Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le matérialisme dialectique, aboutissement du long cheminement de l’Humanité depuis la sortie de la Nature

    Le matérialisme dialectique n’a pas été compris et arboré de manière approfondie, maîtrisée et prolongée en France.

    Cela tient au fait fondamental que le marxisme n’a pas été compris en tant que tel, en raison de la puissance culturelle de la bourgeoisie en France et de l’incapacité de la gauche à assimiler le concept de mode de production, et en conséquence, de lutte des classes.

    La lutte des classes et la notion de capitalisme elle-même ont a toujours été compris depuis un point de vue non antagoniste à la bourgeoisie. La notion de Révolution n’était en fait saisie que par le biais de la grande Révolution bourgeoise de 1789.

    Le matérialisme en France est, en fait, à l’origine même un matérialisme bourgeois, c’est-à-dire un matérialisme incomplet, jamais pleinement saisi, systématiquement relativisé et fatalement dérivé, frelaté, finalement dénaturé.

    Ce n’est pas faire injure ici à Diderot, La Mettrie, d’Alembert, Voltaire, d’Holbach, Monstesquieu, Helvétius, Rousseau, Condorcet… que de dire cela.

    Posons de manière ramassée et encadrée trois points qui, selon notre analyse forgée par la pratique révolutionnaire active et l’intense réflexion théorique sur la société française, entrave la juste compréhension du matérialisme dialectique, afin d’armer idéologiquement les agents de la rupture en France pour qu’ils puissent jeter sur le feu de la décadence de la France bourgeoise l’implacable huile de la Révolution et sa perspective culturelle totale, se dressant face à la bourgeoisie sur tous les fronts.

    Idéologie, Religion, Cosmologie :
    le sentier lumineux de la vision du monde totale

    Radicalement, on veut la Révolution, car on rejette le monde actuel. On veut en modifier les fondements. Cela implique d’analyser, de comprendre le monde dans lequel on vit, non pas de manière unilatérale ou binaire, mais dialectique.

    Le monde n’est pas « pur » ou « impur », pas plus qu’il n’est immobile, ou en « transition ». Il n’existe pas non plus de zones « anticapitalistes » ou non-capitalistes ; il n’y a aucun refuge contre le réel, il n’existe pas de petit coin de paradis en enfer.

    Il existe une période historique, qui définit l’ensemble des faits, leur attribuant des caractéristique. Cela rentre dans un cadre beaucoup plus général, beaucoup plus vaste : l’univers lui-même est en transformation de manière différenciée. Il y a des contrastes, des différences, des luttes, entraînant le développement de certains aspects contre d’autres avec, au bout du compte, la transformation générale.

    Tout n’avance pas bien sûr au même rythme, toutefois il y a un ensemble, formant une réalité, et tout ce qui se joue dans cet ensemble participe de la transformation. Rien ne peut émerger sans se rattacher à la réalité en étant en même temps issue d’elle.

    Par exemple, une personne qui va s’engager politiquement à Droite de l’échiquier politique parce qu’elle refuse la violence sociale, les trafics, les agressions dans la rue, a tort politiquement, mais son engagement relève d’une certaine dignité : une dignité égarée, mais réelle. On ne peut pas dire à cette personne une chose comme : « tu as tort de t’engager à Droite car il n’existe pas de violence sociale ou de trafics, etc. »

    C’est ce que nous appelons : la dignité du réel. De la même manière, pourquoi certains travailleurs sont-ils égoïstes, et se comportent en capitalistes s’ils le peuvent ? C’est qu’ils ont compris qu’il fallait l’abondance matérielle, mais ils choisissent de s’extraire de la classe et de viser une abondance égoïste.

    Le capitalistes eux-mêmes sont, pour caricaturer, des « communistes » égoïstes, qui veulent vivre leur propre « communisme », bien entendu défiguré, fondé sur l’appât du gain, avec l’argent comme fétiche d’une possibilité pratique d’abondance.

    Autrement dit, rien n’existe sans origine historique, sans relever du réel, car toutes les activités et les pensées de l’Humanité ne sont que le reflet du réel, comme ensemble en transformation.

    Cet ensemble en transformation est, à le prendre de la manière la plus complète possible, le Cosmos, éternel et infini, dont notre planète comme biosphère est un élément particulier, tout comme l’Humanité forme dans la biosphère un élément particulier, en tant que matériel biologique participant à l’ensemble de manière symbiotique et toujours plus complexe.

    Fondamentalement, c’est là le coeur du matérialisme dialectique.

    Ajoutons que l’Humanité s’est développée et affirmée dans sa particularité comme matière pensante, la pensée étant une activité produite par le mouvement naturel de la matière vers la vie toujours plus complexe.

    C’est cette particularité qui a fait que l’Humanité a travaillé et s’est organisée de manière consciente, produisant des sociétés toujours plus complexes et différenciées, produisant des contradictions entre les sociétés et la Nature, mais aussi entre les sociétés elle-même.

    Ce mouvement relativement propre aux sociétés humaines, c’est l’Histoire, qui s’est traduite par une transformation de l’Humanité comme espèce sociale, entraînant une rupture relative, mais impossible dans l’absolu, entre l’Humanité et la Nature.

    La conscience de ce mouvement historique a mis des millénaires à émerger dans la pensée humaine, jusqu’à la compréhension que l’Histoire n’était qu’une contingence relative et particulière à l’Humanité, finalement englobée dans l’ensemble de la réalité matérielle en mouvement.

    En somme, ce qu’on appelle le matérialisme historique, qui traite de l’histoire plus directement, est un élément du matérialisme dialectique, et le premier est appelé à se fondre dans le second, dont il est issu.

    On peut considérer que l’Histoire de l’humanité aura une fin, mais pas le mouvement dialectique de la matière, car l’Humanité va « revenir » dans la Nature, transformée par l’Histoire, avant d’entrer dans l’ère consciente de la symbiose toujours plus complète et complexe avec le Cosmos éternel et infini.

    C’est ce que Karl Marx appelait un « Humanisme de la Nature et une Naturalisation de l’Humanité ».

    C’est ce qui a été précisée dans la Chine révolutionnaire à l’époque de Mao Zedong (extrait de la revue Dialectique de la Nature, n°1, 1973) :

    « Toutes les choses produites sont vouées à disparaître. Les particules « élémentaires » sont vouées à se transformer, les humains sont voués à mourir, la Voie Lactée, le Soleil et la Terre sont vouées à se décomposer et à être détruites.

    Même quelque chose qui dure aussi longtemps que « le Ciel et la Terre » [issu dans le taoïsme de l’oeuf cosmique se brisant] finira par disparaître.

    Même l’espèce humaine elle-même va changer et s’éteindre.

    Mais la fin du Soleil, de la Terre et de l’espèce humaine n’est pas un « jour du jugement dernier de l’univers ».

    Lorsque la Terre s’éteindra, il y aura des niveaux encore plus élevés de corps célestes pour la remplacer.

    À ce moment-là, les gens célébreront la victoire de la dialectique, accueillant la naissance de nouvelles étoiles.

    Lorsque l’espèce humaine disparaîtra, des espèces encore plus élevées apparaîtront.

    De ce point de vue, les activités humaines créent les conditions pour l’apparition d’espèces encore plus élevées.

    Si l’ancien ne disparaissait pas, le nouveau ne viendrait pas. La mort de l’ancien est précisément la condition nécessaire à la naissance du nouveau.

    « Il en est toujours ainsi dans le monde, le nouveau remplaçant l’ancien, l’ancien étant remplacé par le nouveau, l’ancien étant éliminé pour faire place au nouveau, et le nouveau émergeant de l’ancien. » [Mao Zedong, De la contradiction]

    Le fini se transforme en infini.

    C’est précisément parce que toutes les choses de l’univers changent et se développent continuellement qu’elles constituent le développement sans fin de l’univers tout entier.

    C’est précisément parce que tout a sa naissance et sa mort, son commencement et sa fin que l’univers dans son ensemble peut être sans naissance ni mort, sans commencement ni fin.

    Toutes les choses sont comme des milliers et des millions de ruisseaux qui se rejoignent et forment un long fleuve inépuisable de l’univers.

    En ce qui concerne les choses concrètes, leur développement est fini, le temps est fini.

    Mais infinies sont les transitions d’une espèce de chose à une autre, d’une forme de matière à une autre, c’est-à-dire d’un temps concret à un autre temps concret.

    C’est précisément à cause de la finitude des choses concrètes dans le temps qu’elles constituent l’infinité de l’univers dans son ensemble dans le temps, et le développement de l’univers ne s’achèvera jamais, n’atteindra jamais son apogée.

    De même que dans l’espace, l’univers dans le temps est à la fois fini et infini, et l’infini est composé uniquement de ce qui est fini et transformé à partir de ce qui est fini. »

    Comprendre et assimiler cette perspective, c’est ce que nous appelons notre Cosmologie, notre vision du monde.

    L’Humanité, depuis les débuts de l’Histoire, n’a eu de cesse dans son activité pensante, c’est-à-dire culturelle, d’élaborer, de produire, de discuter, d’affiner sa cosmologie.

    Celle-ci à pris mille et une voies, mille et une formes, mais il s’agit d’un seul et même mouvement, différencié et contradictoire. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que la la Culture est une, différenciée et contradictoire, et que notre démarche est celle de l’Encyclopédisme.

    Le matérialisme dialectique porte en effet la Culture, il est le fruit prolongé de tout ce mouvement productif, de toute cette activité concernant et impliquant l’ensemble de l’Humanité, sur toute la planète, à toutes les époques.

    Le caractère unifiée mais différencié de la Culture implique de comprendre qu’il y ait des étapes dans le processus historique. Les éléments structurant ces étapes, ce sont les modes de production.

    À chaque étape, à chaque mode de production, correspond une certaine période de la Culture, reflétant la manière dont celle-ci, comme vision du monde allant à la symbiose, a pu être appréhendée par la pensée humaine.

    Cela implique aussi de considérer que ces étapes laissent des empreintes, des traces dans la Culture, même lorsqu’une étape est passée. Cela, nous le désignons sous le terme de nexus ; c’est le moment dans un processus où se voient nettement la tendance à élever la conscience et la Culture et celle à s’effondrer dans le siphon de la réaction, sous une forme plus ou moins barbare.

    Les grandes étapes historiques selon le matérialisme dialectique, ce sont les modes de production qui permettent de les distinguer : l’esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme et le socialisme sont les principaux modes de production historique.

    Mais de par la différenciation relative, des éléments du tribalisme primitif se sont maintenus relativement dans l’esclavagisme tardif, de même que des éléments du tribalisme et de l’esclavagisme se sont maintenus relativement dans le féodalisme, et que de même des éléments du tribalisme, de l’esclavagisme et du féodalisme se sont maintenus relativement dans le capitalisme, même à l’époque du capitalisme généralisé.

    C’est là une tendance inévitable, car seule la « sortie » de l’Histoire qui se réalisera progressivement dans le Socialisme permettra de dépasser définitivement ces contradictions, jusqu’au Communisme, où le développement différencié s’exprimera sous une autre forme, une nouvelle forme qui ne sera plus celle héritée par les contradictions empilées de l’Histoire que nous connaissons.

    Il ne peut y avoir qu’une seule vision du monde correcte : celle allant par la Culture et la Science matérialiste dialectique à la symbiose entre l’Humanité et le Cosmos.

    Cette vision du monde a été porté historiquement par des titans comme Aristote par exemple à l’époque de l’esclavagisme, et plus relativement par des mouvements entiers, par exemple celui des Lumières à l’époque tardive du féodalisme.

    Cela pose la question de l’idéologie. Dès lors que s’affirme nettement un mouvement dans la pensée allant jusqu’à la Culture, alors on parle d’idéologie.

    La religion monothéiste est ainsi l’idéologie typique du féodalisme, le libéralisme est l’idéologie typique du capitalisme en croissance. En un sens, le matérialisme dialectique est l’idéologie typique du Socialisme, comme drapeau de la Révolution, avant qu’idéologie et vision du monde ne fusionnent définitivement dans le Communisme.

    Le long cheminement historique transporte les restes du passé, jusqu’au dépassement final de l’Histoire

    En raison du développement inégal, des variétés, des courants divers peuvent exister dans une idéologie.

    Il existe par exemple toute une variété de religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme, l’islam et cela sans même prendre en considération les religions poly-monothéistes comme le brahmanisme ou le bouddhisme.

    Et d’ailleurs ces religions se divisent encore en confessions, sectes, écoles etc. De même le libéralisme se décline en néo-libéralisme, social-libéralisme, libertarianisme etc.

    Cependant, plus la société humaine se complexifie, plus il devient possible de comprendre les modes de production obsolètes. En effet, si on considère le processus historique, le modes de production dominant est aussi en quelque sorte celui qui n’est plus avant lui (et même ceux encore avant), et il est celui qui n’est pas encore (et même au-delà puisque le besoin de Communisme s’exprime déjà sous de multiples aspects).

    Tout cela est bien entendu très complexe, car l’éventail des phénomènes apparaît énorme plus on remonte dans le passé. Les sociétés du tribalisme ont été d’une variété gigantesque, de même que les sociétés esclavagistes ou féodales. Il y a moins de différence aujourd’hui dans le mode de vie entre un Australien et un Français qu’entre deux paysans français vivant au 12e siècle à cent kilomètres de distance.

    Tel est le long cheminement historique vers l’unité de l’humanité. Et nous pouvons généraliser nos connaissances, si nous commençons à définir chaque mode de production de manière négative. Par exemple, le féodalisme est entre le système esclavagiste mature et le système capitaliste naissant, possédant une différence significative par rapport aux deux.

    Le féodalisme n’est donc pas un type ossifié de relation de production, mais un processus qui remplit l’intervalle entre l’autre.

    L’ensemble de ses définitions et caractéristiques est donc énorme, mais n’est pas illimité pour autant : comme il s’agit d’un processus historique relatif, on peut en cerner des limites dans les caractéristiques fondamentales distinctives de ces diverses formes passées.

    Selon la loi matérialiste dialectique du « Un devient deux », il existe donc un féodalisme, sous des formes différenciées, mais avec un dénominateur commun sur le plan de la nature de l’idéologie dominante. L’enjeu est donc de saisir les caractéristiques générales, la substance du féodalisme comme phénomène unifié.

    C’est ce qui implique d’affirmer que la religion est une idéologie. À proprement parler, il n’y a pas d’histoire des religions, il y a une histoire des modes de production et de leur idéologie.

    Et cette histoire doit être abordée comme relevant d’une double tendance fondamentale. En raison du développement différencié, il existe fondamentalement une ligne rouge, celle élevant la société humaine vers la Culture et la symbiose finale, et une ligne noire ramenant la société en arrière, ou plutôt tentant de la ramener en arrière ou de la figer.

    La lutte des deux lignes est pour l’Humanité une bataille culturelle ; c’est également une dynamique qui traverse éternellement le mouvement de la matière : c’est la bataille du nouveau contre l’ancien.

    Le rôle des idéologies et la question française

    Dans le cadre de l’Histoire, cette lutte s’exprime à travers les idéologies. Une seule idéologie est le reflet de la dynamique vers la Culture, alors que les autres, produits résiduels de l’Histoire, ne sont que des versions obsolètes plus ou moins décadentes.

    Cependant, même une personne s’engageant dans une idéologie obsolète, dans une version du libéralisme par exemple, le fait avec une certaine dignité : toute l’Humanité ne peut que chercher la symbiose, même par la dérive. Même la pire lie de l’Humanité, qui la nie ouvertement, ne fait que refléter le négatif de la symbiose.

    Ni la dérive, ni la négation ne sont donc acceptable, et elles n’ont de toute manière pas la puissance du mouvement qui porte la Culture. Leur antagonisme est d’autant plus faible en réalité qu’il n’est qu’une contingence historique : ce n’est fondamentalement que la dérive ou la négation du reflet d’un reflet.

    Et il y a les « adaptations ». Les religions féodales n’existent plus comme telles, elles ont été transformées par le capitalisme et son idéologie libérale.

    C’est pourquoi il doit être parlé de semi-féodalisme à propos des religions. Depuis l’émergence et l’hégémonie du libéralisme, les religions ne sont plus que des idéologies, fondamentalement réactionnaires, mais aussi un reflet de la dérive d’ une quête de la cosmologie allant à la Culture.

    Il faut en effet considérer que le capitalisme et son idéologie imprègnent tout comme vision du monde, en fait comme vision du monde dépassée.

    En France en particulier, la bourgeoisie a développé une hégémonie culturelle redoutable et de très grande ampleur. Il faut se souvenir que la France a été à la pointe de la vision du monde féodale dans sa version catholique, puis à la pointe dans la vision du monde libérale avec les Lumières, puis l’élan de la grande Révolution Bourgeoise de 1789.

    En France, la bourgeoisie post-révolutionnaire a produit des figures remarquables, comme Lamennais, Saint-Simon, Cuvier, mais aussi Benjamin Constant, Mme de Staël ou Balzac.

    Toutes ces figures ont contribué puissamment à affirmer un matérialisme bourgeois, portant la Science et la Culture, mais sans pouvoir aller au bout, avec l’idée, tout au contraire du matérialisme dialectique, de réconcilier les différences idéologiques relatives au lieu de les liquider.

    L’idéologie libérale française est toute entière possédée de la notion de la Concorde, de la paix civile, de la convergence progressive dans l’unité, du « deux donne un ».

    Le courant dit « radical » (en fait les « centristes ») et la tradition de la franc-maçonnerie, si puissante en France, notamment sous la IIIe République, relèvent de la logique bourgeoise française de « Concorde ».

    Les forces féodales en France ont au fur et à mesure totalement capitulé devant la bourgeoisie, c’est ce que l’étude de figures comme Lammenais ou Chateaubriand permet de saisir : le libéralisme bourgeois est implacable, mais il lui faut ou bien une morale, c’est la doctrine sociale de l’Église que Lamennais posera le premier, ou bien il lui faut avancer lentement, avec l’escorte romantique d’un semi-féodalisme mu en réaction conservatrice devant organiser sa liquidation, par étape, raisonnable.

    Toute la Droite française, nationale-catholique et réactionnaire sort de là : de la volonté de faire de l’idéologie religieuse une sorte de « guide » moral du capitalisme.

    On comprend ainsi autant la fascination historique des islamistes pour l’idéologie de la Droite en France, tout autant que la fascination-rejet de la Droite en France de l’islam, exprimé dans un « orientalisme » chaotique, mais très sophistiqué.

    Dans l’autre sens, les libéraux ont littéralement annexés la gauche, en construisant une idéologie mécaniste de leur vision du monde, autour notamment de la pensée de Saint-Simon, considérant que l’État bourgeois et son administration militarisée était une force « neutre » devant imposer la Raison bourgeoise sur le principe de l’ingénierie sociale.

    Cette idéologie mécaniste s’est aussi renforcée du positivisme, affirmant la relativité du réel et sa convergence dans le « progrès », c’est-à-dire dans le Libéralisme.

    Les religions en France n’existent en fait plus que sous cet aspect : comme élément positivement « attardé » du progrès, mais allant à la convergence avec le libéralisme. Toute la gauche du régime bourgeois est sur cette ligne concernant les religions.

    Ainsi, l’islam ne serait qu’une sorte de « choix », s’expliquant de manière positiviste et relative, mais convergent au bout du compte dans la « Concorde » sociale et le progrès libéral.

    Ce que la gauche bourgeoise demande aux musulmans, c’est cela : la capitulation de l’essence féodale de l’islam pour prendre les habits communs du libéralisme, comme l’ont fait historiquement les forces féodales en France.

    Bien sûr, les gens qui voudraient prendre cependant au sérieux les religions se trouvent ici piégés : ou bien assumer de relativiser leur idéologie comme un simple masque du libéralisme hégémonique, et donc se borner à faire de la religion non plus une idéologie mais une « identité » relative et différentialiste et au final une simple marchandise, ou bien assumer l’essence féodale de leur idéologie et sombrer toujours plus loin dans la réaction.

    Cela explique aussi que la gauche en France n’existe que comme un prolongement du Libéralisme, entretenant la lutte avec le conservatisme de repli de la Droite, et entretenant la mauvaise conscience du Libéralisme.

    Une telle annexion a ouvert un espace « ultra » à la gauche, où tout et n’importe quoi a un espace pour se développer : l’anarchisme de Proudhon aussi bien que le syndicalisme révolutionnaire de la CGT historique, le « trotskisme », le « social-écologisme » ou le « populisme de gauche ».

    Le tout devant converger dans la « grande maison commune » de la gauche qui ne cesse de multiplier ses divisions et d’en appeler néanmoins à la Concorde.

    Mais ni le libéralisme et sa gauche de cinéma, et encore moins les religions, ne peuvent en fait assumer l’enjeu titanesque d’une vision du monde réelle et puissante.

    Et ce que cherchent les gens qui s’engagent dans une idéologie, fondamentalement, c’est tout cela.

    La vision du monde de notre époque, dans le prolongement de l’Histoire, c’est la recherche de l’Encyclopédisme universel, de la Fraternité et de la Paix. C’est là la pleine et unique eschatologie de la Culture, et seul le matérialisme dialectique de notre époque porte ce drapeau.

    C’est pourquoi nous disons : l’idéologie doit être au poste de commande, car seule le matérialisme dialectique, comme antagonisme complet et d’avant-garde en termes de vision du monde, est en mesure de se confronter au Libéralisme comme ultime vision du monde obsolète, et de liquider toutes les idéologies obsolètes que le Libéralisme n’a pas été en mesure de dépasser et de fondre en lui, en raison de sa perspective essentiellement erronée du « deux donne un », laissant subsister les pires éléments des époques passées de nos ancêtres.

    Le matérialisme dialectique est l’idéologie révolutionnaire de notre époque, qu’il faut arborer et développer pour en faire la vision du monde de l’Ordre nouveau à venir.

    Prolétariat, esprit prolétarien : la subjectivité révolutionnaire et la promotion de nouvelles valeurs

    L’Histoire est toute entière l’Histoire de la lutte des classes.

    Si la cosmologie est unique par essence, mais « dévoilée » (pour ainsi dire) par étapes à mesure que se développent et se complexifient les sociétés humaines, les idéologies sont multiples, mais tendent toutes à l’effondrement réactionnaire, sauf celle qui prend la direction de la Culture, de la symbiose avec le Cosmos, celle qui devient la Cosmologie.

    Mais l’affirmation d’une idéologie ne repose pas sur un « choix » personnel que feraient des individus « éclairés » par une sorte de « conversion ». Une idéologie est avant tout le produit de la lutte des classes. Elle n’existe que dans la réalité d’un rapport de classe au sein d’un mode de production historique.

    Dès lors qu’elle existe, des individus s’alignent, d’autres s’éloignent ou se détournent. Les individus qui s’engagent dans une idéologie portent cette idéologie et la transforment aussi bien que celle-ci les porte et sont transformés par elle.

    Tout alignement reste un processus dynamique, la transformation produit des lignes, ligne Rouge, ligne Noire, et la bataille du discernement ne cesse jamais, même au sein de l’avant-garde révolutionnaire et de son Parti.

    C’est que précisément ce ne sont pas des « choix » qui déterminent les alignements et les engagements idéologiques, ce sont des « modèles sociaux ». Les mères dans le communisme primitif, les patriarches dans le tribalisme, les grands propriétaires aristocratiques dans l’esclavagisme, la noblesse seigneuriale dans le féodalisme, la bourgeoisie dans le capitalisme, le prolétariat dans le Socialisme.

    Ces modèles sociaux forment plus précisément des classes, des régiments dans l’immense bataille que l’Humanité mène contre elle-même pour revenir à la Nature, enrichie des acquis de l’Histoire.

    Un mode de production n’existe que parce qu’une classe sociale le dirige, se propose de modéliser totalement la société et l’existence sociale toute entière sous le rapport de sa direction.

    La classe sociale dirigeante domine la culture, car elle dispose de tous les leviers structurels pour reproduire l’ordre social et le commander.

    L’ordre social est composé de diverses catégories, mais seules celles en mesure de produire une idéologie allant à une vision du monde peuvent être appelées classes sociales.

    Ainsi, la noblesse seigneuriale a été la seule à pouvoir porter le féodalisme. Sans cette classe sociale, il n’existe plus qu’un féodalisme amputé, un demi-féodalisme.

    Le christianisme, sans la noblesse seigneuriale, ne peut plus exister en tant que tel, en tant que vision du monde, pas plus que l’islam d’ailleurs. Il ne peut être qu’une illusion petite-bourgeoise ou une annexe de la réaction, il ne peut plus être qu’une semi-idéologie allant au Libéralisme ou au néant.

    La petite-bourgeoisie ainsi ne peut être une classe sociale à part entière, elle ne peut que frelater, trafiquer les idéologies obsolètes entre elles, ou avec le Libéralisme ou éventuellement des éléments du matérialisme dialectique, soit par sincérité et prolétarisation relative, soit comme cinquième colonne au service de la bourgeoisie.

    Le capitalisme a accompli une gigantesque mise à jour, clarifiant comme jamais la réalité des rapports sociaux.

    Dans son cadre, la bourgeoisie toute entière a imposé le Libéralisme, beaucoup plus puissamment qu’aucune idéologie, aucune vision du monde ne l’avait réussi. Mais le Libéralisme s’est épuisé sous son propre poids, incapable de porter le matérialisme jusqu’au bout, car la bourgeoisie n’est pas la classe sociale capable de mettre un terme à l’Histoire.

    En édifiant le Capitalisme et en le faisant triompher totalement, partout sur l’espace terrestre comme tout le temps dans notre existence sociale, la bourgeoisie a fait grandir les forces collectives, a rassemblé les capacités, les intelligences, a accumulé les savoirs, les moyens et les pouvoirs.

    Elle a forgé les bras d’une Humanité nouvelle qu’elle a façonné en partie, d’une Humanité agissant collectivement, expérimentant chaque jour sa capacité à produire, à analyser, à discuter, se heurtant chaque jour à mille et une frustrations, limites dans ses savoirs, dans ses moyens dans son pouvoir.

    La bourgeoisie a forgé le prolétariat, tout comme jadis la noblesse seigneuriale en concentrant les forces de travail a forgé la bourgeoisie.

    Le prolétariat est la classe sociale du collectivisme, le prolétariat est la classe sociale de la démocratie, c’est la classe sociale produite par les immenses capacités industrielles, scientifiques et entreprenantes que l’Humanité a commencé à assembler et à organiser depuis des milliers et des milliers d’années et qui aujourd’hui tient entre ses mains la clef de la connaissance de la matière, de l’infiniment petit, à l’infiniment grand.

    Le prolétariat est la classe sociale qui annonce l’ère de l’Humanité infinie et éternelle, prête à se fondre dans le Cosmos

    Tout comme la noblesse féodale a affirmé dans la Francie occidentale l’Homme nouveau purifié et chevalier du Christ au tournant du premier millénaire, comme la bourgeoisie a affirmé dans le mouvement des Lumières au XVIIIe siècle l’Homme nouveau, social, rationnel et libre par Nature et a posé son droit à entreprendre selon ses talents ce que son travail peut produire de propre à s’affirmer comme personne, ainsi qu’à affirmer son État comme Puissance et à affirmer l’Humanité comme horizon (au lieu des divisions féodales, mais à travers ses séparations nationales), le prolétariat est un nouvel être humain, celui d’un Ordre Nouveau annonçant le Socialisme.

    Ce n’est pas parce que le prolétariat serait majoritaire qu’il faut qu’il prenne le pouvoir, c’est parce qu’il porte une vision du monde. La noblesse seigneuriale, tout comme la bourgeoisie n’ont de même été que des minorités sociales, bien plus étroites d’ailleurs, mais elles portaient une vision du monde. L’horizon social était modelé par la noblesse sous le féodalisme comme il est modelé par la bourgeoisie sous le capitalisme, comme il sera modelé par le prolétariat sous le Socialisme.

    Le prolétariat n’attend pas une quelconque « justice sociale », telle une meilleure répartition des richesses. Une telle interprétation relève de la compréhension « concordataire » de la gauche bourgeoise, qui cherche encore à sauver l’ordre capitaliste.

    Il exige l’anéantissement de la bourgeoisie en tant que classe.

    Et ce qui est nécessairement un crime pour la bourgeoisie sera une libération totale pour l’Humanité, car en liquidant la bourgeoisie, l’Ordre Nouveau, socialiste, mettra fin à l’épuisante guerre que se livre l’Humanité depuis la perte de son Eden, depuis son entrée dans l’Histoire avec la sortie de la Nature.

    Se ranger derrière le prolétariat et sa lutte, c’est assumer cette lutte à mort, totale et implacable. Les chaînes que briseront le prolétariat libéreront l’Humanité entière, rassemblant les masses derrière le modèle d’Humanité que l’Histoire a forgé patiemment dans le sang et le labeur des masses innombrables de nos ancêtres, un être humain démocratique, scientifique, producteur, bienveillant et pacifique, une humanité dont les femmes seront à l’avant-garde de l’affirmation, elles qui furent le dernier rempart de la Nature étant tombé devant l’inévitable entrée dans l’Histoire et qui seront les pionnières de la fusion dans l’Ordre Nouveau de l’Homme social et du Cosmos.

    Une Humanité épanouie dans une biosphère toujours plus symbiotique, respectant pleinement la vie sous toute ses formes et vivant sa Culture dans une Nature étendue et fusionnelle, jusqu’au Communisme le plus total.

    Se conformer à cette exigence, c’est cela chercher et affirmer l’esprit prolétarien. Ce n’est que sur cette base que peut s’affirmer le matérialisme dialectique comme idéologie révolutionnaire, annonçant la nouvelle Cosmologie, toujours plus complète.

    L’État, l’armée, la conquête des institutions et le processus d’éducation socialiste de la Nouvelle Humanité

    La Révolution consiste à changer la vie, du tout au tout. Et cela, seule les masses peuvent le faire. Sans les masses, les patriarches du tribalisme n’auraient pas triomphé.

    Sans les masses, l’aristocratie des grands propriétaire esclavagistes n’auraient pas triomphé ; sans les masses, la noblesse seigneuriale n’aurait pas triomphé. Sans les masses, la bourgeoisie ne peut rien faire. Elle sera mis à bas par les masses, qui se soulèveront derrière le Prolétariat, lorsque leurs yeux brilleront de se conformer à l’idéologie de l’Ordre Nouveau que porte le Prolétariat devant les masses.

    Sans le Prolétariat, les masses ne peuvent aller à la Révolution. Sans les masses, le Prolétariat ne peut rien changer. Ce seront les masses qui feront l’Histoire, comme elles l’ont toujours fait.

    Renverser la bourgeoisie pour instaurer un Nouvel Ordre, suppose d’assumer l’Histoire. La bourgeoisie sera renversée par les forces qu’elle a accumulé et organisé. La lutte contre la bourgeoisie est une lutte de classe, elle suppose donc un antagonisme affirmé.

    Face à l’armée bourgeoise, une armée populaire doit se former. Face aux institutions bourgeoises, de nouvelles institutions démocratiques et populaires doivent se former. Face à l’État bourgeois, un État prolétarien doit se former.

    Armée, institutions, État. C’est le parcours de la Révolution qu’il s’agit de tracer.

    L’objectif fondamental de la Révolution est un processus éducatif : il s’agit de former une Humanité nouvelle. La subjectivité révolutionnaire est donc une exigence totale. Un révolutionnaire doit transformer sa vie, personnellement et collectivement, entretenant son autocritique pour juguler la Ligne noire en lui-même comme autour de lui.

    Le travail théorique sur l’idéologie et pratique sur l’éducation révolutionnaire autour de soi doit être entretenu en permanence et de manière toujours plus complète, complexe et étendu, de manière démocratique, bienveillante sur le fond, mais directive dans la forme.

    La perspective étant dictatoriale au sens strict du terme : l’éducation socialiste consiste à dicter la conduite prolétarienne à tenir.

    La subjectivité révolutionnaire de notre époque impose aussi un style : dans l’alimentation, dans la manière de se vêtir, de parler, de se comporter, dans les mille et un geste du quotidien mais aussi par les valeurs : la curiosité encyclopédique universaliste devant porter la Culture, la sensibilité pour les arts et le respect dû aux artistes selon les exigences révolutionnaires, la promotion d’un Droit total conforme à la Morale, la loyauté et la fraternité, l’engagement complet pour la Cause, le respect et l’enthousiasme pour la Nature en général et les êtres vivants en particulier.

    Le processus révolutionnaire de notre époque a commencé, mais il est par définition nouveau. L’immense expérience accumulée doit être arborée et assimilée, et non pas regardée comme un fétiche. Tout se transforme, notre époque appelle donc des exigences aussi nouvelles, qu’il nous faut découvrir pas à pas.

    Le Futur a commencé, soyons au rendez-vous avec le Parti de la science, le Parti du prolétariat, le Parti de la révolution.

    Le Parti qui affirme la contradiction comme vision du monde, qui indique quel est le combat du Nouveau contre l’Ancien, qui affirme la Guerre Populaire jusqu’au Communisme !

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  • La France, une urbanisation tardive et relative

    « Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre. » (Honoré de Balzac, Les paysans, 1855)

    La base paysanne est fondamentale dans le développement moderne de la France, ce qui donne historiquement une importance aux mentalités issues des campagnes par rapport aux villes et aux mentalités urbaines.

    Malheureusement, c’est principalement une mentalité étriquée, restreinte dans sa perspective, bien qu’elle relève également d’un rapport très efficace et pragmatique à la réalité, au quotidien, c’est-à-dire une intelligence pratique indéniable.

    C’est très utile pour faire la révolution, mais c’est largement insuffisant pour faire face à l’esprit de civilisation portée par la bourgeoisie dans les villes (y compris au 21e siècle alors que cet esprit est très largement décadent).

    L’opposition ville/campagne se résume en France pratiquement à une confrontation entre Paris et le reste du pays, avec tout au plus une dizaine de villes ayant un centre suffisamment développé pour avoir une nature véritablement urbaine, donc en fait surtout Lyon et Marseille.

    Un simple fait : le département de la Seine (75), qui ne comporte que Paris intra-muros, soit une superficie d’un peu plus de 100 km², est peuplé de 2,13 millions d’habitants.

    Le Nord, département le plus peuplé compte 2,61 millions d’habitants (pour 5700 km²), puis les Bouches-du-Rhône comptent 2,05 millions d’habitant (pour 5000 km²). Paris absorbe tout en matière d’urbanité en France, et produit, en miroir, un opposé culturel partout ailleurs.

    Si les Parisiens sont condescendants à l’égard de la province, celle-ci le lui rend bien.

    Partout ailleurs, les gens n’aiment pas Paris, ou plutôt ils aiment critiquer les Parisiens et l’idée qu’ils se font de la vie parisienne. Le cliché absolu étant celui du Parisien stressé et toujours pressé dans le métro, alors qu’en réalité il n’y a pas plus stressé et pressé qu’un Français de la campagne sur les petites routes, évoluant à toute allure et ne supportant pas la moindre contrariété, tel un groupe de cycliste ou encore pire, une voiture immatriculée dans un autre département et respectant les limitations de vitesse devant lui.

    Au-delà de l’anecdote, on a ici un trait caractéristique de la composition du pays et de cette opposition ville/campagne, Paris/province.

    La population des villes et des campagnes

    En 1850, 26 millions de personnes vivaient à la campagne, contre un peu de moins de 9 millions dans les villes, souvent petites et isolées : c’est une proportion de 3/4 contre 1/4.

    Si l’on regarde par département, c’est alors encore plus net : seuls quatre départements étaient majoritairement urbains dans leur composition : la Seine (Paris et première couronne), les Bouches-du-Rhône, le Rhône et le Var. Encore que dans ces deux derniers cas, ce n’est qu’un petit peu plus de la moitié de la population qui était urbaine.

    L’exode rural forcé par le développement des moyens de production a bien entendu changé la donne. Entre 1851 et 1891, la mécanisation et le développement des techniques de production a bouleversé le secteur agricole qui occupait plus de 14 millions au début de la période, pour ne plus en occuper que 6,5 millions à la fin de la période.

    Toutefois, en 1911, 22,1 millions de Français (soit 56 % de la population) vivaient encore dans les campagnes contre 17,5 millions (soit 44 % de la population) dans les villes, souvent petites et isolées.

    Entre 1911 et 1921, la population des campagnes a décliné de près de 2 millions de personnes, alors que la population urbaine a stagné (malgré les immenses pertes humaines de la guerre).

    Ce n’est qu’autour de 1936 que la population urbaine a véritablement pris le dessus, avec près de 53 % de la population. En 1968, la population des campagnes ne représentait plus que 30 % du total (environ 15 millions de personnes).

    Néanmoins, il convient de relativiser, ou en tous cas d’affiner cette idée d’une population majoritairement urbaine. Dans les années 1950 puis 1960, un basculement majeur s’est produit : c’est la péri-urbanisation.

    En raison du développement des transports, et surtout de l’automobile, les villes ont commencé à s’étaler, pour former de larges agglomérations, mais ne formant plus des continuités urbaines à proprement dit, au sens culturel.

    Si l’expression « maison de ville » existe pour décrire des bâtiments étroits et construits en hauteur, mitoyens d’autres bâtiment et ayant pignon sur rue, la réalité consiste au contraire en la prédominance en France de maisons qui ne sont pas « de ville », mais de banlieue, avec une avant-cour et un jardin, sans mitoyenneté.

    En 2023, plus de 55 % des Français vivent en maison, contre près de 45 % dans des appartements.

    De surcroît, les populations immigrées de première ou deuxième génération représentent une forte proportion de la population des appartements, alors que l’intégration à partir de la deuxième ou troisième génération consiste particulièrement en le fait d’avoir une maison.

    Dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants, la proportion est encore plus imposante : plus du double d’habitants de maisons contre ceux des immeubles. C’est cela qui fait que la notion de ville doit être considérée de manière relative.

    La définition française d’une agglomération est la suivante, d’après l’Insee :

    « Une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l’unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée.

    Si l’unité urbaine s’étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale. »

    Cela ne dit pas grand-chose quant au caractère de ces agglomérations et de leur population, qui peuvent être urbaines dans la forme, mais pas dans l’esprit.

    En fait, c’est précisément à cet aspect qu’on peut comprendre en quoi il y a en France la prédominance d’une mentalité paysanne, avec la fascination pour son bout de jardin, comme reflet d’une revanche sur le féodalisme où l’arrachement d’un lopin de terre à la société est l’aspiration idéale du paysan.

    Selon l’Observatoire des territoires, qui dépend du gouvernement, en 2024, 80 % des Français déclaraient préférer vivre dans une maison individuelle (60 % des résidents d’appartement disent qu’ils opteraient pour la maison s’ils en avaient la possibilité).

    D’après cette enquête, la principale motivation est de profiter d’un jardin (49 % des sondés), et la deuxième est de s’affranchir de la copropriété (39 % des sondés).

    Ce prisme de la maison, de préférence en étant propriétaire, de préférence en étant (relativement ou franchement) isolé du voisinage, caractérise très bien la mentalité française, qui se veut fondamentalement anti-urbaine, comme prolongement d’une mentalité paysanne.

    Il est essentiel de saisir cette dimension historique de la France, qui conditionne la société et ses contradictions.

    Les Paysans de Balzac (1855) : une précieuse fresque française

    « Comment depuis trente ans que le père Rigou vous suce la moelle de vos os, vous n’avez pas core vu que les bourgeois seront pires que les seigneurs ?

    Dans cette affaire-là, mes petits, les Soudry, les Gaubertin, les Rigou vous feront danser sur l’air de : J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! L’air national des riches, quoi !… Le paysan sera toujours le paysan ! Ne voyez-vous pas (mais vous ne connaissez rien à la politique !…) que le Gouvernement n’a tant mis de droits sur le vin que pour nous repincer notre quibus, et nous maintenir dans la misère !

    Les bourgeois et le gouvernement, c’est tout un. Quéqu’ils deviendraient si nous étions tous riches ?… Laboureraient-ils leurs champs, feraient-ils la moisson ? Il leur faut des malheureux ! J’ai été riche pendant dix ans, et je sais bien ce que je pensais des gueux !… »

    Honoré de Balzac a mis beaucoup de cœur à l’ouvrage pour décrire des « scènes de la vie de campagne » dans son roman (inachevé) Les paysans. Il considérait ce livre, « pendant huit ans, cent fois quitté, cent fois repris » comme « le plus considérable » de ceux qu’il avait résolu d’écrire.

    C’est qu’Honoré de Balzac, cet immense écrivain, grande figure nationale française, s’intéressait au réel, et il a bien compris à quel point la mentalité paysanne était absolument incontournable en France.

    Il le dit avec des mots sévères, mais juste, dans sa préface :

    « Le but de cette étude, d’une effrayante vérité, tant que la société voudra faire de la philanthropie un principe, au lieu de la prendre pour un accident, est de mettre en relief les principales figures d’un peuple oublié par tant de plumes à la poursuite de sujets nouveaux.

    Cet oubli n’est peut-être que de la prudence, par un temps où le peuple hérite de tous les courtisans de la royauté. On a fait de la poésie avec les criminels, on s’est apitoyé sur les bourreaux, on a presque déifié le prolétaire ! Des sectes se sont émues et crient par toutes leurs plumes : Levez-vous, travailleurs, comme on dit au tiers état : Lève-toi !

    On voit bien qu’aucun de ces Erostrates n’a eu le courage d’aller au fond des campagnes étudier la conspiration permanente de ceux que nous appelons encore les faibles, contre ceux qui se croient les forts, du paysan contre le riche…

    Il s’agit ici d’éclairer, non pas le législateur d’aujourd’hui, mais celui de demain. Au milieu du vertige démocratique auquel s’adonnent tant d’écrivains aveugles, n’est-il pas urgent de peindre enfin ce paysan qui rend le Code inapplicable, en faisant arriver la propriété à quelque chose qui est et qui n’est pas ?

    Vous allez voir cet infatigable sapeur, ce rongeur qui morcelle et divise le sol, le partage, et coupe un arpent de terre en cent morceaux, convié toujours à ce festin par une petite bourgeoisie qui fait de lui, tout à la fois, son auxiliaire et sa proie.

    Cet élément insocial créé par la révolution absorbera quelque jour la bourgeoisie comme la bourgeoisie a dévoré la noblesse.

    S’élevant au-dessus de la loi par sa propre petitesse, ce Robespierre à une tête et à vingt millions de bras, travaille sans jamais s’arrêter, tapi dans toutes les communes, intronisé au conseil municipal, armé en garde national dans tous les cantons de France, par l’an 1830, qui ne s’est pas souvenu que Napoléon a préféré les chances de son malheur à l’armement des masses. »

    Sur la forme, le roman est quelque peu rugueux, comme souvent le sont les romans chez Balzac, qui se perdent dans un amont de détail, au contraire de ses nouvelles dont le rythme est toujours haletant. Cela n’enlève rien à son intérêt, qui est de saisir avec une grande finesse la mentalité française d’alors, dont notre époque est encore le produit.

    Voici deux extraits, très significatifs, qui vont précisément dans le sens de la pensée-guide pour la France sur le capitalisme considéré comme féodalisme renouvelé.

    « — Comment un homme comme vous s’est-il laissé tomber dans la misère ? Car, dans l’état actuel des choses, un paysan n’a qu’à s’en prendre à lui-même de son malheur, il est libre, il peut devenir riche. Ce n’est plus comme autrefois. Si le paysan sait amasser un pécule, il trouve de la terre à vendre, il peut l’acheter, il est son maître !

    — J’ai vu l’ancien temps et je vois le nouveau, mon cher savant monsieur, répondit Fourchon, l’enseigne est changée, c’est vrai, mais le vin est toujours le même ! Aujourd’hui n’est que le cadet d’ hier. Allez ! mettez ça dans vout’journiau ! Est-ce que nous sommes affranchis ? nous appartenons toujours au même village, et le seigneur est toujours là, je l’appelle Travail. La houe, qu’est toute notre chevance, n’a pas quitté nos mains. Que ce soit pour un seigneur ou pour l’impôt qui prend le plus clair de nos labeurs, faut toujours dépenser not’vie en sueurs…

    — Mais vous pouvez choisir un état, tenter ailleurs la fortune, dit Blondet.

    — Vous me parlez d’aller quérir la fortune ?… Où donc irais-je ? Pour franchir mon département, il me faut un passeport, qui coûte quarante sous ! V’là quarante ans que je n’ai pas pu me voir une gueuse ed ’pièce de quarante sous sonnant dans mes poches avec une voisine. Pour aller devant soi, il faut autant d’écus que l’on trouve de villages, et il n’y a pas beaucoup de Fourchon qui aient de quoi visiter six villages ! Il n’y a que la conscription qui nous tire ed ’nos communes. Et à quoi nous sert l’armée ? à faire vivre les colonels par le soldat, comme le bourgeois vit par le paysan. Compte-t-on sur cent un colonel sorti de nos flancs ? C’est là, comme dans le monde, un enrichi pour cent aut ’qui tombent. Faute de quoi tombent-ils ? Dieu le sait et l’zusuriers aussi ! Ce que nous avons de mieux à faire est donc de rester dans nos communes, où nous sommes parqués comme des moutons par la force des choses, comme nous l’étions par les seigneurs. Et je me moque bien de ce qui m’y cloue. Cloué par la loi de la Nécessité, cloué par celle de la Seigneurie, on est toujours condamné à perpétuité à la tarre. Là où nous sommes, nous la creusons la tarre et nous la bêchons, nous la fumons et nous la travaillons pour vous autres qu’êtes nés riches, comme nous sommes nés pauvres. La masse sera toujours la même, elle reste ce qu’elle est… Les gens de chez nous qui s’élèvent ne sont pas si nombreux que ceux de chez vous qui dégringolent !… Nous savons ben ça, si nous ne sommes pas savants. Faut pas nous faire nout ’procès à tout moment. Nous vous laissons tranquilles, laissez-nous vivre… Autrement, si ça continue, vous serez forcés de nous nourrir dans vos prisons où l’on est mieux que sur nout ’paille. Vous voulez rester les maîtres, nous serons toujours ennemis, aujourd’hui comme il y a trente ans. Vous avez tout, nous n’avons rien, vous ne pouvez pas encore prétendre à notre amitié !

    — Voilà ce qui s’appelle une déclaration de guerre, dit le général. »

    « Ce qui se passe dans cette vallée a lieu partout en France, et tient aux espérances que le mouvement de 1789 a jetées chez les paysans.

    La Révolution a plus profondément affecté certains pays que d’autres, et cette lisière de la Bourgogne, si voisine de Paris, est un de ceux où le sens de ce mouvement a été pris comme le triomphe du Gaulois sur le Franc. Historiquement, les paysans sont encore au lendemain de la Jacquerie, leur défaite est restée inscrite dans leur cervelle. Ils ne se souviennent plus du fait, il est passé à l’état d’idée instinctive. Cette idée est dans le sang paysan comme l’idée de la supériorité fut jadis dans le sang noble.

    La révolution de 1789 a été la revanche des vaincus. Les paysans ont mis le pied dans la possession du sol que la loi féodale leur interdisait depuis douze cents ans. De là leur amour pour la terre qu’ils partagent entre eux jusqu’à couper un sillon en deux parts, ce qui souvent annule la perception de l’impôt, car la valeur de la propriété ne suffirait pas à couvrir les frais de poursuites pour le recouvrement…

    — Leur entêtement, leur défiance, si vous voulez, est telle, à cet égard, que dans mille cantons, sur les trois mille dont se compose le territoire français, il est impossible à un riche d’acheter du bien de paysan, dit Blondet en interrompant l’abbé. Les paysans, qui se cèdent leurs lopins de terre entre eux, ne s’en dessaisissent à aucun prix ni à aucune condition pour le bourgeois.

    Plus le grand propriétaire offre d’argent, plus la vague inquiétude du paysan augmente. L’expropriation seule fait rentrer le bien du paysan sous la loi commune des transactions. Beaucoup de gens ont observé ce fait et n’y trouvent point de cause.

    — Cette cause, la voici, reprit l’abbé Brossette en croyant avec raison que chez Blondet une pause équivalait a une interrogation.

    Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre.

    L’amour dont la racine plongeait jusqu’aux entrailles du peuple, et qui s’attacha violemment à Napoléon, dans le secret duquel il ne fut même pas autant qu’il le croyait, et qui peut expliquer le prodige de son retour de 1815, procédait uniquement de cette idée. Aux yeux du Peuple, Napoléon, sans cesse uni au Peuple par son million de soldats, est encore le roi sorti des flancs de la Révolution, l’homme qui lui assurait la possession des biens nationaux. Son sacre fut trempé dans cette idée…

    — Une idée à laquelle 1814 a touché malheureusement, et que la monarchie doit regarder comme sacrée, dit vivement Blondet, car le peuple peut trouver auprès du trône un prince à qui son père a laissé la tête de Louis XVI comme une valeur d’hoirie.

    — Voici madame, taisons-nous, dit tout bas l’abbé Brossette, Fourchon lui a fait peur, et il faut la conserver ici, dans l’intérêt de la Religion, du Trône et de ce pays même. »

    Pour réussir la révolution dans un pays, il faut une analyse historique du parcours de celui-ci, c’est ce qui permet de saisir les contradictions en posant des nuances, des contrastes, des luttes.

    Il n’y a pas de méthode abstraite pour la révolution, pas de recette miracle, de technique passe-partout. Il n’existe pas de marxisme cosmopolite qui flotterait au-dessus de la société, et où on pourrait piocher comme on le voudrait, selon les besoins du moment. Les révolutionnaires ne disposent d’aucune caisse à outils où prendre ce qui leur est nécessaire.

    Ce qu’il faut, c’est la science : le matérialisme dialectique, affirmé historiquement par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. La science portée par le prolétariat, qui porte en elle l’antagonisme, la subjectivité révolutionnaire.

    La compréhension de la situation historique de la France dans son rapport à la paysannerie est ainsi une clef permettant de comprendre la France pour ce qu’elle est, de démasquer les positions non prolétariennes, notamment petite-bourgeoises populistes ou semi-prolétariennes.

    Pour faire triompher la révolution en France, c’est-à-dire la guerre populaire, on a besoin du Parti Matérialiste Dialectique, qui pose les jalons historiques et permet de dépasser les obstacles érigés par la bourgeoisie en tant que classe.

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  • Pensée-guide pour la France : le mouvement ouvrier a considéré de manière erronée que le capitalisme était un féodalisme renouvelé, avec la rente et la corvée

    Pour faire la révolution dans un pays, il faut comprendre son cheminement historique : d’où il vient, où il va, où il en est. C’est une tâche difficile qui demande de combiner la théorie et la pratique.

    Il ne s’agit pas seulement d’enquêter ou de participer à la lutte des classes, ou encore d’expérimenter des formes de lutte. Il est nécessaire d’atteindre une dimension historique, ce qui est beaucoup plus exigeant.

    C’est sur cet écueil que viennent se briser beaucoup de gens sincères. Ces derniers constatent la comédie contestataire et ils partent à la recherche d’une approche véritablement révolutionnaire.

    Cependant, comme ils apparaissent « étranges », comme ils sont en décalage sur le plan des idées par rapport à l’opinion publique, ils sombrent vite dans une certaine marginalité intellectuelle ou militante, et ils finissent par capituler.

    Périodiquement, on a ainsi de nouveaux groupes révolutionnaires qui apparaissent, portés par des gens jeunes ou très jeunes, qui pensent avoir découvert la « méthode » ultime pour faire avancer les choses. Cela s’agite un temps, puis ça s’arrête.

    C’est, au fond, qu’ils recherchaient une « clef » pratique, quelque chose qui fasse bouger les lignes. Or, ce n’est pas ce qu’il faut ; ce qu’il faut atteindre, c’est une dimension historique. C’est alors seulement que ce qu’on fait peut avoir une réelle portée.

    Nous voulons à ce titre exposer un aspect essentiel de la société française, du mouvement ouvrier en particulier. Il ne s’agit pas d’une idée que nous avons eu, c’est le fruit d’une synthèse politico-idéologique reposant sur notre activité révolutionnaire.

    Une activité révolutionnaire qu’on ne saurait confondre avec l’agitation et la propagande, même si elles sont nécessaires : ce qui compte avant tout c’est l’affirmation stratégique de l’idéologie communiste, telle que posée par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

    Une idéologie qui est passée par le marxisme, puis le marxisme-léninisme et le marxisme-léninisme-maoïsme, ce que nous appelons désormais le matérialisme dialectique afin d’en souligner le caractère synthétique.

    Une idéologie qui consiste en la vision du monde du prolétariat et affirme la nécessité de l’océan des masses armées afin d’établir la république socialiste mondiale, comme produit de la révolution mondiale avec les révolutions socialistes dans les pays impérialistes et les révolutions démocratiques dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux.

    Si on regarde l’histoire du mouvement ouvrier, dans la seconde moitié du 19e siècle et tout le 20e siècle, on a une idée fixe : celle que la bourgeoisie est injuste.

    Elle est injuste, car elle s’enrichit, alors qu’une partie grandement majoritaire de la société vit dans la pauvreté – cela, c’est pour la seconde moitié du 19e siècle et la première partie du 20e siècle.

    Elle est injuste, car elle parasite largement les fruits de la croissance économique – cela, c’est pour la seconde partie du 20e siècle.

    Le mouvement ouvrier français n’a pas considéré que la bourgeoisie exploitait, il a considéré que la bourgeoisie parasitait. Pour le syndicaliste de la fin du 19e siècle, pour les socialistes et les communistes du 20e siècle, le bourgeois est un rentier.

    C’est ce qui explique paradoxalement qu’il y ait toujours eu une France une Droite populaire : les masses ont bien vu que les patrons charbonnaient, que les entrepreneurs s’activaient. Ne comprenant pas l’accusation de la Gauche, considérée comme injuste, le peuple a accepté la Droite au nom du travail (et de la propriété).

    Naturellement, la dénonciation de l’exploitation a existé durant toute cette période, que ce soit dans la seconde partie du 19e siècle ou tout au long du 20e siècle. Mais cette exploitation n’était pas comprise comme Karl Marx l’a fait dans Le Capital.

    Pour Karl Marx, le capitalisme est un mode de production, et chaque fois qu’un prolétaire travaille, une partie du fruit de son travail « disparaît » comme plus-value pour le capitaliste. Pour le mouvement ouvrier français, l’exploitation vient au bout du processus productif, au moment de la répartition.

    C’est là une conception syndicaliste et il faut bien voir l’importance de la CGT à la fin du 19e siècle et au tout début du 20e siècle. Le style « syndicaliste révolutionnaire » a été massivement présent dans notre pays, il a réussi à s’ancrer et à maintenir une tradition. Même en 2025, on retrouve à la CGT des approches caractéristiques du syndicalisme révolutionnaire.

    Ce qui révèle la justesse de notre analyse, c’est qu’en raison de tout cela, la bourgeoisie n’est pas dénoncée comme classe au sein d’un mode de production.

    Ceux qui sont la vindicte d’une telle approche, ce sont les rentiers, l’oligarchie, le néo-libéralisme, éventuellement (mais de moins en moins) le grand capital.

    Nous ne voulons pas ici rentrer trop loin dans l’analyse idéologique, car il ne s’agit pas d’extrapoler ; en même temps, il faut bien souligner l’aspect suivant, qui explique bien des choses.

    Le matérialisme dialectique critique le capital en général ; bien entendu, il faut différencier le petit du grand, le capital industriel et le capital financier, etc. Cependant, l’ennemi, c’est la classe capitaliste.

    Le fascisme est né comme mouvement populiste prônant une distinction, une séparation entre un capital productif (national et bon) et un capital parasitaire (cosmopolite et mauvais).

    Heureusement, le mouvement ouvrier français n’est pas fasciste ; il faut en même temps noter que la tendance idéaliste visant les « rentiers » se retrouve immanquablement en écho avec le populisme fasciste. C’est que le mouvement ouvrier français se place historiquement en écho de la révolution française, qu’il souhaite rééditer.

    Si on regarde les positions historiques du mouvement ouvrier français, si on discute avec des « anticapitalistes » en 2025, on retrouvera deux ennemis : les riches et l’État.

    Les riches sont considérés comme des néo-féodaux : grâce à leur argent, ils parasitent l’économie. Ils font l’acquisition de leur capital en attendant leurs rentes, tout comme la noblesse dans le féodalisme.

    L’État est considéré comme exigeant et expéditif, il est au service des riches et il impose l’équivalent de la corvée au moyen-âge.

    Il va de soi qu’il est impossible de réellement combattre le capitalisme avec une telle approche. Le capitalisme n’est pas un féodalisme capitaliste, où l’argent a remplacé les titres de noblesse. C’est pourtant ainsi que voient 99,9 % des gens dénonçant le capitalisme en France en 2025.

    Les origines d’une telle position sont faciles à comprendre. Tout d’abord, la révolution française a été un très long processus, qui a marqué les esprits et a connu de nombreux soubresauts, reculs et avancées, de 1789 jusqu’à 1870 et l’instauration pour toute la nouvelle période de la république bourgeoise.

    Ensuite, le mouvement ouvrier français a connu sur le plan des conceptions une hégémonie du socialisme français, qui assumait ouvertement de faire triompher la République « jusqu’au bout ».

    C’était de l’opportunisme, car ainsi le mouvement ouvrier se mettait à la remorque des républicains bourgeois et de la franc-maçonnerie qui avaient besoin d’alliés pour combattre la droite monarchiste.

    C’est ce qui explique la défaite du Front populaire, où au lieu de déborder les « radicaux », les socialistes et les communistes les ont mis sur un piédestal, avant de se faire trahir par eux (et les socialistes trahissant alors les communistes).

    C’est ce qui explique que les armes ont été rendues après la victoire sur l’Allemagne nazie, ou bien que mai 68 n’a pas eu d’expression politique révolutionnaire continue.

    Tant les socialistes que les communistes ont systématiquement voulu rester dans le cadre de la « république », car la république doit aller jusqu’au bout, et ce serait ça le socialisme.

    C’est ce qui explique inversement le programme commun de 1981. L’objectif de nationaliser les banques et d’avoir un Etat dirigé par la Gauche correspondait entièrement au combat contre les rentes et la corvée.

    C’est également ce qui permet de comprendre pourquoi les ouvriers sont passés en masse dans un vote pour l’extrême-droite dans les années 2000-2010-2020 : ils on retrouvé chez Marine Le Pen la dénonciation des rentiers et de la corvée, à travers la dénonciation de la mondialisation et des décisions des élites de l’appareil d’État.

    Il suffit de se tourner vers ce que raconte la gauche contestataire pour retrouver les mêmes obsessions. Les prétentions à disposer d’une économie politique s’effacent devant la tradition française de dénoncer les rentes et la corvée. Dans sa version modernisée, ce vise les riches « hors-sol » et l’État.

    Fin mai 2025, Lutte Ouvrière propose une caricature où le ministre de l’intérieur (et désormais chef de la Droite) Bruno Retailleau veut construire des prisons. Un jeune avec des cités à l’arrière-plan lui dit : « Pour les voleurs capitalistes et leurs politiciens corrompus ? ». Sont ici exactement visées les rentes et la corvée.

    Le Parti Communiste Français explique dans une résolution de la mi-mai 2025 que « le pouvoir national comme les actionnaires s’enferment dans l’impératif de rentabilité avec comme seule variable d’ajustement les salaires ». On retrouve les rentiers et la corvée.

    Pour La France Insoumise, « La concentration des pouvoirs entraîne une dérive autoritaire. Elle favorise le pouvoir des milliardaires. » C’est encore les rentes et la corvée.

    On peut continuer longtemps ainsi, qu’on ait affaire à des partis électoralistes (donc ouvertement pro-républicains) ou à des mouvements d’ultra-gauche (étrangers à l’idéologie républicaine).

    C’est dans la matrice du mouvement ouvrier français, c’est la tradition dominante à l’arrière-plan, qui rattrape tout le monde.

    Le PRCF appelle à une « République sociale et souveraine au service du peuple et du monde du travail », le NPA constate qu’« il y en a ras-le-bol des politiques gouvernementales et patronales visant à prendre l’argent dans les poches de ceux qui travaillent pour les distribuer aux actionnaires ».

    Les « jeunes révolutionnaires » expliquent que « tout le monde a en tête décembre 2018, où ‘‘le peuple’’ attendait le triangle magique : Gilets jaunes, CGT, quartiers populaires… Nous pouvons imaginer réciproquement que tous les parasites de France (bourgeois monopolistes, banquiers, boursicoteurs, politicards achetés, Généraux, juges et flics pourris, mafieux) devaient trembler dans leurs redingotes face à cette possibilité. »

    Il ne faut pas s’étonner ici de la référence aux « gilets jaunes » de 2018, un mouvement populiste typique de la dénonciation des « rentes et de la corvée », tout comme avant eux Nuit debout en 2016, les bonnets rouges en 2013, etc.

    Si on veut parvenir à la révolution en France, il faut s’arracher à cette logique visant à se focaliser sur un capitalisme interprété comme un féodalisme renouvelé.

    Cela ne veut pas seulement dire qu’il faille éviter cette erreur. Il faut lui opposer également la ligne rouge, sans quoi inévitablement on retomberait dans un tel travers, tellement c’est ancré en France.

    Cette question de l’interprétation du capitalisme comme féodalisme renouvelé rejoint également bien d’autres questions, comme celle de savoir pourquoi il n’y a pas eu de social-démocratie révolutionnaire en France avant 1914, pourquoi Maurice Thorez et le Parti Communiste Français basculent dans les années 1930 dans le culte de la « République ».

    En fait, cela explique pourquoi, à chaque fois, la contestation a été intégrée par le capitalisme, par l’intermédiaire de la « République ».

    C’est la raison également pour laquelle les forces de répression visent en France systématiquement la désescalade. Si on met de côté la démagogie qui imagine la France comme Etat policier, on peut constater une ligne droite de mai 1968 à aujourd’hui, où les préfectures tolèrent les manifestations et la casse, afin d’éviter toute polarisation, en visant une réintégration « républicaine » progressive.

    Cela rejoint également la question du rôle des syndicats comme soutiens permanents au régime, au nom de la République ; tout révolutionnaire sérieux sait que depuis les années 1960, la CGT a joué un rôle contre-révolutionnaire majeur.

    Mais ce n’est pas le lieu pour systématiser cette hypothèse fondamentale, qui sonne juste et éclaire par-là même tellement de choses.

    Pour parvenir en France à la révolution, il faut comprendre le capitalisme pour ce qu’il est, et il n’est pas un féodalisme renouvelé.

    Il faut donc mettre en avant deux choses : d’une part, la dialectique qui permet de comprendre comment l’exploitation a lieu réellement, non pas après la production et dans la répartition, mais dans la production elle-même. Le Capital de Karl Marx est ici incontournable.

    D’autre part, le principe de mode de production, qui seul permet d’appréhender la réalité et sa transformation historique, depuis le matriarcat et l’esclavagisme jusqu’au féodalisme, au capitalisme, puis le socialisme et enfin le communisme.

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  • Les procès Kravchenko et Rousset

    Pour comprendre comment le Parti Communiste Français est échec en mat en 1950, il faut se tourner vers deux affaires qui vont le faire définitivement passer dans le camp bourgeois.

    Ces affaires vont, en effet, révéler son rapport à la dictature du prolétariat.

    Il y a déjà l’affaire Kravchenko, qui a été un grand thème dans la presse française alors, dans le cadre d’une violente campagne anticommuniste gérée directement par la CIA.

    Le Parti Communiste Français est ici tombé dans un piège. Tout commence avec la défection d’un Ukrainien soviétique, Viktor Kravchenko, qui « passe à l’Ouest » lorsqu’il était en poste à New York.

    Il publie un ouvrage dans la foulée,J’ai choisi la liberté : La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique.

    La revue intellectuelle Les Lettres françaises, née en 1942 et avec en son centre l’inévitable Louis Aragon, dénonça Viktor Kravchenko lors de la publication du livre en français en 1947, avec l’article « Comment fut fabriqué Kravchenko » publié le 13 novembre 1947.

    Viktor Kravchenko porte plainte en réponse et c’est le début du « procès du siècle ». Cet événement anecdotique fut transformé en machine de guerre psychologique contre l’URSS.

    L’avocat de Viktor Kravchenko fut Georges Izard, le fondateur de la revue Esprit et avocat (il avait notamment été employé par Coca-Cola).

    Le procès se déroula du 24 janvier au 22 mars 1949, avec 25 audiences et une centaine de témoins furent présents, dont certains venant de l’URSS. Toute la question de la vie en URSS y passa, bien entendu avec à chaque fois un écho énorme dans la presse bourgeoise internationale, au service de qui quatorze cabines téléphoniques furent mises en place à cette occasion au Palais de justice.

    Naturellement, le procès fut gagné par Viktor Kravchenko. Cela lui accorda un prestige énorme. Et afin de maintenir l’illusion de la démocratie bourgeoise, la condamnation des responsables du journal passa de 5 000 francs d’amende chacun à un franc. Reste 150 000 francs de dédommagement obtenu aux dépens de la revue.

    Le Parti Communiste Français a été ici d’une stupidité tactique aberrante. Mais c’était inévitable à partir du moment où il croit en la « République » et que son niveau idéologique est lamentable.

    C’est pourquoi l’affaire Kravchenko permet une immense propagande contre lui et ouvre la voie à l’affaire Rousset. Celle-ci est bien moins connue, bien que sur le long terme elle va avoir un rôle crucial.

    David Rousset est un ancien socialiste passé au trotskisme. Évidemment au service de la bourgeoisie, il publie un appel dans Le Figaro littéraire du 12 novembre 1959.

    Il dit qu’il y a des camps en URSS et il appelle à ce que des personnes déportées par les nazis aillent enquêter sur place. Quelques personnes répondent positivement et voici une « Commission internationale contre le régime concentrationnaire » qui commence à demander aux Nations-Unies d’intervenir en sa faveur.

    David Rousset publia également un livre, L’Univers concentrationnaire (qui reçoit un prix littéraire, le prix Renaudot, en 1946, et un roman, Les jours de notre mort ; il appartient au trotskisme et les publications se font résolument dans cette perspective.

    On est là dans une opération de guerre psychologique et idéologique tout à fait logique. Mais le Parti Communiste Français n’assume pas la dictature du prolétariat ni la révolution, donc il ne peut pas concevoir les camps de travail.

    Pour cette raison, Les Lettres françaises publient en novembre 1949 un article intitulé Pourquoi M. David Rousset a-t-il inventé les camps soviétiques ? avec comme sous-titre « une campagne de préparation à la guerre ».

    On repart alors avec un procès en diffamation, du 25 novembre 1950 au 12 janvier 1951, avec la comparution de témoins, une médiatisation massive, etc.

    David Rousset gagna le procès, bien entendu. Il commença ensuite un tribunal public sur les camps soviétiques, une campagne contre les camps en Chine, il mit en place en 1961 une « Commission pour la vérité sur les crimes de Staline ».

    Il soutint alors… Charles de Gaulle, passant du trotskisme au gaullisme de gauche, devenant député et ayant été grand reporter au Figaro littéraire. Il servit d’entremetteur entre l’État et la Ligue Communiste en 1973, pour une reconstitution cette fois sans « service d’ordre ».

    Ce qu’il faut voir ici, c’est que le procès de David Rousset contre les Lettres françaises est plus important que celui de Viktor Kravchenko. En effet, il fut bien moins médiatisé, en raison en théorie du caractère non public d’un procès en diffamation.

    Mais ce qui compte, c’est que le Parti Communiste Français s’arc-bouta entièrement sur une ligne simple : il n’y a pas de camps de travail en URSS.

    Cela veut dire que le Parti Communiste Français ne s’intéresse pas à ce qui se passe en URSS, qu’il a une lecture qui l’arrange totalement en fonction de sa ligne « républicaine ».

    S’il avait vraiment assumé la dictature du prolétariat, le Parti Communiste Français aurait revendiqué ces camps de travail. Mais comme il prétend vouloir la dictature du prolétariat tout en ne l’assumant pas, il a masqué la réalité et commencé à se contorsionner dans tous les sens pour maintenir sa propre fiction.

    Les procès Kravchenko et Rousset ont révélé idéologiquement l’erreur fondamentale dans la matrice du Parti Communiste Français, tout comme les grèves de 1947-1948-1949 l’ont dévoilé en pratique.

    Cette erreur, c’est la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, qui place au cœur de la stratégie la croyance en la République, en remplacement de la dictature du prolétariat.

    Il y a ici l’incapacité à trouver une voie à la révolution en France et cela se révèle justement au moment où, après les séquences de 1934 et du Front populaire d’abord, et de la Résistance ensuite, la séquence 1947-1948-1949 pose l’exigence historique du passage à un Parti qui se fonde sur la guerre populaire.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La grève des dockers

    La grève des dockers est la troisième grande grève historique de la séquence 1947-1948-1949 ; au sens strict, on déborde sur 1950.

    Cette grève fut, en effet, davantage une longue bataille qu’une grève unique ; elle mêle beaucoup de types d’actions, pour une période allant du 2 novembre 1949 au 18 avril 1950.

    Sont touchés les ports de Toulon, Lorient, Rouen, La Rochelle, Casablanca, Brest, Saint-Nazaire, Nice, La Rochelle-La Pallice, Bordeaux, Cherbourg, Caen, Le Havre, Sète, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis, Port Vendre et surtout Marseille, où le mouvement va durer une vingtaine de semaines en continu.

    Voici La chanson des dockers, qui reflète bien l’état d’esprit d’alors, même si elle date de 1951. Elle a été écrite par Maurice Morelly (secrétaire national du syndicat des artistes de variétés CGT de 1946 à 1961) sur la musique de sa fille Chantal Sullivan.

    « Sur tous les quais de tous les ports de France,
    Entendez-vous ces dockers, ces grutiers,
    Dire aux bateaux, aux armées en partance
    Nous voulons travailler pour la paix

    Plus de canons, plus d’obus pour la guerre
    Paix au Vietnam : renvoyez nos garçons,
    Rendez leurs fils aux malheureuses mères,
    Envoyez donc les va-t-en guerre en prison.

    C’est la chanson des dockers,
    C’est la chanson de tous les hommes libres,
    C’est la chanson des dockers :
    Qui revendiquent partout le droit de vivre!

    C’est la chanson des dockers
    Qui sert d’exemple à tous les prolétaires
    Pour dire partout :
    Comptez sur nous
    les dockers sont vos frères !

    Dans toutes les rues de toutes les villes de France.
    Dans chaque village, les bourgs et les hameaux,
    Du nord de Seine aux bords de la Durance,
    Dans les usines, les champs et les bureaux,
    Les combattants d’une paix qu’on opprime,
    Tant qu’il est chaud, sauront battre le fer.
    Et nous vaincrons les profiteurs du crime.
    L’âme enflammée par le chant des dockers.

    C’est la chanson des dockers :
    Elle combat pour la paix à l’avant-garde.
    C’est la chanson des dockers :
    Aux massacreurs elle dit : « prenez garde »
    C’est la chanson des Français
    Qui sert d’exemple à tous les prolétaires,
    Pour dire partout au monde entier
    Comptez-sur-nous les Français sont vos frères ! »

    Le mouvement des dockers est un grand test. La grève de la fin de l’année 1947 n’avait pas été un succès, en raison d’un comité national entravant les Fédérations de la CGT qui auraient pu impulser de nouvelles dynamiques.

    La grève des mineurs de la fin de l’année 1948 avait terminé en désastre en raison de la préparation de l’État et de l’incapacité communiste à ce que la grève dépasse un horizon corporatiste.

    Cette fois, le Parti Communiste Français se veut prêt, et il entend mener une « grève politique de masse ».

    Maurice Thorez avait popularisé le concept dans les années 30 sous l’impulsion de l’Internationale Communiste et il revient désormais, mis en avant comme une sorte de recette miracle.

    Sauf que sa conception est artificielle, étrangère à ce que ce concept représentait du point de vue social-démocrate (et bolchevik en Russie).

    On a avec la grève des dockers une grève classique, sauf qu’elle se voit ajouter des éléments politiques. C’est un assemblage artificiel, où tout est mêlé, ajouté, au lieu de former une synthèse historique propre à une situation.

    De manière très intéressante par contre, tant la bourgeoisie que le Parti Communiste Français à partir de 1953 va considérer que le mouvement des dockers a été une grève politique de masse et qu’il faut passer tout cela sous silence autant que possible.

    On l’aura compris, c’est comme la grève des mineurs de 1948 : on était pas loin d’une vraie grève politique de masse, d’un bond dans la guerre populaire. Et on a eu quelque chose mi-figue mi-raisin et tout s’est effondré.

    Le contexte est le suivant. Le mouvement de libération nationale vietnamien était en pleine progression et la France coloniale eut à doubler, en un peu plus de deux ans, ses troupes sur place. On en est ainsi à 167 000 hommes en janvier 1950.

    Cela demande une immense intendance. Or, les ports de Marseille, Oran et Dunkerque se caractérisent par une immense force de la CGT et du Parti Communiste Français.

    À l’été 1949, les un peu plus de 2000 dockers d’Oran soutiennent le Congrès pour la paix, ainsi que la libération du Vietnam, et refusent de charger les navires de matériel militaire. Le mouvement fait tache d’huile en Provence, à Port-de-Bouc.

    La répression est systématiquement brutale et consiste toujours en l’envoi de forces numériques très supérieures, ce qui se passait déjà couramment à Dunkerque, où cela faisait deux ans déjà que les incidents se multipliaient.

    La tension devient alors une constante et le mouvement combine grève complète (comme le 7 novembre 1949), grève de quelques heures, refus de débarquer, refus d’embarquer, accrochages avec la police, affrontements avec la police, sabotages, etc.

    Les revendications sont doubles, dans l’idée d’une « grève politique de masse » dans la version du Parti Communiste Français. On a ainsi d’un côté la demande d’une prime exceptionnelle de trois mille francs, de l’autre le refus de la « sale guerre » au Vietnam.

    On n’a donc pas du tout une grève de masse de portée politique, mais une grève classique et sectorielle où vient se greffer une revendication politique. On peut dire en un sens qu’on en revient à la tradition substitutiste de la CGT « syndicaliste révolutionnaire » d’avant 1914.

    C’est d’autant plus traître que les travailleurs les plus avancés croient ouvrir quelque chose de nouveau, et qu’inversement la bourgeoisie voit la menace communiste et s’entraîne toujours plus à faire front contre le Parti Communiste Français.

    Parmi les faits marquants, on a l’attaque, le 14 février 1949, menée par 2 000 dockers de Nice contre 200 policiers, avec la mise à la mer dans le port même d’une rampe de missile V2.

    On a également cette initiative retentissante alors où, à la gare de Saint-Pierre-des-Corps, les manifestants se couchent sur les voies (la sténodactylo Raymonde Dien prend un an ferme par le tribunal militaire).

    Il y a également l’affaire Henri Martin. Celui-ci fut condamné à cinq ans de prison pour propagande anti-guerre à l’arsenal de Toulon.

    Le Parti Communiste Français ne cessera de mener une grande campagne de soutien, et on a un bon exemple de répression lorsqu’en 1951 au Salon d’automne, une exposition annuelle de peinture à Paris, la police procéda au décrochage de sept tableaux dont un baptisé Henri Martin.

    Il faut ici bien voir l’impact que cela va avoir sur Marseille.

    La répression fut terrible, les retraits de cartes professionnelles furent effectués par centaines et la pègre fut appelée à la rescousse. Cela va être le début de l’arrivée massive de l’héroïne à Marseille et la pénétration systématique de la ville par les mafias.

    L’appui de la CIA joue ici à plein, tout comme avec les travailleurs de la municipalité marseillaise désormais sous contrôle de la CGT-Force ouvrière.

    L’objectif était clairement de briser le Parti Communiste Français. Un autre exemple marquant de l’épisode de la grève des dockers fut l’arrestation des dirigeants locaux du Parti et de la CGT à Brest, à la suite d’une manifestation de 2000 personnes le 16 avril 1950.

    La réponse fut une grève générale et une manifestation où la gendarmerie tira, tuant le manœuvre Édouard Mazé, blessant 23 personnes dont 8 grièvement.

    On notera les incidents à l’Assemblée nationale, lors de l’étude du projet de loi sur les « attentes à la sécurité extérieure de l’État », où le tumulte est énorme et les députés communistes agressés par la police.

    Le député communiste Gérard Duprat avait notamment expliqué ce jour-là que :

    « La vérité, c’est que vos maîtres américains deviennent de plus en plus exigeants. Avec l’arrivée d’armes qui s’annonce, ils exigent maintenant plus que jamais que vous matiez les arrières, c’est-à-dire la résistance de notre peuple qui ne veut pas la guerre.

    Mater les arrières, vous ne le ferez pas comme vous voudrez. Nous, au contraire, nous saluons avec admiration les dockers de Saint-Nazaire et de la Pallice, qui refusent d’embarquer et de débarquer le matériel de guerre et qui sont ainsi fidèles à la tradition du mouvement ouvrier. »

    La loi « scélérate » fut votée par 393 députés contre 186, au bout de quatre jours et trois nuits de débat. En voici le texte.

    « LOI n° 50-298 du 11 mars 1950 relative à la répression de certaines atteintes à la sûreté extérieure de l’Etat.

    L’Assemblée nationale et le Conseil de la République ont délibéré, L’Assemblée nationale a adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

    Article unique. — I. — L’article 76 du code pénal est ainsi complété : « Toutefois, en temps de paix, sera puni de la réclusion tout Français ou étranger qui se sera rendu coupable :

    a) De malfaçon volontaire dans la fabrication de matériel de guerre lorsque cette malfaçon ne sera pas de nature à provoquer un accident ;

    b) De détérioration ou destruction volontaire de matériel ou fournitures destinés à la défense nationale ou utilisés pour elle ;

    c) D’entrave violente à la circulation de ce matériel ;

    d) De participation en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation de l’armée, ayant pour objet de nuire à la défense nationale.

    Est également punie de la réclusion la participation volontaire à une action commise en bande et à force ouverte, ayant eu pour but et pour résultat l’un des crimes prévus aux paragraphes a, b, c du présent article, ainsi que la préparation de ladite action. »

    On est là dans la question de la lutte de classe, dans la lutte intransigeante pour le pouvoir, et le Parti Communiste Français est battu. Il aurait dû passer dans le camp de la guerre populaire, faisant de la séquence 1947-1948-1949 la clef historique pour le nouveau chemin.

    Mais il était arrivé à cette séquence forcée par la situation internationale, lui-même ne voulait pas cela. Deux affaires retentissantes de l’époque vont le montrer et surtout le révéler à lui-même.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le Congrès mondial des partisans de la paix

    Lors de la Conférence fédérale de la Seine du Parti Communiste Français, début février 1949 Maurice Thorez pose que :

    « La question décisive de l’heure, c’est la question de la paix. »

    Lors de la session du Comité Central quelques semaines plus tard, Maurice Thorez lance un appel :

    « Luttons au premier rang des combattants de la paix. »

    Immédiatement dans la foulée, il tient un discours à l’Assemblée nationale :

    « En appelant à l’union et à l’action pour sauver la paix, nous sommes dans la pure tradition du mouvement ouvrier français et international. »

    S’ensuit un grand meeting au Vel d’Hiv, avec 50 000 personnes, le 2 mars 1949, puis un vaste rassemblement au Buffalo le 6 mars.

    Entre-temps, la France participe à la fondation, le 4 avril 1949, de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan) avec la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni et bien sûr les États-Unis qui dirigent cette structure dont ils sont à l’origine.

    Il y a alors une « conférence nationale » du Parti Communiste Français qui tient à Montreuil en banlieue parisienne les 9 et 10 avril 1949. Maurice Thorez tient un discours, intitulé « Partisans de la paix, unissons-nous ! ».

    Cette fois, Maurice Thorez assume, contrairement à sa position louvoyante précédente : le plan Marshall tend à la colonisation de la France. L’Otan, c’est la guerre et il faut tout faire pour la paix. Il faut l’union de tous ceux qui ne veulent pas la guerre.

    On retrouve, bien évidemment, le principe de Maurice Thorez : appeler à l’union, être le plus légitime possible.

    Il est d’ailleurs bien évidemment souligné que l’unité est la préoccupation première du Parti Communiste Français, qu’il ne faut pas de sectarisme, etc.

    Voici la conclusion de la résolution, approuvée par le Comité central.

    « Camarades communistes, fidèles aux enseignements de notre maître en socialisme, Staline, déployons largement le drapeau de l’unité de lutte de la classe ouvrière, unissons toutes les forces de démocratie, de progrès et de paix.

    Luttons à la tête des masses populaires pour épargner à la France le sort terrible que lui préparent les agresseurs impérialistes.

    Luttons pour ouvrir la voie dans notre pays à l’instauration d’un GOUVERNEMENT D’UNION DEMOCRATIQUE qui mettra en oeuvre une politique d’indépendance nationale et assurer aux Françaises et aux Français le pain, la liberté, la paix.

    En unissant dans un même combat toutes les forces ouvrières et progressives, notre Parti contribuera puissamment, aux côtés des partisans de la paix de tous les pays, à faire échec aux plans des fauteurs de guerre dont la défaite sera une victoire riche d’avenir pour la classe ouvrière, pour les masses paysannes, pour notre peuple, pour la France, pour la grande cause du Socialisme. »

    C’est là où on retrouve le Congrès mondial des partisans de la paix, à Paris, qui se tient à la salle Pleyel sauf pour sa clôture avec un meeting au Buffalo. Il a toutefois un équivalent à Prague, car l’État français s’oppose à l’obtention de visas par les délégués d’Europe de l’Est.

    On est ici dans une séquence qui va du 20 au 24 avril 1949 ; le film La bataille pour la vie présente la tenue parallèle des deux congrès, son réalisateur Louis Daquin étant également à l’origine la même année Le Point du jour, qui a comme arrière-plan la grève des mineurs de 1948.

    Le Congrès est une modification du Mouvement de la paixfondé en 1947.

    À sa fondation, ce mouvement entendait célébrer l’esprit de la Résistance, contribuer au climat moral, rejeter les valeurs fascistes et la dictature, célébrer la République.

    Trois résistants compagnons de route du Parti Communiste Français en forment le noyau dur : Yves Farge, Jean Cassou et Henri Manhès.

    Il y a une évolution dès l’année suivante, avec la mise en place des Assises du peuple français pour la paix et la liberté, les 27 et 28 novembre 1948 à Paris. On passe alors à la protestation contre le réarmement allemand et l’existence des bombes atomiques.

    La tenue d’un Congrès des peuples pour la paix en Pologne en Pologne à Wroclaw du 25 au 28 août 1948 produit alors la mise en place du Bureau international de liaison des intellectuels pour la paix.

    C’est lui qui appelle à un Congrès mondial des partisans de la paix.

    Parmi les figures présentes au congrès à Paris, on peut mentionner le physicien français Frédéric Joliot-Curie, le physicien britannique John Desmond Bernal, l’architecte libanais Antoine Tabet, le militant anticolonial Gabriel d’Arboussier, le poète chilien Pablo Neruda, l’écrivain brésilien Jorge Amado, l’avocat mexicain Narcisso Bassols, le socialiste italien Pietro Nenni, l’écrivain français Vercors, le peintre australien Noel Counihan, l’acteur américain Paul Robeson, l’intellectuel cubain Juan Marinello, le docteur indonésien Sunan Hanzah, l’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg, la médecin italienne Laura Weiss, l’écrivain américain Howard Fast.

    On doit bien noter la place centrale de la France dans le processus. Le symbole du Congrès est la colombe de la paix dessinée par Pablo Picasso, membre du Parti Communiste Français. Or, la peinture de ce dernier est par définition rejetée en URSS, car non conforme aux principes du réalisme socialiste.

    D’ailleurs, à la suite de la mort de Staline, le révisionnisme orchestra une immense exposition Picasso à Moscou en 1956.

    Il y a donc ici un vaste compromis, ou du moins une convergence pragmatique. Les positions du Parti Communiste Français sont clairement opportunistes, il se soumet à la République, il n’a aucune perspective insurrectionnelle.

    Mais comme il est puissant numériquement et culturellement dans une France qui est le seul pays occidental à pouvoir disposer d’une réelle indépendance vis-à-vis de la superpuissance américaine, il y a une forme d’immense tolérance, voire d’abandon à son égard de la part de l’URSS.

    Tout passe ici par Louis Aragon. Carriériste, celui-ci s’est placé au centre de tout un milieu artistico-littéraire bourgeois qui sympathise avec le Parti Communiste Français, naturellement principalement à Paris. Louis Aragon arrondit toujours les angles, efface les aspérités, empêche les conflits.

    C’est ce qui avait permis l’adhésion de Pablo Picasso au Parti Communiste Français ; Louis Aragon l’accueillit avec Paul Eluard, mais également l’un des principaux artisans de la Résistance Pierre Villon, ainsi que Marcel Cachin et Jacques Duclos.

    Les tensions iront cependant en grandissant et Pablo Picasso sera poussé à se prononcer plus pour la paix qu’autre chose ; il réalisera ainsi avec Paul Eluard une œuvre très chère, Le visage de la Paix, dont les bénéfices iront au Parti.

    Louis Aragon se plaça évidemment aussi au cœur du Congrès pour la paix, qui se veut surtout intellectuelle et humaniste. 20 numéros d’une revue, Les Partisans de la Paix, sont publiés d’août 1949 à novembre 1950.

    Le 5 septembre, un million de personnes se rassemblèrent pour la paix à Vincennes en banlieue parisienne, et le 2 octobre il y a des manifestations pour la paix dans toute la France.

    S’ensuit une grande grève nationale le 25 novembre, alors que les dockers prennent le relais des mineurs.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • L’évaluation au début 1949

    Il va de soi que la défaite des mineurs produisit une mobilisation en leur faveur. Voici les paroles d’une chanson intitulée Le chant des partisans de l’amnistie aux mineurs, reprenant bien entendu la mélodie du Chant des partisans.

    « Amis, écoutez :
    C’est ici, parmi nous,
    C’est en France.

    Amis, écoutez :
    Grandes sont l’injustice,
    La souffrance.

    Leur cri, écoutez,
    C’est leur cri qui nous poursuit,
    Nous harcèle.

    Ils sont en prison
    Pour avoir combattu
    Par la grève,

    Ce droit, c’est le leur
    Cependant chaque jour
    Qui se lève.

    Contre la misère
    Ils sont toujours au combat,
    Ceux des mines.

    Ce sont ces vaillants
    Qu’on veut avoir par la faim,
    La vermine.

    La pensée qu’ils ont
    Leurs enfants dans les pleurs
    Les ravage.

    Quand ils sortiront,
    Ils seront sans emploi,
    Au chômage.

    Mais ils restent fiers
    Ceux qui sous les hitlériens
    Ont fait grève.

    Il y a des gens
    Qui croient pouvoir les mater,
    C’est un rêve.

    Amis, nous allons
    Délivrer les mineurs
    De leurs serres.

    C’est nous qui ouvrons
    Les portes des prisons
    Pour nos frères.

    Nous crions : assez !
    Libérez tous les mineurs,
    C’est justice.

    Nous crions : assez !
    Amnistie pour les mineurs,
    Amnistie. »

    Reste qu’à la suite de l’échec de la grève des mineurs en 1948, la situation est lugubre pour le Parti Communiste Français et la CGT. Cette dernière se tourne vers une revendication qu’elle pense porteuse : une hausse des salaires de 25 %.

    Quant au Parti, il remet en avant la grève politique de masses, qui était le pendant social-démocrate de la « grève générale » des syndicalistes révolutionnaires. Mais c’est trop tard et artificiel.

    Il croit pourtant qu’il peut s’en sortir, au moyen de ce mot d’ordre et en cachant ses problèmes derrière le Mouvement Communiste International. Car la révolution chinoise triomphe, la guerre civile grecque d’immense ampleur a marqué les esprits, et de fait les démocraties populaires marchent en tandem avec l’URSS.

    On a alors une sorte de mélange éclectique entre la grève comme principe et le thème de la paix qui devient absolument central.

    Parallèlement, la répression commencée ne s’arrête pas. André Houllier est tué par un policier en civil le 12 décembre 1948 en banlieue parisienne, alors qu’il collait une affiche pour la paix réalisée par André Fougeron.

    De manière notable, tant cet épisode que la grève des mineurs passeront dès la mort de Staline totalement à la trappe, et cet épisode du colleur d’affiches assassiné est absolument méconnu.

    Voici comment, en janvier 1949, Jacques Duclos fait le bilan de la situation alors.

    « En ce début de 1949, alors que la classe ouvrière et les masses populaires se préparent, avec courage et confiance, à de nouveaux combats, il n’et pas inutile de dresser le bilan des luttes livrées et des succès remportés au cours de l’année 1948.

    Au mois de septembre 1947, au cours de la Conférence des neuf partis communistes et ouvriers, qui se tint en Pologne, notre regretté camarade Jdanov soulignait que dans la lutte entre le camp impérialiste et le camp anti-impérialiste on assistait au développement des forces de démocratie et de paix.

    Avec force et précision, le camarade Jdanov mettait la classe ouvrière en garde contre le danger principal la menaçant, à savoir la sous-estimation de ses propres forces et la surestimation des forces de l’adversaire.

    Et Jdanov ajoutait : « Si les Partis Communistes frères restent fermes sur leurs positions, s’ils ne se laissent pas influencer par l’intimidation et le chantage, s’ils se comportent résolument en sentinelles de la paix durable et de la démocratie populaire, de h souveraineté nationale, de la liberté et de l’indépendance de leur pays, s’ils savent, dans leur lutte contre les tentatives d’asservissement économique et politique de leur pays, se mettre à la tête de toutes les forces disposées à défendre la cause de l’honneur et de l’indépendance nationale, aucun des plans d’asservissement de l’Europe ne pourra être réalisé. »

    L’année 1948 s’est déroulée en France et dans le monde sous le signe de luttes acharnées dont la classe ouvrière et l’ensemble de forces de paix et de liberté sont sorties plus puissantes et mieux préparées en vue des futurs combats.

    Il y a un an, au début de 1948, les ouvriers français sortaient des grandes grèves de novembre et de décembre 1947.

    Au nombre de deux millions et demi, pendant plus d’un mois, les travailleurs de chez nous avaient courageusement lutté pole la défense de leurs revendications.

    Ces grèves avaient eu pour origine la réduction insupportable du pouvoir d’achat des masses laborieuses.

    C’est ainsi qu’en avril 1947, alors que les communistes étaient encore au gouvernement, les salaires représentaient 70 % du pouvoir d’achat de 1938, et en novembre les salaires des travailleurs ne représentaient plus que 49% du pouvoir d’achat d’avant-guerre.

    Avec une parfaite unanimité de vues, les dirigeants socialistes et les gaullistes qui venaient de se livrer aux plus cyniques collusions à l’occasion des élections municipales, s’employaient à présenter les grèves sous un jour insurrectionnel. Les ennemis de la classe ouvrière s’employaient ainsi à isoler la classe ouvrière et à dresser contre elle les masses paysannes et les classes moyennes des villes.

    On notait, aussi bien chez les paysans que parmi les classes moyennes des villes, une meilleure compréhension des luttes ouvrières que par le passé et l’on voyait se produire de très significatives actions de solidarité.

    Dans ces conditions, la propagande officielle faite auprès des paysans et des classes moyennes urbaines n’obtint pas le succès escompté. Et à peine le mouvement de grèves fut-il terminé que le gouvernement se livra à une attaque brutale contre les paysans, les artisans, les commerçants et les membres des professions libérales en leur appliquant le prélèvement Mayer avec le retrait des billets de 5.000 francs et la dévaluation du franc.

    L’année 1948 débutait ainsi sous le signe d’une politique d’avilissement des conditions d’existence des masses laborieuses des villes et des campagnes.

    C’était là la conséquence de la marshallisation de la France. Aussi le mécontentement s’étendait-il à de très larges couches de la population.

    En janvier 1948, on vit se dérouler en plein Paris une manifestation contre les accords Blum-Byrnes livrant le cinéma français aux milliardaires de Hollywood ; on vit aussi les boutiquiers se rassembler pour définir et défendre leurs intérêts et la Conférence nationale paysanne du Parti Communiste exprima à la fois les inquiétudes et les revendications du monde paysan.

    A l’appel de l’Union des Femmes Françaises, de puissantes démonstrations féminines se produisirent, le 7 mars, dans diverses villes de France et notamment à Paris où 100 000 Parisiennes défilèrent sur les grands boulevards.

    [Suit une analyse de l’agressivité militariste de l’impérialisme.]

    Le peuple de France ne veut pas faire la guerre; il ne veut pas la faire à l’U.R.S.S., notre alliée, et cela inquiète les impérialistes d’outre-Atlantique qui, eux, veulent avoir à leur disposition une France prête à se battre pour leurs intérêts.

    On comprend que devant une telle situation, les agents français des gouvernants de Washington songent à porter des coups au Parti Communiste qui est l’âme de la résistance aux agissements’ criminels des fauteurs de guerre.

    L’HÉROÏQUE GRÈVE DES MINEURS

    Bien entendu, la grève des mineurs a été l’occasion de violentes attaques contre notre Parti, mais là encore les résultats escomptés n’ont pas été obtenus.

    La grève héroïque des mineurs, qui a duré huit semaines, a suscité un profond courant de sympathie. et de solidarité tant sur le plan international que sur le plan national.

    Le gouvernement et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, Jules Moch, pensaient, qu’en se livrant contre les mineurs en grève à une odieuse politique de répression, ils allaient semer le découragement et la résignation.

    Leurs espoirs ont été déçus ; loin d’avoir devant eux des mineurs « soumis » et « repentants », ils ont des prolétaire résolus, dont le coeur est empli d’une haine tenace et dont la volonté de lutte, loin de s’être émoussée, s’est aiguisée et durcie dans le combat.

    Quand des mineurs sont scandaleusement condamnés et emprisonnés tandis que les gangsters du marché noir, les affameurs sont l’objet de la sollicitude déférente des autorités, une colère légitime s’empare de la classe ouvrière tout entière et de la masse des honnêtes gens.

    La grève des mineurs a été une étape particulièrement importante de la lutte des classes en France. Rien n’a été négligé par le gouvernement pour battre les mineurs.

    Afin de pouvoir concentrer toutes ses forces contre eux, le gouvernement donna satisfaction aux travailleurs de l’électricité et du gaz, à ceux du métro et aux sidérurgistes de Lorraine, mais par cela même il ouvrait la porte à d’inévitables augmentations des salaires et des traitements comme l’exigent les travailleurs de la fonction publique.

    Et les résultats de leur grève se feront sentir aussi pour les mineurs. qui sont sortis moralement vainqueurs de leur magnifique combat.

    Quant aux attaques dirigées contre le Parti Communiste Français, par Jules Moch à l’occasion de la grève des mineurs, elles ont tourné à la confusion du ministre de l’Intérieur qui, d’accusateur qu’il prétendait être, a été transformé en accusé.

    La frénésie anticommuniste du gouvernement s »accentue en même temps que s’amenuisent ses bases d’influence.

    C’est cette politique anticommuniste qui a abouti à l’assassinat par un agent de police du communiste André Houllier, de Saint-Mandé, alors qu’il collait un tract reproduisant l’affiche du peintre Fougeron pour la défense de la paix.

    Mais tout cela. loin de réduire l’autorité du Parti Communiste, pousse des masses de plus en plus importantes à lui accorder leur confiance.

    Chacun comprend que si le Parti Communiste mérite la haine et les persécutions des ennemis du peuple et des naufrageurs de l’indépendance nationale, il mérite, par cela même, que le peuple se rassemble autour de lui pour défendre sa vie et son avenir.

    Les élections de Firminy, en plein centre minier, où fut tué le mineur Barbier, ont montré que l’influence du Parti, loin de diminuer, augmente, cependant que l’on voit se réduire celle des partis de la troisième force et celle des gaullistes.

    Les dirigeants du Parti socialiste S.F.I.O. perdent chaque jour de l’influence, comme le montrent toutes les élections.

    Le M.R.P. voit une partie de clientèle passer au R.P.F. et l’on a pu constater que les députés du M.R.P. en votant la loi Moch-Giacobbi pour l’élection du Conseil de la République, ont fait en quelque sorte hara-kiri, en donnant la primauté à des considérations de classe sur l’intérêt de leur parti.

    Quant au Parti radical-socialiste, qui se présentait autrefois comme le défenseur de la laicité, il a admis dans son dernier congrès l’appartenance de ses membres au R.P.F. qui reprend le thème de Pétain sur les subventions aux écoles confessionnelles.

    L’anticommunisme sert de base de rassemblement à toutes les formations qui, de Blum à de Gaulle constituent le Parti américain.

    C’est ainsi qu’on a vu le R.P,F. élire le socialiste Dardel maire de Puteaux. On a vu aussi les conseillers municipaux R.P.F., socialistes et M.R.P. voter pour un candidat commun (socialiste) à Firminy.

    Mais la pression populaire a été telle que l’élection comme maire du camarade Combe révoqué par Jules Moch n’a pu être empêchée par les anticommunistes.

    On comprend pourquoi Jules Moch laisse bien tranquille les gaullistes responsables de l’assassinat de Grenoble. A la vérité, en dépit de querelles subalternes, il y a complicité entre les dirigeants des partis gouvernementaux et les gaullistes dont ils font ke jeu.

    Sur le plan de la marshallisation, de Gaulle est comme Queuille, tout dévoué aux maitres américains et c’est uniquement par tactique qu’il s’efforce de donner une nuance un peu différente à ses explications sur l’Allemagne qu’il veut comme alliée contre l’U.R.S.S., tout comme Queuille, Moch et Cie (…).

    Au cours de l’année 1948 qui vient de s’achever, les forces de démocratie et de paix ont gagné du terrain.

    L’U.R.S.S. a remporté de grandes victoires dans la réalisation de son plan quinquennal, les pays de démocratie populaire ont remporté des succès tant sur le plan économique que sur le plan politique.

    Enfin, les événements considérables de Chine, la résistance du peuple grec et les mouvements de libération des peuples opprimés, témoignent du renforcement prodigieux du camp anti-impérialiste et de défense de la paix.

    Dans la lutte pour le rassemblement de la classe ouvrière et des forces populaires que les circonstances lui font une obligation impérieuse de développer, notre Parti doit dénoncer le rôle joué par les dirigeants socialistes.

    C’est ce que souligna le Comité Central du Parti dans sa session d’Ivry des 15 et 16 novembre, après avoir exalté la grève des mineurs dans les termes suivants :

    « La magnifique grève revendicative des mineurs, qui dure depuis plus de six semaines, et l’obligation où se trouve l’Etat-patron de s’attaquer, après l’échec de la terreur et des mensonges, à la vie de leurs enfants, par la suppression des allocations familiales, attestent l’élévation exceptionnelle de la combattivité et de la conscience de la classe ouvrière française. » (…)

    Et ce qui est vrai sur le plan de la situation intérieure en France, l’est aussi sur le plan de la situation internationale, comme l’a souligné le camarade Molotov en déclarant, à l’occasion du XXXIe anniversaire de la Révolution socialiste d’octobre:

    « Les fondements de l’impérialisme s’ébranlent de plus en plus et deviennent peu sûrs.

    En même temps, grandissent et s’unissent les forces de la démocratie, de la paix et du socialisme.

    Dans ces conditions, les forces impérialistes bâtissent de plus en plus souvent leurs calculs sur l’exacerbation du caractère agressif de leur politique, sur la création d’une atmosphère d’hystérie guerrière, etc.

    Tous ces procédés sont bien connus.

    Mais plus messieurs les instigateurs d’une nouvelle guerre feront de bruit, et plus ils éloigneront d’eux les millions de petites gens de tous les pays, et plus ces messieurs se trouveront isolés au point de vue international.

    En même temps, le camp international des partisans de la paix et de la démocratie à l’avant-garde duquel se trouve l’U.R.S.S., se consolide de plus en plus et se transforme en une grande force indestructible. »

    C’est donc en pleine conscience du renforcement de notre camp anti-impérialiste, en pleine compréhension des perspectives de victoires qui sont devant nous, que nous devons aborder l’année 1949.

    Nous devons l’aborder avec l’esprit de résolution de combattants convaincus que leurs efforts auront de très grandes répercussions sur le développement ultérieur des événements, dont nous pouvons et devons faire sortir la victoire des peuples, la victoire de l’indépendance nationale, la victoire de la liberté, la victoire de la paix. »

    Le combat pour la « paix » devient la nouvelle ligne du Parti Communiste Français.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le terrible bilan en 1948 pour les mineurs : l’impasse

    La fédération des travailleurs du sous-sol et toute la CGT, tout à fait dans la défensive pendant la grève des mineurs, furent incapables de dépasser les contradictions au sein du mouvement des mineurs.

    En effet, c’est tout une somme de bassins de vie qui dépassait nettement les membres de la corporation qui fut plongée dans l’effervescence de la lutte. Il fallait en prendre conscience et l’assumer.

    Dans cette population ouvrière, beaucoup étaient disposés à aller au-delà de la grève et engageaient des moyens de lutte propres à la guerre de partisans.

    Il fallait saisir cette dynamique révolutionnaire.

    D’autres, beaucoup moins d’abord, puis de plus en plus à mesure que la grève durait, considéraient que les revendications valaient une grève, mais guère plus.

    Il fallait élargir la dimension affirmative de la lutte, au lieu de la bloquer sur une démarche corporatiste.

    En l’absence de cela, ce fut l’impasse. Pris en étau entre les moyens de répression mis en œuvre par le gouvernement et le désengagement progressif des grévistes, le syndicat fut finalement contraint de renoncer, appelant à la reprise du travail pour le 29 novembre 1948.

    La grève des mineurs de 1948 fut ainsi un évènement historique majeur. Il s’agit d’une illustration éclatante de la lutte que mènent la classe ouvrière et la bourgeoisie, entraînant avec elles la société française toute entière.

    Les organisations politiques et les institutions, produites par les classes dans le mouvement même de leur affrontement, furent poussées dans leurs retranchements par la force des évènements et sommées de se transformer.

    La grève des mineurs a précipité les grumeaux idéologiques qui stagnaient de manière indéfinie dans les appareils. Les positions se clarifièrent et l’essence de l’État bourgeois et des différents partis et organisations ouvriers apparut plus clairement.

    La classe ouvrière, disposant pourtant d’une grande capacité d’organisation ne put conquérir le pouvoir ni même poser un affrontement d’envergure faisant avancer les choses par une victoire ; au contraire, la bourgeoisie fit la démonstration de sa capacité à mener l’ensemble de la société et à diriger l’État.

    La grève des mineurs de 1948 vint également clore une séquence ouverte dans les années 1920 et éteindre l’espoir de poursuivre le Font populaire à l’issue de la deuxième guerre mondiale.

    « Les mineurs ont fièrement repris le chemin des puits »

    Le Parti Communiste Français venait d’être écarté du gouvernement quand la grève éclata. Il s’empêtra dans ses incohérences au sujet de la conquête du pouvoir. Il se révéla incapable de se défaire de ses pratiques parlementaires.

    Il continuait à vouloir peser à gauche de la IVe république, contraint à une démagogie inhérente à la marche dans les institutions.

    L’électoralisme dont faisait preuve le Parti Communiste Français apparut comme un conservatisme et montra son arriération par rapport aux aspirations de la classe ouvrière. Le Parti Communiste Français démontra qu’il était incapable d’aller à la rupture en retournant à l’activité clandestine.

    Obnubilé par le poids politique de la SFIO, le PCF s’avéra inapte à assumer la crise de régime.

    La classe ouvrière attendait qu’on améliore ses conditions de vie. C’est l’élan premier de la grève des mineurs 1948, comme ce fût celui des travailleurs d’autres secteurs économiques à la fin de 1947.

    Mais il y avait en substance la question de toute la vie quotidienne des masses travailleuses, et même sans aller jusqu’à la révolution, il y avait ici une force explosive.

    Les mineurs et tout leur environnement, au lieu d’être choyé, étaient marginalisés par la France.

    La contradiction était révolutionnaire.

    Cela se prouve par le fait que la grève de 1948 révéla le haut niveau de conflictualité dont les masses ouvrières des bassins miniers étaient capables.

    Les masses avaient été largement encadrées dans les corons par les partisans auparavant, et elles prouvaient encore en 1948 qu’elles étaient capables d’une bonne discipline dans des actions de violence ciblées et mesurées.

    Ici, la guerre populaire aurait dû connaître un vrai bond.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Les revendications professionnelles des mineurs et la question syndicale en 1948

    Toute la presse bourgeoise, appuyée par les socialistes, dénonça la grève des mineurs comme une tentative d’insurrection communiste.

    En réalité, le mouvement avait comme moteur des revendications strictement professionnelles et essentiellement d’ordre économique. Il s’agissait notamment d’élever le pouvoir d’achat des familles et de défendre le minimum vital du mineur remis en cause par les décrets Lacoste.

    Ici, il faut comprendre tout l’arrière-plan syndical, car tout est bien trop masqué par la nature du Parti Communiste Français, qui agit comme un « parti syndicaliste ».

    Avec l’après-guerre et la généralisation des élections professionnelles, la logique électoraliste commença à infuser dans le syndicalisme. La CGT était alors hégémonique.

    Néanmoins, pour des raisons tenant à l’histoire du mouvement ouvrier, le syndicalisme chrétien représenté par la CFTC était très implanté dans le bassin minier de l’Est.

    Par ailleurs, poussé par la SFIO et les forces politiques anticommunistes et soutenu financièrement par la CIA, le syndicat CGT-Force ouvrière né fin 1947 trouvait un écho grandissant au niveau national.

    Pour la préparation des élections professionnelles de 1948, le ministère du Travail et de la sécurité sociale arrêta une liste fermée de syndicats habilités à présenter des candidats.

    Cette décision du 8 avril 1948 relative à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail constituait une consécration de la représentativité des syndicats de la part des pouvoirs publics.

    Réciproquement, cette reconnaissance venait un peu plus intégrer le syndicat dans l’appareil démocratique bourgeois et, par là-même, mettre un terme à toute prétention révolutionnaire du syndicalisme.

    Cela ne dérangea pas la CGT ni le Parti Communiste Français, qui ne posèrent aucune question à ce niveau, ayant accepté la « République ».

    Aux élections des délégués mineurs de février 1948, la CGT remporta le plus grand nombre de suffrages. Ainsi, dans le Pas-de-Calais, celle-ci ne descendit sous les 68 % des voix dans aucun groupe.

    « FO » oscillait toutefois aux alentours de 20 % des suffrages, alors la CFTC n’obtenait que de 3 à 7 %.

    Dans ce contexte, dès le stade de la préparation du mouvement, la CGT voulut se prémunir de toute accusation de participation à une grève politique. Il faut se rappeler ici de la charte d’Amiens, cette horreur de 1906.

    La charte dénonce les partis politiques et même la politique ; le mouvement ouvrier français ne s’en remettra jamais. Inversement, dans les pays où il y avait une vraie social-démocratie, la ligne était la suivante : le Parti est primordial, il agit dans le domaine politique ; le syndicat est subordonné à la politique, mais c’est lui qui s’occupe des revendications économiques.

    Avant la fondation du Parti Communiste Français en 1920, le Parti socialiste-SFIO formait un monde parallèle à la CGT et reconnaissait la primauté de la CGT dans le cas d’une révolution.

    Par la suite, le Parti Communiste Français a maintenu ce fond « syndicaliste révolutionnaire », notamment par l’intermédiaire de sa Confédération générale du travail unitaire qui a existé de 1921 à 1936.

    Au moment de la stabilisation interne du Parti Communiste Français dans les années 1930 avec Maurice Thorez, la ligne adoptée devint celle du « parti syndicaliste ».

    Ne comprenant pas la dialectique Parti-Syndicat, la CGT était alors d’autant plus facilement la cible des syndicalistes « purs ».

    En ce sens, la grève des mineurs de 1948 devait aussi être un moyen pour la CGT de réapparaître comme un vrai moteur syndical et purement syndical.

    Le 4 octobre 1948, après un référendum organisé par la CGT, très suivi dans chacun des puits des Charbonnages de France, favorable à la grève à près de 90 %, le travail s’arrêta.

    Dans les puits, l’animation du mouvement de grève dépendait largement des militants de la CGT.

    En plus du succès des revendications, un double enjeu apparut. Il s’agissait d’une part pour les cadres syndicaux locaux de démontrer que les décisions pouvaient valablement être prises de manière décentralisée. Et, d’autre part, de défendre la CGT elle-même.

    La tendance au durcissement intervint alors rapidement, sans qu’elle vienne d’abord des grévistes eux-mêmes. Elle était provoquée par la nécessaire démonstration de force de la CGT.

    C’est dans ce cadre que l’on peut lire, tant la grève de la sécurité qui intervint vers le 16 octobre, que les menaces et agressions contre les « jaunes ».

    Ces deux types d’actions, que l’on observa d’ailleurs dans de nombreux puits, doit être différenciée de la véritable radicalité des masses qui s’exprima essentiellement dans les assauts contre les forces de l’ordre en vue de reprendre le contrôle des puits et dans la volonté de poursuivre l’épuration antifasciste.

    Cette situation accentua les contradictions au sein de la CGT également d’un point de vue strictement organisationnel. En l’occurrence, l’aspect essentiel est que la grève des mineurs de 1948 fut dirigé par la fédération nationale des travailleurs du sous-sol de la CGT.

    On n’a donc plus un comité national comme à la fin de l’année 1947. Cela semblait logique, étant donné que la grève relève d’un seul secteur. Force est de reconnaître pourtant que tout est brouillé : qui mène la lutte ? Les mineurs ? La CGT des mineurs ? La CGT ? Le Parti Communiste Français ?

    On est ici au cœur de l’incohérence du Parti Communiste Français comme « parti syndicaliste ».

    Surtout, finalement, la grève pouvait être considérée comme corporatiste. Elle était présentée comme une mobilisation des mineurs pour la défense de leurs intérêts propres.

    Cette posture trouva ses limites quand il s’agissait de trouver la solidarité d’autres secteurs de la classe ouvrière dans les différents bassins miniers, face aux forces de l’ordre ou face à la faim.

    Incapable de rallier à elle une population, en général pourtant plutôt favorable, dans un bras de fer avec le gouvernement, le mouvement fut condamné à s’affaiblir, à s’enliser, à s’isoler.

    Et c’était vrai pour le rapport au reste de la classe. Ainsi, en Lorraine, les mineurs de fer et les métallurgistes étaient en grève illimitée dès le 25 septembre, mais reprirent le travail le 12 octobre après avoir obtenu gain de cause sur leurs revendications salariales (26% d’augmentation de salaires).

    Ce phénomène résumé dans la formule « tous les mineurs, rien que les mineurs » fut un obstacle fondamental à la capacité d’affrontement unifié de la classe.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Division et solidarité chez les mineurs

    Contrairement aux grèves de 1947, la minorité ultra-gauchiste de type trotskiste était invisible dans un mouvement radical comme celui de 1948. Par ailleurs, sur l’autre aile, les mineurs SFIO ne s’organisèrent pas en tant que tels.

    Les organisations anti-communistes qui s’illustrèrent dans les évènements de 1948 furent le syndicat catholique CFTC et la scission de la CGT appuyée par la CIA, la CGT-Force ouvrière.

    La CFTC était très présente dans le bassin houiller de l’Est et la CGT-Force ouvrière dans celui du Pas-de-Calais. Ces syndicats eurent des influences inégales, mais cristallisèrent les divisions politiques entre mineurs.

    Durant la grève les conflits se multiplièrent. Ainsi, la maison d’un secrétaire « FO » des mineurs de Sallaumines (Pas-de-Calais), fut gardée par une trentaine de communistes, si bien que l’occupant ne pouvait en sortir sans s’exposer à des coups.

    À Liévin, le soir du 7 novembre, les sièges de quatre cellules communistes, des cafés pour l’essentiel, essuyèrent des coups de feu ou reçurent une grenade.

    Le lendemain, à Burbure, après qu’un jet de pierre ait atteint la porte de sa maison, un mineur se munit d’un marteau et cassa deux vitres de la maison d’un délégué mineur qui se trouvait être également l’un des dirigeants communistes locaux.

    Le 16 novembre, à Dourges, après des bris de vitres, des mineurs « FO » lancèrent des briques contre la maison d’un militant cégétiste. Celui-ci répliqua en les insultant et les membres de « FO » tirèrent alors plusieurs coups de feu.

    L’activité locale du syndicat CGT-Force ouvrière témoignait d’un anti-communisme certes minoritaire, mais bien présent dans les cités minières. Tant les militants du PCF que de la CGT ne s’y trompaient d’ailleurs pas, redoublant d’effort pour décrédibiliser les syndicalistes de « FO » et leurs positions vis-à-vis de la grève.

    Le syndicat CGT-Force ouvrière organisait notamment différents types de référendum durant la grève ; il cherchait ainsi à favoriser l’expression de mineurs voulant reprendre le travail, contre les grévistes.

    La CGT appelait à combattre le défaitisme des « jaunes », des mineurs désirant cesser la grève. Au fur et à mesure que la grève durait en longueur, de plus en plus de mineurs considérèrent démesurées certaines violences.

    D’un certain point de vue, elles étaient disproportionnées par rapport à l’objectif qu’était la satisfaction des revendications propres à la corporation. Le Parti Communiste Français, prisonnier de sa logique de « parti syndicaliste » ne proposait pas de solution pour dépasser cette contradiction.

    Il n’appela pas à la grève politique de masse dans la perspective de déclencher une crise de régime.

    D’ailleurs, plutôt que d’assumer l’entrée dans la lutte pour le pouvoir ou du moins d’intégrer cette dimension révolutionnaire, les organisations ouvrières se tournèrent vers le soutien logistique.

    Les élus municipaux des communes minières accompagnaient les délégations de mineurs lors des rencontres avec les pouvoirs publics, par exemple à Béthune.

    L’action du Parti Communiste Français, fut essentiellement une action sociale envers les familles ouvrières privées de revenus. Les communes qu’il administrait, en particulier celles de la banlieue rouge parisienne, organisèrent l’accueil des enfants de mineurs en grève par des familles ouvrières.

    Cela donnait naissance à des marqueurs symboliques, comme le 16 octobre avec l’article dans Ce soir titré : « 1 600 gosses de mineurs invités par les ouvriers parisiens quittent Lens pour Paris ».

    Le 7 octobre, le Bureau politique du Parti Communiste Français appelait officiellement à organiser la solidarité.

    Le 11 octobre, le secrétariat général décida de suspendre la souscription du Parti au profit d’une vaste souscription « en faveur des mineurs et des métallurgistes en grève » et d’inscrire « au nom du Comité Central la somme de 500 000 francs».

    Le comité central publiait une déclaration solennelle le 30 octobre : « La solidarité envers les mineurs est un devoir sacré ».

    D’après les estimations de la CGT, 100 millions de francs par semaine étaient nécessaires pour subvenir aux besoins des mineurs et de leurs familles. Or, la solidarité s’élevait à la fin de la grève à 600 millions de francs.

    A cela, s’ajoutaient 180 millions reçus par la Fédération des mineurs de syndicats étrangers, dont 90 millions des syndicats soviétiques, 50 millions des syndicats tchèques, le reste de Pologne, de Hongrie et de Bulgarie.

    Pour élargir les possibilités de ravitaillement des grévistes, Auguste Lecoeur et André Parent, communistes du Pas-de-Calais, mirent en place des bons de solidarités valables dans des commerces locaux.

    Il s’agissait ni plus ni moins d’un système de crédit, les commerçants acceptant les bons reçurent le remboursement de l’intégralité des sommes par le syndicat des mineurs.

    L’État s’opposa rapidement à cette pratique, par laquelle la grève aurait pu trouver un moyen de s’étendre, en menaçant de poursuivre les auteurs pour fraude fiscale.

    Une information judiciaire fût même ouverte sur l’ordre du ministre des Finances pour émission de traites dépourvues du timbre légal. L’émission des « bons Lecoeur » cessa alors.

    Pour soutenir les grévistes, le PCF mobilisa également des intellectuels, publiant textes et poésies dans la presse partisane.

    C’est ainsi que Paul Éluard écrivit un poème exaltant la difficile condition du mineur voué aux ombres de sa vie, dans un style misérabiliste tout à fait français. « Ombres » fut publié le 13 octobre 1948 dans L’Humanité.

    « Ombres sur terre ombres tournantes
    Filles dociles du soleil
    Danseuses fraîches reposantes
    Amies des hommes et des bêtes

    Ombres sur terre de la nuit
    La plus profonde va vers l’aube
    Comme les autres et la lune
    Et très légère aux dormeurs pâles

    Ombres sous terre du mineur
    Mais son cœur bat plus fort que l’ombre
    Son cœur est le voleur du feu
    Il met à jour notre avenir

    Outrage sous les ombres
    Se développe une ombre
    De dégoût de misère
    De honte et de courroux

    Travailler sans espoir
    Creuse sa propre tombe
    Au lieu d’illuminer
    Les yeux de ses semblables

    Les mineurs ont dit non
    A la défaite aux cendres
    Ils veulent bien donner
    Donner mais qui reçoit

    Le cœur n’a pas de bornes
    Mais la patience en a
    Nul ne doit avoir faim
    Pour que d’autres se gavent

    D’autres qui sont apôtres
    De la terre engloutie

    Camarades mineurs je vous le dis ici
    Mon chant n’a pas de sens si vous n’avez raison
    Si l’homme doit mourir avant d’avoir son heure
    Il faut que les poètes meurent les premiers. »

    La solidarité des organisations ouvrières à l’égard des mineurs se poursuivit après la fin de la grève, en particulier face à la répression judiciaire, au travers du soutien aux inculpés et condamnés.

    Jules Moch fit un premier bilan, alors que les grèves n’étaient pas terminées, dans son discours à l’Assemblée nationale le 12 novembre : « 1 041 arrestations, et déjà 300 condamnations ».

    Le 29 janvier 1949, Robert Lacoste, dans une lettre au président de la République Vincent Auriol, indiquait un nombre de 1 430 mineurs passés en jugement au 15 janvier et 400 en attente, précisant que les Charbonnages avaient licencié à la même date 1100 ouvriers, tous préalablement condamnés.

    La plupart des condamnations furent prononcées pour le délit d’entrave à la liberté du travail.

    Le Parti Communiste Français resta largement en retrait du soutien aux condamnés, et, dans tous les cas, se garda de mener un combat politique sur la question. Tout au plus se contenta-t-il d’en appeler à la clémence de l’État. Il fût d’ailleurs rejoint dans ce registre par la SFIO qui appela à ce que l’on ne condamnât pas trop lourdement des grévistes, « sincères dans leurs revendications, mais manipulés par des extrémistes ».

    Il faut ici souligner le rôle du Secours Populaire Français qui mena les actions concrètes de solidarité face à la répression.

    Il organisait le parrainage des emprisonnés, l’entretien d’une correspondance avec eux et leur famille, l’envoi de colis, etc.

    Le Bureau politique du PCF, tout en se gardant d’intervenir publiquement, l’invita le 16 décembre 1948 à amplifier son action et à :

    « Développer le mouvement de protestation contre les mesures de répression anti-ouvrières (mineurs) et les violences policières telles que l’assassinat de St Mandé.

    Inviter les militants du Secours Populaire à renforcer leur action dans ce domaine. Placer cette action dans le cadre général de notre lutte pour la liberté et pour la Paix. »

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le combat des mineurs et les femmes

    La vigueur des réseaux de résistance après-guerre avait été prise en compte par l’État au lendemain des grèves de l’automne 1947.

    Ainsi, une loi du 28 décembre 1947 ramena le nombre de compagnies de CRS de 65 à 54, avec en particulier le désarmement et la dissolution des 151e et 155e compagnies.

    Les trois compagnies de CRS de la Loire avaient été pareillement dissoutes, suite au vote du principe de la grève par la 133e Compagnie de Montluçon le 27 novembre 1947.

    Par ailleurs, suite aux mouvements de grèves de 1947, et pour asseoir son autorité, le Ministère de l’Intérieur dirigé par le socialiste Jules Moch avait créé un réseau de hauts fonctionnaires chargés de prévenir toute tentative de subversion et déployé au niveau régional, les inspecteurs généraux de l’administration en mission extraordinaire (IGAME).

    De plus, l’État avait ordonné, en plus du contingent normalement prévu, le rappel de 80 000 hommes sous les drapeaux pour 1948.

    Il faut noter également que, ayant constaté que les mineurs utilisaient les véhicules des charbonnages en 1947 afin de réagir aux interventions des forces de répression, cette fois ceux-ci furent confisqués par l’armée dès le départ et placés à l’intérieur d’enceintes de caserne.

    On est dans un contexte de guerre civile. Au plan de l’organisation, les réseaux nés de la clandestinité des années de guerre entraient en action durant la grève.

    Ainsi, le 22 octobre, autour du puits Cambefort à Firminy dans la Loire, commencèrent des affrontements très violents ; l’offensive ouvrière s’organisa sous la conduite d’un ancien commando FTP dirigé par Théo Vial-Massat.

    Dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais, les sabotages se multiplièrent à partir de la troisième semaine de grève et la décision des mineurs de ne plus assurer la sécurité des puits, en protestation contre l’arrivée des contingents militaires.

    Le 2 novembre, à Haillicourt, dans le groupe des mines de Bruay-en-Artois, le frein de la cage d’extraction de la fosse 2 bis fut démonté, immobilisant cette machine à mi-course : les mineurs présents au fond durent de ce fait remonter par les échelles.

    Le 3, des rails de chemins de fer furent enlevés entre Harnes et Billy-Montigny. Le 5, deux sabotages rendirent impossible le redémarrage de la fosse 7 de l’Escarpelle qui avait été dégagée la veille.

    Le 9, les pneus d’un autobus des Charbonnages assurant le transport des ouvriers des campagnes vers les fosses 2 et 3 des mines de Dourges à Hénin-Liétard furent transpercés par des planches cloutées placées au travers de la route.

    Dans la nuit du 11 au 12, un rail fut déboulonné à Beugin sur la ligne de chemin de fer reliant Saint-Pol-sur-Ternoise à Bruay-en-Artois puis à Lens, sans doute afin de provoquer le déraillement du train transportant les mineurs jusqu’à la fosse 7 du groupe de Bruay-en-Artois.

    Le 12, à Liévin, trois individus masqués s’introduisirent dans le retour d’air d’une fosse et placèrent des explosifs sur les coussinets des moteurs servant à la ventilation. Une seule charge explosa, n’occasionnant en fait que de faibles dégâts.

    Le même jour, une grenade était lancée contre un train des mines partant de Choques, blessant l’accrocheur qui dut être hospitalisé. Le 14, un rail fût placé au travers de la ligne Rimbert-lez-Auchel-Lillers. Le 16, la ligne Auchy-Bully était touchée.

    Le 22 octobre, un autobus des Charbonnages effectuant le transport des ouvriers mineurs du groupe de Nœux-les-Mines fût détourné par trois individus qui, sous la menace d’un revolver, forcèrent le chauffeur à les conduire dans le bois d’Olhain.

    Arrivés à destination, ils contraignirent les passagers à s’enfuir et tentèrent de mettre le feu au véhicule. N’y parvenant pas complètement, ils jetèrent une grenade à l’intérieur de l’autobus.

    Dans le même temps, les abords des puits étaient devenus de véritables camps retranchés, les wagons sortis des rails et placés en travers, des arbres abattus le long des routes.

    À la fosse 7 de Liévin à Avion, des tranchées furent creusées et des barbelés tendus tout autour du site.

    La tendance révolutionnaire de la grève des mineurs de 1948 peut également se constater par le degré de participation des femmes à tous les niveaux du mouvement.

    Les femmes des mines appartiennent à la classe ouvrière ; si le mariage les amenait souvent à devenir « femmes de mineurs » comme on dit « mère au foyer », toutes occupaient durant l’adolescence des postes à la production : hercheuses (qui pousse les wagonnets), trieuses (qui séparent dans des conditions éprouvantes le charbon des terres stériles), galibot (employée sur les voies au fond), lampistes (qui distribuent les lampes), etc.

    Dès la création des Charbonnages, la main d’œuvre masculine fut mobilisée pour les besoins du fond. Les mines durent employer plus de femmes aux lavages et triages.

    Les conditions de travail étaient très dures et la paie inférieure à celle des hommes. D’après une enquête du très bourgeois Nord Industriel et Commercial de décembre 1946, les ouvrières devaient travailler debout, immobiles, au contact d’un métal glacé, dans une atmosphère suffocante.

    Évidemment, elles devaient supporter les grossièretés des contremaîtres et n’avaient accès ni aux douches ni aux cantines.

    La participation des femmes aux actions violentes des grévistes témoigne de l’engagement total des masses dans le mouvement.

    Ainsi, à Alès le 26 octobre, pour reprendre les puits évacués, les femmes armées de bâtons et de fourches allèrent au-devant des groupes lancés contre la police.

    À Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, des heurts violents opposèrent six mille manifestants aux forces de l’ordre, tandis qu’à Longwy des cadres furent pris en otages ; ces actions étaient rendues possibles par la participation décisive des femmes qui firent preuve d’un bon sens tactique et d’une grande détermination face à la violence policière.

    Par ailleurs, les femmes ouvrières des mines avaient acquis une expérience importante par la participation aux activités de lutte contre les nazis.

    Ainsi, dans le bassin du Pas-de-Calais, la mémoire d’Emilienne Mopty, héroïne des grèves patriotiques de 1941 était vive.

    Après avoir mené un cortège de plusieurs milliers de femmes et participé à de nombreuses actions militaires contre les nazis, elle avait finalement été arrêtée alors qu’elle tentait d’attaquer un peloton d’exécution.

    Menée à Cologne, elle y fut décapitée à la hache par les nazis en 1943. Le hasard voulut que son corps fût rapatrié d’Allemagne pour être enterré à Montigny-en-Gohelle, à l’automne 1948, en pleine grève des mineurs.

    Ses fils, emprisonnés pour leur participation à des violences contre les forces de l’ordre, ne purent accompagner sa dépouille.

    Un évènement particulièrement révélateur se produisit à Verquin, dans le Pas-de-Calais le 19 octobre. Dans une manifestation qui dégénérait, un ingénieur fût malmené et un inspecteur de police déculotté par des femmes. Une rumeur au moins tendait à légitimer cette castration symbolique (dont témoigne une photographie). Une femme avait reconnu ce policier comme l’auteur de l’arrestation de son mari sous l’Occupation.

    Arrêtées, elles étaient plus largement relâchées. Par exemple, sur 32 personnes inculpées, une seule femme fut jugée par le tribunal de Béthune en mars 1949 pour l’assaut mené contre la Sous-Préfecture pendant la grève.

    Les femmes jouèrent un rôle également dans la lutte psychologique – prenant parfois des formes violentes – contre les jaunes et les briseurs de grève, souvent par des actions contre des maisons ou en exerçant des pressions sur d’autres femmes.

    Les femmes transformèrent donc le mouvement de 1948.

    Au travers de leur action de premier plan, il n’était plus simplement question de grève. Toutes les préoccupations du présent et du passé récent, des conditions de vie et de dignité, jaillirent au premier plan, avec urgence, violence et sans qu’il fût possible pour les pouvoirs publics de proposer des concessions.

    On notera ici la résolution sur la main d’œuvre féminine qui fut adoptée lors du 27e congrès de la CGT, qui s’est tenu justement du 11 au 15 octobre 1948.

    « Considérant que l’amélioration de la condition des femmes travailleuses, partie intégrante du monde du travail, et leur émancipation sont l’œuvre du mouvement syndical tout entier ; le Congrès appelle à la discussion du problème féminin à tous les échelons du mouvement syndical, depuis la section syndicale jusqu’au bureau confédéral. »

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La situation historique des mineurs

    La massification était pour le Parti Communiste Français la clef d’un problème apparent : la République lui tendait les mains, mais il fallait obtenir une certaine masse critique.

    C’est ce qui explique la transformation très rapide en 1945, et sans aucune complication interne. De « parti des fusillés », organe politique-militaire clandestin des résistants, il devait devenir parti des masses travailleuses.

    Tous les cadres étaient d’accord à ce sujet, et tous suivaient Maurice Thorez affirmant que le Parti Communiste Français devait se montrer apte à améliorer durablement la vie des travailleurs.

    En ce qui concerne les mineurs, cela provoquait une situation forcément intenable.

    Chargé tout à la fois de maintenir le statut du mineur et d’améliorer largement les conditions de vie des masses, le Parti Communiste Français ne pouvait que chanceler.

    Le statut du mineur était en fait pour Maurice Thorez la preuve de ce que l’on pouvait faire créer un embryon de socialisme dans la république bourgeoise.

    C’était une illusion, criminelle qui plus est car cela transformait en même temps les mineurs en corporation, qui devait produire de toutes ses forces et bénéficier en retour du fruit de son travail.

    La « bataille du charbon » lancée en 1945 atteignait ses objectifs. Grâce à l’abnégation des ouvriers, 100 000 tonnes par jour remontaient du fond des puits dès le mois de novembre 1946.

    Mais cette production, bien que dépassant celle de 1938, ne permettait pas de couvrir les besoins des industries renaissantes. La France avait massivement recours à l’importation, à hauteur de 20 à 30 % de sa consommation.

    Au travers du plan Marshall, la moitié des importations vinrent des USA à partir de 1947.

    La vétusté des exploitations, notamment l’insuffisance des installations électriques, limitait la mécanisation, de sorte que l’accès à certaines qualités de matière, pourtant présentes en sous-sol, était impossible.

    La production en souffrait en général ; les Charbonnages livraient fréquemment à leurs clients du coke impur, impropre à la production d’un acier de qualité. On manquait par ailleurs de charbon maigre et demi-gras pour alimenter les machines à vapeur.

    Somme toute, la production était médiocre, mais pas seulement : les rendements étaient eux aussi insuffisants.

    En 1948, les 3,6 millions de tonnes produites représentaient 96 % de la production de 1938. Néanmoins, le rendement moyen au fond n’était que 79 % de celui de 1938.

    Le niveau de production était tenu littéralement à bout de bras par les mineurs. Ainsi, dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, aux réserves imposantes, la production de 1948 représentait seulement 83 % de celle de 1938, avec un rendement moyen de 77 % de celui de 1938.

    Alors que les mines étaient nationalisées depuis deux ans, les mineurs de fond manquaient de tout, de bois et d’aération pour leur sécurité, comme de piqueurs pneumatiques et de machines excavatrices pour attaquer la roche.

    La « bataille du charbon » lancée par Maurice Thorez devant les mineurs de Waziers en juillet 1945 n’était donc pas achevée en 1948. Elle était pourtant au cœur de la stratégie de conquête du pouvoir du Parti Communiste Français.

    Celui-ci entendait montrer qu’après avoir organisé les partisans pour la libération du pays, il savait encadrer la classe ouvrière pour relever l’économie. La dimension militaire de l’opération était plus qu’une formule.

    Les propos attribués à Auguste Lecoeur, alors secrétaire d’État aux mines et maire de Lens (Pas-de-Calais), sont sans équivoque :

    « Le problème humain, c’est le mineur qui regarde le tas de charbon qu’a sorti l’autre. Même s’il faut que cent mineurs meurent à la tâche, l’essentiel c’est que la bataille du charbon soit gagnée.

    C’est le salut du pays qui est en jeu. Quand les bataillons montaient au front et tombaient à l’attaque, il n’y avait pas de problème humain. »

    Comme on le voit, le rapport du Parti Communiste Français aux mineurs possède un large axe utilitaire. Ceux-ci sont considérés comme une corporation pouvant servir de levier.

    Créé en 1946, le statut de l’ouvrier mineur plaçait tous les salariés des Charbonnages dans un système corporatiste.

    Sous la protection de l’État et par effet de la loi, les mineurs étaient dans un cadre particulier, séparés du reste de la classe ouvrière : un système de titularisation offrant la sécurité de l’emploi, un salaire minimum, un régime de protection sociale dérogatoire avec son propre système de soins pour le mineur et sa famille, une caisse de retraite, etc.

    En 1948, ce régime protecteur fut entamé par trois décrets signés du ministre socialiste Robert Lacoste.

    Le premier concernait la carrière du mineur et instaurait un stage probatoire de six mois, durcissait les sanctions disciplinaires, supprimait le salaire dit « minimum vital » et introduisait les licenciements de droit pour absences non justifiées.

    Le second réduisait de 10% les effectifs du personnel administratif et de jour.

    Le troisième réduisait la part des salariés dans le Conseil d’administration des Charbonnages et donnait aux directions davantage de prérogatives dans la gestion des coopératives approvisionnant les mineurs.

    Les décrets Lacoste représentaient évidemment une injure à leur implication dans la relance économique, alors que des commandos de travailleurs de choc s’étaient organisés dès 1945 dans tous les puits, et que leur bravoure était vantée par les organes du parti et les publications syndicales.

    La nationalisation des compagnies et la cogestion des mines par ces organisations ouvrières, étaient pour eux une immense reconnaissance et avaient même pour eux un avant-goût de socialisme.

    On a là un aspect essentiel de la rage qu’il y avait du côté des mineurs en 1948.

    C’était d’autant plus vrai que même s’ils bénéficiaient de la gratuité du logement, du charbon pour le chauffage et des soins, les mineurs partageaient par les autres aspects de leur existence le sort de la classe ouvrière de l’immédiat après-guerre.

    Les conditions de vie étaient rudes, l’on manquait de tout. Pour les masses travailleuses, l’accès aux marchandises de base restait très limité.

    Les productions agricole et industrielle étaient globalement insuffisantes pour couvrir décemment les besoins. Les prix du commerce de gros étaient élevés, notamment du fait de la nécessité de renouveler les stocks. Les prix au détail étaient réglementés, mais malgré cela, l’inflation gangrenait l’économie.

    Les étals étaient souvent vides ; les ménages étaient contraints de se fournir au marché noir pour acheter certaines marchandises inaccessibles.

    À l’automne 1948, le kilo de beurre coûtait près de 1000 F au marché noir, pour 500 F au marché légal ; son prix était de 150 F encore en janvier 1946.

    Il fallait compter 100 F pour un kilo de sucre à l’automne 1948 au marché légal, presque 5 fois plus au noir.

    Le litre de lait se payait quant à lui entre 40 et 60 F selon le marché. Selon les sondages réalisés alors par l’IFOP, l’estimation de la somme mensuelle nécessaire aux dépenses d’une famille de quatre personnes passa de moins de 30 000 F à 40 000 F entre décembre 1947 et janvier 1949.

    En 1948, le salaire moyen de l’ouvrier mineur de fond était d’environ 12 000 F, en fonction de la production individuelle. Les familles ouvrières des mines connaissaient concrètement encore l’économie de guerre et c’était vrai pour les larges masses.

    La guerre était également encore présente dans les esprits, à bien d’autres niveaux. En effet, les mines ne s’étaient pas arrêtées pendant l’occupation, et, après-guerre, le personnel avait peu changé.

    Or, pendant l’occupation, une forme de collaboration économique particulièrement intense s’était installée. Ainsi, en 1948, le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais connaissait un contexte particulièrement tendu.

    Collabos, anciens résistants et victimes de la barbarie nazie vivaient en promiscuité dans les cités minières, et chacun savait qui était qui. L’épuration n’avait pas eu lieu, d’autant que, en lançant la « bataille du charbon », Maurice Thorez avait déclaré en juin 1945 à Waziers :

    « On ne peut pas épurer pendant 107 ans (…) produire, produire, et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français. »

    Les populations des bassins miniers du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine avaient vécues en « zone interdite », dépendant directement du commandement militaire de l’Allemagne nazie.

    Lors de la grève patriotique de 1941, encore vive dans les esprits, des listes de meneurs avaient été livrées aux nazis.

    Plus généralement, les directions s’employaient alors, en alourdissant le rythme de travail, à faire en sorte que le niveau de la production satisfasse l’occupant, sous l’œil d’une maîtrise retrouvant la plénitude de l’autorité qu’elle avait dû en partie concéder au temps du Front populaire.

    Parce qu’il fallait produire, la nationalisation des compagnies, la transformation en établissement public avait pour ainsi dire tenu lieu d’épuration.

    Pour les mineurs, justice n’était donc pas faite. Dans l’immédiate après-guerre, de nombreux règlements de compte se déroulèrent dans les bassins miniers, en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais, où les autorités du gouvernement provisoire constataient des assassinats d’ingénieurs et de porions, au fond.

    La question de l’épuration dans les bassins miniers n’était toujours pas réglée en 1948, sans que le Parti Communiste Français, aveuglé par la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, n’ait pu prendre la réelle mesure de la question.

    La grève des mineurs de 1948 le surprit ainsi par son haut niveau de conflictualité. Agissant en parti syndicaliste, il organisa la solidarité en faveur des familles des grévistes, sans être en mesure de pousser dans le sens d’un soulèvement général.

    La direction stratégique de la grève était donc tiraillée entre le haut niveau de conflictualité des masses des cités minières et les impératifs inhérents à la position du « parti syndicaliste ».

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • Le Parti et l’importance des mineurs

    En 1948, le Parti Communiste Français jouait en quelque sorte son va-tout du point de vue de l’exercice du pouvoir. C’est pour lui l’ultime tentative de s’imposer comme force à la fois gouvernementale et contestataire par la lutte des classes.

    La SFIO à sa droite accumulait autour d’elle les forces de gauche opposées à l’URSS et favorables au plan Marshall. Maurice Thorez comptait quant à lui sur le climat social tendu à l’extrême depuis la fin de l’année 1947 pour apparaître comme le leader de l’unité nationale et du progrès social.

    Dans l’immédiat après-guerre, à la tête du « Parti des Fusillés », Maurice Thorez entendait animer la vie politique dans la continuité du Programme du Conseil National de la Résistance. Le Parti Communiste Français était une force politique incontournable qui dut transformer le pays en l’unifiant autour de lui.

    Cette ligne, définie à l’issue du Xe Congrès national de juin 1945, guida ensuite les actions du Parti Communiste Français. Avec l’exclusion des ministres communistes du gouvernement en mai 1947, cette ligne fut toutefois brisée.

    Rejeté en dehors de l’exécutif, le Parti Communiste Français entendait peser par la gauche sur les gouvernements de la IVe République, parvenir à revenir au centre du jeu.

    Les grèves de la fin 1947 furent une tentative de reprendre la main sur le mouvement ouvrier après le coup de force de la SFIO et de l’ultra-gauche du printemps 1947. Mais le mouvement fit long feu par manque de préparation politique.

    L’incohérence se situait au niveau suivant. Durant la séquence qui s’ouvrit après les grèves de 1947 et le XIe congrès, le Parti Communiste Français chercha à s’imposer comme étant la force politique progressiste capable de dépasser l’instabilité, d’unir « le peuple » et de guider la république française vers le progrès social.

    Dans ce large dessein, il y avait une place pour les mineurs et il fallait alors tout à la fois défendre la production des mines nationales et encourager la grève.

    Le Parti Communiste Français se révéla incapable de résoudre cette contradiction entre son rôle réel et son rôle souhaité, entre le cadre républicain bourgeois et la révolution socialiste.

    Il faut ici revenir un peu en arrière et voir l’importance des mines. Le charbon était une ressource décisive pour l’économie du pays.

    Dans ce cadre, la stratégie de recapitalisation des mines était une des œuvres phares du PCF du temps où il était le parti de gouvernement. Le bon fonctionnement des houillères nationales s’avérait par conséquent indispensable à tout retour au pouvoir souhaité par le PCF.

    Le 11 décembre 1945, le député communiste du Nord Henri Martel avait présenté la proposition de loi tendant à la nationalisation de toutes les mines, minières, usines et entreprises annexes des mines.

    Cette loi, publiée le 17 mai 1946 avait entraîné la nationalisation des houillères, en créant un groupe industriel public nommé Charbonnages de France.

    Ceci avait achevé dans les bassins miniers, le mouvement de sanctions économiques initié dès la libération, dans le cadre des mesures d’épuration et de redressement de l’économie.

    Il convient néanmoins de relativiser l’aspect « épuration » des mesures de nationalisation des mines.

    En effet, les propriétaires des compagnies ne furent pas sèchement expropriés. Entre 1944 et 1946, les exploitants des houillères perçurent de l’État une allocation mensuelle de 8 francs par tonne de houille extraite mensuellement et en moyenne pendant les années 1938 et 1939. Rien que pour les mines du Nord-Pas-de-Calais, cette allocation représentait la somme de 238 millions de francs par an.

    Refusant de sortir du cadre bourgeois, le PCF se trouvait tenu aux règles de la gestion capitaliste. Il fut condamné à la fuite en avant : démontrer qu’une entreprise dont l’actionnaire unique est l’État peut être compétitive sur un marché concurrentiel. La production de charbon devait donc être conséquente avec des coûts modérés.

    Or, les problèmes de rentabilité se multipliaient. En juin 1946, le prix de revient à la tonne de charbon « tout venant » était le triple de celui de 1944.

    Les coûts de main-d’œuvre constituaient 67 % du prix de revient, contre 19 % pour les fournitures.

    En juin 1947, les Charbonnages avouaient un déficit de 13 milliards de francs. En 1948, le prix de vente de la tonne de « tout venant » était deux fois supérieur à celui de 1946. Le charbon de France ne pouvait faire face à la concurrence américaine et allemande.

    Inversement, les revendications salariales étaient importantes chez les mineurs. Depuis la libération, le salaire des ouvriers mineurs était resté inférieur à ceux des autres branches professionnelles.

    En août 1946, le conseil d’administration des charbonnages, largement sous l’influence du PCF, estima que, les objectifs de la production étant atteints, il était possible d’accorder une majoration des salaires de 30 %.

    La grève de l’automne 1948 rassembla les mineurs autour d’une revendication salariale centrale : la fixation du montant du salaire de base à 14 500 francs.

    Le soutien au mouvement de revendication d’augmentation générale des salaires ouvriers était un marqueur idéologique du PCF.

    Il faut noter ici que c’est une erreur historique, car c’est au syndicat de s’occuper de cela.

    Le Parti pose le cadre politique pour la victoire des revendications, mais il ne joue pas le rôle du syndicat ; le syndicat est subordonné, mais il a une activité spécifique.

    Malheureusement, avec Maurice Thorez, le Parti Communiste Français est une sorte de parti syndicaliste.

    Il prenait son rôle très à cœur ; en 1946 déjà, alors que le PCF était présent au gouvernement, il s’opposa à la politique de blocage des prix et des salaires, en appui aux revendications de la CGT.

    Dans un important fascicule présentant les rapports du comité central pour son XIe congrès de 1947, le Bureau politique énonce ainsi au chapitre des prix et salaires :

    « Comme en juin 1946, seul le Parti Communiste soutint avec énergie la revendication de la CGT pour l’application du minimum vital.

    La loi du 31 mars 1947 et l’arrêté d’application du 6 avril 1947, en accordant une substantielle augmentation pour tous les salaires inférieurs à 7 000 francs, a permis d’améliorer sensiblement les conditions de vie des travailleurs. »

    Un autre aspect est que le Parti Communiste Français avait l’obsession de la massification et il avait retenu la leçon des grèves des usines Renault d’avril 1947, où il avait été débordé par un petit réseau d’ultra-gauche.

    Maurice Thorez n’a cessé de souligner l’importance de la massification. Au congrès de 1947, en évoquant la Pologne, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie, le comité central énonça que :

    « Ce qui se passe dans d’autres pays, en Europe centrale notamment, ne peut pas ne pas retenir notre attention. C’est par centaines de milliers, voire par millions, que nos Partis frères comptent leurs adhérents ».

    Et le Parti Communiste Français, pourtant dans un contexte totalement différent puisqu’agissant dans le capitalisme, devrait faire de même.

    « Les grands succès déjà obtenus par notre Parti en France nous permettent de penser que nous pouvons, que nous devons trouver dans les conditions propres à notre pays, un développement encore plus impétueux de nos effectifs, de notre capacité d’organisation et de notre activité. »

    Dans cette optique, les bassins miniers apparaissaient comme des bastions électoraux. En effet, si l’on observe les résultats aux élections qui précédèrent la grève de 1948, à savoir les élections législatives de novembre 1946, le Parti Communiste Français fit un score de 28,2 % au niveau national.

    Il apparaissait comme la première force politique de gauche (la SFIO était à 17,8%), mais aussi comme la première force politique du pays (le MRP était à 25,9%).

    Or, les résultats du Parti Communiste Français dans les départements miniers étaient largement supérieurs à la moyenne nationale :

    – Pas-de-Calais : 31,2 % ;

    – Nord : 28,7 % ;

    – Gard : 37,4 % ;

    – Saône-et-Loire : 32,4 %.

    L’influence politique des mineurs débordait des bassins d’emploi pour grossir largement les suffrages au-dehors.

    Maurice Thorez vient de cet environnement et on peut dire ici que si dans les années 1920 et 1930, c’est la région parisienne qui porte le Parti Communiste Français, à partir des années 1930-1940, c’est le Nord-Pas-de-Calais qui définit le style de travail et les mentalités.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La grève des mineurs de 1948

    La grève des mineurs de 1948 dura 52 jours consécutifs, un peu plus de sept semaines. Elle cristallisa des enjeux politiques très larges, mobilisant, avec elle ou contre elle, toutes les forces politiques du pays.

    La grève fut déclenchée après un référendum organisé par la CGT : 200 000 ouvriers des Charbonnages se déclarèrent pour la cessation du travail.

    Le premier jour de la grève, le lundi 4 octobre, absolument tous les puits du pays étaient bloqués.

    Cette grève porta dès les premiers instants son caractère de masse, elle révéla dans les jours qui suivirent le haut niveau de conflictualité des gens des mines.

    (wikipédia)

    On est dans une révolte qui est, en un certain sens, le pendant de la « bataille du charbon » lancée par le Parti Communiste Français en 1945. Les communistes avaient conquis leur légitimité en étant en première ligne pour relancer la production, en particulier du charbon.

    Avec la grève des mineurs, il y a en quelque sorte l’exigence que les services rendus soient reconnus. L’erreur stratégique était pourtant là : la France n’était pas une démocratie populaire et il n’y avait aucune raison que le capitalisme fasse des mineurs une couche sociale valorisée.

    Ce fut donc un affrontement terrible, de haute valeur sur le plan de la lutte des classes, et en même temps un combat perdu d’avance.

    On peut distinguer quatre séquences dans le déroulement du mouvement de grève. Du 4 octobre au 8 octobre 1948, la grève s’installe, le gouvernement n’agit d’abord pas.

    Puis, du 8 octobre au 17 octobre, la CGT œuvre pour se maintenir au centre du jeu. Du 17 octobre au 23 octobre, les masses passent à l’assaut. Enfin, du 23 octobre au 29 novembre, c’est un lent délitement.

    Comment se déroula grève ? Elle prit la forme de piquets, avec occupation des carreaux de fosse et des différentes installations annexes. Dès les premiers jours, certains piquets se retranchèrent derrière de véritables barricades.

    La CGT organisa des meetings locaux la deuxième semaine, afin de maintenir la tension. Après une courte période de « pourrissement » selon l’expression de Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, le gouvernement procéda à la répression de la grève.

    Celle-ci fût implacable et militarisée. Les CRS dégagèrent d’abord le bassin de la Moselle, puis ce fut le Massif central et enfin le Nord-Pas-de-Calais.

    (wikipédia)

    Dès le 16 octobre, la CGT réclamait le retrait des forces de l’ordre et décidait à titre d’avertissement une grève de vingt-quatre heures des services de sécurité des cokeries et des mines. Le gouvernement répondit par l’ordre d’occupation des puits.

    La CGT lança alors, le 18, la grève illimitée de la sécurité. À cette date, dans le Pas-de-Calais, la grève touchait les centrales thermiques – dépendantes du charbon – qui furent dans l’obligation d’en partie cesser leur production.

    Des coupures du courant électrique intervinrent à Angres, Avion, Dourges, Eleu, Lens, Liévin et Sallaumines. C’est tout le système de régulation hydraulique qui s’en trouva perturbé.

    Les remontées des eaux de sous-sol menacèrent certains quartiers du bassin lensois. Dans les Cévennes, les puits du Martinet et de Bessèges subirent aussi des inondations du fait de l’arrêt des pompes.

    Bientôt, des cortèges se formèrent dans des rassemblements de plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants devant les Grands Bureaux d’Hénin-Liétard et d’Oignies, puis le 19 à Verquin et le 21 à Béthune.

    Le 19, à la fosse 8 à Verquin, un demi-millier de personnes attaquèrent le cordon de police qui protégeait l’équipe de sécurité. Une trentaine de personnes furent arrêtées durant l’émeute. Dès le lendemain, 500 personnes se rassemblaient devant le commissariat de Barlin et 300 devant celui de Noeux-les-Mines pour réclamer la libération de leurs camarades.

    Le 21 octobre, à Béthune, drapeau rouge et fanfare en avant, un cortège de 6000 personnes venues d’Auchel, de Bruay-en-Artois, de Divion et de Noeux-les-Mines marcha vers la sous-préfecture.

    Ayant obtenu la libération des inculpés du 8 de Verquin, ils réclamaient l’impunité pure et simple et la restitution des papiers d’identité confisqués par la police. Devant la valse-hésitation du sous-Préfet, un des délégués donna du clairon et la foule entra dans le bâtiment.

    Le sous-Préfet et le procureur de la République furent retenus jusqu’à ce qu’ils eussent signé un document promettant l’immunité des inculpés. Les CRS donnèrent l’assaut avec l’appui des gendarmes ; une trentaine de blessés des deux camps fut dénombrée.

    (wikipédia)

    Dans le Gard, le même matin du 21 octobre, des affrontements eurent lieu entre des grévistes qui occupaient le puits Ricard et les CRS. Le piquet de grève fut démantelé et les grévistes expulsés du carreau de mine par la force.

    L’après-midi-même, un important cortège parti du quartier ouvrier s’ébranla vers la fosse pour organiser la réoccupation du puits. Les affrontements furent extrêmement violents, et les mineurs débordèrent les CRS.

    Refluant, ils sautèrent ou furent jetés, d’un mur haut de 6 à 10 mètres. 14 CRS furent grièvement blessés, 56 plus légèrement. Aucun coup de feu ne fut tiré ce jour-là, on ignore le bilan des blessés chez les mineurs.

    Les grévistes occupant le puits Ricard furent finalement évacués quelques jours plus tard à l’aide de blindés.

    Au puits Cambefort à Firminy dans la Loire, ce 21 octobre marqua le commencement d’affrontements eux aussi violents.

    Les mineurs tentèrent de reprendre le contrôle du puits gagné par la police. Le lendemain, une nouvelle offensive ouvrière s’organisa sous la conduite d’un ancien commando de francs-tireurs partisans.

    Le même jour, à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire, les mineurs attaquèrent les forces de l’ordre et, au terme de violents affrontements, prirent le contrôle de la ville.

    Ils firent littéralement prisonniers cent trente gendarmes conduits par leur colonel et quinze gardiens de la paix, dont ils confisquèrent les armes.

    Le 23 octobre, le ministre socialiste de l’Intérieur Jules Moch ouvre la boîte de Pandore, en affirmant que les forces de l’ordre « pourront se défendre après les sommations réglementaires », que les préfets « auront le droit d’interdire toute réunion, même privée » et que « les étrangers participant aux manifestations actuelles seront tous expulsés, quelle que soit la durée de leur séjour et leurs attaches en France ».

    (wikipédia)

    Au terme de cette politique de durcissement de la répression des mineurs grévistes, le 3 novembre, Jules Moch fit le point sur les résultats de cette stratégie selon les différentes régions.

    Selon lui, à cette date, le bassin de Lorraine, premier bassin réinvesti, avait repris totalement le travail, l’Aveyron à 25 %, le Gard à 27%, le Tarn à 33%, la Nièvre à 47%, la Loire à 50%, la Saône et Loire à 59%.

    S’il indiquait que le Nord avait repris à 40%, il ne donna pas de pourcentage pour le Pas-de-Calais qu’il considérait « en cours de libération ». Il estima à 45 000 le nombre des mineurs ayant embauché le 2 novembre dans l’équipe du matin sur un effectif total de 145 000 (soit environ 31%), ce qui montrait que la grève était encore majoritaire à cette date.

    À partir du 10 novembre, la reprise du travail s’accéléra.

    Dans un long discours devant l’Assemblée nationale, le 16 novembre, Jules Moch dénonça ce qu’il estimait être une entreprise de déstabilisation de la République, menée par le Parti Communiste Français. Il affirmait avoir des preuves du caractère insurrectionnel de la grève des mineurs, et justifiait ainsi l’implacable répression des forces de l’ordre.

    Le 25 novembre, tous les puits enregistraient des descentes à hauteur de 90 %. La CGT appela à la reprise du travail le 29 novembre.

    Au cours de la grève, sept ouvriers furent tués par les forces de l’ordre. Parmi eux, le 8 octobre, Jersej Jamsek, âgé de quarante-trois ans, mourut à Merlebach au cours d’une charge des CRS, tandis que le 26, Max Chaptal, 26 ans, fut fauché par une rafale de mitraillette, alors qu’il tentait de franchir un pont défendu par les forces de l’ordre autour d’Alès.

    (wikipédia)

    On dénombra des centaines de blessés dans toute la population des mines, pas seulement des ouvriers-mineurs. Au plus fort du conflit, l’armée occupait les cités minières avec blindés et automitrailleuses.

    Un couvre-feu avait été imposé. Au total, 1041 ouvriers furent traduits devant les tribunaux. Les condamnations allèrent jusqu’à trois ans d’emprisonnement fermes. 3000 mineurs furent licenciés, expulsés de leur logement et souvent marqués au rouge auprès des sous-traitants des Charbonnages dans le bassin.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949

  • La ligne du Parti pendant l’année 1948

    L’année 1948, comme auparavant l’année 1947, est marquée par une hausse continue des prix, alors qu’on ne sort toujours pas d’une situation de pénuries.

    L’agitation reste ininterrompue, avec différentes vagues et la tension ne fait que monter. En juin 1949, un débrayage d’une heure est très largement suivi, par des millions de travailleurs.

    Mais le Parti Communiste Français, qui soutient désormais totalement le mouvement, à rebours de sa position de 1945-1946 et de son retard à l’allumage de 1947, est pourtant toujours sur la même ligne de participer au gouvernement, de parvenir à le diriger.

    On en est toujours à la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez, avec la considération que le régime est démocratique ou du moins que la « République » est essentiellement neutre et qu’il est possible d’en prendre les commandes.

    C’est incohérent, totalement forcé, pour autant personne ne semble le remarquer. Le Parti Communiste Français ne connaît pas de critique, pas de remue-ménage interne, pas de bataille idéologique.

    Il y a le principe d’une grande force numérique et électorale, arrimée à l’URSS, cela semble suffire.

    Voici le programme de salut national, adopté le 15 avril 1948 lors de la session du Comité Central du Parti Communiste Français à Gennevilliers.

    « 1. Dénonciation des accords et traités qui enchaînent la France à la politique de guerre du camp impérialiste, qui subordonnent les crédits étrangers éventuels à des conditions
    contraires à l’indépendance nationale, qui lient la France aux pays ex-ennemis contre ses alliés (plan Marshall, traité militaire de Bruxelles, alliance avec l’Allemagne occidentale) [I].

    Participation active de la France aux efforts de l’Union Soviétique et de toutes les forces de paix dans le monde pour établir une paix démocratique, juste et durable, fondée sur le respect des accords interalliés et de la Charte des Nations Unies.

    2. Défense des droits de la France à la sécurité et aux réparations allemandes que des gouvernants sans honneur ont scandaleusement abandonnées.

    3. Fin de la guerre au Viêt-Nam. Libération de toutes les victimes de la répression colonialiste et respect de la Constitution dans les pays et territoires de l’Union Française.

    4. Défense de nos industries contre les atteintes et les menaces de l’impérialisme américain, rajustement des salaires sur la base du minimum vital, soutien de l’effort des savants, ingénieurs et techniciens, et modernisation des entreprises de manière à créer les conditions du développement de la production.

    5. Rénovation de l’agriculture française par une politique fondée sur une production accrue d’outillage agricole et d’engrais, sur les prix agricoles rémunérateurs et stables, sur la protection de nos cultures essentielles contre les grands exportateurs d’outre-Atlantique.

    6. Rétablissement de relations commerciales normales avec les pays du Centre et de l’Est de l’Europe, seuls débouchés importants et stables pour la production française.

    7. Mise en oeuvre de toutes les possibilités de l’industrie et de tous les moyens disponibles de l’Etat et de l’initiative privée pour impulser une politique de reconstruction et de construction afin de reloger rapidement les sinistrés et de donner aux innombrables jeunes gens sans logis la possibilité de fonder un foyer.

    8. Baisse sérieuse des prix, qui implique en particulier la «m réduction des superbénéfices des sociétés capitalistes, le respect des droits des Comités d’entreprise en ce qui concerne le contrôle des prix de revient.

    9. Développement de la formation professionnelle afin de donner un métier aux jeunes. Poursuite d’une politique d’équipement sportif et d’éducation physique préservant la santé de la Jeunesse et assurant son plein épanouissement.

    10. Stabilisation du franc. Equilibre strict du budget. Diminution massive des dépenses militaires. Reforme démocratique de la fiscalité exonérant le minimum vital, simplifiant le système des impôts, frappant les sociétés industrielles et financières scandaleusement favorisées et allégeant les charges des travailleurs et des classes moyennes. Protection de l’épargne. Défense de la propriété, fruit du travail et de l’épargne.

    11. Consolidation des conquêtes démocratiques, notamment la Sécurité Sociale et les nationalisations menacées par les grands capitalistes français et américains.

    12. Dissolution des groupes paramilitaires de guerre civile organisés par le R.P.F. Défense de la légalité républicaine et des libertés constitutionnelles (droit de grève, liberté d’expression, liberté de réunion, d association et de manifestation) [2].

    13. Organisation de l’armée conformément aux besoins exclusifs de la souveraineté française et de la défense de la République, garantissant à l’armée nationale un commandement et une structure rendant impossible son utilisation contre le peuple, pour une politique colonialiste ou comme instrument d’une puissance étrangère agressive.

    14. Application du statut de la fonction publique, voté en 1946 sur l’initiative de Maurice THOREZ en vue de faire droit aux légitimes revendications des fonctionnaires.

    15. Respect intégral de la laïcité de l’Etat et de l’Ecole publique, condition de l’union des Français sans distinction d’opinion et de croyance. Développement des constructions scolaires.

    16. Assainissement de la presse par la publication obligatoire des ressources et des dépenses de chaque journal ou périodique.

    17. Révision des scandaleuses mesures d’impunité prises à l’égard de nombreux traîtres. Libération et réhabilitation des combattants de la Résistance arbitrairement emprisonnés, poursuivis ou condamnés.

    **

    1) Il convient d’ajouter à cette énumération l’accord de Londres et le pacte bilatéral franco-américain.

    2) Il convient d’ajouter à cet article du programme l’abandon du projet Jules Moch qui tend à favoriser les entreprises subversives du général de Gaulle en lui assurant la majorité dans le Conseil de la République redevenu le Sénat.

    Au milieu de l’année, il est évident qu’on va à la collision. Néanmoins, le Parti Communiste Français joue toujours la carte du légitimisme. C’est là où on voit que la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez est devenue la matrice et qu’il est devenu impossible d’en sortir.

    Au milieu de l’année 1948, la contradiction est posée : il y a le combat des masses, mais le Parti Communiste Français qui le porte est paradoxalement incapable d’en assumer la dimension.

    En posant la « République » comme voie censée mener au socialisme, le Parti Communiste Français annule concrètement sa propre existence révolutionnaire.

    Voici l’appel du Parti Communiste Français à ce moment-là, encore et toujours pour un nouveau gouvernement.

    « Le mécontentement général des masses populaires a provoqué la dislocation et l’effondrement du gouvernement Schuman-Mayer-Moch.

    Les ouvriers, les paysans, les fonctionnaires, les petites gens des classes moyennes en ont assez d’une politique de misère et de ruine qui accable les travailleurs et tourne le dos aux intérêts de la France et de la République.

    La discussion portant sur une réduction bien insuffisante des crédits militaires a surtout souligné l’absence d’une véritable doctrine de défense nationale, chez les hommes et les groupements qui tentent d’asservir la France aux exigences des impérialistes américains, au risque de jeter notre pays dans une nouvelle catastrophe.

    Le gouvernement disparaît alors que la situation internationale de plus en plus tendue provoque de vives inquiétudes chez tous les Français épris de liberté et de paix. Les décisions unilatérales de la Conférence de Londres, ratifiées à la faible majorité de huit voix par l’Assemblée Nationale, produisent les résultats qu’on en pouvait attendre.

    Plus de sécurité, plus de réparations pour la France, mais l’alliance avec l’Allemagne de l’Ouest et la course à l’aventure derrière les fauteurs d’une nouvelle guerre impérialiste contre l’Union Soviétique et les pays de démocratie populaire.

    Le Parti Communiste considère qu’il est encore possible de prendre une autre voie et de promouvoir une politique française de démocratie et de paix ; une politique fondée sur l’affirmation rigoureuse de notre indépendance nationale.

    Il est nécessaire à cet effet de constituer un gouvernement d’union démocratique, un gouvernement ayant la confiance de la classe ouvrière, la confiance du peuple et s’appuyant résolument sur le peuple, pour l’application d’un programme de salut national.

    Le Parti Communiste appelle tous les travailleurs, tous les républicains, tous les patriotes à renforcer leur union et leur action pour donner à la France le gouvernement qu’elle attend.

    Le Comité Central du Parti Communiste Français.
    Le Groupe Parlementaire Communiste.
    Paris le 20 juillet 1948. »

    C’est alors que se produit la grève des mineurs.

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    et les trois grèves historiques : 1947, 1948, 1949