luttes afin de former enfin un parti révolutionnaire de masse capable de « dégeler » la situation du capitalisme en crise prolongée et ne survivant que par des attaques « néo-libérales ».

    Dans une telle optique, les travailleurs apparaissent surtout comme une force d’appoint au mouvement de lutte, naturellement composé dans les faits de gens relevant de la petite-bourgeoisie sur le fond, qu’ils soient étudiants, élus ou bien délégués syndicaux.

    Les travailleurs sont d’ailleurs vus comme ayant une existence en-dehors du capitalisme – ce qui est le point de vue du syndicalisme révolutionnaire, qui a été très influents en Argentine et en Uruguay.

    C’est surtout la conception d’étudiants et de syndicalistes que cela arrange bien de ne pas comprendre que le capitalisme est un mode de production. Cela permet de dénoncer un « système » sur la base seulement de revendications.

    Chez la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », on ne trouvera donc aucune analyse qui traite des mentalités et de l’aliénation dans la société de consommation.

    Le 24 heures sur 24 du capitalisme n’existe pas. Tout ce qui compte, ce sont les revendications sociales. Et de manière typique de ce style, on est dans le cosmopolitisme : les approches sont exportables partout ailleurs, vu que ce n’est pas connecté à la réalité.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » a ainsi une approche cosmopolite et sa méthode est opportuniste car collant au style « péroniste » (même si renouvelé). D’où la catastrophe Milei.

    Javier Milei est un fou furieux, vulgaire et grossier, maniant l’insulte et la provocation. C’est un ultra-libéral à la fois désireux d’effacer l’État le plus possible et de retourner à un ordre ultra-conservateur. Il est dans la lignée de Donald Trump et d’Elon Musk ; il est pour le conservatisme et l’esprit d’entreprise, bien qu’il soit encore plus délirant, puisqu’il pense qu’on pourra un jour privatiser les rues et faire le commerce de ses propres enfants.

    Or, malgré son plan visant à « tronçonner » l’État et les aides sociales (il a notamment fait campagne en maniant une tronçonneuse), Javier Milei a été élu président avec plus de 55 % des voix, en décembre 2023. Une année au pouvoir n’a pas bouleversé la situation politique en Argentine, il n’existe pas de violente contestation contre lui.

    Javier Milei mène pourtant des réformes ouvertement soutenues par les entreprises, les marchés financiers et les agences de notation, sans qu’il n’y ait de rébellion populaire. Elles ont eu des effets chocs : l’économie parallèle, informelle a augmenté encore, ainsi que le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté (on dépasse désormais la moitié de la population) et même l’indigence (passée de pratiquement 12 % à un peu plus de 18 % de la population.

    Ces réformes visent à déréglementer, privatiser, libéraliser, et tout faire pour attirer les investissements directs étrangers dans les ressources nationales (gaz, lithium, pétrole). C’est même là ce que « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » appelle le néo-libéralisme – sauf qu’en fait, c’est simplement le contraire du péronisme, tout comme le péronisme est le contraire du libéralisme conservateur pro-américain.

    La vérité, c’est que la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ne propose pas un mode de pensée qui sorte du cadre de l’affrontement entre le péronisme et la droite libérale pro-américaine. Elle converge avec le péronisme, parce qu’elle considère qu’au moins, le péronisme est pour un Etat social. Il en va de même dans tous les autres pays d’Amérique latine, où la gauche converge avec l’étatisme d’une couche capitaliste bureaucratique « modernisatrice » et urbaine.

    Plus spécifiquement pour l’Argentine, Javier Milei est d’ailleurs un personnage haut en couleur typique du « macho » tel qu’il existe dans cette partie du monde où le patriarcat est massif, violent et incontournable. La figure de la latina « libérée » n’est qu’une adaptation, un opportunisme de la survie contre une situation implacable.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » apparaît dans ce cadre comme cosmopolite et urbaine, une simple production d’étudiants, d’intellectuels, de syndicalistes. D’où son succès en tant que produit d’exportation.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est une abstraction intellectuelle établie sur la base d’un réformisme réel en Argentine.

    D’où, à l’époque du capitalisme profondément mondialisé, son existence comme produit d’exportation. Chaque organisation trotskiste a toujours fondé son Internationale (ou essayé de le faire), mais là c’est différent, on a un produit moderne, de l’époque d’Amazon ou plus exactement d’Aliexpress.

    Quelle est la différence avec auparavant ? Elle tient, bien entendu, aux réseaux sociaux. Auparavant, les Internationalises trotskistes coordonnaient leurs différentes organisations par des prises de position de type analytiques, consistant en des évaluation de tel ou tel phénomène se produisant dans l’actualité.

    Cela impliquait une certaine cohérence interne, sur le plan des idées, de la sensibilité, de la vision des choses sur le plan politique, etc. Impossible d’avoir cela désormais dans le 24 heures sur 24 du capitalisme, qui existe si fortement dans les pays capitalistes développés et est présent massivement dans le tiers-monde, avec beaucoup de nuances et de différences.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » propose ainsi du simple prêt à porter contestataire, en sept langues, avec 15 sites internet qui se reprennent les uns les autres.

    On chercherait en vain une analyse posée, précise, déterminée. On est toujours dans la proposition, l’hypothèse, le questionnement, et même pour les revues théoriques des différentes sections, leur présentation souligne leur dimension « ouverte ».

    « Dans ces publications, on peut retrouver les élaborations et les débats menés par les militants de la FT-QI, des tribunes ouvertes mais aussi des entretiens avec des intellectuels du monde entier. »

    On est là dans un esprit œcuménique, inclusif, où il ne faut surtout pas heurter.

    Même les compte-rendus des conférences de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » se présentent toujours comme des compte-rendus d’échanges, de débats.

    On est à rebours de la vraie ligne révolutionnaire, celle qui dit que le monde est dialectique, qu’il faut saisir les deux aspects de chaque chose, qu’il faut mener la lutte des deux lignes.

    On est à l’opposé d’une affirmation scientifique du Socialisme.

    C’est là le point essentiel. C’est là tout l’intérêt de s’intéresser à la la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ne se préoccupe ni du passé, ni de l’avenir. On ne trouvera aucune analyse matérialiste historique du passé, expliquant les différentes étapes du développement de l’Argentine sur le plan économique, politique, culturel. Le tango argentin lui reste étranger.

    On ne trouvera rien sur l’avenir, c’est-à-dire rien ne concernant l’évolution de la planète comme Biosphère, sur le rapport aux animaux, sur la nécessité de la République universelle. Le matérialisme dialectique est d’ailleurs entièrement absent.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », ce n’est pas la révolution permanente, c’est le présent permanent. C’est un manuel de contestation, prêt à l’exportation.

    C’est un style de travail et une approche de la lutte sociale, propre à l’Argentine, qui a été réduit à sa forme la plus élémentaire (donc un morénisme post-moréniste) et qui est déclinable de différentes manières dans différents endroits.

    Il ne s’agit pas du tout de dire que la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » n’a joué aucun rôle en Argentine. Bien au contraire, c’est par ses réussites qu’elle a pu se mettre en place et proposer, dans différents pays, sa lecture des événements et des luttes à mener.

    Cependant, étant coupée de l’histoire de l’Argentine, en n’étant finalement qu’une forme particulière de péronisme, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est incapable de parvenir à l’universel.

    Ses propositions sont stériles et illisibles. Elle-même serait incapable de s’adresser à tout le monde en disant : voici comment nous voyons les choses, voici ce que nous apportons comme vision du monde.

    Le PTS existe comme forme moréniste du péronisme, dans le cadre d’une alliance électorale avec d’autres trotskistes pratiquement tous morénistes. Dans la situation argentine, cela fonctionne ; avec la mondialisation, cela peut s’exporter.

    Mais cela ne signifie rien historiquement. En ce sens, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est un produit de la mondialisation. Des représentants de la petite-bourgeoisie en Argentine ont eu suffisamment de poids pour, dans le cadre de la diffusion des informations, par le rôle nouveau des réseaux sociaux, acquérir suffisamment de poids, de densité, pour s’exporter.

    Mais cela relève d’un simple processus mécanique. Il n’y a aucun réel contenu. Il suffit de donner un exemple tout à fait significatif. Voici ce que dit l’article « Un an de Milei : comment les péronistes le maintiennent au pouvoir », publié en décembre 2024 dans le cadre de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ». C’est du réformisme pur et dur.

    « Au Parlement, la FIT-U reste l’unique force politique qui peut revendiquer fièrement de n’avoir apporté aucune voix aux lois de Milei et des grands pouvoirs économiques et de n’avoir aucun candidat qui passe opportunément d’une liste à une autre.

    C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles des députés comme Myriam Bregman et Nicolás del Caño figurent parmi les dirigeants les mieux perçus de l’opposition, selon plusieurs sondages.

    Aujourd’hui, plus que jamais, face à l’extrême-droite et aux collaborateurs, l’enjeu est de se poser comme le parti capable d’organiser la riposte aux côtés des millions de personnes qui refusent de voir l’histoire se répéter avec des gouvernements de droite qui détruisent le pays, avec la complicité des directions syndicales.

    Nous devons reconquérir ces organisations en les arrachant des mains des bureaucrates, en faire des outils de lutte et accumuler des forces pour préparer une contre-offensive. Car lorsque les aspects les plus critiques de la crise réapparaîtront, des opportunités se présenteront pour inverser le sens de l’histoire, à condition de s’y préparer dès maintenant. »

    Il est difficile de faire plus réformiste, plus creux sur le plan du contenu. Il faut « riposter », il faut l’unité, il faut se positionner électoralement… Tout cela relève de l’opportunisme traditionnel.

    Il y a le refus d’assumer l’idéologie, le refus de faire de cette idéologie le guide de l’activité révolutionnaire.

    C’est là ce qui relève le caractère petit-bourgeois de toutes ces manœuvres de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » : il n’y a tout simplement, jamais et nulle part, le Communisme.

    Les révolutionnaires, quand ils ont compris le sens de l’Histoire, veulent le Communisme. Ils assument qu’ils veulent le Communisme, ils en portent le drapeau. La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ne le fait justement pas du tout.

    Son style et son contenu, c’est la dénonciation du patronat au nom des travailleurs et de la jeunesse, des secteurs opprimés et des classes populaires. C’est l’appel à la riposte contre le néo-libéralisme et à l’unification de ceux qui veulent riposter au sein de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    La perspective proposée, c’est le parti trotskiste de masse, ou du moins un parti socialiste de masse, qui puisse faire pencher la balance.

    C’est une démarche qui n’assume pas d’avoir comme but le Communisme, parce qu’en définitive elle repose sur la petite-bourgeoisie, qui justement ne veut pas du Communisme.

    Les communistes, qui veulent le Communisme, savent qu’il faut le porter comme idéologie, à travers des valeurs. Que cela signifie l’insurrection, la prise du pouvoir par la lutte armée, l’établissement d’un nouvel Etat, la mise en place d’une armée rouge.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », quant à elle, propose seulement de donner des bons points et des mauvais points aux phénomènes. Il y aurait une révolution mondiale virtuelle et il s’agirait seulement de voir dans quelle mesure tel ou tel phénomène s’insère en elle, quitte à forcer les choses. Le Communisme disparaît alors totalement comme but et on est dans le pur suivisme de toute contestation, tout renversement de régime.

    S’il n’y a pas le Communisme, que trouve-t-on ? Forcément, des mythes politiques. De manière notable ici, et c’est typique de la gauche en Amérique latine, on trouve chez la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » une attention et une fascination de nature fétichiste envers l’islam et la question palestinienne.

    C’est bien entendu le reflet de la position de la contestation conçue comme révolte des « opprimés », pas comme révolution dans le cadre d’un mode de production.

    De manière remarquable, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » se place ici à la remorque de l’orientalisme bourgeois, et même plus précisément de l’orientalisme bourgeois français. On a des analyses produites concernant les pays du Proche et du Moyen Orient qui recyclent, commentent, s’appuient fondamentalement sur des auteurs universitaires occidentaux comme Olivier Roy (né en 1949), qui a été un militant de la Gauche Prolétarienne en 1968, ou bien Edward Hallett Carr (1892-1982) – un historien britannique considéré comme pro-soviétique – pour analyser et tenter de comprendre la situation de ces pays.

    On est dans une logique intellectuelle, où il s’agirait de trouver qui fait quoi, quelles alliances sont possibles, comment n’importe quelle révolte pourrait se transformer en « révolution démocratique » puis miraculeusement en « révolution socialiste », selon la théorie de la « révolution permanente ».

    Il y a une vraie fascination pour l’analyse, pour l’évaluation, pour la détermination des protagonistes, la définition de la nature d’une situation donnée, la question des alliances et de la direction du mouvement révolutionnaire (ou prétendu tel).

    D’où un suivisme systématique pour ce qui bouge. Gilets jaunes en France, printemps arabe, Hezbollah, « pauvres des grandes villes », Hamas, LGBTQI+, Talibans, tout est prétexte à un positionnement machiavélique.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » salue les énergies mobilisées, prétend apporter du soutien, arrive pour donner des bons conseils (qui sont des leçons universitaires et syndicalistes-tactiques), le tout naturellement dans le but de prendre la direction.

    Naturellement, il faut parfois prendre des gants ; il est difficile de soutenir les Talibans, par exemple, sans chercher au minimum à s’en dissocier. Mais il y a un adage trotskiste qui veut que « tout ce qui bouge est rouge » et la dissociation compte moins que le soutien. Ce dernier a une portée stratégique, la dissociation est tactique seulement.

    C’est qu’il y aurait une révolution mondiale en cours et tout ce qui s’agite y participerait. Voici un exemple de dissociation menée, dans l’article Islam político, anti-imperialismo y marxismo du 8 septembre 2009.

    « Nous n’apportons pas le moindre soutien politique aux directions qui mènent ces luttes, qui ont un caractère nationaliste bourgeois, petit-bourgeois ou populiste et qui sont étrangères aux intérêts stratégiques de la classe ouvrière, mais nous luttons pour donner au mouvement un caractère révolutionnaire. stratégie socialiste et internationaliste, unissant la lutte pour la libération nationale du l’oppression impérialiste avec la révolution sociale. »

    Comme on le voit bien, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » dissocie la substance d’un mouvement de sa direction ; c’est la conception trotskiste qui veut que tous les problèmes sont seulement des problèmes de direction.

    Il suffirait donc que les trotskistes prennent la direction des Talibans, du Hamas, du Hezbollah, et on aurait alors des organisations révolutionnaires.

    C’est totalement absurde comme conception, mais également clairement criminel. Des forces réactionnaires sont soutenues, sous prétexte que potentiellement elle participeraient à une révolution mondiale hypothétique.

    C’est exactement pour cela que le trotskisme a été rejeté du bolchevisme et que Staline a fort justement combattu les positions de Léon Trotski. Les trotskistes, sous un masque ultra-révolutionnaire, cautionnent et soutiennent des tendances contre-révolutionnaires.

    Donnons un exemple concret de ce suivisme cautionnant et soutenant des forces contre-révolutionnaires, car c’est une lourde accusation. Le même document mentionné plus haut explique la chose suivante au sujet de l’Islam.

    « La montée des mouvements islamistes radicaux, devenus une expression déformée des processus de radicalisation de la région, ne s’explique pas seulement par les traditions locales, mais fondamentalement par le déclin de la classe ouvrière mondiale au cours des dernières décennies, qui a empêché ses secteurs d’avant-garde de se développer, tant dans les pays centraux que dans le monde semi-colonial, de présenter une alternative aux peuples opprimé par l’impérialisme. (…)

    Les idéologies, y compris religieuses, ont un développement relativement autonome, mais ne peuvent rendre leur existence absolument indépendante de la réalité matérielle dans laquelle elles naissent et agissent, c’est-à-dire les rapports sociaux, les intérêts de classe ou les secteurs de classe qu’ils défendent principalement, le rapport avec les classes exploiteuses nationales ou régionales et le rapport avec l’impérialisme. (…)

    Parce que la religion n’est rien d’autre que la vision inversée de la société et naît des relations sociales matérielles, la lutte contre la religion ne peut pas être un combat idéologique et abstrait, mais plutôt il faut lier cette lutte à l’activité pratique concrète du mouvement de classe, ce qui tend à éliminer les racines sociales de la religion. »

    Il y a des vérités dans ce qui est dit ici. Cependant, il y a une escroquerie qui assimile Islam et islamisme, religion et mouvement politico-religieux.

    Ce qui fait qu’au lieu de dire que la religion exprime de manière déformée le besoin de communisme à l’échelle du temps, la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » dit que la religion agit dans l’espace comme mouvement révolutionnaire qui ne sait pas qu’il en est un.

    Dit plus simplement : la religion est une sorte de romantisme employée par l’humanité depuis sa sortie de la Nature, et avant son retour en elle comme animal social.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » dit le contraire : la religion serait une forme primitive de socialisme de l’être humain comme animal social.

    Ainsi, la religion est avant tout, voire seulement une idéologie populiste bourgeoise, ou petite-bourgeoise, qui avance lorsque la classe ouvrière « mondiale » est faible.

    La religion reculerait mécaniquement, par conséquent, lorsque la classe ouvrière se renforce. Pour la question de l’Islam, il n’existerait donc ni culture nationale, ni féodalisme ; l’Islam flotte ici comme idéologie contestataire voire révolutionnaire.

    Non seulement c’est faux, mais en plus anti-populaire, car c’est penser au bout du compte que ce sont les idées, et non les masses dans un mouvement différencié, qui font l’Histoire.

    On touche ici la question essentielle, celle qui justifie de critiquer la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », au-delà de toute autre considération. Ce ne sont pas les masses qui sont considérées comme les protagonistes de l’Histoire.

    Ce sont les directions des mouvements de masse qui sont considérées comme écrivant possiblement une Histoire meilleure. Ce qui est naturellement tout à fait différent, et même une conception opposée.

    Pour Mao Zedong, « le peuple, le peuple seul, est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle ». C’est tout à fait juste.

    Pour la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) », l’Histoire est en suspension depuis 1917 et il faudrait qu’une minorité prenne les commandes pour accompagner la révolution mondiale.

    Elle a ainsi doublement tort. Elle entend diriger, là où il faut accompagner. Elle entend accompagner, là où il faut diriger.

    Car il n’y a pas de révolution mondiale en suspension ; pour qu’il y ait la révolution, il faut un Parti avec une politique révolutionnaire, qui oriente les masses dans un rapport dialectique avec elle.

    Il ne faut pas s’approprier les mouvement de masse, comme veut le faire la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ». C’est du machiavélisme, qui n’a pas de sens. Il faut au contraire apporter des idées, de la culture, des conceptions aux mouvements de masses.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » le fait-elle ? Pas du tout. Il suffit de lire les communiqués sur les luttes pour voir qu’il n’y a strictement aucun contenu idéologique ou politique.

    On chercherait en vain des concepts relevant du marxisme ou bien des appels à la nécessité de l’insurrection, du soulèvement, de la révolution.

    La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est purement réformiste, malgré son discours « ultra ».

    Quel est le rôle du Parti alors, s’agit-il de seulement apporter du contenu aux mouvements de masse ? Non, il s’agit de diriger le processus révolutionnaire, une fois qu’un rapport dialectique a été réalisé avec les masses, une fois que les masses sont acquises à sa vision du monde.

    Il faut bien dire : sa vision du monde. Pas des idées abstraites sur l’injustice, l’oppression, le patronat, etc.

    Naturellement, toutes les masses n’auront pas le même niveau d’acquisition de la vision communiste du monde portée par le Parti. C’est ce qu’on appelle le développement inégal. Néanmoins, il y a une tendance générale, tout cela relevant de phases historiques bien déterminées qu’on ne peut en aucun cas forcer.

    Le « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » se donne justement une image « ultra » en prétendant accélérer l’Histoire.

    C’est à la fois idéaliste et prétentieux, et surtout très vain. On ne peut jamais forcer l’Histoire, car elle correspond à des transformations internes exigeant un certain niveau de maturité.

    Il faut conclure en soulignant la dimension profondément perverse de la démarche de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    De par sa forme, elle se contorsionne en permanence pour échapper à toute critique. Sa base petite-bourgeoise lui permet de ne jamais rien vraiment assumer, au fond.

    Il ne faut pas considérer en effet qu’on puisse critiquer la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » pour son soutien aux Talibans, par exemple. Ce soutien est présenté comme indirect d’une part, et il n’est jamais systématique, d’autre part.

    Le mot contorsion est vraiment le bon, dans ce cadre. La « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » tire ainsi en 2025 à boulets rouge sur la Ligue internationale des travailleurs – Quatrième Internationale, une concurrente restée « moréniste », pour son soutien à la « révolution démocratique et populaire » en Syrie.

    Alors qu’en toute bonne logique, elle-même aurait dû dire la même chose. En 2008, elle dénonce avec ardeur la Ligue Communiste Révolutionnaire pour s’être transformé en France en 2009 en Nouveau Parti Anticapitaliste. Alors qu’elle-même a exactement le même but de former un parti de masse avec un arrière-plan trotskiste !

    Et pour renforcer la contorsion, les tenants français de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » étaient eux-mêmes partie prenante dans le Nouveau Parti Anticapitaliste.

    Ces contorsions permettent justement à la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » de proposer sa démarche comme produit d’exportation dans le capitalisme mondialisé. C’est de l’actionnisme servile résumant la révolution à des revendications ; c’est une démarche pragmatique – machiavélique mêlant suivisme et « évaluationnisme », afin de s’approprier les directions des mouvements.

    C’est fondamentalement opposé au matérialisme historique et à la reconnaissance de la dignité du réel ; c’est étranger au matérialisme dialectique. ■

    ANNEXES

    L’annexe A consiste en des extraits d’une polémique en Argentine entre le PTS et le Partido Obrero au sujet de la notion de crise.

    Le Partido Obrero considère que le PTS se cache derrière une posture passive en raison d’une lecture où le capitalisme est en faillite constante sans jamais réellement péricliter. Le PTS lui répond qu’il faut accompagner les contestations nouvelles en prévision d’une modification générale ; le Partido Obrero répond que c’est une utilisation du concept de « crise organique » développé par Antonio Gramsci pour évacuer la question de la crise comme basculement.

    Cela n’a pas l’air fascinant dit ainsi, mais ce sont des documents très intéressants à lire.

    L’annexe B concerne la France ; c’est l’annonce par le groupe CRI (Communiste Révolutionnaire Internationaliste) de sa dissolution en 2009, afin de rejoindre le Nouveau Parti Anticapitaliste. Le groupe CRI était déjà membre sympathisant de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » en 2008.

    Le groupe CRI a participé en février 2009 à la mise une place d’une tendance dans le Nouveau Parti Anticapitaliste, nommée « Claire » (pour Communisme, lutte auto-organisée, internationaliste et révolutionnaire). Les soutiens à la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » ont ensuite, en février 2011, formé leur propre tendance, CCR (pour Courant communiste révolutionnaire).

    Cette dernière s’est fait exclure en 2021 lorsqu’elle a tenté de forcer la candidature à la présidentielle d’un de ses membres. Elle a alors été obligé de prendre son indépendance avec alors 296 militants, sous le nom de « Révolution permanente ».

    L’annexe C est justement une motion du Courant Communiste Révolutionnaire en 2019 lors d’une réunion de direction du Nouveau Parti Anticapitaliste. Il est appelé à un parti « pas comme les autres », sans qu’on y trouve aucune référence idéologique révolutionnaire.

    Les documents D et E sont très utiles, dans le sens où ils expliquent beaucoup de choses. On a tout d’abord le sommaire de l’ouvrage « Hégémonie et stratégie socialiste: Vers une radicalisation de la démocratie », écrit en 1985 par la Belge Chantal Mouffe et l’Argentin Ernesto Laclau.

    Ce dernier nom ne dira rien sans doute, mais il a grandement inspiré le mouvement espagnol Podemos. Chantal Mouffe est par contre assez célèbre chez les intellectuels de gauche, notamment parce qu’il a beaucoup été dit que c’est une grande référence pour La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

    Chantal Mouffe et Ernesto Laclau sont les théoriciens du « populisme de gauche » ; il faudrait se tourner vers les nouveau mouvements sociaux et être « post-marxiste » afin de promouvoir une sorte de super-démocratie. On aura deviné que Chantal Mouffe et Ernesto Laclau se revendiquent d’Antonio Gramsci et proposent une bataille pour « l’hégémonie » dépassant le cadre unique de la lutte des classes.

    Le dernier document est une évaluation d’Ernesto Laclau par la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » – la convergence des vues est évidente.

    ANNEXE A

    Voici des extraits significatifs de trois documents d’Argentine du milieu des années 2000, pour documentation et un éventuel approfondissement. Le premier document consiste en un article intitulé « PTS : anti-catastrophisme et démocratisation de la politique ». Il reflète le point de vue du Partido Obrero, un parti trotskiste appartenant à la même alliance électorale que le PTS. Le deuxième document est la réponse reflétant le point de vue du PTS : « Une discussion sur l’internationalisme en relation avec une critique du Parti des travailleurs ». Le troisième document est la réponse à la réponse, avec l’article « La gauche face à la crise mondiale ».

    Critique du PTS par le Partido Obrero

    « La Conférence de l’organisation internationale qui comprend le PTS s’est tenue à Buenos Aires du 10 au 17 août [2016].

    Sur son site Internet, Izquierda Diario résume la caractérisation de la situation mondiale qui a présidé aux délibérations de ce mouvement (…).

    Pour le PTS et son courant, la crise capitaliste mondiale se réduit à une « crise économique » et à une augmentation de la « polarisation sociale », des affirmations qui ne dépassent pas les lieux communs (…).

    Le mouvement international PTS se revendique « anticatastrophiste » et dénonce comme dogmatiques ceux qui soutiennent que nous faisons face à une faillite qui s’inscrit dans une étape historique de déclin du capitalisme, et qui identifient la crise actuelle comme des étapes d’une tendance vers la effondrement de ces relations sociales (…).

    Disposant d’une littérature socialiste si abondante à disposition, le PTS collecte et privilégie les catégories de Gramsci, revendiquées par un très large éventail de courants de toutes sortes : autonomistes, démocrates, réformistes et staliniens.

    Le concept de « crise organique » inventé par Gramsci est opposé au « catastrophisme » sous prétexte que la crise ne saurait être réduite à un facteur économique.

    Mais s’il n’y a pas de tendance à l’effondrement des rapports de production dominants, la perspective révolutionnaire devient une aspiration morale ou une utopie.

    Comme d’autres, Gramsci a souligné la prééminence de la superstructure politique et du « sujet » en rejetant la tendance à l’effondrement.

    Mais la subjectivité révolutionnaire est la compréhension profonde de ces tendances dissolvantes, en termes de programme et d’action politique (…).

    Un mois avant cet événement, s’était tenue à Montevideo la Conférence latino-américaine du mouvement ouvrier et de la gauche, convoquée par le Parti des travailleurs d’Uruguay et le Partido Obrero [d’Argentine].

    Les conclusions politiques, qui se reflètent dans les thèses que nous avons approuvées, vont dans une autre direction.

    Elles soulignent la centralité de la faillite capitaliste et exposent ses conséquences dans le monde et particulièrement en Amérique latine, dont les structures économiques, sociales et politiques ont été ébranlées jusqu’à leurs fondements, ce qui est à la racine de l’effondrement des régimes nationalistes et de centre-gauche de la région.

    De cette caractérisation surgissent les grands défis auxquels est confrontée la gauche révolutionnaire, qui doit lutter pour que la classe ouvrière obtienne son indépendance politique et devienne une puissance alternative. Une démarcation implacable avec le nationalisme bourgeois et les partis patronaux. »

    Réponse du PTS au Partido Obrero

    « Ces jours-ci, une note signée par Pablo Heller [qui dirige le Partido Obrero] est parue dans Prensa Obrera, dans laquelle il critique certaines définitions de la situation internationale discutées lors du Xe Congrès de la FT, en particulier l’utilisation de la catégorie de « crise organique » d’A. Gramsci.

    Heller nous accuse de superficialité dans notre analyse, mais tout ce qu’il a à offrir est une reprise de l’analyse catastrophique classique de l’OP : puisqu’il y a « faillite permanente », la « question du pouvoir » se pose (où ? partout dans le monde ?) (…)

    À moins que PO n’ait expulsé Gramsci de la tradition de la Troisième Internationale, les 32 Cahiers de Prison font partie de la « littérature socialiste abondante », comme le font les travaux de Rosa Luxemburg et d’autres marxistes révolutionnaires dont nous avons l’immense chance d’avoir à notre disposition, et nous serions bien stupides si nous ne l’utilisions pas pour réfléchir à la situation actuelle et à notre action politique (…).

    Bref, en termes historiques, comme le dirait Trotsky, la « théorie de l’effondrement » a triomphé sur celle du « développement pacifique » (1939). Mais cela n’a rien à voir avec le catastrophisme en tant que vérité messianique.

    Comme nous le savons, il existe des « équilibres instables » (Trotsky, 1921), des tendances contraires, des booms et des crises, qui, entre autres, modifient le calendrier de la politique, retardent les processus, donnent à d’autres une chance de survivre, etc. et cela est vital pour notre activité, qui n’est ni plus ni moins qu’une politique révolutionnaire.

    Au PTS et au FT, nous ne considérons pas la conception de la révolution de Gramsci, ni sa stratégie, comme supérieures à la théorie-programme de la révolution permanente.

    Mais cela ne signifie pas que dans notre conception de la révolution et notre stratégie, certaines catégories telles que « crise organique », « hégémonie », etc. n’enrichissent nos définitions et nous permettent de définir des orientations politiques audacieuses, surtout lorsque les situations ne sont pas « classiques » (…).

    Heller nous dit que nous embellissons le nouveau réformisme comme Podemos ou Syriza parce que nous ne les qualifions pas de contre-révolutionnaires ; mais de « réformistes », bien que sans poids dans le mouvement ouvrier du réformisme social-démocrate et stalinien traditionnel (…).

    Cependant, comme nous le savons déjà, il y a une petite mais grande différence entre le fascisme et le réformisme.

    Il s’agit de formations de centre-gauche, pour la plupart petites-bourgeoises, qui ont émergé comme une diversion aux mouvements de lutte comme les Indignés dans l’État espagnol.

    Ou comme de nouveaux phénomènes politiques, comme la jeunesse qui a donné la victoire à Jeremy Corbyn sur la droite blairiste au sein du Parti travailliste.

    Ou les millions de jeunes [aux États-Unis] qui ont trouvé dans la « révolution politique » de Bernie Sanders un moyen d’exprimer leur haine des partis patronaux (…).

    La tâche des révolutionnaires n’est pas de prédire des catastrophes inexorables – il existe déjà d’innombrables sectes et gourous pour cela – mais d’empêcher que le capitalisme dans sa crise ne brise les rangs de la classe ouvrière, l’unique force sociale capable de fournir une sortie progressiste, jointe avec ses alliés exploités et opprimés (les pauvres des villes et des campagnes, les femmes, les jeunes qui constituent l’essentiel du « précariat ») et préparent les conditions de la lutte offensive pour le pouvoir.

    C’est-à-dire éviter la catastrophe par la révolution prolétarienne dans certains pays qui, en raison de leur importance, pourraient changer de cap.

    Pour cela, il est nécessaire de construire des partis ouvriers révolutionnaires internationalistes qui agissent dans les organisations de masse, à travers les fractions de classe dans les syndicats, dans le mouvement des femmes, dans la jeunesse.

    Et avancer avec des bases solides et une pratique politique commune vers la construction d’une organisation révolutionnaire internationale, la Quatrième Internationale. »

    Contre-critique du PTS par le Partido Obrero

    « Cinatti nous accuse de « métaphysique catastrophique », mais cette accusation est valable pour le PTS. Séparées de ses fondements matériels, les perspectives de la révolution socialiste ne restent qu’une expression de souhaits, une question morale (…).

    Nous assistons à la crise la plus grave du capitalisme, plus grave que toutes les crises précédentes, y compris celle de 1929/30.

    La dette et le capital fictif sont dix fois supérieurs au PIB mondial, une équation insoutenable. L’économie mondiale est en sursis et au bord de la faillite.

    La crise a mis à mal les États et leurs banques centrales. Les sauveteurs sont ceux qui doivent être secourus. Neuf ans après la faillite de Lehman Brothers, les munitions pour contrer la crise sont épuisées (…).

    Le Partido Obrero ne parle pas de l’existence d’une absurde « faillite permanente », d’un état qui resterait inchangé au fil des décennies.

    C’est une invention du PTS, l’invention personnelle de Cinattti.

    Il ne vient même pas à l’idée de l’auteur que la « faillite permanente » serait le contraire du catastrophisme, car une maladie qui dure indéfiniment cesse d’être terminale et devient chronique.

    Cette vision se rapproche à la caractérisation de la situation mondiale par le PTS, mais pas à celle du Partido Obrero (…). Cinatti, comme ses prédécesseurs, oppose le catastrophisme à la notion d’« équilibre instable ».

    La subjectivité révolutionnaire est la compréhension profonde de l’effondrement capitaliste en termes de programme et d’action politique. S’il n’y avait pas de telles tendances catastrophiques, l’action des exploités se limiterait à l’impuissance, à une action donquichottesque comme celle entreprise par le personnage littéraire de Cervantès contre les moulins à vent.

    Il convient de rappeler une fois de plus qu’au milieu de cet effondrement politique et théorique, l’histoire est faite par les hommes, mais ils ne la font pas arbitrairement, mais en fonction et à la lumière des conditions matérielles qui les entourent.

    Il ne nous échappe pas que la faillite coexiste avec un énorme retard subjectif, que, parallèlement à une crise capitaliste sans précédent, nous assistons à un manque de réponse d’ampleur historique équivalente de la part du prolétariat.

    Dans le camp de la gauche mondiale, la faillite du capitalisme a renforcé les tendances démocratisantes et la collaboration avec l’impérialisme « démocratique ». La gauche a justifié cette adaptation en soulignant que « les raisins sont aigres ».

    Au lieu de s’attaquer aux défis de la période, elles se concentrent sur les conditions objectives et sur la capacité du capital à neutraliser la crise.

    Cinatti assimile le catastrophisme à l’approche de [Nahuel] Moreno, qui proclamait l’existence d’une situation révolutionnaire qui continue indéfiniment, ce qui est curieux car c’est le PO qui a publié une longue série d’articles critiquant la puérilité d’une telle thèse et niant l’existence d’une situation révolutionnaire en Argentine, qui était alors soutenu par le MAS, alors qu’il comprenait les dirigeants actuels du PTS.

    Celui qui doit régler ses comptes avec l’héritage de Moreno n’est pas le PO mais le PTS, qui continue aujourd’hui à boiter sur le même chemin que son maître, caractérisé par la mise en place d’une politique démocratisante tributaire du nationalisme bourgeois (…).

    L’utilisation d’Antonio Gramsci par le PTS est fonctionnelle à sa négation de l’ampleur catastrophique de la crise capitaliste (…).

    Bien que Gramsci n’ait jamais nié que la base économique gouverne en définitive le métabolisme social et les processus politiques, ses réflexions vont dans la direction opposée, mettant l’accent unilatéralement sur la superstructure politique.

    Contrairement au soi-disant « modèle oriental » (qui inclut la révolution russe) dans lequel tout serait concentré sur le pouvoir coercitif de l’État, les démocraties occidentales auraient réussi à ériger de nouveaux bastions (les institutions de la société civile) et, par ce moyen, gagner le consentement populaire et contrecarrer les tendances à la révolution sociale (…).

    Les notions théoriques du marxiste italien, ses incohérences, ses formules vagues et contradictoires, sa confusion, ont pour facteur atténuant – comme l’ont interprété certains auteurs – son emprisonnement, mais dans le cas du PTS il s’agit de toute une définition stratégique.

    La raison en est simple : le privilège accordé aux catégories de Gramsci – avec cet accent unilatéral mis sur la politique superstructurelle – est fonctionnel à son « anti-catastrophisme » (…).

    La fin de la réponse de Cinatti est incontournable. Ce qu’elle présente comme l’avancée principale est l’aveu d’une faillite politique.

    Leur transition de la « propagande internationaliste » à l’« internationalisme pratique » qu’ils prônent aujourd’hui consiste à prolonger l’expérience de La Izquierda Diario, une politique superstructurelle et délavée.

    [Il est ici parlé du site internet servant de plate-forme commune aux membres de la « Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale ».

    Elle donne accès à quinze journaux en sept langues (espagnol, anglais, portugais, français, allemand, italien et catalan).

    Les organisations concernées sont :  le Parti des Travailleurs Socialistes en Argentine, le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs au Brésil, le Parti des Travailleurs Révolutionnaires au Chili, le Mouvement des Travailleurs Socialistes au Mexique, la Ligue Ouvrière Révolutionnaire en Bolivie, le Courant Révolutionnaire des Travailleurs dans l’Etat Espagnol, Révolution Permanente en France, l’Organisation Révolutionnaire Internationaliste en Allemagne, LeftVoice aux Etats-Unis, la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme au Vénézuela, le Courant des Travailleurs Socialistes en Uruguay.]

    Au lieu d’un média qui se ferait le porte-parole d’une stratégie définie, le PTS propose de le remplacer par un « portail d’information » centriste, sans frontières politiques définies, dans lequel une multitude de positions différentes et contradictoires pourraient être accueillies.

    D’une telle orientation ne peut émerger un pôle révolutionnaire qui transformerait la classe ouvrière en un pouvoir alternatif.

    Cette perspective est le grand défi qui nous attend face à la faillite capitaliste qui en est à sa dixième année et dont les prémisses se sont aggravées et sont le moteur de grands bouleversements politiques, nationaux et internationaux, ainsi que le terreau fertile pour la création de situations révolutionnaires.

    La perspective générale du socialisme est la crise globale du capitalisme, car si un système social ne fonctionne pas, il est évident que toute l’humanité commence à faire pression, en fonction de la clarté dont elle dispose, pour un changement de système.

    C’est toute la portée de la question de la crise, point de départ incontournable pour l’élaboration d’une stratégie révolutionnaire. »

    ANNEXE B

    Le groupe français « CRI » s’est dissous dans le NPA pour participer à une tendance, pour ensuite quitter cette tendance pour en former une autre de manière indépendante, et finalement quitter le NPA en tant qu’organisation indépendante.

    Dissolution du Groupe CRI et appel à rejoindre la Tendance CLAIRE du NPA

    (résolution de l’AG nationale des militants CRI, réunie le 13 février 2009)

    Après six ans d’existence comme groupe indépendant et un an de participation au processus NPA, le Groupe CRI décide de se dissoudre en tant que tel et de confirmer la participation désormais exclusive de ses militants à la construction du NPA et, avec d’autres militants (venus de la LCR ou membres d’aucune organisation avant le NPA), au développement de la Tendance CLAIRE (pour le Communisme, la Lutte Auto-organisée, Internationaliste et RévolutionnairE) du NPA.

    Depuis sa fondation, le Groupe CRI s’est efforcé, à sa petite échelle, de développer une orientation clairement communiste et révolutionnaire, alternative à celle des « grosses » organisations centristes. Il a produit des analyses et élaborations trotskystes et avancé des propositions politiques concrètes, centrées notamment sur la perspective du gouvernement des travailleurs et sur le combat pour la grève générale, combinant la lutte pour l’auto-organisation et l’appel au front unique ouvrier.

    Il est intervenu dans la lutte de classe au moyen de son journal, Le CRI des travailleurs, de ses nombreux tracts, de l’activité syndicale de ses militants, de leur participation au CILCA (Comité pour un courant intersyndical lutte de classe antibureaucratique), aux Forums du syndicalisme de classe et de masse, etc.

    Enfin, le Groupe CRI a multiplié, notamment pendant les premières années de son existence, les propositions de rapprochements et de discussions avec d’autres petits groupes en France (mais il s’est heurté au sectarisme ou à la sclérose politique, à des degrés divers, de la plupart) comme au niveau international (où sa démarche, inévitablement tâtonnante au début, a fini par aboutir, en juillet 2008, à sa décision de devenir section sympathisante de la FTQI, organisation trotskyste de principe présente surtout pour le moment en Amérique latine).

    Pendant ces six années, la forme d’existence en groupe indépendant était justifiée par la nécessité de tirer les leçons de la crise ayant conduit à l’explosion de la IVe Internationale en de multiples courants centristes qui se réclamaient du trotskysme, dont notamment, en France, la LCR, la LO et le CCI du PT/POI. En effet,

    • ces organisations mettaient en œuvre, sous des formes diverses, une politique centriste à tendance de plus en plus réformiste, marquée notamment par le renoncement, assumé ou non, au programme de la IVe Internationale, par l’opportunisme à l’égard des organisations réformistes et notamment des directions syndicales, par le refus de proposer une politique réellement indépendante, c’est-à-dire en combattant pour l’auto-organisation et le front unique ouvrier et en s’affrontant ouvertement à la politique des appareils de collaboration de classe ;
    • leur mode de fonctionnement ne laissait guère de place à la construction d’une tendance trotskyste de principe dans le cadre d’un authentique centralisme démocratique ;
    • elles restaient sclérosées dans leur comportement comme dans leur élaboration et leur politique en général, sans réel dynamisme, sans capacité à prendre leurs responsabilités dans la lutte de classe (malgré l’effondrement du stalinisme et l’impopularité d’un PS devenu parti purement bourgeois et contre-réformiste), sans l’audace nécessaire à la massification de leurs rangs malgré la remontée, limitée mais réelle, des luttes et malgré la popularité croissante de l’« extrême gauche » (depuis 1995 et surtout depuis 2002).

    Cependant, l’existence d’un petit groupe ne peut avoir de justification historique que provisoire, sous peine de se condamner à la sclérose politique ou à la dégénérescence sectaire : c’est ce que prouve l’état de la plupart des petits groupes qui, tout en ayant lutté et en luttant souvent avec courage pour essayer de maintenir une certaine continuité du trotskysme, cèdent plus ou moins fortement, après un trop grand nombre d’années d’existence, à de telles tendances.

    Or l’initiative prise par la direction de la LCR de lancer un « nouveau parti anticapitaliste », « une nouvelle force politique qui renoue avec les meilleures traditions du mouvement ouvrier », notamment par le regroupement de « tous les anticapitalistes et révolutionnaires », créait une situation nouvelle dans le mouvement ouvrier aujourd’hui en crise.

    Refuser de s’engager dans ce processus sous prétexte des risques que cela comportait aurait été un acte de sectarisme sclérosé, un manque d’audace contraire aux intérêts objectifs de notre classe — même si l’orientation et la méthode de la direction de la LCR, hégémonique dans ce processus, sont dominées par la volonté d’abandonner purement et simplement toute référence au trotskysme (confirmant mieux que toutes nos propres analyses son révisionnisme de longue date !).

    L’afflux, en une seule année, de 6 000 militants en plus des 3 000 de la LCR, confirme qu’une couche significative des militants, des travailleurs et des jeunes cherchent un nouvel instrument pour lutter contre le capitalisme.

    D’ailleurs, cet afflux aurait pu être bien plus important si la direction de la LCR n’avait décidé de baisser le plus possible le niveau politique des discussions, sous prétexte de ne pas effrayer les nouveaux arrivants, en fait pour tenter de justifier son propres renoncement à les convaincre du programme communiste révolutionnaire.

    Enfin, la dynamique même du NPA, encore limitée mais réelle, devrait le faire échapper normalement au contrôle de la seule ex-LCR, comme elle l’affirme d’ailleurs elle-même, au profit du foisonnement de discussions et de propositions qui caractérise la réalité vivante d’un parti neuf rassemblant des milliers de militants d’origines diverses et intervenant dans les luttes, a fortiori en une période de crise qui va amplifier et durcir la lutte des classes.

    C’est la raison pour laquelle, tout en continuant à défendre nos idées et notamment notre critique la direction de la LCR, nous avons été les premiers à répondre à son appel pour un NPA, dès juillet 2007. Nous avons alors rédigé plusieurs contributions sur le contenu et la forme que le NPA devrait adopter pour être le plus utile à la lutte des classe des travailleurs et de la jeunesse.

    Malheureusement, la direction de la LCR n’a jamais accepté de nous rencontrer et de discuter, malgré nos nombreux courriels et coups de téléphone, et elle a été jusqu’à attaquer à plusieurs reprises le Groupe CRI (calomnies, exclusions de militants, refus de publier nos textes, auxquels s’ajoutent les graves entorses à la démocratie qui ont marqué le congrès de fondation du NPA).

    Malgré cela, nous confirmons notre décision de faire tous nos efforts, avec tous les militants de l’ex-LCR, des autres groupes parties prenantes et de tous les nouveaux militants, pour participer activement à la construction du NPA comme parti anticapitaliste en principe pluraliste et démocratique, dans le cadre des principes fondateurs et des statuts provisoires adoptés par son congrès de fondation.

    En ce qui concerne l’activité politique quotidienne, nous diffuserons la presse et les tracts du NPA et nous battrons pour y faire adhérer le maximum de travailleurs et de jeunes. En même temps, nous continuerons, avec les autres

    camarades de la Tendance CLAIRE du NPA, de défendre nos idées et nos propositions — incluant la critique constructive, mais sans concessions, des orientations majoritaires dès que ce sera nécessaire —, aussi bien dans nos comités qu’à travers les publications propres de la Tendance (site Internet, contributions à la discussion et à l’action du NPA, bulletins d’analyse et de débat…).

    De plus, les militants de l’ex-Groupe CRI s’efforceront de gagner progressivement les autres militants de la Tendance à ce qu’ils considèrent, sous bénéfice d’inventaire, comme leurs acquis propres, tout en rouvrant les discussions nécessaires pour bénéficier des apports de ces camarades dont le parcours a été différent, afin de progresser désormais ensemble. 

    Ils leur proposent notamment :

    • l’élaboration d’une proposition de programme révolutionnaire global que la Tendance pourrait défendre pour le NPA d’ici au prochain congrès ; le vieux « Projet de programme CRI », base du Groupe CRI au moment de sa création, peut être considéré comme une première contribution en ce sens, malgré ses limites évidentes ;
    • la relecture collective, selon les besoins de l’actualité ou de la formation des militants, des principaux articles non circonstanciels parus dans Le CRI des travailleurs, qui pourront ainsi nourrir, parmi d’autres sources, les discussions et élaborations de la Tendance CLAIRE du NPA ;
    • l’ouverture de discussions sur et avec la FTQI, dans l’objectif que la Tendance CLAIRE noue des liens — à définir — avec cette organisation internationale, dont les militants de l’ex-Groupe CRI restent des sympathisants (car des divergences demeurent).

    Enfin, les militants de l’ex-Groupe CRI considèrent que la Tendance CLAIRE n’est elle-même qu’une première étape vers un regroupement plus large des militants communistes révolutionnaires du NPA, parti pluraliste qui ne pourra se construire que par la confrontation démocratique entre les orientations proposées, donc par l’identification claire des tendances qui y existent aujourd’hui de façon souterraine — la Tendance CLAIRE étant la seule à avoir assumé de se présenter comme telle avant et pendant le congrès.

    De ce point de vue, l’un des objectifs prioritaires immédiats est la conquête d’une démocratie complète dans le NPA, en particulier du droit de tendance pour toutes les sensibilités du NPA.

    Et l’objectif ultime est que le NPA devienne, à force de discussions collectives, de confrontations entre les lignes et d’interventions dans la lutte des classes, le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière a besoin pour surmonter définitivement la crise du mouvement ouvrier, pour aller jusqu’au bout du processus à peine entamé de sa reconstruction.

    ANNEXE C

    Le Courant Communiste Révolutionnaire a proposé en septembre 2019 une motion à la réunion de direction du Nouveau Parti Anticapitaliste. Elle n’a pas été adoptée. On notera l’absence d’absolument toute référence idéologique révolutionnaire.

    À dix ans de la fondation du NPA, lancer le pari d’un grand parti révolutionnaire

    Motion du Courant Communiste Revolutionnaire

    A dix ans de la fondation du NPA et au cœur de la situation ouverte par les gilets jaunes, lancer le pari d’un grand parti révolutionnaire

    Il y a un peu plus de dix ans nous nous engagions dans la création d’un nouveau parti anticapitaliste en France.

    Que l’on partage ou non le même bilan de ces dix ans, deux choses sont incontestables, l’échec du projet initial du NPA et le fait que la situation actuelle ressemble assez peu aux coordonnées de 2008-2009.

    L’effondrement de la gauche sociale-libérale et plus en général la crise des grands partis institutionnels qui étaient des piliers du régime, l’importante crise de représentation existant à tous les échelons et dans tous les domaines et, surtout, la nouvelle étape de la lutte de classes ouverte par le mouvement des gilets jaunes posent la question du parti à construire dans d’autres termes.

    Lorsque des secteurs de masse d’un mouvement totalement spontané et avec beaucoup d’éléments de confusion scandent dans la rue le mot « révolution », c’est que quelque chose de profond est en train de se passer.

    Ce quelque chose dépasse le seul mouvement des gilets jaunes, comme on le voit à travers la radicalité exprimée par la grève de la RATP, qui a réhabilité en l’espace d’une journée la méthode de la grève qui n’avait pas très bonne presse ces derniers temps, tant elle avait été dévaluée par les grèves perdantes et sans perspective dirigées par les bureaucraties syndicales.

    Dans ce contexte, la faiblesse de l’extrême-gauche qui, toutes composantes confondues, a été dans l’incapacité de jouer un rôle qualitatif vis-à-vis du mouvement des gilets jaunes, est un très lourd handicap car toute la radicalité qui commence à s’exprimer pourrait finir dans ce contexte par être canalisée d’une façon ou d’une autre par des projets réactionnaires.

    Le mouvement des gilets jaunes comme ses limites montrent pourtant à quel point fait défaut un parti politique ayant l’influence et la structuration suffisantes pour offrir une perspective commune à différents secteurs de la classe ouvrière, proposer un programme capable de gagner des éléments de la classe moyenne paupérisée, pousser consciemment au développement de cadres d’auto-organisation, défendre un projet de société émancipateur alternatif à la fois à l’illusion d’un retour à un « capitalisme équilibré » et au poison de l’extrême-droite qui surfe sur le désarroi et le scepticisme.

    Aucune des organisations de l’extrême-gauche ne peut résoudre seule ce problème.

    Et bien évidemment, encore moins les courants de la gauche réformiste au moment où la crise de représentation ôte d’emblée leur crédibilité aux tentatives de regroupement institutionnelles du type « Big Bang de la gauche ».

    Dans cette situation, le NPA doit prendre ses responsabilités et lancer la proposition d’un grand parti révolutionnaire regroupant des militants et courants de traditions et milieux différents à commencer par les organisations d’extrême-gauche telles que le NPA et LO, mais aussi des secteurs de l’avant-garde qui a émergé depuis 2016, au sein du mouvement ouvrier comme dans une frange de la jeunesse, dans des collectifs tels que le Comité Adama, dans une aile du mouvement des gilets jaunes, etc., qui se sentent anticapitalistes et révolutionnaires et que nous nous devons de convaincre de la nécessité de s’organiser en parti politique pour pouvoir peser sur les événements.

    Un parti « pas comme les autres », qui cherche à unifier derrière une stratégie pour gagner les différentes couches de classe ouvrière et de ses alliés, en dépassant les divisions et l’éparpillement qui ne rendent service qu’aux patrons et au gouvernement.

    Un parti qui, loin des caricatures d’un verticalisme autoritaire, cherche d’abord et avant tout à encourager et à développer les formes d’auto-organisation des masses.

    Un parti qui soit forcément anti-impérialiste et opposé à toute forme d’oppression, profondément internationaliste, et lutterait pour une révolution qui mette fin au système capitaliste pour créer une société sans classes et sans Etat.

    L’adoption d’une telle politique nous permettra d’abord de rechercher une issue par le haut à la crise du NPA, tout en nous positionnant correctement dans le débat ouvert à gauche depuis la débâcle des européennes, de même que vis-à-vis des militants d’extrême-gauche et de notre milieu.

    Si nous trouvons sur cette base des interlocuteurs pour avancer concrètement dans le sens d’un dépassement du NPA, vers un parti plus fort et plus implanté, avec un projet mieux assumé et plus adapté aux coordonnées actuelles de la lutte de classes, ce sera aussi et surtout une contribution significative au combat émancipateur porté par notre classe.

    ANNEXE D

    Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une radicalisation de la démocratie a été publié en 1985 chez Verso Books, une maison d’édition mise en place en 1970 par la revue britannique New Left Review, qui rassemble depuis 1960 la gauche intellectuelle radicale. On est dans la nouvelle gauche, qui se veut marxiste encore à l’époque et s’inspire surtout d’auteurs comme Walter Benjamin, Georg Lukács, Jean-Paul Sartre, Antonio Gramsci, Louis Althusser, etc.

    Voici la présentation par les éditions Fayard qui ont publié le livre en français, puis un extrait de la préface, et enfin le sommaire. Il est impossible de ne pas faire lien avec Chantal Mouffe et Ernesto Laclau quand on lit les positions de la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) ».

    « Nous avons compris qu’il était nécessaire de montrer que le socialisme n’impliquait pas un rejet total du modèle libéral démocratique. [Dans ce livre] nous redéfinissions le projet socialiste comme une radicalisation des principes éthico-politiques déjà inscrits dans la démocratie moderne, l’idée de liberté et d’égalité pour tous. Le projet socialiste –  compris en terme de démocratie radicale et plurielle  – ne devait pas, disions-nous, être envisagé en rupture avec les idéaux de la démocratie moderne, mais comme leur réalisation », Chantal Mouffe.

    Dès sa première publication en anglais en 1985, ce livre a suscité de nombreuses discussions et controverses, toujours pas apaisées. Penseurs à l’origine du mouvement post-marxiste, Ernesto Laclau et Chantal Mouffe y défendent une vision de l’émancipation conçue comme «  radicalisation de la démocratie ».

    L’émergence de nouvelles luttes sociales et politiques, en lien avec les transformations du capitalisme, a rendu l’approche théorique qu’ils proposent plus pertinente que jamais pour envisager un projet de gauche capable de fédérer les demandes de la classe ouvrière et celles d’autres mouvements sociaux (féministes, antiracistes, écologistes, LGBT…).

    Au moment où la crise de l’hégémonie néolibérale peut ouvrir la voie à des solutions autoritaires, ce texte fondateur fournit les bases philosophiques permettant de poser les questions politiques essentielles pour concevoir une stratégie populiste de gauche.

    L’un des principes centraux de Hegemony and Socialist Strategy est la nécessité de créer une chaîne d’équivalences entre les diverses luttes démocratiques contre différentes formes de subordination.

    Nous montrions que les luttes contre le sexisme, le racisme, la discrimination sexuelle, et pour la protection de l’environnement devaient être articulées à celles des travailleurs dans un nouveau projet hégémonique de gauche.

    Pour le dire dans une terminologie qui est récemment devenue à la mode, nous insistions sur le fait que la gauche devait saisir à bras-le-corps aussi bien les thèmes de « redistribution » que de « reconnaissance ». C’est ce que nous entendions par « démocratie radicale et plurielle ».

    Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, préface à la seconde édition anglaise, novembre 2000

    Sommaire de
    Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une radicalisation de la démocratie

    CHAPITRE PREMIER

    HÉGÉMONIE :
    LA GÉNÉALOGIE D’UN CONCEPT

    Les dilemmes de Rosa Luxembourg
    Crise, degré zéro
    La première réponse à la crise : la formation de l’orthodoxie marxiste
    La seconde réponse à la crise : le révisionnisme
    La troisième réponse à la crise : syndicalisme révolutionnaire

    CHAPITRE II

    HÉGÉMONIE : LA DIFFICILE ÉMERGENCE
    D’UNE NOUVELLE LOGIQUE POLITIQUE

    Le développement combiné et la logique du contingent
    « Alliances de classe » : entre démocratie et autoritarisme
    Le moment gramscien
    Social-démocratie : de la stagnation au « planisme »
    L’économie : dernier retranchement de l’essentialisme

    CHAPITRE III

    AU-DELÀ DE LA POSITIVITÉ DU SOCIAL :
    ANTAGONISMES ET HÉGÉMONIE

    Formation sociale et surdétermination
    Articulation et discours
    Le concept de « sujet »
    Antagonisme et objectivité
    Équivalence et différence
    Hégémonie

    CHAPITRE IV

    HÉGÉMONIE ET DÉMOCRATIE RADICALE

    La révolution démocratiques
    Révolution démocratique et nouveaux antagonismes
    L’offensive anti-démocratique
    La démocratie radicale : alternative pour une nouvelle gauche

    ANNEXE E

    On a ici le meilleur exemple de comment la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » est prise à son propre piège. Elle feint d’être ouverte et de discuter, tout en maintenant les fondamentaux. Mais sa présentation d’Ernesto Laclau, qui a l’apparence d’une dissociation, témoigne d’une réelle fascination pour qui est clairement une source d’inspiration.

    Il est simplement reproché, finalement, à Ernesto Laclau d’être allé trop loin. Intellectuel, fréquentant les milieux universitaires il a poussé sa carrière jusqu’au bout, alors que la « Fraction Trotskyste – Quatrième Internationale (FT-QI) » exprime les intérêts d’une petite-bourgeoise qui a encore besoin de la fiction d’un marxisme justement populiste.

    La conception de l’hégémonie, prise à Gramsci et imaginairement attribuée à Trotsky dans son origine, est le vecteur d’un réformisme ultra, qui joue sur les idées et les mythes politiques, pour se cantonner de manière permanente dans des revendications au présent.

    Gauche nationale, post-marxisme et populisme

    16/04/2014

    Le 13 avril, à l’âge de 78 ans, est décédé Ernesto Laclau, l’un des théoriciens politiques argentins les plus influents des dernières décennies.

    De renommée internationale, Laclau s’est distingué par sa réflexion sur la philosophie et la politique contemporaines et est devenu l’intellectuel argentin le plus remarquable, tant dans les cercles universitaires que dans les débats politiques destinés à un public progressiste et de gauche.

    En Argentine, Laclau est devenu plus connu après le soutien du philosophe aux gouvernements kirchneristes [qui appartiennent au courant péroniste].

    La longue carrière de Laclau, plus de cinq décennies, peut s’organiser autour de sa recherche pour articuler sur le plan théorique les projets politiques et théoriques successifs auxquels il a souscrit :

    de la gauche nationale [alliant nationalisme et la « révolution permanente » de Trotsky] dans les années 1960 et sa politique de soutien au péronisme,

    à une critique et un éloignement croissants du marxisme, qui ont commencé dans les années 1970 et ont conduit à la tentative de synthèse théorique du « post-marxisme » dans les années 1980 et politiquement avec la recherche d’une « démocratie radicale » dans le cadre des régimes capitalistes existants,

    pour finalement revenir à ses origines « populistes » dans la gauche nationale, en élaborant la logique d’articulation politique du « populisme » comme une théorie pour comprendre les antagonismes de l’histoire et un programme politique qui a trouvé une incarnation dans les gouvernements progressistes d’Amérique latine qu’il a soutenus (…).

    Pendant cinq ans, Laclau a fait partie des rangs de la Gauche nationale d’Abelardo Ramos et [Jorge Enea] Spilimbergo, a participé au Parti socialiste de la gauche nationale fondé en 1962 et a dirigé le journal Lucha Obrera, dans lequel il a écrit sous un pseudonyme pour protéger son activité académique.

    Le groupe Ramos était passé de son trotskisme initial au sein du groupe Octobre à une collaboration politique avec le péronisme. Le courant de la Gauche nationale, organisationnellement indépendante, tournait constamment autour du péronisme et de l’illusion d’une révolution nationale qui le condamnait à l’impuissance.

    Au début de 1968, Laclau rompt avec le parti, dénonçant cette « impuissance » et le caractère bancal de l’organisation, qu’il jugeait trop doctrinale. Il se consacra alors à une carrière universitaire et abandonna le militantisme (…).

    Avec le soutien de l’historien anglais Eric Hobsbawn, il développe sa carrière en Angleterre à partir de 1969 et participe à partir de là aux débats sur le marxisme anglo-saxon.

    De cette période se distingue la compilation d’essais Politique et idéologie dans la théorie marxiste : capitalisme, fascisme et populisme, parmi lesquels on peut observer le déplacement de son intérêt historiographique et économique initial, comme les débats sur les caractéristiques de l’économie latino-américaine contre les théories de la dépendance, ou dans le débat sur le mode de production féodal ou capitaliste avec Andrew Gunder Frank dans lequel il fera usage de certaines idées qu’il a ramenées avec lui des débats militants des années 60, et qui constituaient un marxisme obligatoire préambule pour pouvoir caractériser la dynamique de la révolution.

    Cependant, dans ses contributions aux débats sur l’État et la politique, qui ont eu un point culminant dans le débat Milliband-Poulantzas, comme les essais « La spécificité du politique » et « Vers une théorie du populisme », nous pouvons déjà lire comment Laclau évolue vers une lecture idéaliste de la politique, où sa lecture de la théorie de l’hégémonie de Gramsci fonctionnerait comme le principal véhicule vers un abandon de toute perspective matérialiste, classiste et marxiste.

    [Le débat Milliband-Poulantzas consiste en un échange, publié dans la New Left Review, entre le britannique Ralph Miliband et le Grec Nicos Poulantzas, deux éminents représentants du marxisme dans sa version universitaire.

    Ralph Miliband considérait que l’appareil d’État était composé de gens venant de la bourgeoisie, baignant dans ce milieu, tandis que Nicos Poulantzas affirmait que la question du personnel le composant était secondaire par rapport à son rôle en tant que « structure ».]

    La figure de Laclau a acquis une renommée internationale au milieu des années 1980, au plus fort de l’offensive néolibérale.

    Durant ces années, avec sa femme, la philosophe féministe belge Chantal Mouffe, il a développé une révision du marxisme qui proposait d’abandonner ce qui pour eux étaient des postulats « objectivistes » et « classistes » qui les empêchaient de penser la politique dans une période qui, pour eux, était clairement postrévolutionnaire – un produit de la fin de la montée de la lutte des classes en 1968.

    L’hégémonie idéologique du triomphalisme bourgeois dans les années Thatcher et Reagan a entraîné pour Laclau une décomposition accélérée de toutes les certitudes de la politique socialiste, un effondrement théorique appelé la « crise du marxisme » et le début de la fin de l’expérience historique de la révolution russe avec la crise qui a conduit plus tard à la chute de l’URSS.

    Dans leur livre Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une radicalisation de la démocratie il y a déjà les principales opérations théoriques par lesquelles Laclau considère que le tournant linguistique qui a eu lieu dans la philosophie du XXe siècle nous a obligés à repenser et à réviser les concepts marxistes fondamentaux.

    Le marxisme a ensuite été abandonné au profit d’une lecture s’appuyant sur la phénoménologie, la philosophie analytique, le structuralisme et le post-structuralisme.

    Laclau a lu une littérature philosophique, linguistique et psychanalytique sophistiquée, sous le signe de l’éclectisme.

    Ainsi, les principales figures de ce tournant philosophique, qui sont certainement lues comme des rivaux, comme le soi-disant « second Wittgenstein » [référence à l’évolution de la pensée du philosophe Ludwig Wittgenstein], Heidegger, Derrida et Lacan, sont prises ensemble par Laclau pour renforcer les bases d’une théorie de la politique et du discours comme constitutive du social, d’une manière opposée au marxisme, et comme alternative à ce qu’il considérait comme une absurdité métaphysique et déterministe.

    Même les versions les plus sophistiquées du marxisme althussérien et gramscien, avec lesquelles Laclau avait été formé, ont été abandonnées parce qu’elles conservaient encore un attachement aux essentialismes de l’économie et de la classe ouvrière.

    L’idée clé de cette révision était de rendre compte du développement de la théorie de l’hégémonie, qui était née au sein du marxisme, avec les débats de la Deuxième Internationale et du marxisme russe, et qui avait ses racines dans les travaux de Trotsky d’abord, puis de Gramsci plus tard, une évolution vers une réflexion sur la politique au-delà des fondements historiques et de classe.

    Une relecture qui abandonne l’articulation des aspects objectifs et subjectifs de l’histoire, comme celle tentée par Gramsci avec la théorie de l’hégémonie, ou celle développée par Trotsky avec sa théorie de la révolution permanente.

    Laclau, rompant cette relation, proposa de découvrir une nouvelle logique politique qui, poussée jusqu’à sa conclusion, impliquait que les déterminations matérielles devaient être abandonnées pour pouvoir penser les articulations discursives.

    Laclau et Mouffe ont d’abord appelé leur reconstruction théorique « post-marxisme », appellation qu’ils abandonneront plus tard, la référence au marxisme perdant alors pour eux son sens.

    L’oeuvre ultérieure de Laclau oscille entre la réponse aux critiques marxistes, comme dans le débat avec Norman Geras dans les pages de la New Left Review, ou dans des livres tels que Nouvelles réflexions sur la révolution de notre époque, avec le développement de la même perspective théorique à laquelle il est parvenu au milieu des années 1980, comme dans Émancipation et différence et d’autres ouvrages et essais.

    Plus récemment, Laclau a débattu avec Zizek, Butler, Badiou et Negri, entre autres, sur la philosophie et la politique contemporaines, s’éloignant presque toujours des coquetteries radicales, anticapitalistes ou antisystémiques de ces derniers.

    Annoncé par la maison d’édition Verso pour le mois de mai de cette année, Les fondements rhétoriques de la société sera son dernier livre préparé de son vivant, une compilation d’essais où la continuité théorique d’un mélange de phénoménologie, de post-structuralisme, de philosophie analytique et de rhétorique, au service de la compréhension des antagonismes politiques à travers l’absence délibérée d’une analyse économique et sociale matérialiste.

    En 2005, Laclau, de par l’intensité de la politique latino-américaine alors, revient au sujet du populisme et écrit La raison populiste.

    Il y a construit une théorie formelle de la logique politique du populisme, qu’il considérait comme un « concept neutre » selon ses propres termes.

    Laclau théorise comment la « logique politique » inscrite dans les phénomènes populistes rend compte de la constitution du politique en tant que tel et constitue également le pari politique pour lequel lutter pour aujourd’hui : « La vérité est que ma notion du peuple et la conception marxiste classique de la lutte des classes sont deux manières différentes de concevoir la construction des identités sociales, de sorte que si l’une d’elles est correcte, l’autre doit être écartée, ou plutôt réabsorbée et redéfinie en termes de vision alternative. »

    Le concept de populisme de Laclau a les vertus que peut avoir un concept « fourre-tout », son formalisme déhistoricisé lui permet d’utiliser le maillage théorique du populisme pour l’appliquer aux phénomènes politiques les plus variés, à condition qu’il y ait une interpellation de ceux-ci pour la politique.

    Peu importe qu’il ait eu une base paysanne comme le populisme russe, une base petite-bourgeoise comme le fascisme italien, une base laborieuse comme le péronisme, ou qu’il soit basé sur les pauvres et l’appareil militaire comme le chavisme actuel.

    Laclau avait évidemment une préférence pour les populismes nationaux et populaires ou progressistes, mais il croit être arrivé à une théorie qui lui permettait également d’expliquer les phénomènes de droite en Europe, comme Marine Le Pen et d’autres phénomènes conservateurs et anti-droite. immigré et xénophobe. Ce à quoi il s’est opposé par le soutien aux projets réformistes de Die Linke [en Allemagne], de Syriza [en Grèce] ou du Front de Gauche [en France].

    Sa quête d’une radicalisation de la démocratie se poursuit ensuite, mais Laclau considère désormais que la seule forme de démocratie dans laquelle il y a une participation de masse est le populisme.

    Pour lui, en Amérique latine, les régimes libéraux ont été historiquement réfractaires à la démocratie politique, et l’insertion des masses dans la politique a été réalisée par les « populismes » de Vargas, de Perón et du MNR bolivien.

    Dans l’histoire latino-américaine de Laclau, il n’y avait pas de place pour l’action autonome des masses, qui devait être prise en compte par un leader afin de donner lieu à la construction d’identités populaires (…).

    En fin de compte, plus Laclau revenait à la politique concrète, plus les limites politiques qu’une inflation de sophistication théorique ne pouvait surmonter devenaient apparentes. La recherche d’un sujet populaire dissocié des contradictions de classe devint une entreprise « impossible ».

  • Le matérialisme dialectique et la multiplication par 0 et 1

    Le grand Staline –
    lumière du Communisme !

    La multiplication indique le nombre de fois qu’une chose existe, pour ainsi dire. Poser 2 x 3, c’est dire qu’il y a deux fois « 3 », ou bien, dialectiquement, trois fois « 2 ».

    De manière spécifique, quand on multiplie par zéro, on obtient zéro. Cela semble cohérent, car s’il y a zéro fois quelque chose, on ne retrouve pas cette chose.

    En réalité, il y a ici une contradiction. Mais pour la comprendre, il faut constater autre chose : ce qu’est la multiplication par 1.

    Prenons 15 x 1. On a : 15 x 1 = 15.

    Ce qu’il faut voir, c’est qu’on a quinze fois « 1 », ou bien une fois « 15 « . Néanmoins, comme le résultat est « 15 », on va considérer qu’on a une fois « 15 ».

    Quel est le rapport avec la question du zéro ? Il y a en fait beaucoup d’aspects.

    Si on dit que la multiplication est une constatation, alors 15 x 1 = 15 confirme l’identité, le fait que 15 est 15. 15 x 0 = 0 est une négation : il n’y a pas 15.

    Si on dit que la multiplication est une action ou plus exactement un processus, alors il n’y a rien et 15 x 1 = 15 pose l’existence (nouvelle) de 15, ou si l’on veut une production. 15 x 0 = 0 est une négation, mais cette fois ce n’est pas « il n’y a pas 15 », mais « il n’y a plus 15 ». C’est une destruction.

    Procédons au reversement, avec 1 x 15 = 15 et 0 x 15 = 0. Ici, on a une absorption et un effacement. En effet, 1 absorbe 15 et devient 15. 0 absorbe 15, mais reste 0.

    Mais 0 qui reste 0 n’est pas possible.

    On arguera qu’une multiplication n’est pas une addition. 0 + 1 = 1 car on ajoute quelque chose à rien, mais le rien multiplié par le rien donne le rien.

    Cependant, 15 n’est pas rien et si on le relie à 0, le fait qu’il n’y ait rien annule 15, nie 15… Tout en l’absorbant. C’est bien que 0 est en réalité l’infini. 15 revient, retourne à l’infini dans 0 x 15.

    Le pendant dialectique de l’absorption et de l’effacement, c’est le particulier et l’universel. 1 x 15 = 15, c’est poser 15 comme particulier ; 15 existe comme unique, comme particulier.

    0 x 15 = 0, c’est affirmer l’universel, par opposition au particulier. Cet aspect rejoint l’identité et la négation, comme l’absorption et l’effacement rejoignent la production et la destruction.

    Ces quatre aspects soulignent un rapport dialectique entre la multiplication par 0 et la multiplication par 1. Cela rejoint la question du 0 comme infini, où le 1 relève de l’identité. Le 0 est la mort, mais le mouvement, l’infini ; le 1 est l’existence, mais isolée et statique, et partant de là relative.

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