Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le cosmopolitisme d’Ariel, une œuvre d’érudit

    Pour bien comprendre comment Ariel est le produit d’une construction idéologique, regardons à qui José Enrique Rodó fait référence. C’est qu’il serait totalement erroné de s’imaginer qu’Ariel est une œuvre à portée politique, dénonçant frontalement les États-Unis.

    Ce n’est pas du tout le cas. Ariel est une œuvre d’esthète intellectuel, fourmillant de références artistiques-littéraires, morales-philosophiques, spirituelles-politiques, éducatives-poétiques.

    C’est donc une œuvre très bien écrite, avec des envolées lyriques (savamment orchestrées bien que souvent pompeuses et parfois sans fin), qui puise très largement dans le style émotif et plein d’envergure humaine du romantisme allemand dans sa démarche.

    Toutefois, et là on sort totalement du cadre du romantisme allemand bourgeois pour rejoindre le style aristocratique espagnol, cette démarche s’accompagne d’un élitisme brutal, affirmé de manière triomphale.

    Cet aspect l’emporte dans l’écriture, dans la mesure où on retrouve un foisonnement de références, un choix pleinement assumé par José Enrique Rodó qui justifie la moindre idée exposée en s’appuyant sur un auteur bien précis.

    Cela ne veut pas dire qu’il explicite le propos pour autant. Lorsque José Enrique Rodó mentionne des auteurs, il le fait en passant, pour illustrer un argument ou faire référence à un aspect qu’il souligne.

    Il s’attend à ce que le lecteur sache de quoi il parle, ou dispose au moins de suffisamment de connaissances à ce sujet pour ne pas perdre le fil.

    Cela rend la lecture très difficile. Pour parvenir à suivre José Enrique Rodó, il faut être un lettré en général, et au courant de toute la scène intellectuelle française des quarante dernières années en particulier.

    Car pour se justifier intellectuellement, José Enrique Rodó fait appel en masse à la pensée bourgeoise française dominante de la fin du 19e siècle : celle du psychologisme, du naturalisme, de la sociologie, de l’esprit fin de siècle, du décadentisme.

    Tout cela fait beaucoup. Ariel a pourtant une œuvre très bien comprise, car José Enrique Rodó s’adresse à des équivalents de lui-même, à savoir l’élite des criollos, celle qui voyage en Europe durant sa jeunesse, qui parle plusieurs langues, est hautement éduquée et maniérée, tout à fait au courant des nouveautés littéraires et intellectuelles.

    Et l’impact immédiat du livre à travers tous les pays latino-américains montre bien que le public trouvé consiste en une couche parasitaire cosmopolite flottant au-dessus des sociétés concernées.

    Voici les auteurs mentionnés dans Ariel, qui pour la plupart relèvent de la seconde partie du 19e siècle. On trouve :

    – le philosophe de l’antiquité grecque à la base de la tradition de l’idéalisme, Platon ;

    – le dramaturge de la Rome antique Térence ;

    l’auteur et homme politique de la Rome antique Cicéron ;

    le poète de la Rome antique Horace ;

    – les philosophes stoïciens de la Grèce antique Cléanthe et Zénon de Citium ;

    l’auteur médiéval de L’Imitation de Jésus-Christ : Thomas a Kempis ;

    l’humaniste français Montaigne ;

    le mathématicien et philosophe (catholique « ultra ») Blaise Pascal ;

    le poète royaliste de la révolution française André Chénier ;

    – le penseur français du droit de l’époque des Lumières Jean-Jacques Rousseau ;

    – le philosophe français des Lumières Claude-Adrien Helvétius ;

    – le philosophe allemand réfléchissant sur l’éthique, Emmanuel Kant ;

    – le philosophe allemand hégélien Karl Rosenkranz ;

    – l’historien français (très apprécié par Nietzsche) Hippolyte Taine ;

    – l’historien français (très tourné vers la notion d’esprit) Ernest Renan ;

    – le sociologue et psychologue français Gabriel Tarde ;

    – le juriste du Collège de France, fondateur de la Société de législation comparée, à l’origine de l’idée de statue de la liberté offerte aux États-Unis et auteur du roman à succès Paris en Amérique (35 éditions en français et 8 en anglais) Edouard Laboulaye ;

    – l’économiste français Michel Chevalier ;

    – le philosophe français Alexis de Tocqueville ;

    – le philosophe allemand décadentiste Nietzsche ;

    – le philosophe français (considéré comme le « Nietzsche français ») Jean-Marie Guyau ;

    – le dramaturge norvégien Henrik Ibsen ;

    – le philosophe allemand pessimiste et théoricien de l’inconscient Karl Robert Eduard von Hartmann ;

    – l’homme de lettres français Philarète-Chasles ;

    – l’écrivain décadentiste français (auteur de À rebours) Joris-Karl Huysmans ;

    – le poète pré-décadentiste français Charles Baudelaire ;

    – l’auteur du roman Le Disciple (qui accuse la science d’avoir remplacé la religion sans apporter de dimension éthique) Paul Bourget ;

    – les deux principaux écrivains allemands romantiques, qui ont notamment travaillé sur le rapport entre l’éducation et l’esthétique, Friedrich Schiller et Johann Wolfgang von Goethe ;

    – le poète romantique allemand Ludwig Uhland ;

    – l’écrivain romantique réactionnaire puis républicain social français Victor Hugo ;

    – le poète post-romantique français (et dans le prolongement de Victor Hugo) Leconte de Lisle ;

    – l’écrivain et homme politique français Edgar Quinet ;

    – l’écrivain et archéologue français Gaston Deschamps ;

    – l’auteur spiritualiste français Henri Bérenger ;

    – l’auteur pré-transcendentaliste américain présenté comme une anomalie dans son pays : William Ellery Channing ;

    – l’écrivain romantique américain présenté comme une anomalie dans son pays : Edgar Allan Poe ;

    – l’écrivain transcendentaliste américain présenté comme une anomalie dans son pays : Ralph Waldo Emerson ;

    – le philosophe américain théorisant la notion d’évolution sur la base du darwinisme social : Herbert Spencer ;

    – le philosophe français du positivisme Auguste Comte ;

    – le théoricien de l’art français d’origine polonaise et figure du symbolisme Théodore de Wyzewa ;

    – l’écrivain français nationaliste (et alors très connu) Jules Lemaître ;

    – l’écrivain et poète symboliste français Charles Morice :

    – l’écrivain suisse naturaliste Édouard Rod ;

    – l’écrivain écossais (figure majeure au Royaume-Uni de l’ère victorienne) Thomas Carlyle ;

    – le poète anglais (et également figure majeure au Royaume-Uni de l’ère victorienne) Alfred Tennyson ;

    – l’écrivaine anglaise réactionnaire (avec « L’histoire de David Grieve ») Mary Augusta Ward ;

    – l’écrivain anglais (auteur de La foire aux vanités) William Makepeace Thackeray ;

    – le poète, historien et homme politique anglais Thomas Babington Macaulay ;

    – le journaliste et économiste anglais Walter Bagehot ;

    – le philosophe anglais de l’utilitarisme John Stuart Mill ;

    – le théoricien politique et diplomate argentin Juan Bautista Alberdi.

    Lire Ariel, c’est ainsi être submergé tant par les innombrables références que par le discours poético-romantique dont l’ossature est un propos sur la « spiritualité » à adopter. Pour s’y retrouver, il faut relever directement de cette culture, sinon on est écrasé, on perd le fil.

    Ariel est donc d’une part une œuvre d’érudit, à destination des érudits. Ce ne sont certainement pas les masses qui sont visées ; le seul public capable de lire l’essai est éduqué et relève d’une petite minorité dans les pays capitalistes européens, et d’une infime minorité dans les pays latino-américains.

    D’autre part, cette minorité présente dans tous les pays latino-américains représente socialement la même chose, pour disposer de la même sensibilité, de la même vision du monde.

    Il faut donc se tourner vers son histoire pour en saisir la nature, le statut de criollos, ces hommes d’origine espagnole qui composent les couches dominantes dans les villes et les campagnes d’Amérique latine.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • L’intervention américaine à Cuba et le corollaire de la doctrine Monroe

    En 1895, les élites cubaines tentèrent de s’émanciper de la monarchie espagnole, dont elles dépendaient encore. Cuba faisait alors partie des restes de l’immense empire espagnol, avec Guam, Porto Rico et les Philippines.

    Tous les autres pays avaient acquis leur indépendance, à l’occasion de la déroute de la monarchie espagnole face aux armées de Napoléon : le Chili en 1810, les Provinces-Unies du Río de la Plata en 1816, la Grande Colombie en 1819, le Mexique et le Pérou en 1821, la Bolivie en 1825, etc.

    Initialement, la révolte cubaine échoua et le dirigeant du Parti révolutionnaire cubain, le poète José Martí, mourut en mai 1895 lors de la bataille de Dos Ríos.

    José Martí lors d’une tournée de propagande
    du Partido Revolucionario Cubano (1892)

    La monarchie espagnole pratiqua une répression terrible, parquant même pendant deux ans 400 000 Cubains dans des camps de concentration (1/4 mourront en raison des conditions de vie).

    Les États-Unis intervinrent alors militairement contre l’Espagne. Cuba devint une semi-colonie américaine, alors que les Philippines, Porto Rico et Guam se transformèrent en colonies américaines.

    Les Philippines prendront quant à eux leur indépendance en 1946, devenant une semi-colonie américaine, tandis que Porto-Rico et Guam furent finalement transformés en des « territoires non incorporés » ou en des entités relevant d’un « commonwealth », tout comme les Îles Mariannes du Nord.

    Cela veut dire que leurs citoyens sont américains, mais pas leur « entité » politique institutionnelle. C’est une construction pour annexer sans officiellement le faire.

    On a ici une nouvelle situation marquée par la prédominance des États-Unis, une prédominance active, interventionniste, ce qui provoqua une onde de choc dans les pays d’Amérique latine.

    Les États-Unis étaient déjà intervenus militairement à plusieurs reprises : Panama (1885), Haiti (1888-1891), Buenos Aires (1890), Rio de Janeiro (1894), Nicaragua (1894, 1896 у 1893), Colombie (1895).

    Néanmoins, l’ensemble des pays latino-américains soutenaient l’indépendance de Cuba, sauf l’Argentine qui était une semi-colonie britannique très contrôlée. L’incapacité à agir pour Cuba, à rebours de l’intervention américaine, faisait tous deux ressortir l’impuissance des élites latino-américaines.

    C’est là qu’apparaît en toute clarté, aux yeux des pays latino-américains, l’engrenage marqué par le poids toujours croissant des États-Unis sur leur continent, même si la doctrine de 1823 du président américain James Monroe (1817–1825) soulignait déjà les prétentions américaines.

    James Monroe

    Cette doctrine avait été affirmée lors d’un discours au Congrès américain ; James Monroe y dit notamment :

    « Nous n’avons jamais pris part aux guerres des puissances européennes concernant des questions qui les concernent, et il n’est pas conforme à notre politique de le faire.

    Ce n’est que lorsque nos droits sont violés ou gravement menacés que nous nous indignons des atteintes ou préparons notre défense (…).

    Nous n’avons pas interféré et n’interviendrons pas dans les colonies ou dépendances existantes d’aucune puissance européenne.

    En revanche, avec les gouvernements qui ont proclamé et maintenu leur indépendance, et dont nous avons, après mûre réflexion et sur la base de principes justes, reconnu l’indépendance, nous ne pouvons considérer aucune intervention de quelque puissance européenne visant à les opprimer ou à contrôler leur destinée autrement que comme la manifestation d’une attitude hostile envers les États-Unis. »

    La doctrine Monroe avait été établie comme ligne passive : rien sur le continent américain ne doit se produire depuis l’extérieur de celui-ci.

    Avec le « soutien » militaire à l’indépendance cubaine, il y a une modification dans un sens « actif ».

    Après Cuba suivront d’ailleurs des interventions en 1899 au Nicaragua, en 1903 au Venezuela, ainsi qu’en République dominicaine et en Colombie.

    Il y aura ensuite encore d’autres actions militaires, ciblant en 1904 la République dominicaine et le Guatemala, en 1906-1909 Cuba, en 1907 la République dominicaine de nouveau, en 1908 le Venezuela, en 1909-1910 le Nicaragua, en 1910-1911 le Honduras, en 1912 Cuba, le Nicaragua et la République dominicaine, en 1915 Haïti.

    Theodore Roosevelt, président de 1901 à 1909, explicita l’approche américaine lors d’un discours prononcé au Congrès le 6 décembre 1904.

    On appelle cela le « corollaire Roosevelt » de la doctrine de Monroe ou encore la politique du « big stick » (le gros bâton).

    Voici ce que dit Théodore Roosevelt notamment :

    « L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte en un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, à contrecœur cependant, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international. »

    Il faut donc se tourner vers la doctrine Monroe « adaptée », pas simplement vers la position initiale ; c’est cela qui permet de comprendre que la doctrine Monroe n’est pas que passive et opposée à des interventions extérieures.

    Il y a une dimension entreprenante, volontaire et « modificationnelle » : c’est ce qui permet de comprendre pourquoi, en 2025, Donald Trump veut annexer le Groenland, considéré en fait depuis le départ comme relevant du continent américain. La démarche, on s’en doute, consistera à en faire un second Puerto-Rico.

    C’est l’ampleur de cette question continentale qu’ont compris les élites latino-américaines avec l’intervention à Cuba en 1898.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Le manifeste latino-américain « Ariel »

    En 1900, le penseur uruguayen José Enrique Rodó (1871-1917) publie un ouvrage qui va le faire très rapidement devenir el maestro dans tous les pays latino-américains : Ariel.

    C’est un essai, d’environ 80 pages, qui a immédiatement obtenu un succès d’estime et n’a cessé d’être réédité ; quiconque assume le concept d’Amérique latine, en le sachant ou en ne le sachant pas, s’aligne sur cet essai et relève de ce qui a été appelé l’ariélisme.

    José Enrique Rodó

    On l’aura compris, « Ariel » fait référence à La Tempête de Shakespeare. L’essai commence ainsi par un enseignant, à qui on a donné le nom de Prospero, en référence au magicien exilé sur l’île qu’on a dans cette pièce de théâtre.

    C’est que cet enseignant a auprès de lui une statue d’Ariel, présenté comme un modèle à suivre de par la vivacité de son esprit.

    « Ils arrivèrent alors dans la spacieuse salle d’étude, où un goût délicat et sévère prenait soin d’honorer partout la noble présence des livres, fidèles compagnons de Prospero.

    Dominant la pièce – source d’inspiration pour son atmosphère sereine – se trouvait une magnifique statue en bronze d’Ariel, tirée de La Tempête.

    Le professeur était généralement assis à côté de ce bronze, et c’est pourquoi il portait le nom du magicien, que le personnage fantastique interprété par le sculpteur sert et favorise dans la pièce.

    Peut-être y avait-il une raison et une signification plus profondes derrière ce nom, lié à son enseignement et à son caractère. (…).

    La statue, véritable chef-d’œuvre, représentait le génie aérien au moment où, libéré par la magie de Prospero, il allait s’élancer dans les airs pour disparaître en un éclair.

    Ses ailes déployées ; son vêtement léger, ample et flottant, la caresse de la lumière sur le bronze damasquiné d’or ; son large front dressé ; ses lèvres entrouvertes en un sourire serein : tout dans l’attitude d’Ariel reflétait admirablement le début gracieux de son envol ; et, par une inspiration bénie, l’art qui avait donné à son image une fermeté sculpturale avait réussi à lui conserver, en même temps, une apparence séraphique et une légèreté idéale. »

    Ce dont il s’agit, c’est de suivre Ariel, et non Caliban, qui représente la monstruosité terre-à-terre.

    Tout au long de l’essai, José Enrique Rodó va expliquer qu’Ariel consiste en l’Amérique latine, Caliban en les États-Unis.

    « Ariel est l’empire de la raison et du sentiment sur les faibles stimuli de l’irrationalité ; c’est l’enthousiasme généreux, le motif élevé et désintéressé dans l’action, la spiritualité de la culture, la vivacité et la grâce de l’intelligence, le terme idéal vers lequel s’élève la sélection humaine, rectifiant dans l’homme supérieur les vestiges tenaces de Caliban, symbole de sensualité et de maladresse, avec le ciseau persévérant de la vie. »

    Naturellement, le moment est dramatique, c’est le dernier cours et le discours du professeur est celui d’un adieu, avec des derniers conseils, « afin que nos adieux soient comme le sceau apposé sur une alliance de sentiments et d’idées ».

    Car, aux élèves revient une responsabilité immense. C’est que selon ce « Prospero », la jeunesse est la clef du passage de génération en génération, et donc du maintien de la civilisation.

    Mieux encore, on est en Amérique et ce dont il s’agit, ce n’est pas seulement de maintenir, mais d’établir une nouvelle civilisation.

    Une civilisation que « Prospero » présente comme spirituelle et élitiste, mais chrétienne-sociale ; son contre-modèle, ce sont les États-Unis avec leur « utilitarisme ».

    José Enrique Rodó appelle à une révolte idéaliste latino-américaine contre le matérialisme américain.

    On comprend que l’ouvrage ait pu être une bombe idéologique. Les élites latino-américaines avaient pris le pouvoir quelques décennies auparavant, plus par hasard qu’autre chose.

    Ce qui avait fait basculer les choses, ce fut l’effondrement de la monarchie espagnole suite aux guerres de Napoléon, avec l’invasion de l’Espagne en 1808-1809.

    Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 en Madrid, 1814, représentant des combattants espagnols faits prisonniers finalement fusillés par des soldats de l’armée de Napoléon

    Il y avait pour les élites latino-américaines une opportunité de gagner en autonomie face à la métropole ; cela se transforma par la force des choses en guerre de « libération ».

    Les élites des nouveaux pays latino-américains avaient initialement assumé le positivisme comme idéologie, expliquant que la prise du pouvoir de leur part relevait du progrès, que tout était progrès, que tout irait désormais pour le mieux, etc.

    Cela n’allait pas sans poser des problèmes, dans la mesure où ce positivisme des élites urbaines, avec son culte du progrès lié au libéralisme républicain sur le plan des idées, allait à l’encontre des intérêts des grands propriétaires terriens des campagnes, ainsi que de l’Église catholique.

    Cela produisit une très intense bataille idéologique entre les laïcs-républicains et les catholiques-conservateurs.

    Il y eut alors un événement nouveau, qui provoqua un vent de panique du côté des élites latino-américaines. Cela consista en 1898 en l’intervention militaire des États-Unis à Cuba, une colonie espagnole, dans le cadre de la doctrine Monroe, qui exige l’hégémonie des États-Unis sur tout le continent américain.

    Le rouleau compresseur des États-Unis apparaissait, pour la première fois, comme une menace immense aux élites latino-américaines et Ariel fut justement rédigé par José Enrique Rodó comme manifeste de ces élites.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • La tempête de Shakespeare : Ariel et Caliban

    Pour comprendre le nationalisme latino-américain, l’idéologie latino-américaine, il faut commencer par connaître une œuvre de Shakespeare : La tempête. Cette pièce de théâtre a été publiée en 1623 et elle est l’une des plus connues du dramaturge anglais.

    Le scénario est le suivant. On a Prospero, qui est le duc légitime de Milan. Il a été trahi par son frère Antonio, abandonné à la mort, mais s’en est tiré et vit en exil sur une île avec sa fille Miranda.

    Maître de la magie, Prospero y règne grâce à un « esprit » dénommé Ariel, qu’il a libéré d’une malédiction, et garde sous contrôle Caliban, un habitant sauvage de l’île.

    Douze ans plus tard, Prospero provoque une tempête magique pour faire échouer le navire de ses ennemis : Antonio, le roi Alonso de Naples, et leur suite. Tous survivent et sont dispersés sur l’île.

    À travers diverses ruses et quelques enchantements, Prospero confronte ses traîtres, les pousse au repentir, et révèle sa véritable identité. Il pardonne finalement et renonce à la magie.

    Il prévoit alors de rentrer à Milan. Miranda tombe amoureuse de Ferdinand, le fils d’Alonso, scellant une réconciliation entre les familles.

    On a ici l’essentiel de l’œuvre dans sa trame fondamentale ; attardons-nous maintenant sur les différentes péripéties, avec un résumé un peu plus long.

    Le premier acte consiste en la tempête et le naufrage. On a une violente tempête qui éclate en mer et le navire du roi Alonso de Naples, qui revient d’Afrique, semble sombrer.

    À bord se trouvent Alonso, son fils Ferdinand, son frère Sébastien, le duc de Milan usurpateur Antonio, et d’autres nobles.

    La tempête a en fait été provoquée par Prospero, ancien duc de Milan, grâce à la magie.

    Le deuxième acte se déroule sur l’île mystérieuse où vit justement Prospero, exilé avec sa fille Miranda depuis douze ans.

    C’est Antonio qui l’a chassé de Milan, avec l’aide d’Alonso. Il devait en fait même mourir en mer, en le mettant sur « une carcasse de bateau pourrie, sans gréement, ni voile, ni mât ».

    Mais le sympathique conseiller d’Alonso, dénommé Gonzalo, a fait en sorte de leur fournir des vivres, des « vêtements riches, du linge, des étoffes et des objets de première nécessité », et même la bibliothèque de Prospero.

    Ce dernier est en fait un magicien. Sur l’île, il est parvenu à libérer Ariel, un esprit de l’air, d’un arbre dans lequel il était prisonnier de la sorcière Sycorax. En échange, Ariel doit rendre des services à Prospero, ce qu’il fait sans rechigner.

    « Salut, grand maître ! Seigneur grave, salut ! Je viens
    Pour répondre à ton meilleur désir ; qu’il s’agisse de voler,
    de nager, de plonger dans le feu, de chevaucher

    Sur les nuages ondulants, pour ton impérieuse tâche
    Ariel et toute sa force. »

    Ariel doit ainsi, selon les vœux de Prospero, séparer les naufragés en groupes dispersés sur l’île.

    Il y a également le seul habitant de l’île : Caliban, fils monstrueux de la sorcière Sycorax, un être brut et révolté qui tente même de violer Miranda. Prospero a réussi à le soumettre et il s’en sert comme homme à tout faire.

    Caliban représente le colonisé, comme en témoigne ce passage. On remarquera que son nom est l’anagramme de « canibal ».

    « Cette île est à moi, par Sycorax, ma mère,
    Que tu m’as prise. Quand tu es arrivé,
    Tu m’as caressé et tu m’as traité avec générosité ; tu voulais me donner
    De l’eau aux baies ; et m’apprendre à
    Nommer la plus grande lumière et la plus petite,
    Qui brûle jour et nuit : et alors je t’ai aimé,
    Et je t’ai montré toutes les qualités de l’île,
    Les sources fraîches, les salines, les terres arides et fertiles :
    Maudit sois-je qui a agi ainsi ! Que tous les charmes
    De Sycorax, crapauds, scarabées, chauves-souris, se posent sur toi !
    Car je suis tous vos sujets,
    Qui fut d’abord mon propre roi : et vous m’enfermez ici
    Dans ce dur rocher, tandis que vous me cachez
    Le reste de l’île. »

    Au troisième acte, on suit le parcours des naufragés, qui sont peu nombreux, car Ariel a fait en sorte que les marins restent endormis.

    On suit donc Ferdinand, fils du roi Alonso, qui croit que son père est mort. Il rencontre Miranda et les deux tombent amoureux. Prospero teste leur amour, puis finit par les bénir.

    Pendant ce temps, Antonio incite Sébastien à assassiner son frère le roi Alonso pour prendre le pouvoir. Leur complot est interrompu par Ariel.

    Dans un autre coin de l’île, Caliban rencontre deux ivrognes, Trinculo et Stephano, et les convainc de renverser Prospero. Ce plan ne tient pas debout et échoue rapidement grâce à l’intervention d’Ariel.

    Au quatrième acte, Prospero accepte l’union de Ferdinand et Miranda. Il convoque des esprits pour célébrer leurs fiançailles. Il découvre ensuite le complot de Caliban et des ivrognes, qu’il punit, sans cruauté toutefois.

    Il commence alors à ressentir de la lassitude vis-à-vis de la magie et prépare sa réconciliation avec ses ennemis.

    Au cinquième acte, on a le dénouement. Prospero révèle sa véritable identité à Alonso et Antonio. Alonso se repent sincèrement, Antonio reste quant à lui silencieux.

    Prospero pardonne à tous, libère Ariel, renonce à sa magie, et reprend son titre de duc de Milan. Ferdinand et Miranda sont fiancés, les naufragés sont réunis, et tout le monde se prépare à rentrer en Italie.

    On notera un épilogue, avec un discours final. Prospero est seul sur scène et demande au public de l’applaudir pour briser le dernier sort : la pièce est finie, il est libre, tout comme Ariel.

    John William Waterhouse, Miranda, 1916

    Passons maintenant à la dernière étape pour aborder le nationalisme latino-américain, l’idéologie latino-américaine.Voici un tableau indiquant le contraste entre Ariel et Caliban.


    ArielCaliban
    NatureUn esprit aérien, léger et invisible. Il incarne la magie, la liberté et l’intelligence.Fils de la sorcière Sycorax et d’un démon. Il incarne la sauvagerie, l’instinct, la tendance à la monstruosité.
    OrigineAriel était emprisonné dans un arbre par la sorcière Sycorax, mère de Caliban. Prospero l’a libéré et en échange, Ariel le sert fidèlement, tout en aspirant à retrouver sa liberté.C’est le seul habitant natif de l’île. Il a d’abord accueilli Prospero, qui l’a ensuite réduit en esclavage après que Caliban a tenté de violer Miranda.
    Traits principauxLoyal, obéissant rapide, gracieux, mais désireux d’émancipation. Fin, sensible, poétique, il chante souvent et utilise la magie subtilement.Brutal, colérique, non civilisé, révolté contre son statut de serviteur. Parle en vers puissants, parfois poétiques, mais est souvent méprisé.
    SymbolismeMagie, liberté, lumièreNature, colonisation, obscurité
    AttitudeRespectueux, efficaceRancunier, violent
    ActionsIl sert Prospero, même s’il veut prendre sa liberté.
    Il provoque la tempête, surveille et manipule les naufragés.
    Il déteste Prospero, qu’il considère comme un colonisateur. Il tente un complot maladroit avec les ivrognes Trinculo et Stephano.
    SubstanceServiteur obéissant, de nature gracieuse et bienveillance, et devenant libreEsclave colérique et brutal, révolté mais échouant à dépasser son humiliation

    On est maintenant presque en mesure d’aborder le texte fondateur, le manifeste du nationalisme latino-américain : Ariel. Cette œuvre va opposer Ariel à Caliban, la « civilisation latino-américaine » aux États-unis.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Le mode de production, cœur de l’approche matérialiste dialectique de l’être humain

    En 2025, rien n’est plus étranger aux gens que le concept de « mode de production ». Il faut une vue d’ensemble, ils ne l’ont pas et en plus il y a de très nombreuses idéologies produites dans les universités pour désorienter.

    Dans le même temps, le degré d’interconnexion des gens, leur niveau de culture générale, leur rapport général à la technologie et à la science, font qu’il n’a jamais autant été possible que le prolétariat comprenne dans toutes ses implications le concept de « mode de production ».

    Or, comme on le sait, rien ne naît spontanément des esprits. Dans la société de consommation capitaliste, saisir le mode de production, c’est tout à la fois faire œuvre de rupture et témoigner d’une haute conscience historique. L’un ne va pas sans l’autre.

    Rien n’est plus vrai aujourd’hui que la thèse léniniste de l’avant-garde, combinant le meilleur de la science et la rupture pratique avec un ordre social décadent, pour saisir le concept de « mode de production ».

    Dans les sociétés capitalistes du XXe siècle, l’imbrication d’avec l’ancien ordre féodal était encore tenace. La classe ouvrière a pu sortir de son enveloppe, en cours de maturation et d’expérimentation, ne pouvait comprendre le concept de « mode de production » que de manière bornée, séparée, unilatérale, notamment par rapport à la matière vivante en général : le rapport aux animaux reflète en soi un manque de maturité historique tout au long du 20e siècle.

    La circulation marchande n’a, par exemple, triomphé totalement en France que dans les années 1950, voir 1960, débouchant sur la période du capitalisme pleinement développé.

    Ce n’est qu’avec la spécificité du mode de production capitaliste pleinement développé que le concept général, universel, de mode de production peut être saisi dans tous ses aspects, car il est le mode de production du développement de la productivité sociale sur la base de l’utilisation maximale de la science et de la technique.

    Le point nodal de la nature humaine

    Au cœur même d’un mode de production, il y a la dialectique des besoins et des moyens de les satisfaire.

    C’est la raison pour laquelle le communisme a toujours insisté sur le fait que le travail, productif, est un besoin essentiel de l’être humain : il est l’expression du caractère naturel de l’être humain, l’expression de sa liaison naturelle avec sa propre nature d’être vivant. Le travail, c’est la raison d’être naturel de l’Humanité.

    Ce qui apparaît ensuite comme relevant de la « conscience » est le résultat de la stabilisation de l’être humain face à l’environnemental naturel, avec des moyens sécurisés pour satisfaire les besoins fondamentaux.

    C’est le début de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel, permettant à la « conscience » de se développer de manière autonome, puis carrément de manière indépendante de la réalité matérielle, ce qui a engendré le courant de l’idéalisme.

    À l’inverse, la tâche du matérialisme a toujours été de relier le parcours du développement de la conscience humaine avec le mode de production, la nature humaine.

    L’être humain est avant toute chose un animal qui a des besoins primaires à satisfaire avant même d’être un être culturel, de loisir et de science.

    Karl Marx et Friedrich Engels nous disent dans l’idéologie allemande :

    « Force nous est de débuter par la constatation de la présupposition première de toute existence humaine, partant de toute histoire, à savoir que les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l’histoire ».

    Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore.

    Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l’on doit, aujourd’hui encore comme il y a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie. »

    L’être humain relève de la matière, précisément de la matière vivante. Dans ce cadre, un mode de production, c’est l’écho pour l’Humanité du développement de la matière vivante en général, qui n’est elle-même qu’un écho du développement infini de l’Univers tout entier.

    La Planète-Terre a engendré des conditions propices à la vie et à l’intérieur de celle-ci a vu naître une forme de vie spécifique qui est l’être humain qui possède une nature spécifique, comme l’a dit Engels :

    « L’homme est le seul animal qui puisse sortir par le travail de l’état purement animal ; son état normal est celui qui correspond à la conscience et qu’il doit lui-même créer. »

    Au départ totalement dépendant de l’élément extérieur naturel, la vie humaine a eu son propre parcours, jusqu’à s’autonomiser de la matière vivante pour mieux l’exploiter (agriculture, domestication des animaux, puis transformation complexe des éléments naturels en éléments propres à satisfaire des besoins ou des moyens de les reproduire, tels le métal, le bronze, l’argile, etc.).

    Lorsque l’être humain apparaît, il est un être vivant intégré et soumis à la chaîne de la matière vivante toute entière.

    Pour satisfaire ses besoins primaires, il se fonde d’abord sur des clans fondés sur la mise en commun des ressources, étape historique obligée face à un environnement naturel incompris et difficilement maîtrisable.

    Puis, progressivement, avec un mouvement en spirale, l’être humain établit des rapports de plus inter-dépendants, dépassant la logique des clans pour aller vers ce qui a été appelé une « société ».

    Le matérialisme historique, comme expression spécifique du matérialisme dialectique, est là pour analyser la dimension particulière de cet écho, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il n’y a pas une séparation absolue d’avec le développement de la matière en général.

    Le concept développé par Karl Marx de « mode de production » est précisément là pour rappeler cette dimension tout à la fois spécifique de l’être humain (les animaux n’ont pas de mode de production) et son caractère universellement animal du fait qu’il a un rapport de transformation de la nature pour satisfaire sa propre nature. Les forces de la production représentent l’essence de l’Humanité, nous disent Karl Marx et Friedrich Engels :

    « Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophes se sont représenté comme «substance» et « essence de l’homme ». »

    La nature, première des forces productives

    La nature est la première des forces productives données à l’être humain pour lui permettre de satisfaire ses besoins. C’est la raison pour laquelle les religions, polythéistes, mais aussi ensuite monothéistes, y ont attaché une si grande importance en l’« objectifiant ».

    La pluie, le soleil, les cycles saisonniers, etc., sont autant d’éléments qui concourent à réaliser la production des moyens de satisfaire les besoins humains.

    Ne pas en tenir compte, c’est se couper d’un des moyens de réalisation de la production. Cela vaut pour l’agriculture, mais aussi pour le reste des branches industrielles, comme par exemple le rôle de la lumière, des températures, de l’eau etc., qui entrent en ligne de compte.

    Dans le livre II du Capital, Karl Marx établit une différence entre procès de travail et procès de production, afin de mieux révéler la différence entre la force productive naturelle et celle issue de la médiation par le travail humain, conscient.

    C’est par exemple la question de la fermentation, et plus généralement du mûrissement des aliments, mais aussi du refroidissement de l’acier. Cela relève du temps long de la production et non directement du processus du travail transformateur.

    Or, si la matière naturelle est l’une des premières forces productives, alors l’être humain lui-même, comme bloc spécifique de la matière vivante, est également une de ses propres forces productives.

    On parle là de la force physique élémentaire évidemment, mais aussi de la force cérébrale transformatrice issue de la capacité de réflexion et de synthèse des lois naturelles qui président au mouvement de la matière universelle.

    C’est ce que rappelle bien Karl Marx par la comparaison entre l’œuvre de l’abeille et celle du travail de l’architecte :

    « Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature.

    L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie.

    En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent.

    Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif.

    Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme.

    Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte.

    Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.

    Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. »

    Là est la clef de différenciation entre l’être humain naturel et le reste de la matière vivante : l’Humanité possède une capacité de synthèse de la réalité, au départ à travers de l’expérience collective accumulée de générations en générations, puis synthétisée dans une approche générale et conceptuelleL

    L’être humain est alors en capacité de projeter ses besoins et les moyens de les satisfaire. Il est donc en mesure de produire des outils mais aussi et surtout de produire les moyens, de reproduire ces mêmes outils, ce qu’aucun autre bloc de la matière vivante n’est en mesure de faire de part l’absence de synthèse du réel. Les orangs-outans ou les dauphins n’ont jamais construit d’ateliers ou d’usines, car cela nécessite la capacité cérébrale de synthèse des lois objectifs du monde naturel.

    La production consciente de la reproduction sociale, au sens de la transmission productive, sociale et culturelle des moyens de satisfaire les besoins, est l’élément déterminant d’un mode de production, l’élément central de la nature de l’Humanité elle-même.

    Cela signifie que dans le processus de son développement naturel dialectique – élargissement de ses besoins / approfondissement des moyens de les produire et les reproduire – l’être humain voit son travail être toujours plus efficace, efficient, tout autant qu’il voit se capacité de synthèse du réel, autrement dit sa conscience – s’approfondir.

    Comme nous l’enseigne Friedrich Engels :

    « Le développement du cerveau et des sens qui lui sont subordonnés, la clarté croissante de la conscience, le perfectionnement de la faculté d’abstraction et de raisonnement ont réagi sur le travail et le langage et n’ont cessé de leur donner, à l’un et à l’autre, des impulsions sans cesse nouvelles pour continuer à se perfectionner. »

    Historiquement, cette élévation de la productivité du travail débouche sur une division sociale des tâches, avec certaines parties de la société toujours plus affectées à des tâches manuelles productives, et d’autres à des tâches générales d’organisation et de synthèse du réel. L’élévation de la productivité du travail passe par une mise en commun des forces physiques humaines, au départ par la communauté clanique, puis ensuite par la mise en coopération hiérarchisée et dominatrice d’une classe sociale par une autre.

    La nature même de l’être humain ne peut en faire autrement, puisqu’il est contraint de produire et de reproduire ses moyens de satisfactions des besoins sans cesses élargis, et dans le même temps d’avoir le temps de synthétiser l’expérience collective accumulée pour mieux maîtriser ces mêmes processus de satisfaction.

    Ce processus dialectique s’opère à des moments historiques, des nexus, dans lesquels l’Humanité a été contrainte de se diviser en classe sociales antagonistes.

    On ne pouvait satisfaire l’élargissement des besoins sociaux et culturels sans l’esclavage, exigeant la mise en coopération immédiate d’une abondante force physique collective.

    C’est dans ce cadre qu’apparaissent les modes de production fondés sur l’exploitation de la matière vivante, avec l’agriculture et la domestication des animaux, et de la force productive naturelle de l’être humain, avec le mode de production esclavagiste.

    Les révoltes d’esclaves apparaissent déjà comme un cri du cœur contre l’exploitation et les débuts de l’aliénation humaine intolérable avec une classe sociale exploiteuse, s’appropriant les fruits de la nature humaine au détriment de l’Humanité toute entière.

    Toutefois, cela ne pouvait aboutir à l’abolition du mode de production fondé sur l’exploitation humaine, mais, au mieux, sur sa transformation dans une exploitation « améliorée », celle du servage féodal, car le serf devient maître d’un lopin de terre.

    « Si » l’Humanité avait été consciente de tout ce processus, jamais la division en classes n’aurait eu lieu.

    Évidemment, cette conscience des choses était impossible dans les circonstances de l’époque marquée par une trop faible productivité sociale, obligeant l’Humanité au passage forcé, nécessaire, dans des formes d’exploitation et de domination de la propre nature et de la nature elle-même. En quelque sorte, l’être humain a du se cannibaliser pour se développer et se permettre les conditions futures d’un développement apaisé, harmonieux.

    Le mode de production, la clef du processus historique de formation des sociétés humaines

    Dans les traditions empiriste/libérale et démocratique issues des Lumières, ou bien il y a l’individu isolé doué de raison qui entreprend des choses et transforme le réel à son échelle, ou bien il y a des individus doués de raison qui, un beau jour, on ne sait trop comment, décident de s’associer ensemble, pour survenir à leurs besoins et ainsi satisfaire à leur sécurité face aux affres de la nature.

    Karl Marx naît dans l’époque qui suit ces errements idéologiques. C’est en posant le concept même de mode de production que naît véritablement, tel un coup de massue idéologique, le matérialisme dialectique.

    Il faut ici saluer l’expérience de l’Union Soviétique de Staline qui a publié en 1932 le manuscrit de l’« Idéologie allemande » écrit conjointement par Marx et Engels aux alentours de 1845.

    Ce texte fournit les éléments d’analyse les plus approfondis sur le concept de « mode de production ».

    Dans ce texte, Marx et Engels règlent leurs compte avec la mystification de l’individu isolé et de la raison amenant un « contrat social ».

    Le marxisme reflète le parcours de l’Humanité comme relevant d’une nécessité historique, ayant amené les êtres humains à coopérer ensemble pour satisfaire leurs besoins et les reproduire, tout en élevant et perfectionnant à chaque génération qui s’empile les moyens de satisfaction de ses besoins.

    Des besoins qui, au fur et à mesure que se sophistiquent leurs moyens de production et de reproduction, s’élargissent, s’approfondissent tant le domaine « organique » que dans les domaines culturels. C’est donc une sorte de mouvement en spirale infinie, inarrêtable, progressant ensemble vers toujours plus de complexité, écho indirect de l’Univers en développement toujours plus complexe.

    Historiquement, le problème a été que ce processus a vu le processus de division sociale du travail, avec notamment l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel, faire que l’Histoire apparaît comme le résultat de l’action des « grands hommes », des « grandes idées », des religions, des empires, etc.

    S’il est difficile pour les gens de saisir le concept même de mode de production, c’est parce qu’il véhicule en son sein le principe de relations historiques et sociales entre les gens sans qu’ils ne semble les contrôler.

    Partir de l’idée du mode de production, c’est reconnaître qu’il y a « quelque chose » au-dessus des gens, de leur stricte individualité. Par conséquent, il y a une nécessité historique qui s’impose à eux, à travers eux et, bien souvent, malgré eux.

    C’est ce qu’a expliqué Karl Marx dans la fameuse Préface à la contribution de la critique de l’économie politique de 1859, qui est le second texte majeur posant les bases du concept de « mode de production » :

    « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles. »

    Le mode de production conditionne tout

    Historiquement, le matérialisme dialectique a posé le concept de « mode de production » dans le cadre de la naissance du marxisme au milieu du XIXe siècle. Il faut attendre la stabilisation de la première expérience d’État ouvrier et paysan avec l’URSS dans les années 1930 pour avoir une première synthèse de ce concept. Une synthèse d’autant plus précieuse qu’elle se fonde sur le renversement du mode de production capitaliste et sa transformation en un nouveau mode de production, le Socialisme.

    C’est dans ce cadre que le grand dirigeant Joseph Staline a synthétisé une première étape du matérialisme dialectique dans le classique du communisme, Matérialisme dialectique et matérialisme historique, publié en 1938.

    Véritable livre de chevet de nombreux cadres de l’Internationale communiste, ce texte a apporté une lecture pédagogique des plus accessibles pour saisir le concept de « mode de production ».

    Forcément, Joseph Staline se fonde tout entier sur la Préface à la contribution de la critique de l’économie politique de Karl Marx, source fondamentale du concept de « mode de production ». C’est avec la première systématisation du matérialisme dialectique dans le cadre de la stabilisation de l’URSS qu’est diffusé massivement cette approche du mode de production en termes d’infrastructure / superstructure.

    L’idée c’est de bien faire comprendre les choses avec la métaphore d’une maison : si l’on veut comprendre une société, il faut partir de ses fondements, que sont les manières de produire, d’échanger entre les êtres humains.

    On peut alors comprendre leurs manières de voir les choses, de se comporter, de régler leurs attitudes par des lois, une morale, etc.

    Malheureusement, cette métaphore qui se voulait d’ordre pédagogique pour faire pénétrer le concept dans les plus larges masses a très vite été dévoyé par le révisionnisme.

    Il faut avoir en tête que le texte est publié en 1938, soit un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu l’activité idéologique des Partis Communistes être réduite par les circonstances, avant qu’un nouvel élan naisse de la victoire sur l’Allemagne hitlérienne.

    Le révisionnisme arrivé au pouvoir en 1953, mais déjà présent, n’a pas laissé suffisamment de temps pour que cette métaphore soit bien appropriée et digérée par la masse des militants communistes.

    Elle a finalement laissé très vite la place à une interprétation mécanique, non dialectique, dans le cadre de l’interprétation universitaire, bourgeoise, révisée du marxisme.

    Cette révision présente le mode de production comme la base matérielle de l’être humain, séparé de la nature. Il y aurait d’un côté la nature, de l’autre l’être humain et ses capacités productives.

    Il n’y a alors pas de mode de production comme reflet dans l’Humanité du développement de la matière vivante.

    Cette révision a été rendu possible par l’arrivée au pouvoir en URSS d’une nouvelle bourgeoisie, transformant celle-ci en social-impérialisme.

    Au-delà d’une incompréhension de la lutte toujours nécessaire entre la ligne rouge et la ligne noire, il y a que le matérialisme dialectique n’avait pas eu le temps de présenter le mode de production comme un écho du développement de la matière vivante dans le cadre du développement de l’être humain.

    Du fait de l’arriération des pays du socialisme, entre 1917 et 1953 pour l’URSS, et 1949-1976 pour la Chine populaire, l’étendue du concept de mode de production n’a pu être correctement synthétisé et présenté dans le cadre du matérialisme dialectique.

    Il faut attendre la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne lancée par Mao Zedongpour avoir le commencement de cette systématisation.

    Il faut ici citer l’éditorial du Quotidien du peuple du 2 juin 1966, Une Grande Révolution qui touche l’homme dans ce qu’il a de plus profond.

    « Il est faux d’affirmer qu’il n’existe pas de contradictions dans la société socialiste ; cela va à rencontre du marxisme-léninisme et est en désaccord avec la dialectique.

    Comment pourrait-il ne pas y avoir de contradictions ?

    Il y en aura toujours, dans mille ans, dix mille ans, voire cent millions d’années.

    La terre serait-elle détruite et le soleil se serait-il éteint qu’il en existerait encore dans l’univers.

    Chaque chose est en contradiction, lutte et changement. C’est cela le point de vue marxiste-léniniste.

    L’essence même du marxisme est critique et révolutionnaire. Il a pour base la critique, la lutte et la révolution.

    Et c’est cela seul qui fait progresser continuellement notre cause socialiste.

    Le président Mao nous a souvent rappelé, par le dicton : « L’arbre préfère le calme, mais le vent continue de souffler », que la lutte des classes est un fait objectif, indépendant de la volonté de l’homme. »

    La lutte de classe comme fait objectif, indépendant de la volonté de l’humanité, est ce qui est à difficile à appréhender. Selon le matérialisme dialectique, un mode de production, c’est l’essence même des formations sociales, des sociétés.

    En même temps, comme c’est un concept, il n’est pas « visible » dans le réel. Il faut un saut qualitatif historique pour le retrouver et le comprendre dans tous ses aspects.

    C’est aspects sont innombrables.

    On a les idées, la morale, les normes éthiques du moment, les manières de se comporter, les manières de consommer les produits, le rapport à la vie naturelle mais aussi aux autres, le psychisme des gens à un moment donné, etc.

    Des aspects qui sont inter-connectés bien sûr, avec les manières de produire et de reproduire la vie réelle, avec par conséquent un rôle parfois moteur dans les transformations.

    Rien n’évolue de manière séparé, tout est relié. Il serait résolument faux que de considérer un mode de production comme un simple équivalent de « société » ou d’une « économie » ou même d’un mode de gouvernement : le mode de production c’est le fondement historique de l’organisation de l’Humanité à des stades de son développement.

    Comme le souligne Karl Marx de manière synthétique :

    « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production qui correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles.

    L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel, en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. »

    Cela signifie que les mœurs, les idées d’une époque, la morale, le code juridique, etc., relèvent du mode de production. Il n’y a rien en dehors ou à côté du mode de production.

    Les forces productives, le nexus de l’expérience humaine invisible à l’œil nu

    Les forces productives, c’est le rapport central de l’Humanité avec la Nature et avec elle-même, ce qui revient dialectiquement au même.

    En effet, les forces productives, c’est avant tout la capacité de travail humaine puis, au fil des générations, un empilement d’expériences qui, passées au prisme de l’analyse scientifique, se cristallise en une technique ainsi qu’une technologie. Le fil conducteur de l’Histoire humaine, c’est finalement l’archéologie des moyens d’élévation de la productivité du travail.

    Les forces productives ne sont nullement un démiurge qui sortent ex nihilo pour « aider » l’humanité à produire et reproduire ses besoins. Elles représentent au contraire l’Humanité elle-même qui se saisit de son rapport à elle-même et à la Nature dans son processus de reproduction de sa vie réelle.

    C’est l’expression de sa propre vie en train de se faire et de se léguer aux générations suivantes, dans des moments particuliers de son développement général, donc de sa capacité de synthèse du réel lui-même.

    Si Karl Marx a insisté sur la dialectique entre les forces productives et les rapports de production, ce fut précisément pour insister sur ce caractère proprement humain, vivant du processus.

    Cependant, il n’y a pas d’un côté les forces productives, et de l’autre les rapports de production, deux entités qui seraient séparées et cloisonnées. Il n’y a pas une « rencontre » entre les deux, comme si l’un étant « naturel » et l’autre « culturel ».

    C’est simplement our avoir une approche claire du développement qu’l y a eut nécessité de découper ces deux entités. Il faut considérer ce découpage de l’analyse comme une nécessité conceptuelle pour saisir l’Humanité dans son développement historique.

    Dans les faits matériels, toutefois, les forces productives ce sont les rapports de production et inversement.

    C’est exactement ce que souligne Karl Marx dans la « Préface » de 1859 :

    « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors.

    De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves.

    Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

    Dans le développement de l’Humanité, on a les forces productives et on a les rapports de production. Les deux sont liés, inter-connectés, en contradiction dans le cadre des modes de production fondés sur l’extraction d’un sur-produit, puis d’une plus-value dans le cadre du capitalisme.

    Au cœur de la contradiction, il y a toujours la capacité de synthèse du réel par l’Humanité, donnant lieu à de nouvelles techniques et technologies, et donc à de nouveaux besoins.

    Il est très important de saisir cet aspect des choses car, comme on le sait, séparation et cloisonnement ne sont pas des catégories dialectiques.

    Cela ne peut donc pas être le reflet du processus réel. Dans les faits, ce type de raisonnement a été celui du révisionnisme, d’abord social-démocrate, puis soviétique et enfin chinois.

    À chaque fois, il a été avancé la fausse thèse du « développement neutre des forces productives », développement dont le moteur sortirait d’on ne sait trop où.

    Il n’y a pas de développement « objectif », « neutre » ; il y a implication, participation, coopération, expérimentation d’une masse infinie de travailleurs sur des décennies et des décennies, des siècles et des siècles.

    Il n’y avait pas de recul sur ce processus, et si les forces productives ont trop souvent été considérés comme sorties d’on ne sait trop où, c’est justement du fait de l’absence d’une vision du monde totalisante telle que le matérialisme-dialectique l’offre.

    Le développement des forces de la production est longtemps apparu comme quelque chose de mystique, pratiquement divin, d’autant plus qu’elles se sont ensuite enveloppées dans la forme marchande et ont vu l’orientation de leur progrès être séparé de la société toute entière, du fait d’une couche d’intellectuels et de scientifiques placés au service de la classe sociale exploiteuse et dominante.

    Il faut ajouter à cela le fait que ce développement relève d’un coopération de millions et de millions d’êtres humains, en fait de toute l’Humanité, et que la synthèse n’arrive bien souvent qu’après des décennies de reproduction besogneuse de la vie réelle, qui plus est dans un cadre déformé par l’exploitation de l’homme par l’homme.

    Forcément il y a comme l’impression que tout cela tombe du ciel, après coup, que cela relève d’une « force » au-dessus de la masse des producteurs coopérants.

    Par conséquent, le développement des forces productives relève d’un processus humain invisible à « l’œil nu », qui exige un effort d’abstraction dans l’analyse.

    Seul le matérialisme dialectique a offert le microscope historique capable de dévoiler « le mystère » de l’histoire de l’Humanité en proposant le concept anthropologique de « mode de production ».

    C’est pour cela que le socialisme est scientifique et exige une avant-garde qui formule cette synthèse, pour proposer un filtre, une vision du monde qui oriente le cours des choses en rapport avec le mouvement dialectique.

    Le matérialisme dialectique offre une capacité de synthèse et d’abstraction permettant de retrouver le fil de l’Humanité concrète.

    C’est ce qui a été bien expliqué par Karl Marx :

    « Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité.

    C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation.

    La première démarche [du « concret » à l’ « abstrait »] a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite ; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. »

    Cela a été approfondi et synthétisé par Mao Zedong :

    « Le premier pas dans le processus de la connaissance, c’est le contact avec le monde extérieur : le degré des sensations.

    Le second, c’est la synthèse des données fournies par les sensations, leur mise en ordre et leur élaboration : le degré des concepts, des jugements et des déductions.

    C’est seulement lorsque les données sensibles sont en grand nombre (et non pas fragmentaires, incomplètes), conformes à la réalité (et non pas illusoires), qu’il est possible, sur la base de ces données, d’élaborer des concepts corrects, une logique juste. »

    Le « mode de production », c’est l’abstraction qui permet de penser l’Humanité en chair et en os, de manière concrète, dans son développement concret d’avec le reste de la complexification de la matière en général.

    Comme toute chose, le mode de production
    est soumis à la loi du développement inégal

    Voilà les choses claires et posées : le mode de production relève de la nature humaine en lien avec le développement universel de la matière et dans ce cadre, il n’est pas « visible » à l’œil nu. Comme tant d’autres phénomènes de la nature, il y a besoin d’outils et de concepts pour saisir correctement ce processus.

    Le mode de production est le concept qui saisit la nature même de l’être humain en transformation, dans le cadre général de transformation de l’univers, de la planète.

    On a ici quelque chose d’essentiel, car une incompréhension sur ce plan produit le volontarisme vitaliste, le subjectivisme dans l’approche de l’Histoire.

    Sans le concept de mode de production, on ne peut pas avoir une approche scientifique du réel et sans une telle approche, on cherche à « forcer les choses ».

    C’est ce qu’on appelle le gauchisme, qui se transforme en tendance droitière ouverte une fois l’échec de ses prétentions.

    Et le gauchisme se nourrit, aussi, de l’incompréhension du développement inégal.

    Dans les faits, il y a le développement inégal comme loi du matérialisme dialectique. Cela veut dire qu’il y a donc toujours différents modes de production qui subsistent lors d’une époque donnée, avec même l’existence de tous les mode de production passés de l’Humanité à l’échelle du globe.

    On sait par exemple qu’il subsiste de manière très limité » des tribus isolés de situant en quelque sorte entre le matriarcat et l’esclavagisme. Il y a les pays semi-féodaux, semi-coloniaux qui ont un développement bancal avec l’imbrication d’un capitalisme déformé fondé sur un féodalisme lui-même déformé.

    Si l’on regarde les débuts du lancement du mode de production capitaliste au 15e siècle, on remarque qu’il y a l’imbrication de ce mode de production avec le féodalisme, puis le retour de l’esclavagisme avec les grandes plantations d’Amérique.

    C’est la raison pour laquelle les critiques du matérialisme dialectique se sont frayés un chemin dans les interstices du réel pour mieux contester ses prétentions scientifiques.

    C’est en considérant cette critique que Mao Zedong intervient comme un apport monumental avec son texte De la contradiction publié en 1937.

    En lien avec la thèse scientifique du développement inégal, Mao Zedong rappelle que le réel se développe de manières « multi-couches », avec des inter-connexions qui, en apparence, partent dans tous les sens.

    De la même manière que cohabitent des manières de voir, de penser, mais aussi de produire, très différentes à l’échelle du globe.

    Pourtant, dans les faits, la tendance qui anime de manière principale le cours de l’évolution historique, c’est la dynamique du mode de production de type capitaliste.

    Sa dynamique est telle qu’il s’est précisément imbriqué dans d’autres mode de production antérieurs à son existence, pour mieux s’appuyer dessus et le renforcer. C’est l’aspect principal.

    Ce qui ne signifie pas qu’il en soit de même partout : dans les pays semi-féodaux, semi-coloniaux, le maintien d’une production agraire régie par des rapports féodaux forme l’aspect principal du mode de production.

    Les exploiteurs se font une illusion
    sur la réalité du mode de production

    Si l’on résume donc à grands traits un mode de production, c’est la mise en forme déterminée par la luttes des classes de forces productives « disponibles » à un moment donné de l’Histoire.

    La « disponibilité » des forces productives relève en fait de la complexification humaine dans le cadre de la complexification de la matière universelle en développement infini.

    C’est pourquoi la classe sociale qui voit sa force physiologique et psychique être exploitée résiste et cherche à réorienter les choses. Le degré de complexification atteint à un moment donné ne correspond pas à l’état de ses propres conditions d’existence qui restent le plus souvent bornées, mutilées, vidées de ses potentialités historiques.

    À l’inverse, les classes possédantes cherchent à se maintenir en laissant penser que le mode de production qui les porte est immuable, éternel. Pour cela, elle diffuse des conceptions idéalistes ou semi-matérialistes qui visent à masquer le mode de production lui-même et le caractère naturel, donc historique car dialectique, des forces productives.

    Karl Marx indique ici que :

    « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle.

    La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante.

    Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. »

    Dans le mode de production pré-esclavagiste, les forces productives sont tellement peu développées que la communauté primitive triomphe, ne nécessitant pas de masquer les choses.

    Dans les modes de production fondés sur l’exploitation de l’homme par l’homme, la nature des forces productives est continuellement présentée comme relevant d’un supposé pouvoir « magique », « divin », « entreprenant » des classes possédantes.

    Les exploiteurs dominent la couche des intellectuels pour mieux tromper les travailleurs sur leur force.

    La mystification historique fait partie de la stratégie non consciente des classes possédantes pour neutraliser la révolution.

    Dans les modes de production pré-capitalistes, il n’y a pas de classe sociale parvenue à un tel stade de coopération inter-humaine et de rapport à la synthèse du réel qu’elle puisse avoir les moyens idéologiques adéquates pour démystifier l’Histoire.

    La classe opprimée reste ballottée par le grand moteur historique, la lutte des classes comme reflet de la hausse de la productivité du travail. Les révoltes d’opprimés ne prennent pas la voie de la synthèse générale, mais de synthèses particulières dans le langage des idées dominantes.

    Friedrich Engels nous explique à ce sujet que :

    « Depuis l’apparition historique du mode de production capitaliste, la prise de possession de l’ensemble des moyens de production par la société a bien souvent flotté plus ou moins vaguement devant les yeux tant d’individus que de sectes entières, comme idéal d’avenir.

    Mais elle ne pouvait devenir possible, devenir une nécessité historique qu’une fois données les conditions matérielles de sa réalisation.

    Comme tout autre progrès social, elle devient praticable non par la compréhension acquise du fait que l’existence des classes contredit à la justice, à l’égalité, etc., non par la simple volonté d’abolir ces classes, mais par certaines conditions économiques nouvelles. »

    Sur cet aspect, le mode de production capitaliste pleinement développé fait atteindre un niveau inégalé de tromperie.

    En même temps, ce n’est que dans ce mode de production, avec un prolétariat mature, que l’être humain peut enfin mettre fin à son parcours torturé, bénéficiant d’une la synthèse générale, le matérialisme dialectique.

    Le fétichisme de la marchandise et le mode de production capitaliste pleinement développé

    Dans les modes de production pré-capitalistes, le processus de socialisation des travailleurs n’est pas encore très approfondi.

    Il y a des grandes plantations dans le féodalisme, des vastes chantiers dans l’esclavage, mais cela se réduit à des secteurs précis de la production matérielle, qui plus est dans des secteurs tournés vers des produits pour les plus riches (palais, édifices religieux, produits de luxe, etc). Il n’y a pas le marché mondial pour tout faire inter-pénétrer et coopérer sur une échelle immense.

    Avec le mode de production capitaliste, l’inter-connexion de dizaines, de centaines de milliers de travailleurs, de millions, de milliards de travailleurs est toujours plus approfondie. Au départ à l’échelle d’une région, puis d’un pays tout entier donnant justement lieu à la formation des nations, puis à l’échelle du monde lui-même avec le processus de la « mondialisation. »

    Or, le mode de production capitaliste reste un mode de production fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme avec par conséquent une classe exploiteuse qui domine et empêche d’avoir une lecture scientifique des choses.

    Qui plus est, le développement du mode de production capitaliste, qui repose sur l’inter-connexion immense de travailleurs dans un contexte sans précédent d’élévation de leur force productive, prend forme dans une enveloppe marchande.

    Si dans les modes de production pré-capitalistes, il est aisé de constater que les hommes travaillent pour satisfaire à leurs besoins, les niveaux et degrés d’inter-connexion dans le capitalisme rendent les choses opaques, invisibles d’un coup d’un seul, car la coopération humaine universelle disparaît au profit du seul échange entre des « marchands » isolés les uns des autres.

    La production et la reproduction de la vie réelle apparaît dans le mode de production capitaliste comme quelque chose qui tombe du ciel. Cela est renforcé ensuite par les dispositifs publicitaires qui cherchent précisément à masquer les choses pour mieux le rendre « magiques ».

    Avec le capitalisme développé, marqué par une société de consommation, il y a une obscurcissement tel des conditions de la production sociale que les individus eux-mêmes atomisés perdent le fil de l’Histoire.

    Non pas seulement des conditions de production des biens qu’ils consomment, mais aussi de leur propre histoire en tant qu’être humain.

    En ce sens le mode de production capitaliste est le dernier mode de production qui voit l’apogée de l’être humain atteindre le stade ultime de son aliénation.

    Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il n’y a rien là qui soit l’œuvre de forces maléfiques comme le diffusent, volontairement ou non, les critiques romantiques du capitalisme.

    Si le mode de production capitaliste parvient à un tel stade de mystification, c’est qu’il est l’expression d’un développement sans précédent de la productivité du travail social.

    Ce développement débouche sur l’abondance des biens dans une forme complexe, la marchandise, car elle constitue la forme la plus avancée du mode de connexion entre les gens.

    Ce développement est donc le reflet d’une Humanité, partie spécifique de la matière vivante, parvenue à un point d’interconnexion et d’interpénétration sans précédent.

    L’être humain est parvenu à développer massivement sa force productive, donc sa propre nature d’être transformateur du réel, qu’il peut enfin se retrouver lui-même, dans le grand tout de la Biosphère.

    Mais comme il n’y a pas l’intelligence collective qui met à jour consciemment ce niveau de force de productive, le fétichisme de la marchandise couplé à l’idéologie libérale-individualiste de la bourgeoisie produit des ténèbres. C’est le retour d’un obscurantisme dans des conditions modernes.

    On ne peut comprendre l’état d’esprit général, la déformation et la mutilation des personnalités en ce début de 21e siècle, sans saisir tout ce parcours historique débouchant sur le mode de production capitaliste pleinement développé.

    Les personnalités sont littéralement comprimées dans leur psyché et cela débouche sur des retours en arrière barbares, dans la quête torturée d’un retour à la Nature, une quête d’autant plus intense qu’elle est appelée nécessairement par le mode de production capitaliste pleinement développé.

    Les différents modes de production comme conscience de l’interconnexion humaine dans le cadre de la matière vivante

    L’histoire de l’Humanité est donc l’histoire des manières de produire et de reproduire sa vie réelle qu’elle a mise en place spontanément et inconsciemment et de manière toujours plus différenciées.

    Mais qu’y a t-il qui gît au fond même de l’évolution des modes de production ? La productivité sans cesse approfondie du travail social.

    Comment cette productivité s’approfondit-elle sans cesse ? Par la synthèse de l’expérience et du rapport transformateur au réel que l’on nomme « conscience ».

    Par conséquent, si l’on suit la tendance de fond du parcours de l’Humanité, on suit en réalité le parcours du développement de sa propre conscience.

    Comme l’a toujours rappelé le matérialisme, il ne faut jamais perdre de vue que cette conscience est le fruit, le résultat, de la Nature. Avec le matérialisme dialectique, on sait maintenant que cette nature, c’est la capacité productive humaine elle-même imbriquée dans le grand tout de la matière en développement.

    Reste que le progrès de l’Humanité en tant que succession des modes de production traduit le progrès de la clarté de l’Homme avec lui-même et avec la Nature.

    Il progresse toujours plus vers la voie de la compréhension de son environnement et donc dans les moyens de mettre en place les capacités de rendre sa vie meilleure, plus douce, plus calme, plus simple, plus pacifiée.

    Dans le développement historique de l’Humanité, les modes de production voient les producteurs entrer en coopération pour la satisfaction de leurs besoins.

    Ils ne choisissent rien de tout cela, ce sont les conditions qui se trouvent toutes prêtes.

    Et lorsque l’état de développement des forces productives atteint un seuil, il y a la nécessité de déchirer l’unité de ces forces avec leur mise en forme sociale et historique (les rapports de production). C’est dans ce moment que l’on passe de la reproduction spontanée, inconsciente de la masse des hommes à un processus de conscience, de l’évolution à la Révolution.

    Comme le note Staline :

    « Le conflit entre les forces productives nouvelles et les rapports de production anciens, les besoins économiques nouveaux de la société donnent naissance à de nouvelles idées sociales ; ces nouvelles idées organisent et mobilisent les masses, celles-ci s’unissent dans une nouvelle armée politique, créent un nouveau pouvoir révolutionnaire et s’en servent pour supprimer par la force l’ancien ordre de choses dans le domaine des rapports de production, pour y instituer un régime nouveau.

    Le processus spontané de développement cède la place à l’activité consciente des hommes ; le développement pacifique, à un bouleversement violent ; l’évolution, à la révolution. »

    En ce sens, en filiation avec la thèse léniniste de l’avant-garde, le Parti de la Révolution, c’est le Parti de la science et de la conscience historique.

    Ce n’est pas un prétexte pour le rassemblement d’individus « combatifs », « mieux organisés », etc., comme le veut la tradition gauchiste. C’est bien plus que cela, bien mieux que cela : c’est le parti de la civilisation, incarnant la clarté des choses devant l’être humain lui-même.

    Par conséquent, dans le fond du développement de mode de production que l’Humanité se donne et se lègue de générations en générations, il y a une tendance qui est celle de la civilisation, qui veut que l’être humain approfondisse toujours plus sa conscience de lui-même et de son rapport à la nature grâce à l’élévation de ses capacités productives.

    La succession des modes de production en tant qu’élévation contradictoire du niveau des forces productives relève en fait du parcours de l’Humanité progressant sur le chemin de la conscience d’elle-même, comme expression de la Biosphère ayant la capacité de synthèse du réel.

    Avant les modes de production fondés sur l’exploitation anthropocentriste de l’homme par l’homme, les hommes se reproduisaient par « générations spontanées » c’est-à-dire sans aucun maîtrise de leurs destinées collectives.

    L’apparition des modes de production pré-cités sonnent comme le début de l’Histoire humaine en tant que processus allant vers la pleine conscience de sa propre naturalité.

    On sait combien la religion est apparue comme l’apogée même de la mystification de la nature humaine, obstruée par un grand être au-dessus de tout, impulsant tout, etc.

    Karl Marx rappelle que l’illusion humaine de sa propre nature doit s’achever avec le mode de production socialiste :

    « En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature.

    La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social.

    Mais cela exige dans la société un ensemble de conditions d’existence matérielle qui ne peuvent être elles-mêmes le produit que d’un long et douloureux développement. »

    Dans cette évolution, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne commencée en 1966 en Chine a été le point d’orgue du processus d’approfondissement de la conscience par la mise au poste de commande du matérialisme dialectique dans l’ensemble des domaines de la vie.

    Avec la Révolution culturelle, il a été compris la dimension matérialiste dialectique d’un mode de production contre le subjectivisme le réduisant en instrument volontariste d’une classe sociale.

    Le mode de production socialiste apparaît ici comme le début de la fin de l’Histoire, car il est le point d’aboutissement du parcours de l’Humanité. On a ici en tête la clef essentielle du basculement du mode de production en capitaliste en mode de production socialiste : l’appropriation privée des fruits de la production sociale.

    Cette contradiction entre l’intérêt social, collectif, et celui privé, de la propriété privée, relève en fait de la contradiction entre barbarie et civilisation, entre obscurantisme et Lumières, entre spontanéisme et conscience.

    En faisant triompher la conscience générale des lois qui régissent le réel grâce à la planification démocratique des besoins et des moyens de les reproduire, le Socialisme permet à l’Humanité d’aller vers l’ère du Communisme.

    C’est le triomphe d’un être humain redevenu maître de lui-même, mais avec un haut degré d’intelligence collective et de maîtrise de son processus de développement dans le cadre de la matière vivante.

    Avec l’élévation des forces de productives et la succession des modes de production fondés sur l’exploitation de l’homme par l’homme et l’anthropocentrisme, l’être humain a perdu le fil de sa propre nature.

    Dans de telles conditions, il ne parvient plus à comprendre le caractère de son propre développement, il s’emmêle les pinceaux et fait du produit de sa conscience un fétiche à la source même de sa propre nature.

    La force du matérialisme dialectique qui met en avant la thèse du reflet dans le cadre d’un mode de production est de retrouver ce fil perdu par le prisme de la conscience.

    Voici comment Karl Marx présente admirablement bien les choses :

    « Voici donc les faits : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans des rapports sociaux et politiques déterminés.

    Il faut que dans chaque cas isolé, l’observation empirique montre dans les faits, et sans aucune spéculation ni mystification, le lien entre la structure sociale et politique et la production.

    La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté.

    Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature.

    Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l’expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale.

    Il n’est possible d’émettre l’hypothèse inverse que si l’on suppose en dehors de l’esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier.

    Si l’expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d’activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent. »

    Le mode de production socialiste comme étape visant la généralisation de la conscience civilisée à l’ensemble des domaines de la société grâce au matérialisme dialectique permet à l’Humanité de s’émanciper de l’obscurité nouvelle et passée, d’aller vers le chemin de sa rédemption : le communisme.

    Le communisme, c’est le retour de l’Humanité à elle-même, en faisant en sorte que sa nature et son produit, les forces productives, soit comprises comme relevant de sa capacité de synthèse du réel, devant par conséquent être maîtrisées et orientées correctement dans le cadre de la Biosphère dans son ensemble.

    On comprend désormais ce que Karl Marx veut dire quand il explique que :

    « La dépendance universelle, cette forme naturelle de la coopération des individus à l’échelle de l’histoire mondiale, sera transformée par cette révolution communiste en contrôle et domination consciente de ces puissances qui, engendrées par l’action réciproque des hommes les uns sur les autres, leur en ont imposé jusqu’ici, comme si elles étaient des puissances foncièrement étrangères, et les ont dominés. »

    L’humanité marche au communisme, sa voie est celle de la guerre populaire, théorie militaire du prolétariat, car chaque classe a sa propre théorie.

    Les masses, qui attendant depuis des centaines d’années, des milliers d’années leur libération, se précipiteront dans le combat révolutionnaire, érigeant leur nouveau pouvoir, établissant le mode de production socialiste.

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  • Le matérialisme dialectique, idéologie révolutionnaire de l’époque de l’intelligence artificielle

    Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? C’est une interface utilisant les statistiques des mots afin de fournir des réponses sur les thèmes les plus variés. Pour cela, l’intelligence artificielle profite des immenses bases de données permises par internet.

    Par conséquent, il y a une rupture anthropologique ; l’humanité connaît une évolution.

    Les êtres humains capable d’employer l’intelligence artificielle sont en mesure de se confronter à bien plus d’informations et de connaissances qu’auparavant. Ils interagissent avec ce que l’intelligence artificielle fournit, il y a un rapport dialectique qui s’établit, à la fois passif et actif.

    De plus, la question de l’utilisation de ces informations et connaissances implique une capacité de synthèse, dont l’humanité ne dispose pas encore.

    La masse d’informations et de connaissances est telle qu’il faut trouver des lignes de conduite pour que l’intelligence artificielle soit productive, et celle-ci est brimée par sa logique de constatation des statistiques des mots.

    Il y ici toute une série de contradictions explosives, qui de manière historique impose que le matérialisme dialectique soit au poste de commande.

    Au fond, on peut dire qu’il s’agit de la contradiction entre l’individu isolé et l’universalité des informations et connaissances, ainsi que la contradiction entre l’universalité de l’humanité utilisant l’intelligence artificielle et le caractère particulier, unique de celle-ci. Ce sont les deux mêmes faces d’une même pièce.

    Plus simplement dit : l’intelligence artificielle implique le concept de « totalité » et, pour cette raison, exige un raisonnement capable de commencer et de terminer en se fondant sur ce concept.

    Les êtres humains s’amusent à piocher, à expérimenter avec l’intelligence artificielle, mais la tendance de fond est la systématisation d’une connaissance « totale ».

    C’est d’ailleurs la hantise de la bourgeoisie qui produit toute une série de films, séries, romans, articles scientifiques… au sujet d’une possible « prise du pouvoir » par l’intelligence artificielle, aux dépens de l’humanité. C’est en réalité la peur du matérialisme dialectique comme science de la totalité.

    Il ne s’agit nullement de dire que la diffusion des informations et la facilité d’accès aux connaissances portent en soi le Communisme. Ce serait là imaginer que le Communisme est l’humanisme du 16e siècle ou bien les Lumières du 18e siècle transposés au 21e siècle. En un sens, c’est vrai, mais on ne saurait être unilatéral et considérer que l’humanisme est un strict équivalent des Lumières, et que l’humanisme et les Lumières sont pareils au Communisme. Le Communisme porte le meilleur du passé, voilà en quelle mesure c’est vrai, mais là on est dans une époque nouvelle.

    Dans cette époque, il en va du tout pour le tout : une seule humanité, une seule planète, une seule vision du monde. C’est le grand bond en avant, le retour à la Nature de l’humanité socialisée ayant développé les forces productives.

    Pour en arriver là, il faut un véritable niveau de conscience, avec une subjectivité révolutionnaire adéquate. Seul le matérialisme dialectique est à la hauteur pour cela. Les utopies « technologiques », qu’on trouvait dans les années 1990 dans les milieux des informaticiens ou de la musique techno, ont d’ailleurs disparu, parce que le cynisme l’a emporté : les informations et les connaissances sont mises à disposition par le capitalisme, à travers le capitalisme, pour le capitalisme.

    Ce qu’il convient de dire, c’est que l’humanité a modifié son rapport au monde, en acceptant le principe universel de l’intelligence artificielle comme fournisseur de savoirs. On a ici l’équivalent de « l’intellect agent » d’Aristote et de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

    On a l’affirmation d’un grand « tout » qu’il est possible d’appréhender, de découvrir, de connaître.

    Un être humain utilisant l’intelligence artificielle ne se dit pas qu’il n’y a pas de réponse possible. Ce simple changement de mentalité torpille le relativisme bourgeois, il produit une tension de la conscience allant dans le sens d’une connaissance maîtrisée de la réalité.

    L’intelligence artificielle, utilisable sur toute la planète, va bien plus loin qu’internet, également mondialisé. L’intelligence artificielle se pose comme outil universel, à la fois planétaire et ouvert à chacun, avec une capacité d’aborder tous les thèmes, tous les domaines. C’est une révolution anthropologique.

    Comment les religions pourront-elles d’ailleurs se maintenir face à une force capable de provoquer l’adhésion de chaque être humain ? Seul le matérialisme dialectique peut ici être la science de l’humanité, car seul le matérialisme dialectique est capable de fournir des lignes de conduite satisfaisantes à une intelligence artificielle par définition non dialectique.

    Toutes les autres approches provoqueront l’éparpillement, l’éclectisme, les points de vue unilatéraux, la logique du copié-collé, les habitudes du prêt à porter de la bien-pensance bourgeoise.

    Une humanité nouvelle se forme, bien moins cultivée que les générations précédentes, mais beaucoup plus ouverte aux nuances et aux différences, et vraiment plus rapide également.

    Le véritable choc des générations tient à la vitesse de la pensée ; la vivacité des nouvelles générations contraste terriblement avec la lenteur et la rugosité des réflexions des générations passées.

    Il est vrai qu’il y a dans la jeunesse une tendance à l’instantané, que la capacité d’attention est extrêmement courte. Les réseaux sociaux ont ici plombé les esprits, tout comme les jeux vidéos lorsqu’ils sont tournés vers des satisfactions rapides et répétitives.

    Cependant, il faut voir l’aspect principal historiquement : les forces productives se sont développées de manière immense. N’importe qui, dans un pays capitaliste mais également dans une certaine mesure dans de très nombreux pays du tiers-monde, est en mesure de développer ses facultés dans des domaines extrêmement variés, allant du cyclisme à tous les genres de musique, du dessin à la photographie, en passant par le cinéma.

    En fait, on peut même dire que, sur la planète, bien que ce ne soit pas encore vrai partout, n’importe qui peut être amené à faire n’importe quoi. Il y a encore d’immenses obstacles matériels et idéologiques, notamment en raison des restes claniques, tribaux, féodaux, des préjugés ethniques et communautaires ou encore religieux.

    Néanmoins, les marges de manœuvre sont devenues immenses et, par l’existence des réseaux sociaux, l’insertion dans une sorte de communauté mondiale est très grandement facilitée.

    Il est vrai qu’on n’en est pas encore à d’immenses échanges entre, disons, l’Europe et les Etats-Unis, avec la Chine, avec l’Inde, avec l’Afrique, avec l’Amérique latine, mais la tendance est déjà là et se généralise.

    Il faut qu’il en aille de même pour le matérialisme dialectique. Grâce aux traductions automatisées, qui ont connu des améliorations formidables, il va être possible de faire avancer les connaissances, les échanges d’expérience, les éléments scientifiques du Japon au Kenya, du Paraguay à l’Irak.

    En fait, avec une idéologie portant l’universel, il ne saurait plus y avoir d’obstacles alors que l’intelligence artificielle se diffuse largement, toujours plus profondément. Ce saut technologique est le dernier fruit de la mondialisation, celui qui a le plus d’ampleur. Il est la rencontre d’internet et des équipements informatiques, à l’échelle de la planète.

    C’est un rêve qui devient réalité, c’est l’ouverture d’une nouvelle époque, celle d’une humanité unifiée à l’échelle planétaire. La République socialiste mondiale est inévitable et sa réalisation nécessaire s’exprime chaque jour davantage, partout et sans laisser personne de côté !

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  • Le matérialisme dialectique, aboutissement du long cheminement de l’Humanité depuis la sortie de la Nature

    Le matérialisme dialectique n’a pas été compris et arboré de manière approfondie, maîtrisée et prolongée en France.

    Cela tient au fait fondamental que le marxisme n’a pas été compris en tant que tel, en raison de la puissance culturelle de la bourgeoisie en France et de l’incapacité de la gauche à assimiler le concept de mode de production, et en conséquence, de lutte des classes.

    La lutte des classes et la notion de capitalisme elle-même ont a toujours été compris depuis un point de vue non antagoniste à la bourgeoisie. La notion de Révolution n’était en fait saisie que par le biais de la grande Révolution bourgeoise de 1789.

    Le matérialisme en France est, en fait, à l’origine même un matérialisme bourgeois, c’est-à-dire un matérialisme incomplet, jamais pleinement saisi, systématiquement relativisé et fatalement dérivé, frelaté, finalement dénaturé.

    Ce n’est pas faire injure ici à Diderot, La Mettrie, d’Alembert, Voltaire, d’Holbach, Monstesquieu, Helvétius, Rousseau, Condorcet… que de dire cela.

    Posons de manière ramassée et encadrée trois points qui, selon notre analyse forgée par la pratique révolutionnaire active et l’intense réflexion théorique sur la société française, entrave la juste compréhension du matérialisme dialectique, afin d’armer idéologiquement les agents de la rupture en France pour qu’ils puissent jeter sur le feu de la décadence de la France bourgeoise l’implacable huile de la Révolution et sa perspective culturelle totale, se dressant face à la bourgeoisie sur tous les fronts.

    Idéologie, Religion, Cosmologie :
    le sentier lumineux de la vision du monde totale

    Radicalement, on veut la Révolution, car on rejette le monde actuel. On veut en modifier les fondements. Cela implique d’analyser, de comprendre le monde dans lequel on vit, non pas de manière unilatérale ou binaire, mais dialectique.

    Le monde n’est pas « pur » ou « impur », pas plus qu’il n’est immobile, ou en « transition ». Il n’existe pas non plus de zones « anticapitalistes » ou non-capitalistes ; il n’y a aucun refuge contre le réel, il n’existe pas de petit coin de paradis en enfer.

    Il existe une période historique, qui définit l’ensemble des faits, leur attribuant des caractéristique. Cela rentre dans un cadre beaucoup plus général, beaucoup plus vaste : l’univers lui-même est en transformation de manière différenciée. Il y a des contrastes, des différences, des luttes, entraînant le développement de certains aspects contre d’autres avec, au bout du compte, la transformation générale.

    Tout n’avance pas bien sûr au même rythme, toutefois il y a un ensemble, formant une réalité, et tout ce qui se joue dans cet ensemble participe de la transformation. Rien ne peut émerger sans se rattacher à la réalité en étant en même temps issue d’elle.

    Par exemple, une personne qui va s’engager politiquement à Droite de l’échiquier politique parce qu’elle refuse la violence sociale, les trafics, les agressions dans la rue, a tort politiquement, mais son engagement relève d’une certaine dignité : une dignité égarée, mais réelle. On ne peut pas dire à cette personne une chose comme : « tu as tort de t’engager à Droite car il n’existe pas de violence sociale ou de trafics, etc. »

    C’est ce que nous appelons : la dignité du réel. De la même manière, pourquoi certains travailleurs sont-ils égoïstes, et se comportent en capitalistes s’ils le peuvent ? C’est qu’ils ont compris qu’il fallait l’abondance matérielle, mais ils choisissent de s’extraire de la classe et de viser une abondance égoïste.

    Le capitalistes eux-mêmes sont, pour caricaturer, des « communistes » égoïstes, qui veulent vivre leur propre « communisme », bien entendu défiguré, fondé sur l’appât du gain, avec l’argent comme fétiche d’une possibilité pratique d’abondance.

    Autrement dit, rien n’existe sans origine historique, sans relever du réel, car toutes les activités et les pensées de l’Humanité ne sont que le reflet du réel, comme ensemble en transformation.

    Cet ensemble en transformation est, à le prendre de la manière la plus complète possible, le Cosmos, éternel et infini, dont notre planète comme biosphère est un élément particulier, tout comme l’Humanité forme dans la biosphère un élément particulier, en tant que matériel biologique participant à l’ensemble de manière symbiotique et toujours plus complexe.

    Fondamentalement, c’est là le coeur du matérialisme dialectique.

    Ajoutons que l’Humanité s’est développée et affirmée dans sa particularité comme matière pensante, la pensée étant une activité produite par le mouvement naturel de la matière vers la vie toujours plus complexe.

    C’est cette particularité qui a fait que l’Humanité a travaillé et s’est organisée de manière consciente, produisant des sociétés toujours plus complexes et différenciées, produisant des contradictions entre les sociétés et la Nature, mais aussi entre les sociétés elle-même.

    Ce mouvement relativement propre aux sociétés humaines, c’est l’Histoire, qui s’est traduite par une transformation de l’Humanité comme espèce sociale, entraînant une rupture relative, mais impossible dans l’absolu, entre l’Humanité et la Nature.

    La conscience de ce mouvement historique a mis des millénaires à émerger dans la pensée humaine, jusqu’à la compréhension que l’Histoire n’était qu’une contingence relative et particulière à l’Humanité, finalement englobée dans l’ensemble de la réalité matérielle en mouvement.

    En somme, ce qu’on appelle le matérialisme historique, qui traite de l’histoire plus directement, est un élément du matérialisme dialectique, et le premier est appelé à se fondre dans le second, dont il est issu.

    On peut considérer que l’Histoire de l’humanité aura une fin, mais pas le mouvement dialectique de la matière, car l’Humanité va « revenir » dans la Nature, transformée par l’Histoire, avant d’entrer dans l’ère consciente de la symbiose toujours plus complète et complexe avec le Cosmos éternel et infini.

    C’est ce que Karl Marx appelait un « Humanisme de la Nature et une Naturalisation de l’Humanité ».

    C’est ce qui a été précisée dans la Chine révolutionnaire à l’époque de Mao Zedong (extrait de la revue Dialectique de la Nature, n°1, 1973) :

    « Toutes les choses produites sont vouées à disparaître. Les particules « élémentaires » sont vouées à se transformer, les humains sont voués à mourir, la Voie Lactée, le Soleil et la Terre sont vouées à se décomposer et à être détruites.

    Même quelque chose qui dure aussi longtemps que « le Ciel et la Terre » [issu dans le taoïsme de l’oeuf cosmique se brisant] finira par disparaître.

    Même l’espèce humaine elle-même va changer et s’éteindre.

    Mais la fin du Soleil, de la Terre et de l’espèce humaine n’est pas un « jour du jugement dernier de l’univers ».

    Lorsque la Terre s’éteindra, il y aura des niveaux encore plus élevés de corps célestes pour la remplacer.

    À ce moment-là, les gens célébreront la victoire de la dialectique, accueillant la naissance de nouvelles étoiles.

    Lorsque l’espèce humaine disparaîtra, des espèces encore plus élevées apparaîtront.

    De ce point de vue, les activités humaines créent les conditions pour l’apparition d’espèces encore plus élevées.

    Si l’ancien ne disparaissait pas, le nouveau ne viendrait pas. La mort de l’ancien est précisément la condition nécessaire à la naissance du nouveau.

    « Il en est toujours ainsi dans le monde, le nouveau remplaçant l’ancien, l’ancien étant remplacé par le nouveau, l’ancien étant éliminé pour faire place au nouveau, et le nouveau émergeant de l’ancien. » [Mao Zedong, De la contradiction]

    Le fini se transforme en infini.

    C’est précisément parce que toutes les choses de l’univers changent et se développent continuellement qu’elles constituent le développement sans fin de l’univers tout entier.

    C’est précisément parce que tout a sa naissance et sa mort, son commencement et sa fin que l’univers dans son ensemble peut être sans naissance ni mort, sans commencement ni fin.

    Toutes les choses sont comme des milliers et des millions de ruisseaux qui se rejoignent et forment un long fleuve inépuisable de l’univers.

    En ce qui concerne les choses concrètes, leur développement est fini, le temps est fini.

    Mais infinies sont les transitions d’une espèce de chose à une autre, d’une forme de matière à une autre, c’est-à-dire d’un temps concret à un autre temps concret.

    C’est précisément à cause de la finitude des choses concrètes dans le temps qu’elles constituent l’infinité de l’univers dans son ensemble dans le temps, et le développement de l’univers ne s’achèvera jamais, n’atteindra jamais son apogée.

    De même que dans l’espace, l’univers dans le temps est à la fois fini et infini, et l’infini est composé uniquement de ce qui est fini et transformé à partir de ce qui est fini. »

    Comprendre et assimiler cette perspective, c’est ce que nous appelons notre Cosmologie, notre vision du monde.

    L’Humanité, depuis les débuts de l’Histoire, n’a eu de cesse dans son activité pensante, c’est-à-dire culturelle, d’élaborer, de produire, de discuter, d’affiner sa cosmologie.

    Celle-ci à pris mille et une voies, mille et une formes, mais il s’agit d’un seul et même mouvement, différencié et contradictoire. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que la la Culture est une, différenciée et contradictoire, et que notre démarche est celle de l’Encyclopédisme.

    Le matérialisme dialectique porte en effet la Culture, il est le fruit prolongé de tout ce mouvement productif, de toute cette activité concernant et impliquant l’ensemble de l’Humanité, sur toute la planète, à toutes les époques.

    Le caractère unifiée mais différencié de la Culture implique de comprendre qu’il y ait des étapes dans le processus historique. Les éléments structurant ces étapes, ce sont les modes de production.

    À chaque étape, à chaque mode de production, correspond une certaine période de la Culture, reflétant la manière dont celle-ci, comme vision du monde allant à la symbiose, a pu être appréhendée par la pensée humaine.

    Cela implique aussi de considérer que ces étapes laissent des empreintes, des traces dans la Culture, même lorsqu’une étape est passée. Cela, nous le désignons sous le terme de nexus ; c’est le moment dans un processus où se voient nettement la tendance à élever la conscience et la Culture et celle à s’effondrer dans le siphon de la réaction, sous une forme plus ou moins barbare.

    Les grandes étapes historiques selon le matérialisme dialectique, ce sont les modes de production qui permettent de les distinguer : l’esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme et le socialisme sont les principaux modes de production historique.

    Mais de par la différenciation relative, des éléments du tribalisme primitif se sont maintenus relativement dans l’esclavagisme tardif, de même que des éléments du tribalisme et de l’esclavagisme se sont maintenus relativement dans le féodalisme, et que de même des éléments du tribalisme, de l’esclavagisme et du féodalisme se sont maintenus relativement dans le capitalisme, même à l’époque du capitalisme généralisé.

    C’est là une tendance inévitable, car seule la « sortie » de l’Histoire qui se réalisera progressivement dans le Socialisme permettra de dépasser définitivement ces contradictions, jusqu’au Communisme, où le développement différencié s’exprimera sous une autre forme, une nouvelle forme qui ne sera plus celle héritée par les contradictions empilées de l’Histoire que nous connaissons.

    Il ne peut y avoir qu’une seule vision du monde correcte : celle allant par la Culture et la Science matérialiste dialectique à la symbiose entre l’Humanité et le Cosmos.

    Cette vision du monde a été porté historiquement par des titans comme Aristote par exemple à l’époque de l’esclavagisme, et plus relativement par des mouvements entiers, par exemple celui des Lumières à l’époque tardive du féodalisme.

    Cela pose la question de l’idéologie. Dès lors que s’affirme nettement un mouvement dans la pensée allant jusqu’à la Culture, alors on parle d’idéologie.

    La religion monothéiste est ainsi l’idéologie typique du féodalisme, le libéralisme est l’idéologie typique du capitalisme en croissance. En un sens, le matérialisme dialectique est l’idéologie typique du Socialisme, comme drapeau de la Révolution, avant qu’idéologie et vision du monde ne fusionnent définitivement dans le Communisme.

    Le long cheminement historique transporte les restes du passé, jusqu’au dépassement final de l’Histoire

    En raison du développement inégal, des variétés, des courants divers peuvent exister dans une idéologie.

    Il existe par exemple toute une variété de religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme, l’islam et cela sans même prendre en considération les religions poly-monothéistes comme le brahmanisme ou le bouddhisme.

    Et d’ailleurs ces religions se divisent encore en confessions, sectes, écoles etc. De même le libéralisme se décline en néo-libéralisme, social-libéralisme, libertarianisme etc.

    Cependant, plus la société humaine se complexifie, plus il devient possible de comprendre les modes de production obsolètes. En effet, si on considère le processus historique, le modes de production dominant est aussi en quelque sorte celui qui n’est plus avant lui (et même ceux encore avant), et il est celui qui n’est pas encore (et même au-delà puisque le besoin de Communisme s’exprime déjà sous de multiples aspects).

    Tout cela est bien entendu très complexe, car l’éventail des phénomènes apparaît énorme plus on remonte dans le passé. Les sociétés du tribalisme ont été d’une variété gigantesque, de même que les sociétés esclavagistes ou féodales. Il y a moins de différence aujourd’hui dans le mode de vie entre un Australien et un Français qu’entre deux paysans français vivant au 12e siècle à cent kilomètres de distance.

    Tel est le long cheminement historique vers l’unité de l’humanité. Et nous pouvons généraliser nos connaissances, si nous commençons à définir chaque mode de production de manière négative. Par exemple, le féodalisme est entre le système esclavagiste mature et le système capitaliste naissant, possédant une différence significative par rapport aux deux.

    Le féodalisme n’est donc pas un type ossifié de relation de production, mais un processus qui remplit l’intervalle entre l’autre.

    L’ensemble de ses définitions et caractéristiques est donc énorme, mais n’est pas illimité pour autant : comme il s’agit d’un processus historique relatif, on peut en cerner des limites dans les caractéristiques fondamentales distinctives de ces diverses formes passées.

    Selon la loi matérialiste dialectique du « Un devient deux », il existe donc un féodalisme, sous des formes différenciées, mais avec un dénominateur commun sur le plan de la nature de l’idéologie dominante. L’enjeu est donc de saisir les caractéristiques générales, la substance du féodalisme comme phénomène unifié.

    C’est ce qui implique d’affirmer que la religion est une idéologie. À proprement parler, il n’y a pas d’histoire des religions, il y a une histoire des modes de production et de leur idéologie.

    Et cette histoire doit être abordée comme relevant d’une double tendance fondamentale. En raison du développement différencié, il existe fondamentalement une ligne rouge, celle élevant la société humaine vers la Culture et la symbiose finale, et une ligne noire ramenant la société en arrière, ou plutôt tentant de la ramener en arrière ou de la figer.

    La lutte des deux lignes est pour l’Humanité une bataille culturelle ; c’est également une dynamique qui traverse éternellement le mouvement de la matière : c’est la bataille du nouveau contre l’ancien.

    Le rôle des idéologies et la question française

    Dans le cadre de l’Histoire, cette lutte s’exprime à travers les idéologies. Une seule idéologie est le reflet de la dynamique vers la Culture, alors que les autres, produits résiduels de l’Histoire, ne sont que des versions obsolètes plus ou moins décadentes.

    Cependant, même une personne s’engageant dans une idéologie obsolète, dans une version du libéralisme par exemple, le fait avec une certaine dignité : toute l’Humanité ne peut que chercher la symbiose, même par la dérive. Même la pire lie de l’Humanité, qui la nie ouvertement, ne fait que refléter le négatif de la symbiose.

    Ni la dérive, ni la négation ne sont donc acceptable, et elles n’ont de toute manière pas la puissance du mouvement qui porte la Culture. Leur antagonisme est d’autant plus faible en réalité qu’il n’est qu’une contingence historique : ce n’est fondamentalement que la dérive ou la négation du reflet d’un reflet.

    Et il y a les « adaptations ». Les religions féodales n’existent plus comme telles, elles ont été transformées par le capitalisme et son idéologie libérale.

    C’est pourquoi il doit être parlé de semi-féodalisme à propos des religions. Depuis l’émergence et l’hégémonie du libéralisme, les religions ne sont plus que des idéologies, fondamentalement réactionnaires, mais aussi un reflet de la dérive d’ une quête de la cosmologie allant à la Culture.

    Il faut en effet considérer que le capitalisme et son idéologie imprègnent tout comme vision du monde, en fait comme vision du monde dépassée.

    En France en particulier, la bourgeoisie a développé une hégémonie culturelle redoutable et de très grande ampleur. Il faut se souvenir que la France a été à la pointe de la vision du monde féodale dans sa version catholique, puis à la pointe dans la vision du monde libérale avec les Lumières, puis l’élan de la grande Révolution Bourgeoise de 1789.

    En France, la bourgeoisie post-révolutionnaire a produit des figures remarquables, comme Lamennais, Saint-Simon, Cuvier, mais aussi Benjamin Constant, Mme de Staël ou Balzac.

    Toutes ces figures ont contribué puissamment à affirmer un matérialisme bourgeois, portant la Science et la Culture, mais sans pouvoir aller au bout, avec l’idée, tout au contraire du matérialisme dialectique, de réconcilier les différences idéologiques relatives au lieu de les liquider.

    L’idéologie libérale française est toute entière possédée de la notion de la Concorde, de la paix civile, de la convergence progressive dans l’unité, du « deux donne un ».

    Le courant dit « radical » (en fait les « centristes ») et la tradition de la franc-maçonnerie, si puissante en France, notamment sous la IIIe République, relèvent de la logique bourgeoise française de « Concorde ».

    Les forces féodales en France ont au fur et à mesure totalement capitulé devant la bourgeoisie, c’est ce que l’étude de figures comme Lammenais ou Chateaubriand permet de saisir : le libéralisme bourgeois est implacable, mais il lui faut ou bien une morale, c’est la doctrine sociale de l’Église que Lamennais posera le premier, ou bien il lui faut avancer lentement, avec l’escorte romantique d’un semi-féodalisme mu en réaction conservatrice devant organiser sa liquidation, par étape, raisonnable.

    Toute la Droite française, nationale-catholique et réactionnaire sort de là : de la volonté de faire de l’idéologie religieuse une sorte de « guide » moral du capitalisme.

    On comprend ainsi autant la fascination historique des islamistes pour l’idéologie de la Droite en France, tout autant que la fascination-rejet de la Droite en France de l’islam, exprimé dans un « orientalisme » chaotique, mais très sophistiqué.

    Dans l’autre sens, les libéraux ont littéralement annexés la gauche, en construisant une idéologie mécaniste de leur vision du monde, autour notamment de la pensée de Saint-Simon, considérant que l’État bourgeois et son administration militarisée était une force « neutre » devant imposer la Raison bourgeoise sur le principe de l’ingénierie sociale.

    Cette idéologie mécaniste s’est aussi renforcée du positivisme, affirmant la relativité du réel et sa convergence dans le « progrès », c’est-à-dire dans le Libéralisme.

    Les religions en France n’existent en fait plus que sous cet aspect : comme élément positivement « attardé » du progrès, mais allant à la convergence avec le libéralisme. Toute la gauche du régime bourgeois est sur cette ligne concernant les religions.

    Ainsi, l’islam ne serait qu’une sorte de « choix », s’expliquant de manière positiviste et relative, mais convergent au bout du compte dans la « Concorde » sociale et le progrès libéral.

    Ce que la gauche bourgeoise demande aux musulmans, c’est cela : la capitulation de l’essence féodale de l’islam pour prendre les habits communs du libéralisme, comme l’ont fait historiquement les forces féodales en France.

    Bien sûr, les gens qui voudraient prendre cependant au sérieux les religions se trouvent ici piégés : ou bien assumer de relativiser leur idéologie comme un simple masque du libéralisme hégémonique, et donc se borner à faire de la religion non plus une idéologie mais une « identité » relative et différentialiste et au final une simple marchandise, ou bien assumer l’essence féodale de leur idéologie et sombrer toujours plus loin dans la réaction.

    Cela explique aussi que la gauche en France n’existe que comme un prolongement du Libéralisme, entretenant la lutte avec le conservatisme de repli de la Droite, et entretenant la mauvaise conscience du Libéralisme.

    Une telle annexion a ouvert un espace « ultra » à la gauche, où tout et n’importe quoi a un espace pour se développer : l’anarchisme de Proudhon aussi bien que le syndicalisme révolutionnaire de la CGT historique, le « trotskisme », le « social-écologisme » ou le « populisme de gauche ».

    Le tout devant converger dans la « grande maison commune » de la gauche qui ne cesse de multiplier ses divisions et d’en appeler néanmoins à la Concorde.

    Mais ni le libéralisme et sa gauche de cinéma, et encore moins les religions, ne peuvent en fait assumer l’enjeu titanesque d’une vision du monde réelle et puissante.

    Et ce que cherchent les gens qui s’engagent dans une idéologie, fondamentalement, c’est tout cela.

    La vision du monde de notre époque, dans le prolongement de l’Histoire, c’est la recherche de l’Encyclopédisme universel, de la Fraternité et de la Paix. C’est là la pleine et unique eschatologie de la Culture, et seul le matérialisme dialectique de notre époque porte ce drapeau.

    C’est pourquoi nous disons : l’idéologie doit être au poste de commande, car seule le matérialisme dialectique, comme antagonisme complet et d’avant-garde en termes de vision du monde, est en mesure de se confronter au Libéralisme comme ultime vision du monde obsolète, et de liquider toutes les idéologies obsolètes que le Libéralisme n’a pas été en mesure de dépasser et de fondre en lui, en raison de sa perspective essentiellement erronée du « deux donne un », laissant subsister les pires éléments des époques passées de nos ancêtres.

    Le matérialisme dialectique est l’idéologie révolutionnaire de notre époque, qu’il faut arborer et développer pour en faire la vision du monde de l’Ordre nouveau à venir.

    Prolétariat, esprit prolétarien : la subjectivité révolutionnaire et la promotion de nouvelles valeurs

    L’Histoire est toute entière l’Histoire de la lutte des classes.

    Si la cosmologie est unique par essence, mais « dévoilée » (pour ainsi dire) par étapes à mesure que se développent et se complexifient les sociétés humaines, les idéologies sont multiples, mais tendent toutes à l’effondrement réactionnaire, sauf celle qui prend la direction de la Culture, de la symbiose avec le Cosmos, celle qui devient la Cosmologie.

    Mais l’affirmation d’une idéologie ne repose pas sur un « choix » personnel que feraient des individus « éclairés » par une sorte de « conversion ». Une idéologie est avant tout le produit de la lutte des classes. Elle n’existe que dans la réalité d’un rapport de classe au sein d’un mode de production historique.

    Dès lors qu’elle existe, des individus s’alignent, d’autres s’éloignent ou se détournent. Les individus qui s’engagent dans une idéologie portent cette idéologie et la transforment aussi bien que celle-ci les porte et sont transformés par elle.

    Tout alignement reste un processus dynamique, la transformation produit des lignes, ligne Rouge, ligne Noire, et la bataille du discernement ne cesse jamais, même au sein de l’avant-garde révolutionnaire et de son Parti.

    C’est que précisément ce ne sont pas des « choix » qui déterminent les alignements et les engagements idéologiques, ce sont des « modèles sociaux ». Les mères dans le communisme primitif, les patriarches dans le tribalisme, les grands propriétaires aristocratiques dans l’esclavagisme, la noblesse seigneuriale dans le féodalisme, la bourgeoisie dans le capitalisme, le prolétariat dans le Socialisme.

    Ces modèles sociaux forment plus précisément des classes, des régiments dans l’immense bataille que l’Humanité mène contre elle-même pour revenir à la Nature, enrichie des acquis de l’Histoire.

    Un mode de production n’existe que parce qu’une classe sociale le dirige, se propose de modéliser totalement la société et l’existence sociale toute entière sous le rapport de sa direction.

    La classe sociale dirigeante domine la culture, car elle dispose de tous les leviers structurels pour reproduire l’ordre social et le commander.

    L’ordre social est composé de diverses catégories, mais seules celles en mesure de produire une idéologie allant à une vision du monde peuvent être appelées classes sociales.

    Ainsi, la noblesse seigneuriale a été la seule à pouvoir porter le féodalisme. Sans cette classe sociale, il n’existe plus qu’un féodalisme amputé, un demi-féodalisme.

    Le christianisme, sans la noblesse seigneuriale, ne peut plus exister en tant que tel, en tant que vision du monde, pas plus que l’islam d’ailleurs. Il ne peut être qu’une illusion petite-bourgeoise ou une annexe de la réaction, il ne peut plus être qu’une semi-idéologie allant au Libéralisme ou au néant.

    La petite-bourgeoisie ainsi ne peut être une classe sociale à part entière, elle ne peut que frelater, trafiquer les idéologies obsolètes entre elles, ou avec le Libéralisme ou éventuellement des éléments du matérialisme dialectique, soit par sincérité et prolétarisation relative, soit comme cinquième colonne au service de la bourgeoisie.

    Le capitalisme a accompli une gigantesque mise à jour, clarifiant comme jamais la réalité des rapports sociaux.

    Dans son cadre, la bourgeoisie toute entière a imposé le Libéralisme, beaucoup plus puissamment qu’aucune idéologie, aucune vision du monde ne l’avait réussi. Mais le Libéralisme s’est épuisé sous son propre poids, incapable de porter le matérialisme jusqu’au bout, car la bourgeoisie n’est pas la classe sociale capable de mettre un terme à l’Histoire.

    En édifiant le Capitalisme et en le faisant triompher totalement, partout sur l’espace terrestre comme tout le temps dans notre existence sociale, la bourgeoisie a fait grandir les forces collectives, a rassemblé les capacités, les intelligences, a accumulé les savoirs, les moyens et les pouvoirs.

    Elle a forgé les bras d’une Humanité nouvelle qu’elle a façonné en partie, d’une Humanité agissant collectivement, expérimentant chaque jour sa capacité à produire, à analyser, à discuter, se heurtant chaque jour à mille et une frustrations, limites dans ses savoirs, dans ses moyens dans son pouvoir.

    La bourgeoisie a forgé le prolétariat, tout comme jadis la noblesse seigneuriale en concentrant les forces de travail a forgé la bourgeoisie.

    Le prolétariat est la classe sociale du collectivisme, le prolétariat est la classe sociale de la démocratie, c’est la classe sociale produite par les immenses capacités industrielles, scientifiques et entreprenantes que l’Humanité a commencé à assembler et à organiser depuis des milliers et des milliers d’années et qui aujourd’hui tient entre ses mains la clef de la connaissance de la matière, de l’infiniment petit, à l’infiniment grand.

    Le prolétariat est la classe sociale qui annonce l’ère de l’Humanité infinie et éternelle, prête à se fondre dans le Cosmos

    Tout comme la noblesse féodale a affirmé dans la Francie occidentale l’Homme nouveau purifié et chevalier du Christ au tournant du premier millénaire, comme la bourgeoisie a affirmé dans le mouvement des Lumières au XVIIIe siècle l’Homme nouveau, social, rationnel et libre par Nature et a posé son droit à entreprendre selon ses talents ce que son travail peut produire de propre à s’affirmer comme personne, ainsi qu’à affirmer son État comme Puissance et à affirmer l’Humanité comme horizon (au lieu des divisions féodales, mais à travers ses séparations nationales), le prolétariat est un nouvel être humain, celui d’un Ordre Nouveau annonçant le Socialisme.

    Ce n’est pas parce que le prolétariat serait majoritaire qu’il faut qu’il prenne le pouvoir, c’est parce qu’il porte une vision du monde. La noblesse seigneuriale, tout comme la bourgeoisie n’ont de même été que des minorités sociales, bien plus étroites d’ailleurs, mais elles portaient une vision du monde. L’horizon social était modelé par la noblesse sous le féodalisme comme il est modelé par la bourgeoisie sous le capitalisme, comme il sera modelé par le prolétariat sous le Socialisme.

    Le prolétariat n’attend pas une quelconque « justice sociale », telle une meilleure répartition des richesses. Une telle interprétation relève de la compréhension « concordataire » de la gauche bourgeoise, qui cherche encore à sauver l’ordre capitaliste.

    Il exige l’anéantissement de la bourgeoisie en tant que classe.

    Et ce qui est nécessairement un crime pour la bourgeoisie sera une libération totale pour l’Humanité, car en liquidant la bourgeoisie, l’Ordre Nouveau, socialiste, mettra fin à l’épuisante guerre que se livre l’Humanité depuis la perte de son Eden, depuis son entrée dans l’Histoire avec la sortie de la Nature.

    Se ranger derrière le prolétariat et sa lutte, c’est assumer cette lutte à mort, totale et implacable. Les chaînes que briseront le prolétariat libéreront l’Humanité entière, rassemblant les masses derrière le modèle d’Humanité que l’Histoire a forgé patiemment dans le sang et le labeur des masses innombrables de nos ancêtres, un être humain démocratique, scientifique, producteur, bienveillant et pacifique, une humanité dont les femmes seront à l’avant-garde de l’affirmation, elles qui furent le dernier rempart de la Nature étant tombé devant l’inévitable entrée dans l’Histoire et qui seront les pionnières de la fusion dans l’Ordre Nouveau de l’Homme social et du Cosmos.

    Une Humanité épanouie dans une biosphère toujours plus symbiotique, respectant pleinement la vie sous toute ses formes et vivant sa Culture dans une Nature étendue et fusionnelle, jusqu’au Communisme le plus total.

    Se conformer à cette exigence, c’est cela chercher et affirmer l’esprit prolétarien. Ce n’est que sur cette base que peut s’affirmer le matérialisme dialectique comme idéologie révolutionnaire, annonçant la nouvelle Cosmologie, toujours plus complète.

    L’État, l’armée, la conquête des institutions et le processus d’éducation socialiste de la Nouvelle Humanité

    La Révolution consiste à changer la vie, du tout au tout. Et cela, seule les masses peuvent le faire. Sans les masses, les patriarches du tribalisme n’auraient pas triomphé.

    Sans les masses, l’aristocratie des grands propriétaire esclavagistes n’auraient pas triomphé ; sans les masses, la noblesse seigneuriale n’aurait pas triomphé. Sans les masses, la bourgeoisie ne peut rien faire. Elle sera mis à bas par les masses, qui se soulèveront derrière le Prolétariat, lorsque leurs yeux brilleront de se conformer à l’idéologie de l’Ordre Nouveau que porte le Prolétariat devant les masses.

    Sans le Prolétariat, les masses ne peuvent aller à la Révolution. Sans les masses, le Prolétariat ne peut rien changer. Ce seront les masses qui feront l’Histoire, comme elles l’ont toujours fait.

    Renverser la bourgeoisie pour instaurer un Nouvel Ordre, suppose d’assumer l’Histoire. La bourgeoisie sera renversée par les forces qu’elle a accumulé et organisé. La lutte contre la bourgeoisie est une lutte de classe, elle suppose donc un antagonisme affirmé.

    Face à l’armée bourgeoise, une armée populaire doit se former. Face aux institutions bourgeoises, de nouvelles institutions démocratiques et populaires doivent se former. Face à l’État bourgeois, un État prolétarien doit se former.

    Armée, institutions, État. C’est le parcours de la Révolution qu’il s’agit de tracer.

    L’objectif fondamental de la Révolution est un processus éducatif : il s’agit de former une Humanité nouvelle. La subjectivité révolutionnaire est donc une exigence totale. Un révolutionnaire doit transformer sa vie, personnellement et collectivement, entretenant son autocritique pour juguler la Ligne noire en lui-même comme autour de lui.

    Le travail théorique sur l’idéologie et pratique sur l’éducation révolutionnaire autour de soi doit être entretenu en permanence et de manière toujours plus complète, complexe et étendu, de manière démocratique, bienveillante sur le fond, mais directive dans la forme.

    La perspective étant dictatoriale au sens strict du terme : l’éducation socialiste consiste à dicter la conduite prolétarienne à tenir.

    La subjectivité révolutionnaire de notre époque impose aussi un style : dans l’alimentation, dans la manière de se vêtir, de parler, de se comporter, dans les mille et un geste du quotidien mais aussi par les valeurs : la curiosité encyclopédique universaliste devant porter la Culture, la sensibilité pour les arts et le respect dû aux artistes selon les exigences révolutionnaires, la promotion d’un Droit total conforme à la Morale, la loyauté et la fraternité, l’engagement complet pour la Cause, le respect et l’enthousiasme pour la Nature en général et les êtres vivants en particulier.

    Le processus révolutionnaire de notre époque a commencé, mais il est par définition nouveau. L’immense expérience accumulée doit être arborée et assimilée, et non pas regardée comme un fétiche. Tout se transforme, notre époque appelle donc des exigences aussi nouvelles, qu’il nous faut découvrir pas à pas.

    Le Futur a commencé, soyons au rendez-vous avec le Parti de la science, le Parti du prolétariat, le Parti de la révolution.

    Le Parti qui affirme la contradiction comme vision du monde, qui indique quel est le combat du Nouveau contre l’Ancien, qui affirme la Guerre Populaire jusqu’au Communisme !

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  • La France, une urbanisation tardive et relative

    « Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre. » (Honoré de Balzac, Les paysans, 1855)

    La base paysanne est fondamentale dans le développement moderne de la France, ce qui donne historiquement une importance aux mentalités issues des campagnes par rapport aux villes et aux mentalités urbaines.

    Malheureusement, c’est principalement une mentalité étriquée, restreinte dans sa perspective, bien qu’elle relève également d’un rapport très efficace et pragmatique à la réalité, au quotidien, c’est-à-dire une intelligence pratique indéniable.

    C’est très utile pour faire la révolution, mais c’est largement insuffisant pour faire face à l’esprit de civilisation portée par la bourgeoisie dans les villes (y compris au 21e siècle alors que cet esprit est très largement décadent).

    L’opposition ville/campagne se résume en France pratiquement à une confrontation entre Paris et le reste du pays, avec tout au plus une dizaine de villes ayant un centre suffisamment développé pour avoir une nature véritablement urbaine, donc en fait surtout Lyon et Marseille.

    Un simple fait : le département de la Seine (75), qui ne comporte que Paris intra-muros, soit une superficie d’un peu plus de 100 km², est peuplé de 2,13 millions d’habitants.

    Le Nord, département le plus peuplé compte 2,61 millions d’habitants (pour 5700 km²), puis les Bouches-du-Rhône comptent 2,05 millions d’habitant (pour 5000 km²). Paris absorbe tout en matière d’urbanité en France, et produit, en miroir, un opposé culturel partout ailleurs.

    Si les Parisiens sont condescendants à l’égard de la province, celle-ci le lui rend bien.

    Partout ailleurs, les gens n’aiment pas Paris, ou plutôt ils aiment critiquer les Parisiens et l’idée qu’ils se font de la vie parisienne. Le cliché absolu étant celui du Parisien stressé et toujours pressé dans le métro, alors qu’en réalité il n’y a pas plus stressé et pressé qu’un Français de la campagne sur les petites routes, évoluant à toute allure et ne supportant pas la moindre contrariété, tel un groupe de cycliste ou encore pire, une voiture immatriculée dans un autre département et respectant les limitations de vitesse devant lui.

    Au-delà de l’anecdote, on a ici un trait caractéristique de la composition du pays et de cette opposition ville/campagne, Paris/province.

    La population des villes et des campagnes

    En 1850, 26 millions de personnes vivaient à la campagne, contre un peu de moins de 9 millions dans les villes, souvent petites et isolées : c’est une proportion de 3/4 contre 1/4.

    Si l’on regarde par département, c’est alors encore plus net : seuls quatre départements étaient majoritairement urbains dans leur composition : la Seine (Paris et première couronne), les Bouches-du-Rhône, le Rhône et le Var. Encore que dans ces deux derniers cas, ce n’est qu’un petit peu plus de la moitié de la population qui était urbaine.

    L’exode rural forcé par le développement des moyens de production a bien entendu changé la donne. Entre 1851 et 1891, la mécanisation et le développement des techniques de production a bouleversé le secteur agricole qui occupait plus de 14 millions au début de la période, pour ne plus en occuper que 6,5 millions à la fin de la période.

    Toutefois, en 1911, 22,1 millions de Français (soit 56 % de la population) vivaient encore dans les campagnes contre 17,5 millions (soit 44 % de la population) dans les villes, souvent petites et isolées.

    Entre 1911 et 1921, la population des campagnes a décliné de près de 2 millions de personnes, alors que la population urbaine a stagné (malgré les immenses pertes humaines de la guerre).

    Ce n’est qu’autour de 1936 que la population urbaine a véritablement pris le dessus, avec près de 53 % de la population. En 1968, la population des campagnes ne représentait plus que 30 % du total (environ 15 millions de personnes).

    Néanmoins, il convient de relativiser, ou en tous cas d’affiner cette idée d’une population majoritairement urbaine. Dans les années 1950 puis 1960, un basculement majeur s’est produit : c’est la péri-urbanisation.

    En raison du développement des transports, et surtout de l’automobile, les villes ont commencé à s’étaler, pour former de larges agglomérations, mais ne formant plus des continuités urbaines à proprement dit, au sens culturel.

    Si l’expression « maison de ville » existe pour décrire des bâtiments étroits et construits en hauteur, mitoyens d’autres bâtiment et ayant pignon sur rue, la réalité consiste au contraire en la prédominance en France de maisons qui ne sont pas « de ville », mais de banlieue, avec une avant-cour et un jardin, sans mitoyenneté.

    En 2023, plus de 55 % des Français vivent en maison, contre près de 45 % dans des appartements.

    De surcroît, les populations immigrées de première ou deuxième génération représentent une forte proportion de la population des appartements, alors que l’intégration à partir de la deuxième ou troisième génération consiste particulièrement en le fait d’avoir une maison.

    Dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants, la proportion est encore plus imposante : plus du double d’habitants de maisons contre ceux des immeubles. C’est cela qui fait que la notion de ville doit être considérée de manière relative.

    La définition française d’une agglomération est la suivante, d’après l’Insee :

    « Une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l’unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée.

    Si l’unité urbaine s’étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale. »

    Cela ne dit pas grand-chose quant au caractère de ces agglomérations et de leur population, qui peuvent être urbaines dans la forme, mais pas dans l’esprit.

    En fait, c’est précisément à cet aspect qu’on peut comprendre en quoi il y a en France la prédominance d’une mentalité paysanne, avec la fascination pour son bout de jardin, comme reflet d’une revanche sur le féodalisme où l’arrachement d’un lopin de terre à la société est l’aspiration idéale du paysan.

    Selon l’Observatoire des territoires, qui dépend du gouvernement, en 2024, 80 % des Français déclaraient préférer vivre dans une maison individuelle (60 % des résidents d’appartement disent qu’ils opteraient pour la maison s’ils en avaient la possibilité).

    D’après cette enquête, la principale motivation est de profiter d’un jardin (49 % des sondés), et la deuxième est de s’affranchir de la copropriété (39 % des sondés).

    Ce prisme de la maison, de préférence en étant propriétaire, de préférence en étant (relativement ou franchement) isolé du voisinage, caractérise très bien la mentalité française, qui se veut fondamentalement anti-urbaine, comme prolongement d’une mentalité paysanne.

    Il est essentiel de saisir cette dimension historique de la France, qui conditionne la société et ses contradictions.

    Les Paysans de Balzac (1855) : une précieuse fresque française

    « Comment depuis trente ans que le père Rigou vous suce la moelle de vos os, vous n’avez pas core vu que les bourgeois seront pires que les seigneurs ?

    Dans cette affaire-là, mes petits, les Soudry, les Gaubertin, les Rigou vous feront danser sur l’air de : J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! L’air national des riches, quoi !… Le paysan sera toujours le paysan ! Ne voyez-vous pas (mais vous ne connaissez rien à la politique !…) que le Gouvernement n’a tant mis de droits sur le vin que pour nous repincer notre quibus, et nous maintenir dans la misère !

    Les bourgeois et le gouvernement, c’est tout un. Quéqu’ils deviendraient si nous étions tous riches ?… Laboureraient-ils leurs champs, feraient-ils la moisson ? Il leur faut des malheureux ! J’ai été riche pendant dix ans, et je sais bien ce que je pensais des gueux !… »

    Honoré de Balzac a mis beaucoup de cœur à l’ouvrage pour décrire des « scènes de la vie de campagne » dans son roman (inachevé) Les paysans. Il considérait ce livre, « pendant huit ans, cent fois quitté, cent fois repris » comme « le plus considérable » de ceux qu’il avait résolu d’écrire.

    C’est qu’Honoré de Balzac, cet immense écrivain, grande figure nationale française, s’intéressait au réel, et il a bien compris à quel point la mentalité paysanne était absolument incontournable en France.

    Il le dit avec des mots sévères, mais juste, dans sa préface :

    « Le but de cette étude, d’une effrayante vérité, tant que la société voudra faire de la philanthropie un principe, au lieu de la prendre pour un accident, est de mettre en relief les principales figures d’un peuple oublié par tant de plumes à la poursuite de sujets nouveaux.

    Cet oubli n’est peut-être que de la prudence, par un temps où le peuple hérite de tous les courtisans de la royauté. On a fait de la poésie avec les criminels, on s’est apitoyé sur les bourreaux, on a presque déifié le prolétaire ! Des sectes se sont émues et crient par toutes leurs plumes : Levez-vous, travailleurs, comme on dit au tiers état : Lève-toi !

    On voit bien qu’aucun de ces Erostrates n’a eu le courage d’aller au fond des campagnes étudier la conspiration permanente de ceux que nous appelons encore les faibles, contre ceux qui se croient les forts, du paysan contre le riche…

    Il s’agit ici d’éclairer, non pas le législateur d’aujourd’hui, mais celui de demain. Au milieu du vertige démocratique auquel s’adonnent tant d’écrivains aveugles, n’est-il pas urgent de peindre enfin ce paysan qui rend le Code inapplicable, en faisant arriver la propriété à quelque chose qui est et qui n’est pas ?

    Vous allez voir cet infatigable sapeur, ce rongeur qui morcelle et divise le sol, le partage, et coupe un arpent de terre en cent morceaux, convié toujours à ce festin par une petite bourgeoisie qui fait de lui, tout à la fois, son auxiliaire et sa proie.

    Cet élément insocial créé par la révolution absorbera quelque jour la bourgeoisie comme la bourgeoisie a dévoré la noblesse.

    S’élevant au-dessus de la loi par sa propre petitesse, ce Robespierre à une tête et à vingt millions de bras, travaille sans jamais s’arrêter, tapi dans toutes les communes, intronisé au conseil municipal, armé en garde national dans tous les cantons de France, par l’an 1830, qui ne s’est pas souvenu que Napoléon a préféré les chances de son malheur à l’armement des masses. »

    Sur la forme, le roman est quelque peu rugueux, comme souvent le sont les romans chez Balzac, qui se perdent dans un amont de détail, au contraire de ses nouvelles dont le rythme est toujours haletant. Cela n’enlève rien à son intérêt, qui est de saisir avec une grande finesse la mentalité française d’alors, dont notre époque est encore le produit.

    Voici deux extraits, très significatifs, qui vont précisément dans le sens de la pensée-guide pour la France sur le capitalisme considéré comme féodalisme renouvelé.

    « — Comment un homme comme vous s’est-il laissé tomber dans la misère ? Car, dans l’état actuel des choses, un paysan n’a qu’à s’en prendre à lui-même de son malheur, il est libre, il peut devenir riche. Ce n’est plus comme autrefois. Si le paysan sait amasser un pécule, il trouve de la terre à vendre, il peut l’acheter, il est son maître !

    — J’ai vu l’ancien temps et je vois le nouveau, mon cher savant monsieur, répondit Fourchon, l’enseigne est changée, c’est vrai, mais le vin est toujours le même ! Aujourd’hui n’est que le cadet d’ hier. Allez ! mettez ça dans vout’journiau ! Est-ce que nous sommes affranchis ? nous appartenons toujours au même village, et le seigneur est toujours là, je l’appelle Travail. La houe, qu’est toute notre chevance, n’a pas quitté nos mains. Que ce soit pour un seigneur ou pour l’impôt qui prend le plus clair de nos labeurs, faut toujours dépenser not’vie en sueurs…

    — Mais vous pouvez choisir un état, tenter ailleurs la fortune, dit Blondet.

    — Vous me parlez d’aller quérir la fortune ?… Où donc irais-je ? Pour franchir mon département, il me faut un passeport, qui coûte quarante sous ! V’là quarante ans que je n’ai pas pu me voir une gueuse ed ’pièce de quarante sous sonnant dans mes poches avec une voisine. Pour aller devant soi, il faut autant d’écus que l’on trouve de villages, et il n’y a pas beaucoup de Fourchon qui aient de quoi visiter six villages ! Il n’y a que la conscription qui nous tire ed ’nos communes. Et à quoi nous sert l’armée ? à faire vivre les colonels par le soldat, comme le bourgeois vit par le paysan. Compte-t-on sur cent un colonel sorti de nos flancs ? C’est là, comme dans le monde, un enrichi pour cent aut ’qui tombent. Faute de quoi tombent-ils ? Dieu le sait et l’zusuriers aussi ! Ce que nous avons de mieux à faire est donc de rester dans nos communes, où nous sommes parqués comme des moutons par la force des choses, comme nous l’étions par les seigneurs. Et je me moque bien de ce qui m’y cloue. Cloué par la loi de la Nécessité, cloué par celle de la Seigneurie, on est toujours condamné à perpétuité à la tarre. Là où nous sommes, nous la creusons la tarre et nous la bêchons, nous la fumons et nous la travaillons pour vous autres qu’êtes nés riches, comme nous sommes nés pauvres. La masse sera toujours la même, elle reste ce qu’elle est… Les gens de chez nous qui s’élèvent ne sont pas si nombreux que ceux de chez vous qui dégringolent !… Nous savons ben ça, si nous ne sommes pas savants. Faut pas nous faire nout ’procès à tout moment. Nous vous laissons tranquilles, laissez-nous vivre… Autrement, si ça continue, vous serez forcés de nous nourrir dans vos prisons où l’on est mieux que sur nout ’paille. Vous voulez rester les maîtres, nous serons toujours ennemis, aujourd’hui comme il y a trente ans. Vous avez tout, nous n’avons rien, vous ne pouvez pas encore prétendre à notre amitié !

    — Voilà ce qui s’appelle une déclaration de guerre, dit le général. »

    « Ce qui se passe dans cette vallée a lieu partout en France, et tient aux espérances que le mouvement de 1789 a jetées chez les paysans.

    La Révolution a plus profondément affecté certains pays que d’autres, et cette lisière de la Bourgogne, si voisine de Paris, est un de ceux où le sens de ce mouvement a été pris comme le triomphe du Gaulois sur le Franc. Historiquement, les paysans sont encore au lendemain de la Jacquerie, leur défaite est restée inscrite dans leur cervelle. Ils ne se souviennent plus du fait, il est passé à l’état d’idée instinctive. Cette idée est dans le sang paysan comme l’idée de la supériorité fut jadis dans le sang noble.

    La révolution de 1789 a été la revanche des vaincus. Les paysans ont mis le pied dans la possession du sol que la loi féodale leur interdisait depuis douze cents ans. De là leur amour pour la terre qu’ils partagent entre eux jusqu’à couper un sillon en deux parts, ce qui souvent annule la perception de l’impôt, car la valeur de la propriété ne suffirait pas à couvrir les frais de poursuites pour le recouvrement…

    — Leur entêtement, leur défiance, si vous voulez, est telle, à cet égard, que dans mille cantons, sur les trois mille dont se compose le territoire français, il est impossible à un riche d’acheter du bien de paysan, dit Blondet en interrompant l’abbé. Les paysans, qui se cèdent leurs lopins de terre entre eux, ne s’en dessaisissent à aucun prix ni à aucune condition pour le bourgeois.

    Plus le grand propriétaire offre d’argent, plus la vague inquiétude du paysan augmente. L’expropriation seule fait rentrer le bien du paysan sous la loi commune des transactions. Beaucoup de gens ont observé ce fait et n’y trouvent point de cause.

    — Cette cause, la voici, reprit l’abbé Brossette en croyant avec raison que chez Blondet une pause équivalait a une interrogation.

    Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre.

    L’amour dont la racine plongeait jusqu’aux entrailles du peuple, et qui s’attacha violemment à Napoléon, dans le secret duquel il ne fut même pas autant qu’il le croyait, et qui peut expliquer le prodige de son retour de 1815, procédait uniquement de cette idée. Aux yeux du Peuple, Napoléon, sans cesse uni au Peuple par son million de soldats, est encore le roi sorti des flancs de la Révolution, l’homme qui lui assurait la possession des biens nationaux. Son sacre fut trempé dans cette idée…

    — Une idée à laquelle 1814 a touché malheureusement, et que la monarchie doit regarder comme sacrée, dit vivement Blondet, car le peuple peut trouver auprès du trône un prince à qui son père a laissé la tête de Louis XVI comme une valeur d’hoirie.

    — Voici madame, taisons-nous, dit tout bas l’abbé Brossette, Fourchon lui a fait peur, et il faut la conserver ici, dans l’intérêt de la Religion, du Trône et de ce pays même. »

    Pour réussir la révolution dans un pays, il faut une analyse historique du parcours de celui-ci, c’est ce qui permet de saisir les contradictions en posant des nuances, des contrastes, des luttes.

    Il n’y a pas de méthode abstraite pour la révolution, pas de recette miracle, de technique passe-partout. Il n’existe pas de marxisme cosmopolite qui flotterait au-dessus de la société, et où on pourrait piocher comme on le voudrait, selon les besoins du moment. Les révolutionnaires ne disposent d’aucune caisse à outils où prendre ce qui leur est nécessaire.

    Ce qu’il faut, c’est la science : le matérialisme dialectique, affirmé historiquement par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. La science portée par le prolétariat, qui porte en elle l’antagonisme, la subjectivité révolutionnaire.

    La compréhension de la situation historique de la France dans son rapport à la paysannerie est ainsi une clef permettant de comprendre la France pour ce qu’elle est, de démasquer les positions non prolétariennes, notamment petite-bourgeoises populistes ou semi-prolétariennes.

    Pour faire triompher la révolution en France, c’est-à-dire la guerre populaire, on a besoin du Parti Matérialiste Dialectique, qui pose les jalons historiques et permet de dépasser les obstacles érigés par la bourgeoisie en tant que classe.

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  • Pensée-guide pour la France : le mouvement ouvrier a considéré de manière erronée que le capitalisme était un féodalisme renouvelé, avec la rente et la corvée

    Pour faire la révolution dans un pays, il faut comprendre son cheminement historique : d’où il vient, où il va, où il en est. C’est une tâche difficile qui demande de combiner la théorie et la pratique.

    Il ne s’agit pas seulement d’enquêter ou de participer à la lutte des classes, ou encore d’expérimenter des formes de lutte. Il est nécessaire d’atteindre une dimension historique, ce qui est beaucoup plus exigeant.

    C’est sur cet écueil que viennent se briser beaucoup de gens sincères. Ces derniers constatent la comédie contestataire et ils partent à la recherche d’une approche véritablement révolutionnaire.

    Cependant, comme ils apparaissent « étranges », comme ils sont en décalage sur le plan des idées par rapport à l’opinion publique, ils sombrent vite dans une certaine marginalité intellectuelle ou militante, et ils finissent par capituler.

    Périodiquement, on a ainsi de nouveaux groupes révolutionnaires qui apparaissent, portés par des gens jeunes ou très jeunes, qui pensent avoir découvert la « méthode » ultime pour faire avancer les choses. Cela s’agite un temps, puis ça s’arrête.

    C’est, au fond, qu’ils recherchaient une « clef » pratique, quelque chose qui fasse bouger les lignes. Or, ce n’est pas ce qu’il faut ; ce qu’il faut atteindre, c’est une dimension historique. C’est alors seulement que ce qu’on fait peut avoir une réelle portée.

    Nous voulons à ce titre exposer un aspect essentiel de la société française, du mouvement ouvrier en particulier. Il ne s’agit pas d’une idée que nous avons eu, c’est le fruit d’une synthèse politico-idéologique reposant sur notre activité révolutionnaire.

    Une activité révolutionnaire qu’on ne saurait confondre avec l’agitation et la propagande, même si elles sont nécessaires : ce qui compte avant tout c’est l’affirmation stratégique de l’idéologie communiste, telle que posée par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

    Une idéologie qui est passée par le marxisme, puis le marxisme-léninisme et le marxisme-léninisme-maoïsme, ce que nous appelons désormais le matérialisme dialectique afin d’en souligner le caractère synthétique.

    Une idéologie qui consiste en la vision du monde du prolétariat et affirme la nécessité de l’océan des masses armées afin d’établir la république socialiste mondiale, comme produit de la révolution mondiale avec les révolutions socialistes dans les pays impérialistes et les révolutions démocratiques dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux.

    Si on regarde l’histoire du mouvement ouvrier, dans la seconde moitié du 19e siècle et tout le 20e siècle, on a une idée fixe : celle que la bourgeoisie est injuste.

    Elle est injuste, car elle s’enrichit, alors qu’une partie grandement majoritaire de la société vit dans la pauvreté – cela, c’est pour la seconde moitié du 19e siècle et la première partie du 20e siècle.

    Elle est injuste, car elle parasite largement les fruits de la croissance économique – cela, c’est pour la seconde partie du 20e siècle.

    Le mouvement ouvrier français n’a pas considéré que la bourgeoisie exploitait, il a considéré que la bourgeoisie parasitait. Pour le syndicaliste de la fin du 19e siècle, pour les socialistes et les communistes du 20e siècle, le bourgeois est un rentier.

    C’est ce qui explique paradoxalement qu’il y ait toujours eu une France une Droite populaire : les masses ont bien vu que les patrons charbonnaient, que les entrepreneurs s’activaient. Ne comprenant pas l’accusation de la Gauche, considérée comme injuste, le peuple a accepté la Droite au nom du travail (et de la propriété).

    Naturellement, la dénonciation de l’exploitation a existé durant toute cette période, que ce soit dans la seconde partie du 19e siècle ou tout au long du 20e siècle. Mais cette exploitation n’était pas comprise comme Karl Marx l’a fait dans Le Capital.

    Pour Karl Marx, le capitalisme est un mode de production, et chaque fois qu’un prolétaire travaille, une partie du fruit de son travail « disparaît » comme plus-value pour le capitaliste. Pour le mouvement ouvrier français, l’exploitation vient au bout du processus productif, au moment de la répartition.

    C’est là une conception syndicaliste et il faut bien voir l’importance de la CGT à la fin du 19e siècle et au tout début du 20e siècle. Le style « syndicaliste révolutionnaire » a été massivement présent dans notre pays, il a réussi à s’ancrer et à maintenir une tradition. Même en 2025, on retrouve à la CGT des approches caractéristiques du syndicalisme révolutionnaire.

    Ce qui révèle la justesse de notre analyse, c’est qu’en raison de tout cela, la bourgeoisie n’est pas dénoncée comme classe au sein d’un mode de production.

    Ceux qui sont la vindicte d’une telle approche, ce sont les rentiers, l’oligarchie, le néo-libéralisme, éventuellement (mais de moins en moins) le grand capital.

    Nous ne voulons pas ici rentrer trop loin dans l’analyse idéologique, car il ne s’agit pas d’extrapoler ; en même temps, il faut bien souligner l’aspect suivant, qui explique bien des choses.

    Le matérialisme dialectique critique le capital en général ; bien entendu, il faut différencier le petit du grand, le capital industriel et le capital financier, etc. Cependant, l’ennemi, c’est la classe capitaliste.

    Le fascisme est né comme mouvement populiste prônant une distinction, une séparation entre un capital productif (national et bon) et un capital parasitaire (cosmopolite et mauvais).

    Heureusement, le mouvement ouvrier français n’est pas fasciste ; il faut en même temps noter que la tendance idéaliste visant les « rentiers » se retrouve immanquablement en écho avec le populisme fasciste. C’est que le mouvement ouvrier français se place historiquement en écho de la révolution française, qu’il souhaite rééditer.

    Si on regarde les positions historiques du mouvement ouvrier français, si on discute avec des « anticapitalistes » en 2025, on retrouvera deux ennemis : les riches et l’État.

    Les riches sont considérés comme des néo-féodaux : grâce à leur argent, ils parasitent l’économie. Ils font l’acquisition de leur capital en attendant leurs rentes, tout comme la noblesse dans le féodalisme.

    L’État est considéré comme exigeant et expéditif, il est au service des riches et il impose l’équivalent de la corvée au moyen-âge.

    Il va de soi qu’il est impossible de réellement combattre le capitalisme avec une telle approche. Le capitalisme n’est pas un féodalisme capitaliste, où l’argent a remplacé les titres de noblesse. C’est pourtant ainsi que voient 99,9 % des gens dénonçant le capitalisme en France en 2025.

    Les origines d’une telle position sont faciles à comprendre. Tout d’abord, la révolution française a été un très long processus, qui a marqué les esprits et a connu de nombreux soubresauts, reculs et avancées, de 1789 jusqu’à 1870 et l’instauration pour toute la nouvelle période de la république bourgeoise.

    Ensuite, le mouvement ouvrier français a connu sur le plan des conceptions une hégémonie du socialisme français, qui assumait ouvertement de faire triompher la République « jusqu’au bout ».

    C’était de l’opportunisme, car ainsi le mouvement ouvrier se mettait à la remorque des républicains bourgeois et de la franc-maçonnerie qui avaient besoin d’alliés pour combattre la droite monarchiste.

    C’est ce qui explique la défaite du Front populaire, où au lieu de déborder les « radicaux », les socialistes et les communistes les ont mis sur un piédestal, avant de se faire trahir par eux (et les socialistes trahissant alors les communistes).

    C’est ce qui explique que les armes ont été rendues après la victoire sur l’Allemagne nazie, ou bien que mai 68 n’a pas eu d’expression politique révolutionnaire continue.

    Tant les socialistes que les communistes ont systématiquement voulu rester dans le cadre de la « république », car la république doit aller jusqu’au bout, et ce serait ça le socialisme.

    C’est ce qui explique inversement le programme commun de 1981. L’objectif de nationaliser les banques et d’avoir un Etat dirigé par la Gauche correspondait entièrement au combat contre les rentes et la corvée.

    C’est également ce qui permet de comprendre pourquoi les ouvriers sont passés en masse dans un vote pour l’extrême-droite dans les années 2000-2010-2020 : ils on retrouvé chez Marine Le Pen la dénonciation des rentiers et de la corvée, à travers la dénonciation de la mondialisation et des décisions des élites de l’appareil d’État.

    Il suffit de se tourner vers ce que raconte la gauche contestataire pour retrouver les mêmes obsessions. Les prétentions à disposer d’une économie politique s’effacent devant la tradition française de dénoncer les rentes et la corvée. Dans sa version modernisée, ce vise les riches « hors-sol » et l’État.

    Fin mai 2025, Lutte Ouvrière propose une caricature où le ministre de l’intérieur (et désormais chef de la Droite) Bruno Retailleau veut construire des prisons. Un jeune avec des cités à l’arrière-plan lui dit : « Pour les voleurs capitalistes et leurs politiciens corrompus ? ». Sont ici exactement visées les rentes et la corvée.

    Le Parti Communiste Français explique dans une résolution de la mi-mai 2025 que « le pouvoir national comme les actionnaires s’enferment dans l’impératif de rentabilité avec comme seule variable d’ajustement les salaires ». On retrouve les rentiers et la corvée.

    Pour La France Insoumise, « La concentration des pouvoirs entraîne une dérive autoritaire. Elle favorise le pouvoir des milliardaires. » C’est encore les rentes et la corvée.

    On peut continuer longtemps ainsi, qu’on ait affaire à des partis électoralistes (donc ouvertement pro-républicains) ou à des mouvements d’ultra-gauche (étrangers à l’idéologie républicaine).

    C’est dans la matrice du mouvement ouvrier français, c’est la tradition dominante à l’arrière-plan, qui rattrape tout le monde.

    Le PRCF appelle à une « République sociale et souveraine au service du peuple et du monde du travail », le NPA constate qu’« il y en a ras-le-bol des politiques gouvernementales et patronales visant à prendre l’argent dans les poches de ceux qui travaillent pour les distribuer aux actionnaires ».

    Les « jeunes révolutionnaires » expliquent que « tout le monde a en tête décembre 2018, où ‘‘le peuple’’ attendait le triangle magique : Gilets jaunes, CGT, quartiers populaires… Nous pouvons imaginer réciproquement que tous les parasites de France (bourgeois monopolistes, banquiers, boursicoteurs, politicards achetés, Généraux, juges et flics pourris, mafieux) devaient trembler dans leurs redingotes face à cette possibilité. »

    Il ne faut pas s’étonner ici de la référence aux « gilets jaunes » de 2018, un mouvement populiste typique de la dénonciation des « rentes et de la corvée », tout comme avant eux Nuit debout en 2016, les bonnets rouges en 2013, etc.

    Si on veut parvenir à la révolution en France, il faut s’arracher à cette logique visant à se focaliser sur un capitalisme interprété comme un féodalisme renouvelé.

    Cela ne veut pas seulement dire qu’il faille éviter cette erreur. Il faut lui opposer également la ligne rouge, sans quoi inévitablement on retomberait dans un tel travers, tellement c’est ancré en France.

    Cette question de l’interprétation du capitalisme comme féodalisme renouvelé rejoint également bien d’autres questions, comme celle de savoir pourquoi il n’y a pas eu de social-démocratie révolutionnaire en France avant 1914, pourquoi Maurice Thorez et le Parti Communiste Français basculent dans les années 1930 dans le culte de la « République ».

    En fait, cela explique pourquoi, à chaque fois, la contestation a été intégrée par le capitalisme, par l’intermédiaire de la « République ».

    C’est la raison également pour laquelle les forces de répression visent en France systématiquement la désescalade. Si on met de côté la démagogie qui imagine la France comme Etat policier, on peut constater une ligne droite de mai 1968 à aujourd’hui, où les préfectures tolèrent les manifestations et la casse, afin d’éviter toute polarisation, en visant une réintégration « républicaine » progressive.

    Cela rejoint également la question du rôle des syndicats comme soutiens permanents au régime, au nom de la République ; tout révolutionnaire sérieux sait que depuis les années 1960, la CGT a joué un rôle contre-révolutionnaire majeur.

    Mais ce n’est pas le lieu pour systématiser cette hypothèse fondamentale, qui sonne juste et éclaire par-là même tellement de choses.

    Pour parvenir en France à la révolution, il faut comprendre le capitalisme pour ce qu’il est, et il n’est pas un féodalisme renouvelé.

    Il faut donc mettre en avant deux choses : d’une part, la dialectique qui permet de comprendre comment l’exploitation a lieu réellement, non pas après la production et dans la répartition, mais dans la production elle-même. Le Capital de Karl Marx est ici incontournable.

    D’autre part, le principe de mode de production, qui seul permet d’appréhender la réalité et sa transformation historique, depuis le matriarcat et l’esclavagisme jusqu’au féodalisme, au capitalisme, puis le socialisme et enfin le communisme.

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  • Les procès Kravchenko et Rousset

    Pour comprendre comment le Parti Communiste Français est échec en mat en 1950, il faut se tourner vers deux affaires qui vont le faire définitivement passer dans le camp bourgeois.

    Ces affaires vont, en effet, révéler son rapport à la dictature du prolétariat.

    Il y a déjà l’affaire Kravchenko, qui a été un grand thème dans la presse française alors, dans le cadre d’une violente campagne anticommuniste gérée directement par la CIA.

    Le Parti Communiste Français est ici tombé dans un piège. Tout commence avec la défection d’un Ukrainien soviétique, Viktor Kravchenko, qui « passe à l’Ouest » lorsqu’il était en poste à New York.

    Il publie un ouvrage dans la foulée,J’ai choisi la liberté : La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique.

    La revue intellectuelle Les Lettres françaises, née en 1942 et avec en son centre l’inévitable Louis Aragon, dénonça Viktor Kravchenko lors de la publication du livre en français en 1947, avec l’article « Comment fut fabriqué Kravchenko » publié le 13 novembre 1947.

    Viktor Kravchenko porte plainte en réponse et c’est le début du « procès du siècle ». Cet événement anecdotique fut transformé en machine de guerre psychologique contre l’URSS.

    L’avocat de Viktor Kravchenko fut Georges Izard, le fondateur de la revue Esprit et avocat (il avait notamment été employé par Coca-Cola).

    Le procès se déroula du 24 janvier au 22 mars 1949, avec 25 audiences et une centaine de témoins furent présents, dont certains venant de l’URSS. Toute la question de la vie en URSS y passa, bien entendu avec à chaque fois un écho énorme dans la presse bourgeoise internationale, au service de qui quatorze cabines téléphoniques furent mises en place à cette occasion au Palais de justice.

    Naturellement, le procès fut gagné par Viktor Kravchenko. Cela lui accorda un prestige énorme. Et afin de maintenir l’illusion de la démocratie bourgeoise, la condamnation des responsables du journal passa de 5 000 francs d’amende chacun à un franc. Reste 150 000 francs de dédommagement obtenu aux dépens de la revue.

    Le Parti Communiste Français a été ici d’une stupidité tactique aberrante. Mais c’était inévitable à partir du moment où il croit en la « République » et que son niveau idéologique est lamentable.

    C’est pourquoi l’affaire Kravchenko permet une immense propagande contre lui et ouvre la voie à l’affaire Rousset. Celle-ci est bien moins connue, bien que sur le long terme elle va avoir un rôle crucial.

    David Rousset est un ancien socialiste passé au trotskisme. Évidemment au service de la bourgeoisie, il publie un appel dans Le Figaro littéraire du 12 novembre 1959.

    Il dit qu’il y a des camps en URSS et il appelle à ce que des personnes déportées par les nazis aillent enquêter sur place. Quelques personnes répondent positivement et voici une « Commission internationale contre le régime concentrationnaire » qui commence à demander aux Nations-Unies d’intervenir en sa faveur.

    David Rousset publia également un livre, L’Univers concentrationnaire (qui reçoit un prix littéraire, le prix Renaudot, en 1946, et un roman, Les jours de notre mort ; il appartient au trotskisme et les publications se font résolument dans cette perspective.

    On est là dans une opération de guerre psychologique et idéologique tout à fait logique. Mais le Parti Communiste Français n’assume pas la dictature du prolétariat ni la révolution, donc il ne peut pas concevoir les camps de travail.

    Pour cette raison, Les Lettres françaises publient en novembre 1949 un article intitulé Pourquoi M. David Rousset a-t-il inventé les camps soviétiques ? avec comme sous-titre « une campagne de préparation à la guerre ».

    On repart alors avec un procès en diffamation, du 25 novembre 1950 au 12 janvier 1951, avec la comparution de témoins, une médiatisation massive, etc.

    David Rousset gagna le procès, bien entendu. Il commença ensuite un tribunal public sur les camps soviétiques, une campagne contre les camps en Chine, il mit en place en 1961 une « Commission pour la vérité sur les crimes de Staline ».

    Il soutint alors… Charles de Gaulle, passant du trotskisme au gaullisme de gauche, devenant député et ayant été grand reporter au Figaro littéraire. Il servit d’entremetteur entre l’État et la Ligue Communiste en 1973, pour une reconstitution cette fois sans « service d’ordre ».

    Ce qu’il faut voir ici, c’est que le procès de David Rousset contre les Lettres françaises est plus important que celui de Viktor Kravchenko. En effet, il fut bien moins médiatisé, en raison en théorie du caractère non public d’un procès en diffamation.

    Mais ce qui compte, c’est que le Parti Communiste Français s’arc-bouta entièrement sur une ligne simple : il n’y a pas de camps de travail en URSS.

    Cela veut dire que le Parti Communiste Français ne s’intéresse pas à ce qui se passe en URSS, qu’il a une lecture qui l’arrange totalement en fonction de sa ligne « républicaine ».

    S’il avait vraiment assumé la dictature du prolétariat, le Parti Communiste Français aurait revendiqué ces camps de travail. Mais comme il prétend vouloir la dictature du prolétariat tout en ne l’assumant pas, il a masqué la réalité et commencé à se contorsionner dans tous les sens pour maintenir sa propre fiction.

    Les procès Kravchenko et Rousset ont révélé idéologiquement l’erreur fondamentale dans la matrice du Parti Communiste Français, tout comme les grèves de 1947-1948-1949 l’ont dévoilé en pratique.

    Cette erreur, c’est la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, qui place au cœur de la stratégie la croyance en la République, en remplacement de la dictature du prolétariat.

    Il y a ici l’incapacité à trouver une voie à la révolution en France et cela se révèle justement au moment où, après les séquences de 1934 et du Front populaire d’abord, et de la Résistance ensuite, la séquence 1947-1948-1949 pose l’exigence historique du passage à un Parti qui se fonde sur la guerre populaire.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La grève des dockers

    La grève des dockers est la troisième grande grève historique de la séquence 1947-1948-1949 ; au sens strict, on déborde sur 1950.

    Cette grève fut, en effet, davantage une longue bataille qu’une grève unique ; elle mêle beaucoup de types d’actions, pour une période allant du 2 novembre 1949 au 18 avril 1950.

    Sont touchés les ports de Toulon, Lorient, Rouen, La Rochelle, Casablanca, Brest, Saint-Nazaire, Nice, La Rochelle-La Pallice, Bordeaux, Cherbourg, Caen, Le Havre, Sète, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis, Port Vendre et surtout Marseille, où le mouvement va durer une vingtaine de semaines en continu.

    Voici La chanson des dockers, qui reflète bien l’état d’esprit d’alors, même si elle date de 1951. Elle a été écrite par Maurice Morelly (secrétaire national du syndicat des artistes de variétés CGT de 1946 à 1961) sur la musique de sa fille Chantal Sullivan.

    « Sur tous les quais de tous les ports de France,
    Entendez-vous ces dockers, ces grutiers,
    Dire aux bateaux, aux armées en partance
    Nous voulons travailler pour la paix

    Plus de canons, plus d’obus pour la guerre
    Paix au Vietnam : renvoyez nos garçons,
    Rendez leurs fils aux malheureuses mères,
    Envoyez donc les va-t-en guerre en prison.

    C’est la chanson des dockers,
    C’est la chanson de tous les hommes libres,
    C’est la chanson des dockers :
    Qui revendiquent partout le droit de vivre!

    C’est la chanson des dockers
    Qui sert d’exemple à tous les prolétaires
    Pour dire partout :
    Comptez sur nous
    les dockers sont vos frères !

    Dans toutes les rues de toutes les villes de France.
    Dans chaque village, les bourgs et les hameaux,
    Du nord de Seine aux bords de la Durance,
    Dans les usines, les champs et les bureaux,
    Les combattants d’une paix qu’on opprime,
    Tant qu’il est chaud, sauront battre le fer.
    Et nous vaincrons les profiteurs du crime.
    L’âme enflammée par le chant des dockers.

    C’est la chanson des dockers :
    Elle combat pour la paix à l’avant-garde.
    C’est la chanson des dockers :
    Aux massacreurs elle dit : « prenez garde »
    C’est la chanson des Français
    Qui sert d’exemple à tous les prolétaires,
    Pour dire partout au monde entier
    Comptez-sur-nous les Français sont vos frères ! »

    Le mouvement des dockers est un grand test. La grève de la fin de l’année 1947 n’avait pas été un succès, en raison d’un comité national entravant les Fédérations de la CGT qui auraient pu impulser de nouvelles dynamiques.

    La grève des mineurs de la fin de l’année 1948 avait terminé en désastre en raison de la préparation de l’État et de l’incapacité communiste à ce que la grève dépasse un horizon corporatiste.

    Cette fois, le Parti Communiste Français se veut prêt, et il entend mener une « grève politique de masse ».

    Maurice Thorez avait popularisé le concept dans les années 30 sous l’impulsion de l’Internationale Communiste et il revient désormais, mis en avant comme une sorte de recette miracle.

    Sauf que sa conception est artificielle, étrangère à ce que ce concept représentait du point de vue social-démocrate (et bolchevik en Russie).

    On a avec la grève des dockers une grève classique, sauf qu’elle se voit ajouter des éléments politiques. C’est un assemblage artificiel, où tout est mêlé, ajouté, au lieu de former une synthèse historique propre à une situation.

    De manière très intéressante par contre, tant la bourgeoisie que le Parti Communiste Français à partir de 1953 va considérer que le mouvement des dockers a été une grève politique de masse et qu’il faut passer tout cela sous silence autant que possible.

    On l’aura compris, c’est comme la grève des mineurs de 1948 : on était pas loin d’une vraie grève politique de masse, d’un bond dans la guerre populaire. Et on a eu quelque chose mi-figue mi-raisin et tout s’est effondré.

    Le contexte est le suivant. Le mouvement de libération nationale vietnamien était en pleine progression et la France coloniale eut à doubler, en un peu plus de deux ans, ses troupes sur place. On en est ainsi à 167 000 hommes en janvier 1950.

    Cela demande une immense intendance. Or, les ports de Marseille, Oran et Dunkerque se caractérisent par une immense force de la CGT et du Parti Communiste Français.

    À l’été 1949, les un peu plus de 2000 dockers d’Oran soutiennent le Congrès pour la paix, ainsi que la libération du Vietnam, et refusent de charger les navires de matériel militaire. Le mouvement fait tache d’huile en Provence, à Port-de-Bouc.

    La répression est systématiquement brutale et consiste toujours en l’envoi de forces numériques très supérieures, ce qui se passait déjà couramment à Dunkerque, où cela faisait deux ans déjà que les incidents se multipliaient.

    La tension devient alors une constante et le mouvement combine grève complète (comme le 7 novembre 1949), grève de quelques heures, refus de débarquer, refus d’embarquer, accrochages avec la police, affrontements avec la police, sabotages, etc.

    Les revendications sont doubles, dans l’idée d’une « grève politique de masse » dans la version du Parti Communiste Français. On a ainsi d’un côté la demande d’une prime exceptionnelle de trois mille francs, de l’autre le refus de la « sale guerre » au Vietnam.

    On n’a donc pas du tout une grève de masse de portée politique, mais une grève classique et sectorielle où vient se greffer une revendication politique. On peut dire en un sens qu’on en revient à la tradition substitutiste de la CGT « syndicaliste révolutionnaire » d’avant 1914.

    C’est d’autant plus traître que les travailleurs les plus avancés croient ouvrir quelque chose de nouveau, et qu’inversement la bourgeoisie voit la menace communiste et s’entraîne toujours plus à faire front contre le Parti Communiste Français.

    Parmi les faits marquants, on a l’attaque, le 14 février 1949, menée par 2 000 dockers de Nice contre 200 policiers, avec la mise à la mer dans le port même d’une rampe de missile V2.

    On a également cette initiative retentissante alors où, à la gare de Saint-Pierre-des-Corps, les manifestants se couchent sur les voies (la sténodactylo Raymonde Dien prend un an ferme par le tribunal militaire).

    Il y a également l’affaire Henri Martin. Celui-ci fut condamné à cinq ans de prison pour propagande anti-guerre à l’arsenal de Toulon.

    Le Parti Communiste Français ne cessera de mener une grande campagne de soutien, et on a un bon exemple de répression lorsqu’en 1951 au Salon d’automne, une exposition annuelle de peinture à Paris, la police procéda au décrochage de sept tableaux dont un baptisé Henri Martin.

    Il faut ici bien voir l’impact que cela va avoir sur Marseille.

    La répression fut terrible, les retraits de cartes professionnelles furent effectués par centaines et la pègre fut appelée à la rescousse. Cela va être le début de l’arrivée massive de l’héroïne à Marseille et la pénétration systématique de la ville par les mafias.

    L’appui de la CIA joue ici à plein, tout comme avec les travailleurs de la municipalité marseillaise désormais sous contrôle de la CGT-Force ouvrière.

    L’objectif était clairement de briser le Parti Communiste Français. Un autre exemple marquant de l’épisode de la grève des dockers fut l’arrestation des dirigeants locaux du Parti et de la CGT à Brest, à la suite d’une manifestation de 2000 personnes le 16 avril 1950.

    La réponse fut une grève générale et une manifestation où la gendarmerie tira, tuant le manœuvre Édouard Mazé, blessant 23 personnes dont 8 grièvement.

    On notera les incidents à l’Assemblée nationale, lors de l’étude du projet de loi sur les « attentes à la sécurité extérieure de l’État », où le tumulte est énorme et les députés communistes agressés par la police.

    Le député communiste Gérard Duprat avait notamment expliqué ce jour-là que :

    « La vérité, c’est que vos maîtres américains deviennent de plus en plus exigeants. Avec l’arrivée d’armes qui s’annonce, ils exigent maintenant plus que jamais que vous matiez les arrières, c’est-à-dire la résistance de notre peuple qui ne veut pas la guerre.

    Mater les arrières, vous ne le ferez pas comme vous voudrez. Nous, au contraire, nous saluons avec admiration les dockers de Saint-Nazaire et de la Pallice, qui refusent d’embarquer et de débarquer le matériel de guerre et qui sont ainsi fidèles à la tradition du mouvement ouvrier. »

    La loi « scélérate » fut votée par 393 députés contre 186, au bout de quatre jours et trois nuits de débat. En voici le texte.

    « LOI n° 50-298 du 11 mars 1950 relative à la répression de certaines atteintes à la sûreté extérieure de l’Etat.

    L’Assemblée nationale et le Conseil de la République ont délibéré, L’Assemblée nationale a adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

    Article unique. — I. — L’article 76 du code pénal est ainsi complété : « Toutefois, en temps de paix, sera puni de la réclusion tout Français ou étranger qui se sera rendu coupable :

    a) De malfaçon volontaire dans la fabrication de matériel de guerre lorsque cette malfaçon ne sera pas de nature à provoquer un accident ;

    b) De détérioration ou destruction volontaire de matériel ou fournitures destinés à la défense nationale ou utilisés pour elle ;

    c) D’entrave violente à la circulation de ce matériel ;

    d) De participation en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation de l’armée, ayant pour objet de nuire à la défense nationale.

    Est également punie de la réclusion la participation volontaire à une action commise en bande et à force ouverte, ayant eu pour but et pour résultat l’un des crimes prévus aux paragraphes a, b, c du présent article, ainsi que la préparation de ladite action. »

    On est là dans la question de la lutte de classe, dans la lutte intransigeante pour le pouvoir, et le Parti Communiste Français est battu. Il aurait dû passer dans le camp de la guerre populaire, faisant de la séquence 1947-1948-1949 la clef historique pour le nouveau chemin.

    Mais il était arrivé à cette séquence forcée par la situation internationale, lui-même ne voulait pas cela. Deux affaires retentissantes de l’époque vont le montrer et surtout le révéler à lui-même.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le Congrès mondial des partisans de la paix

    Lors de la Conférence fédérale de la Seine du Parti Communiste Français, début février 1949 Maurice Thorez pose que :

    « La question décisive de l’heure, c’est la question de la paix. »

    Lors de la session du Comité Central quelques semaines plus tard, Maurice Thorez lance un appel :

    « Luttons au premier rang des combattants de la paix. »

    Immédiatement dans la foulée, il tient un discours à l’Assemblée nationale :

    « En appelant à l’union et à l’action pour sauver la paix, nous sommes dans la pure tradition du mouvement ouvrier français et international. »

    S’ensuit un grand meeting au Vel d’Hiv, avec 50 000 personnes, le 2 mars 1949, puis un vaste rassemblement au Buffalo le 6 mars.

    Entre-temps, la France participe à la fondation, le 4 avril 1949, de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan) avec la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni et bien sûr les États-Unis qui dirigent cette structure dont ils sont à l’origine.

    Il y a alors une « conférence nationale » du Parti Communiste Français qui tient à Montreuil en banlieue parisienne les 9 et 10 avril 1949. Maurice Thorez tient un discours, intitulé « Partisans de la paix, unissons-nous ! ».

    Cette fois, Maurice Thorez assume, contrairement à sa position louvoyante précédente : le plan Marshall tend à la colonisation de la France. L’Otan, c’est la guerre et il faut tout faire pour la paix. Il faut l’union de tous ceux qui ne veulent pas la guerre.

    On retrouve, bien évidemment, le principe de Maurice Thorez : appeler à l’union, être le plus légitime possible.

    Il est d’ailleurs bien évidemment souligné que l’unité est la préoccupation première du Parti Communiste Français, qu’il ne faut pas de sectarisme, etc.

    Voici la conclusion de la résolution, approuvée par le Comité central.

    « Camarades communistes, fidèles aux enseignements de notre maître en socialisme, Staline, déployons largement le drapeau de l’unité de lutte de la classe ouvrière, unissons toutes les forces de démocratie, de progrès et de paix.

    Luttons à la tête des masses populaires pour épargner à la France le sort terrible que lui préparent les agresseurs impérialistes.

    Luttons pour ouvrir la voie dans notre pays à l’instauration d’un GOUVERNEMENT D’UNION DEMOCRATIQUE qui mettra en oeuvre une politique d’indépendance nationale et assurer aux Françaises et aux Français le pain, la liberté, la paix.

    En unissant dans un même combat toutes les forces ouvrières et progressives, notre Parti contribuera puissamment, aux côtés des partisans de la paix de tous les pays, à faire échec aux plans des fauteurs de guerre dont la défaite sera une victoire riche d’avenir pour la classe ouvrière, pour les masses paysannes, pour notre peuple, pour la France, pour la grande cause du Socialisme. »

    C’est là où on retrouve le Congrès mondial des partisans de la paix, à Paris, qui se tient à la salle Pleyel sauf pour sa clôture avec un meeting au Buffalo. Il a toutefois un équivalent à Prague, car l’État français s’oppose à l’obtention de visas par les délégués d’Europe de l’Est.

    On est ici dans une séquence qui va du 20 au 24 avril 1949 ; le film La bataille pour la vie présente la tenue parallèle des deux congrès, son réalisateur Louis Daquin étant également à l’origine la même année Le Point du jour, qui a comme arrière-plan la grève des mineurs de 1948.

    Le Congrès est une modification du Mouvement de la paixfondé en 1947.

    À sa fondation, ce mouvement entendait célébrer l’esprit de la Résistance, contribuer au climat moral, rejeter les valeurs fascistes et la dictature, célébrer la République.

    Trois résistants compagnons de route du Parti Communiste Français en forment le noyau dur : Yves Farge, Jean Cassou et Henri Manhès.

    Il y a une évolution dès l’année suivante, avec la mise en place des Assises du peuple français pour la paix et la liberté, les 27 et 28 novembre 1948 à Paris. On passe alors à la protestation contre le réarmement allemand et l’existence des bombes atomiques.

    La tenue d’un Congrès des peuples pour la paix en Pologne en Pologne à Wroclaw du 25 au 28 août 1948 produit alors la mise en place du Bureau international de liaison des intellectuels pour la paix.

    C’est lui qui appelle à un Congrès mondial des partisans de la paix.

    Parmi les figures présentes au congrès à Paris, on peut mentionner le physicien français Frédéric Joliot-Curie, le physicien britannique John Desmond Bernal, l’architecte libanais Antoine Tabet, le militant anticolonial Gabriel d’Arboussier, le poète chilien Pablo Neruda, l’écrivain brésilien Jorge Amado, l’avocat mexicain Narcisso Bassols, le socialiste italien Pietro Nenni, l’écrivain français Vercors, le peintre australien Noel Counihan, l’acteur américain Paul Robeson, l’intellectuel cubain Juan Marinello, le docteur indonésien Sunan Hanzah, l’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg, la médecin italienne Laura Weiss, l’écrivain américain Howard Fast.

    On doit bien noter la place centrale de la France dans le processus. Le symbole du Congrès est la colombe de la paix dessinée par Pablo Picasso, membre du Parti Communiste Français. Or, la peinture de ce dernier est par définition rejetée en URSS, car non conforme aux principes du réalisme socialiste.

    D’ailleurs, à la suite de la mort de Staline, le révisionnisme orchestra une immense exposition Picasso à Moscou en 1956.

    Il y a donc ici un vaste compromis, ou du moins une convergence pragmatique. Les positions du Parti Communiste Français sont clairement opportunistes, il se soumet à la République, il n’a aucune perspective insurrectionnelle.

    Mais comme il est puissant numériquement et culturellement dans une France qui est le seul pays occidental à pouvoir disposer d’une réelle indépendance vis-à-vis de la superpuissance américaine, il y a une forme d’immense tolérance, voire d’abandon à son égard de la part de l’URSS.

    Tout passe ici par Louis Aragon. Carriériste, celui-ci s’est placé au centre de tout un milieu artistico-littéraire bourgeois qui sympathise avec le Parti Communiste Français, naturellement principalement à Paris. Louis Aragon arrondit toujours les angles, efface les aspérités, empêche les conflits.

    C’est ce qui avait permis l’adhésion de Pablo Picasso au Parti Communiste Français ; Louis Aragon l’accueillit avec Paul Eluard, mais également l’un des principaux artisans de la Résistance Pierre Villon, ainsi que Marcel Cachin et Jacques Duclos.

    Les tensions iront cependant en grandissant et Pablo Picasso sera poussé à se prononcer plus pour la paix qu’autre chose ; il réalisera ainsi avec Paul Eluard une œuvre très chère, Le visage de la Paix, dont les bénéfices iront au Parti.

    Louis Aragon se plaça évidemment aussi au cœur du Congrès pour la paix, qui se veut surtout intellectuelle et humaniste. 20 numéros d’une revue, Les Partisans de la Paix, sont publiés d’août 1949 à novembre 1950.

    Le 5 septembre, un million de personnes se rassemblèrent pour la paix à Vincennes en banlieue parisienne, et le 2 octobre il y a des manifestations pour la paix dans toute la France.

    S’ensuit une grande grève nationale le 25 novembre, alors que les dockers prennent le relais des mineurs.

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  • L’évaluation au début 1949

    Il va de soi que la défaite des mineurs produisit une mobilisation en leur faveur. Voici les paroles d’une chanson intitulée Le chant des partisans de l’amnistie aux mineurs, reprenant bien entendu la mélodie du Chant des partisans.

    « Amis, écoutez :
    C’est ici, parmi nous,
    C’est en France.

    Amis, écoutez :
    Grandes sont l’injustice,
    La souffrance.

    Leur cri, écoutez,
    C’est leur cri qui nous poursuit,
    Nous harcèle.

    Ils sont en prison
    Pour avoir combattu
    Par la grève,

    Ce droit, c’est le leur
    Cependant chaque jour
    Qui se lève.

    Contre la misère
    Ils sont toujours au combat,
    Ceux des mines.

    Ce sont ces vaillants
    Qu’on veut avoir par la faim,
    La vermine.

    La pensée qu’ils ont
    Leurs enfants dans les pleurs
    Les ravage.

    Quand ils sortiront,
    Ils seront sans emploi,
    Au chômage.

    Mais ils restent fiers
    Ceux qui sous les hitlériens
    Ont fait grève.

    Il y a des gens
    Qui croient pouvoir les mater,
    C’est un rêve.

    Amis, nous allons
    Délivrer les mineurs
    De leurs serres.

    C’est nous qui ouvrons
    Les portes des prisons
    Pour nos frères.

    Nous crions : assez !
    Libérez tous les mineurs,
    C’est justice.

    Nous crions : assez !
    Amnistie pour les mineurs,
    Amnistie. »

    Reste qu’à la suite de l’échec de la grève des mineurs en 1948, la situation est lugubre pour le Parti Communiste Français et la CGT. Cette dernière se tourne vers une revendication qu’elle pense porteuse : une hausse des salaires de 25 %.

    Quant au Parti, il remet en avant la grève politique de masses, qui était le pendant social-démocrate de la « grève générale » des syndicalistes révolutionnaires. Mais c’est trop tard et artificiel.

    Il croit pourtant qu’il peut s’en sortir, au moyen de ce mot d’ordre et en cachant ses problèmes derrière le Mouvement Communiste International. Car la révolution chinoise triomphe, la guerre civile grecque d’immense ampleur a marqué les esprits, et de fait les démocraties populaires marchent en tandem avec l’URSS.

    On a alors une sorte de mélange éclectique entre la grève comme principe et le thème de la paix qui devient absolument central.

    Parallèlement, la répression commencée ne s’arrête pas. André Houllier est tué par un policier en civil le 12 décembre 1948 en banlieue parisienne, alors qu’il collait une affiche pour la paix réalisée par André Fougeron.

    De manière notable, tant cet épisode que la grève des mineurs passeront dès la mort de Staline totalement à la trappe, et cet épisode du colleur d’affiches assassiné est absolument méconnu.

    Voici comment, en janvier 1949, Jacques Duclos fait le bilan de la situation alors.

    « En ce début de 1949, alors que la classe ouvrière et les masses populaires se préparent, avec courage et confiance, à de nouveaux combats, il n’et pas inutile de dresser le bilan des luttes livrées et des succès remportés au cours de l’année 1948.

    Au mois de septembre 1947, au cours de la Conférence des neuf partis communistes et ouvriers, qui se tint en Pologne, notre regretté camarade Jdanov soulignait que dans la lutte entre le camp impérialiste et le camp anti-impérialiste on assistait au développement des forces de démocratie et de paix.

    Avec force et précision, le camarade Jdanov mettait la classe ouvrière en garde contre le danger principal la menaçant, à savoir la sous-estimation de ses propres forces et la surestimation des forces de l’adversaire.

    Et Jdanov ajoutait : « Si les Partis Communistes frères restent fermes sur leurs positions, s’ils ne se laissent pas influencer par l’intimidation et le chantage, s’ils se comportent résolument en sentinelles de la paix durable et de la démocratie populaire, de h souveraineté nationale, de la liberté et de l’indépendance de leur pays, s’ils savent, dans leur lutte contre les tentatives d’asservissement économique et politique de leur pays, se mettre à la tête de toutes les forces disposées à défendre la cause de l’honneur et de l’indépendance nationale, aucun des plans d’asservissement de l’Europe ne pourra être réalisé. »

    L’année 1948 s’est déroulée en France et dans le monde sous le signe de luttes acharnées dont la classe ouvrière et l’ensemble de forces de paix et de liberté sont sorties plus puissantes et mieux préparées en vue des futurs combats.

    Il y a un an, au début de 1948, les ouvriers français sortaient des grandes grèves de novembre et de décembre 1947.

    Au nombre de deux millions et demi, pendant plus d’un mois, les travailleurs de chez nous avaient courageusement lutté pole la défense de leurs revendications.

    Ces grèves avaient eu pour origine la réduction insupportable du pouvoir d’achat des masses laborieuses.

    C’est ainsi qu’en avril 1947, alors que les communistes étaient encore au gouvernement, les salaires représentaient 70 % du pouvoir d’achat de 1938, et en novembre les salaires des travailleurs ne représentaient plus que 49% du pouvoir d’achat d’avant-guerre.

    Avec une parfaite unanimité de vues, les dirigeants socialistes et les gaullistes qui venaient de se livrer aux plus cyniques collusions à l’occasion des élections municipales, s’employaient à présenter les grèves sous un jour insurrectionnel. Les ennemis de la classe ouvrière s’employaient ainsi à isoler la classe ouvrière et à dresser contre elle les masses paysannes et les classes moyennes des villes.

    On notait, aussi bien chez les paysans que parmi les classes moyennes des villes, une meilleure compréhension des luttes ouvrières que par le passé et l’on voyait se produire de très significatives actions de solidarité.

    Dans ces conditions, la propagande officielle faite auprès des paysans et des classes moyennes urbaines n’obtint pas le succès escompté. Et à peine le mouvement de grèves fut-il terminé que le gouvernement se livra à une attaque brutale contre les paysans, les artisans, les commerçants et les membres des professions libérales en leur appliquant le prélèvement Mayer avec le retrait des billets de 5.000 francs et la dévaluation du franc.

    L’année 1948 débutait ainsi sous le signe d’une politique d’avilissement des conditions d’existence des masses laborieuses des villes et des campagnes.

    C’était là la conséquence de la marshallisation de la France. Aussi le mécontentement s’étendait-il à de très larges couches de la population.

    En janvier 1948, on vit se dérouler en plein Paris une manifestation contre les accords Blum-Byrnes livrant le cinéma français aux milliardaires de Hollywood ; on vit aussi les boutiquiers se rassembler pour définir et défendre leurs intérêts et la Conférence nationale paysanne du Parti Communiste exprima à la fois les inquiétudes et les revendications du monde paysan.

    A l’appel de l’Union des Femmes Françaises, de puissantes démonstrations féminines se produisirent, le 7 mars, dans diverses villes de France et notamment à Paris où 100 000 Parisiennes défilèrent sur les grands boulevards.

    [Suit une analyse de l’agressivité militariste de l’impérialisme.]

    Le peuple de France ne veut pas faire la guerre; il ne veut pas la faire à l’U.R.S.S., notre alliée, et cela inquiète les impérialistes d’outre-Atlantique qui, eux, veulent avoir à leur disposition une France prête à se battre pour leurs intérêts.

    On comprend que devant une telle situation, les agents français des gouvernants de Washington songent à porter des coups au Parti Communiste qui est l’âme de la résistance aux agissements’ criminels des fauteurs de guerre.

    L’HÉROÏQUE GRÈVE DES MINEURS

    Bien entendu, la grève des mineurs a été l’occasion de violentes attaques contre notre Parti, mais là encore les résultats escomptés n’ont pas été obtenus.

    La grève héroïque des mineurs, qui a duré huit semaines, a suscité un profond courant de sympathie. et de solidarité tant sur le plan international que sur le plan national.

    Le gouvernement et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, Jules Moch, pensaient, qu’en se livrant contre les mineurs en grève à une odieuse politique de répression, ils allaient semer le découragement et la résignation.

    Leurs espoirs ont été déçus ; loin d’avoir devant eux des mineurs « soumis » et « repentants », ils ont des prolétaire résolus, dont le coeur est empli d’une haine tenace et dont la volonté de lutte, loin de s’être émoussée, s’est aiguisée et durcie dans le combat.

    Quand des mineurs sont scandaleusement condamnés et emprisonnés tandis que les gangsters du marché noir, les affameurs sont l’objet de la sollicitude déférente des autorités, une colère légitime s’empare de la classe ouvrière tout entière et de la masse des honnêtes gens.

    La grève des mineurs a été une étape particulièrement importante de la lutte des classes en France. Rien n’a été négligé par le gouvernement pour battre les mineurs.

    Afin de pouvoir concentrer toutes ses forces contre eux, le gouvernement donna satisfaction aux travailleurs de l’électricité et du gaz, à ceux du métro et aux sidérurgistes de Lorraine, mais par cela même il ouvrait la porte à d’inévitables augmentations des salaires et des traitements comme l’exigent les travailleurs de la fonction publique.

    Et les résultats de leur grève se feront sentir aussi pour les mineurs. qui sont sortis moralement vainqueurs de leur magnifique combat.

    Quant aux attaques dirigées contre le Parti Communiste Français, par Jules Moch à l’occasion de la grève des mineurs, elles ont tourné à la confusion du ministre de l’Intérieur qui, d’accusateur qu’il prétendait être, a été transformé en accusé.

    La frénésie anticommuniste du gouvernement s »accentue en même temps que s’amenuisent ses bases d’influence.

    C’est cette politique anticommuniste qui a abouti à l’assassinat par un agent de police du communiste André Houllier, de Saint-Mandé, alors qu’il collait un tract reproduisant l’affiche du peintre Fougeron pour la défense de la paix.

    Mais tout cela. loin de réduire l’autorité du Parti Communiste, pousse des masses de plus en plus importantes à lui accorder leur confiance.

    Chacun comprend que si le Parti Communiste mérite la haine et les persécutions des ennemis du peuple et des naufrageurs de l’indépendance nationale, il mérite, par cela même, que le peuple se rassemble autour de lui pour défendre sa vie et son avenir.

    Les élections de Firminy, en plein centre minier, où fut tué le mineur Barbier, ont montré que l’influence du Parti, loin de diminuer, augmente, cependant que l’on voit se réduire celle des partis de la troisième force et celle des gaullistes.

    Les dirigeants du Parti socialiste S.F.I.O. perdent chaque jour de l’influence, comme le montrent toutes les élections.

    Le M.R.P. voit une partie de clientèle passer au R.P.F. et l’on a pu constater que les députés du M.R.P. en votant la loi Moch-Giacobbi pour l’élection du Conseil de la République, ont fait en quelque sorte hara-kiri, en donnant la primauté à des considérations de classe sur l’intérêt de leur parti.

    Quant au Parti radical-socialiste, qui se présentait autrefois comme le défenseur de la laicité, il a admis dans son dernier congrès l’appartenance de ses membres au R.P.F. qui reprend le thème de Pétain sur les subventions aux écoles confessionnelles.

    L’anticommunisme sert de base de rassemblement à toutes les formations qui, de Blum à de Gaulle constituent le Parti américain.

    C’est ainsi qu’on a vu le R.P,F. élire le socialiste Dardel maire de Puteaux. On a vu aussi les conseillers municipaux R.P.F., socialistes et M.R.P. voter pour un candidat commun (socialiste) à Firminy.

    Mais la pression populaire a été telle que l’élection comme maire du camarade Combe révoqué par Jules Moch n’a pu être empêchée par les anticommunistes.

    On comprend pourquoi Jules Moch laisse bien tranquille les gaullistes responsables de l’assassinat de Grenoble. A la vérité, en dépit de querelles subalternes, il y a complicité entre les dirigeants des partis gouvernementaux et les gaullistes dont ils font ke jeu.

    Sur le plan de la marshallisation, de Gaulle est comme Queuille, tout dévoué aux maitres américains et c’est uniquement par tactique qu’il s’efforce de donner une nuance un peu différente à ses explications sur l’Allemagne qu’il veut comme alliée contre l’U.R.S.S., tout comme Queuille, Moch et Cie (…).

    Au cours de l’année 1948 qui vient de s’achever, les forces de démocratie et de paix ont gagné du terrain.

    L’U.R.S.S. a remporté de grandes victoires dans la réalisation de son plan quinquennal, les pays de démocratie populaire ont remporté des succès tant sur le plan économique que sur le plan politique.

    Enfin, les événements considérables de Chine, la résistance du peuple grec et les mouvements de libération des peuples opprimés, témoignent du renforcement prodigieux du camp anti-impérialiste et de défense de la paix.

    Dans la lutte pour le rassemblement de la classe ouvrière et des forces populaires que les circonstances lui font une obligation impérieuse de développer, notre Parti doit dénoncer le rôle joué par les dirigeants socialistes.

    C’est ce que souligna le Comité Central du Parti dans sa session d’Ivry des 15 et 16 novembre, après avoir exalté la grève des mineurs dans les termes suivants :

    « La magnifique grève revendicative des mineurs, qui dure depuis plus de six semaines, et l’obligation où se trouve l’Etat-patron de s’attaquer, après l’échec de la terreur et des mensonges, à la vie de leurs enfants, par la suppression des allocations familiales, attestent l’élévation exceptionnelle de la combattivité et de la conscience de la classe ouvrière française. » (…)

    Et ce qui est vrai sur le plan de la situation intérieure en France, l’est aussi sur le plan de la situation internationale, comme l’a souligné le camarade Molotov en déclarant, à l’occasion du XXXIe anniversaire de la Révolution socialiste d’octobre:

    « Les fondements de l’impérialisme s’ébranlent de plus en plus et deviennent peu sûrs.

    En même temps, grandissent et s’unissent les forces de la démocratie, de la paix et du socialisme.

    Dans ces conditions, les forces impérialistes bâtissent de plus en plus souvent leurs calculs sur l’exacerbation du caractère agressif de leur politique, sur la création d’une atmosphère d’hystérie guerrière, etc.

    Tous ces procédés sont bien connus.

    Mais plus messieurs les instigateurs d’une nouvelle guerre feront de bruit, et plus ils éloigneront d’eux les millions de petites gens de tous les pays, et plus ces messieurs se trouveront isolés au point de vue international.

    En même temps, le camp international des partisans de la paix et de la démocratie à l’avant-garde duquel se trouve l’U.R.S.S., se consolide de plus en plus et se transforme en une grande force indestructible. »

    C’est donc en pleine conscience du renforcement de notre camp anti-impérialiste, en pleine compréhension des perspectives de victoires qui sont devant nous, que nous devons aborder l’année 1949.

    Nous devons l’aborder avec l’esprit de résolution de combattants convaincus que leurs efforts auront de très grandes répercussions sur le développement ultérieur des événements, dont nous pouvons et devons faire sortir la victoire des peuples, la victoire de l’indépendance nationale, la victoire de la liberté, la victoire de la paix. »

    Le combat pour la « paix » devient la nouvelle ligne du Parti Communiste Français.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le terrible bilan en 1948 pour les mineurs : l’impasse

    La fédération des travailleurs du sous-sol et toute la CGT, tout à fait dans la défensive pendant la grève des mineurs, furent incapables de dépasser les contradictions au sein du mouvement des mineurs.

    En effet, c’est tout une somme de bassins de vie qui dépassait nettement les membres de la corporation qui fut plongée dans l’effervescence de la lutte. Il fallait en prendre conscience et l’assumer.

    Dans cette population ouvrière, beaucoup étaient disposés à aller au-delà de la grève et engageaient des moyens de lutte propres à la guerre de partisans.

    Il fallait saisir cette dynamique révolutionnaire.

    D’autres, beaucoup moins d’abord, puis de plus en plus à mesure que la grève durait, considéraient que les revendications valaient une grève, mais guère plus.

    Il fallait élargir la dimension affirmative de la lutte, au lieu de la bloquer sur une démarche corporatiste.

    En l’absence de cela, ce fut l’impasse. Pris en étau entre les moyens de répression mis en œuvre par le gouvernement et le désengagement progressif des grévistes, le syndicat fut finalement contraint de renoncer, appelant à la reprise du travail pour le 29 novembre 1948.

    La grève des mineurs de 1948 fut ainsi un évènement historique majeur. Il s’agit d’une illustration éclatante de la lutte que mènent la classe ouvrière et la bourgeoisie, entraînant avec elles la société française toute entière.

    Les organisations politiques et les institutions, produites par les classes dans le mouvement même de leur affrontement, furent poussées dans leurs retranchements par la force des évènements et sommées de se transformer.

    La grève des mineurs a précipité les grumeaux idéologiques qui stagnaient de manière indéfinie dans les appareils. Les positions se clarifièrent et l’essence de l’État bourgeois et des différents partis et organisations ouvriers apparut plus clairement.

    La classe ouvrière, disposant pourtant d’une grande capacité d’organisation ne put conquérir le pouvoir ni même poser un affrontement d’envergure faisant avancer les choses par une victoire ; au contraire, la bourgeoisie fit la démonstration de sa capacité à mener l’ensemble de la société et à diriger l’État.

    La grève des mineurs de 1948 vint également clore une séquence ouverte dans les années 1920 et éteindre l’espoir de poursuivre le Font populaire à l’issue de la deuxième guerre mondiale.

    « Les mineurs ont fièrement repris le chemin des puits »

    Le Parti Communiste Français venait d’être écarté du gouvernement quand la grève éclata. Il s’empêtra dans ses incohérences au sujet de la conquête du pouvoir. Il se révéla incapable de se défaire de ses pratiques parlementaires.

    Il continuait à vouloir peser à gauche de la IVe république, contraint à une démagogie inhérente à la marche dans les institutions.

    L’électoralisme dont faisait preuve le Parti Communiste Français apparut comme un conservatisme et montra son arriération par rapport aux aspirations de la classe ouvrière. Le Parti Communiste Français démontra qu’il était incapable d’aller à la rupture en retournant à l’activité clandestine.

    Obnubilé par le poids politique de la SFIO, le PCF s’avéra inapte à assumer la crise de régime.

    La classe ouvrière attendait qu’on améliore ses conditions de vie. C’est l’élan premier de la grève des mineurs 1948, comme ce fût celui des travailleurs d’autres secteurs économiques à la fin de 1947.

    Mais il y avait en substance la question de toute la vie quotidienne des masses travailleuses, et même sans aller jusqu’à la révolution, il y avait ici une force explosive.

    Les mineurs et tout leur environnement, au lieu d’être choyé, étaient marginalisés par la France.

    La contradiction était révolutionnaire.

    Cela se prouve par le fait que la grève de 1948 révéla le haut niveau de conflictualité dont les masses ouvrières des bassins miniers étaient capables.

    Les masses avaient été largement encadrées dans les corons par les partisans auparavant, et elles prouvaient encore en 1948 qu’elles étaient capables d’une bonne discipline dans des actions de violence ciblées et mesurées.

    Ici, la guerre populaire aurait dû connaître un vrai bond.

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  • Les revendications professionnelles des mineurs et la question syndicale en 1948

    Toute la presse bourgeoise, appuyée par les socialistes, dénonça la grève des mineurs comme une tentative d’insurrection communiste.

    En réalité, le mouvement avait comme moteur des revendications strictement professionnelles et essentiellement d’ordre économique. Il s’agissait notamment d’élever le pouvoir d’achat des familles et de défendre le minimum vital du mineur remis en cause par les décrets Lacoste.

    Ici, il faut comprendre tout l’arrière-plan syndical, car tout est bien trop masqué par la nature du Parti Communiste Français, qui agit comme un « parti syndicaliste ».

    Avec l’après-guerre et la généralisation des élections professionnelles, la logique électoraliste commença à infuser dans le syndicalisme. La CGT était alors hégémonique.

    Néanmoins, pour des raisons tenant à l’histoire du mouvement ouvrier, le syndicalisme chrétien représenté par la CFTC était très implanté dans le bassin minier de l’Est.

    Par ailleurs, poussé par la SFIO et les forces politiques anticommunistes et soutenu financièrement par la CIA, le syndicat CGT-Force ouvrière né fin 1947 trouvait un écho grandissant au niveau national.

    Pour la préparation des élections professionnelles de 1948, le ministère du Travail et de la sécurité sociale arrêta une liste fermée de syndicats habilités à présenter des candidats.

    Cette décision du 8 avril 1948 relative à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail constituait une consécration de la représentativité des syndicats de la part des pouvoirs publics.

    Réciproquement, cette reconnaissance venait un peu plus intégrer le syndicat dans l’appareil démocratique bourgeois et, par là-même, mettre un terme à toute prétention révolutionnaire du syndicalisme.

    Cela ne dérangea pas la CGT ni le Parti Communiste Français, qui ne posèrent aucune question à ce niveau, ayant accepté la « République ».

    Aux élections des délégués mineurs de février 1948, la CGT remporta le plus grand nombre de suffrages. Ainsi, dans le Pas-de-Calais, celle-ci ne descendit sous les 68 % des voix dans aucun groupe.

    « FO » oscillait toutefois aux alentours de 20 % des suffrages, alors la CFTC n’obtenait que de 3 à 7 %.

    Dans ce contexte, dès le stade de la préparation du mouvement, la CGT voulut se prémunir de toute accusation de participation à une grève politique. Il faut se rappeler ici de la charte d’Amiens, cette horreur de 1906.

    La charte dénonce les partis politiques et même la politique ; le mouvement ouvrier français ne s’en remettra jamais. Inversement, dans les pays où il y avait une vraie social-démocratie, la ligne était la suivante : le Parti est primordial, il agit dans le domaine politique ; le syndicat est subordonné à la politique, mais c’est lui qui s’occupe des revendications économiques.

    Avant la fondation du Parti Communiste Français en 1920, le Parti socialiste-SFIO formait un monde parallèle à la CGT et reconnaissait la primauté de la CGT dans le cas d’une révolution.

    Par la suite, le Parti Communiste Français a maintenu ce fond « syndicaliste révolutionnaire », notamment par l’intermédiaire de sa Confédération générale du travail unitaire qui a existé de 1921 à 1936.

    Au moment de la stabilisation interne du Parti Communiste Français dans les années 1930 avec Maurice Thorez, la ligne adoptée devint celle du « parti syndicaliste ».

    Ne comprenant pas la dialectique Parti-Syndicat, la CGT était alors d’autant plus facilement la cible des syndicalistes « purs ».

    En ce sens, la grève des mineurs de 1948 devait aussi être un moyen pour la CGT de réapparaître comme un vrai moteur syndical et purement syndical.

    Le 4 octobre 1948, après un référendum organisé par la CGT, très suivi dans chacun des puits des Charbonnages de France, favorable à la grève à près de 90 %, le travail s’arrêta.

    Dans les puits, l’animation du mouvement de grève dépendait largement des militants de la CGT.

    En plus du succès des revendications, un double enjeu apparut. Il s’agissait d’une part pour les cadres syndicaux locaux de démontrer que les décisions pouvaient valablement être prises de manière décentralisée. Et, d’autre part, de défendre la CGT elle-même.

    La tendance au durcissement intervint alors rapidement, sans qu’elle vienne d’abord des grévistes eux-mêmes. Elle était provoquée par la nécessaire démonstration de force de la CGT.

    C’est dans ce cadre que l’on peut lire, tant la grève de la sécurité qui intervint vers le 16 octobre, que les menaces et agressions contre les « jaunes ».

    Ces deux types d’actions, que l’on observa d’ailleurs dans de nombreux puits, doit être différenciée de la véritable radicalité des masses qui s’exprima essentiellement dans les assauts contre les forces de l’ordre en vue de reprendre le contrôle des puits et dans la volonté de poursuivre l’épuration antifasciste.

    Cette situation accentua les contradictions au sein de la CGT également d’un point de vue strictement organisationnel. En l’occurrence, l’aspect essentiel est que la grève des mineurs de 1948 fut dirigé par la fédération nationale des travailleurs du sous-sol de la CGT.

    On n’a donc plus un comité national comme à la fin de l’année 1947. Cela semblait logique, étant donné que la grève relève d’un seul secteur. Force est de reconnaître pourtant que tout est brouillé : qui mène la lutte ? Les mineurs ? La CGT des mineurs ? La CGT ? Le Parti Communiste Français ?

    On est ici au cœur de l’incohérence du Parti Communiste Français comme « parti syndicaliste ».

    Surtout, finalement, la grève pouvait être considérée comme corporatiste. Elle était présentée comme une mobilisation des mineurs pour la défense de leurs intérêts propres.

    Cette posture trouva ses limites quand il s’agissait de trouver la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière dans les différents bassins miniers, face aux forces de l’ordre ou face à la faim.

    Incapable de rallier à elle une population, en général pourtant plutôt favorable, dans un bras de fer avec le gouvernement, le mouvement fut condamné à s’affaiblir, à s’enliser, à s’isoler.

    Et c’était vrai pour le rapport au reste de la classe. Ainsi, en Lorraine, les mineurs de fer et les métallurgistes étaient en grève illimitée dès le 25 septembre, mais reprirent le travail le 12 octobre après avoir obtenu gain de cause sur leurs revendications salariales (26% d’augmentation de salaires).

    Ce phénomène résumé dans la formule « tous les mineurs, rien que les mineurs » fut un obstacle fondamental à la capacité d’affrontement unifié de la classe.

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